Avant-propos
p. 177-179
Texte intégral
1Il a fallu attendre ces deux dernières décennies pour que historiens et historiens du droit prennent véritablement conscience de la place capitale tenue par la loi dans la construction de l’Etat médiéval dont elle est, à la fois, moyen et manifestation. La loi permet au prince d’agir, donc de construire l’État tandis que la législation qu’il édicte, toujours plus dense, devient preuve tangible et symbole vivant de cette construction. Une voie très porteuse a ainsi été ouverte, mais il reste encore fort à faire pour mesurer l’impact déterminant qu’ont pu avoir, sur la genèse de l’État moderne, la renaissance du pouvoir de créer la norme et sa lente concentration entre les mains du souverain. Il y a là une véritable révolution qui s’opère, à des rythmes divers selon les états à partir de la seconde moitié du xiiie siècle et dont on a pendant fort longtemps totalement méconnu la portée. Sans doute parce que les historiens n’ont pas assez entendu les constitutionnalistes, nombreux à penser qu’il n’y a pas véritablement d’État aussi longtemps que la loi, résultat concret d’un « pouvoir législatif » effectif en action, ne constitue pas le pivot autour duquel doit se construire un ordre juridique unitaire destiné non pas nécessairement à faire disparaître ceux qui existent déjà mais, à tout le moins, à les fédérer.
2S’interroger sur la loi médiévale ouvre bien des horizons, à commencer par le choix d’une sémantique à définir qui puisse être opératoire dans un contexte qui n’a rien à voir avec celui qui fut le berceau de la lex – la Répubique romaine – et celui qui lui donnera toute sa portée – le Siècle des Lumières – avec Montesquieu et ses émules. Que faut-il entendre par loi du xiiie au xve siècle et peut-on raisonnablement utiliser l’expression de « pouvoir législatif » si chargée de l’héritage des théoriciens de la séparation des pouvoirs ? Répondre à ces questions suppose que soient résolues bien des interrogations qui touchent tout autant à la théorie du droit qu’à la pratique juridique et judiciaire, politique et administrative aussi, tant sont confondus en la seule personne du roi et de ses agents, des pouvoirs qu’un xviiie siècle finissant, épris de clarté et de précision, a mis tant d’énergie à distinguer avec rigueur, avant que les révolutionnaires n’érigent en dogme absolu pareille doctrine. Et que vaut de s’interroger sur la loi à un moment où pendant longtemps encore, au moins jusqu’au temps de Philippe le Bel, l’essentiel du droit préexiste à l’État, le roi en étant alors bien davantage le gardien que le créateur ? Mais voilà que les rapports Droit/État s’inversent en sa faveur et que la loi – la norme que l’État tend de plus en plus à édicter seul – devient un extraordinaire moyen d’affirmation de son pouvoir. Mais une telle évolution ne saurait être linéaire. Complexe, elle est aussi remplie d’imprévus. Au fur et à mesure que le pouvoir de dire la loi est transféré de la personne du roi vers l’institution royale et donc vers l’État, ce même pouvoir se trouve de plus en plus soumis à la loi qu’il permet d’édicter. C’est dans un tel contexte que se nouent des rapports d’une infinie variété entre Loi et État dans la France du bas Moyen Âge (Ch. VI).
3Réaffirmé, patiemment maîtrisé et prudemment mis en œuvre par les souverains successifs, le pouvoir de « faire loi et toute constitution » devient progressivement un extraordinaire moyen d’action entre leurs mains. Ils surent en faire usage habile, aussi bien pour mettre en place de nouvelles structures que pour définir les règles fondamentales de fonctionnement du nouvel État et placer ainsi l’institution royale sous l’emprise de la loi. Lentement dépersonnalisée, elle fait progressivement corps avec l’État. Toujours plus englobante du devenir d’un droit jusque-là essentiellement plural, elle accélère la mainmise de l’État sur ses processus de création, ouvrant ainsi la voie timidement il est vrai, à la lente formation d’un nouvel ordre juridique. Royal celui-là, il avait vocation sinon à devenir unitaire, à tout le moins porteur d’unité. À n’en pas douter, le lien s’affirme en permanence plus étroit entre Législation royale et construction de l’État dans la France du xiiiesiècle (Ch. VII), évolution qui s’accentue avec toujours plus de vigueur tout au long des siècles suivants. Pour ne jamais se démentir par la suite.
4Dans ces conditions, la loi est partout, ce qui laisse à penser le soin jaloux dont ont pu l’entourer des souverains qui, pendant de longs siècles, n’ont jamais eu le monopole de son édiction, sévèrement concurrencés qu’ils furent par les grands princes jusqu’à la fin du Moyen Âge. Tout est alors mis en œuvre pour contrôler au mieux et à tous les stades une loi devenue le moyen essentiel de reconquête d’un ordre juridique qui avait, depuis de longs siècles et pour l’essentiel, échappé au souverain. S’ouvrait ainsi un espace de pouvoir – créer la norme – que se disputent en permanence, à partir de la seconde moitié du xive siècle, un centre souvent encore démuni de capacités d’action face à une périphérie turbulente, parfois rebelle et toujours avide de conserver l’exercice d’une capacité normative si jalousement défendue depuis l’effondrement de l’Empire carolingien. Dans un tel contexte de concurrence autour de l’exercice du droit de créer la norme, il devenait essentiel pour chaque pouvoir qui y prétendait, qu’il fût royal ou princier, de maîtriser au mieux toutes les étapes de cette création. La monarchie des derniers siècles du Moyen Age comprit qu’il y avait, dans cette compétition quelque peu exacerbée, une occasion unique d’affirmer sa suprématie. Entourée de légistes experts dans l’art de la loi et dotée d’une chancellerie dont les services étaient particulièrement performants, elle put en permanence mettre à profit sa souveraineté retrouvée pour affronter sur le terrain de l’édiction de la norme, tous les pouvoirs qui restaient ou étaient plus récemment devenus ses concurrents, qu’il s’agisse des princes et des seigneurs, des villes et des institutions représentatives, des administrateurs royaux eux-mêmes ou du Parlement. Face à tant de pouvoirs éclatés qui n’avaient pas toujours les moyens et les compétences nécessaires pour répondre à toutes les exigences qu’impliquait l’exercice d’un pouvoir édictal plein, la royauté et ses conseillers se placèrent résolument sur le terrain de la technique normative depuis la conception même de la loi jusqu’à sa rédaction, puis sa diffusion. Tel est ce qu’entend montrer la réflexion conduite autour d’Un enjeu pour la construction de l’État : penser et écrire la loi dans la France du xive siècle (Ch. VIII).
5Cette compétition dans l’édiction de la norme est permanente. Elle devient particulièrement vive aussi souvent que la matière relève de plusieurs autorités ayant chacune compétence légitime pour intervenir. Le schéma est toujours le même qui met le plus souvent en concurrence le pouvoir central et ses agents, le pouvoir seigneurial et le pouvoir urbain, sans oublier le pouvoir judiciaire, en particulier le Parlement, qui a de plus en plus tendance à se comporter en autorité autonome et à légiférer par le biais d’arrêts de règlement. C’est sûrement dans le domaine de la police que cette concurrence suscite les tensions les plus fortes. Aucune des autorités concernées, qu’elles fussent royales, seigneuriales ou urbaines ne laisse le pas à un moment où la royauté entend pourtant faire de la police du royaume un des secteurs phares de sa politique et où elle met tout en œuvre pour faire passer sous sa loi tout ce qui touche au maintien de l’ordre, en particulier dans les villes comme l’atteste en particulier, dès le milieu du xiiie siècle, la législation de saint Louis. Une telle concurrence faite de tensions et de conflits permanents laisse à penser que Les ordonnances de police en France à la fin du Moyen Âge (Ch. IX), constituent véritablement un terrain de choix pour l’affrontement des diverses autorités légiférantes.
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