Introduction
p. 1-4
Texte intégral
1Comment faire un petit livre sur les principes de l’histoire de l’économie pour les jeunes chercheurs, afin de leur donner quelques conseils ? La réponse n’est pas évidente : les « principes généraux » sont souvent partiels, transitoires, leur application floue et l’histoire économique n’a pas toujours de méthodes bien définies, les querelles d’écoles sont nombreuses et souvent on parle de crise de l’histoire économique pour le XIXe et le XXe siècle1. La définition même de l’histoire économique est imprécise : l’économie en principe, c’est la production, la commercialisation et la distribution des richesses dans une société, mais qu’est-ce qu’une richesse ? Si on ouvre la dernière édition de l’Économie de Samuelson2, l’économie est « l’étude de la façon dont les sociétés utilisent des ressources rares pour produire des biens ayant une valeur et les répartir entre les individus » : ce qui permet d’étudier les comportements des marchés, des entreprises, des ménages et l’impact des dépenses publiques sur la croissance... Mais on voit bien que les limites sont incertaines, tout relève ou presque de la microéconomie et de la macroéconomie3, ce qui explique qu’il y ait bien des taches blanches en histoire économique contemporaine : et les histoires à naître4 devraient sans doute changer sensiblement les perspectives d’ici 2030-2050 (on découvrira des histoires « inconnues », ou des histoires « impossibles » dont on n’a guère idée aujourd’hui).
2L’histoire économique est une histoire fortement technique, qui exige souvent de l’historien des connaissances étendues, et les historiens « non professionnels » – ingénieurs, administrateurs, banquiers, cadres d’entreprise5 – qui ont pour eux l’expérience de la vie et une certaine pratique de l’entreprise, vont sans doute jouer un rôle croissant : si bien qu’un petit livre sur les principes doit nécessairement s’adresser à eux, ce qui peut changer notablement la manière de dire, car on doit leur expliquer que l’histoire ne peut enseigner, ne peut donner de leçons, qu’elle est probabiliste6, que l’on doit se méfier des idées générales, des systèmes qui souvent, comme dit Claude Bernard, « tendent à asservir l’esprit humain ». Il n’est pas aisé d’expliquer en quelques pages ces principes en les appliquant à l’histoire économique des XIXe et XXe siècles.
3On voit bien nos difficultés : ce qu’on peut écrire sur les principes n’a par définition qu’une valeur transitoire (dans dix ans, on devrait refaire cet essai)7, on ne peut écrire que des choses par force partielles, incertaines, et l’on ne peut qu’indiquer des règles du jeu qui doivent être adaptées au secteur de recherche choisi, l’histoire de la métallurgie, l’histoire du commerce extérieur ou l’histoire monétaire8. L’exercice est donc nécessairement arbitraire : mais il peut inciter à réfléchir par soi-même9 sur ce qui est important dans l’histoire que l’on a envie de traiter ; l’historien doit trouver seul son chemin, construire son propre jeu de façon indépendante en mesurant bien ses forces10.
4Nous voudrions en ces quinze « leçons » poser les questions principales11 :
- quels sont les rapports de l’histoire de l’économie avec les autres histoires ? (chapitre I) ;
- comment analyser la demande et établir un arbre de la demande ? (chapitre II) ;
- quels sont les principes généraux de cette histoire ? (chapitre III) ;
- comment montrer la nécessité du probabilisme ? (chapitre IV) ;
- comment décrire le système de formation et de recherche ? (chapitre V) ;
- quels sont les obstacles au développement de l’histoire économique ? (chapitre VI) ;
- quels sont les risques d’erreur ? (chapitre VII) ;
- quelles sont les exigences de l’érudition ? (chapitre VIII) ;
- comment appliquer des règles de prudence ? (chapitre IX) ;
- comment saisir le clandestin ? (chapitre X) ;
- comment montrer le rôle des personnalités ? (chapitre XI) ;
- comment s’attacher aux choses ordinaires de la vie ? (chapitre XII) ;
- comment développer les histoire à naître ? (chapitre XIII) ;
- comment esquisser la prospective de cette histoire ? (chapitre XIV) ;
- quels conseils pratiques donner au chercheur ? (chapitre XV) ;
Notes de bas de page
1 Cf. « La crise de l’histoire économique des XIXe et XXe siècles », Revue administrative, 1998, p. 773-780.
2 16e édition, Économica, 2000, p. 4.
3 Aujourd’hui on s’attache à l’étude des réalités immatérielles dans la production et l’échange, de l’économie de l’immatériel (cf. Immatériel, nouveaux concepts, sous la direction de J. de Bandt et G. Gourdet, Économica, 2001), on parle d’investissements immatériels, d’économie de la connaissance.
4 Infra, chapitre XIII, p. 133.
5 Sur le rôle des historiens non professionnels, qui travaillent « pour le plaisir », cf. notre esquisse dans L’histoire en 2050, 2000, p. 251-266.
6 Cf. infra, chapitre IV, « Le probabilisme », p. 43.
7 L’idée même que l’on puisse définir des principes ayant une longue durée de vie est dangereuse, rien n’est fixe, tout est mobile, indéterminé (cf. « La mobilité en histoire », Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, 2002, n° 46, p. 64-70). Nous donnons des « principes » en sachant bien leur fragilité, leur incertitude (cf. « L’indétermination », et « Le provisoire » dans L’historien et le probabilisme, 2002, p. 243-259).
8 On voit très bien qu’on pourrait rédiger des Principes de l’histoire monétaire, ou des Principes de l’histoire de la métallurgie dans le droit fil de ces Principes : ils donneraient sans doute des aides plus efficaces, plus ciblées aux chercheurs.
9 Sur la nécessité pour l’historien de réfléchir par soi-même et d’éviter d’imiter, cf. « Penser par soi-même », dans L’histoire entre le rêve et la raison, 1998, p. 507-514, et « Etre soi », ibidem, p. 96-102.
10 C’est une difficulté du métier : on doit se poser nettement la question : « De quoi suis-je capable ? que puis-je, que dois-je vouloir ? ». On doit choisir une ligne directrice : « On n’avance, on n’agit, déclarait l’abbé Bremond, qu’en déterminant une ligne d’orientation dans l’ensemble de ses études, de ses goûts, de ses préférences intellectuelles » (lettre à Maurice Blondel, 19 juin 1897, Correspondance, t. I, 1897-1904, 1970, p. 48). Ce qui est nécessaire, c’est de vouloir des choses importantes (cf. « Vouloir », dans L’histoire entre le rêve et la raison, ouv. cité, p. 391-400).
11 Nous nous limitons volontairement aux XIXe et XXe siècles, mais ces règles peuvent être facilement adaptées pour le XVIIe et le XVIIIe siècle. Nous avons laissé de côté certaines questions importantes, telles que la sauvegarde des archives (cf. L’histoire en 2050, ouv. cité, p. 113-131, et L’historien et le probabilisme, ouv. cité, p. 65-75), la création des archives orales (cf. L’histoire en 2050, ouv. cité, p. 133-144), les méthodes de « programmation » (cf. Pour une histoire de la bureaucratie en France, 1999, p. 71-88), les techniques de communication, trop négligées (ibidem, p. 89-101 et L’histoire en 2050, ouv. cité, p. 171-182), les méthodes pour créer en histoire (Pour une histoire de la bureaucratie..., ouv. cité, p. 293- 300).
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Principes de l’histoire économique
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