La contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre en action en Isère et en Ille-et-Vilaine
p. 249-264
Texte intégral
1La contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre introduite par la loi du 1er juillet 1916 vise moins à remplir les caisses de l’État qu’à rétablir une certaine équité entre ceux qui versent l’impôt de sang et ceux que la guerre enrichit1. Grevant les bénéfices industriels et commerciaux acquis entre 1914 et 1920, elle atténue le mécontentement de l’opinion contre les profiteurs de guerre2.
2Des commissions administratives départementales, dites « commissions départementales de premier degré des bénéfices de guerre », définissent le montant de la contribution, tandis que le contrôle des déclarations et l’envoi des feuilles d’imposition relèvent des services départementaux des Contributions directes3. Les contentieux sont examinés par une commission supérieure des bénéfices de guerre siégeant au ministère des Finances à Paris4. L’ultime recours, limité aux cas d’abus de pouvoir ou de vice de forme, conduit au Conseil d’État.
3La contribution extraordinaire innove dans un moment difficile : le principe déclaratif n’a jamais été appliqué en France, la plupart des contribuables ne tiennent aucune comptabilité et une grande partie des assujettis et des agents des services fiscaux est mobilisée. L’information passe mal, beaucoup ne se sentent pas concernés et omettent de faire leur déclaration. Enquêtes et contrôles se multiplient à partir de 1920-1921 et jusqu’en 1925, date limite de la déclaration5. Les contentieux entre le fisc et les assujettis se prolongent pendant tout l’entre-deux-guerres, certains continuant même sous Vichy.
4L’examen des déclarations de bénéfices de guerre et celui des rapports et de la correspondance qu’elles occasionnent offrent des renseignements inédits sur la situation économique des contribuables et de l’arrière pendant la guerre6. Conservés dans quelques départements, ces dossiers permettent de comparer deux zones éloignées du front qui contribuent différemment à l’effort de guerre : l’Ille-et-Vilaine, plus rurale et agricole, et l’Isère, plus industrialisée7. Même s’ils ne reflètent qu’imparfaitement la situation, le défaut de déclaration et les pertes étant vraisemblablement importants, les dossiers conservés par les archives de ces deux départements montrent comment les contribuables s’habituent à déclarer leurs bénéfices, qu’ils s’enrichissent ou qu’ils peinent à survivre.
I. Les dossiers des bénéfices de guerre
5Les déclarations de bénéfice de guerre et les documents qui les accompagnent (rapports des contrôleurs, lettres des contribuables, statuts des sociétés ou dossiers comptables, pour l’essentiel) précisent comment les populations de l’arrière s’adaptent à l’absence des hommes mobilisés. Ils montrent aussi comment est introduit le premier impôt français sur le bénéfice.
A. Fonctionnement
6Alors que le prélèvement et le contrôle de la patente étaient simples, reposant sur le volume des affaires et sur des signes extérieurs difficiles à contester, celui de la contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre est complexe. Il s’appuie sur la déclaration personnelle du contribuable et sur le contrôle systématique de la déclaration avant l’envoi des rôles8. La première déclaration, visant les bénéfices acquis entre le 1er août 1914 et le 31 décembre 1915, est à rendre pour le 30 novembre 1916. Elle concerne des assujettis qui, pour la plupart, n’ont jamais calculé leur bénéfice et ne tiennent aucune comptabilité régulière. La seconde déclaration est attendue pour mars 1917. Elle porte sur les revenus de l’année 1916. La cinquième et dernière période d’imposition est arrêtée au 30 juin 1920. Ces déclarations sont souvent difficiles à établir. Elles supposent que les assujettis calculent chaque année leur bénéfice « extraordinaire », qui correspond à la différence entre le bénéfice obtenu, ou « bénéfice net », et le « bénéfice normal », qui est celui d’avant-guerre. Plusieurs options sont offertes pour évaluer le « bénéfice normal » : faire la moyenne des bénéfices des trois années d’avant-guerre, retenir 6 % des capitaux engagés, ou bien trente fois le principal de la patente. Les assujettis sont taxés si leur bénéfice « extraordinaire » est supérieur à 5 000 francs, puis à 3 000 francs après mai 1917. Initialement fixé à 50 %, le taux d’imposition augmente fortement à partir de la loi du 31 décembre 1916, qui introduit la progressivité de l’impôt9. De fortes majorations sont prévues en cas de retard ou d’absence de déclaration10.
7Les procédures d’appel sont complexes, comme en témoignent les dossiers de la commission supérieure des bénéfices de guerre conservés au CAEF et classés par département et par commune11. Ces appels concernent les affaires les plus importantes ; 80 viennent de l’Isère et 26 d’Ille-et-Vilaine, le second département paraissant ainsi moins contestataire. Pour renvoyer une image plus précise des départements dans la guerre, cette documentation peut être complétée par les rapports de la Banque de France ou par les dossiers de faillite des tribunaux de commerce conservés par les archives départementales. Nous nous contenterons des dossiers des bénéfices de guerre en attendant des études plus approfondies.
B. Enseignements
8Ces dossiers éclairent les réactions à la disparition brutale de certaines activités, aux restrictions de matières premières, puis à la pénurie, à l’augmentation des commandes militaires et, à partir de novembre 1918, au retour de la paix. Ils soulignent la diversité des expériences de l’arrière pendant la guerre. On y voit la brutalité de la mobilisation, qui arrache les hommes valides à leurs activités quotidiennes, les difficultés de ceux qui restent, les femmes, les vieillards et les enfants, pour subsister. Le manque de main-d’œuvre et de matière première, l’effet des hausses des prix, le deuil évoqué par les veuves et par les mères apparaissent aussi dans les courriers joints aux déclarations. On y voit également la débrouillardise, l’affectation du mari au service de l’intendance très proche, qui facilite la négociation de marchés et la fourniture de matières premières, la mise au travail des enfants (telle fille tient la comptabilité, tel fils aide à la boucherie), la réussite rapide de quelques boulangers, que la mobilisation des concurrents place en situation de monopole12. On y découvre aussi tel estaminet, placé sur le chemin de l’abattoir ou de l’arsenal, qui vivotait avant la guerre et dont la clientèle gonfle brutalement13, tel drapier devenu fournisseur aux armées ou telle petite scierie qui se spécialise dans la production de caisses pour obus et que la guerre enrichit. Les dossiers témoignent à la fois de la dureté de la situation, du courage des femmes, épouses ou veuves, tantes, sœurs ou filles, de celui des militaires mobilisés, qui suivent tant bien que mal, et souvent de loin, les affaires familiales. Leur analyse éclaire l’activité économique des individus. La comparaison entre l’Ille-et-Vilaine et l’Isère, deux zones éloignées du front dont les économies sont brutalement tournées vers la guerre, permet de préciser les différences d’adaptation.
9Obligatoires pour tous les assujettis à la patente, qu’ils soient ou non imposables, ainsi que pour les membres de certaines professions libérales, vétérinaires, pharmaciens ou notaires, les déclarations de bénéfices de guerre témoignent aussi de la diversité des situations individuelles et des profondes inégalités créées par la guerre14. Elles montrent la dégradation de la situation économique des contribuables, qui grignotent progressivement leur épargne et subissent la poussée des prix. Elles soulignent aussi que la guerre peut être une aubaine pour certains secteurs, l’embellie n’étant pas forcément durable. Le chantier naval de Saint-Malo, par exemple, commence à fabriquer de nouveaux chalutiers au moment de la guerre sous-marine en 1917, mais le manque de matière première l’empêche d’honorer ses commandes15. Les dossiers indiquent enfin que les effets de la guerre sont variables : la guerre sous-marine est catastrophique pour les Bretons maraîchers et vendeurs d’oignons en Grande-Bretagne, mais l’arrivée des soldats anglais et américains redonne du souffle à l’activité hôtelière de Saint-Malo ou d’Allevard16. La présence de prisonniers ou les retours des affectés spéciaux offrent partout un renfort salvateur.
10Que nous apprennent ces dossiers sur les deux départements ?
II. L’Ille-et-Vilaine et l’Isère dans la guerre17
11L’intensité du choc provoqué par le déclenchement du conflit et par la mobilisation apparaît clairement dans les dossiers des deux départements. La mobilisation des hommes actifs, la multiplication des commandes de guerre, la désorganisation des échanges, le manque de matière première, l’interruption brutale des transports et les restrictions frappent des économies régionales différentes. Alors que le textile ou l’activité de la chaussure de Fougère présentent des signes de ralentissement dès avant la guerre, gantiers et tanneurs de l’Isère ont conquis une clientèle internationale et font fortune. Les services, transports, assurances18 ou banques19 s’effondrent partout, mais il semble bien que l’activité économique reprenne plus vite, puis qu’elle s’intensifie davantage dans les foyers industriels et dans les zones de production d’énergie, l’Isère étant privilégiée.
A. Des départements différemment dotés
12Les caractéristiques démographiques antérieures à la guerre modèlent les capacités régionales d’adaptation. Moins densément peuplée que d’autres régions, mais disposant d’une population jeune, la Bretagne, et en particulier l’Ille-et-Vilaine, est saignée par le conflit. Les chiffres du tableau 1 témoignent de l’ampleur du tribut démographique qu’elle a versé : son net avantage démographique au moment du recensement de 1911 est largement amputé par la guerre, le recensement de 1921 laissant apparaître une perte de plus de 50 000 personnes, contre moins de 30 000 pour l’Isère.
Tableau 1. Population de l’Ille-et-Vilaine et de l’Isère aux recensements de 1911 et de 1921 et variation20
1911 | 1921 | Variation | |
Ille‑et‑Vilaine | 608 098 | 558 574 | – 8,1 % |
Isère | 531 643 | 502 007 | – 5,5 % |
13La contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre vise à compenser cet impôt de sang, mais l’impossibilité de calculer avec exactitude son rendement empêche de savoir si elle y est parvenue.
14Les dossiers informent sur la participation des départements à l’effort de guerre et ils montrent que celle-ci dépend largement de leur spécialisation antérieure. L’économie de l’Isère21 correspond davantage aux besoins de la guerre, tandis que celle de l’Ille-et-Vilaine peine à s’adapter. Spécialisée dans le travail du cuir et centre textile composé d’entreprises de petites et de moyenne dimension, l’Ille-et-Vilaine présente toutes les caractéristiques d’un département mi-rural mi-agricole où, à l’exception de Rennes, dominée par des activités de services, et de l’axe Saint-Malo-Dinard, animé par le tourisme, les activités de service, le petit commerce et les entreprises familiales l’emportent. La plupart des dossiers des bénéfices de guerre conservés aux ADIV concernent de petites affaires. Les sociétés sont plus rares et elles sont cantonnées à des secteurs qui ne correspondent pas aux besoins de la guerre : celui des transports, comme la Société anonyme des tramways bretons, frappée de plein fouet par l’interruption de la saison touristique22. L’interruption des activités commerciales dans la région prive les hôtels de la clientèle des représentants, ce qui, ajouté à une gestion parfois douteuse, peut les condamner23. L’interdiction d’exporter, les difficultés des transports, le manque de matière première et les faibles tarifs de l’intendance accentuent les difficultés24. Les chantiers navals sont condamnés par l’interruption de la saison touristique et par le blocus, les imprimeries ou la menuiserie sont également paralysées. Une minorité parvient à s’adapter25, mais la plupart survivent difficilement. L’économie du département est largement autocentrée, à l’exception des ventes d’oignons en Grande-Bretagne. A contrario, les dossiers de bénéfices de guerre de l’Isère témoignent de l’industrialisation, de la diversité du tissu économique et de l’intégration à une économie régionale, voire nationale et internationale (ganterie, par exemple). Les couturiers, marchands de tissus, fabricants de vêtements de Grenoble ou de Vienne font appel au peignage et aux filatures de déchets de soie de Pontcharra, les gantiers se procurent des peaux en Ardèche. Les sociétés et établissements dont le siège social est situé hors du département sont nombreux, ce qui, fait inédit, oblige les contrôleurs des bénéfices de guerre à réclamer des informations aux Contributions directes d’autres départements (l’Ardèche pour les gantiers ou la Seine pour des entreprises métallurgiques)26.
15Même privées des ressources du tourisme, les anciennes zones touristiques de l’Isère bénéficient de ressources plus régulières que celles d’Ille-et-Vilaine avec l’afflux des ouvriers, attirés par les nouveaux chantiers, puis des blessés et des troupes à partir de 1918-1919. Toutefois, si plusieurs établissements redeviennent bénéficiaires, le compte n’y est pas. Dans sa déclaration de bénéfices de guerre, tel hôtelier demande de tenir compte des dégradations faites par les Américains et du coût des réparations nécessaires pour remettre son établissement en état27. Tel pâtissier de la rue des Bains à Allevard, dont les affaires étaient prospères avant-guerre, a vu sa clientèle disparaître pendant l’été 1914. L’arrivée de familles d’ouvriers à la fin 1915 « n’a pas compensé la perte de sa riche clientèle ». L’hôtelier et le pâtissier ne paieront aucune contribution extraordinaire, leur bénéfice étant inférieur au seuil nécessaire.
16La diversité des situations rend les contrôles délicats.
B. Les contrôles des déclarations et leurs enseignements
17L’article 20 de la loi du 1er juillet 1916 stipule que toute dissimulation ou manœuvre frauduleuse est passible « d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de 500 francs à 10 000 francs ou de l’une des deux peines seulement ». Attisés par les dénonciations et par l’évidence des enrichissements, les soupçons de fraude pèsent différemment sur les professions. Certaines comme les bouchers sont particulièrement visées. Dans l’Isère, les contrôleurs utilisent systématiquement les états mensuels du nombre de bêtes abattues tenus par les mairies pour contrôler les déclarations28. Le croisement des données permet de retrouver ceux qui ne souscrivent aucune déclaration. Il en est ainsi de L., boucher à Décines-Charpieu le 4 juillet 192129. La réponse au directeur des Contributions directes de Grenoble du 22 juillet 1921 est classique : mobilisé entre août 1914 et mars 1919, son magasin a été tenu par sa femme, « car il fallait bien qu’elle vive avec mes deux fillettes, l’une de 5 ans au moment de la déclaration de guerre et l’autre venue au monde le 2 septembre 1914 ». Le « surmenage et la fatigue l’ont tellement éprouvée qu’elle a été hospitalisée en 1917, obligeant à fermer la boutique jusqu’en 1919, date à laquelle elle a été vendue ». L. affirme n’avoir réalisé aucun bénéfice, mais sa déclaration ne correspond pas au relevé des abattages de la mairie30. Il finit par être exempté pour tenir compte de l’augmentation des frais du garçon boucher et des courtiers recrutés pendant la guerre31. En revanche, un autre boucher de Décines-Charpieu est fortement imposé pour les années 1919 et 1920. Les contrôles complémentaires réalisés après la guerre conduisent souvent à d’importants redressements et à des majorations de retard. Ainsi, tel marchand de matériaux de constructions, de chaux, de charbon, d’épicerie et cafetier qui accepte le montant du bénéfice supplémentaire retenu par la commission en août 1923 voit ses droits majorés de 41,25 % pour déclaration tardive (article 14 de la loi du 1er juillet 1916 et articles 15 et 110 de la loi du 25 juin 1920)32. Installé à Décines depuis 1912 avec sa nombreuse famille, Vincent G. « vivait avec difficultés » avant la guerre33. Il achète un petit hôtel et un café en 1918, où il installe son commerce, et possède une grande maison à Villeurbanne, où il habite. Mobilisé pendant presque tout le conflit d’après son livret militaire, G. est affecté comme sergent-major aux magasins généraux de Lyon et il vient souvent à Décines, où ses deux fils aînés tiennent le commerce. Sa situation militaire et les relations qu’elle procure lui ont permis « de brasser beaucoup d’affaires, de se procurer de la marchandise et de disposer de moyens de transport ». Il exerce « quatre commerces différents entre août 1914 et juin 1920 : épicier de détail et comestible, marchand de charbon au détail, débitant de boisson et marchand de matériaux de construction ». L’absence de comptabilité régulière et une mauvaise volonté évidente conduisent le contrôleur à opter pour la taxation d’office pour 1917 et 1918. La forte spéculation sur les cuirs et peaux dans la mégisserie en 1919 et 1920 déclenche une enquête des Contributions directes sur les gantiers. La crise de surproduction de 1921 détourne l’attention des contrôleurs34. L’enrichissement rapide de certaines affaires suscite la suspicion. Il en est ainsi par exemple d’un petit exploitant de scierie qui reçoit brusquement des commandes de caisses de l’usine chimique Gignoux et qui, après la guerre, possède deux camions auto, une Ford et une Dodge, ainsi qu’une scierie très bien agencée35. Cette fortune rapide lui vaut d’être imposé au titre des bénéfices de guerre, ce qu’il ne conteste pas. L’acceptation de l’impôt reste la situation la plus fréquente.
III. L’acculturation fiscale
18L’analyse des dossiers montre comment le fisc s’introduit dans la vie quotidienne des Français et l’accueil réservé aux contrôleurs. Elle éclaire également l’action des contrôleurs et leurs difficultés à faire respecter une loi complexe dans un contexte peu propice. La lourdeur de leurs tâches est reconnue, puisqu’ils reçoivent une prime pour les dossiers les plus délicats à partir de 1920. L’administration tient bon face aux contestations suscitées par cette prime dans une opinion hostile à l’impôt personnel et au principe déclaratif36. La complexité des dossiers de la contribution extraordinaire est reconnue. Pourtant, elle suscite peu de résistance active. La qualité de l’écriture et de l’orthographe des déclarations comme l’accueil réservé aux contrôleurs témoignent plutôt d’une bonne volonté générale. L’absence de déclaration et la taxation d’office tiennent davantage à la méconnaissance de la loi37 ou à l’incapacité de calculer ses bénéfices38 qu’à la volonté d’échapper à l’impôt.
A. Méconnaissances
19La loi du 1er juillet 1916 est souvent méconnue. Dans sa déclaration du 4 novembre 1916, une commerçante de Dinard précise39 :
« Des amis m’ont avisée hier que je devais avant le premier novembre vous aviser de l’absence ou de la réalisation de bénéfices pendant la guerre. Seule depuis 27 mois, je ne lis guère les journaux et n’étais pas du tout au courant de cette loi-là. Je vous prie monsieur de bien vouloir excuser ce retard involontaire et de faire droit à ma déclaration présente ; que je n’ai fait aucun bénéfice et ai enregistré plutôt nombre de pertes. Malgré mon mari mobilisé et au front depuis le commencement de la campagne […], j’ai tenu a laissé ma maison ouverte pour conserver la situation après la guerre que je ne comptais pas si longue. Je ne connaissais pas le commerce donc beaucoup d’ennuis et de difficultés. […] Notre commerce était plutôt appelé commerce de luxe on se dispense fort bien de nos articles actuellement surtout dans une petite ville calme comme notre Vitré. Je n’ai jamais eu l’allocation et l’entretien d’un soldat, quelque bonheur qu’on a à le faire, vide la bourse de même que les charges d’une maison et de deux enfants en bas âge. Je me plais à penser que cette déclaration servira plutôt à me diminuer mes impôts qui sont très onéreux pour moi si toutefois, Monsieur le directeur, vous voulez bien vous en occuper. »
20Lorsque la loi est connue, l’absence de comptabilité oblige le contrôleur à naviguer à vue. En 1918, une négociante « fait tenir sa comptabilité par sa fille depuis quatre ans » et fournit des écritures tellement fantaisistes que le contrôleur doit « tout refaire40 ». Tel hôtelier de Dinard « traitait des affaires considérables » sans avoir « jamais tenu de comptabilité même élémentaire41 ». La qualité des écritures contraint l’administration fiscale à mobiliser tous les moyens disponibles pour obtenir des informations. Les dénonciations se multiplient à mesure du conflit et elles concernent toutes les professions42. Les cas signalés au fisc entraînent systématiquement des contrôles. On trouve ainsi noté au crayon sur le dossier d’un quincaillier de Vitré : « signalé comme ayant fait de gros bénéfices43 ». Les rumeurs fondées sur des jalousies ou les accusations collectives à l’encontre de telle ou telle profession sont également mobilisées. Elles concernent le plus souvent les professions de bouche. Les marchands de cochons de Tinténiac, les bouchers, les épiciers et les cafetiers suscitent le plus d’envie en période de restrictions et leurs dossiers sont traités sans clémence44.
B. Faibles résistances
21Lorsqu’elle se manifeste, la résistance à l’impôt est corporative et tient à la simple volonté d’échapper au fisc45 :
« J’ai refusé la communication de mes livres parce qu’en principe je jugeais ce moyen d’inquisition profondément injuste ! À tous les points de vue ! L’application de cette loi établie par M. Caillaux est une guerre non déguisée au commerce et à l’industrie et ne peut en aucune façon profiter au consommateur puisque dorénavant le commerçant aura à compter en plus de ses frais habituels la part de cet impôt de plus je devrai prendre un comptable de façon à être toujours prête à répondre d’une manière satisfaisante à cette inquisition. Notre commerce de pommes de terre déjà rendu presque nul par suite de prohibition d’exportation, de taxes et réquisition va devenir impossible avec ce surcroît de charges. Est-ce à dire monsieur que je me refuse à payer l’impôt de guerre qui doit être considéré comme un devoir par toute personne vraiment française ?
Non certes ! Je n’essaie en aucune façon de me dérober à mon devoir. Doublez mon impôt habituel et loin d’y trouver à redire j’y souscrirais de grand cœur ! Mais faites-nous grâce de toutes ces vexations qui ne peuvent que conduire le commerce français à la ruine ! ».
22La situation de cette commerçante n’est pas si dramatique puisque le dossier indique qu’elle vend son fonds de commerce de Saint-Malo en 1922 et achète un autre fonds de commerce d’exportation de fruits et autres produits au Mans.
23La bonne volonté est le cas le plus général. Elle se manifeste à travers la précision des explications fournies au contrôleur. Madame Bellon, boulangère à Rennes, explique qu’en dépit de l’augmentation des fournées journalières, ses bénéfices sont annulés par le salaire de son ouvrier46. L’épouse d’un représentant de commerce, qui réussit à maintenir « ouverte la maison de Fougères » pour « vivre avec ses enfants et payer son loyer et ses impôts », déplore avoir perdu toute la clientèle conquise par son époux dans les départements voisins47. L’épouse de l’horloger de Vitré, mariée le 27 juin 1914, achetant le commerce le 1er juillet 1914 et dont le mari est mobilisé depuis le début de la guerre, précise que « la vente de bijoux est complètement nulle, ce sont les mariages pour nous uniquement qui nous l’occasionnent et forcément nous n’en avons plus. Je ne peux donc Monsieur le Contrôleur être atteinte par cette loi des bénéfices de guerre au lieu de profit, voyez, c’est plutôt la perte48 ». Les contrôleurs confirment ces déclarations et, confrontés à des situations dramatiques, ils invitent parfois les commissions départementales de premier degré des bénéfices de guerre à être magnanimes. La déclaration du 30 octobre 1916 signée par la veuve de Fernand Danard, mercière à Redon, illustre la détresse de certains assujettis49 :
« J’ai l’honneur de vous informer que le bénéfice que j’ai réalisé dans mon commerce pendant les 17 mois écoulés du 1er août 1914 au 31 décembre 1915 n’a pas excédé le montant du bénéfice antérieur à la guerre. Je vous fais la présente déclaration pour satisfaire à la loi sur les bénéfices de la guerre, loi qui ne m’atteint pas. Avant la guerre nous avions un magasin de demi-gros que nous avions ajouté à notre ancien magasin de détail. Dès le début de la guerre, j’ai été obligé de l’abandonner par suite de la mobilisation de mon mari et malheureusement nous ne pourrons le reprendre, mon mari ayant été tué à l’ennemi le 28 mars dernier »
24Même éloignées des zones de combat, l’Ille-et-Vilaine et l’Isère sont tournées vers la guerre, comme l’attestent les dossiers de la contribution extraordinaire qui commencent à être exploités. Permettant de pénétrer dans la vie quotidienne des assujettis, ces dossiers soulignent la fragilité du tissu économique régional et la situation dramatique de nombreux contribuables. Pendant le conflit, seules quelques affaires ou sociétés prospèrent et paient la contribution. Les autres sont exemptés.
25L’examen de ces dossiers doit être approfondi pour établir un tableau plus précis, mais ils montrent déjà que la grande majorité des assujettis accepte, bon gré mal gré, de remplir son devoir fiscal. Cette tolérance à l’impôt persiste après le retour de la paix, lorsque les économies sont exsangues et alors que les contrôles deviennent tatillons. Comparé au nombre d’assujettis, celui des recours est faible. Les difficultés de l’immédiat après-guerre sont accentuées par l’obligation de régler le solde de la contribution extraordinaire, mais les commissions ne sont pas clémentes à l’égard des enrichis de guerre50.
26Cet examen montre enfin que la guerre conforte les inégalités entre régions et qu’elle n’enrichit que les gros, qui se défendent souvent de façon efficace, et qu’elle n’enrichit pas durablement les petits, victimes de la chute des approvisionnements, de l’absence des hommes, qui peinent à convaincre les contrôleurs et à rendre des comptes.
27Rien ne permet d’affirmer que ces dossiers administratifs renvoient une image fidèle de la réalité. Ils ne retiennent pas les agriculteurs, qui constituent une part non négligeable des actifs, ni les activités sans pignon sur rue, ni celles qui sont ponctuelles, ni celles qui ne survivent que grâce à la complémentarité de l’activité agricole, et excluent bien sûr toutes celles qui échappent à la vigilance des contrôleurs. Ces lacunes comme la richesse de ces dossiers invitent à approfondir les recherches.
Notes de bas de page
1 François Bouloc, Les profiteurs de guerre, 1914-1918, Paris, Complexe, 2008.
2 Sur la contribution extraordinaire : Sandrine Grotard, « Le premier impôt sur les bénéfices d’entreprises en France. La contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre. 1916-1930 », Études et Documents, VIII, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996, p. 259-280 ; Béatrice Touchelay, « L’État, l’impôt et les deux guerres mondiales ou les limites de la tolérance à l’enrichissement dans la France du xxe siècle », in Marie-Françoise Baslez, André Encrevé, Rémi Fabre et Corinne Péneau, Guerre juste, juste guerre. Les justifications religieuses et profanes de la guerre de l’antiquité au xxe siècle, Bordeaux, Bière, 2013, p. 239-249, 266 p. ; « De la contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre à la confiscation des profits illicites : les balbutiements d’une fiscalité moderne dans la France du xxe siècle », in Florence Bourillon, Philippe Boutry, André Encrevé, Béatrice Touchelay (dir.), Des économies et des hommes. Mélanges offerts à Albert Broder, Paris, Éditions Bière, 2006, p. 123-135, 499 p. ; « D’une sortie de guerre à l’autre : de l’impôt sur les bénéfices de guerre (1916) à la confiscation des profits illicites (1944-1945), l’État a-t-il appris à compter ? », in Marc Bergère (dir.), L’épuration économique en France à la Libération, Rennes, PUR, 2008, p. 33-50, 343 p. ; Étienne Zannis, « La contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre dans le Nord », mémoire de M2 Recherche, université de Lille 3, 2014.
3 Ces commissions regroupent les directeurs des principales régies fiscales (Enregistrement, Contributions directes, Contributions indirectes).
4 La commission se compose de conseillers d’État, de contrôleurs des armées, de magistrats, de fonctionnaires des Finances et d’anciens fonctionnaires.
5 Centre des archives économiques et financières de la France (CAEF), Savigny-le-Temple (Seine-et-Marne) B 28 446. Renseignements statistiques divers. État de situation des travaux de la commission supérieure des bénéfices de guerre (1917-1927). Renseignements fournis au sénateur Dausset, rapporteur général de la commission des finances au Sénat, 11 janvier 1926. La loi du 25 juin 1920 fixe au 31 décembre 1925 la mise en recouvrement des dernières impositions que les commissions départementales de premier degré des bénéfices de guerre sont autorisées à établir.
6 Les imprimés des déclarations distinguent des bénéfices « exceptionnels » et « supplémentaires », qui sont imposés suivant les mêmes modalités :
« I. Sont considérés comme bénéfices supplémentaires les bénéfices réalisés par les personnes ou sociétés passibles de la contribution des patentes ou de la redevance proportionnelle des mines, en sus du bénéfice normal que comportent les entreprises qu’elles exploitaient avant la guerre ou qu’elles ont créées postérieurement dans les conditions ordinaires du commerce et de l’industrie.
II. Sont considérés comme bénéfice exceptionnel, les bénéfices qui, ne rentrant pas dans la catégorie précédente, ont été réalisés :
- Par des personnes ayant passé des marchés soit directement soit comme sous-traitant pour des fournitures destinées à l’État ou à une administration publique ;
- Par des personnes ayant accompli des actes de commerce en vue du même objet à titre accidentel ou en dehors de leur profession habituelle ;
- Par des personnes ayant prêté leur concours pécuniaire ou leur entreprise moyennant rémunération redevance ou commission pour la conclusion d’un marché de fournitures. »
7 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (ADIV) 2P 1 à 126, Contributions directes, « Contribution extraordinaire sur les bénéfices exceptionnels ou supplémentaires réalisés pendant la guerre (loi du 1er juillet 1916) », 126 cartons contenant, par commune et par ordre alphabétique, les déclarations des contribuables pour chacune des périodes d’imposition ainsi que les matrices des contribuables et celles des impositions. Les dossiers des archives départementales de l’Isère (ADI) sont classés sous la côte W3037 1-174. Les archives du Pas-de-Calais ont également conservé ces dossiers, qui sont présentés par Étienne Zannis dans ce même volume. Pour un premier usage de ces fonds, voir B. Touchelay, « Un révélateur de la situation économique du département : les dossiers de la contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre » et « Entre délation et bienveillance de l’administration fiscale : l’application d’une loi mal connue », in Éric Joret, Yann Lagadec (dir.), 14-18. Hommes et femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre, Châteaubourg, Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, conseil général d’Ille-et-Vilaine, 2014, p. 233 et p. 236.
8 Résultant de l’inexpérience de l’administration fiscale et immédiatement critiquée par l’Inspection générale des Finances, la vérification systématique n’est abandonnée qu’en 1920 au profit du contrôle aléatoire et a posteriori.
9 Les bénéfices supplémentaires acquis après le 1er janvier 1916 et qui sont supérieurs à 500 000 francs sont taxés à 60 %. La pression est alourdie en 1917, puisque 60 % devient le taux d’imposition de la première tranche et 80 % le taux d’imposition des bénéfices supérieurs à 500 000 francs.
10 Les droits sont d’abord majorés de 10 %, puis de 12 % en cas de retard de déclaration.
11 Voir sur le site du CAEF : « Fiscalité liée à la Première Guerre mondiale » : http://www.economie.gouv.fr/caef/fiscalite-impositions-liees-a-premiere-guerre-mondiale. Ce fonds n’est pas complet puisque quelques dossiers d’appel se trouvent toujours dans les archives départementales.
12 ADI 3037 W 25 Décines-Charpieu, boulanger Benoît Grept, veuve. Rapport du contrôleur des bénéfices de guerre, 27 septembre 1923 : avant-guerre, tient une boulangerie peu importante à Décines, commune de 1 200 à 1 300 habitants, en concurrence avec plusieurs boulangers qui ne vendent que sur place. Avec la guerre, ses concurrents laissent leur commerce tandis que Mme G. continue son exploitation avec un ouvrier de métier et son fils. Elle livre le pain à cheval et en voiture dans un rayon assez étendu jusqu’à la fin de 1919 et au retour des autres boulangers. Elle n’est pas imposable pour 1920, mais verse la contribution pour 1918 et 1919.
13 ADIV 2 P 34 Rennes, Prodhomme veuve, cabaretière rue de l’Abattoir. Le rapport du contrôleur sur la déclaration de bénéfices de guerre pour l’année 1919 précise : « Mme P. tient un débit café très bien situé et bien achalandé ainsi que le contrôleur a pu le constater. L’établissement est pourvu d’un appareil téléphonique qui indique une clientèle commerciale indépendamment de la clientèle ouvrière et de passage. Mme P. dit n’avoir jamais tenu de comptabilité […] et que c’est par erreur qu’elle a déclaré 8 000 francs de bénéfice pour l’année 1919 et que son gain n’a pas dépassé celui d’avant-guerre. […] Mme P. ne paraît pas de bonne foi. Le mouvement de l’abattoir en 1919 a été aussi actif que les années précédentes et c’est là principalement qu’elle fait commerce ». Le contrôleur suggère de taxer Mme P sur le même chiffre d’affaires qu’en 1918. Il conclut : « Mme P à qui j’ai fait part du résultat de ma vérification acceptera vraisemblablement la décision qui sera prise à son égard par la commission. Son attitude a été très correcte. »
14 Le domaine d’application de la loi est parfois délicat à définir. Ainsi, par exemple, si les entreprises de presse ne sont pas passibles de la contribution extraordinaire, Ouest Éclair, quotidien d’information rennais, est imposé au titre des revenus procurés par ses pages de publicité. Voir ADIV 2 P 2 Rennes, dossier nº 68231. La société dépose un recours devant le Conseil d’État contre la décision de la commission supérieure des bénéfices de guerre fixant l’imposition des 1re, 4e et 5e périodes. Le Conseil conclut que la société n’est pas imposable en décembre 1929.
15 Voir par exemple : 2 P 82 Saint-Malo, dossier individuel concernant la Société des chantiers et ateliers de Saint-Malo (nº 6160 et nº 5082).
16 ADIV 2 P105 Dinard, Minard Jules, Hôtel Bristol, dégage un bénéfice en 1919 grâce au séjour des Américains dans son hôtel du 1er janvier au 9 juin 1919.
17 Pour l’Isère, les dossiers des bénéfices de guerre se trouvent dans le fonds de la direction des services fiscaux (côtes 3037 W 1 à 174) ; pour l’Ille-et-Vilaine, ils sont classés dans ceux des Contributions directes (côtes 2P1 à 126). Le répertoire alphabétique et par profession qui a été fait dans l’Isère facilite le traitement statistique : on y trouve 2 884 dossiers différents. L’absence de répertoire pour l’Ille-et-Vilaine oblige à dépouiller tous les dossiers des communes pour compter le nombre total de dossiers.
18 ADIV 2 P 2 Rennes, Compagnie du soleil (maison Béguinel), assurance. Rapport du contrôleur des bénéfices de guerre sur les années 1914 à 1916, 10 décembre 1917 : « M. B. sans justifier d’aucun chiffre déclare que son bénéfice est inférieur à celui d’avant-guerre. Les bénéfices qu’il retirait ont été considérablement diminués par l’application du moratoire qui a permis à ¼ de ses clients anciens de ne pas acquitter leurs primes, la perte n’a pas été compensée par une clientèle nouvelle impossible à créer. […] L’arrêt dans la construction, la précarité de la plupart des installations consécutives aux mariages, la diminution du personnel ouvrier dans l’industrie, les suspensions par la Compagnie même de toute assurance nouvelle sur la vie enfin la mobilisation de certains courtiers actifs ont été les principaux motifs de l’absence de clientèle neuve. […] Le contrôleur admet que B. n’a pu que réaliser un bénéfice net inférieur à son bénéfice normal tant en 1914-15 qu’en 1916 ».
19 ADI 3037W141 Vienne, dossier Claret et Cie, banquier et minotier, ou dossier du Comptoir d’escompte Edwin Moussier et Cie, qui sont à la limite du dépôt de bilan du fait des créances douteuses. La situation des banques installées à Grenoble paraît plus enviable puisque certaines paient la contribution pour les dernières périodes (3037W34 Grenoble Banques : Banque de l’Isère Ferradou Reiss et Cie ou Banque Charpenay et Cie, par exemple) ; ADIV 2 P 1 Rennes, Sociétés dossiers individuels (1914-1920), dossier de la Banque de Bretagne, qui obtient une détaxe en 1922 parce que plusieurs comptes clients « inspirent de très sérieuses inquiétudes ».
20 Insee et Michel Huber, « La population de la Bretagne aux recensements de 1911 et de 1921 », in La population de la France pendant la guerre, coll. « Histoire économique et sociale de la guerre mondiale », Publications de la Dotation Carnegie pour la paix internationale, New Haven USA, PUF, Yale University Pres, 1931, p. 332 et 481. Pour l’Ille-et-Vilaine, voir ADIV, Indicateur historique, Rennes, édition 1981.
21 Éric Robert, « L’industrie de guerre en Isère », in Jean Guibal, Olivier Cognet et Hélène Viallet (dir.), A l’arrière comme au front, les Isérois dans la Grande Guerre, Grenoble, Musée dauphinois ADI, 2014.
22 ADIV 2 P 82 Saint-Malo, Société anonyme des tramways bretons 1915 (nº 1703). Le rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale du 6 mai 1912 montre que la société est en plein essor. Le compte rendu de l’assemblée générale du 3 mai 1915 évoque la « diminution considérable des recettes » et « la diminution moins importante des bénéfices qui se sont produites principalement au mois d’août 1914 », précisant que ce mois « procure ordinairement la majeure partie de nos bénéfices ». L’optimisme reste de rigueur : « nous considérons les résultats obtenus en 1914 comme très satisfaisants étant donné les conditions exceptionnelles dans lesquelles nous nous sommes trouvés : suppression de la saison estivale, augmentation du prix du combustible et des autres matières et modification du personnel. » La société redevient bénéficiaire en 1918 mais pour un montant inférieur au bénéfice normal, ce qui l’exempte de la contribution extraordinaire.
23 ADIV 2 P 61 Redon, M. Collin, exploitant de l’hôtel du Lion d’or. Le 6 septembre 1916, le rapport du contrôleur des bénéfices de guerre précise : « Ce contribuable n’a certainement pas réalisé de bénéfice supplémentaire. Depuis plusieurs années son entreprise était devenue peu prospère. La guerre a aggravé cette situation […]. C. a fait procéder à la vente de tout son matériel et de toutes ses marchandises pour désintéresser ses créanciers, et en particulier le propriétaire de l’immeuble qui n’avait touché aucun de ses termes depuis 1914 et qui a consenti à résilier le bail. L’hôtel est maintenant abandonné ».
24 ADIV 2 P 82 Saint-Malo, Alix Columba, veuve de Claude Vaillant, propriétaire d’un commerce de commission et d’exportation, précise dans sa déclaration de bénéfices de guerre pour l’année 1918 que ses affaires ont été nulles à cause de la prohibition des exportations des pommes de terre nouvelle et de l’absence de moyen de transport…
25 ADIV 2 P 105 Dinard, Legendre Armand (les héritiers), hôtelier. Le rapport du 10 juillet 1923 rédigé par le contrôleur sur les périodes 1916 à 1920 indique que L., décédé le 3 juin 1920, traitait des affaires considérables sans être capable d’en évaluer l’importance puisqu’il n’a jamais tenu de « comptabilité même élémentaire ». Cette méconnaissance explique qu’il n’ait pas fait de déclaration de bénéfice de guerre alors que ses affaires se développaient. En 1916, il exploitait l’hôtel des Villas de la mer (environ 130 000 francs de chiffre d’affaires) et l’hôtel Michelet (environ 130 000 francs de chiffre d’affaires). Il se chargeait aussi de la nourriture des blessés et malades répartis dans les hôtels de Dinard, Paramé et Saint-Briac, mais n’a réalisé qu’un bénéfice limité. En 1917, il exploite aussi l’hôtel Bristol en 1917 et l’année suivante l’hôtel du Louvre. En 1919, il héberge une moyenne de 150 soldats américains pendant cinq mois à 15 francs par jour et exploite une boulangerie et une épicerie à Saint-Énogat. Les héritiers de L. sont imposables pour les périodes 1916 à 1919 et ils subissent de fortes majorations pour défaut de déclaration.
26 ADI 3037 W 8 « Établissements dont le siège est hors du département, liste des sociétés dossiers individuels ». Lettre du président de la commission des bénéfices de guerre du département de l’Isère au directeur des Contributions directes de la Seine, 21 novembre 1917 : « Prière de bien vouloir me faire connaître si la Société anonyme des papeteries de Rives dont le siège social est à Paris rue Caumartin a compris dans sa déclaration de bénéfice de guerre les résultats obtenus dans son établissement de Rives. »
27 ADI 3037 W 8 « Établissements dont le siège est hors du département, liste des sociétés dossiers individuels ». Ce dossier regroupe 48 sociétés et il n’a pas d’équivalent en Ille-et-Vilaine, où les sociétés ne sont pas distinguées, à l’exception des 22 sociétés de Rennes et des 5 de Saint-Malo.
28 ADI 3037 W 7 Surveillance de certaines professions, état des bêtes abattues et gantiers (1913-1921).
29 ADI 3037 W 25 Décines-Charpieu, dossier 982 bis.
30 ADI 3037 W 25 Décines-Charpieu, Contributions directes, Grenoble, 6 novembre 1922, « affaire Linoz ».
31 Ibid., Grenoble, 6 novembre 1922, « affaire Linoz ». Rapport du contrôleur des bénéfices de guerre, vu par l’inspecteur, 14 septembre 1922.
32 Ibid., Affaire Vincent Gaston, note du contrôleur des bénéfices de guerre, 20 mars 1923.
33 Ibid., Rapport de vérification du dossier de Vincent Gaston, du contrôleur des bénéfices de guerre, accepté par l’assujetti le 6 avril 1923.
34 ADI 3037 W 7 Surveillance de certaines professions (1913-1921). Notes et informations confidentielles sur les spéculations sur cuirs et peaux dans la mégisserie, Grenoble, 1921.
35 ADI 3037 W 25 Décines-Charpieu, Contributions directes.
36 ADI 3037 W 6 Indemnités des contrôleurs de bénéfices de guerre. Le décret du 10 mai 1920 stipule que les agents des services financiers participant à l’établissement de la contribution extraordinaire sont rémunérés notamment par une indemnité fixe de 5 francs par affaire ayant motivé une vérification ou une enquête.
37 ADIV 2 P 61 Redon, Avis de la commission départementale de premier degré des bénéfices de guerre d’Ille-et-Vilaine, 19 octobre 1923 sur la déclaration de garagistes arrivée hors délai pour la dernière période d’imposition. L’affaire pourrait bénéficier de la loi de 1923 qui exempte les contribuables mobilisés plus d’un an : « Considérant qu’il s’agit de petits contribuables peu instruits et paraissant de bonne foi qui, par leur ignorance verseront au Trésor une somme supérieure à celles qu’ils auraient pu normalement payer, est d’avis d’accorder une modération ». La requête est rejetée par la commission supérieure des bénéfices de guerre en octobre 1924.
38 ADIV 2 P 41 Bain-de-Bretagne, Sauvion Moïse, cidrerie distillerie des Hautes Folies à Messac, créée en janvier 1912. Rapport du contrôleur sur les bénéfices de l’année 1917 : « S. ne tenait avant la guerre aucune comptabilité, il est par suite impossible de déterminer exactement son bénéfice normal. […] S., qui a été mobilisé d’octobre 1915 à mars 1919, a laissé à sa femme la direction de son entreprise, qui s’est bornée à la fabrication et à la vente du cidre et de l’eau de vie. […] Étant donné le commerce important exercé par S. avant la guerre, il semble qu’il ne soit pas redevable de la contribution extraordinaire. » Avis retenu par commission départementale de premier degré des bénéfices de guerre d’Ille-et-Vilaine.
39 ADIV 2 P 105 Dinard.
40 ADIV 2 P 82 Saint-Malo, Alix Columba, veuve de Claude Vaillant, commerce de commission et d’exportation.
41 ADIV 2 P 105 Dinard, Legendre Armand (les héritiers), hôtelier.
42 CAEF B 15316 Contributions extraordinaires sur les bénéfices de guerre. Ille-et-Vilaine, Tremblay. « Au procureur de Rennes, le 15 janvier 1921 […] madame veuve Berthelot fabricante de bonneterie à Tremblay (Ille-et-Vilaine) a été durant la guerre déclarée adjudicataire pour la fourniture à l’armée de chandails, chaussettes et autres articles de lainage, etc. […] a pendant ces cinq années de guerre, réalisé un bénéfice exceptionnel de près de 800 000 francs et que sur ce bénéfice extraordinaire elle n’a pas versé un centime à l’État contrairement à ce qu’il est stipulé dans la loi du 1er juillet 1916 alors que tous les petits commerçants honnêtes ont été contraints de verser au Trésor la différence sur leur bénéfice normal. Il est donc de mon devoir […] de vous rappeler particulièrement ce cas (et il n’est pas le seul malheureusement) et de vous prier de bien vouloir poursuivre et frapper impitoyablement tout commerçant qui aura dissimulé des bénéfices de guerre, car il est inadmissible que le petit soit obligé de payer pour le gros. » Les passages soulignés le sont par l’auteur, qui a signé sa lettre. Le procureur la transmet au contrôleur du fisc qui ouvre une procédure.
43 ADIV 2 P 66 Vitré, Ollivier, quincaillier.
44 ADIV 2 P 61 Redon, Audran Charles, boucher. La majoration de la contribution extraordinaire pour défaut de déclaration atteint 41 % en 1924, A. étant jugé de mauvaise foi.
45 ADIV 2 P 82 Saint-Malo, Alix Columba, veuve de Claude Vaillant, commerce de commission et d’exportation, Lettre pour le contrôleur des bénéfices de guerre, 8 janvier 1918, 4 pages manuscrites.
46 ADIV 2 P 34 Rennes, Bellon Victor, boulanger. Rapport du contrôleur, 24 octobre 1917. Demande de détaxe qui est admise par la commission.
47 ADIV 2 P 78 Fougères, Chloée Felix veuve née Philippe, représentation de papiers, 30 octobre 1916. Déclaration transmise au directeur des Contributions directes à Rennes, ne déclare aucun bénéfice pour la première période d’imposition.
48 ADIV 2 P 65 Vitré, Lefeuvre Victor, horloger, déclaration pour la première période d’imposition.
49 ADIV 2 P 61 Redon, Danard Fernand, veuve, mercerie. Lettre au directeur des Contributions directes, 30 octobre 1916.
50 ADIV 2 P 78 Fougères, Taillandier, Leteuré et Béchet, fabricants de chaussures. Argumentaire de la demande de détaxe, 5 octobre 1921.
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Une fiscalité de guerre ?
Ce livre est cité par
- (2021) La rupture ? La Grande Guerre, l’Europe et le XXe siècle. DOI: 10.4000/books.igpde.15197
- (2018) Une fiscalité de guerre ?. DOI: 10.4000/books.igpde.5307
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