Chapitre VIII
Vers une acclimatation définitive des sources orales dans le paysage historiographique français
p. 223-249
Texte intégral
I. Institutionnalisation et banalisation du recours a la source orale
1. Archives orales, enseignement et formation
1Le point d’aboutissement de ce processus d’« acculturation » de la source orale est probablement l’extraordinaire et piquant paradoxe suivant : dans le temple du « positivisme » et du culte du document écrit, c’est-à-dire à l’EPHE créée en 1868 par Victor Duruy sous Napoléon III, se tient par intermittence à partir de 1990, puis de façon systématique à partir de 1998, une conférence sur la méthodologie des archives orales, visant à donner à cette méthode la même validité en histoire contemporaine que la conférence d’épigraphie pour l’histoire ancienne. Au-delà de l’apparent paradoxe, l’implantation d’un tel enseignement peut s’expliquer par le fait que c’est dans cette institution austère que se conservent et s’adaptent, au gré des nouveaux outils, les traditions d’érudition et de scientificité qui ont fait la réputation de l’école historique française depuis la fin du xixe siècle ! Pour conquérir sa légitimité aux yeux des plus rigoureux, la source orale se devait peut-être d’en passer par là ! Et c’est évidemment encore moins un hasard, si l’on sait que c’est Guy Thuillier, directeur d’étude dans cette maison, qui a voulu que soit créée cette conférence de méthode, désireux de donner à cette source un lieu où elle puisse être théorisée et enseignée, à l’image de la paléographie ou l’épigraphie dont cette maison est une des spécialistes.
2Cet enseignement méthodologique n’a pas été formalisé ni systématisé à l’IHTP qui est pourtant l’un des centres de recherche où la source orale a eu toutes ses entrées1, ni à l’EHESS qui est en général pilote sur ces affaires d’innovation2. À la FNSP où l’on pratique depuis longtemps des enquêtes orales au sein des milieux politiques et de la haute administration, il n’y avait pas, jusqu’à la date d’aujourd’hui, d’enseignement formalisé et systématique ; c’est Odile Gaultier-Voituriez, conservateur des archives à la FNSP, qui dispense dans le cadre d’un module sur les sources de l’histoire contemporaine une courte formation sur l’utilisation des témoignages des contemporains. Signalons cependant qu’à partir de février 2001, Hervé Lemoine, responsable de la cellule « Témoignages oraux » au Service historique de l’armée de Terre, assurera lui aussi un module de 30 heures sur le sujet, ce qui est un atout très considérable pour le développement futur des archives orales et de l’utilisation de la source orale en histoire politique.
3L’École des chartes, de son côté, sans se laisser aller à former des archivistes-oraux en bataillons serrés, a néanmoins inclus elle aussi un module d’initiation à la collecte des témoignages oraux de deux heures par an, assuré actuellement par Agnès Callu, responsable de la cellule « Témoignages oraux » aux Archives nationales, et des séminaires de formation continue sont périodiquement organisés pour sensibiliser et former les conservateurs qui ne seraient pas familiarisés avec cette question3.
4Dans les universités, il semblerait bien que, une fois dépassées les premières réticences, la plupart des institutions de recherche et des départements d’histoire contemporaine aient, sans plus d’état d’âme, intégré cette méthode à la panoplie de leurs instruments et se soient contentés de fournir quelques indications à leurs étudiants au sein de séminaires spécialisés, se reposant parfois aussi sur les autres départements de sciences sociales pour traiter la question de la méthodologie de l’entretien et de l’exploitation. Certains centres de recherches sont allés un peu plus loin et ont systématiquement organisé quelques séances méthodologiques : c’est ainsi que Patrick Fridenson à l’EHESS consacre régulièrement une ou deux séances à l’histoire orale au cours de ses séminaires sur l’histoire des entreprises et que Danièle Voldman intervient régulièrement en histoire contemporaine à Paris I.
2. Normalisation et diversification du recours à la source orale en histoire
5Quoi qu’il en soit, dès le début des années quatre-vingt-dix, le début de consécration institutionnelle et patrimoniale, l’académisation, l’« embourgeoisement » généralisé, l’archivisation accélérée de la source orale inquiètent les observateurs qui parlent de « banalisation » de la source orale et soulignent le risque d’auxiliarisation de la méthode de l’histoire orale. Ainsi Jean-Pierre Rioux en 1986 s’exprime-t-il de façon prémonitoire au cours d’une table ronde organisée par l’IHTP au sujet de l’histoire orale4 : « Entre le banal, le tacite et l’indifférent, l’histoire orale pourrait bien s’installer dans le statut d’humble servante de la science historique, devenir une science auxiliaire, à peine un peu plus bavarde que d’autres... Faudrait-il donc convenir un peu tristement qu’il n’y a peut-être plus grand-chose à dire de l’histoire orale ? Dépossédée, récupérée, ailes brisées dans ses rêves d’affirmation d’une “autre histoire”, elle passerait au rayon des accessoires techniques pour création de sources, avec des magasiniers vêtus de gris ».
6Quelques années plus tard, en 1990, Danièle Voldman, faisant le compte rendu des préparatifs du VIIe Colloque international d’histoire orale à Essen5, malgré l’essor de nouveaux mouvements d’histoire orale dans les pays de l’Est et la persistance du militantisme en Angleterre, en Autriche, en Hollande et en Amérique latine, exprime la même crainte d’une « banalisation », d’« une perte d’enthousiasme »6 et même d’une « crise » de l’histoire orale à travers laquelle « la maturité académique se [parerait] des ternes habits de la platitude »7.
7Michel Trebitsch, deux ans plus tard, dans Les Cahiers de l’IHTP n° 21, en 1992, fait le même constat, même s’il souligne le maintien d’une dimension militante de l’histoire orale dans les pays qui émergent de dictatures du Sud ou de l’Est : « Dans les années quatre-vingt, l’histoire orale a définitivement acquis droit de cité dans les sciences historiques. Elle s’est banalisée en s’académisant »8. L’histoire orale semble donc, notamment en France, se dépouiller progressivement de ses habits les plus polémiques pour revêtir le statut d’instrument, statut qu’elle n’aurait peut-être jamais dû perdre ; parallèlement, les historiens-oraux contestataires de la veille s’embourgeoisent eux aussi, ils obtiennent des postes au sein de l’institution et accèdent à des positions de pouvoir ou de direction, à la tête de revues, de centres de recherche ou de comités de rédaction ; les filières s’institutionnalisent, les militants de la première heure rentrent au bercail, abandonnant les rivages incertains de la sociologie participante pour rallier des objectifs plus cognitifs et plus strictement scientifiques9.
8L’IHTP lui-même, de façon exemplaire, connaît une phase « d’académisation » accélérée et conquiert sa place parmi les institutions de recherche ainsi que dans le paysage historique français. On a vu qu’après une période orientée vers l’histoire orale des « dominés », mais qui n’a jamais abouti à la production d’une histoire alternative comme en Allemagne ou en Angleterre, l’IHTP s’oriente vers des préoccupations assez différentes, telles que la mémoire collective et nationale et plus généralement vers la mémoire politique du xxe siècle, ce qui lui permet à la fois de croiser ses nouvelles problématiques avec l’héritage du Comité pour l’histoire de la seconde guerre mondiale et de développer un champ renouvelé d’histoire politique. Au début des années quatre-vingt-dix, l’IHTP se recentre progressivement, sous la pression de la demande sociale et en fonction de ses priorités propres, sur l’État, les institutions publiques, les grandes entreprises et les élites, qu’elles soient politiques, économiques, intellectuelles10 ou médiatiques (le monde de la presse et des journalistes)11. En développant une histoire orale « vue d’en haut » qui intègre le point de vue des ministres, des hauts fonctionnaires, des dirigeants d’entreprise, des résistants, des représentants des pouvoirs locaux, des dirigeants syndicalistes et des intellectuels, l’IHTP dessine la troisième pointe du triangle d’histoire politique (avec Nanterre et Science Po).
9Dans le domaine méthodologique, le mouvement est semblable : les chercheurs de l’IHTP sont les premiers à se rallier, sinon à la théorie des archives orales qui concerne selon eux avant tout les centres d’archives archivistiques et patrimoniaux, du moins à une histoire orale pacifiée, dépouillée de ses enjeux idéologiques et à revendiquer la soumission des témoignages oraux aux règles historiques traditionnelles. La Table ronde sur les méthodes de l’histoire orale de 1980 laissait prévoir ce ralliement, celle de 1986 l’organise et Les Cahiers de l’IHTP n° 21 de 1992, qui fait désormais référence pour tout projet à base de témoignages oraux, le consacre totalement.
10De la première période, histoire orale des « dominés », il subsiste néanmoins à l’IHTP des thèmes spécifiques tels que la question tzigane, les exilés de l’entre-deux-guerres en France (italiens, espagnols, juifs d’Europe centrale), les déportés, les homosexuels, et tous les groupes humains qui relèvent à la fois de la thématique des victimes de l’histoire12, mais mobilisent également des problématiques plus neuves et plus délicates sur la violence ou la souffrance, les traumatismes de la mémoire et les phénomènes d’oubli ou de refoulement13.
11La mémoire de la seconde guerre mondiale14, célébrante, triomphante, divergente ou souffrante se révèle un champ de recherches inépuisable pour l’IHTP, avec l’étude des mouvements de Résistance15, puis de la société française sous l’Occupation (le quotidien, les entreprises), avec la mise en question de la responsabilité du régime de Vichy et de l’État français dans la déportation des juifs, questionnement entretenu dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix par les sollicitations incessantes de l’actualité judiciaire ou par les polémiques historiques autour de Pierre Frénay, Jean Moulin, Touvier, Bousquet, Papon, des époux Aubrac, du fichier juif des Anciens Combattants, de René Carmille à l’INSEE, des comptes juifs des banques françaises, et à nouveau de Jean Moulin, etc.
12Au-delà de la mémoire et de l’histoire de la seconde guerre mondiale qui constitue le cœur historique et le point focal de notoriété pour l’IHTP, les directions de recherche continuent de se structurer au cours des années quatre-vingt-dix16 ; un premier ensemble historique, extension du noyau dur « seconde guerre mondiale », tourne autour de l’histoire des guerres en général et de la violence de guerre ; un deuxième groupe de travaux est centré sur la décolonisation, ses conflits et ses séquelles17 ; un troisième ensemble de recherches tourne autour de l’État18 et des politiques publiques. Ce dernier axe sociologico-institutionnel centré sur l’État se voit encore développé avec l’intégration de l’IHTP dans un plus grand ensemble réunissant l’ENS Cachan (notamment le DEA « Action publique et sociétés contemporaines », et le GAPP (Groupe d’analyse des politiques publiques)19 ; il a son pendant en histoire d’entreprise grâce aux commandes historiques qui sont adressées à l’IHTP par les entreprises, notamment les entreprises nationales ; du côté de l’histoire des politiques publiques, on trouvera plusieurs séminaires ou groupes de travail tels que « Justice et politique », « Police », « État et société », « État et assurance », « État et politique d’immigration », « État et urbanisme », « État et communication audiovisuelle », « Etat et politique de la science », « État et administration au xxe siècle », « État et assurances sociales »...
13Un quatrième ensemble a trait à l’histoire culturelle en général, à l’histoire des intellectuels, à l’histoire des nouveaux moyens de communication et aux nouveaux vecteurs d’imprégnation culturels tels que le cinéma, la presse ou la télévision, et nous incluons dans cet ensemble les travaux autour de Mai 196820.
14Enfin, marque de l’intérêt jamais démenti de l’IHTP pour l’épistémologie et pour les questions de méthodologie21, un séminaire a commencé en 1999 sur les questions touchant à l’écriture de l’histoire du temps présent, aux concepts qui la sous-tendent, à l’épistémologie et aux régimes d’historicité22. Mémoire, travail de mémoire, témoignage, témoin, science historique et expertise, passé et vérité, toutes ces notions nouées entre elles, font plus que jamais la toile de fond de la réflexion de l’IHTP23.
15L’histoire des femmes quant à elle, héritage de l’histoire orale des années soixante-dix et un temps légèrement mise en sourdine, revient sous un autre visage, celui d’une histoire des genres ou d’une histoire du genre, recoupant transversalement et progressivement quelques-uns des axes de travail énumérés ci-dessus (guerres, intellectuelles, etc.).
16Quels que soient les domaines de recherche explorés, les témoins « survivants » sont désormais parties prenantes du processus de production historique et associés à l’écriture de l’histoire, au point que Daniele Voldman peut conclure avec conviction en 2000 : « Pour les historiens, il n’y a plus à justifier le recours à l’histoire orale, vaste contenant où se glissent l’utilisation des sources orales en général et celle du témoignage en particulier »24.
3. Diffusion généralisée de la source orale en histoire contemporaine
17Portée par la vague de la mémoire (on passe de la demande de la mémoire au « devoir de mémoire »), par une véritable demande sociale et par la professionnalisation archivistique de la collecte, l’acclimatation généralisée de la source orale en histoire contemporaine progresse rapidement dans les années 1990 ; à partir de ses « centres » historiques et des sous-disciplines acquises le plus précocement, la source orale gagne les sous-disciplines les plus réfractaires et touche par capillarité tous les secteurs de l’histoire contemporaine.
18a. Il y a d’abord un premier réseau de centres de recherche en histoire sociale version ethnohistoire où l’histoire fait route avec la démarche ethnographique (Aix-en-Provence, Maisons des sciences de l’Homme, EHESS notamment) et croise la littérature orale et les ethnotextes (Limoges, Aix-en-Provence) ; ce réseau, très ramifié, englobe aussi la mission du Patrimoine, les musées de société, les écomusées, les Arts et Traditions populaires, les archives départementales, les directions régionales des Affaires culturelles, les collectivités locales, les sociétés savantes, et des revues comme Ethnologie française ou Terrain.
19b. Il y a un deuxième réseau, celui des centres traditionnels de l’histoire sociale et de l’histoire du travail, avec Lille, Lyon, Toulouse, le Centre des archives du Travail de Roubaix, les départements d’histoire sociale des universités parisiennes (Paris I, Paris VII, Paris VIII), doublé de celui des correspondants du Dictionnaire du mouvement ouvrier (le Maitron), qui aborde maintenant les biographies des militants ouvriers et syndicaux pour la période 1940-1968 et utilise la méthode de l’entretien biographique25 ; nous ajoutons à ce réseau ancien celui de l’EHESS et l’ENS qui croisent histoire des groupes sociaux, socio-histoire26, histoire des pratiques sociales, histoire des représentations et micro-histoire, et qui pratiquent un compagnonnage étroit et intensif entre histoire et sciences sociales. Les revues d’histoire sociale accompagnent progressivement le mouvement, Le Mouvement social par exemple, grâce à P. Fridenson, partisan actif de l’histoire orale, mais c’est probablement Genèses. Sciences sociales et histoire, créée en 1990, qui, en souhaitant croiser la démarche empirique et concrète de l’histoire et les acquis des sciences sociales, se fait la plus attentive aux questions de méthode concernant l’utilisation de l’entretien en histoire sociale.
20A côté des thèmes traditionnels d’histoire du travail, se développent désormais des thématiques davantage orientées vers la vie privée et son articulation avec la vie professionnelle27, la formation et l’acquisition du capital culturel, les sociabilités, les réseaux, les pratiques sociales28 et culturelles29, les cultures ouvrières, les cultures « communautaires » ou « ethniques », les représentations propres à chaque groupe, chaque genre ou chaque organisation. Cette histoire sociale, qui se nourrit de la parole des « humbles » et des « obscurs », trouve son parallèle dans une histoire sociale et culturelle des classes supérieures ; influencée par les problématiques de Pierre Bourdieu, elle traque les stratégies de conquête, de distinction, de séparation, de reproduction, d’adaptation ou de survie des anciennes et des nouvelles élites, explore leur univers culturel, mental, imaginaire et moral et décrit leurs pratiques sociales spécifiques ; dans des milieux où le non-écrit et l’implicite constituent précisément de véritables codes d’intégration et d’identification, le recours au témoignage oral s’impose comme nécessaire et incontournable (cf. les travaux des époux Pinçon ou de Monique de Saint Germain). L’EHESS, la MSH pour ne citer que ces deux institutions, et leurs travaux sur les anciennes élites (noblesses et bourgeoisies) et les nouvelles (patronat, dirigeants d’entreprises, etc.) ont tracé une voie royale à la méthode de l’entretien, méthode qui a fini par contaminer l’histoire sociale universitaire traditionnelle des classes dirigeantes ou des élites30 (Paris IV).
21Entre les deux pôles extrêmes de la société, toujours au sein de l’histoire sociale, depuis le début des années quatre-vingt, prend son essor une histoire des professions intermédiaires, des cadres supérieurs et moyens31, des ingénieurs32, des enseignants33, des employés34 et des fonctionnaires35, tous ces « travailleurs du tertiaire » et des services36, ces « cols blancs » qui représentent aujourd’hui 60 % de la population en activité et dont le groupe se constitue massivement dans les années cinquante et soixante et dont l’histoire économique, sociale et culturelle reste à faire (mobilité géographique, mobilité sociale, élévation du niveau intellectuel, « styles de vie », modèles étrangers, pratiques culturelles et sociales, loisirs, logement, carrières professionnelles, travail, etc.). Cette histoire sociale des classes moyennes et des classes moyennes-supérieures37 croise l’histoire des grandes organisations publiques et privées, celle des grandes entreprises et des grandes administrations publiques, qui se développent dans la même période et deviennent un phénomène social majeur de notre société industrielle puis post-industrielle (voir infra). Croisant désormais méthodes quantitatives et méthodes qualitatives (l’entretien), cette histoire sociale du temps présent profite des acquis des différentes sciences sociales et s’enrichit de l’histoire des représentations.
22c. Troisièmement, l’histoire des femmes, qui s’est construite en sphère autonome au sein de l’histoire sociale, on l’a vu, a toujours utilisé la source orale et continue de le faire38. Cette histoire s’appuie elle aussi sur un réseau actif et bien identifié de centres de recherche (Paris VII, Toulouse pour ne citer que deux exemples), d’éditeurs (Arthaud, Montalba), d’associations et de revues (Pénélope de 1979 à 1985, puis Clio. Histoire. Femmes et société qui prend la suite quelques années plus tard. Compagnons de route de cette histoire des femmes, se développent en histoire orale les champs héritiers de la « nouvelle histoire », histoire de la famille, histoire de la protection sociale, histoire de la santé, histoire de la vieillesse, histoire du travail, histoire du logement, histoire des loisirs, etc., appuyés par ailleurs sur les grands laboratoires de démographie ou de sociologie : INSEE, INED, CSU, IRESCO, qui pratiquent parfois en complément de leurs enquêtes « lourdes » des enquêtes plus qualitatives39.
23d. Quatrièmement, on retrouve toujours aussi actif le réseau de l’histoire politique, auquel nous agrégeons, dans une même inspiration et dans un même élan, l’histoire des relations internationales et l’histoire militaire, réseau renforcé par les sciences politiques, la sociologie historique du politique40 et l’histoire culturelle du politique41. Classiquement, on rencontre dans le sillage de cette histoire l’étude des décideurs, la prosopographie des élites, l’analyse des « grandes décisions » et du processus décisionnel, l’étude des politiques publiques, mais aussi l’étude des cultures de parti ou des mouvements politiques42, les sensibilités politiques, la mémoire événementielle et politique des différents groupes sociaux, l’étude des conflits nationaux et internationaux dans leur « épaisseur symbolique »... Ce réseau s’appuie, comme on l’a déjà vu, sur un triangle scientifique, Paris X-Nanterre, Sciences Po-FNSP, IHTP, auquel il faut ajouter Paris I pour les relations internationales ; mais il doit compter aussi aujourd’hui avec certains centres de recherches universitaires de sciences politiques en province comme Strasbourg par exemple, avec les comités d’histoire ministériels, les associations et les instituts à la mémoire d’hommes politiques (Charles de Gaulle, Pompidou, François Mitterrand, Pierre Mendès France et les autres), les Musées du Débarquement ou de la Seconde Guerre Mondiale (celui de Caen), les bibliothèques (la BDIC par exemple), les Archives nationales et les Services historiques des Armées qui tous se sont mis, soit à faire de l’histoire orale, soit à constituer des collections d’archives orales.
24e. Cinquième pôle historique devenu aujourd’hui gros consommateur de sources orales : l’histoire des organisations. Issue du croisement de l’histoire d’entreprise, des sciences de gestion et de la sociologie des organisations (à base d’entretiens), elle se développe autant en direction des banques, des grandes entreprises industrielles43, des sociétés de service, que des administrations centrales de l’État44. Cette histoire des organisations doit compter elle aussi, en plus des centres de recherche en gestion (Centre de sociologie de l’École des mines, École polytechnique), des centres de sociologie des organisations et des centres d’histoire des entreprises (EHESS, Paris IV, Paris I, Paris X, Paris VIII, IHTP, Bordeaux, Lille, Lyon, Grenoble, etc.), sur les associations d’histoire d’entreprise (Électricité, Poste, Chemins de fer, Aluminium, IDHI, Caisses d’épargne, etc.) et sur les comités d’histoire ministériels, qui soutiennent des programmes institutionnels à base d’archives orales.
25f. Sixièmement, recoupant en partie l’histoire des entreprises et l’histoire de l’État, se développent depuis une quinzaine d’années chacune de façon autonome l’histoire des sciences et l’histoire des techniques (CHRST de la Villette, Centre Alexandre Koyré de l’EHESS, Paris IV, Grenoble, etc.) ; elles aussi ont su adapter la technique de l’entretien à leurs objets de recherche et faire bon usage des témoignages oraux des ingénieurs, des savants, des scientifiques et des techniciens, pour mieux cerner les réseaux de relations et de pouvoir, les conditions de l’innovation technologique, les modes de production, de transmission et d’accumulation des savoirs, les expérimentations et les essaimages d’expérience, les transferts de technologies, la communication autour de ces expériences scientifiques ou techniques et les doctrines qui les accompagnent45. Cette histoire reçoit elle aussi un renfort de la part des associations d’histoire d’entreprise ou des comités d’histoire ministériels (Aluminium, Armement, Électricité, etc.), qui mobilisent les anciens membres de ces institutions tant dans les domaines techniques que stratégiques46.
26g. Enfin, nous trouvons l’histoire culturelle ou l’histoire des représentations, polymorphe et diffuse, qui touche autant l’histoire religieuse, l’histoire de l’Éducation, l’histoire des intellectuels et des cultures savantes, l’histoire des pratiques culturelles que celle des institutions, des entreprises, des classes populaires ou des élites... L’histoire culturelle, on l’a déjà dit, est partout et elle est devenue transversale à toutes les autres spécialités ; elle n’est plus cantonnée à certains groupes sociaux sensés être les seuls détenteurs de « La » culture ; elle ne se réduit pas non plus à des conservatoires sacralisés de contre-cultures, elle concerne désormais tous les groupes humains sécrétant une vision du monde, cherchant à la faire partager à leurs membres et capables de l’exprimer dans des mots, des signes, des pratiques et des symboles. Non enfermée dans l’étude statique de systèmes clos, elle s’oriente vers l’étude « cinétique » des phénomènes de perception, des mouvements « de circulation, de réception et d’imprégnation » culturels qui affectent la société47, et de façon plus spécialisée, elle se tourne vers l’étude des acteurs et des institutions qui structurent et « informent » le champ culturel, notamment l’État et ses relais institutionnels ou associatifs48. Visions du monde, phénomènes de perception, circulation des idées et modification des sensibilités, acteurs et leaders d’opinion, médias et institutions, les témoignages oraux sont mobilisables et mobilisés sur tous les fronts. De ce point de vue, le fait que l’histoire des représentations soit devenue transversale à toutes les autres sous-disciplines historiques a entraîné pour conséquence le renforcement de la pratique de l’entretien et sa diffusion généralisée dans toutes les spécialités, par-delà les questionnements propres à chaque sous-discipline.
27On peut faire la même remarque pour l’étude de la mémoire qui recoupe aujourd’hui transversalement toutes les sous-disciplines : mémoire privée et familiale, individuelle et collective, organisationnelle et fonctionnelle, communautaire ou nationale, citoyenne ou ethnique, sociale ou politique, religieuse ou laïque, plurielle ou unifiée, apaisée ou conflictuelle, traumatisée, pathologique ou en bonne santé, les problématiques de mémoire imprègnent une bonne partie des travaux d’histoire contemporaine et entraînent désormais dans leur sillage la collecte de nombreux témoignages rétrospectifs...
28Quoi qu’il en soit, ce qui constitue la caractéristique commune de ces histoires très contemporaines ou de cette histoire multidisciplinaire du temps présent, c’est leur compagnonnage intense avec les autres sciences sociales, à qui elles empruntent concepts, problématiques et méthodes (notamment celle de l’entretien), tout en essayant de ne pas perdre pour autant leur identité historienne.
II. Une acclimatation réussie, un débat clarifie, des défis a relever..
1. Un bilan en apparence positif
29En l’an 2000, le bilan, tracé de façon quelque peu optimiste à nos yeux49 par Danièle Voldman dès 1990 dans Vingtième siècle sur l’histoire orale50, semble cette fois-ci réellement d’actualité en France51 : les débats politico-médiatiques sur l’histoire orale, se sont estompés, le recours au « témoin digne de foi » a retrouvé ses racines historiographiques et s’est réinséré dans une histoire pluriséculaire remontant jusqu’à l’Antiquité ; la redéfinition des limites et des objets d’une histoire contemporaine en plein renouvellement a permis l’intégration des témoins contemporains dans l’horizon dialogué de l’historien du temps présent ; les méthodes de constitution, d’analyse et d’interprétation de la source orale ont été définies rigoureusement52 ; les institutions patrimoniales ont ouvert des séries audiovisuelles et entamé des collections cohérentes de témoignages oraux ; les querelles méthodologiques semblent avoir disparu53 et les réticents d’autrefois se sont eux-mêmes convertis aux entretiens avec les témoins54 ; les différentes sous-disciplines de l’histoire contemporaine ont tour à tour annexé cette nouvelle source et l’ont « acculturée » selon leurs objets et selon leurs questionnements propres ; le témoin lui-même semble être devenu le partenaire privilégié de l’historien, du moins sur la scène médiatique...
30Considérant l’acclimatation de la source orale comme acquise, l’IHTP à partir du milieu des années quatre-vingt-dix se désinvestit en grande partie de ce domaine qu’il considère comme acquis55 et porte ses efforts sur l’intégration de nouvelles sources, notamment les sources audiovisuelles et cinématographiques et surtout sur de nouvelles problématiques (la judiciarisation du rôle de l’historien, la réflexion sur la mémoire et ses blessures, l’articulation de l’expertise historienne et de la demande sociale, l’écriture de l’histoire, le rapport entre témoignage et vérité, etc.).
31Au terme de cette « saga » de l’histoire orale et des archives orales, en cette fin d’année 2000, nous pourrions donc conclure au retournement d’une tendance historiographique bicentenaire, à la réintégration des témoignages oraux dans la science historique et au dépassement dialectique du débat entre histoire orale et archives orales dans la notion consensuelle de « sources orales ».
2. Mise au point terminologique. Afin que tout le monde s’entende !
32En effet, des définitions sont désormais admises par tous, qui désignent en réalité des entreprises bien distinctes et même des « moments » historiographiques différents : on parle d’histoire orale, d’archives orales, de sources orales, de témoignages oraux et d’archives sonores56.
33En schématisant outrancièrement, nous pourrions dire que l’histoire orale, telle qu’elle a fait irruption au début des années soixante-dix en France en provenance des pays anglo-saxons, et qui consiste à n’utiliser que des témoignages oraux ou des récits de vie, n’a représenté qu’un « moment » très bref de notre historiographie. L’expression continue néanmoins d’être employée aujourd’hui, souvent pour désigner une « certaine » histoire sociale, le plus souvent très proche, voire intégrée dans les sciences sociales, dont elle pourrait être une des branches, caractérisée par l’approche diachronique et par la méthode du récit de vie ; les principaux représentants de cette histoire orale sont souvent des sociologues, des géographes, des ethnologues ou des politologues... Dans la discipline historique, l’expression histoire orale subsiste à l’état d’héritage, par commodité, par paresse de langage57 ou par souci tactique ; le choix de l’expression « Histoire orale » recouvre en effet parfois des considérations corporatistes visant à ne pas laisser la collecte des témoignages oraux aux archivistes et à montrer que l’initiative de cette source provoquée revient aux historiens. Dans tous les cas, l’expression « histoire orale » désigne ici le fait de recourir massivement aux témoignages oraux, en complément des sources écrites, et suppose qu’il en soit fait un usage plus qu’anecdotique.
34Le terme archives sonores est générique, il désigne des documents à base de son, incluant des formes aussi variées que des émissions radiophoniques, des enregistrements musicaux, linguistiques ou vocaux, ou des bruitages, sur des supports variés (cylindres, disques, bandes, cassettes, minidisques, cédé-audio, cédéroms, DVD, etc.) et destinés à la conservation. Le terme est né avec la prise de conscience de l’apparition de « nouvelles » archives issues des nouveaux moyens de communication audiovisuels et utilisant des supports autres que le papier58. Il désigne généralement des documents produits par les personnes physiques ou morales dans l’exercice normal de leurs fonctions, et ne comporte donc pas stricto sensu de caractère rétrospectif. Les documents oraux, c’est-à-dire parlés, constituent un sous-groupe de ces archives sonores.
35Les archives orales, elles, sont caractéristiques des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ; fondées sur la parole et sur le souvenir, elles ont construit leur territoire à la fois sur le terrain mémoriel et archivistique ; en revendiquant haut et fort un statut patrimonial, elles se sont intégrées au patrimoine archivistique des institutions ; parallèlement, elles ont construit et conquis de haute lutte leur statut de sources pour l’histoire d’aujourd’hui et de demain ; portées par le courant « identitaire » et par le développement de l’histoire des organisations, elles se sont développées de façon notable dans les institutions et les entreprises dotées d’une cellule d’animation patrimoniale ou historique permanente, mais aussi dans les centres patrimoniaux de toute nature. Plus de trente ans après ses premières croisades dans la Gazette des archives et dans la Revue administrative, Guy Thuillier peut se montrer relativement satisfait : même si beaucoup de choses restent à faire, un système multipolaire d’archives orales comme aux États-Unis s’est mis en place sur l’ensemble du territoire, selon un maillage à la fois diversifié et dense : centres d’archives traditionnels, musées, comités d’histoire ministériels, associations d’histoire d’entreprise, fondations, services et missions historiques intégrés dans les organisations, collectivités locales, sociétés savantes, bibliothèques, centres de recherche en sciences humaines et en sciences sociales. Le Guide des Archives nationales sur les collections de témoignages oraux devrait manifester avec éclat l’extension de ce formidable réseau de production et de conservation. Et si Jean-Pierre Rioux en 1986 pouvait constater que les efforts de Dominique Schnapper n’avaient pas suffi à accréditer la notion d’archives orales, il nous semble que quinze ans plus tard, de fait, l’essor des structures patrimoniales traditionnelles et néo-patrimoniales a largement contribué à l’enracinement de cette notion et à lui donner pignon sur rue, voire à lui donner la préséance sur « l’histoire orale » des origines.
36Depuis le début des années quatre-vingt-dix, dans un souci de rigueur tout à fait légitime, les Archives nationales souhaitent réserver le terme « archives orales » pour des enregistrements contemporains, à caractère verbal, effectués dans l’exercice courant et normal des activités d’une personne morale ou physique : discours ou entretiens radiodiffusés, allocutions, conférences, audiences, plaidoiries, débats, films, documentaires, émissions, actualités enregistrées, etc. En revanche, pour désigner les documents oraux provoqués a posteriori et conservés en vue d’un usage patrimonial ou historique, les Archives nationales préconisent d’utiliser le terme « témoignages oraux »59. C’est en réalité un juste retour à la vieille distinction entre sources involontaires et sources volontaires ou entre sources primaires et sources secondaires.
37En ce qui nous concerne personnellement, nous comprenons fort bien les raisons juridiques et « techniques » des Archives de France et nous nous rallions bien volontiers à leur définition ; nous restons néanmoins attachée, dans la filiation de Guy Thuillier et de Dominique Schnapper, au terme « archives orales » qui traduit bien le caractère patrimonial des collections, connotation qui disparaît totalement dans l’expression « témoignages »60, et qui indique bien la volonté d’intégrer les sources orales dans un ensemble plus vaste d’archives écrites, imprimées, archéologiques, audiovisuelles, radiophoniques, cinématographiques, iconographiques, manuscrites, etc. ; ce terme est également commode lorsqu’on s’adresse à des responsables d’entreprises ou d’institution : il y a les archives écrites et les archives « parlées », les archives des bureaux et les archives de la mémoire humaine... Dans l’expression « archives orales », il y a aussi une sorte de connotation de généralité et d’indétermination, qui n’existe pas dans l’expression « témoignage oral »...
38Et puis comment désigner les entretiens réalisés par un laboratoire en sciences sociales et versés quelques années plus tard dans un service d’archives départementales ? Ils constituent à la fois les « archives de recherche » d’un organisme scientifique, des archives orales produites par un laboratoire de sciences sociales dans l’exercice naturel de ses fonctions (l’enregistrement d’entretiens entre dans ses missions), des témoignages contemporains provoqués et des archives orales pour le futur chercheur de 2050... Cela commence à devenir compliqué.
39Ces objections étant faites, nous sommes bien conscients de l’imprécision de la notion d’archives orales telle que nous la défendons ; aussi, s’il faut manifester clairement et explicitement le caractère non contemporain et provoqué de ces documents oraux, proposons-nous d’ajouter systématiquement le terme « rétrospectives » (archives orales rétrospectives), ce qui permettra de dissiper définitivement toute ambiguïté.
40Pour notre part, du fait de ce qui précède, nous réservons plutôt l’usage du terme « témoignages oraux », d’une part, aux campagnes thématiques d’entretiens, focalisées selon une problématique bien particulière et destinées à une exploitation immédiate, par opposition à des campagnes d’entretiens plus généralistes et plus institutionnelles, et d’autre part, en aval, pour la phase d’écriture, lorsque nous nous situons dans le cadre d’une argumentation et que nous convoquons tel ou tel enregistrement ou tel ou tel entretien pour chercher à démontrer une thèse ou une affirmation ; accédant au statut de preuve, parole sollicitée, le témoignage se trouve alors « cité à la barre » et mis en intrigue par l’historien. Cela dit, nous sommes bien consciente que même une campagne d’archives orales rétrospectives généralistes obéit nécessairement à des problématiques globales ou à des axes d’interrogation généraux et que de ce point de vue, les archives orales sont bien des collections de « témoignages » provoqués...
41Quant au terme sources orales, il relève clairement du vocabulaire professionnel de l’historien et du registre de la recherche historique, le terme « archives orales rétrospectives » relevant davantage du domaine patrimonial ; il se situe déjà du côté de l’exploitation et l’historien l’utilise lorsqu’il veut distinguer les différentes sources documentaires utilisées dans le cadre de sa recherche : sources écrites, sources imprimées, sources audiovisuelles, sources iconographiques, sources orales... Ce terme manifeste aussi l’apaisement du débat autour de l’histoire orale en France et témoigne de la « normalisation » et de l’intégration de cette méthode en histoire ; c’est un terme consensuel dépourvu d’affect et de polémique sur lequel les chercheurs et les archivistes peuvent tomber d’accord.
42De façon un peu schématique, ces trois termes, archives orales, sources orales, témoignages oraux, correspondent peut-être à trois « moments » de la recherche historique : à l’origine, un récit de carrière a été enregistré au cours d’une enquête patrimoniale sans destination précise et archivé dans un strict objectif de sauvegarde du passé (mesure conservatoire) ; puis, quelques années plus tard, cette « archive orale » dormante, accède au statut de source lorsqu’elle est « activée » par un historien, en croisement d’autres documents écrits ou imprimés ; enfin, le document devient « témoignage oral » lorsqu’il est requis pour assurer une démonstration et qu’il vient à l’appui d’une affirmation ou d’un argumentaire, pour étayer une analyse. Réciproquement, par un mouvement inverse, des témoignages oraux « focalisés » recueillis par un chercheur en vue d’une problématique bien déterminée et d’une exploitation immédiate, après usage, peuvent être déposés dans un centre patrimonial et acquérir le statut d’archives orales pour d’autres chercheurs qui en feront quelques années plus tard une utilisation autre que celle prévue à l’origine61. A cet égard, il faudrait penser à encourager systématiquement les chercheurs en histoire et en sciences sociales à déposer ou à faire don à la collectivité des témoignages qu’ils ont collectés, ce qui créerait un effet démultiplicateur et permettrait l’accroissement des collections à moindre coût.
43En réalité, les trois termes relèvent de trois registres différents : le terme « archives orales » nous entraîne dans le champ du document et du patrimoine ; le terme « sources orales » nous mène vers le royaume de l’information et de la connaissance historique, tandis que le troisième, « témoignages oraux », nous introduit dans une relation à la preuve et à la vérité.
3. Quel avenir pour les sources orales ?
44Nous pourrions terminer cette première partie historiographique sur ce constat optimiste et confiant de l’acclimatation des sources orales en France, sur la disparition des réquisitoires anti-sources orales et sur l’extension des collectes de témoignages un peu partout dans les centres patrimoniaux, dans les centres de recherche ou dans les organisations. La saisine en mars 2000 par le Premier ministre, à l’instigation de Georgette Elgey, pionnière de la source orale en histoire politique, du Conseil économique et social concernant la question des archives orales, est un signe supplémentaire de l’intérêt que cette question soulève dans la société ainsi que dans les milieux patrimoniaux et scientifiques. Cette saisine est aussi le signe de l’indétermination relative dans laquelle les archives orales ont été maintenues jusqu’à aujourd’hui, notamment dans le domaine juridique et même archivistique, puisque la loi de 1979 ne mentionne pas cette catégorie spéciale d’archives. Le Rapport et les recommandations qui résultent de cette saisine (publication de l’avis en janvier 2001) débouchent sur une clarification des termes, sur une tentative de définition juridique et veulent assurer aux archives orales les bases de leur développement institutionnel, à l’image de ce qui se fait à l’étranger ; des propositions sont faites notamment pour le développement de la collecte d’« archives orales immédiates » recueillies auprès de personnalités dans l’exercice de leurs fonctions publiques (voir la postface).
45Nous pourrions donc en rester à ce constat confiant et déclarer la cause des archives orales entendue. Cependant, paradoxalement, alors même que tout le monde s’accorde pour constater le succès des témoignages oraux en histoire contemporaine, certaines ombres méritent d’être portées au tableau, ou du moins certaines questions méritent d’être posées pour l’avenir.
46S’il est vrai que la bataille de la source orale semble globalement gagnée au niveau des principes, - encore que des réticences s’expriment toujours ça et là, notamment dans les jurys de thèse, ultime rempart de la tradition historienne et des ambitions scientistes de l’histoire -, nous estimons en premier lieu qu’il reste encore du chemin à faire pour acclimater l’idée de collections d’archives orales dans les organisations, que des améliorations pourraient être apportées aux pratiques de collecte actuelles, et que des efforts pourraient être faits dans l’enseignement pédagogique et méthodologique de cette technique.
47Dans les administrations et les entreprises, les archives orales qui se montent ici ou là ont en effet encore besoin de conseils méthodologiques et de pilotage scientifique et le taux important de non-achèvement ou de non-démarrage des campagnes d’archives orales dans certaines institutions qui pourtant désiraient en lancer démontre que les difficultés n’ont pas totalement disparu. D’autre part, dans un contexte où « les affaires » mettent désormais régulièrement aux prises pouvoirs publics, administrations, responsabilités politiques, justice et médias, que ce soit dans le domaine économique et financier, industriel, international, militaire ou sanitaire et social, il nous semble que s’esquissent des comportements de réticence et de retrait par rapport à la prise de parole que les années 1980 et 1990 n’avaient pas connus. Il est vrai que les programmes d’archives orales qui s’engagent aujourd’hui se rapprochent vraiment de l’actualité ! Aussi un effort de réflexion supplémentaire est-il nécessaire pour aborder ces archives orales plus contemporaines, voire immédiates.
48Par ailleurs, les étudiants en histoire contemporaine de leur côté mériteraient un enseignement méthodologique plus systématique tant pour la constitution de la source que pour l’exploitation critique des entretiens, à l’instar de la formation dispensée en sciences sociales sur la méthode de l’entretien. Si beaucoup de progrès ont été faits dans la constitution méthodique de collections d’archives orales ou dans la collecte des témoignages par les historiens, au point que l’on peut parler d’une professionnalisation des pratiques, voire de l’apparition d’un métier (même si cette « profession » d’archiviste-oral n’a pas eu le développement qu’on aurait pu souhaiter), nous avons tendance à penser qu’un même investissement méthodologique, qu’un même effort reste à faire en aval en ce qui concerne la valorisation et l’exploitation de cette nouvelle source, notamment dans le domaine pédagogique : critique des documents, interprétation, citations, réflexion sur l’administration de la preuve, mise en scène des sources orales, valorisation éditoriale et pédagogique.
49Par ailleurs, paradoxalement, on pourrait, en outrant le propos, se demander si, à force de banalisation, l’usage de la source orale n’est pas en régression par rapport à la période pionnière et militante de l’histoire orale qui a vu fleurir tant de grandes enquêtes. Les collections existent et se multiplient, souvent pourvues d’instruments de travail, mais les chercheurs se précipitent-ils pour autant pour les consulter et les exploiter ? Aux Journées d’étude de l’École du patrimoine qui se sont déroulées en septembre 1999 à La Rochelle, un certain nombre de conservateurs, détenteurs de collections de témoignages oraux ethnographiques ou historiques, ont regretté qu’elles ne fassent pas plus souvent l’objet de demandes de consultation de la part des chercheurs et déploré qu’elles ne soient guère utilisées par les historiens, ce qui a quelque peu « douché » l’enthousiasme des « producteurs » présents dans la salle62.
50Si l’on considère cette hypothèse d’un relatif désintérêt des historiens à l’égard des collections d’archives orales patrimoniales, quelles explications peut-on trouver à ce phénomène et comment le combattre ? Premièrement, on peut souligner la relative confidentialité dans laquelle sont tenues les collections d’archives orales faute d’inventaires publiés, et leur méconnaissance par le public comme par les chercheurs. Deuxièmement, nous l’avons déjà dit, malgré un consensus de surface, il nous semble que les préjugés « historiens » ou les réticences méthodologiques à l’égard des témoignages individuels perdurent en profondeur. Troisièmement, l’embarras face aux documents sonores, auxquels les chercheurs ne sont guère habitués par leur formation, est évident : il faut utiliser un magnétophone et des cassettes, mettre un casque, apprendre à repérer l’information autrement qu’en parcourant en lecture rapide un document écrit, etc. Bref, changer les habitudes. Quatrièmement, même pour l’historien le mieux disposé à l’égard de la source orale, le fait de consulter et d’utiliser des témoignages recueillis par d’autres reste rebutant ; il préfère, s’il le peut, constituer ses propres sources, selon sa propre méthode et selon son propre questionnement. Cinquièmement, les temps de transcription et de « dépouillement » découragent le chercheur en histoire contemporaine, habitué à feuilleter à son propre rythme les liasses et les peluriers ; dans le cas des archives orales, il est obligé de se conformer au rythme de la parole du témoin et le travail de dépouillement est en quelque sorte redoublé. Sixièmement, les difficultés d’utilisation de la source, moins rapide et moins docile que les archives écrites, l’inexpérience dans l’exploitation et dans la critique des documents parlés font juger les sources orales « pauvres » et sans intérêt historique, elles déçoivent souvent, faute d’une interrogation spécifique. Enfin, la lourdeur juridique des autorisations de consultation ou de citation ne facilite pas l’exploitation extensive et intensive des sources orales63...
51Toutes ces contraintes, tous ces défauts peuvent peser gravement à moyen et long terme sur l’utilisation des archives orales et en ralentir la valorisation, d’autant plus que la concurrence pointe avec l’apparition d’archives-images, autrement plus gratifiantes et plus séduisantes dans une société où le (télé) visuel règne en maître incontesté. Si pour expliquer le tardif développement de l’histoire orale en France, Philippe Joutard a pu avancer l’hypothèse d’une tardive instauration d’une civilisation de l’oral en France par rapport aux États-Unis, pays de l’interview, du téléphone et de la radio64, on peut se demander si cette civilisation a véritablement eu le temps de se développer, compte tenu du fait qu’elle a été immédiatement concurrencée par celle de l’image, ce qui pourrait contribuer à expliquer le faible développement de l’histoire orale. L’image et l’écran ne repousseraient-ils pas déjà dans l’ennui et le « dépassé » le son, symbole d’une civilisation de la radio et du téléphone succombant sous les efforts conjoints de la télévision, du cinéma, de la caméra-vidéo, du cédérom, d’internet et du DVD ? En effet, n’est-il pas, en terme de concentration, plus exigeant d’écouter un enregistrement que de regarder un écran, et dans une exposition, ne sommes-nous pas davantage enclins à nous rapprocher d’un documentaire filmé plutôt que d’une simple borne sonore65 ? L’historien échappe-t-il à ces tendances lourdes qui pèsent sur la société toute entière et ne se trouve-t-il pas conduit lui aussi à préférer les images aux enregistrements ? Si l’on accepte cette hypothèse, il devient tout à fait légitime, voire urgent, d’étudier la question des entretiens filmés et de réfléchir à l’utilisation d’une caméra en plus du magnétophone.
52Qu’objecter à tous ces propos alarmistes et pessimistes ? En premier lieu, le maintien et le développement des radios publiques et privées nous inclinent à plus d’optimisme en matière de « consommation » de son et de paroles enregistrées. Par ailleurs, il faut bien voir que les archives orales n’acquièrent de véritable valeur qu’à partir du moment où elles ont une réelle ancienneté et où elles se constituent en traces fragiles de mondes lointains ou oubliés. Tant que les survivants sont là, tant que la cohabitation des générations permet la transmission minimale du souvenir66, tant que les organisations dont les témoins parlent tiennent encore debout, tant que les événements du passé et leur sens nous sont connus sans l’aide de « lieux de mémoire » artificiels, les archives orales ne peuvent déployer tout leur intérêt historique : elles ne deviennent véritablement précieuses que le jour où les mondes dont elles parlent ont définitivement disparu67.
53Quoi qu’il en soit, il faut agir néanmoins dès maintenant pour préserver les archives orales d’un oubli ou d’un enfouissement découragé dans le silence des magasins. Après avoir fait beaucoup d’efforts pour professionnaliser la collecte, il faut faire les mêmes efforts de professionnalisation pour la valorisation des fonds, examiner chacune des contraintes qui pèsent sur l’utilisation des témoignages oraux en tant qu’archives et réfléchir aux aménagements nécessaires. Il s’agit de rendre les archives orales rétrospectives attractives et « rentables » sur le marché de l’histoire contemporaine, marché hautement concurrentiel et sur lequel l’abondance extrême des sources le dispute au rythme toujours plus rapide de l’historien du contemporain, zappeur permanent, mis sous tension par la pression conjointe de la demande sociale et de l’actualité.
54Il faudrait d’abord commencer par faire connaître les collections en publiant des catalogues et des inventaires ; de ce point de vue, le futur Guide des Archives nationales et du Service historique de l’armée de Terre concernant les sources orales est un véritable instrument de service public et de valorisation des collections (près de 700 organismes ont d’ores et déjà été recensés). Ensuite, il faut équiper les collections d’instruments de travail performants (inventaires et indexations en tout genre) ; à cet égard, il est clair que le passage au son numérique permet des progrès sensibles dans le repérage et la restitution très précise des informations. Et puis, il faut penser à améliorer et à professionnaliser l’accueil des chercheurs, le confort et l’efficacité de la consultation (locaux adaptés, casques, postes de travail, responsables compétents, tutorat des étudiants, etc.).
55Deuxièmement, dans la mesure du possible, lorsque les corpus de témoignages sont limités, nous estimons qu’il faudrait mettre à disposition des chercheurs des transcriptions, en attendant les logiciels de reconnaissance vocale qui permettront peut-être un jour d’écouter le document original en même temps que d’obtenir une « version » écrite de l’enregistrement sur écran. Sur ce point, nous sommes bien consciente que les besoins des chercheurs ne coïncident pas forcément avec les préoccupations budgétaires des conservateurs qui préfèrent accroître leurs collections plutôt que transcrire ce qui a été collecté, et nous n’ignorons pas que la transcription des entretiens fait l’objet de contestations énergiques chez les partisans de l’oralité (voir infra pp. 436-447). Mais, en termes de recherche historique, nous ne voyons pas comment faire l’économie de la transcription, sauf à ne faire qu’écouter « au fil des bandes » les enregistrements, à ne chercher que des citations illustratives ou à se passer de l’analyse des discours et de la critique des documents, ce qui revient à ruiner tous les efforts méthodologiques faits depuis vingt ans pour accréditer la source orale en histoire. Cela dit, la reconnaissance vocale serait vraiment la véritable solution pour les archives orales : on disposerait, d’un côté, du son et de la voix pour comprendre et, de l’autre, de l’écrit pour interpréter et critiquer.
56Troisièmement, il faudrait simplifier les conditions juridiques de consultation et tendre à une libéralisation maximale des conditions de publication, tout en évitant de porter atteinte à l’intérêt intrinsèque des entretiens et à celui des personnes (trop d’ouverture tue la source), équilibre qui n’est pas évident à trouver.
57Quatrièmement, il faut former de façon approfondie les archivistes-oraux à la méthode de l’entretien, de façon à accroître la qualité et le « rendement » des archives orales ; dans le même ordre d’idée, il serait bon que tout archiviste soit formé aux méthodes des archives orales, qu’il soit polyvalent et qu’il dispose des moyens nécessaires pour développer dans de bonnes conditions des programmes d’archives orales dans l’institution où il exerce son métier. De même il faut former les étudiants à l’exploitation des témoignages oraux pour accroître la qualité de leurs analyses.
58Cinquièmement, il faudrait, autant que faire se peut, lier la constitution d’archives orales à des programmes de recherche, décalés dans le temps si nécessaire, mais conçus dès le départ comme des actions de valorisation des archives orales. Ces valorisations entraînent en effet un « retour sur investissement » très appréciable, tant pour les chercheurs que pour les institutions commanditaires ; elles encouragent les institutions à poursuivre la collecte dans la longue durée et apportent aux chercheurs leurs premières satisfactions intellectuelles, en attendant des analyses plus approfondies.
59Sixièmement, pour répondre à la demande du public (demande qui rejoint peut-être aussi celle des scientifiques), on peut essayer de coupler le son avec l’image, ce qui ne veut pas dire nécessairement filmer tous les entretiens dans leur intégralité, mais du moins organiser quelques prises de vues partielles (voir nos propositions p. 355-360). Il faudrait penser aussi à une mise en réseau avec d’autres types d’archives visuelles, soit photographiques soit cinématographiques, soit vidéographiques ou télévisuelles68.
60C’est probablement à toutes ces conditions que les archives orales trouveront véritablement un droit de cité en histoire et qu’elles sortiront définitivement de leur statut illustratif ou secondaire ; c’est aussi à ces conditions qu’elles continueront de se développer et surtout qu’elles pourront répondre aux espoirs que ses promoteurs ont mis en elles, à savoir le renouvellement des problématiques de la recherche historique et le comblement de certains déficits de connaissance sur la vie dans le temps des hommes en société.
⁂
61Pour conclure, on pourrait faire un parallèle audacieux entre cette poussée de fièvre patrimoniale qui a mené à la constitution d’archives orales en cette fin du xxe siècle et l’intense effort qui de la fin du xviie siècle jusqu’à la moitié du xixe siècle a permis l’accumulation de sources écrites. Parlant de la politique culturelle et historique de l’État et de la création des institutions d’érudition aux xviie et xviiie siècles, Blandine Barret-Kriegel souligne que « c’est de l’immense effort de rassemblement des archives de l’histoire de France et de l’organisation du travail historique69 [...] qu’est sorti le programme de recherches réalisé par les historiens du xixe siècle »70, principalement en histoire politique. Si l’on poursuit ce parallèle, quelles seront les conséquences de la mise en place de ce réseau multipolaire de création et de conservation d’archives orales ? Quels seront les fruits histo-biographiques de cette accumulation de sources orales ? De la multiplication des collectes patrimoniales de témoignages oraux dans les institutions et dans l’ensemble de la société peut-on espérer le même renouvellement en histoire sociale, pour l’histoire de l’État ou pour l’histoire des entreprises ? Une nouvelle profession, un nouveau métier émergeront-ils de la multiplication des entreprises d’archives orales ? Par ailleurs, en termes de pratiques scientifiques, les archives orales, nées du croisement des pratiques de l’entretien en sciences sociales et de la tradition archivistique d’érudition française, peuvent-elles constituer un lieu privilégié de rencontre et d’échanges interdisciplinaires, tant pour leur constitution que pour leur exploitation ? C’est l’avenir qui le dira.
62En attendant, dans ce mouvement général de constitution de collections de « paroles », au-delà des objectifs académiques ou scientifiques, les archives orales remplissent également une véritable fonction sociale : en ne se limitant pas, comme on l’a vu, aux sommets des élites décisionnelles, elles témoignent du refus des « pensées uniques » et des discours des dominants ; en donnant la parole à ceux qui ne la prennent jamais, elles organisent l’expression de la pluralité des points de vue et exercent une sorte de fonction démocratique dans la prise de parole. D’où l’importance que les collections soient connues, mises en accès libre et valorisées, et non pas laissées dans la confidentialité.
63Lorsqu’elles sont réalisées dans les entreprises ou dans les administrations, elles attestent de la reconnaissance de l’importance du « facteur humain » dans le fonctionnement des organisations, à côté des « fondamentaux » économiques, des procédures juridiques, des impératifs techniques et des règles du marché ; elles permettent à chacun de se voir reconnu dans son rôle social et dans son identité personnelle. De ce point de vue, développées à grande échelle dans les organisations, dans les communautés rurales ou urbaines, et aussi par le biais de campagnes systématiques dans les maisons de retraite, elles pourraient contribuer à assurer une véritable fonction symbolique de cohésion et d’intégration sociale. Elles remplissent également un rôle cathartique de purgation de la mémoire individuelle et collective, notamment dans le cas d’expériences sociales, professionnelles ou existentielles traumatiques ou violentes. Enfin, lorsqu’elles mettent en relation un « plus jeune » et un « plus ancien », elles exercent une fonction de transmission intergénérationnelle et donc, là encore, d’intégration sociale.
64Dans les archives orales rétrospectives par entretiens, on sent bien que se nouent dans un pacte implicite quatre notions qui ont toutes à voir avec le temps et qui se conjuguent autant à l’échelle individuelle qu’à l’échelle collective : mémoire, identité, histoire et projection dans le futur. Le « je » s’y exprime de façon originale, s’arrachant par le récit biographique à l’indifférenciation du « on » et vient prendre place dans la grande aventure du « nous ». Aussi, bien loin de révéler des pulsions malsaines de nostalgie passéiste ou obsidionale, les archives orales créent les conditions d’un dialogue où les hommes du passé parlent, par-delà les hommes du présent, aux hommes du futur et ouvrent un « horizon d’attente » qui facilite le passage du témoin et l’enjambement du présent.
Notes de bas de page
1 Ce n’est pas la vocation de l’IHTP, laboratoire du CNRS. Il faut toutefois mentionner les cours dispensés par Daniele Voldman à Paris I (deux modules de trois heures) sur l’utilisation des témoignages oraux en histoire du temps présent.
2 Depuis 1999, Philippe Joutard assure à l’EHESS un séminaire sur « L’histoire de la mémoire historique en France, xvie-xxe siècles ».
3 En septembre 1999, l’Ecole du patrimoine a organisé à La Rochelle un séminaire de formation sur les témoignages oraux, réunissant conservateurs du Patrimoine, conservateurs de musées et historiens. Dès l’origine, dans les années quatre-vingt, Mme Bonnazi avait, elle aussi, conçu et proposé des stages de formation continue au sein des Archives de France. L’Association des archivistes français assure également cette fonction de formation continue (cf. le dernier stage, les 22 et 24 nov. 2000, auquel nous avons participé et qui réunissait surtout des archivistes municipaux et départementaux).
4 Les Cahiers de l’IHTP, n° 4, 1987, « Questions à l’histoire orale », p. 6.
5 Les aires géographiques représentées au colloque d’Essen sont classiquement l’Europe (Grèce, Italie, Espagne, Allemagne, Suède, Hollande, Autriche, Angleterre), l’Amérique centrale et l’Amérique latine ; la principale nouveauté tient à l’émergence de l’Europe centrale et orientale avec les anciens pays de l’Est. Les contributions se rattachent majoritairement à l’histoire sociale (paysans, syndicats, ouvriers, immigration, minorités ethniques), à l’histoire du travail, à l’histoire des femmes, parfois combinée avec une histoire politique (l’embrigadement de la jeunesse, les (non)-résistances au fascisme, au nazisme et au communisme) ainsi qu’à l’histoire de la seconde guerre mondiale (les camps, les occupations militaires, les Résistances). Si l’on peut parler d’extension géographique de la méthode de l’histoire orale, on ne peut véritablement conclure à un grand renouvellement des problématiques, sauf à distinguer les contributions concernant les pays ex-communistes.
6 Le colloque international d’Essen ne compte d’ailleurs qu’un petit nombre de contributions françaises ; l’une porte sur les instituteurs brésiliens de Sao Paulo ; deux interventions présentent un futur programme de collecte de témoignages et sont le fait de sociologues ; la dernière concerne « Les changements apportés à la société de l’armée de l’Air par la féminisation sensible de l’institution à partir des années cinquante » (E. Breguet et F. de Ruffray). Huit ans après le quatrième colloque international d’histoire orale d’Aix-en-Provence, la retombée du soufflé en matière d’histoire orale en France est clairement perceptible. Lors du dernier Congrès à Istanbul en juin 2000, le phénomène est patent : aucune contribution n’est présentée pour la France.
7 D. Voldman, « L’Histoire orale. Entre science et conscience », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 25, 1990, p. 113-115.
8 M. Trebitsch, Les Cahiers de l’IHTP, n° 21, 1992, p. 29.
9 M. Trebitsch, op. cit., p. 29-30, reprenant les réflexions de M. Pollak, « Pour un inventaire », in « Questions à l’histoire orale », Les Cahiers de l’IHTP, n° 4,1987, p. 11-12.
10 Un séminaire sur l’histoire des intellectuels existe depuis 1985, sous la direction de M. Trebitsch et N. Racine ; pour en savoir plus sur les travaux de ce groupe de recherches, on peut lire Pour une histoire comparée des intellectuels, Bruxelles, Complexe, 1998 et les Actes de la table ronde « Intellectuelles. Du genre en histoire des intellectuels », organisée en juin 1998.
11 Cet « embourgeoisement » de la source orale qui succède aux objectifs militants de l’histoire orale n’est pas lié seulement au changement de conception histoire orale/archives orales, mais d’une manière générale à la réorientation de la production historique et des thèmes de recherche en histoire contemporaine : « Dominée, encore au début des années quatre-vingt, par une orientation majoritaire vers les classes populaires (paysannerie, monde ouvrier, syndicalisme et artisanat), l’histoire sociale « s’embourgeoise » [...] surtout pour les contemporanéistes », constate C. Charle in F. Bédarida (dir), L’histoire et le métier d’historien, op. cit., p. 33, à partir de l’étude des références bibliographiques de la Bibliographie annuelle de l’histoire de France.
12 M. Pollak, L’expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l’identité sociale, Paris, Métailié, 1990 et Une identité blessée, Paris, Métailié, 1993 ; K. Bartosek, « Les témoins de la souffrance », Les Cahiers de l’IHTP, n° 21, 1992.
13 H. Rousso, Le syndrome de Vichy : 1944 à nos jours, Paris, 1987, 1990 ; « Les usages politiques du passé : histoire et mémoire », Les Cahiers de L’IHTP, n° 18, 1991, p. 163-186 ; avec E. Conan, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, 1994 et 1996 ; La hantise du passé, Paris, 1997 et Stalinisme et nazisme. Histoire et mémoire comparée, Bruxelles, Complexe-IHTP-CNRS, 1999.
14 Pour un état des lieux sur la mémoire orale de la seconde guerre mondiale, lire D. Veillon, « La seconde guerre mondiale à travers les sources orales », Les Cahiers de l’IHTP, n° 4, 1987, p. 53-67 ; le séminaire « Histoire de la seconde guerre mondiale », dirigé par D. Veillon et J.-P. Azéma, poursuit encore aujourd’hui ses travaux.
15 A l’occasion du cinquantenaire de la Libération, une série de colloques ont été organisés par les universités en partenariat avec l’IHTP à Paris et en province sur Les Français et la Résistance, sur la lutte armée et les maquis : Toulouse (1993), Rennes (1994), Bruxelles (1994), Besançon (1995), Paris (1995), Dijon (1995) Aix-en-Provence (1996)... Sur les mouvements de résistance, on peut lire aussi D. Veillon, Le Franc-Tireur, un journal clandestin, un mouvement de résistance, 1940-1941, Paris, 1976 et avec Jean-Pierre Lévy, Mémoires d’un franc-tireur, itinéraire d’un résistant (1940-1944), Bruxelles, Complexe/ IHTP-CNRS, 1998.
16 Ce survol des activités de l’IHTP trouve sa source dans la consultation des bulletins de l’IHTP, très précieux pour apprécier les évolutions et les inflexions de la recherche historique et suivre les débats qui ont lieu dans le sillage des séminaires de l’IHTP.
17 Cf les Actes du colloque, autour de Charles-Robert Ageron, La guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises, Paris, Société française d’histoire d’outre-mer, Saint-Denis, 2000, l’ouvrage de J-P. Brunet, Police contre FLN. Le drame d’octobre 1961, Paris, Flammarion, 1999 ou celui de C. Mauss-Copeaux, Appelés en Algérie. La parole confisquée, Paris, Hachette, 1999 (présentation d’une quarantaine de témoignages d’appelés vosgiens).
18 Cf la thèse de Marc-Olivier Baruch sur Servir l’État français. L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997 et le séminaire qu’il a tenu à l’IHTP puis à l’EHESS en collaboration avec Vincent Duclert (Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française, Paris, La Découverte, 2000).
19 On notera le rapprochement conjoint avec les sciences politiques (le GAPP de M.-C. Kessler) et la sociologie (C. Paradeise).
20 G. Dreyfus-Armand, R. Frank, M.-F. Lévy, M. Zancarini-Fournel (dir.), Les années 68. Le temps de la contestation, Bruxelles/Paris, Complexe/ IHTP, 2000.
21 Si les questions concernant les témoignages oraux sont déclarées dépassées, d’autres, plus « épistémologiques », ne manquent pas de surgir, suscitées et entretenues par les « crises » successives de l’histoire.
22 Pour un état récent de la réflexion de l’IHTP sur ce sujet, lire le Bulletin de l’IHTP, n° 75, juin 2000.
23 Bulletin de l’IHTP, n° 75, juin 2000. Sur ces problématiques, nous renvoyons aussi à P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Éd. du Seuil, 2000.
24 Bulletin de l’IHTP, n° 75, juin 2000.
25 Pour la période 1914-1939, les collaborateurs du Maitron ont parfois pratiqué la méthode de l’entretien, mais souvent de façon empirique et artisanale ; par exemple, l’entretien n’était pas enregistré et il n’y avait pas de souci patrimonial de conservation. Aujourd’hui, la pratique de l’entretien enregistré se généralise et l’usage du magnétophone est maintenant acquis ; tout entretien donne lieu à transcription, qui est alors soumise au témoin. Les entretiens biographiques ne constituent cependant pas la source unique d’information pour la réalisation des notices du dictionnaire, ils sont systématiquement croisés avec les sources policières, syndicales, judiciaires et la presse. Intervention de Claude Pennetier, Journées d’étude « Archives, mémoires, histoires... » organisées par le CNAHES à Angers, 18-19 septembre 1999.
26 Sur les renouvellements de l’histoire sociale, voir par exemple les travaux de G. Noiriel sur les immigrés et sur les ouvriers et la présentation qu’il en fait dans Qu’est ce que l’histoire contemporaine ?, Paris, Hachette, 1998, p. 127-166.
27 O. Schwartz, Le monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, Paris, PUF, 1990 ; J.-C. Kaufmann, La chaleur du foyer, analyse du repli domestique, Méridiens-Klinck-sieck, Paris, 1988.
28 F. Weber, Le travail d’à-côté, étude d’ethnographie ouvrière, INRA-EHESS, Paris, 1989.
29 N. Ponsard Lectures ouvrières à Saint-Étienne du Rouvray de 1939 à nos jours, thèse EHESS, mai 1999.
30 Cf. E. Mension-Rigau et sa thèse sur l’éducation dans la grande bourgeoisie et l’ancienne aristocratie au tournant du siècle (L’enfance au château. L’éducation familiale des élites françaises au xxe siècle, Paris, Rivages-Payot, 1990), N. Duval et l’histoire de l’École des Roches au xxe siècle (Paris IV, thèse en cours), J.-P. Chaline et l’étude de la sociabilité bourgeoise et aristocratique (cf. son ouvrage sur le Cercle du Bois de Boulogne en collaboration avec N. Duval), etc.
31 L. Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Éd. de Minuit, 1982.
32 K. Chatzis et V. Guigueno, Pensée technique et système d’organisation industrielle en France, de l’entre-deux-guerres aux années 70-80, rapport pour le compte du ministère de l’Enseignement et de la Recherche, LATTS-École nationale des Ponts et Chaussées, Paris, 1995.
33 J.-M. Chapoulie, Les professeurs de l’enseignement secondaire, Un métier de classe moyenne, Paris, Ed. de la MSH, 1987.
34 A. Chenu, L’archipel des employés, Paris, INSEE, 1990 et Les employés, Paris, La Découverte, 1995 ; M. Crozier, Petits fonctionnaires au travail, Paris, CNRS, 1955 et Le monde des employés de bureau, Paris, Éd. du Seuil, 1965 ; D. Gardey, Un monde en mutation, Les employés de bureau en France 1890-1930. Féminisation, mécanisation, rationalisation, thèse d’histoire, Paris VII, 1995 ; D. Bertinotti, Recherches sur la naissance et le développement du secteur tertiaire en France ; les employées des PTT sous la Troisième République, thèse de troisième cycle, Paris I, 1984.
35 O. Join-Lambert, Le receveur des Postes, entre l’usager et l’État, 1944-1973, EHESS, Paris, mars 1999, à paraître chez Belin en 2001.
36 A. Chenu, « L’explosion du tertiaire (1920-1990) », in G.-V Labat (dir.), Histoire générale du travail, vol. 4, Le travail au xxe siècle, Paris, Nouvelle Librairie de France, 1997 ; Y. Graftneyer, Les gens de la banque, PUF, 1992 ou F. de Singly et C. Thélot, Gens du privé, gens du public, Paris, Dunod 1988.
37 S. Berstein, « Les classes moyennes devant l’histoire », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 37, janv.-mars 1993, p. 13 ; H. Mendras, La seconde révolution française, 1965-1984, Paris, Gallimard 1994 ; P. Guillaume, Histoire sociale de la France au xxe siècle, Paris, Masson, 1993 ; Regards sur les classes moyennes, xixe-xxe siècle, Talence, Éd. de la MSH d’Aquitaine, 1995 ; La professionnalisation des classes moyennes, Talence, Éd. de la MSH d’Aquitaine, 1996 ; S. Guillaume, Les classes moyennes au cœur du politique sous la IVe république, Talence, Éd. de la MSH d’Aquitaine, 1997.
38 M. Perrot (dir.), Une histoire des femmes est-elle possible ?, Paris, Rivages, 1985 ; G. Duby et M. Perrot (dir.), Histoire des femmes, vol. 5, le xxe siècle, Paris, Pion, 1991 ; M. Perrot, Les femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998 ; A. Farge et C. Klapisch-Zuber (dir.), Madame ou Mademoiselle ? Itinéraires de la solitude féminine xviiie-xxe siècle, Paris, Arthaud-Montalba, 1984.
39 C’est le cas de la grande enquête CNRS de 1972 de Françoise Cribier sur les ménages retraités de la Région parisienne, qui a combiné à la fois exploitation quantitative et statistique et enquête qualitative (85 récits de vie ont été à cette occasion collectés).
40 « Les liaisons dangereuses. Histoire, sociologie, science politiques », Politix, travaux de science politique, printemps 1989, n° 6 ; « La sociologie historique. Débat sur les méthodes », Revue internationale des sciences sociales, août 1992 ; P. Favre, « De l’histoire en science politique. Pour une évaluation plus exigeante des fondements de la socio-histoire du politique » in P. Favre et J.-B. Legavre (dir.), Enseigner les sciences politiques, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 217-230 ; Y. Deloye, Sociologie historique du politique, Paris, La Découverte, 1997.
41 J.-F. Sirinelli, « L’histoire culturelle aujourd’hui », Bulletin de l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche, n° 19, automne 1999.
42 M.-C. Lavabre, Le fil rouge, sociologie de la mémoire communiste, Paris, PFNSP, 1994.
43 E. Godelier, De la stratégie locale à la stratégie globale : la formation d’une identité de groupe chez Usinor 1948-1986, Paris, thèse de doctorat, EHESS, 1995, à paraître aux Éditions Rive-droite, 2001) ; voir aussi les travaux en cours de J.-P. Mazaud sur la modernisation de Hachette et de P.-A. Dessaux sur la société Panzani (cf. les Journées d’étude à la Villette, « Organiser et s’organiser. Histoire, sociologie, gestion », 27-28 janvier 2000, Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n° 25, CRH, octobre 2000).
44 L. Quennouëlle et la direction du Trésor au ministère des Finances (thèse EHESS, 2000, publiée au CHEFF en 2000) ; A. Terray et la création de la direction de la Prévision (DEA EHESS, disponible au CHEFF, thèse en voie d’achèvement) ; S. Lepage et le « magistère » de la direction des Finances extérieures (thèse École des chartes 1996, disponible au CHEFF)...
45 Pour une vue générale de ces problèmes, D. Pestre, « Pour une histoire sociale et culturelle des sciences, nouvelles définitions, nouveaux objets, nouvelles pratiques », Annales HSS, mai-juin, 1995, n° 3, pp. 487-522. Pour quelques exemples de travaux d’histoire des techniques ayant utilisé la méthode des entretiens : M. Le Roux, Un siècle de recherche industrielle à Péchiney : l’entreprise et la recherche, Paris, Éd. Rive-Droite, 1998 ou P. Mounier-Kuhn, L’informatique en France, de la deuxième guerre mondiale au Plan Calcul : science, industrie, politiques publiques, (thèse Paris IV, 1999).
46 Cf. le séminaire en cours sur la naissance de la Délégation générale à l’Armement, organisé par le Comité pour l’histoire de l’Armement, sous la direction de Dominique Pestre, avec la participation d’anciens ingénieurs de l’armement ou d’anciens responsables des politiques d’armement. Dans un domaine proche, un programme d’archives orales est en cours de constitution sur « les transferts technologiques » dans le domaine de l’aéronautique et des télécommunications, avec le concours du CNET (sous la responsabilité de P. Griset, P. Mounier-Kuhn et M. Le Roux). Une collection de témoignages sur les débuts de la politique de l’espace existe aux Archives nationales, réalisée par l’Institut français d’histoire de l’espace.
47 J.-F. Sirinelli, « L’histoire culturelle aujourd’hui », Bulletin de l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche, n° 19, Automne 1999, p. 8.
48 Sur l’État et les politiques culturelles, voir P. Poirrier, « Bibliographie de l’histoire des politiques culturelles, France, xixe-xxe siècles », Travaux et documents n° 9, Comité d’histoire du ministère de la Culture, 1999.
49 Pour notre part, à la même époque, nous avons encore en mémoire les réticences exprimées par bon nombre d’historiens à l’égard des archives orales. Dans bon nombre de ministères et de comités d’histoire d’ailleurs, les déclarations d’intention n’ont pas toujours été suivies de résultats ; derrière un consensus de forme et d’apparence, des réticences subsistent, tant chez les archivistes que chez les scientifiques ; les plus faciles à convaincre sont presque toujours les responsables institutionnels.
50 D. Voldman, « L’Histoire orale. Entre science et conscience », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 25, 1990, p. 113-115.
51 Elle persiste d’ailleurs dans son jugement optimiste dans le Bulletin de l’IHTP, n° 75, en juin 2000.
52 Dans les années quatre-vingt, selon M. Pollak, une publication sur quatre est consacrée aux aspects méthodologiques (Les Cahiers de l’IHTP, n° 4, 1987, p. 12). Une littérature méthodologique abondante persiste, ce qui s’explique en partie par les conditions difficiles dans lesquelles l’histoire orale puis les archives orales ont dû s’imposer : les producteurs d’archives orales et les utilisateurs intensifs de sources orales restent sur la défensive et éprouvent toujours le besoin de se justifier ; mais il nous semble que, plus profondément, il y a une véritable nécessité, inhérente à la source orale provoquée, au dévoilement des conditions de production des documents et à la réflexion méthodologique et herméneutique.
53 Nous avançons comme hypothèse que la disparition des attaques contre la source orale et contre les témoignages est due en grande partie à la naissance du négationnisme en France et à la nécessité dans laquelle se sont trouvés les historiens de défendre la véracité et la réalité des témoignages des survivants de la Shoah, conférant ainsi aux témoignages individuels un statut cognitif qu’ils avaient traditionnellement tendance à leur dénier.
54 J.-J. Becker, A. Callu et P. Gillet, La Quatrième République : des témoins pour l’histoire, Paris, Honoré Champion, 1999.
55 Intervention de D. Voldman au séminaire de l’IHTP sur l’histoire de l’administration, le 29 avril 1998.
56 D. Voldman, « L’invention du témoignage oral », Les Cahiers de l’IHTP, n° 4, 1987, p. 79 ; « Définitions et usages », Les Cahiers de l’IHTP, n° 21, 1992, p. 33-43 et « La place des mots, le poids des témoins », in R. Frank (dir.), Écrire l’histoire du temps présent, CNRS, 1993 ; voir aussi du côté des Archives, Les nouvelles archives, formation et collecte. Actes du xxviiie Congrès national des archivistes français, Archives nationales, 1987 (notamment la contribution de B. Delmas).
57 « Quels qu’aient été les efforts déployés par D. Schnapper, la notion de document oral ou de source orale a eu des difficultés à s’implanter en France et à s’imposer. Tout simplement parce qu’elle est née aux États-Unis [...], nous continuons à parler paresseusement d’histoire orale [...] », intervention de J.-P. Rioux, débats de la Table ronde de juin 1986, Les Cahiers de l’IHTP, n° 4, 1987, p. 106.
58 Voir à ce sujet, Archives de France, Les archives audiovisuelles, actes du XXVIIe Congrès national des archivistes français, Limoges, 27 sept. 1985, Paris, Archives de France, 1986 et Les nouvelles archives, formation et collecte, actes du XXVIIIe Congrès national des archivistes français, Paris, Archives nationales, 1987 (notamment la contribution de B. Delmas et celle de D. Voldman).
59 Cf. la circulaire d’enquête envoyée, pour leur Guide du patrimoine sonore, par les Archives nationales et le SHAT. Voir aussi, sur ce sujet, D. Voldman, Les Cahiers de l’IHTP, n° 4, p. 83, Les Cahiers de l’IHTP, n° 21, 1992, p. 35-36 et Bulletin de l’IHTP, n° 75, juin 2000.
60 Le fait de dire que l’on va recueillir des témoignages oraux n’implique pas le fait de les conserver ni de les destiner à un public d’historiens ou de chercheurs, ce que sous-entend le terme « archives ». En outre le terme « témoignages » appartient à de nombreux autres domaines professionnels ou sociaux (justice, journalisme, foi religieuse, histoire...).
61 On aimerait disposer des entretiens enregistrés des témoins statisticiens et prévisionnistes de François Fourquet (Les comptes de la puissance) ou des interviewés de Marie-Christine Kessler sur « le système budgétaire français » dans les années soixante (FNSP). Il faut bien voir qu’à l’image des archives-papier, un même corpus de témoignages peut être interrogé de manière différente par des chercheurs successifs. C’est ainsi que Francine Muel-Dreyfus a pu réutiliser les témoignages provoqués des instituteurs de Jacques Ozouf pour faire la comparaison avec les éducateurs des années soixante.
62 Plusieurs conservateurs présents dans la salle ont souligné que seuls les témoignages concernant les survivants des camps nazis étaient consultés, et qu’ils l’étaient en général par des non-historiens.
63 Voir infra p. 394-396.
64 P. Joutard Ces voix qui nous viennent du passé, op. cit., p. 160.
65 Les muséographes soulignent le fait que les visiteurs d’une exposition ont du mal à se concentrer sur des documents d’archives sonores non soutenus par l’image et à les écouter jusqu’au bout. Par expérience, nous avons pu constater nous-mêmes la concentration qu’exige l’écoute de bout en bout d’un entretien enregistré. Les neurobiologistes et les pédagogues ont démontré qu’une personne ne peut se concentrer sur un apprentissage par voie sonore que pendant une durée de 7 mn, alors qu’elle peut maintenir son attention pendant une durée moyenne de 45 mn lorsque l’enseignement est appuyé sur un ensemble combiné « son plus image ».
66 Aujourd’hui, la coexistence de quatre générations n’est pas rare au sein d’une même famille.
67 C’est bien ce que souhaitaient Georges Duby ou Marc Bloch : disposer au xxe siècle de témoignages de la part d’individus ayant vécu au Moyen Âge.
68 Voir le début de valorisation des témoignages oraux tout à fait probant que met en œuvre l’équipe multimédia du Service historique de l’armée de Terre, sur cédérom, sous la direction d’Hervé Lemoine ; on peut aussi se reporter aux disques « parlés » de l’Institut des archives sonores, réalisés à partir de témoignages historiques rétrospectifs et de documents sonores d’époque, Les Voix de l’aviation ou Les Voix de la Grande Guerre, pour ne citer que deux exemples.
69 De cette période, avec lyrisme parlent les historiens du xixe siècle : « intarissable fontaine où nous puisons tous » (Augustin Thierry, Considérations sur l’histoire, 1867, p. 127), elle a donné « à l’érudition historique ses bases solides sans lesquelles tout travail de généralisation serait prématuré » et appris aux « historiens à se servir des documents » (G. Monod texte republié dans La Revue historique, avril-mai 1976).
70 B. Barret-Kriegel, Les chemins de l’État, Paris, Fayard 1986, p. 196.
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