Chapitre V
Vers une histoire orale « vue d’en haut » (les années quatre-vingt)
p. 131-150
Texte intégral
I. Histoire, mémoire, identité. Un nouveau paradigme4 ?
1Toute la donne intellectuelle se trouve modifiée au début des années quatre-vingt, lorsque brutalement succède à la contestation des années soixante-dix la nouvelle quête identitaire : « Qui sommes-nous ? », « D’où venons-nous ? » et « Où allons-nous ? ». Dans la société française, dans un contexte de montée des incertitudes (écroulement du système soviétique, dérégulation et libéralisation économique, fin du plein-emploi, désenchantements idéologiques et politiques, fin des grandes idéologies), le nouveau mot d’ordre est désormais celui de la mémoire à retrouver pour déterminer qui nous sommes et pour discerner la direction à prendre.
2De nouvelles interrogations traversent la société et avec elle, la communauté scientifique ; ces interrogations portent sur l’identité nationale5, sur la République et les valeurs républicaines, sur l’existence ou non d’une mémoire collective française qui puisse s’imposer à tous et fonder la communauté nationale. L’histoire, alors que s’installe la crise économique et sociale, apparaît comme l’une des voies possibles pour l’interprétation de la société, pour cette recherche de soi, concurrençant sur son terrain la sociologie dominante dans les décennies précédentes et reléguant l’économie dans la catégorie des sciences qui n’ont su ni prédire ni empêcher ni résoudre la crise. C’est tout un pays qui part à la recherche de ses racines et de sa mémoire mais qui s’aperçoit soudain, alors même qu’il voulait apaiser par le souvenir et unifier par la commémoration, que cette mémoire est plurielle, conflictuelle (la mémoire révolutionnaire contre la mémoire vendéenne, la mémoire gaulliste contre la mémoire vichyssoise), contradictoire (la mémoire communiste) ou honteuse (la mémoire de l’Occupation), refoulée (les amnésies de Vichy, de la colonisation et de la guerre d’Algérie) ou à « purifier » (les « repentances » de l’Église dans le cadre de sa marche jubilaire vers le 2000e anniversaire de la naissance du Christ), ravivant ainsi une histoire politique en plein regain...
3Comment expliquer un tel retournement ? De façon conjoncturelle, les années quatre-vingt sont en effet marquées par des ruptures fortes dans le domaine économique (dérégulation, politiques de rigueur, libéralisation et ouverture des économies, privatisations, désengagement de l’État et retour en force du libéralisme en économie ou du moins de ses problématiques, échec des politiques dirigistes, crises de reconversion ou de restructuration à l’état endémique, etc.), mais aussi par des brisures peut-être encore plus déstabilisatrices dans le domaine symbolique, idéologique et politique (désenchantement progressif des « croyants » et des intellectuels à l’égard du marxisme et du socialisme, avènement de François Mitterrand et désillusion, montée du Front national, déclin du Parti communiste), ou dans le domaine international (chute du Mur de Berlin à la fin de la période et effondrement du monde soviétique, coups d’accélération ou plages de stagnation dans la construction européenne, retour de la question des « nationalités » en Europe balkanique et « ethnicisation » des débats géopolitiques). L’avenir devient incertain, l’histoire congelée et immobilisée en Europe depuis 1945 par l’équilibre des deux « blocs », en dépit des proclamations sur l’hypothétique « fin de l’histoire » (Fukuyama dans Commentaire), semble se remettre en marche ; avec l’incertitude de l’avenir et la crise économique et sociale qui s’installe durablement dans certains pans de la société, se forme le cortège des retours sur soi, des commémorations et des actes de mémoire.
4Plus profondément, c’est un véritable tournant épistémologique que décèle Edgar Morin dans la mise en place de ce nouveau contexte6 : un paradigme identitaire succéderait selon lui au « paradigme critique » des sciences sociales des années soixante et soixante-dix7, l’histoire à la sociologie, l’individu aux masses, le retour de la conscience et des philosophies du sujet succéderaient aux philosophies du soupçon et les théories de l’action au déterminisme des rapports de production... Edgar Morin lie ainsi étroitement la réhabilitation du rôle de l’individu, la restauration de sa capacité à agir de façon « explicite et réfléchie » et le retour du politique conçu « comme le niveau le plus englobant » de l’organisation de la société (voir les conséquences sur l’histoire politique infra).
5À cette réhabilitation du sujet s’ajoute celle du récit, annoncée dès 1980 par un article d’un historien britannique, Lawrence Stone8, qui reprend le fil des réflexions de Paul Veyne et de Paul Ricœur9 sur l’impossibilité d’une histoire scientifique fondée sur le modèle des sciences de la nature et sur la nature profondément discursive, littéraire et narrative de l’histoire10. L’historien italien Carlo Ginzburg affirme de son côté la nature fondamentalement « qualitative », « individualisante », « liée au concret » et narrative de l’histoire : « comme celle du médecin, la connaissance historique est indirecte, indiciaire et conjecturale »11. En conséquence, l’histoire doit se détourner des études globalisantes, changer « d’échelle d’analyse »12 et faire de la micro-histoire locale ; elle doit s’attacher aux individus, à leurs représentations et à leurs stratégies personnelles ou collectives13.
6Enfin, les travaux du philosophe Paul Ricœur contribuent à faire redécouvrir le lien entre narration et histoire, entre récit et connaissance du passé, entre récit et structuration de l’identité14 ; ils conduisent aussi les historiens à considérer l’événement comme le « produit d’un récit, d’un discours, d’une représentation individuelle ou collective », c’est-à-dire comme un « événement sursignifié »15.
7De tous ces débats qui agitent le microcosme des historiens, il s’ensuit un changement de climat scientifique, qui crée un contexte propice à la légitimation du recours aux témoignages individuels et qui va porter ses fruits tout au long des années quatre-vingt-dix : c’est d’abord l’idée que l’individu a une histoire qui lui est propre, sans être pour autant surdéterminé par l’appartenance à telle ou telle classe sociale et que quelque modeste qu’il soit, il est acteur de sa propre vie ; qu’il met en œuvre des stratégies d’adaptation, de négociation, d’ajustement visant à desserrer les contraintes et les déterminations économiques et sociales qui pèsent sur lui et que ces actions ont un sens ; qu’il est capable de dire et de raconter son histoire et que cette histoire singulière est porteuse d’une vérité, de sa vérité ; que cette histoire a non seulement un sens pour lui-même mais aussi pour la collectivité, et qu’en racontant sa vie, il dit aussi l’Histoire avec un grand H, dans un mouvement de réfraction qui précipite l’histoire de la société tout entière dans sa seule biographie16. D’où le renouvellement du genre biographique en histoire17, le développement de la prosopographie qui croise individus, témoignages qualitatifs et analyses sérielles, le succès de la micro-histoire qui renouvelle l’histoire sociale en s’intéressant à des micro-communautés, à leurs pratiques sociales et à leurs représentations18, le recours aux sociologies de l’action et de l’acteur, qui puise autant dans l’analyse stratégique de Michel Crozier19 que dans l’individualisme méthodologique de Raymond Boudon20...
8Mais l’une des autres grandes conséquences de ce grand « retour » du sujet est surtout pour ce qui nous concerne le « retour » du politique.
II. Le grand retour de l’histoire politique21
9C’est René Rémond dans un ouvrage-manifeste programmatique, Pour une histoire politique, qui annonce en 1988 le retour de l’histoire politique sur la scène historiographique française, après l’ostracisme pluridécennal prononcé par les Annales à l’encontre d’une histoire jugée événementielle, anecdotique, psychologisante et individualisante. Selon lui, les « leçons » de l’histoire, les expériences vécues du xxe siècle (les guerres, la décolonisation, la pression accrue des relations internationales, le rôle éclatant de quelques décideurs internationaux, la montée du rôle et de l’intervention de l’État, etc.) et leurs traces perdurantes ont rendu au politique une visibilité et une prégnance qu’il avait peut-être perdues dans la décennie précédente ou qui avait été repoussées au second plan ; Jean-François Sirinelli, quant à lui, relie « la revivescence de l’histoire politique » au « mouvement de retour au sujet agissant, après le reflux de la vague du structuralisme » et au « recul progressif de l’influence du marxisme dans les sciences humaines et sociales »22.
10Quoi qu’il en soit, cette histoire politique rénovée, qui se veut aussi une histoire du politique, des pouvoirs et des relations de pouvoir, tout en renouant avec des thématiques traditionnelles focalisées sur l’événement23, sur le rôle des décideurs politiques, sur l’État, sur les institutions, s’oriente désormais vers les représentations, les opinions, les phénomènes générationnels, les cultures politiques, les stratégies, les pratiques, les « milieux » et les « réseaux », les sensibilités, les « imaginaires sociaux », la mémoire collective, au point de se confondre parfois avec une histoire des représentations ou une histoire culturelle dont on a vu que « le champ était extensible quasiment à l’infini »24.
11Cette histoire politique s’ouvre largement aux sciences sociales parmi lesquelles elle choisit des compagnes de route plus proches que d’autres : les sciences politiques avec qui elle a des affinités anciennes, la sociologie... Or ce « compagnonnage de route », du moins celui des sciences politiques et de la sociologie, du fait de l’utilisation de la méthode de l’entretien dans ces deux disciplines, permet une acclimatation relativement aisée en histoire politique de « l’histoire orale » jusque-là cantonnée en histoire sociale.
12Le retour de cette histoire politique a enfin à son actif un événement considérable qui est « la levée d’écrou historiographique » pour l’histoire immédiate dont la mise à l’index universitaire persistait depuis les années 1880 et la création puis la structuration durable d’une histoire du temps présent dont Marc Bloch en son temps a esquissé l’économie. Et cette histoire du temps présent nous concerne directement puisqu’elle place au cœur de sa définition et de ses méthodes la question du témoin, impliqué à la fois dans le processus de connaissance historique et dans l’écriture d’une telle histoire.
III. La constitution d’une histoire du temps présent : l’avènement de « l’ère du témoin »25
1. La création de l’IHTP
13En 1978 est créé, sur décision du Premier ministre et du CNRS, un nouveau laboratoire de recherche, l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP), chargé de développer des travaux sur l’histoire contemporaine récente de la France et des pays étrangers. À l’origine, il devait se préoccuper prioritairement de la période après 1945, mais la demande sociale et institutionnelle, les pressions de la mémoire et de l’actualité le contraignent à revenir sur la guerre de 1939-1945 et même sur l’avant-guerre. De ce fait, il est bien l’héritier du Comité pour l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, fondé en 1951, lui-même issu de divers organismes dont la Commission d’histoire de l’Occupation et de la Libération de la France fondée à l’automne 1944 par le général de Gaulle, et dont la mission était de collecter le plus grand nombre de documents sur l’occupation allemande. De cet héritage, il conserve un certain nombre d’axes de travail qui vont perdurer jusqu’à aujourd’hui : la guerre de 1939-1945 et plus largement l’histoire politique de la France des années trente à nos jours26 ; en termes de sources et d’innovation méthodologiques, on peut également considérer que l’engagement de l’IHTP en faveur de l’histoire orale est dans la filiation de la collecte des témoignages effectués par le Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, même s’il ne s’est pas engagé lui-même dans la création systématique et raisonnée de collections d’archives orales27.
14En effet, dans la meilleure tradition française de collationnement de documents et d’encadrement de la recherche, dans la lignée de la Commission d’histoire de la guerre de 1914-1918, a été créée en octobre 1944 la Commission d’histoire de l’Occupation et de la Libération de la France28, qui devient permanente en décembre 1951 sous le nom de Comité pour l’histoire de la Seconde Guerre mondiale sous la direction d’Henri Michel29 ; la Commission procède dès la Libération au recueil par voie de questionnaire écrit et d’entretiens à la collecte de témoignages de résistants (2 000), de déportés (1 000), de prisonniers de guerre et de réfugiés (500) sur l’ensemble du territoire grâce à un réseau de correspondants départementaux30. C’est la première grande opération collective d’archives orales et écrites provoquées à caractère historique (par opposition aux traditionnelles enquêtes folkloriques), mais elle n’est pas théorisée comme telle et pendant que le Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale procède à d’importants dépouillements d’archives dans les dépôts départementaux grâce à une procédure dérogatoire accordée aux « correspondants » de la Commission, les notes prises pendant les entretiens et les réponses aux questionnaires archivées et déposées aux Archives nationales s’accumulent sans qu’aucune réflexion véritable ne s’engage sur leur statut ni ne théorise spécifiquement leur apport à l’histoire de la Résistance ou de la guerre31. Au cours des années soixante-dix, le Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale continue les entretiens, notamment avec certains hauts fonctionnaires, et déborde sur la Libération ou l’immédiate après-guerre32.
15En 1969 sort le film de Marcel Ophuls et André Harris, Le chagrin et la pitié, qui inaugure dans un vide historiographique français quasi total, trente ans de débats sur « un passé qui ne passe pas »33. Jusqu’à cette date, la mémoire gaullienne, en voulant exalter la France libre et la Résistance, a largement occulté l’attentisme de la France de Vichy et la collaboration d’une minorité de Français ; d’autre part, d’un point de vue scientifique, la recherche historique française sur la France de l’Occupation se fait introuvable à la fois pour des raisons de réticences politiques, en raison du respect des règles historiographiques implicites qui interdisent de toucher trop tôt aux « brûlures de l’histoire » et, enfin, pour des raisons archivistiques : la réglementation sur les archives demeure très restrictive (le plus souvent 50 ans de réserve). À base d’entretiens filmés, réalisés auprès d’anciens témoins ou d’anciens acteurs, enquête d’archives orales filmées avant l’heure, le film connaît un grand succès au cinéma mais n’est pas diffusé à la télévision. Quatre ans plus tard, le choc historiographique vient de l’étranger et, là encore, des États-Unis avec Robert Paxton et son histoire de Vichy publiée, en 197334, écrite en grande partie à partir des sources allemandes, faute pour l’auteur d’avoir pu avoir accès aux archives françaises.
16En 1978, le Comité pour l’histoire de la Seconde Guerre mondiale devient donc l’Institut d’Histoire du temps présent (IHTP), laboratoire de recherche relevant du CNRS ; il est dirigé de 1978 à 1991 par François Bédarida, historien contemporanéiste de la Grande-Bretagne, chrétien engagé (il participe à la rédaction de Témoignage chrétien et à la dénonciation de la torture en Algérie, il est membre puis président du Centre catholique des intellectuels français) ; proche de Paul Ricœur, il est convaincu de « la responsabilité » et du « rôle social » de « l’historien », qui se doit d’être impliqué dans « une présence au monde » et de répondre « présent » aux sollicitations de la société35. Or dès la création de l’IHTP, le poids du politique est là, alourdi de celui de la mémoire, du poids de la Résistance, de celui de la Seconde Guerre mondiale, puis encore et toujours du poids de Vichy, puis de celui des guerres en général, de celui de la décolonisation...
17Ce laboratoire a un nouveau territoire à conquérir, des nouvelles méthodes à promouvoir, une légitimité scientifique et institutionnelle à construire, un régime temporel à dessiner, une durée à explorer, des thèmes privilégiés à s’approprier. Le fait de devoir s’imposer sur la scène scientifique oblige les chercheurs de l’IHTP à reformuler des questions que la communauté historienne ne se pose que par intermittence, telles que la définition du temps et de la temporalité en histoire, le problème de la vérité historique ou de la véracité en histoire, la question des sources et des méthodes, les rapports entre l’histoire et les autres sciences sociales, cette dernière question étant particulièrement aiguë compte tenu de la superposition des champs temporels36...
18Cette histoire du temps présent, expression finalement adoptée et préférée à « histoire très contemporaine », « histoire actuelle », « histoire récente » ou « histoire immédiate », se définit par deux caractéristiques spécifiques et très intimement liées : la présence forte, vivante et en action du passé dans le présent sous la forme de la mémoire (et cette mémoire est « chaude »), et la présence « de chair et de sang » des témoins-acteurs37, leur « vivance » pour reprendre l’expression de Danièle Voldman38. Les témoins, si longuement expulsés de l’histoire se voient réinstallés en son centre et confier un statut qu’ils n’avaient jamais eu jusque-là39. Ce qui engendre plusieurs conséquences pour cette histoire du temps présent : une mise sous tension permanente par rapport aux injonctions de la demande sociale et par rapport même à l’opinion publique ; un risque de se voir devenir plus que les autres une « histoire sous surveillance »40 ou de se voir emprisonner dans la mémoire ; une instabilité inconfortable en raison de la mouvance permanente de ses limites chronologiques aux deux extrémités (les « balises » se déplacent sans cesse) et de la nécessité de révisions historiographiques périodiques41, ne serait ce qu’en raison de l’ouverture régulière des archives ; une incertitude accrue du fait que les processus historiques étudiés sont toujours en cours ; un compagnonnage étroit et nécessaire avec les autres sciences sociales (sciences politiques, sociologie, ethnologie et même psychologie ou psychanalyse), ce qui repose sans cesse la question des frontières disciplinaires et méthodologiques42.
19Quoi qu’il en soit, et quelle que soit la réponse - évolutive - donnée à ces questions43, l’IHTP investit hardiment le champ de bataille de « l’histoire orale », en le combinant à celui de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, dont il fait pour un temps « la matrice » du temps présent44.
20L’IHTP devient le chef de file en France de la défense de la source orale et occupe résolument ce créneau à partir des années quatre-vingt avec l’aide de chercheurs sociologues : 1re journée d’étude sur l’histoire orale en 1980 (première exploration des problèmes techniques et juridiques posés par la collecte de témoignages oraux, analyse du document oral, mémoire, identité et culture) ; répertoire des chercheurs publié en 1982 (180 chercheurs environ sont répertoriés) ; bibliographies françaises et étrangères ; publication de Cahiers spéciaux45 ; organisation de deux groupes de travail, l’un sur les femmes46 et l’autre, sous la direction de Jean-Pierre Rioux, sur « la mémoire collective depuis 1945 » qui se réunit de 1981 à 1984, poursuit la réflexion entamée en 1981 par le séminaire de Pierre Nora à l’EHESS, permettant à Gérard Namer de faire redécouvrir aux historiens les travaux de Maurice Halbwachs sur la mémoire47 ; tables rondes sur les développements et les méthodes de l’histoire orale (1980, 1986) ; suivi actif de l’actualité étrangère de l’histoire orale par une participation active aux colloques internationaux d’histoire orale48 ; comptes rendus des travaux d’histoire orale en Europe et en France (notamment ceux de P. Thompson, de L. Niethammer, de M. Vilanova et ceux de L. Passerini) ; prise de conscience du basculement en France de l’histoire orale vers les « sources orales » à l’extrême fin des années quatre-vingt (Les Cahiers de l’IHTP, n° 21, 1992)...
21Une fois passée la première phase militante d’histoire sociale, à partir de la deuxième partie des années quatre-vingt, c’est surtout la mémoire et l’histoire politique de la France qui devient le champ de recherche privilégié de l’IHTP, renforçant ainsi le pôle de l’histoire politique déjà constitué de Sciences Po (IEP-FNSP) et de Paris X-Nanterre : la Seconde Guerre mondiale49, la Résistance50, le gaullisme51, l’Occupation, la vie quotidienne sous l’Occupation, l’État sous Vichy, la Libération, Pierre Mendès France et le mendésisme52, la reconstruction, la collaboration, les entreprises sous l’Occupation, les politiques publiques (urbanisme, économie, entreprises nationales, etc) et l’extension du rôle de l’État... Tout au long de ces années quatre-vingt, rappelle Jean-Pierre Rioux, « l’oralité et la mémoire imprégnaient peu à peu l’ensemble des travaux de l’Institut » : pas d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, de décisions étatiques, de politiques publiques, d’élites politiques et économiques, de crises et de guerres « sans que les magnétophones aient tourné et que les entretiens aient provoqué la source écrite »53.
22L’IHTP s’est ainsi fait simultanément introducteur et acteur en France de « l’histoire orale vue d’en bas » et de « l’histoire orale vue d’en haut », pratiquant sur la période de la guerre et de l’Occupation autant l’histoire orale des « oubliés de l’Histoire » (les « malgré-nous »54, les déportés, la vie quotidienne des « gens ordinaires » sous l’Occupation) que celle de l’État collaborateur puis reconstructeur, des élites mendésistes ou des grandes entreprises nationales. Ce faisant, l’IHTP contribue largement à un deuxième basculement, non pas celui de « l’histoire orale » vers le patrimoine mémoriel et vers les archives orales qui sera réalisé par les institutions patrimoniales, mais le basculement qui au temps des « oubliés de l’histoire » substitue « l’ère des témoins »55.
2. La rénovation de l’histoire politique contemporaine en France : l’appel aux témoins
23L’IHTP vient renforcer les pôles traditionnels d’histoire politique en France, qui se rallient à peu près dans le même temps à l’histoire du temps présent et qui pratiquent eux aussi de façon discrète depuis plus d’une décennie « l’histoire orale vue d’en haut », celle des élites et du pouvoir politique.
24Il y a d’abord la FNSP, présidée longtemps par Pierre Renouvin puis par René Rémond, qui, dès les années soixante, organise précocement la confrontation témoins-acteurs/historiens (colloque Léon Blum de 1965), inaugurant un « genre » de colloque d’histoire politique promis à un grand avenir56. A la même époque, Raoul Girardet encourage ses élèves et les jeunes chercheurs en histoire du xxe siècle à faire appel aux témoignages des acteurs57, tandis que, de façon confidentielle, Georgette Elgey commence à recueillir les souvenirs d’anciens responsables politiques et de leurs collaborateurs en vue de la préparation de son ouvrage sur l’Histoire de la IVe République58. À l’occasion de la publication du deuxième tome de l’Histoire de la IVe République en 1969, le ministre de l’Éducation de l’époque, Olivier Guichard, s’intéresse à la question des témoignages écrits et oraux concernant la vie politique française ; sur la suggestion de Georgette Elgey, en octobre 1970, il accorde à la FNSP des crédits supplémentaires pour créer un petit service d’« archives contemporaines », sous double tutelle FNSP et Archives Nationales, qui trouvera son prolongement dans le Centre d’histoire de l’Europe du xxe siècle. En 1977, la FNSP lance une grande enquête orale auprès des décideurs et des acteurs de la guerre d’Algérie, dans une perspective historique résolument politique59 : il s’agit « d’étudier la guerre d’Algérie non comme un moment de la décolonisation mondiale [...] mais comme la cause d’un changement majeur dans l’organisation des pouvoirs publics français ». Une quarantaine de personnalités sont interviewées sur cinq ans sous la direction d’Odile Rudelle et leurs témoignages systématiquement transcrits60 ; les transcriptions sont soigneusement archivées et soumises à un protocole de confidentialité. En mai 1977, la FNSP organise une journée d’étude sur le « témoignage oral », où sont invités des politologues et des sociologues61, qui échangent alors leurs réflexions sur leurs pratiques et leurs méthodes62.
25Dans la même période, les associations et les fondations à la mémoire d’hommes politiques se multiplient, à la faveur d’un mouvement commé-moratif qui prend sa source dans la disparition des responsables de la IVe République et de la « première » Ve République, dans le deuil du gaullisme et aussi dans les alternances qui renvoient les acteurs des gouvernements précédents à des loisirs forcés, les rangeant désormais dans la catégorie des témoins ou des anciens acteurs : création de l’Institut Charles-de-Gaulle en 1971, de l’Institut Pierre-Mendès-France en 1984, de l’Association Georges-Pompidou en 1989, de l’Association Pierre-Bérégovoy (1995), qui viennent rejoindre les associations consacrées à la mémoire des hommes politiques de la IVe République telles que le Centre Guy-Mollet, l’Association Paul-Ramadier, la Fondation Jean-Monnet de Lausanne, l’Association des Amis de René-Mayer ou de Bourgès-Maunoury, etc. Toutes, elles emboîtent le pas à la FNSP et cherchent à réunir, chacune à son échelle et chacune selon ses moyens, anciens acteurs et historiens en organisant des cercles d’étude, des groupes de travail, des conférences, des colloques, des tables rondes et des publications63. L’Institut Charles-de-Gaulle ouvre le feu avec un colloque sur Les conditions de l’indépendance nationale dans le monde moderne en 1975, suivi en 1976 et 1977 de deux rencontres sur le référendum de 1969 et sur le « Québec libre », puis d’un colloque en 1978 sur « l’entourage » du général de Gaulle ; les manifestations continuent tout au long des années quatre-vingt pour culminer avec le colloque à l’Unesco pour le centenaire de De Gaulle en 1990. L’Institut Pierre-Mendès-France créé en 1984 organise à son tour plusieurs manifestations dans les années quatre-vingt, dont un colloque sous la direction de M. Margairaz sur Pierre Mendès France et l’économie en 1988 ; l’Association Georges-Pompidou, fondée en 1989, commence ses travaux par une réunion des anciens « collaborateurs » de Georges Pompidou, ministres ou hauts fonctionnaires, en 1989 (Georges Pompidou hier et aujourd’hui, colloque du 30 novembre et du 1er décembre 1989, Paris, 1990) puis s’oriente à son tour vers la confrontation avec le monde scientifique : se succèdent alors trois grands colloques sur Georges Pompidou et l’Europe, Georges Pompidou et l’aménagement du territoire, puis Georges Pompidou et la Culture, 3-4 décembre 1998, au cours desquels les historiens et les politistes tiennent la tribune sous le regard attentif de « grands témoins ». L’Association des anciens membres de cabinet de Pierre Bérégovoy, créée en 1994, se préoccupe très précocement du problème des archives des cabinets ministériels du ministre et organise le 25 avril 1996 un colloque sur la politique économique de Pierre Bérégovoy. Dernier-né de cette longue fratrie, l’Institut François-Mitterrand, créé en avril 1996, recueille l’héritage pluridécennal de ce mouvement, tout en portant à leur point d’apogée les savoir-faire et les techniques mis au point et accumulés par ses prédécesseurs : le grand colloque de janvier 1999 fait le plein de témoins, d’anciens acteurs, de politistes et d’historiens64. Précédant et préparant cette institutionnalisation de la mémoire présidentielle, en 1982, le président François Mitterand confie à Georgette Elgey la mission de « recueillir au jour le jour » les témoignages de ses principaux collaborateurs et de son entourage ; l’expérience s’étend de 1982 à 1990, date à laquelle les enregistrements sont versés aux Archives Nationales et joints aux archives présidentielles65. Rappelons que Vincent Auriol, président sous la IVe République, avait déjà pris cette initiative, en enregistrant à leur insu les propos de ses visiteurs et qu’il s’en est servi pour rédiger son Journal.
26L’université de Paris X-Nanterre est le deuxième pôle d’une histoire politique rénovée, grâce, là encore, au magistère de René Rémond ; dès 1978-79, le centre de recherches en histoire contemporaine de Paris X est l’un des premiers centres de recherche universitaire à inviter d’anciens responsables ou d’anciens témoins de la politique internationale, économique et financière française à s’exprimer devant un « jury » d’historiens politistes, « internationalistes » ou économistes66 ; les débats sont enregistrés, transcrits, archivés, souvent publiés dans le Bulletin du Centre d’histoire de la France contemporaine67.
27À Paris I, à la même époque, Jean Bouvier, en histoire économique, entame un dialogue avec les hauts fonctionnaires sur les politiques économiques menées par les pouvoirs publics en France dans l’après-guerre68, et contribue à reconsidérer le rôle des acteurs individuels dans cette discipline jusque-là marquée par le quantitatif et les analyses macro-économiques69. Le centre de recherche en histoire économique de Paris I se met lui aussi à inviter les principaux acteurs économiques de l’après-guerre. Dans la filiation de l’action de Jean Bouvier, Michel Margairaz, qui, dans le cadre de sa thèse sur le rôle de l’État entre 1932 et 195270, entretient un dialogue privilégié avec des hauts fonctionnaires tels que François Bloch-Laîné ou Gaston Cusin, organise en 1988 le colloque Pierre Mendès France et l’économie et invite « comme il est de règle pour toute étude sur le temps présent de nombreux acteurs, témoins et proches de Pierre Mendès France » (introduction).
28Le Centre Pierre-Renouvin en histoire des relations internationales, que nous agrégeons par extension au pôle de l’histoire politique, sous l’impulsion de René Girault, à partir de 1985-86, grâce à un financement des Communautés européennes, emboîte le pas à Nanterre et commence une série d’entretiens avec des acteurs de la construction européenne, suivant en cela les traces de la Fondation Jean-Monnet à Lausanne : René Pléven, Jean Laloy, Guillaume Guindey, Eugène Claudius-Petit, François Valéry, Pierre Uri, Claude Tixier, Christian Pineau, Maurice Faure, Maurice Schumann sont ainsi interviewés par des chercheurs spécialistes de cette histoire européenne comme Antoine Marès ou Gérard Bossuat. Les enregistrements sont transcrits, parfois publiés dans le Bulletin du Centre Pierre-Renouvin71, et théoriquement déposés aux Archives nationales. En partenariat avec d’autres centres de recherche, des tables rondes sont organisées, sur un modèle désormais parfaitement rôdé, instaurant la confrontation entre historiens et anciens acteurs sur des thèmes particuliers (par exemple sur la SFIO ou le MRP face à la construction européenne72).
29La création en 1984 d’une revue spécialisée sur le xxe siècle et consacrée à l’exploration du contemporain, Vingtième siècle. Revue d’histoire, vient apporter de la visibilité à cette histoire du temps présent et réunit historiens, politologues et sociologues dans un même projet : « prendre en charge l’identité du présent »73. Les articles publiés dans la revue font une place non négligeable aux études appuyées sur des témoignages d’acteurs ou de décideurs.
30Dans le même temps, l’histoire du temps présent bénéficie, de façon concomitante à sa naissance officielle, de la libéralisation - relative - de l’accès aux archives grâce au vote de la loi du 3 janvier 1979 sur les archives, qui définit un délai de réserve trentenaire pour les archives publiques (au lieu du délai de 50 ans), ce qui permet aux historiens d’aborder la fin de la IIIe République, Vichy et la IVe République. Néanmoins, en dépit d’avancées certaines, de nombreuses catégories de documents restent assorties de restrictions importantes : les documents concernant les affaires monétaires et internationales (60 ans de réserve), les dossiers intéressant la sécurité intérieure et extérieure de l’État (60 ans), les dossiers de personnels (120 ans à partir de la date de naissance de l’individu)... Le maintien de ces restrictions, alors même que la demande sociale augmente en histoire très contemporaine, contribue de façon directe à développer le recours aux témoignages oraux, conçu comme un palliatif à l’inaccessibilité des archives administratives et publiques.
31A partir du milieu des années quatre-vingt, « l’histoire orale vue d’en haut » commence à se répandre partout : il n’existe plus un colloque d’histoire politique qui ne fasse appel aux témoins et aux anciens acteurs, plus une biographie d’un homme politique du xxe siècle qui n’utilise les témoignages de ses collaborateurs ou de ses proches74, jusqu’aux thèses de doctorat en histoire qui commencent à admettre timidement dans leur liste de sources quelques entretiens75. Mais, sauf exceptions76, on constate que les indications matérielles et méthodologiques restent bien souvent allu-sives, que les témoignages ne font pas l’objet d’une véritable présentation ni d’une réelle évaluation critique, quant ils ne sont pas passés tout bonnement sous silence. Cette pratique est courante non seulement en France, mais aussi aux États-Unis, pourtant terre native de l’histoire orale. Ainsi par exemple, Robert Paxton raconte comment il a rencontré une trentaine d’officiers supérieurs français dans le cadre de sa thèse sur Les officiers français sous le Maréchal Pétain (Princeton, 1966) et il « confesse » ne pas en avoir fait un usage totalement rigoureux en termes archivistiques et scientifiques : « Assez souvent dans mon ouvrage, je signale que tel ou tel développement est fondé sur des interviews, sans préciser de qui il s’agit. À la réflexion, j’aurais pu citer plus de noms. Je ne les ai pas enregistrés, mais j’ai pris des notes et ils m’ont vu en prendre, donc ils acceptaient que leur témoignage serve pour l’histoire »77. En réalité, à ses débuts, l’histoire orale politique subit une forte influence des sciences politiques et de la sociologie, qui toutes deux n’accordent qu’une importance négligeable au document en tant que tel et cherchent surtout à faire parler les témoins, en maniant de manière extensive Parme tactique de l’anonymat. Le problème est qu’en adoptant ces pratiques allégées venues des sciences politiques, l’histoire orale politique a parfois omis d’accomplir le travail de critique documentaire exigé traditionnellement, prêtant ainsi le flanc aux attaques anti-témoignages oraux de la part des historiens rigoristes.
32En réalité, dans cette période, on ne peut pas encore véritablement dire que la source orale est considérée en elle-même et pour elle-même ; sauf exception, les interviews d’histoire orale sont « appliquées » à des travaux en cours, parfois confrontées à des travaux déjà achevés, « questionnées » selon des problématiques définies à partir d’archives écrites et le plus souvent destinées à être exploitées immédiatement ; les résultats des entretiens sont, soit rendus « publics » sur le champ lorsqu’il s’agit de colloques ou de témoignages devant un jury d’historiens ou dans les Bulletins de centres de recherche, soit conservés par devers eux par les chercheurs en cours de recherche ou de thèse. Utilisée souvent en contrebas, en contrepoint ou en parallèle des dépouillements d’archives, la source orale a au mieux un statut « compréhensif » : « cela m’a servi à comprendre », « ça m’a fait comprendre telle ou telle chose » ! Combien de fois n’avons-nous pas entendu cet axiome appliqué aux témoignages oraux de la part d’historiens en visite au Comité pour l’histoire économique et financière. Sollicitée ensuite lors de l’écriture, la source orale sert surtout à « donner de la chair » aux archives et vient en illustration, ponctuant de citations enjouées, graves ou dramatisées un texte par ailleurs bardé de références et de cotes archivistiques.
33Avec l’histoire orale politique, on assiste progressivement à la construction d’une « histoire orale vue d’en haut », que l’on pourrait assimiler, au vu de son inspiration, au pôle anglo-saxon columbien, mais qui n’en a ni les objectifs archivistiques ni les méthodes patrimoniales ; l’IHTP n’a pour sa part quasiment jamais créé de grandes collections d’archives orales thématiques, du moins officiellement et institutionnellement, ce qui ne laisse pas d’étonner ses interlocuteurs étrangers qui demandent immanquablement où sont les séries d’histoire orale de l’Institut.
34Quoiqu’il en soit, cette histoire orale « vue d’en haut », qui s’intéresse prioritairement aux élites politiques et administratives, représente un deuxième courant d’histoire orale, très dynamique, qui s’enrichit des apports et des méthodes des sciences politiques, et qui se développe parallèlement au premier courant d’histoire orale « vue d’en bas » décrit précédemment. Ce courant est plus traditionnel à la fois dans ses objets et dans ses méthodes que le premier, il ne consacre pas la source orale comme source unique d’une histoire alternative mais impose le dialogue et la confrontation entre les souvenirs des acteurs et les sources écrites. Cette histoire orale met en exergue la figure du témoin historique, la figure de celui qui a vu ou entendu, la figure antique du témoin oculaire, la figure de celui qui a participé à un événement historique, dont on attend qu’il témoigne au sens quasi judiciaire du terme, c’est-à-dire qu’il livre des faits et qu’il atteste de leur réalité et de leur vérité : en ce sens, il est un témoin-informateur, et ce statut reste dans les limites traditionnelles du témoin « digne de foi » de Thucydide, Polybe ou Ammien Marcellin. Cette figure du témoin est aussi la figure modernisée et oralisée du mémorialiste, qui depuis Saint-Simon, Las Cases ou plus anciennement encore Joinville, raconte la vie et les actions des « grands » de ce monde.
35Mais en participant aux tables rondes, aux séminaires ou aux colloques auxquels la communauté scientifique l’invite, le témoin accède à un autre statut que celui de simple informateur : invité à prendre connaissance des analyses des historiens, à les commenter, à les éclairer, à réagir par rapport aux résultats de la recherche, il se voit reconnaître implicitement par l’historien, qui lui « soumet » certaines de ses hypothèses, la possibilité de les confirmer ou de les infléchir ; par là même, le témoin conquiert un rôle actif dans le processus de connaissance historique et sa présence interactive ne manque pas d’introduire le risque d’une « mise sous surveillance » de l’histoire et des historiens78. Cette situation est une des marques distinctives de l’histoire du temps présent, qui non seulement a constitué les contemporains en sources d’information mais s’écrit sous leur regard et parfois même sous leur contrainte. Les choses se complexifient encore, lorsque, de témoin-source ou de témoin-interlocuteur, le témoin se voit octroyer ou bien s’approprie avec habileté ou par le simple poids moral de sa stature publique, le rôle de témoin-garantie, lorsqu’il vient attester de la validité des résultats de la recherche et des conclusions de l’historien, le comble de ce processus étant probablement atteint lorsqu’il participe aux jurys de thèse de doctorat.
36Cette tension qui existe entre la volonté de donner aux témoins la parole parce qu’ils sont crédités d’une connaissance et d’une expérience de l’histoire précieuses pour l’historien et le fait d’éviter la mise sous tutelle de l’histoire (institutionnelle soit individuelle) est l’une des grandes difficultés de cette histoire du temps présent, l’un de ces grands défis et l’un de ses plus grands intérêts.
Notes de bas de page
4 Pour cette introduction sur le nouveau contexte intellectuel des années quatre-vingt, nous nous contentons de résumer ce que d’autres ont déjà synthétisé : M. Pollak, « Historicisation des sciences sociales et sollicitation sociale de l’histoire », Bulletin de l’IHTP, n° 13, 1983 ; H. Rousso, « L’histoire appliquée ou les historiens thaumaturges », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 1, 1984, p. 105-121 ; D. Pechanski, M. Pollak et H. Rousso, « Le temps présent, une démarche historienne, à l’épreuve des sciences sociales », in Les Cahiers de l’IHTP, n° 18, juin 1991, Histoire politique et sciences sociales, p. 10 ; R. Frank (dir.), Écrire l’histoire du temps présent, Paris, CNRS, 1993, en particulier la contribution de M. Pollak, « L’historien et ses concurrents : le tournant épistémologique des années soixante aux années quatre-vingt », celle d’A. Touraine « Sociologie et histoire du temps présent » et celle d’E. Hobsbawm, « Un historien et son temps présent » ; F. Bedarida (dir.), L’histoire et le métier d’historien en France 1945-1995, MSH, 1995 ; G. Noiriel, Sur la « crise » de l’histoire, Belin, 1996 ; C. Delacroix, F. Dosse, P. Garcia, Les courants historiques en France, A. Colin, 1999, p. 261-272. Pour la contestation du modèle historique national, on pourra se reporter à S. Citron, Le mythe national. L’histoire de France en question, Paris, Éditions Ouvrières, 1987 et L’histoire de France autrement, 1992 ou à A. Thomasset, Projet. n° 248, déc. 1996, p. 79-85
5 Ce mouvement est illustré par des succès de librairie ou médiatiques tels que L’identité de la France de F. Braudel (1986) ou Les Lieux de mémoire de P. Nora (1984-1992), rééd. Gallimard 1997. Ces problématiques identitaires et constructivistes se retrouvent aussi en histoire médiévale et dans les études d’histoire savante, cf. C. Beaune, Naissance de la nation France, Paris, Gallimard 1985.
6 E. Morin, « Changement de paradigme en sciences sociales » in Les idées en France 1945-1988. Une chronologie, 1989. Pour les conséquences que cela a pu avoir en histoire, voir « Histoire et sciences sociales. Un tournant critique ? », Annales ESC, n° 2, mars-avril 1988 et « Histoire et sciences sociales : tentons l’expérience », Annales ESC, n° 6, nov.-déc. 1989.
7 En linguistique structurale, on appelle paradigme « un ensemble de discours organisés autour d’un principe fédérateur » mais on peut retenir une définition plus large, à savoir « l’ensemble des croyances, des valeurs et des techniques communes aux membres du groupe considéré », appelée « matrice disciplinaire » et qui inclut aussi la communauté professionnelle qui « a présidé à sa création et à sa perpétuation » (Sur la « crise » de l’histoire, G. Noiriel, Belin, 1996, p. 48).
8 L. Stone, « Retour au récit ou réflexions sur une nouvelle vieille histoire », Le Débat, n° 4, 1980.
9 Dans Temps et récit, Paul Ricœur montre que l’histoire, même sérielle et quantitative, est construite selon des formes qui s’apparentent au récit.
10 Sur cette tension épistémologique qui préoccupe les historiens français, R. Chartier, Au bord de la falaise, l’histoire entre certitudes et inquiétudes, Paris, Albin Michel, 1998. Le débat s’est en effet radicalisé avec l’importation des problématiques liées au « linguistic turn » qui s’est produit aux États-Unis dans les années soixante-dix, sous l’impulsion d’H. White, selon lequel toute réalité sociale, passée ou présente, se réduit à des constructions discursives et à des jeux de langage (cf. l’influence forte de M. Foucault aux États-Unis), ce qui réduirait à néant la prétention à la vérité de l’histoire.
11 C. Ginzburg, « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat, n° 6, 1980, repris dans Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989.
12 J. Revel, Jeux d’échelles, la micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard-Éd. du Seuil, 1996.
13 C. Ginzburg, Le fromage et les vers : l’univers d’un meunier du xve siècle, Paris, Aubier, 1993.
14 P. Ricœur, Temps et récit, Paris, Éd. du Seuil, 1983-1985, 1991. Ses travaux sont particulièrement reçus et retravaillés par les historiens du temps présent, notamment par les chercheurs proches de l’IHTP, à partir du début des années quatre-vingt-dix.
15 D. Peschanski, M. Pollak, H. Rousso, « Le temps présent, une démarche historienne à l’épreuve des sciences sociales », in Les Cahiers de l’IHTP, n° 18, juin 1991, p. 19.
16 N. Elias, Qu’est ce que la sociologie ?, 1981 ; et, surtout, La société des individus, 1987, trad. Fayard, 1991, préface de R. Charrier.
17 On a vu que la biographie historique n’a jamais connu véritablement d’éclipse et les historiens des Annales finissent par y succomber à leur tour : G. Duby et Guillaume Le Maréchal, J. Le Goff et son Saint-Louis. Voir aussi l’article justificatif de G. Levi, « Les usages de la biographie », Annales ESC, n° 6, 1989, p. 1 325-1 336). En histoire contemporaine, J.-N. Jeanneney écrit, dès 1979, un article intitulé « Vive la biographie » et P. Levillain, en 1988, redonne aux « protagonistes » la place qui leur est due (« Les protagonistes : de la biographie », in Pour une histoire politique, R. Rémond (dir.), 1988, p. 121-159. Du côté de l’histoire immédiate, les journalistes restent fidèles à leur spécialité, la biographie des grands hommes contemporains. Voir R. Rieffel, « Les historiens, l’édition et les médias », in F. Bédarida (dir.), L’histoire et le métier d’historien en France 1945-1995, Paris, Éd. de la MSH, 1995, p. 57-73.
18 B. Lepetit (dir.), Les formes de l’expérience, Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995. Voir aussi R. Charrier, « Le monde comme représentation », Annales ESC, nov.-déc. 1989, p. 1 505-1 520 : l’historien doit se pencher sur les sociétés en « pénétrant l’écheveau des relations et des tensions qui les constituent à partir d’un point d’entrée particulier (un événement obscur ou majeur, le récit d’une vie, un réseau de pratiques spécifiques) et en considérant qu’il n’est pas de pratique ni de structure qui ne soit produite par les représentations, contradictoires et affrontées, par lesquelles les individus et les groupes donnent sens au monde qui est le leur » (p. 1 508).
19 E. Friedberg et M. Crozier, L’acteur et le système, Paris, Éd. du Seuil, 1977.
20 « Le principe de l’individualisme méthodologique énonce que pour expliquer un phénomène social quelconque [...], il est indispensable de reconstruire les motivations des individus concernés par le phénomène en question et d’appréhender ce phénomène comme le résultat de l’agrégation de comportements individuels dictés par ces motivations », cité par M. Grawitz, Méthodes des sciences sociales, 10e édition, Paris, Dalloz, 1996, p. 139 (souligné par nous).
21 R. Rémond (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Éd. du Seuil, 1988, 1996 ; « Le retour du politique », in A. Chauveau et Ph. Têtard (dir.), Questions à l’histoire des temps présents, Bruxelles, Complexe, 1992 ; « L’histoire contemporaine », in F. Bedarida (dir.), L’histoire et le métier d’historien 1945-1995, Éd. MSH, 1995.
22 J.-F. Sirinelli, « L’histoire politique », in F. Bedarida (dir.), L’histoire et le métier d’historien en France 1945-1995, Paris, MSH, 1995.
23 Mais un événement « sursignifié » pour reprendre l’expression de Paul Ricœur, c’est-à-dire sur-saturé de sens à la fois individuel et collectif.
24 J-F. Sirinelli, « Pour une histoire culturelle du politique », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 57, janv.-mars 1998.
25 Nous empruntons ce terme au titre du livre d’AJ. Wieviorka, L’ère du témoin, Paris, Plon, 1998.
26 Son domaine de recherche couvre également l’histoire de l’Europe (nazisme et fascisme) ainsi que l’histoire économique de la France dans la même période, notamment par le biais de l’histoire d’entreprise et des politiques publiques.
27 L’IHTP n’est pas l’équivalent du département d’histoire orale de Columbia.
28 O. Merlat, « La Commission d’histoire de l’occupation et de la libération de la France », Revue historique, t. 197, 1947, p. 70-78.
29 H. Michel, « Le Comité pour l’histoire de la Seconde Guerre mondiale », Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale, n° 124, octobre 1981, p. 1-17.
30 Ces documents sont archivés aux Archives nationales dans la sous-série 72 AJ.
31 D. Peschanski, plus de 50 ans après, estime que les matériaux collectés sont pauvres et peu utilisables par les historiens. Intervention au colloque « Histoire de la recherche collective en sciences sociales au xxe siècle », Paris, EHESS, 4-6 nov. 1999, à paraître.
32 En 1975, A. Sauvy, en 1977, F. Bloch-Laîné et G. Cusin, en 1978, P. Mendès France, en 1980, F. Netter, etc.
33 H. Rousso et E. Conan, Vichy un passé qui ne passe pas, Fayard 1994.
34 R. Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, Éd. du Seuil, 1973.
35 M. Trebitsch, in F. Bédarida (dir.), Écrire l’histoire du temps présent, CNRS-Éditions, Paris, 1993, p. 70.
36 D. Peschanski, M. Pollak, H. Rousso, « Le temps présent, une démarche historienne à l’épreuve des sciences sociales », Les Cahiers de l’IHTP, n° 18, juin 1991, Histoire politique et sciences sociales, p. 9-24.
37 Ibidem, p. 10.
38 J.-P. Azéma, article « Temps présent » in A. Burguière (dir.), Dictionnaire des sciences historiques, Paris, 1986. D. Voldman, « La place des mots, le poids des témoins », in R. Frank (dit), Écrire l’histoire du temps présent, CNRS, Paris, 1993.
39 À la FNSP, on travaille aussi avec les témoins et l’on recueille de nombreux témoignages oraux. La science politique, science sociale récente, emprunte à la sociologie sa pratique de l’entretien. Voir à ce sujet la Journée d’étude de la FNSP en 1977 sur le témoignage et, dix ans plus tard celle de 1996 sur l’interview des élites dirigeantes. Pour résumer, soulignons qu’en sciences politiques, les entretiens ne sont pas systématiquement enregistrés et que le traitement des informations reste la plupart du temps anonyme (voir les travaux de P. Birbaum, E. Suleiman, M-C. Kessler, J.-F. Kesler, etc.).
40 M. Ferro, L’Histoire sous surveillance, Paris, Calmann-Lévy, Paris, 1985.
41 Ainsi « la matrice » de notre temps est-elle la Seconde Guerre mondiale, la première guerre mondiale ou la Révolution russe de 1917 ?
42 Cf. le numéro spécial des Cahiers de l’IHTP, n° 18, 1991, consacré à « l’histoire politique et aux sciences sociales » et les séminaires interdisciplinaires organisés à l’IHTP, entre 1988 et 1990 avec des chercheurs de différentes disciplines sur « les relations entre l’État et la société civile au xxe siècle » et sur « l’histoire politique : institutions, cultures, représentations ». Ce séminaire de l’IHTP recoupe largement les débats intellectuels entre disciplines qui connaissent un véritable regain au tournant des années quatre-vingt-dix : les Annales s’interrogent à deux reprises sur les rapports entre l’histoire et les sciences sociales (Annales ESC, n° 2 mars-avril 1988 et n° 6, nov.-déc. 1989) ; la revue Genèses consacre son premier numéro à ce problème (n° 1, 1990), tandis que les sciences politiques s’interrogent sur les liaisons dangereuses entre science politique, histoire et sociologie (Politix, n° 6, 1989) et que les sociologues interrogent l’histoire (Sociétés contemporaines, n° 1, 1990).
43 Sur la structuration historique et historiographique de cette histoire du temps présent, D. Peschanski, M. Pollak, H. Rousso, Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles, Complexe, 1991 ; A. Chauveau et P. Têtart, Questions à l’histoire des temps présents, Bruxelles, Complexe, 1992 ; R. Frank (dir.), Écrire l’histoire du temps présent, Paris, CNRS Éditions, 1993 ; F. Bédarida (dir.), L’histoire et le métier d’historien en France, 1945-1995, Paris, MSH, 1995 ; J.-M. Bizière et P. Vayssière, Histoire et historiens, Paris, Hachette, 1995 ; G. Noiriel, Qu’est-ce que l’histoire contemporaine ?, Paris, Hachette, 1998 ; F. Dosse et alii, Les courants historiques en France, 19e-20e siècle, Paris, A. Colin, 1999 ; le Bulletin de l’IHTP, n° 75, juin 2000 consacré à un mini-bilan de l’histoire du temps présent en France.
44 J.-P. Azéma, « La seconde guerre mondiale matrice du temps présent », in R. Frank (dir.), Écrire l’histoire du temps présent, Paris, CNRS Éditions, 1993, p. 147-152.
45 Cf. Les Cahiers de l’IHTP, n° 1 et 2, 1980, n° 3, 1982, n° 4, 1987, n° 21, 1992.
46 « Histoire orale, histoire de femmes », supplément Bulletin de l’IHTP, n° 3, 1982, table ronde du 16 octobre 1981 ; voir aussi M. Perrot (dir.), Une histoire des femmes est-elle possible ?, Marseille, Rivages, 1983.
47 J.-P. Rioux, « La mémoire collective en France depuis 1945 : propos d’étape sur l’activité d’un groupe de travail », Bulletin de l’IHTP, n° 6, déc. 1981, p. 29-34. M. Halbwachs, La mémoire collective, Paris, PUF 1950, 1968 et Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Alcan, 1925, PUF, 1952, Mouton, 1976 et G. Namer, Mémoire et société, Klincsieck, Paris, 1987.
48 Correspondant français de l’Association internationale d’histoire orale, l’IHTP suit avec attention les congrès internationaux d’histoire orale : l’essor et l’institutionnalisation d’une histoire orale européenne sont visibles dès le troisième colloque international d’Amsterdam en 1980 avec la participation de 23 pays et 300 participants (le premier a eu lieu en 1976 à Bologne et le deuxième en 1978 en Angleterre à Colchester) ; en 1982, le IVe Colloque international d’histoire orale se déroule à Aix-en-Provence au CREHOP (cf. le rôle de P. Joutard et de l’IHTP), il donne lieu à de nombreuses contributions méthodologiques, notamment françaises, met l’accent sur l’histoire sociale versant « dominés » et voit émerger le thème de la mémoire ; en 1985, à Barcelone, le thème du Ve Colloque porte sur « Pouvoir et société » ; en parallèle, le colloque d’Aoste en 1986, « Croire la mémoire, Approches critiques de la mémoire orale », consacre ce nouvel objet d’histoire qu’est la mémoire ; en 1987, le VIe Colloque international d’histoire orale à Oxford reprend ce sujet sous une autre version, « Mythe et histoire » avec douze ateliers interdisciplinaires ; en 1990, à Essen, c’est l’expansion géographique de l’histoire orale en Afrique, en Amérique latine, et surtout en Europe de l’Est après la chute du Mur qui retient l’attention du VIP colloque international.
49 D. Veillon, « La seconde guerre mondiale à travers les sources orales », Les Cahiers de l’IHTP, n° 4, 1987, p. 53-70 ; pour la région Normandie, D. Veillon et E. Fouilloux, Normandie 1944. Du débarquement à la Libération, Paris, Albin Michel, 1987 (une trentaine de témoignages d’habitants de Caen ont été collectés et analysés sur le débarquement allié). D’autres équipes de recherche régionales travaillent sur la mémoire de la seconde guerre mondiale, notamment le groupe MEMOR à Lille, sous la direction de J.-P. Thuillier et d’E. Dejonghe : ces derniers soulignent la superposition des mémoires de la guerre de 1914-1918 et même de celle de 1870 pour les habitants du Nord et de l’Est.
50 D. Veillon, Le Franc-Tireur, un journal clandestin, un mouvement de résistance, 1949-1941, Paris, Flammarion, 1976.
51 Sur la mémoire du général de Gaulle, de l’appel du 18 juin, de Jean Moulin et de l’entrée en Résistance, D. Veillon, « La seconde guerre mondiale à travers les sources orales », Les Cahiers de l’IHTP, n° 4, 1987, p. 55-57.
52 Dans le cadre de la préparation du colloque de 1984, 70 témoins sont interviewés, mais les entretiens ont été peu utilisés, du moins de façon formelle et explicite dans les communications écrites ; c’est encore la période de l’utilisation implicite et compréhensive de la source orale. F. Bedarida et J.-P. Rioux (dir.), Pierre Mendès France et le mendésisme, Paris, Fayard 1985.
53 « Questions à l’histoire orale », Les Cahiers de l’IHTP n° 4, 1987, table ronde du 20 juin 1986, avant-propos de J.-P. Rioux, p. 5-7.
54 D. Veillon, « La vérité sur le STO », L’Histoire, n° 80, juin 1985 ; G. Herberich-Marx et F. Raphaël, « Les incorporés de force alsaciens. Déni, convocation et provocation de la mémoire », Vingtième siècle. Revue d’histoire, avril-juin 1985.
55 Nous empruntons cette expression à A. Wieviorka, L’ère du témoin, Paris, Plon, 1998.
56 Celui de 1981 consacré à la modernisation de la France entre 1944 et 1952, qui fait lui aussi appel à des témoins et des anciens acteurs amorce la conversion des historiens économistes.
57 Au début des années soixante, Raoul Girardet introduit Robert Paxton, qui prépare sa thèse sur l’armée sous Vichy, auprès d’un certain nombre d’officiers supérieurs. Cf. l’entretien de R. Paxton accordé à Claude d’Abzac-Epezy du SHAA, Revue historique des Armées, n° 2, 2000, p. 109-117. Raoul Girardet est cité par Dominique Schnapper dans son Rapport sur les archives orales de la Sécurité sociale, comme l’un des précurseurs de l’histoire orale politique. Il dirige par exemple une enquête d’histoire orale sur les étudiants des années Trente (voir bibliographie).
58 G. Elgey, Histoire de la IVe République, quatre tomes, Paris, Fayard 1992-1997. L’historienne a parfois bien voulu laisser consulter les transcriptions des entretiens qu’elle avait réalisées dans les années soixante à de jeunes doctorants des années quatre-vingt, déclenchant ainsi chez certains une conversion à l’histoire orale (cf. le témoignage en ce sens de G. Bossuat aux Journées de l’École nationale du Patrimoine, les 22-24 septembre 2000, actes à paraître). L’intérêt de Georgette Elgey pour les témoignages oraux est ancien : elle a travaillé avec Robert Aron dès les années cinquante pour son histoire de Vichy et a réalisé dès cette époque un certain nombre d’entretiens auprès d’anciens acteurs de cette époque.
59 O. Rudelle, « Archives orales, archives écrites. L’exemple de l’histoire politique », Actes du Ive Colloque international d’histoire orale, Aix-en-Provence, 1982, p. 25-38.
60 Doit-on y voir directement une inspiration anglo-saxonne et la trace du département d’histoire orale de l’université de Columbia ?
61 Isabelle Bertaux-Wiame y présente ses travaux sur les récits de vie de boulangers et Dominique Schnapper responsable à l’époque de la campagne d’archives orales du Comité d’histoire de la Sécurité sociale y participe également.
62 C’est là que l’on s’aperçoit que la pratique du magnétophone ne fait pas encore l’unanimité, loin de là.
63 Assez méchamment, Pieter Lagrou qualifie cette histoire orale d’« histoire mondaine », in Bulletin de l’IHTP, n° 75, juin 2000.
64 Actes à paraître en février 2001 chez Perrin.
65 Soulignons le rôle que G. Elgey a joué dans la mise en lumière de l’intérêt des témoignages oraux, depuis les années soixante jusqu’à la saisine du Conseil Économique et Social en 2000 par Lionel Jospin sur cette question (voir la Postface).
66 « Notre technique d’interview mérite une explication supplémentaire : en adressant à l’avance au « témoin » des questions précises, nous lui donnons la possibilité de réfléchir et de préparer ses réponses ; en le confrontant en même temps avec plusieurs historiens spécialistes, nous l’obligeons à « subir » un tir croisé qui permet, le cas échéant, de mieux cerner tel problème. » R. Girault, Bulletin du Centre d’histoire de la France contemporaine, n° 1, 1981, Paris X-Nanterre. C’est ainsi que R. Pléven, interviewé le 21 janvier 1980, essuie « le tir croisé » d’un aréopage d’historiens, R. Rémond R. Frank, R. Girault, Ph. Vigier, J. Prévotat, S. Berstein, J.-J. Becker, P. Mélandri, Ch.-R. Ageron... (Bulletin, n° 1, 1980, p. 14-37).
67 Par exemple, l’entretien d’E. Monick en 1979 (Bulletin n° 2, 1981, p. 3-67) ou celui de G. Guindey en 1980 (entretien publié dans Bulletin, n° 3, 1982, p. 49-76).
68 J. Bouvier et F. Bloch-Laîné, La France restaurée, 1944-1954. Dialogue sur le choix d’une modernisation, Paris, Fayard 1986.
69 Jean Bouvier s’exprime ainsi dans l’un de ses derniers textes historiographiques : « Il n’y a pas d’économie pure, autonome, à seuls mécanismes et logiques économiques, s’expliquant par de seules régulations matérielles et monétaires internes à une « sphère » ou un domaine qui serait l’économie seule, tout le reste étant proclamé "exogène". Tout le reste, c’est-à-dire le social, le politique et le mental ». Et de conclure, « pour l’historien, rien n’est exogène », J. Bouvier, Post-scriptum, « À propos de l’histoire dite « économique », in Le capitalisme français, xixe-xxe siècles. Blocages et dynamismes d’une croissance, Paris, Fayard 1987, p. 400.
70 M. Margairaz, L’État, les finances et l’économie. Histoire d’une conversion, 1932-1952, Paris, CHEFF, 1991.
71 Par exemple, « Pierre Uri a la parole », entretien avec A. Mares et G. Bossuat, 25 nov. 1985 et automne 1988, Bulletin de l’Institut Pierre-Renouvin, p. 75-100 ; G. Guindey (Travaux et recherches, Institut Pierre-Renouvin, Paris, n° 1, 1986).
72 Voir Bulletin du Centre Guy-Mollet, « Les socialistes et l’Europe », « Table ronde avec Émile Noël, Témoignages, Documents », n° 16, juin 1990. Pour le colloque « Le MRP et la construction européenne, 1944-1966 », les choses se complexifient avec la combinaison de plusieurs méthodes : un questionnaire écrit standardisé est envoyé aux militants (64 réponses) et une quinzaine d’entretiens approfondis sont menés auprès des dirigeants ou des personnalités les plus marquantes.
73 Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 1, 1984.
74 S. Guillaume, Antoine Pinay ou la confiance en politique, PFNSP, Paris, 1984 (thèse soutenue à Bordeaux en 1981).
75 G. Bossuat pour sa thèse sur l’Aide américaine et la construction européenne, 1944-1964 raconte comment il en est venu, à son tour, à faire des entretiens avec d’anciens acteurs de la construction européenne, stimulé par l’exemple de G. Elgey (il a pu lire certaines des transcriptions de ses interviews), et par celui d’un historien américain qui avait fait une série d’entretiens sur la CED. Intervention aux Journées d’étude de l’École nationale du Patrimoine à La Rochelle, les 22-24 septembre 1999.
76 L. Bertrand-Dorléac, Histoire de l’art, Paris, 1940-1944 : ordre national, traditions et modernité, Paris, 1986. (17 récits de témoins transcrits et publiés à la fin de l’ouvrage).
77 Entretien de R. Paxton avec Claude Epezy-d’Abzac, « À la recherche des officiers de 1940 », Revue historique des Armées, n° 2, 2000, p. 109-117. De l’intérêt de passer du concept d’histoire orale à celui d’archives orales !
78 D’après l’expression de M. Ferro, L’Histoire sous surveillance, Calmann-Lévy, Paris, 1985. De ce point de vue, les archives orales représentent un risque moindre car construites de façon bilatérale dans la confidentialité d’un duo sans public, mises au « secret » pendant quelque temps et destinées à un historien du futur tiers, elles échappent en grande partie à cette surveillance et à cette contrainte.
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