Face au changement de statut : les positions de la CGT
p. 429-432
Texte intégral
1En tant que syndicaliste, président de l’Institut d’histoire sociale mines-énergie, je voudrais apporter une petite note de musique différente. Mais, au préalable, permettez-moi deux remarques. La première, c’est notre intérêt pour ce type d’initiative, de rencontres. En effet, sur les questions qui ont fait l’objet des échanges, nous avons besoin d’un débat pluraliste. Nous avons également besoin de sérieux à l’opposé d’affirmations péremptoires que nous avons pu entendre dans cette dernière période. À cet égard, je fais référence au débat parlementaire d’avant-hier qui constitue une véritable caricature. Lors de celui-ci, nous avons entendu un florilège de contrevérités et de contradictions qui pourraient d’ailleurs figurer dans un bêtisier télévisé. D’autre part, au-delà des diversités des différents intervenants, il y a quand même une absence : je veux parler du personnel et de ses représentants. Il me semble que l’histoire sociale vivante peut être une contribution aux réflexions de ce type de séminaire. Pour nous, l’histoire sociale est ouverte à toutes les sciences de l’homme sans exclusive : l’histoire, la sociologie, l’économie, le droit, les sciences politiques, l’ethnologie, l’anthropologie. S’agissant des entreprises publiques, il est clair que leur transformation ne relève pas que du seul calcul économique.
2Ma deuxième remarque sera pour dire que cette séance du séminaire tombe à point nommé pour un certain nombre de raisons, en particulier l’actuel débat sur la fusion entre Gaz de France et Suez, ou plutôt la privatisation de Gaz de France. L’actualité apporte d’ailleurs des éléments de réponse à ce débat. Je veux citer trois aspects. Le premier, c’est le rapport publié fin mai par NUS Consulting sur l’évolution du prix de l’électricité et d’ailleurs je suis surpris de la surprise de certains sur la réalité des chiffres. Deuxièmement, c’est le débat sur le rôle des actionnaires, qu’ils soient financiers ou autres, et sans qu’il y ait comparaison possible je veux évoquer la situation à EADS. Troisièmement, il y a tout le débat sur ce qui est opéable. Il s’agit là d’autant d’éléments à intégrer à la réflexion.
3Je voudrais maintenant concentrer mon propos autour de l’électricité et du gaz, là où j’exerçais des responsabilités syndicales et qui est le champ de réflexion de notre IHSME. Tout d’abord, il me semble devoir réaffirmer que l’électricité et le gaz ne sont pas des marchandises comme les autres. Alors évoquons les forces et les faiblesses face à la concurrence européenne puisque c’est le sujet de mon propos.
4Les forces résultent en premier lieu du processus de naissance des deux entreprises publiques. Quant aux faiblesses, à mon avis, elles sont les conséquences des choix de ces dernières annéesnou plutôt des non-choix de ces dernières années. Je pense en particulier à l’absence de vraie politique énergétique européenne. Lors d’un colloque organisé par RTE, le 31 mai dernier, le ministre François Loos indiquait que « l’énergie est en panne d’Europe ». Je préférerais dire que la France est en panne de propositions et de volontés politiques sur ces questions. Certes, on a dit que les règles du jeu sont modifiées mais s’imposent-elles à nous ? Je n’en suis pas certain. Et d’autre part, il peut y avoir un consensus national pour les modifier.
5Pour revenir sur les faiblesses des deux entreprises nationales, je dirais qu’elles découlent également de leurs propres forces. Peut-être dans la dernière période ont-elles fait preuve d’autosuffisance ? D’ailleurs, je me dois de dire que cela a également été vrai dans le mouvement syndical de ces entreprises. Cela étant, il convient de souligner que jusqu’à l’an 2000 EDF a été l’acteur le plus performant en Europe mais aussi dans le monde. D’autres que moi sont intervenus ou vont intervenir sur les aspects économiques, donc je n’insisterai pas sur cet aspect.
6Alors concernant les forces, je voudrais souligner neuf idées essentielles :
- premièrement, la loi de nationalisation en a fait deux entreprises totalement intégrées ce qu’il faut préserver et privilégier ;
- deuxièmement, des efforts importants ont été faits pendant de nombreuses années en matière de recherche et de développement ;
- troisièmement, les entreprises se sont efforcées d’optimiser les moyens de production, je pense aux différents paliers de production mais surtout au lancement de l’ambitieux programme nucléaire dont aujourd’hui tout le monde se devrait de reconnaître combien ceux qui l’ont lancé ont eu raison. Pour Gaz de France, ce sont les contrats à long terme qui ont été conclus ;
- quatrièmement, ce sont les efforts qui ont été réalisés en matière de sécurité et de sûreté ;
- cinquièmement, EDF est aujourd’hui la première entreprise électrique en Europe. Gaz de France gère 1 % du gaz mondial par rapport à l’ensemble des pétrogaziers. Mais il est le premier ou le deuxième opérateur de gaz naturel liquéfié en Europe ;
- sixièmement, j’évoquais tout à l’heure les conditions de la naissance des deux entreprises, Gaz de France et EDF. Elles résultent tout à la fois d’un besoin politique, économique, social et démocratique. Si l’on a mis en évidence l’accord sur cette question entre les communistes et les gaullistes, je veux également souligner le rôle que les cadres ont joué dans ce processus en convergence avec les organisations syndicales ;
- septièmement, je veux souligner avec force la complémentarité historique entre le gaz et l’électricité. Au départ, ces deux énergies étaient concurrentes mais elles sont rapidement devenues complémentaires dans les groupes qui ont été nationalisés en 1946. La loi de nationalisation n’a fait que reconnaître cet état de fait. Les deux entreprises ont mis en œuvre une politique tarifaire maîtrisée sur la base de la planification et il est d’ailleurs curieux que dans certaines propositions liées à l’ouverture du capital, certains revendiquent la concurrence mais demandent des prix régulés ;
- ma huitième remarque consiste à souligner l’attachement du personnel à l’entreprise nationale, à l’entreprise publique. Cela non seulement par rapport aux dispositions statutaires, encore qu’elles fixent des règles précises, mais aussi par rapport à l’attachement au service public. Certes, ces deux entreprises ont connu des conflits sociaux mais cette conflictualité a pu être positive et encadrée ;
- neuvième atout des deux entreprises, c’est l’attachement au service public du gaz et de l’électricité des usagers, ou des clients comme on veut. Tous les sondages en ont fait état ces dernières années et curieusement – ce n’est pas curieux pour moi – cette cote de confiance s’est sérieusement réduit ces derniers mois. Faut-il y voir là un lien avec l’ouverture du capital et les menaces qui seraient perçues par les usagers, à chacun d’en tirer les conclusions.
7Je voudrais évoquer en quelques mots les faiblesses. Celles-ci d’ailleurs découlent des limites de la loi de nationalisation elle-même, qui est le résultat d’un compromis politique dans le contexte de l’époque. En effet, le législateur n’a pas pu permettre que l’entreprise publique aille au-delà du compteur, comme on dit, et offre un certain nombre de services. Deuxième faiblesse, pour le gaz en particulier, c’est l’absence de gisements de gaz dans notre pays, ce qui aurait dû conduire l’entreprise Gaz de France à s’allier avec un groupe pétrolier. Il faut également souligner le problème du financement des investissements compte tenu du rôle de l’État et de ses services. Enfin, pêle-mêle, j ’évoquerai le fait que les deux entreprises n’ont pas su se décentraliser, notamment avec l’émergence des nouvelles collectivités territoriales. Ces dernières années, on a assisté à un certain nombre de débats qui ont contribué à affaiblir l’entreprise, notamment quand on a voulu considérer que EDF est une entreprise comme les autres ou bien encore une entreprise de troisième type. Enfin, il faut souligner que la politisation des fonctions de président avec le parachutage d’hommes politiques n’a pas été bénéfique pour l’entreprise. De plus, nul doute que la communication n’a pas toujours été des plus pédagogiques et transparentes et que l’appréhension des questions de l’environnement a été quelque peu tardive.
8À partir de là, donc de nos faiblesses mais surtout des forces qui sont essentielles, je formule cinq propositions :
- sortir l’énergie de la sphère marchande ;
- organiser la fusion EDF-GDF sur une base 100 % publique avec des droits démocratiques nouveaux pour le personnel et les usagers ;
- permettre une liberté de choix de chaque pays ;
- mettre en place une Agence européenne de l’énergie ;
- mais surtout, et ce sera là mon dernier point, tirer un véritable bilan de ce qu’ont apporté les entreprises nationales et les conséquences de la privatisation dans d’autres pays.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
État et énergie XIXe-XXe siècle
Ce livre est cité par
- Giuntini, Andrea. Mirás-Araujo, Jesús. (2023) The Gas Industry in Latin Europe. DOI: 10.1007/978-3-031-16309-8_1
État et énergie XIXe-XXe siècle
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3