La politique fiscale de l’Empire allemand pendant la Première Guerre mondiale
p. 83-108
Texte intégral
1Les historiens se sont beaucoup intéressés à la politique monétaire de la banque centrale de l’Empire allemand (Reichsbank) en août 1914, et à la responsabilité de celle-ci dans la dévaluation de la monnaie allemande au cours des neuf ans et demi qui suivirent, jusqu’à la stabilisation du Rentenmark en 19241. L’intérêt suscité par ces questions résultait du vif débat sur le fonctionnement du système politique de l’Empire allemand. Un point reste à éclaircir : la « direction impériale2 » (Reichsleitung) était-elle en mesure de prendre les décisions qui s’imposaient, même lorsque les anciennes élites mettaient leur veto ? Ces dernières n’ont jamais eu le soutien de la majorité des électeurs, mais ont été soupçonnées (par des historiens et des contemporains) d’avoir bloqué tous les processus de changements institutionnels visant à rapprocher la direction impériale des électeurs en faisant en sorte qu’elle dépende davantage des majorités parlementaires3.
2Si les arrangements monétaires de la Reichsbank pendant la guerre sont considérés comme un exemple des faiblesses structurelles de la gouvernance de l’Empire allemand, la politique budgétaire de la direction impériale l’est également. Comme l’a souligné Gerald Feldman, la guerre pouvait être financée par quatre moyens, les deux premiers étant les emprunts de guerre et les emprunts à l’étranger. Ce dernier moyen fut bloqué par la guerre, puisque aucun des grands pays exportateurs de capitaux n’était du côté de l’Allemagne. En témoigne également le fait que Karl Helfferich, le nouveau secrétaire d’État au Trésor, ne mentionne aucunement ce moyen de financement dans son premier discours devant le Reichstag4 en mars 19155. Le troisième moyen reposait sur l’augmentation, par la banque centrale, de la quantité de monnaie en circulation, et le quatrième sur la fiscalité6. L’on sait que l’Allemagne a eu recours principalement aux emprunts de guerre allemands.
3La question qui se pose est la suivante : pourquoi ce choix ? Un grand nombre de raisons peuvent être imaginées, et la plupart se retrouvent dans les sources. Aussi notre tâche consistera-t-elle à évaluer les éléments recueillis et à étayer nos hypothèses. Certaines de ces raisons sont évoquées brièvement ici.
4La première raison pourrait résider dans le fait que les décideurs pensaient qu’après la guerre, censée ne pas durer, l’ennemi vaincu prendrait en charge les coûts du conflit. Selon ce scénario, l’Office impérial du Trésor (Reichsschatzamt) n’aurait eu à mettre en œuvre que des solutions financières provisoires et de court terme, qui présentaient l’avantage de ne pas alourdir l’impôt des contribuables allemands.
5La deuxième raison pourrait être qu’il était impossible de trouver d’autres moyens de financement, que les motifs en soient d’ordre économique ou d’ordre politique ; cet aspect touche à des problématiques extrêmement complexes. Les impôts peuvent être perçus auprès de différents segments de la société, tandis qu’en matière d’emprunt, seules les personnes disposant de capitaux en excédent ont la possibilité de gagner de l’argent grâce à la politique financière. Toutefois, l’augmentation des impôts étant une mesure peu populaire, le pouvoir impérial a pu s’abstenir d’y recourir en pensant qu’il n’arriverait pas à la mettre en place. Pire encore, le système politique dans son ensemble a pu être considéré comme impopulaire et sans aucune légitimité pour imposer une telle charge fiscale. À cela s’ajoute le fait que des groupes d’intérêts puissants pouvaient s’opposer à des mesures contraignantes. Inversement, le pouvoir impérial a pu privilégier les catégories sociales dont les hauts fonctionnaires et elle-même se sentaient proches. À chaque fois, attitudes personnelles et système sont interconnectés.
6Le présent article vise à déterminer les raisons pour lesquelles le pouvoir impérial a choisi, non d’augmenter les impôts pour financer la guerre, mais de recourir à l’emprunt. Les chiffres ont été étudiés dans le détail il y a quelque cinquante ans par Konrad Roesler7. Par conséquent, nous analyserons les intérêts et exigences en matière fiscale des principaux groupes exerçant un pouvoir politique et économique, ainsi que le contexte institutionnel dans lequel s’inscrit la prise de décision dans l’Empire allemand. Nous présenterons tout d’abord l’élite bancaire, afin d’examiner la marge de manœuvre dont disposait ce groupe, qui était incontournable pour toute politique budgétaire axée sur le marché des capitaux. Nous nous pencherons ensuite sur les groupes qui préconisaient, à tout le moins en théorie, de financer la guerre par l’impôt ou d’augmenter les impôts directs en général (par exemple, l’impôt sur les bénéfices de guerre – Kriegssteuer). Il s’agit, d’une part, de certains économistes et, d’autre part, du Parti social-démocrate.
7La troisième partie portera sur le groupe politique diamétralement opposé aux socialistes, celui des conservateurs. En raison de leurs accointances avec l’appareil d’État (et non de leur nombre de sièges au Parlement), ils constituaient le groupe politique le plus puissant, bien que n’étant plus en mesure, depuis la démission du chancelier Otto von Bismarck, de décider de l’ensemble de la politique de l’Empire. Cela nous conduira à formuler certaines remarques sur les particularités de l’organisation budgétaire et du budget de l’Empire allemand. La dernière partie sera consacrée à l’analyse des motivations budgétaires de la direction impériale, en les confrontant à certaines données quantitatives sur le budget allemand pendant la guerre.
8Enfin, en guise de conclusion, nous discuterons de la portée et des limites d’autres politiques possibles et évoquerons certains aspects du système politique de l’Empire allemand.
I. Le soutien des élites à la politique de l’emprunt
9Certains membres importants de la communauté bancaire, comme Max Warburg, influent banquier privé de Hambourg, saluèrent la politique de financement de la guerre par l’emprunt ; ce fut également le cas de Karl Helfferich, directeur de la Deutsche Bank, qui sera appelé à exercer la fonction de secrétaire d’État au Trésor de janvier 1915 à mai 1916. L’élite bancaire allemande dans son ensemble n’a pas critiqué la politique d’endettement et d’expansion monétaire, ce qui est à première vue surprenant. Les banques ont préféré un mode de financement de la guerre qui ne pouvait qu’amener à une inflation vertigineuse. Pour quelles raisons ? Cela peut s’expliquer d’une part par le fait que la communauté bancaire n’avait jamais eu la possibilité d’imposer sa volonté à l’Office impérial du Trésor. Nous verrons que le système politique de l’Empire l’empêchait, la direction impériale disposant d’un large champ d’action en comparaison de celui du Parlement, ce qui ne laissait que peu de marge de manœuvre aux partis politiques, mieux armés pour empêcher les actions auxquelles ils étaient opposés que pour orienter la politique. D’autre part, contrairement à ce qui se passait en Grande-Bretagne, la communauté bancaire allemande n’était pas proche de l’élite politico-administrative (appartenance à un club, positions politiques communes, liens familiaux, éducation, etc.)8. Comme l’a montré Youssef Cassis, la City de Londres ne faisait pas la politique économique du pays9 ; mais, en raison du rôle joué par les banquiers britanniques dans le système politico-économique du « capitalisme de gentlemen » et de leur appartenance socioculturelle à la classe des « gentlemen », ils avaient un accès privilégié aux coulisses du monde des décideurs politiques10. Les politiques d’endettement ne résultaient pas de la volonté de la communauté bancaire, mais étaient considérées comme un moindre mal au vu de la lourdeur du processus législatif visant à instaurer de nouveaux impôts (ou à augmenter les impôts existants).
10Le soutien du secteur bancaire à la politique de financement par l’emprunt peut également s’expliquer par le fait que certains de ses membres ne comprenaient pas ce qui se passait réellement. C’est l’analyse que fait Hans Fürstenberg au sujet de son père, Carl Fürstenberg, associé au sein de la banque de dépôts Berliner Handelsgesellschaft11, quand il déclare : « mon père ne comprenait pas de quelle nature était l’inflation12 ». À l’époque, les membres de la communauté bancaire allemande n’avaient jamais vu l’inflation à l’œuvre dans leur pays. Au contraire, ils observaient avec espoir la dévaluation en cours dans les pays ennemis, tels que la Russie. Ce fut le cas d’Arthur von Gwinner, porte-parole du directoire (Vorstandssprecher) de la Deutsche Bank13, qui l’évoqua à maintes reprises avec le banquier suédois Victor Wallenberg. Arthur von Gwinner (à l’instar de son ancien collègue Karl Helfferich) avait prévu les difficultés dans lesquelles seraient plongées les économies russe et britannique en raison de la guerre, déclarant que Londres perdrait son statut de centre financier du monde au bénéfice de New York. Mais, s’agissant de l’économie allemande, ses prévisions (et celles de la plupart de ses collègues) s’avérèrent moins précises. À première vue, les banques semblent s’en être bien sorties pendant la guerre. L’augmentation de leur actif total fut considérée comme une preuve de l’accroissement considérable de la richesse de l’Allemagne, et la baisse du pouvoir d’achat comme un événement temporaire résultant de la pénurie générale de biens. Arthur von Gwinner déclarait, à la fin de l’année 1917, à la Norddeutsche Allgemeine Zeitung (journal très proche de la direction impériale) que les banques allemandes se portaient bien14. Il montra que la disparition des effets de commerce, due à la rapidité du paiement des commandes de guerre par la direction impériale, et la diminution des échanges commerciaux avec l’étranger étaient plus que largement compensées par les obligations d’État ainsi que les frais et commissions versés au titre de l’ouverture de comptes en lien avec des prêts et des avances. Notamment, la Deutsche Bank réalisa aisément des bénéfices grâce à ses dépôts, lesquels avaient triplé entre 1913 et 1917, tout en aidant ses clients à faire fructifier leur argent. Selon Arthur von Gwinner, les banques allemandes furent peu sollicitées pour l’émission d’emprunts de guerre et consentirent peu de prêts de guerre, contrairement à la pratique des banques britanniques. Au lieu de cela, elles contribuèrent au financement de la guerre en acceptant des bons du Trésor. Selon Arthur von Gwinner, tout cela montrait l’excellence de l’organisation du marché des capitaux allemand, qui permit à l’Allemagne de financer avec succès la guerre par des emprunts, alors que les pays ennemis, réputés détenir plus de capitaux, étaient obligés de payer des taux d’intérêt beaucoup plus élevés pour des titres à des prix bien inférieurs.
11Les remarques d’Arthur von Gwinner s’inscrivaient dans un contexte de profond changement au sein du système bancaire allemand pendant la guerre (du moins du point de vue de l’élite bancaire allemande), à savoir l’intervention massive des grandes banques dans le financement de l’État15. À la fin du conflit, il n’y avait pour ainsi dire plus d’activités commerciales reposant sur des effets de commerce et sur le marché boursier. Toutefois, la liquidité des banques avait fortement augmenté, pour l’essentiel grâce aux bons du trésor du Reich. Les banques de dépôts allemandes passèrent ainsi d’une activité de financement de l’industrie à celle de banques de dépôts prêtant à l’État. Cette réussite apparente induisit le secteur bancaire en erreur sur les risques réels liés à la politique budgétaire de l’Allemagne pendant la guerre.
12La majorité des banquiers allemands avaient une autre raison de se féliciter de la mise en œuvre d’une politique budgétaire ne reposant pas sur une augmentation des impôts. En effet, l’élite bancaire avait tiré les leçons des années précédant la guerre, période au cours de laquelle le règlement des problèmes budgétaires du Reich avait conduit systématiquement à une augmentation de l’imposition des activités bancaires, commerciales et boursières, tandis que, parallèlement, les conservateurs mettaient leur veto au Reichstag à la mise en place d’impôts directs pour répondre aux besoins budgétaires de l’Empire, ces impôts relevant à l’époque des États fédérés, dont les parlements n’étaient pas élus de manière démocratique16. Les effets de ces luttes acharnées furent durement ressentis par la communauté bancaire et la poussèrent littéralement à se tourner, pendant la campagne électorale de 1912, vers le Parti social-démocrate (SPD), qui professait (alors) encore l’orthodoxie marxiste17. Outre le fait que, pour la première fois, les sociaux-démocrates représentèrent la première force politique au Reichstag, ces élections indiquaient non pas tant le basculement des votes que la différence de contenu des accords électoraux conclus par rapport aux élections précédentes, qui entraînèrent la perte d’un grand nombre de sièges pour les partis « au pouvoir » (conservateurs et nationaux-libéraux) et un renouveau pour le Parti progressiste (libéraux de gauche). Les banques, en particulier, contribuèrent à financer la campagne des libéraux de gauche, et l’accord électoral pour le second tour, conclu entre ces derniers et le SPD, fut signé dans la maison berlinoise du directeur de banque Karl Mommsen18. Si les propriétaires terriens, conservateurs, avaient pour slogan « Non aux impôts directs pour le parlement de ceux qui n’ont rien » (les membres du Reichstag étant élus au suffrage égal masculin), certains banquiers influents préconisèrent l’instauration d’impôts sur le revenu ou la fortune afin de répondre aux besoins budgétaires du Reich19. Ces banquiers influents, qui votaient pour les partis libéraux, n’auraient pas à subir d’impôts modérés de cette nature.
13On a vu que le secteur bancaire se sentait menacé par tout projet visant à augmenter les impôts existants ou à en créer de nouveaux. De façon plutôt ironique, il en allait de même de l’aristocratie foncière conservatrice. Afin de comprendre ses positions politiques, il convient de noter que la noblesse prussienne (prédominante au sein du Parti conservateur) ne fut jamais très riche, en particulier si on la compare à celle des pays européens voisins. Ses domaines étaient peu étendus et les sols dans les provinces orientales de l’Allemagne n’étaient pas fertiles.
14Ainsi, dans le Brandebourg, qui fait partie, avec la Poméranie et la Prusse-Orientale, des États dont est issue l’ancienne noblesse prussienne (s’agissant des frontières telles qu’elles étaient avant 1815), seule la moitié des vastes propriétés foncières générait un revenu annuel supérieur à 10 000 marks, autorisant un niveau de vie « seigneurial » (comparable à celui d’une classe moyenne supérieure ou de la « bourgeoisie »)20. Au début de l’année 1904, Max Weber déclarait que l’ancien ministre des Finances de la Prusse lui-même, Johannes von Miquel, avait reconnu en privé que les revenus générés par les Rittergüter (seigneuries) traditionnels en Prusse-Orientale ne permettaient pas de mener un train de vie de seigneur21. Moins d’un tiers seulement des propriétaires terriens de Prusse (5 177) dont le revenu annuel était supérieur à 3 000 marks percevaient plus de 9 500 marks, et on observe un ratio similaire dans les provinces prussiennes orientales (3 433)22.
15Si ces propriétaires terriens n’appartenaient pas tous à l’aristocratie, plus de la moitié en faisait partie. Dans le Brandebourg aussi, près de 30 % des nobles propriétaires de seigneuries percevaient un revenu réel inférieur à 9 500 marks par an23 (les revenus après impôts étant considérablement inférieurs)24. Ces nobles ne pouvaient s’autoriser un train de vie aristocratique et constituèrent le vivier de la radicalisation vers l’extrême droite. Les publications récentes soulignent ainsi non seulement le déclin social relatif des Allemands, en particulier de la noblesse prussienne25, mais aussi et surtout les écarts croissants de revenus au sein de la noblesse26.
16Nous présenterons une dernière comparaison : en 1912, près de 1 150 personnes en Allemagne possédaient (après impôt) plus de 5 millions de marks ; 500 d’entre elles étaient des hommes d’affaires, le reste étant composé de veuves, de membres de professions libérales, de propriétaires fonciers issus ou non de la noblesse. En d’autres termes, près de la moitié des « riches » au cours des dernières années de l’Empire allemand étaient des bourgeois exerçant des activités lucratives et dont la fortune et les revenus augmentaient rapidement. Les revenus des dirigeants de banques, tels que ceux des quatre « D-Banken » (Deutsche Bank, Dresdner Bank, Diskonto-Gesellschaft et Darmstädter Bank), semblent avoir triplé entre les années 1880 et 1910 environ27. L’enrichissement considérable de la bourgeoisie dans les secteurs de l’industrie, de la banque et des services suscita de vives inquiétudes au sein de la noblesse allemande quant à l’évolution de son statut social et de son rôle au sein de la sphère politique et de la société28. Face aux demandes de la bourgeoisie, de nombreux aristocrates menèrent ce qui pourrait s’apparenter à une « guerre des tranchées » sociale et politique, en particulier dans le domaine de la politique fiscale.
17Ce sentiment de défiance était partagé par certaines parties des classes cultivées, notamment les hauts fonctionnaires et les professeurs d’université. À la différence de leurs collègues exerçant des professions libérales, ils n’étaient pas en mesure, en tant qu’employés de l’État, d’augmenter leurs revenus comme pouvaient le faire les hommes d’affaires, en particulier pendant la guerre29. L’élite traditionnelle allemande eut le sentiment de perdre du terrain par rapport aux hommes d’affaires, mais également par rapport au mouvement socialiste sur le plan politique, ce qui détermina ses positions et attentes dans ce domaine, au sein d’une société dynamique régie de plus en plus par des forces financières plutôt que par le statut et la tradition (et l’éducation, mais uniquement du point de vue des catégories sociales cultivées).
18En raison de ce sentiment et de ces attentes, le Parti conservateur refusa toute concession en matière fiscale, l’augmentation des impôts semblant menacer la position de domination sociale et politique, déjà fragilisée, occupée de longue date par l’élite traditionnelle. Tant la noblesse que la bourgeoisie cultivée (Bildungsbürgertum) revendiquaient leur appartenance à des classes dominantes.
19Par conséquent, au moins jusqu’en 1915 environ, l’ensemble de l’élite de l’Empire allemand était défavorable à une hausse des impôts, en particulier des impôts directs. Aussi le secrétaire d’État au Trésor Karl Helfferich soulignait-il avec fierté, devant le Reichstag, les campagnes de propagande sur les obligations de guerre allemandes et dénigrait-il les mesures prises par la Grande-Bretagne pour financer une large part de l’effort de guerre par l’impôt, arguant à plusieurs reprises qu’elle ne pourrait lever des fonds suffisants par ce biais30. Bien qu’il dût admettre qu’il était « en principe » préférable de payer les dépenses de guerre en recourant à la fiscalité et que le Parlement avait effectivement autorisé le gouvernement britannique à augmenter considérablement les taux d’imposition (aussi bien en matière d’impôts directs qu’indirects), grevant les ménages britanniques d’une lourde charge fiscale, il considérait qu’en réalité, les impôts de guerre britanniques ne contribueraient pas au financement de la guerre mais uniquement à combler le trou causé par les dépenses de guerre dans le budget ordinaire.
II. Dette et inflation comparées entre Allemagne et Grande‑Bretagne
20Il est possible que l’importance du recours à la fiscalité en Grande-Bretagne ait été sous-estimée par Karl Helfferich et exagérée par les historiens, et que l’ampleur de la fiscalité en Allemagne ait comparativement été sous-estimée en raison de l’absence de prise en compte des impôts perçus au niveau des États fédérés et au niveau local. Il y a quelques années, l’historien britannique Theodor Balderston a comparé les politiques budgétaires de la Grande-Bretagne et de l’Empire allemand lorsqu’il a cherché à déterminer les causes de l’hyperinflation en Allemagne31 et les facteurs ayant conduit à la grande dévaluation. Theodor Balderston a affirmé que la différence la plus importante entre les deux pays ne résidait pas dans le montant relatif des recettes fiscales puisque, selon lui, les historiens avaient très souvent surestimé l’importance des impôts en Grande-Bretagne. Toutefois, il semble que l’Allemagne pouvait bien moins se permettre que la Grande-Bretagne de dépendre des emprunts de guerre sur son territoire, en raison de la taille nettement plus importante du marché monétaire londonien et de sa plus grande capacité à prendre en charge la dette de l’État, et de sa volonté de le faire, compte tenu du déclin de ses activités internationales habituelles. Le marché berlinois, beaucoup moins développé et contraint de financer le commerce extérieur et intérieur, était à la fois peu habitué à négocier des bons du Trésor et peu désireux de sacrifier ses clients allemands en achetant des bons du Trésor durant une guerre supposée être courte. Par conséquent, jusqu’en 1917, les trois quarts de la dette flottante du Reich étaient détenus par la Reichsbank, puis, en 1917-1918, un peu plus de la moitié. Cela signifie qu’une part de la dette plus importante en Allemagne qu’en Grande-Bretagne fut monétisée plus rapidement, notamment à partir du moment où les municipalités allemandes empruntèrent largement aux caisses de prêts (Darlehnskassen). Cette croissance monétaire ainsi que l’effondrement du commerce extérieur allemand expliquent pourquoi le volume de la dette allemande détenu par la Reichsbank fut moindre après 1917. Néanmoins, les données comparatives sur la croissance monétaire montrent clairement l’avantage détenu par les Britanniques sur les Allemands dans la lutte contre l’inflation. Tandis que la base monétaire et la masse monétaire avaient augmenté respectivement de 12 % et 17 % entre la fin de l’année 1913 et la fin de l’année 1917 en Grande-Bretagne, l’augmentation atteignait respectivement 56 % et 50 % en Allemagne32.
21Les chiffres correspondants à la fin de l’année 1918 étaient respectivement de 32 % et 25 % pour la Grande-Bretagne et de 76 % et 52 % pour l’Allemagne33. Si, comme le suggèrent des travaux récents, l’avantage détenu par les Britanniques résidait davantage dans la qualité de son marché monétaire et la facilité d’accès aux capitaux étrangers que dans son niveau d’imposition, inversement cela ne fait que renforcer la thèse selon laquelle l’Allemagne ne recourait pas suffisamment à la fiscalité pour financer la guerre. En effet, si l’Allemagne ne pouvait emprunter ni à l’étranger ni suffisamment auprès de ses résidents, quel autre choix qu’un plus large recours à la fiscalité avait-elle ?
III. Le système fiscal allemand et l’impossible réforme de la fiscalité
22À ce stade de l’étude, il est nécessaire de fournir des informations générales sur le système fiscal de l’Empire allemand34.
23Les revenus du Reich étaient définis dans la Constitution de 1871, modifiée par la loi Stengel en 1904. En résumé, le Reich disposait de six sources de revenus : 1) les droits de douane ; 2) les impôts sur la consommation et les transactions ; 3) les revenus provenant des services publics fédéraux, tels que le service postal ; 4) les « contributions matriculaires » (Matrikularbeiträge), qui dépendaient du nombre d’habitants dans les États fédérés, le Reich étant ainsi « entretenu financièrement » par ces derniers ; 5) les indemnités versées par la France depuis 1871 ; 6) les emprunts. À l’instar d’autres États dotés d’une structure fédérale, comme la Suisse ou les États-Unis, les États fédérés défendaient jalousement leurs prérogatives, qui consistaient à percevoir les impôts sur le revenu, la fortune et les bénéfices, ainsi que les droits de succession, qui leur rapportaient beaucoup et pouvaient être augmentés. Cette disposition constitutionnelle était défavorable au Reich puisqu’elle le privait de l’impôt le plus intéressant, l’impôt sur le revenu35. Il percevait des impôts sur la consommation d’alcool, de sucre, de tabac et de sel. L’impôt sur les spiritueux (Branntweinsteuer) était très contesté car l’administration conservatrice avait réussi à favoriser la noblesse foncière prussienne, laquelle possédait un grand nombre de petites distilleries, sous la forme de remboursements d’impôts qui s’apparentaient à des subventions36.
24Il convient en outre de présenter brièvement le système fiscal des États fédérés, en particulier de la Prusse. Ces États tiraient deux tiers environ de leurs revenus de l’impôt sur le revenu, mais seulement entre un quart et un tiers de la population de l’Empire allemand était tenu de payer cet impôt, en raison de la faiblesse des revenus perçus par le plus grand nombre. Les contribuables pouvaient estimer eux-mêmes le montant de leur revenu. L’impôt sur le patrimoine (Vermögensteuer) était perçu par les autorités locales, ce qui, dans la pratique, signifiait que, dans les provinces orientales, la noblesse foncière n’était pas tenue de le payer puisqu’elle contrôlait l’administration provinciale et l’utilisait pour maintenir ses privilèges37.
25Par conséquent, les recettes fiscales de l’Empire allemand étaient nettement inférieures à celles de la Grande-Bretagne mais supérieures à celles de la France. En 1912, elles s’élevaient au total à 4 079 595 marks en Allemagne, 4 720 147 marks en Grande-Bretagne et 3 776 394 marks en France. Bien que la part des impôts directs ait été presque la même en Grande-Bretagne et en Allemagne (respectivement, 56 % environ et 49 %, contre 28 % en France), la charge fiscale par habitant différait considérablement entre les trois pays : 62,75 marks en Allemagne, 96,09 marks en France et 106,07 marks en Grande-Bretagne. Si l’on prend uniquement en considération les impôts directs (dont étaient redevables principalement les classes aisées), la situation est encore différente : l’Empire allemand et la IIIe République n’exerçaient qu’une faible pression fiscale sur la fortune et le revenu (respectivement 30,89 marks et 27,15 marks), tandis qu’en Grande-Bretagne, la charge fiscale représentait le double (59,27 marks)38.
26Le Reichstag connaissait ces chiffres. Par conséquent, Karl Helfferich avait, d’une certaine manière, raison lorsqu’il déclarait que la charge fiscale pesant sur les citoyens britanniques était relativement élevée. Toutefois, il taisait le fait que, de toute évidence, l’Empire allemand ne voulait pas vraiment taxer fortement les classes aisées ou, pour le dire autrement, que les élites allemandes faisaient tout pour ne pas supporter les coûts résultant de leur propre politique.
27Qui, alors, préconisait le financement de l’effort de guerre par la fiscalité ? Nous verrons que l’augmentation des impôts, en particulier des impôts directs, fut surtout demandée par les sociaux-démocrates, qui constituaient la principale force politique au sein du Reichstag depuis 1912, mais furent tenus à l’écart du pouvoir jusqu’en 1918. Ils plaidèrent pour un recours à la fiscalité face aux besoins budgétaires urgents du Reich pendant la guerre. Avant la guerre, le Parti social-démocrate n’aurait jamais imaginé apporter son soutien à une guerre au sein du Parlement en acceptant le budget de la direction impériale, et seule l’idée de mener une guerre défensive maintint le Parti aux côtés des partisans de la guerre39.
28La question de savoir comment le parti, les syndicats socialistes et le prolétariat dans leur ensemble devaient réagir face à une guerre donna lieu à de nombreux débats au sein du Parti social-démocrate jusqu’en août 1914 (notamment, la question de l’opportunité pour le Parti d’organiser une grève massive afin de boycotter la guerre impériale), mais les moyens de financement ne furent pas débattus. En réalité, aucun parti politique sous l’Empire allemand n’avait réfléchi au financement. Les responsables politiques (et militaires !) pensaient que la guerre ne durerait pas ; il ne semblait pas nécessaire de prévoir des plans de financement à long terme. De plus, il existait des solutions à court terme, en particulier le mode de financement traditionnel par l’emprunt. Après l’éclatement de la guerre, les questions budgétaires n’intéressèrent pas beaucoup les socialistes. Même lors des débats parlementaires sur le budget en 1915, Hugo Haase, l’un des deux chefs du Parti social-démocrate, n’évoqua la question du financement de la guerre que comme un problème de second ordre. Il centra son discours sur l’égalité et la démocratisation du système politique allemand, abordant les questions du droit de créer des syndicats (droit constituant un ancien privilège de l’aristocratie foncière et refusé aux ouvriers agricoles), des droits de vote (fondés sur un système de classes dans les États fédérés)40, de la censure et de la liberté de la presse ainsi que des prix des denrées de consommation, avant d’évoquer de manière brève et superficielle l’impôt sur l’accroissement de la fortune pendant la guerre (Vermögenszuwachssteuer)41. De toute évidence, le financement de la guerre ne figurait pas à l’époque au premier plan des réflexions politiques des sociaux-démocrates.
29Avant le début de la guerre, seuls quelques experts accordaient de l’attention à ce type de débats.
30Les économistes Adolph Wagner, Johann Plenge, Julius Wolf et Heinrich Dietzel, notamment, s’étaient déjà intéressés à cette problématique dans le contexte des discussions relatives à une réforme totale des finances publiques du Reich, qui avaient eu lieu environ cinq ans avant le début de la guerre42. On notera avec intérêt qu’aucun de ces experts n’appartenait au groupe illustre des « socialistes de la chaire », composé d’universitaires d’orientation libérale et sociale. En réalité, Adolph Wagner, expert de premier plan des questions financières, était un conservateur hétérodoxe favorable à la redistribution de la richesse par l’État budgétaire43. Mais les prises de position de ces économistes sur la question du financement de la guerre étaient académiques à double titre, c’est-à-dire non seulement rédigées dans une langue scientifique, mais aussi dénuées de tout intérêt pratique. Aucun d’entre eux n’avait su prévoir une guerre longue, synonyme de coûts faramineux, ni anticiper les conséquences pour la stabilité de la monnaie allemande du recours massif à l’emprunt et de l’expansion monétaire (la quantité de monnaie en circulation passa de quelque 7 milliards de marks en juin 1914 à 30 milliards en novembre 1918)44. Leurs écrits (à l’exception de ceux de Heinrich Dietzel) s’inscrivaient dans le contexte des revendications et des problèmes concernant la Constitution, le renforcement de l’État central vis-à-vis des États fédérés dans une Allemagne véritablement unifiée, les problèmes de justice sociale abordés sous l’angle de vue de la classe moyenne éduquée et les besoins financiers découlant de la mobilisation pour une guerre d’un an environ. Il est évident que la réforme financière visait au premier chef le transfert au Reich de la compétence des États fédérés en matière d’imposition directe, évolution qui aurait non seulement réduit le pouvoir des États fédérés, au premier rang desquels la Prusse, mais également considérablement accru celui du Reichstag45.
31L’État-nation était constitutionnellement un État fédéral, mais, en réalité, la politique menée par le Reich, l’État central, était toujours étroitement liée à celle de la Prusse, étant donné que le chancelier impérial était également, à l’exception de brèves périodes d’interruption, ministre-Président de Prusse. Les deux tiers du territoire du Reich, de sa population et de son économie étaient prussiens. À plus d’un titre, l’unification allemande de 1871 fut une simple extension de la Prusse. Le Bundesrat, où siégeaient les représentants des gouvernements des États fédérés, était constitutionnellement la chambre haute du Parlement de l’empire et formellement (mais non réellement) le centre de l’autorité du Reich. Les représentants de la Prusse étaient majoritaires au sein du Bundesrat.
32Selon la répartition des compétences prévue par la Constitution, les États fédérés étaient financièrement responsables de la majorité de l’administration du pays, le Reich étant chargé de toutes les questions de politique extérieure. En d’autres termes, le Reich devait assumer toutes les dépenses militaires liées aux armées de terre (celles-ci restant cependant sous commandement des monarques des États fédérés et demeurant de ce fait des armées prussienne, bavaroise, saxonne, etc., pour ne former une armée impériale qu’en temps de guerre) et à la marine (qui était du ressort intrinsèque de l’empire), les dépenses coloniales, les dépenses liées aux affaires diplomatiques, etc. Le Reich devait payer les dépenses militaires, mais le Reichstag n’était pas autorisé à contrôler l’organisation interne des armées et de la marine. Cette structure constitutionnelle complexe, conçue pour assurer la prépondérance de la Prusse au sein de l’empire, rendait particulièrement épineux l’examen de toute question budgétaire car tout changement significatif aurait modifié la répartition des pouvoirs entre le Reich et les États fédérés comme entre leurs institutions, et de ce fait également entre les différents groupes sociaux.
33N’oublions pas que le Reichstag était élu au suffrage universel et égal masculin, mais qu’il n’exerçait qu’un contrôle partiel sur le gouvernement et ne disposait pas du pouvoir constitutionnel de renverser le chancelier impérial, nommé par l’empereur et responsable devant lui seul. La majorité au Reichstag ne pouvait exercer aucune contrainte sur le gouvernement et n’était en position de force que pour négocier, principalement grâce à son droit de contrôle du budget. Fait caractéristique, la Constitution n’accordait aux institutions centrales du Reich qu’un pouvoir modeste : ce dernier n’était pas formellement doté d’un gouvernement (Regierung) composé de membres disposant du titre de « ministres », mais seulement d’une « Direction impériale » (Reichsleitung), comprenant le chancelier et les secrétaires d’État. En parallèle, les parlements des États fédérés étaient élus selon le système dit « des trois classes », un mode de scrutin particulièrement favorable à la représentation des classes aisées. Ces couches aisées étaient socialement et politiquement divisées (principalement en trois groupes : l’aristocratie, la classe moyenne éduquée et les milieux d’affaires), mais le groupe dominant en termes politiques, la noblesse rurale, rejetait catégoriquement l’idée de payer l’impôt, en premier lieu par principe et en second lieu par refus de se soumettre à un Reichstag élu au suffrage égal. À cette époque, les conservateurs, en position de faiblesse au Reichstag et dépassés en nombre par la bourgeoisie d’affaires, adoptèrent une « mentalité d’assiégés », selon le terme employé par James Retallack46. En septembre 1908, les chefs des deux commissions représentant la noblesse foncière prussienne, le groupe conservateur au Reichstag (lesquels étaient également membres du parlement prussien) et la Ligue des agriculteurs (Bund der Landwirte) se mirent d’accord sur un programme budgétaire en dix points qui témoignait, selon l’expression des contemporains, de l’« égoïsme sacré » de l’aristocratie foncière en matière budgétaire47.
Rejet du principe de la perception par le Reich d’un impôt sur le revenu ou sur le patrimoine.
Rejet de l’extension des droits de succession aux époux, épouses et enfants.
Rejet de toute intervention portant atteinte à l’autonomie des États fédérés dans la collecte des fonds (les « contributions matriculaires ») alloués au budget de l’État central.
Hausse très marquée de l’impôt sur la bière (boisson majoritairement consommée par la classe ouvrière, qui ne votait pas pour le Parti conservateur).
Augmentation de l’impôt sur le tabac, assortie cependant de mesures protectionnistes en faveur de la production nationale.
Rejet de toute hausse de l’impôt sur les spiritueux (de nombreux propriétaires fonciers étaient également exploitants de distilleries).
Création d’un impôt sur le chiffre d’affaires boursier (l’aristocratie foncière, en particulier la noblesse prussienne, s’était depuis longtemps détournée du marché boursier et la petite noblesse ne disposait pas des capitaux requis pour financer ce type d’opérations. N’oublions pas que la petite noblesse prussienne était nombreuse mais relativement désargentée comparée aux autres aristocraties européennes.
Création d’un impôt sur les dividendes.
et 10. Ces points présentent un intérêt moindre eu égard à la question qui nous occupe. Les initiateurs de ce programme convinrent que les points 1, 2, 3 et 6 étaient les plus importants.
34Pour toutes ces raisons, une réforme fiscale de grande ampleur, objet d’intenses débats durant la décennie ayant précédé la guerre et de nature à porter atteinte aux intérêts des conservateurs à plus d’un titre, aurait propulsé l’Allemagne bien plus avant sur la voie du parlementarisme. Par conséquent, on ne s’étonnera pas que les principales tentatives d’avant-guerre en vue d’une réforme fiscale significative aient échoué, en dépit des besoins financiers considérables de l’empire ; même la contribution à la défense (Wehrbeitrag), votée par le Reichstag en 1913 pour financer les dépenses d’armement, ne fut acceptée par les États fédérés (bastions conservateurs) qu’à la seule condition de son caractère exceptionnel48. L’échec des tentatives de réforme fiscale menées avant-guerre eut ainsi une influence déterminante sur la capacité de l’Allemagne à financer la guerre par l’impôt. C’est pourquoi il était nécessaire d’éclairer le contexte politique de ces tentatives de réforme.
35Compte tenu des compétences limitées du Reich en matière d’imposition directe et du pouvoir de veto de la noblesse foncière conservatrice, les emprunts de guerre étaient inévitables. De plus, de manière peut-être plus décisive encore, toute tentative de réforme fiscale durant la guerre aurait suscité une polémique majeure et, par conséquent, sapé l’union sacrée (Burgfrieden) qui permit au gouvernement de geler toute controverse politique intérieure (au moins jusqu’en 1917).
36Enfin, il convient d’apporter quelques éléments d’éclairage sur le budget allemand : celui-ci avait toujours été divisé en budgets ordinaire et extraordinaire. Avant 1914, 90 % des dépenses étaient inscrites au budget ordinaire, qui comprenait à la fois les dépenses courantes et les dépenses d’investissement financées par l’impôt sur les revenus. Les dépenses d’investissement exceptionnelles étaient inscrites au budget extraordinaire et financées par des emprunts remboursables par amortissement régulier ou par des emprunts spéciaux. Le budget extraordinaire ne commença véritablement à mériter son appellation qu’après août 1914, lorsque toutes les dépenses de guerre y furent inscrites, y compris le budget militaire courant (!), qui fut retiré du budget ordinaire. Le ballon d’oxygène qui en résulta pour le budget ordinaire ne fut toutefois que de courte durée, puisque le service de la dette figurant au budget extraordinaire financé par les emprunts de guerre fut intégralement inscrit au budget ordinaire. Il serait donc tout à fait erroné de considérer le budget extraordinaire comme un « budget de guerre ».
37En parallèle, les sources de revenus finançant traditionnellement le budget ordinaire, comme les recettes douanières et le produit d’exploitation des postes et des chemins de fer, enregistrèrent un recul marqué (droits de douane) ou se transformèrent en déficit du fait de la diminution ou de la disparition des usagers payants et de leur remplacement par des usagers militaires49.
IV. Les hésitations de la politique budgétaire et fiscale de l’empire
38La suite d’événements relatifs à la politique budgétaire de l’empire que nous allons à présent exposer peut être décrite comme la résultante du parallélogramme des forces politiques qui ont été présentées ci-dessus.
39Le secrétaire d’État au Trésor Karl Helfferich affirma en 1915 que l’unique problème de l’Allemagne concernait le financement du service de la dette, en forte augmentation, et non le coût de la guerre dans son ensemble. En mars 1915, pour la première fois depuis le début de la guerre, le gouvernement impérial évoqua sa politique budgétaire au Reichstag. À cette occasion, le nouveau secrétaire d’État au Trésor déclara aux parlementaires que le gouvernement ne disposait d’aucun programme financier pour les années à venir et qu’il ne pouvait donc pas en parler. Un programme budgétaire fiable ne pourrait être élaboré qu’après la guerre, en fonction des conditions futures de la paix50.
40Cette absence de tout contenu constituait de facto un refus d’informer le Parlement des projets du gouvernement en matière budgétaire. Toutefois, la seule réponse à relever émana de Hugo Haase, l’un des dirigeants du Parti social-démocrate et son porte-parole au Reichstag, pacifiste et représentant (non militant) de l’aile gauche du Parti : il exigea que tous ceux à qui la guerre avait permis d’accroître leur patrimoine – comme indiqué précédemment, Hugo Haase s’en tint à des propos d’ordre général, mais son allusion aux grands industriels de l’équipement militaire était manifeste – reversent à l’État une grande partie (!) de cet accroissement.
41Hugo Haase réclama explicitement l’introduction d’un impôt sur le patrimoine en déclarant qu’« il y aurait de quoi être franchement ulcéré si les spéculateurs et les commerçants qui ont tiré profit de la détresse de notre peuple pour s’enrichir s’en sortaient sans le moindre dommage51 ».
42Mais Ernst Bassermann, membre du Parti national-libéral et président de la commission budgétaire, ne mentionna même pas en séance plénière les débats qui avaient eu lieu en commission sur la nécessité d’augmenter les impôts52. Hugo Haase évoquait à juste titre les bénéfices excessifs des profiteurs de guerre : les gros fabricants de matériel militaire, en particulier, avaient vu leurs profits augmenter considérablement. Krupp, par exemple, de même que la société Deutsche Waffen– und Munitionsfabriken ou l’entreprise Kölner Pulverfabriken, virent leurs bénéfices plus que doubler entre 1913-1914 et 1916-1917. L’entreprise Rheinmetall, quant à elle, multiplia son bénéfice par dix53.
43Il fallut attendre jusqu’en août 1915, soit près de six mois, pour que le secrétaire d’État au Trésor expose au Reichstag ses intentions en matière budgétaire. L’élément incitateur en fut la nécessité de lever à cette date le troisième emprunt de guerre.
44Karl Helfferich rejetait catégoriquement le principe des « impôts de guerre » car il estimait qu’« aussi longtemps qu’aucune nécessité impérieuse ne se [faisait] sentir, [ils ne voulaient] pas alourdir l’immense fardeau qui pèse sur [le] peuple en temps de guerre en augmentant les impôts54 ».
45Karl Helfferich faisait ainsi allusion au simple fait que les impôts, directs ou indirects, affectaient diversement les différentes couches de la population, avec des répercussions sociales et politiques distinctes. Les impôts sur les bénéfices de guerre toucheraient les seuls fabricants d’équipement militaire, mais risqueraient de susciter l’ire des membres de ce groupe clé ; les impôts sur le patrimoine ou sur le revenu concerneraient les classes aisées dans leur ensemble, avec le risque d’être rejetés par toutes les élites ou du moins par une partie de ces groupes forts en termes politiques, culturels et économiques. En outre, un tel rejet démontrerait l’égoïsme des classes privilégiées à l’égard des classes populaires, exposées à une guerre totale et souffrant de la pénurie des denrées alimentaires et des combustibles ainsi que des pertes humaines au front. En résumé, les dangers politiques résultant de la création d’impôts directs semblaient incalculables, que Karl Helfferich ait voulu, personnellement ou non, les instaurer.
46La troisième option, consistant à augmenter les impôts indirects, toucherait à l’évidence la plus large couche de la population allemande, provoquant le mécontentement de millions de familles de soldats. Ce scénario était de loin le pire de tous.
47Karl Helfferich l’admit assez franchement, mais n’expliqua nullement ce qu’il entendait par « nécessité impérieuse » d’augmenter les impôts. Il affirma de nouveau que le recours à l’impôt ne suffirait pas au financement de la guerre. Cependant, l’évolution du climat politique après douze mois de conflit contraignit le secrétaire d’État au Trésor à évoquer très largement un impôt sur les bénéfices de guerre55. Fait plus significatif encore, M. Helfferich indiqua que les ministres des Finances des États fédérés s’étaient réunis le 10 juillet pour débattre d’un tel impôt et étaient parvenus à un accord de portée générale (ce consensus était indispensable puisque, comme nous l’avons vu précédemment, les impôts directs constituaient la prérogative des États fédérés). Cependant, à l’en croire, cet accord était si général que le gouvernement n’avait pas encore élaboré de loi de finances à présenter au Reichstag. Il déclara en outre que l’établissement de cet impôt devrait être différé jusqu’à la fin de la guerre, en soulignant que le recouvrement n’en serait possible qu’après la fin du conflit car les contribuables concernés ne seraient pas en mesure avant cette date d’estimer les effets financiers de la guerre. Il expliqua que les États fédérés s’accordaient pour juger impossible de vérifier les bénéfices de guerre du point de vue fiscal. A contrario, le gouvernement impérial promit de faire supporter l’impôt à ceux qui, contrairement à la majorité de la population allemande, étaient parvenus à accroître leur richesse de manière substantielle, car ils seraient capables et contraints de prendre en charge une partie du fardeau de la guerre. L’empire institua ainsi en 1913 l’impôt sur l’accroissement du capital (Vermögenszuwachssteuer, aussi appelé Besitzsteuer). Le taux de cet impôt sur les bénéfices de guerre n’était pas encore fixé en raison de l’évolution des revenus au cours de la guerre, mais Karl Helfferich fut en mesure de promettre que l’accroissement de fortune par héritage ne serait pas soumis à l’impôt. Comme nous l’avons évoqué, l’un des objectifs majeurs du Parti conservateur était d’empêcher l’introduction par le Reichstag d’un impôt sur les successions, car un tel dispositif aurait porté atteinte aux intérêts de l’aristocratie foncière, à laquelle appartenaient la plupart des grands propriétaires terriens et qui constituait le gros des troupes des conservateurs.
48En revanche, les députés saluèrent l’annonce par Karl Helfferich que le futur impôt sur les bénéfices de guerre pourrait être payé non seulement en numéraire, mais également en obligations, et plus précisément en obligations de guerre. Le secrétaire d’État expliqua que le gouvernement était animé par la volonté d’encourager la population à souscrire ces obligations, considérant implicitement que leur prix augmenterait après la signature d’un traité de paix. Dans le cas contraire, déclara-t-il, les obligations de guerre risqueraient à l’avenir de ne plus trouver preneur. À ceux qui l’interpellaient, il précisa que les obligations seraient acceptées à leur valeur nominale56, ce qui signifiait de facto que le prix des obligations était garanti par l’État !
49Ainsi, tout au long de l’année 1915, escomptant une fin rapide du conflit, Karl Helfferich jugea que l’Allemagne pourrait faire face à ses besoins budgétaires sans recourir à l’impôt, grâce aux emprunts de guerre et à la planche à billets. S’exprimant le 20 août 1915 devant le Reichstag, il ne fit pas moins preuve de franchise, selon une phrase restée célèbre, au sujet de l’identité de ceux qui devaient à ses yeux payer la facture : « Les instigateurs de cette guerre ont mérité de supporter la charge écrasante de ces milliards ; c’est à eux de traîner ce fardeau au fil des décennies, pas à nous57. »
50La décision fut prise d’éviter le recours à l’impôt pendant la guerre et, plus tard, face aux besoins financiers et sous la pression croissante de l’opinion publique, d’en faire usage de manière limitée. Toutefois, le problème de la sélection des impôts à collecter restait entier. La problématique fiscale était, comme nous l’avons vu, de nature complexe : chaque mesure en matière d’impôt menaçait d’ébranler l’union sacrée (Burgfrieden) ou le peu qu’il en restait au fur et à mesure de l’enlisement dans la guerre. Le principe de la mise en place d’une imposition directe par le Reich suscitait l’hostilité immédiate des États fédérés, tandis que la perspective de nouveaux impôts indirects (qui entraîneraient une hausse du coût de la vie et frapperaient au premier chef la classe ouvrière) se heurtait inévitablement aux critiques acérées des sociaux-démocrates. Même s’ils le souhaitaient, ni Karl Helfferich ni son successeur le comte Siegfried von Roedern ne furent en mesure de révolutionner le système fiscal du Reich au milieu de la guerre. Au-delà de ces obstacles, cependant, se posait la question de savoir jusqu’où ils étaient disposés à aller dans la mise en œuvre du possible : à savoir imposer les bénéfices de guerre. Dans ce domaine, les deux hommes se distinguaient par une approche largement différente. Karl Helfferich avait une conception profondément libérale de l’économie. Il était convaincu que l’État devait s’abstenir de toute intervention dans l’économie pour éviter de perturber les processus économiques et se contenter d’actions incitatives. Sur le plan politique, ce libéralisme impliquait de renoncer à achever la « parlementarisation » de l’Empire allemand. Sur l’échiquier politique, le libéralisme était revendiqué par le Parti national-libéral, en particulier par les nombreux industriels qui en étaient membres. Par la suite, sous la République de Weimar, le courant libéral fut représenté par le Parti populaire allemand (Deutsche Volkspartei). Toutefois, les convictions politiques de Karl Helferrich évoluèrent vers la droite, comme en témoigne son appartenance en 1920 aux instances dirigeantes du Parti national du peuple allemand (Deutschnationale Volkspartei), successeur du Parti conservateur allemand (Deutschkonservative Partei), qui défendait les intérêts des propriétaires fonciers sous l’empire. En ce qui concerne les bénéfices de guerre, Karl Helfferich était convaincu que l’industrie devait bénéficier de toutes les mesures d’encouragement possibles pour produire pour l’effort de guerre et se redresser après la fin du conflit tout en participant à la reconstruction58. En mai 1916, le comte Siegfried von Roedern, un conservateur modéré, succéda à Karl Helfferich, nommé secrétaire d’État à l’Intérieur. À plus d’un titre, Roedern personnifiait la noblesse dite « d’éducation et de position sociale » (une sorte de noblesse de robe) ou la « noblesse d’État », pour reprendre le mot de Pierre Bourdieu59 : conservateur au sens politique et social, bien éduqué, favorable au principe de l’intervention de l’État (comme il l’avait démontré au cours de sa carrière dans l’administration provinciale), tout en gardant ses distances avec les milieux d’affaires60. Il était beaucoup moins opposé (ou davantage favorable) à l’imposition des grands bénéfices de guerre que Karl Helfferich ne l’avait été. Peu de temps après sa prise de fonctions à la tête du secrétariat d’État au Trésor, Siegfried von Roedern commença à agir en faveur du contrôle des bénéfices de guerre et se heurta à l’opposition de Karl Helfferich. Siegfried von Roedern adopta des mesures fiscales plus sévères durant les deux dernières années de la guerre et, fait plus révélateur encore, commença à planifier une réforme fiscale de grande ampleur, laquelle resta toutefois lettre morte. On peut par conséquent avancer qu’en raison de son adhésion au libéralisme économique et de sa conviction que la production ne pouvait être encouragée que par de généreuses incitations, Karl Helfferich opposa une moindre résistance aux efforts des conservateurs en vue de maintenir les structures fiscales archaïques en vigueur, alors que Siegfried von Roedern fut réellement victime des contraintes politiques et sociales s’opposant à la hausse des impôts et aux tentatives de réforme. À l’inverse, le programme d’armement massif, connu sous le nom de « programme Hindenburg », lancé par le commandement militaire constitua un atout pour Siegfried von Roedern, car l’augmentation des impôts s’avéra inévitable pour permettre au Reich de payer la facture de ce programme d’armement61.
51Au-delà du débat sur la solution qui aurait dû être retenue, il importe de souligner les insuffisances des mesures qui furent réellement adoptées.
52Les recettes ordinaires du Reich connurent d’abord une baisse brutale en passant de 2,5 milliards de marks en 1914 à 1,8 milliard de marks en 1915, puis enregistrèrent un léger redressement en 1916, avant de connaître une augmentation significative en remontant à 8 milliards de marks en 1917. Elles s’élevaient à 7,4 milliards de marks en 191862. Mais le budget dans son ensemble, ordinaire et extraordinaire, connut une expansion beaucoup plus rapide. Le budget extraordinaire passa de 7 milliards de marks en 1914 à 24 milliards de marks en 1915, 25 milliards de marks en 1916, puis 45 milliards de marks en 1917, pour redescendre à 37 milliards de marks en 191863. En 1917, 24 milliards de marks furent financés par l’emprunt, mais il subsistait un déficit de 19 milliards de marks. En 1918, les emprunts s’élevèrent à 23 milliards de marks et le déficit se chiffra à 14 milliards de marks64.
53En ce qui concerne les impôts directs, le gouvernement impérial se sentit tenu de suivre le modèle adopté en 1913, consistant à recourir à des impôts spéciaux provisoires plutôt qu’à s’engager sur la voie d’un impôt sur le revenu impérial. Ainsi, en juin 1916, le Reichstag adopta une loi prévoyant la perception d’un impôt de guerre exceptionnel sur les entreprises et les personnes physiques destiné à taxer les suppléments de bénéfices et l’accroissement de la fortune (Kriegsgewinnsteuer du 21 juin 1916). Cet impôt devait frapper l’accroissement du patrimoine des personnes physiques et des bénéfices des entreprises et non peser sur le patrimoine en tant que tel. Au cours du débat parlementaire, cet impôt fut revu à la hausse, à la demande des sociaux-démocrates. Les conservateurs s’opposèrent à la création de cet impôt car il portait atteinte à l’autonomie fiscale des États fédérés. Toutefois, les entreprises comme les personnes physiques pouvant aisément dissimuler cet accroissement, l’opposition ne fut pas très résolue65.
54En avril 1917, l’impôt fut majoré de 20 % et un nouvel impôt de guerre fut créé en 1918. En 1917, l’impôt avait rapporté environ 4,8 milliards de marks, contre seulement la moitié en 191866.
55À partir de juin 1916, les impôts indirects connurent également des augmentations notables, en particulier les impôts sur le tabac, les boissons, le transport des marchandises et des personnes et les services des postes et télégraphes. Pour l’essentiel, ces mesures furent adoptées à titre de concession aux conservateurs, dont le programme a été précédemment évoqué. Seul le droit d’accise sur le tabac, qui rapporta 700 millions de marks en 1918, mérite d’être mentionné ici. Le produit de l’ensemble des impôts indirects s’éleva à 2 millions de marks en 1918. Un impôt sur le chiffre d’affaires fut institué pour la première fois en juin 1916, et prélevé en 1918. Enfin, en avril 1917, la création d’un impôt sur le charbon au taux de 20 % mérite d’être relevée : parmi les différentes nouvelles mesures fiscales, seul cet impôt sur le charbon constitua une charge réellement lourde. L’impôt sur le chiffre d’affaires (Warenumsatzstempel) au taux de 1 ‰ perçu sur les paiements de livraisons de marchandises fut transformé en juillet 1918 en un impôt sur le chiffre d’affaires global au taux initial de 0,5 %. Toutes les opérations portant sur des biens et des services étaient imposées. Le Warenumsatzstempel a constitué le seul dispositif fiscal préfigurant la création du système fiscal contemporain67.
56Ces nouveaux impôts permirent de réduire le déficit du budget ordinaire, non de l’éliminer. Si la pression des forces politiques de gauche contribua à perfectionner et à renforcer les impôts directs adoptés en 1918, le résultat global témoigne de l’inertie résultant de la constitution financière du Reich et de la réticence initiale à recourir vraiment à l’impôt. S’agissant des impôts directs, les possibilités de fraude étaient nombreuses, du fait de la règle générale de l’autoliquidation et des méthodes de liquidation aussi variées qu’inadéquates en usage dans l’administration des États fédérés. De plus, les impôts pouvaient être payés en obligations de guerre. L’un des aspects particulièrement ironique du recours aux impôts indirects, et en particulier à de nouveaux prélèvements comme l’impôt sur le charbon (dont la recette s’éleva à 750 millions de marks en 1918), a trait au fait que dans la mesure où le charbon occupait une place centrale dans l’économie de guerre, l’empire, principal consommateur direct ou indirect de charbon, était ainsi lui-même contribuable68. La mise en œuvre de l’impôt sur le chiffre d’affaires s’avéra malaisée du fait de l’insuffisance des personnels compétents, tandis que les coûts réels furent largement répercutés sur les consommateurs. De ce fait, la cour suprême des finances de l’empire (Reichsfinanzhof) fut instituée à Munich en 1918. Ce faisant, le Reich se déléguait à lui-même la compétence en matière fiscale69.
57En guise de conclusion sur la politique fiscale de l’empire durant la guerre, on peut estimer que le recours à l’impôt fut à deux doigts de remplir l’objectif inadéquat de combler le déficit du budget ordinaire, mais échoua à combler celui du budget extraordinaire.
Conclusion
58Le présent article a tenté de montrer que c’est la structure du pouvoir au sein du système politique du Reich qui explique pourquoi l’Allemagne a tenté de financer la Première Guerre mondiale principalement en augmentant la dette publique et renoncé à recourir davantage à l’impôt. De plus, les institutions politiques et la répartition du pouvoir entre les partis politiques, comme entre les institutions elles-mêmes, empêchèrent le recours à d’autres méthodes et cela, même si le gouvernement impérial avait souhaité adopter ces méthodes. En d’autres termes, les structures du pouvoir dans l’Allemagne impériale entravaient la prise de certaines décisions, même et également en cas de nécessité impérieuse, lorsque de telles décisions menaçaient de toucher aux intérêts matériels de l’une des composantes des élites allemandes. Étant donné le poids du mouvement socialiste au moins en termes numériques (parlementaires, membres du Parti social-démocrate, adhérents des syndicats socialistes, appelés « syndicats libres » en Allemagne), même les sociaux-démocrates doivent être considérés comme appartenant à ces élites ou groupes « dominants », quoiqu’en position de dominés. Toutefois, dans la mesure où l’exécutif pouvait gouverner en relative indépendance vis-à-vis du Parlement, les groupes et les partis doivent être entendus tout au plus comme des groupes de veto. Il leur était quasiment impossible d’avoir une influence sur les politiques. À l’inverse, cependant, en raison de l’absence de lien entre le gouvernement et le Parlement, ce dernier pouvait difficilement mobiliser l’autorité et l’influence que ces groupes et ces partis pouvaient exercer sur leurs membres. En d’autres termes, le gouvernement était incapable d’imposer sa discipline aux partis politiques, même à ceux qui constituaient ses relais au Parlement, et donc de définir une stratégie politique globale, cohérente et légitime.
59Du point de vue budgétaire, les conséquences de cet état de fait étaient considérables. Aussi longtemps que Karl Helfferich fut à la tête du secrétariat d’État au Trésor, le gouvernement répugna à tenter véritablement de financer les besoins croissants liés aux opérations militaires, en remettant le problème à plus tard. Karl Helfferich fit tout son possible pour ne heurter aucun des groupes importants disposant d’un pouvoir de veto, d’abord en niant l’existence d’un quelconque plan, puis en promettant que la victoire résoudrait tous les problèmes, et en empruntant dans l’intervalle. Il en fut récompensé par sa promotion ultérieure au sein du gouvernement. Siegfried von Roedern, son successeur, obtint par son action une augmentation considérable des recettes, sans parvenir toutefois à maîtriser l’écart croissant entre recettes et dépenses. En effet, s’agissant des dépenses, les demandes adressées par le haut commandement militaire au gouvernement étaient devenues complètement indépendantes et échappaient totalement au contrôle des civils. Seul l’empereur, « chef suprême de la guerre » (Oberster Kriegsherr) à l’autorité duquel était soumis le chancelier, aurait pu assurer la coordination entre le gouvernement et le commandement militaire, mais seulement en théorie, car aucun monarque européen n’y était parvenu depuis le début du xixe siècle. En ce qui concerne les recettes, Siegfried von Roedern se heurta aux mêmes difficultés que Karl Helfferich : il dut céder aux demandes d’exonérations fiscales de divers groupes disposant d’un pouvoir de veto, car le gouvernement ne pouvait ni ne voulait s’appuyer sur un parti majoritaire (ou une coalition de partis) au Parlement. Inversement, le gouvernement ne parvint pas à discipliner les représentants de ces groupes de manière à leur imposer d’acquitter leurs impôts pour soutenir la politique gouvernementale. Ces groupes étaient donc libres d’agir en toute irresponsabilité, en exigeant toujours plus. Dans le contexte d’un tel réseau d’institutions et d’intérêts, il n’y avait aucune place ou presque pour une politique budgétaire qui n’aurait pas renvoyé les difficultés de l’époque aux calendes grecques.
Notes de bas de page
1 Reinhold Zilch, Die Reichsbank und die finanzielle Kriegsvorbereitung von 1907 bis 1914, Berlin, Akademie verlag, 1987 ; Hans-Ulrich Wehler, Deutsche Gesellschaftsgeschichte, t. 3. : Von der “Deutschen Doppelrevolution” bis zum Beginn des Ersten Weltkriegs, Munich, Ch. Beck, 1995 ; Gerald D. Feldman, The Great Disorder. Politics, Economics, and Society in the German Inflation, 1914-1924, Oxford, Oxford University Press, 1996.
2 Le Reich n’était pas formellement doté d’un gouvernement (Regierung) composé de membres disposant du titre de « ministres », mais seulement d’une « direction impériale » (Reichsleitung), comprenant le chancelier et les secrétaires d’État.
3 H.-U. Wehler, Deutsche Gesellschaftsgeschichte, op. cit., p. 355-376, 1250-1295.
4 Reichstag : assemblée élue au suffrage universel égal qui contrôle l’action gouvernementale, détient l’initiative législative et vote les lois. Il partage toutefois ses attributions avec le Conseil fédéral (Bundesrat), où siègent les représentants des gouvernements des États fédérés.
5 Verhandlungen des Reichstags XIII. Legislaturperiode II. Session (désormais RT), vol. 306, 10 mars 1915, p. 39.
6 G.D. Feldman, The Great Disorder…, op. cit., p. 38.
7 Konrad Roesler, Die Finanzpolitik des Deutschen Reiches im Ersten Weltkrieg, Berlin, Ouncker & Humboldt, 1967.
8 Morten Reitmayer, Bankiers im Kaiserreich. Sozialprofil und Habitus der deutschen Hochfinanz, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht,1999 ; M. Reitmayer, « Zwischen Besitzindividualismus und organisierter Interessenpolitik. Die politischen Einstellungen der Bankiers im deutschen Kaiserreich », in Jahrbuch für Wirtschaftsgeschichte, 2, 2001, p. 71-95.
9 Youssef Cassis, Les banquiers de la City à l’époque édouardienne (1890-1914), Genève, Librairie Droz S.A., 1984 ; Y. Cassis, La City de Londres 1870-1914, Paris, Belin, 1987 ; Y. Cassis, City Bankers, 1890-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.
10 P.J. Cain et A.G. Hopkins, British Imperialism 1688-2000, Londres, Routledge, 2001 ; John Scott, Who rules Britain?, Cambridge, Polity Press, 1991 ; John Scott, The Upper Classes. Property and Privilege in Britain, Londres, Macmillan Press,1982.
11 Créée en 1856, la Berliner Handelsgesellschaft est une banque constituée en société anonyme dont les dirigeants ont la qualité d’associés.
12 Hans Fürstenberg, Erinnerungen. Mein Weg als Bankier und Carl Fürstenbergs Altersjahre, Wiesbaden, Rheinische Verlags-Anstalt O.J., 1965, p. 113.
13 Gerald D. Feldman, “Die Deutsche Bank vom Ersten weltkrieg bis zur weltwirtschaftskrise“, in Lothar gall et al. (ed.), Die Deutsche Bank 1870-1955, München, C.H. Beck, 1995, p. 143.
14 Pour la suite, voir ibid., p. 144.
15 Ibid., p. 138-139.
16 M. Reitmayer, Besitzindividualismus (FN8) ; Peter-Christian Witt, Die Finanzpolitik des Deutschen Reiches von 1903 bis 1913. Eine Studie zur Innenpolitik des Wilhelminischen Deutschland, Lübeck, Matthiesen, 1970
17 M. Reitmayer, Besitzindividualismus, op. cit. Résultats des élections de 1912 (397 sièges au total) : le SPD remporta 110 mandats (+67 par rapport aux élections précédentes) soit 34,8 % des voix (+3,1 %) ; les deux partis conservateurs obtinrent ensemble 57 mandats (‑27) soit 12,2 % des voix (‑1,4 %) ; les nationaux-libéraux remportèrent 45 mandats (‑9) soit 13,6 % des voix (–0,9 %) ; les libéraux de gauche remportèrent 42 mandats (‑7) soit 12,3 % des voix (+1,4 %) ; le Parti catholique du Centre remporta 91 mandats (‑14) soit 16,4 % des voix (‑3,0 %) ; les autres partis obtinrent 52 mandats (‑10) soit 10,6 % des voix (‑2,1 %). Gerhard A. Ritter, Das Deutsche Kaiserreich, Göttigen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1975, p. 366-367.
18 M. Reitmayer, Besitzindividualismus, op. cit.
19 Bank-Archiv 8, 1908/09 : Max Warburg (M.M. Warburg & Co.), « Zur Reichsfinanzreform », p. 81-87 ; Jacob Riesser (Darmstädter Bank)/Max Rötger, « Zur Reichsfinanzreform », p. 261-262 ; Max Schinckel (Norddeutsche Bank/Disconto-Gesellschaft), « Betrachtungen über die Reichsfinanzreform », p. 262-264 ; Ludwig Delbrück (Delbrück. Leo & Co.), « Die Kotierungssteuer », p. 264-265 ; Adolf Stroell (Bayerische Hypotheken– und Wechselbank), « Die Stellung der Hypothekenbanken zum Antrag Richthofen », p. 279-281 ; Karl Helfferich (Deutsche Bank), « Die Besitzsteuern », p. 9-14 ; Friederich Schwartz (Preußische Central Bodencreditanstalt), « Talonsteuern und Grundkredit », p. 314-316. Bundesarchiv Potsdam Reichskanzlei Nr. 213, Arthur Gwinner au chancelier Bernhard von Bülow, 28.6.1909, 15.7.1909 ; Paul von Schwabachs (S. Bleichröder) au secrétaire d’État aux affaires étrangères Wilhelm von Schoen le 2 juillet 1909, in Paul von Schwabach, Aus meinen Akten, Berlin, Author’s edition, 1927, p. 172.
20 René Schiller, Vom Rittergut zum Großgrundbesitz. Ökonomische und soziale Transformationsprozesse der ländlichen Eliten in Brandenburg im 19. Jahrhundert, Berlin, Akademie Verlag, 2003, p. 131-138. Pour la Poméranie, voir Ilona Buchsteiner, « Pommerscher Adel im Wandel des 19. Jahrhunderts », in Geschichte und Gesellschaft, 25, 1999, p. 343-374 ; Ilona Buchsteiner, « Besitzkontinuität, Besitzwechsel und Besitzverlust in den Gutswirtschaften Pommerns 1897-1910 », in Heinz Reich (ed.), Ostelbische Agrargesellschaft im Kaiserreich und in der Weimarer Republik. Agrarkrise– junkerliche Interessenpolitik – Modernisierungsstrategien, Berlin, Akademie Verlag, 1994, p. 125-140.
21 Max Weber, « Agrarstatistische und sozialpolitische Betrachtungen zur Fideikommiß-Frage in Preußen », in Gesammelte Aufsätze zur Soziologie und Sozialpolitik, Tübingen, UTB GmbH, 1988, p. 328-336, p. 369.
22 R. Schiller, Vom Rittergut…, op. cit., p. 141.
23 Ibid., p. 234-235.
24 Peter-Christian Witt, « Der preußische Landrat als Steuerbeamter 1891-1918. Bemerkungen zur politischen und sozialen Funktion des deutschen Beamtentums », in Immanuel Geiss et Bernd Jürgen Wendt (ed.), Deutschland in der Weltpolitik des 19. Und 20. Jahrhunderts, Düsseldorf, Berkelsmann Universitäts-Verlag, 1973.
25 Daniel Menning, « Adlige Lebenswelten und Kulturmodelle zwischen Altem Reich und „industrieller Massengesellschaft“ – ein Forschungsbericht », in H-Soz-Kult, 23.09.2010, http://hsozkult.geschichte.hu-berlin.de/forum/2010-09-001.
26 Heinz Reif, Adel im 19. und 20. Jahrhundert, Munich, Oldenbourg Wissenshaftsverlag, 1999, p. 11-13.
27 M. Reitmayer, Bankiers im Kaiserreich…, op. cit.
28 Fritz K. Ringer, The Decline of the German Mandarins. The German Academic Community 1890-1933, Cambridge, Wesleyan University Press, 1969 ; H.-U. Wehler, Deutsche Gesellschaftsgeschichte, op. cit., p. 712-750.
29 Bernd Wunder, Geschichte der Bürokratie in Deutschland, Frankfurt-am-Main, Suhrkamp, 1986, p. 102-106 ; F.K. Ringer, The Decline, op.cit.
30 RT, vol. 306, 10 mars 1915, p. 39-43.
31 T. Balderston, « War finance and inflation in Britain and Germany 1914-1918 », in Economic History Review, HER XLII, 2, 1989, p. 222-244.
32 G.D. Feldman, The Great Disorder, op. cit., p. 38.
33 Ibid.
34 Pour la suite, voir H.-U. Wehler, Deutsche Gesellschaftsgeschichte, op. cit., p. 885-889 ; P.-C. Witt, Finanzpolitik, op. cit., p. 17-58.
35 P.-C. Witt, Finanzpolitik, op. cit., p. 17-58.
36 Ibid., p. 40-54.
37 P.-C. Witt, « Der preußische Landrat als Steuerbeamter 1891-1918. Bemerkungen zur politischen und sozialen Funktion des deutschen Beamtentums », art. cité, p. 205-219.
38 Gerhard A. Ritter, Das Deutsche Kaiserreich, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1975, p. 362.
39 Detlef Lehnert, Sozialdemokratie zwischen Protestbewegung und Regierungspartei 1848-1983, Frankfurt-am-Main, Suhrkamp, 1983, p. 110-119 ; Helmut Bley, Bebel und die Strategie der Kriegsverhütung 1904-1913. Eine Studie über Bebels Geheimkontakte mit der britischen Regierung und Edition der Dokumente, 2. Aufl., Hanovre, Offizin-Verlag, 2014.
40 En décembre 1907, le dirigeant conservateur Otto von Manteuffel déclarait, lors d’une réunion de son parti, que tout ministre qui proposerait l’application, pour l’élection du Landtag prussien, du droit de vote égalitaire en vigueur pour le Reichstag serait accusé de trahison. James N. Retallack, Notables of the Right. The Conservative Party and Political Mobilization in Germany 1876-1918, Londres, Unwin Hyman, 1988, p. 163.
41 RT, vol. 306, 10 mars 1915, p. 45-48.
42 K. Roesler, Die Finanzpolitik…, op. cit., p. 24-31.
43 Birger P. Priddat, « “Nationalökonomische Vertiefung der Rechtsphilosophie”. Adolph Wagners rechtliche Theorie der Verteilung », in Produktive Kraft, sittliche Ordnung und geistige Macht. Denkstile der deutschen Nationalökonomie im 18. und 19. Jahrhundert, Marburg, Metropolis, 1998, p. 391-414.
44 K. Roesler, Die Finanzpolitik…, op. cit., p. 216-218, tableau 17.
45 P.-C. Witt, Finanzpolitik…, op. cit., p. 356-376. Gary Bonham, Ideology and Interest in the German State, New York, Dissertations-6, 1991, p. 262-327.
46 James N. Retallack, Notables of the Right…, op. cit., p. 179-226.
47 P.-C. Witt, Die Finanzpolitik…, op. cit., p. 233-234.
48 Ibid., p. 356-376.
49 Ibid., p. 36-40.
50 RT, vol. 306, p. 32 (10 mars 1915).
51 Ibid., p. 47 (10 mars 1915).
52 Ibid., p. 56-58 (18 mars 1915).
53 H.-U. Wehler, Deutsche Gesellschaftsgeschichte, t. 4 : Vom Beginn des Ersten Weltkriegs bis zur Gründung der beiden deutschen Staaten, Munich, Ch. Beck, 2003, p. 53.
54 RT, vol. 306, p. 223 sqq. (20 août 1925).
55 Ibid., p. 223 (20 août 1915).
56 Ibid., p. 223-224 (20 août 1915).
57 Ibid., p. 224 (20 août 1915).
58 Sur Karl Helfferich, John G. Williamson, Karl Helfferich 1872-1924. Economist, Financier, Politician, Princeton, Princeton legacy library, 1971.
59 Pierre Bourdieu, La Noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1989.
60 Sur Siegfried von Roedern, Reinhold Zilch, « Roedern, Siegfried Friedrich Wilhelm Erdmann Graf von », Neue Deutsche Biographie, Bd. 21, Berlin, Bayerische Akademie der Wissenschaften, 2003, p. 710-711.
61 Sur le programme Hindenburg, Gerald D. Feldman, Army, Industry and Labor in Germany 1914-1918, Princeton, Cambridge University Press, 1966.
62 G.D. Feldman, The Great Disorder…, op. cit., p. 40, tableau nº 2.
63 Ibid.
64 Ibid., p. 41, tableau nº 3.
65 K. Roesler, Die Finanzpolitik…, op. cit., p. 105-119.
66 G.D. Feldman, The Great Disorder…, op. cit., p. 41.
67 Carl-Ludwig Holtfrerich, « The Modernization of the Tax System in the First World War and the Great Inflation », in Peter-Christian Witt (dir.), Wealth and Taxation in Central Europe, Leamington Spa, Berg, 1987, p. 125-135, en particulier p. 130.
68 G.D. Feldman, The Great Disorder…, op. cit., p. 42.
69 C.-L. Holtfrerich, « The Modernization of the Tax System in the First World War and the Great Inflation », art. cité, p. 130.
Auteur
Professeur d’histoire moderne à l’université de Trêves, Morten Reitmayer a travaillé sur l’histoire, la sociologie et la littérature germanique à l’université de Hanovre. Il a publié Die Anfänge der Gegenwart. Umbrüche in Westeuropa nach dem Boom, München, 2014, (Zeitgeschichte im Gespräch, Bd. 17) ; Elite. Eine Idee in historischer Perspektive in : Aus Politik und Zeitgeschichte, 15 (2014), S. 9-15 ; Unternehmen am Ende des „goldenen Zeitalters“. Die 1970er Jahre in unternehmens- und wirtschaftshistorischer Perspektive, Essen, 2008, (Bochumer Schriften zur Unternehmens- und Industriegeschichte, Bd. 16) ; Rhenish Capitalism (Business History Special Issue), à paraître.
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