La Commission européenne, le SME et la relance du processus d’Union économique et monétaire dans les années 1980
p. 87-106
Note de l’éditeur
Délégué du chef du département des études, Banque nationale de Belgique, et professeur à la K.U. Leuven et à l’Institut d’études européennes, Chaire Robert Triffin, Université catholique de Louvain. J’aimerais remercier toutes les personnes qui m’ont apporté leur aide dans le cadre de ce projet, et en particulier J.-P. Abraham. Les réserves d’usage sont d’application
Remerciements
Remerciements
J’aimerais remercier toutes les personnes qui m’ont apporté leur aide dans le cadre de ce projet, et en particulier J.-P. Abraham. Les réserves d’usage sont d’application.
Texte intégral
Introduction
1Après une période de perturbations, la création, en 1979, du Système Monétaire Européen (SME) a relancé le processus d’intégration monétaire européenne. Au début des années 1980, la Commission a tenté d’améliorer le fonctionnement du SME. Elle s’est plus particulièrement attachée à renforcer le rôle de l’écu, officiel et privé. En 1985, alors que Jacques Delors présidait la Commission, le programme du marché intérieur a relancé le processus d’intégration européenne. L’Union Économique et Monétaire (UEM) est elle aussi à nouveau revenue à l’ordre du jour. De manière très modeste au départ, à travers la dimension monétaire de l’Acte unique européen. Quelques années plus tard, grâce au processus de Maastricht, l’UEM a été au cœur du projet d’intégration européenne.
2Le présent article examine d’abord l’« acquis communautaire » sur le plan monétaire à la fin des années 1970 et passe en revue les principaux responsables de la politique monétaire à la Commission dans les années 1980. Il se concentre ensuite sur trois phases du processus d’intégration monétaire : la création du SME, le fonctionnement de celui-ci et la relance du processus d’UEM.
I. L’« acquis communautaire » sur le plan monétaire à la fin des années 1970
A. Le traité de Rome
3Le traité de Rome restreignait assez fort les responsabilités de la Commission dans les matières macroéconomiques et, plus particulièrement, monétaires. Triffin2 décrivait la dimension monétaire limitée de la Communauté Économique Européenne (CEE) de la manière suivante : « C’est un Hamlet où le rôle du Prince du Danemark est laissé dans une ombre quasi totale ! » Le traité cantonnait la politique monétaire essentiellement au niveau des États membres. Les responsabilités de la Commission concernaient l’orientation et la coordination des politiques macroéconomiques nationales.
4L’exposé le plus exhaustif des questions macroéconomiques et monétaires figure au chapitre « Balance des paiements ». Il explique que les questions macroéconomiques et monétaires étaient abordées sous l’angle du « Marché commun », puisque des déséquilibres de la balance des paiements pouvaient menacer la création et le bon fonctionnement du Marché commun. L’article 104 stipule que chaque État membre se doit de pratiquer la politique économique « nécessaire en vue d’assurer l’équilibre de sa balance globale des paiements et de maintenir la confiance dans sa monnaie, tout en veillant à assurer un haut degré d’emploi et la stabilité du niveau des prix ». Otmar Emminger (Bundesbank) était d’avis qu’il s’agissait d’un article « fondamental » dans la mesure où il impliquait l’engagement de chaque État membre à adopter une politique économique qui garantisse l’équilibre de la balance des paiements3. L’article 105, à sa suite, énonce que, pour réaliser les objectifs énoncés à l’article 104, « les États membres coordonnent leurs politiques économiques ». L’article 105.2 du traité prévoit également l’institution du Comité monétaire, tandis que l’article 108 évoque la situation où un État membre rencontre de graves difficultés dans sa balance des paiements, qui pourraient compromettre le fonctionnement du Marché commun. Il stipule que la Commission devrait procéder sans délai à un examen de la situation de cet État et qu’elle peut recommander l’adoption de mesures par l’État membre intéressé. Cet article prévoit en outre la possibilité de recourir au « concours mutuel ». L’article 109 contient les célèbres clauses de sauvegarde, absolument voulues par la France, en vertu desquelles, en cas de crise soudaine de la balance des paiements, un État membre peut prendre « les mesures de sauvegarde nécessaires ».
B. L’évolution au cours des années 1960
5L’intégration avançait bien au cours des premières années de la CEE. C’est ainsi que, en octobre 1962, la Commission élabora un mémorandum présentant son programme d’action pour la deuxième phase de la Communauté (1962-1965). Dans ce mémorandum, la Commission privilégiait une interprétation maximaliste du traité de Rome, impliquant la réalisation progressive d’une union économique et monétaire pleine et entière, avec une politique économique à moyen terme et une union politique. Le mémorandum reçut un accueil mitigé. Ludwig Erhard critiqua le mémorandum au Parlement européen. Les gouverneurs des banques centrales demandèrent qu’une analyse juridique établisse tout d’abord si le Conseil et la Commission avaient le droit d’instaurer des règlements et des directives et de prendre des décisions contraignantes pour les banques centrales4. Les discussions eurent pour conséquence que des modifications furent apportées aux propositions initiales de la Commission. Les nouvelles propositions reçurent un accueil plus favorable, de sorte que trois nouveaux comités (le Comité de politique économique à moyen terme, le Comité de politique budgétaire et le Comité des gouverneurs) furent créés en 1964. Le mémorandum présenté par Raymond Barre en 1969 s’appuyait aussi sur les résultats déjà acquis. Il proposait une double approche : une coordination de la politique à court et à moyen terme afin d’éviter les déséquilibres économiques, et un mécanisme communautaire de coopération monétaire pour alléger les pressions sur les marchés des changes.
6On assiste donc clairement à un renforcement du rôle de la Commission dans le domaine monétaire5. Celle-ci a usé de son droit général d’initiative pour accroître son influence. La création en 1964 du Comité des gouverneurs a permis à la Commission de rentrer dans le cercle que constituent les dirigeants des banques centrales, ce qui devait se révéler ultérieurement d’une importance capitale pour le projet de l’UEM.
C. Le sommet de La Haye, le plan Werner et « le serpent »
7À la fin des années 1960, les accords de Bretton Woods ont commencé à être sérieusement mis en question, surtout à la suite de la dévaluation du franc français en 1969 et à la position vulnérable du dollar américain. Les pays de la Communauté craignaient qu’une plus grande instabilité des taux de change entraîne la désintégration de l’union douanière et l’effondrement de la politique agricole commune. À cela s’est ajouté le fait que de nouveaux leaders politiques sont arrivés au pouvoir en 1969. En France, De Gaulle a démissionné et Pompidou a été élu président de la République. En Allemagne, un nouveau gouvernement a été constitué avec Willy Brandt, un proeuropéen convaincu, comme chancelier. C’est le gouvernement Brandt qui a proposé le projet de l’UEM.
8En 1969, au sommet de La Haye, les chefs d’État et de gouvernement inscrivirent l’union économique et monétaire comme objectif pour la Communauté. Un comité, présidé par le Premier ministre luxembourgeois Pierre Werner, fut créé. Il a remis un rapport en octobre 1970, connu sous le nom de « rapport Werner »6. Ce rapport présentait tout d’abord une image générale de l’union monétaire. Au niveau institutionnel, il préconisait la création de deux organes communautaires : un centre de décision en matière de politique économique et un système communautaire des banques centrales. Ceci impliquait une révision du traité de Rome. Le plan proposait d’atteindre l’UEM en trois étapes. Toutefois, il ne fixait pas un calendrier précis pour les différentes étapes. Il souhaitait au contraire conserver une certaine flexibilité tout en se concentrant sur la première phase. Le comité Werner connut des débats animés entre les « économistes », dont l’Allemagne était le porte-drapeau, et les « monétaristes », dont la France faisait partie, sur ce qui devait bénéficier de la priorité : la coordination des politiques ou le rétrécissement des marges de fluctuation7. La solution de compromis fut que des « progrès parallèles » devaient être faits dans les deux domaines.
9En France, le rapport Werner fit l’objet de critiques de la part des gaullistes orthodoxes dès sa publication8. Celles-ci visaient principalement les éléments de supranationalité contenus dans le rapport. Elles entraînèrent un changement dans la politique du gouvernement français, ce qui contribua à une dilution des propositions contenues dans le rapport. On renonça en particulier à la création de nouvelles institutions communautaires.
10La première tentative d’unification monétaire n’a pas débouché sur un très grand succès : le nouveau mécanisme de change européen, qu’on a appelé le « serpent », s’est rapidement réduit à une zone mark et la coordination des politiques économiques est restée limitée. La maigreur du résultat n’a pas seulement été due à l’instabilité du contexte international (à savoir l’écroulement du système de Bretton-Woods et la crise pétrolière), mais également à l’attitude des gouvernements nationaux, lesquels restaient fortement attachés à leur souveraineté et à la poursuite d’objectifs économiques nationaux, confortés en cela par la théorie, alors très en vogue, de la courbe de Phillips9. En Allemagne, la priorité était donnée à la lutte contre l’inflation, alors qu’en France, c’était la croissance économique qui était considérée comme l’objectif principal.
II. Les principaux responsables de la politique économique à la Commission européenne
11C’est au collège de la Commission qu’incombe au final l’élaboration de la politique de la Commission (principe de collégialité). Dans le domaine monétaire, c’est traditionnellement le président et le membre de la commission responsable de la DG II (Affaires économiques et financières) qui ont un rôle moteur. Au début des années 1980, Roy Jenkins et Gaston Thorn étaient les présidents de la Commission, tandis que François-Xavier Ortoli était le membre responsable des affaires économiques et financières (tableau 1). En 1985, Jacques Delors devint président de la Commission. Il affichait un intérêt marqué pour les problèmes monétaires. Preuve en est qu’il fit en sorte que la direction des Affaires monétaires de la DG II relève directement de sa responsabilité.
12Les directeurs généraux de la DG II ont été des Italiens : Tommaso Padoa-Schioppa, Massimo Russo et Antonio Costa. Le plus influent a été, probablement, Padoa-Schioppa, de juin 1979 à mars 1983. Son principal objectif était le renforcement du SME, particulièrement dans un monde caractérisé par une mobilité des capitaux toujours plus grande. Il était en outre entré en contact avec Delors, qui était à l’époque président du comité économique et monétaire du Parlement européen. Lorsque Delors devint président de la Commission, Padoa-Schioppa, qui était entre-temps retourné à la Banque d’Italie, devint un conseiller très proche et très influent de Delors. Au sein de la DG II, ce sont principalement des Français qui se sont trouvés à la direction des affaires monétaires. Dans les années 1980, ce furent successivement Frédéric Boyer de la Giroday et Jean-Paul Mingasson.
III. Le Système monétaire européen
A. De nouvelles initiatives dans le domaine monétaire
13Au cours de la seconde moitié des années 1970, la Commission commença sérieusement à s’inquiéter de la stagnation du processus d’intégration européenne et du risque de désintégration possible des réalisations du passé. Roy Jenkins, le président de la Commission, tenta de relancer le projet d’union monétaire, spécialement dans son fameux discours de Florence10. L’année suivante, le président français, Valéry Giscard d’Estaing, et le chancelier allemand, Helmut Schmidt, jouèrent un rôle clé dans la relance du processus d’intégration monétaire avec la création du Système monétaire européen11. Le Système monétaire européen a été accepté par les chefs d’État et de gouvernement dans une résolution du sommet de Bruxelles de décembre 1978. Le SME a été lancé de façon formelle en mars 1979.
14La création du SME a été entourée d’un très grand scepticisme, spécialement de la part des économistes émanant des milieux universitaires, mais également des experts monétaires, qui gardaient encore un souvenir très vif de l’effondrement du serpent. Cependant, les leaders politiques soutinrent fortement le SME et réussirent à faire décoller le projet. On peut dès lors affirmer que la création du SME « a représenté une victoire de l’intuition politique sur l’opinion des experts »12.
15Quant à savoir si la mise en œuvre du Système monétaire européen a ou non véritablement représenté une deuxième tentative de constituer une union monétaire, cela reste un objet de discussion. L’argument principal en faveur de cette thèse est que l’accord relatif au SME prévoyait la création d’un Fonds monétaire européen dans les deux ans suivant le lancement du SME. Toutefois, il n’y a jamais eu réellement d’accord concernant les fonctions de ce Fonds et le projet a été enterré en décembre 1980. En tout état de cause, les conclusions du Conseil de Brême (juillet 1978) ne faisaient pas état d’une union économique et monétaire, mais d’un « schéma pour la création d’une coopération monétaire renforcée conduisant à une zone de stabilité monétaire en Europe », ce qui était un projet sensiblement moins ambitieux. La forme juridique qui a été choisie pour le Système monétaire européen traduit également cet objectif plus limité : un accord entre les banques centrales de la Communauté, alors que le rapport Werner ambitionnait une modification des traités avec la création d’un Système européen des banques centrales.
B. Les caractéristiques du Système monétaire européen
16Le Système monétaire européen comportait trois éléments de base : le mécanisme de taux de change (MTC), les mécanismes de crédit et l’unité de compte européenne (l’écu).
17Le mécanisme de taux de change se trouvait au centre du Système monétaire européen. Cela peut sembler quelque peu paradoxal étant donné que toutes les devises de la Communauté européenne n’y participaient pas. Les devises initiales ont été le mark allemand, le florin néerlandais, le franc français, la couronne danoise, le franc belge/luxembourgeois, la livre irlandaise et la lire italienne. La livre britannique ne participa au mécanisme qu’en octobre 1990 (jusqu’en septembre 1992).
18Les caractéristiques du mécanisme de taux de change étaient les suivantes : (1) la fixation d’un cours pivot entre les devises des différents pays participants ; (2) une marge normale de fluctuation de 2,25 % (initialement) de part et d’autre du cours pivot (à l’exception de l’Italie, pour laquelle la marge de fluctuation était fixée à 6 %). Cette marge de fluctuation définissait un cours plancher et un cours plafond au-delà desquels les banques centrales avaient l’obligation d’intervenir. Les interventions intramarginales avaient un caractère volontaire et devaient se faire d’un commun accord ; (3) les réalignements des cours pivots n’étaient possibles que moyennant l’accord de tous les pays participants. Cela avait pour conséquence que des décisions unilatérales de dévaluation ou de réévaluation, comme c’était le cas dans le Système de Bretton Woods, n’étaient pas autorisées. Cela soulignait le caractère communautaire des taux de change entre les pays participants.
19Différents mécanismes de crédit étaient prévus : à très court terme, à court terme et à moyen terme, ainsi que le mécanisme des prêts communautaires. Si les deux premiers portaient sur des financements au niveau des banques centrales et étaient destinés à soutenir une devise, les deux derniers constituaient une aide en matière de balance des paiements et étaient liés à des programmes d’ajustement.
20L’écu fut créé. C’était un panier de devises comprenant les devises de la Communauté européenne, y compris celles qui ne participaient pas au mécanisme de taux de change. L’objectif initial était que l’écu joue un rôle important dans le fonctionnement du MTC, à la fois comme indicateur de sources de tension sur les marchés des changes, et comme moyen de règlement par les banques centrales de leurs dettes résultant de leurs interventions de soutien. Toutefois, le premier aspect n’a jamais réellement pris forme et le second a fait l’objet de restrictions.
IV. La stratégie de la Commission pour renforcer le Système monétaire européen
A. La communication de la Commission de mars 1982
21Les premières années du SME ont été difficiles. Elles ont été caractérisées par plusieurs réalignements, une absence de convergence et une faible coordination des politiques économiques. La communication de mars 1982 de la Commission sur l’approfondissement du Système monétaire européen traduit clairement sa stratégie générale visant à renforcer le SME13. Elle privilégiait quatre grands domaines : le renforcement du mécanisme de taux de change, la promotion de l’usage privé de l’écu, l’amélioration de la convergence et l’ouverture du SME au monde extérieur :
le renforcement du mécanisme de taux de change. Ici, la Commission souhaitait accroître le rôle de l’écu : « Il convient d’affirmer la vocation qu’a l’écu mis à la disposition des banques centrales d’être l’élément central du système. » La Commission proposait ainsi que les banques centrales puissent régler en écu l’intégralité de leurs dettes résultant de leurs interventions ;
la promotion de l’usage privé de l’écu. La Commission proposait que les institutions communautaires favorisent l’utilisation de l’écu dans leurs opérations et dans leurs émissions obligataires. Elle préconisait également que l’écu soit reconnu comme une devise étrangère (ce que la Bundesbank n’accepta qu’en juin 1987) et que les capitaux libellés en écus puissent circuler librement au sein de la Communauté. La stratégie de la Commission consistait à encourager « un usage plus large et plus libre de l’écu »14 ;
le renforcement de la convergence. La Commission plaidait en faveur d’une plus grande concertation des politiques économiques. Elle proposait que la situation économique fasse l’objet d’une évaluation « par rapport à un ensemble d’indicateurs comparatifs et aux objectifs fixés d’un commun accord » ;
l’ouverture du SME au monde extérieur. La Commission préconisait « la recherche active d’une attitude commune à l’égard des monnaies tierces – et singulièrement le dollar – et son expression par les organes communautaires ».
22Toutefois, c’est le mark allemand et non l’écu qui devint rapidement le point d’ancrage du SME et ce, malgré les propositions de la Commission.
B. L’évolution du Système monétaire européen
23En France, François Mitterrand devint le premier président socialiste de la Cinquième République en mai 1981. Il lança un vaste programme économique, incluant une politique budgétaire expansionniste et des nationalisations. La perte de compétitivité de l’économie française et les fuites de capitaux qui en résultèrent se traduisirent à de nombreuses reprises par de fortes pressions sur le franc français. Confronté à nouveau à de très fortes pressions sur le franc français en mars 1983, Mitterrand réalisa que cela ne pouvait plus durer. Il choisit de rester dans le SME, surtout à cause de ses convictions européennes. Cela impliquait de mettre en œuvre une politique économique plus orthodoxe, à savoir une « politique de rigueur » si l’on voulait éviter de nouvelles dévaluations15.
24Cela représentait un changement fondamental dans la politique française à l’égard de l’intégration monétaire européenne. Depuis la fin des années 1960, la France avait officiellement soutenu l’intégration monétaire européenne, mais elle avait en même temps veillé à préserver sa souveraineté dans le domaine de la politique économique. Avec la dévaluation de 1983, les responsables politiques français ont réalisé que ces deux attitudes étaient incompatibles et ont accepté la discipline du Système monétaire européen, sans toutefois renoncer à faire part de leurs critiques concernant le fonctionnement asymétrique du SME. Déjà lorsqu’il était ministre des Finances, Jacques Delors disait qu’il fallait dépasser la logique du SME.
25On peut discerner un mouvement similaire dans le sens d’une plus grande orthodoxie dans plusieurs pays européens comme la Belgique, l’Irlande et le Danemark au début des années 1980. Ce mouvement de convergence des politiques économiques a lui-même contribué à une plus grande convergence des taux d’inflation, laquelle a conduit à son tour à une plus grande stabilité des taux de change au sein du SME, les réalignements devenant moins fréquents et moins importants.
26C’est ainsi que l’on assista à une plus grande convergence des politiques économiques au cours de la première moitié des années 1980. Différentes mesures furent également prises pour renforcer la coordination des politiques monétaires et l’utilisation de l’écu dans le SME. La Commission n’a cependant pas réussi à placer l’écu au centre du SME, lequel a été au contraire dominé par le mark allemand et la politique de la Bundesbank. La Commission n’a pas non plus marqué des points importants au niveau international. L’écu privé s’est toutefois fait une place sur les marchés financiers.
V. La relance du projet d’union monétaire
A. Le projet du marché intérieur et l’Acte unique
27La désignation de Jacques Delors comme nouveau président de la Commission européenne est intervenue à la mi-1984. Avant d’entrer en fonction en janvier 1985, il fit le tour des capitales européennes, proposant différents projets susceptibles de relancer le processus d’intégration. Ceux-ci portaient sur l’union monétaire, la coopération en matière de défense, les réformes institutionnelles et le marché intérieur. Le seul projet qui obtint le soutien de tous les États membres fut celui concernant le marché intérieur. Comme le souligna Lord Cockfield16, qui était le membre de la Commission responsable du marché intérieur, « dans l’ordre des priorités de Jacques Delors, le marché intérieur venait loin derrière ses projets en matière d’union économique et monétaire ».
28Dans le discours qu’il prononça devant le Parlement européen en janvier 1985, Jacques Delors mit en exergue les mérites du SME et le décrivit comme « une sorte de zone de calme relatif au milieu d’une mer déchaînée par les mouvements amples et brusques des monnaies »17. Il insista cependant sur le fait qu’« une véritable monnaie européenne » n’était pas à l’ordre du jour. « Je connais trop les difficultés de principe, notamment du côté des banques centrales, et les arides techniques de la question monétaire pour formuler une telle promesse. » Il se situa dans la ligne des actions préconisées traditionnellement par la Commission en cette matière, à savoir le renforcement de la coopération monétaire et l’extension du rôle de l’écu.
« Pas de promesse inconsidérée. Mais, en revanche, je crois possible un renforcement substantiel de la coopération monétaire et une extension du rôle de l’écu, de l’écu officiel comme de l’écu privé. »
29C’est ainsi que le processus d’intégration européenne fut relancé en 1985 avec le programme relatif au marché intérieur. Celui-ci devait insuffler un nouveau dynamisme à la Communauté européenne et créer un engrenage conduisant du marché unique à la monnaie unique. À cet égard, la libéralisation des mouvements de capitaux, pour laquelle Delors s’est également battu, a représenté un élément important18. Celle-ci allait avoir des conséquences dans le domaine monétaire, étant donné que, pour l’Allemagne, la libéralisation des mouvements de capitaux était une condition nécessaire pour progresser dans le domaine de la coopération monétaire. De plus, les responsables des banques centrales et les hauts fonctionnaires des ministères des Finances étaient de plus en plus souvent confrontés à ce qu’on a appelé « le triangle impossible », à savoir l’impossibilité d’avoir en même temps une libre circulation des capitaux, des taux de change fixes et une politique monétaire autonome. Au cours des années 1980 et au début des années 1990, on assista à des progrès très importants en termes de mobilité des capitaux. Les marchés financiers gagnèrent également en importance19. La stabilité des taux de change au sein du SME réduisit sensiblement les marges de manœuvre nécessaires à la conduite d’une politique monétaire autonome, sauf dans le pays servant d’ancrage. La Communauté européenne dut donc vivre avec les inconvénients de l’union monétaire sans bénéficier de la plupart de ses avantages. Le projet relatif au marché intérieur créa des pressions à la faveur d’une plus grande intégration monétaire au sein de la Communauté. C’est là un exemple typique de ce qu’on peut appeler un « effet d’entraînement ».
30Les négociations qui eurent lieu en 1985 sur la dimension monétaire de l’Acte unique représentèrent un moment important. Ce fut la première révision importante du traité de Rome. Fin novembre, la Commission soumit également un projet de chapitre consacré à l’union économique et monétaire. Celui-ci contenait une codification des pratiques au sein du SME ainsi qu’une disposition permettant aux gouvernements de créer un « Fonds monétaire européen » autonome sur la base de l’unanimité20. Cela suscita une forte résistance, surtout de la part du Royaume-Uni, mais également d’autres pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas. Pour la Commission, il était essentiel que les traités mentionnent « l’acquis communautaire » dans le domaine monétaire (l’UEM comme objectif pour la Communauté, le SME et l’écu). Delors, appuyé par la France et par la Belgique, obtint que l’Acte unique contienne un chapitre, limité, sur une « capacité monétaire ». Mais comme on a pu s’en rendre compte plus tard, cela a véritablement été un tremplin pour les progrès ultérieurs de l’UEM. Comme Delors l’a dit à Grant21 :
« C’est comme l’histoire du Petit Poucet qui, perdu dans la forêt, laissait de petites pierres blanches derrière lui afin que l’on puisse retrouver sa trace. Je sème des pierres blanches afin que nous puissions retrouver l’union monétaire. »
31C’est ainsi qu’un nouveau chapitre intitulé « Coopération en matière de politique économique et monétaire (union économique et monétaire) » a été inséré dans la partie III du traité. Le nouvel article 102a était libellé comme suit : « En vue d’assurer la convergence des politiques économiques et monétaires nécessaire pour le développement ultérieur de la Communauté, les États membres coopèrent conformément aux objectifs de l’article 104. Ils tiennent compte, ce faisant, des expériences acquises grâce à la coopération dans le cadre du Système monétaire européen (SME) et grâce au développement de l’écu, dans le respect des compétences existantes. » L’acquis communautaire en matière monétaire fut ainsi introduit dans le traité. L’article continuait en ces termes : « Dans la mesure où le développement ultérieur sur le plan de la politique économique et monétaire exige des modifications institutionnelles, les dispositions de l’article 236 seront appliquées. En cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire, le Comité monétaire et le Comité des gouverneurs des banques centrales seront également consultés. » Le recours à l’article 236 signifiait qu’une conférence intergouvernementale était nécessaire pour procéder à des changements institutionnels dans le domaine monétaire.
32Début 1986, Jacques Delors décida de constituer un groupe d’experts sous la présidence de Tommaso Padoa-Schioppa pour analyser les implications du marché intérieur. Le rapport, intitulé « Efficacité, stabilité et équité : une stratégie pour l’évolution du système économique de la Communauté européenne » fut publié en avril 1987. Il concluait qu’un renforcement significatif de la coordination des politiques monétaires et des mécanismes du SME était indispensable si l’on voulait que la stabilité des taux de change et la libre circulation des capitaux subsistent et coexistent.
B. Le rapport Delors
33Début 1988, les discussions concernant l’avenir monétaire de l’Europe s’intensifièrent. Dans un mémorandum daté de janvier 1988, le ministre des Finances français, Édouard Balladur, constatait que le mécanisme de taux de change avait encore des défauts importants, en particulier son asymétrie. Il estimait également qu’il était indispensable de réfléchir à de nouvelles initiatives institutionnelles dans le domaine de la construction monétaire de l’Europe. Le mémorandum d’Édouard Balladur fut favorablement accueilli en Allemagne, non par la Bundesbank ou par le ministère des Finances, mais par le ministère des Affaires étrangères. En février 1988, Hans-Dietrich Genscher publia à son tour un mémorandum, à titre personnel, dans lequel il préconisait sans ambages la création d’une union monétaire européenne et d’une Banque Centrale Européenne (BCE)22. À ce moment-là, au début de 1988, Helmut Kohl était encore indécis concernant le problème de l’union monétaire. D’une part, il était sensible aux arguments de Stoltenberg, selon lesquels l’UEM n’était possible que si l’on avait atteint un degré suffisant de convergence (théorie du couronnement). D’autre part, il était également sensible aux arguments avancés par les défenseurs de l’UEM comme Genscher, mais également comme Mitterrand et Delors. En outre, Kohl prenait progressivement conscience que l’UEM était inévitable s’il voulait voir se concrétiser sa vision des « États-Unis d’Europe », qui était un thème récurrent dans ses discours de l’époque. À cet égard, le sommet bilatéral franco-allemand qui eut lieu à Évian début juin 1988 et au cours duquel Kohl et Mitterrand décidèrent d’aller de l’avant dans le sens de l’UEM fut d’une importance capitale.
34Dans le cadre de la préparation du sommet européen de juin, la DG II établit un dossier d’information pour Jacques Delors. Ce « Dossier préparatoire au mandat de Hanovre sur la construction monétaire européenne23 » reposait sur trois postulats : « L’union monétaire et l’union économique vont de pair » ; « L’établissement de l’union monétaire se fera selon un processus graduel » ; « Il convient de bâtir sur l’acquis. » Le dossier préconisait une approche fondée sur des monnaies parallèles. « La mise en place de la future monnaie européenne se fera au départ de l’écu, lequel émergera comme monnaie unique au terme d’un long processus d’acclimatation et de développement en parallèle avec les diverses monnaies nationales (Fiche 4). » La fiche précisait que cette approche s’opposait à l’approche allemande, selon laquelle les monnaies nationales ne seraient remplacées par une monnaie européenne, à la suite d’un grand big bang, que lorsqu’un degré de convergence suffisant aurait été atteint. La fiche prévoyait également de façon explicite une phase de transition, au cours de laquelle l’écu serait une monnaie parallèle :
« Dans cette phase, l’écu circulerait, dans chaque pays de la Communauté, en parallèle à la monnaie nationale. Ainsi, deux circuits monétaires coexisteraient dans chaque pays, celui de la monnaie nationale et celui de l’écu. »
35De nouveaux progrès furent enregistrés au sommet de juin qui se tint à Hanovre. Le Conseil européen confirma l’objectif de l’union économique et monétaire. Delors, surtout grâce à ses contacts avec Kohl, pesa de tout son poids dans le dossier monétaire. C’est ainsi que le Conseil décida de confier à un comité la tâche d’étudier et de proposer « des étapes successives menant concrètement vers cette union ». C’était là une limitation très astucieuse du mandat du comité, car il ne lui était pas demandé d’examiner si l’UEM était ou non souhaitable. Selon Delors24, Kohl lui demanda de présider le comité. Delors avait en effet la confiance de Kohl et de Mitterrand et il possédait les compétences techniques requises en tant qu’ancien ministre des Finances. Les gouverneurs des banques centrales participèrent également – à titre personnel – au comité. Delors souhaitait en effet leur participation, à la fois pour bénéficier de leurs compétences et pour les impliquer dans le projet d’union monétaire. Dans un premier temps, Pöhl, le président de la Bundesbank, envisagea même de refuser de siéger dans le comité. Padoa-Schioppa fut un des rapporteurs de ce comité.
36Le rapport Delors (Comité pour l’étude de l’Union économique et monétaire (ou comité Delors), 1989, communément appelé le « rapport Delors ») devait jouer un rôle de référence et d’ancrage tout à fait capital dans la suite des discussions. Il était essentiellement axé sur deux questions. D’abord : quelles sont les dispositions économiques qui sont nécessaires à la réussite d’une union monétaire ? Ensuite : quelles sont les étapes successives qui permettront d’atteindre progressivement une union économique et monétaire ?
37Au départ, les relations au sein du comité entre Delors et Pöhl furent plutôt tendues. Mais Delors s’était fixé comme objectif que le rapport soit approuvé à l’unanimité. Il adopta par conséquent un profil bas et s’efforça de dégager un consensus au sein du comité. Pöhl adopta une position « fondamentaliste » et mit l’accent sur le nouvel ordre monétaire qui devait être créé : « Il doit être établi avant tout que la stabilité de la valeur de la monnaie est la condition préalable indispensable à la réalisation d’autres objectifs. Les principes sur lesquels un ordre monétaire européen devrait être basé auront donc une importance capitale »25. Il plaida pour que la stabilité des prix soit l’objectif principal de la politique monétaire, laquelle devait être menée par une banque centrale indépendante. L’approche fondamentaliste devait profondément influencer le rapport Delors et inspirer un certain nombre de principes qui figureraient également en bonne place dans le traité de Maastricht26. Au niveau institutionnel, le rapport Delors proposait la création d’un Système européen des banques centrales indépendant, qui serait responsable de la politique monétaire unique, dont l’objectif fondamental serait la stabilité des prix.
38Le comité Delors rejeta également de façon catégorique la stratégie des monnaies parallèles comme moyen d’accélérer le processus d’union monétaire27. Deux arguments, caractéristiques aussi de l’approche de la Bundesbank, furent avancés : une source additionnelle de création monétaire sans lien précis avec l’activité économique pourrait mettre en péril la stabilité des prix ; l’ajout d’une nouvelle monnaie, avec ses propres implications monétaires, ne ferait que compliquer la tâche déjà difficile qui consiste à coordonner différentes politiques monétaires nationales. Delors acceptait de ce fait d’abandonner un élément clé de la stratégie que la Commission avait traditionnellement suivie au cours de la première moitié des années 1980. Plus tard, le Royaume-Uni devait tenter de relancer la stratégie des monnaies parallèles, mais sans résultat28.
C. Le traité de Maastricht
39Au cours de la période 1989-1990, l’Europe a sans doute connu des changements politiques parmi les plus importants depuis la Seconde Guerre mondiale. La chute du mur de Berlin intervenue en novembre 1989 mit soudainement le problème de l’unification allemande au centre de l’actualité. La France ainsi que d’autres pays s’inquiétèrent de la domination que pourrait exercer une Allemagne réunifiée. L’UEM représenta pour eux une façon de contenir l’Allemagne. Quant à la politique adoptée par le gouvernement allemand, la phrase bien connue de Thomas Mann pouvait presque la résumer : « Nous voulons une Allemagne européenne et non une Europe allemande. » Dans un tel contexte, le processus de l’UEM s’accéléra, menant ainsi au traité de Maastricht.
40La Commission européenne entretint le dynamisme du processus d’intégration29. Elle mit clairement en exergue le lien entre le processus du marché unique et l’unification monétaire. Elle procéda à une analyse approfondie des implications de l’UEM dans une étude de grande ampleur intitulée « Un marché, une monnaie »30. La Commission prépara également un projet de traité portant sur l’UEM31.
41Au cours de la conférence intergouvernementale consacrée à l’UEM, les discussions se concentrèrent sur deux questions clés, à savoir la transition vers la « phase III » de l’UEM et la structure constitutionnelle de l’UEM. En ce qui concerne le démarrage de la phase trois, deux dates figurent dans le traité : 1997, si la majorité des États satisfont aux critères, et 1999, comme date ultime. Pour pouvoir participer, les États membres devaient remplir certaines conditions, dont les principales étaient l’indépendance de la banque centrale et un degré de convergence élevé s’inscrivant dans la durée. Ces conditions posées au démarrage de l’union monétaire, à savoir une date fixe et le respect des critères de convergence, furent bien entendu le résultat de discussions. Les monétaristes, et en particulier la France et l’Italie, mais aussi la Commission, insistèrent sur la fixation d’une date pour s’assurer du démarrage de l’union monétaire, tandis que les économistes, et en particulier l’Allemagne, insistèrent sur les critères économiques pour s’assurer que seuls les pays jugés « aptes » puissent participer à l’union monétaire. La combinaison formée par les critères de convergence et de date se révéla être un puissant incitant pour le processus de convergence.
42Il y eut également d’intenses discussions concernant la structure constitutionnelle de l’UEM. L’union économique et monétaire devenait asymétrique. Le pôle monétaire de l’UEM s’inspirait fortement du rapport Delors. La politique monétaire était centralisée. Elle relevait de la responsabilité d’un Système européen des banques centrales indépendant et dont l’objectif premier était la stabilité des prix. La prédominance du modèle institutionnel allemand était évidente. Le processus de coordination relatif à la politique budgétaire suscita des discussions qui furent parmi les plus tendues de la conférence intergouvernementale. La France proposait un « gouvernement économique », où le Conseil européen donnerait les grandes orientations de politique économique, y compris en matière monétaire. J. Delors continuait lui aussi à plaider pour un renforcement du pilier économique de l’UEM. Pour l’Allemagne, l’indépendance de la Banque centrale européenne n’était pas négociable. Toutefois, les Allemands étaient également convaincus de la nécessité d’une coordination des autres instruments de la politique économique, et particulièrement de la politique budgétaire, étant donné qu’ils déterminent le contexte dans lequel la politique monétaire doit être mise en œuvre. Un accord ne fut conclu qu’après d’intenses négociations. Les autres instruments de la politique économique, comme la politique budgétaire et les politiques structurelles, continuèrent à relever pour l’essentiel de la responsabilité des autorités nationales, tout en étant soumis à un processus de surveillance et de contrôle. Les conceptions différentes de l’union monétaire et de l’union économique étaient la manifestation des limites de la volonté des États membres d’abandonner leur souveraineté nationale.
Conclusion
43Au cours des années 1980, la Commission a joué un rôle particulièrement actif dans le processus de l’intégration monétaire européenne. En matière monétaire, les principaux alliés de la Commission ont été la France, l’Italie et surtout la Belgique, avec laquelle la Commission partageait une approche clairement fédéraliste ainsi qu’une proximité physique. Dans l’ensemble, le Royaume-Uni est resté à l’écart des discussions relatives à l’intégration monétaire. Le problème clé était d’obtenir l’adhésion de l’Allemagne au projet d’union monétaire. Pour arracher cette adhésion, la Commission a dû se rallier pour l’essentiel à la conception allemande de l’UEM. À cet égard, il ne faut pas perdre de vue que la Commission était confrontée à un problème important du fait que la véritable expertise en matière monétaire ne se trouvait pas à la Commission mais dans les États membres et particulièrement dans les banques centrales.
44Au début des années 1980, la stratégie de la Commission était principalement axée sur le renforcement du rôle de l’écu, surtout dans le but d’arriver à une plus grande symétrie au sein du SME. La Commission encourageait également l’utilisation de l’écu par la Communauté pour ses propres opérations et par le secteur privé. En agissant de la sorte, elle encourageait l’utilisation de l’écu comme monnaie parallèle. Ce qui n’était pas du goût de tout le monde et particulièrement de la Bundesbank.
45Avec Jacques Delors, le processus d’intégration européenne a été relancé avec le projet relatif au marché intérieur. Celui-ci allait créer un engrenage menant d’un marché unique à une monnaie unique. La Commission a alors opté pour une approche institutionnelle de l’UEM par le biais d’une modification des traités. À travers le comité Delors, Jacques Delors a réussi à obtenir l’expertise des banques centrales et à impliquer celles-ci dans le projet d’union économique et monétaire. Cela a aussi eu pour corollaire que la Commission a dû renoncer à son approche des monnaies parallèles en matière de monnaies, étant donné que celle-ci ne rencontrait pas l’assentiment des banques centrales et particulièrement de la Bundesbank.
46On peut dire que, dans l’ensemble, c’est dans la détermination des problèmes auxquels il convenait de s’attaquer ainsi que dans l’orientation des discussions relatives à la nature de l’intégration monétaire que la Commission a été la plus influente. Le rôle qu’a joué Jacques Delors et le comité Delors dans l’orientation donnée aux discussions portant sur l’union économique et monétaire en est un parfait exemple. Roy Jenkins a joué un rôle similaire avec son discours de Florence. Cependant, les décisions fondamentales concernant le SME et l’UEM ont été le plus souvent le résultat de compromis franco-allemands, même si la Commission a contribué de façon positive à l’émergence de ces compromis. Jacques Delors a joué un rôle à cet égard, grâce à la fois à ses compétences techniques et à la confiance que lui accordait François Mitterrand et, particulièrement, Helmut Kohl.
Notes de bas de page
2 Robert Triffin, 1958, « La monnaie et le Marché commun – Politiques nationales et intégration régionale », Cahiers de l’Institut de sciences économiques appliquées, nº 74, décembre 1985, p. 1.
3 Otmer Emminger, 1958, « Les aspects monétaires du Marché commun », Bulletin d’information et de documentation, Banque nationale de Belgique, nº 2, août, p. 93.
4 La politique monétaire dans le cadre du Marché commun, 4.12.1962, Archives de la BCE, Francfort.
5 Ivo Maes, 2004, « Macroeconomic and Monetary Policy-Making at the European Commission, from the Rome Treaties to the Hague Summit », WP nº 58, National Bank of Belgium, août 2004, Scottish Jounal of Political Economy; vol 53, nº 2, may 2006, p. 222-241.
6 Council-Commission of the European Communities, 1970, Report to the Council and the Commission on the Realisation by Stages of Economic and Monetary Union in the Community, Werner Report, Luxembourg, octobre.
7 Pierre Werner, 1991, Itinéraires luxembourgeois et européens, Luxembourg, Éditions Saint-Paul.
8 Loukas Tsoukalis, 1977, The Politics and Economics of European Monetary Integration, Londres, Allen & Unwin, p. 104.
9 Ivo Maes, 2002, Economic Thought and the Making of European Monetary Union, Cheltenham, Edward Elgar.
10 Roy Jenkins, 1977, « Europe’s Present Challenge and Future Opportunity », Bulletin, EC 10.
11 Peter Ludlow, 1982, The Making of the European Monetary System, Londres, Butterworth.
12 Jörgen Mortensen, 1990, Federalism vs. Co-ordination, Bruxelles, Center for European Policy Studies, p. 28.
13 Archives DG ECFIN, Bruxelles, www.eu.int.
14 Jean-Paul Mingasson, 1984, « Pour un usage plus large et plus libre de l’écu », Eurépargne, nº 8/9.
15 Le gouvernement modifia par exemple les procédures de fixation des salaires, abolissant ainsi l’indexation automatique de ceux-ci.
16 Lord Cockfield, 1994, The European Union: creating the Single Market, Londres, Wiley.
17 Jacques Delors, 1985, « Déclaration sur les orientations de la commission des Communautés européennes, Strasbourg, le 14 janvier 1985 », Bulletin des Communautés européennes, Supplément 1/85, p. 12.
18 À la grande surprise des hauts fonctionnaires de la Commission, pour lesquels cela représentait un changement fondamental d’orientation. J. Delors était certainement conscient des conséquences de ce changement d’attitude. T. Padoa-Schioppa, un de ses proches confidents, était en effet très impliqué dans l’analyse du « triangle impossible ».
19 Jean-Paul Abraham, 2003, Monetary and Financial Thinking in Europe, Evidence form Four Decades of SUERF, SUERF Studies.
20 Charles Grant, 1994, Delors : Inside the House that Jacques Built, Londres, Nicholas Brealy, p. 73.
21 Charles Grant, op. cit., p. 74.
22 Wilhelm Schönfelder et Elke Thiel, 1996, Ein Markt – Eine Währung, 2e éd. Baden-Baden, Nomos, p. 29.
23 Note du 23 juin 1988, Archives DG ECFIN, Bruxelles, www.eu.int
24 Jacques Delors, 2004, Mémoires, Paris, Plon.
25 Karl-Otto Pöhl, 1988, « The Further Development of the European Monetary System », Collection of Papers, Committee for the Study of Economic and Monetary Union, Luxembourg, 1989, p. 132.
26 Tommaso Padoa-Schioppa, 1994, The Road to Monetary Union in Europe, Oxford, Clarendon Press.
27 Committee for the Study of Economic and Monetary Union, 1998, Report on Economic and Monetary Union in the European Community, Delors Report, Luxembourg, p. 33.
28 Kenneth Dyson et Kevin Featherstone, 1999, The Road to Maastricht, Oxford, Oxford University Press.
29 Derek Beach, 2005, The Dynamics of European Integration, Palgrave Macmillan.
30 Commission of the EEC, 1990, « One Market, One Money », European Economy, nº 44, octobre.
31 Archives DG ECFIN, Bruxelles.
Auteur
Docteur en sciences économiques de l’Université catholique de Louvain et Master of Sciences in Economics de la London School of Economics. Il est délégué du chef du Département des études de la Banque nationale de Belgique et professeur, à l’Institut d’études européennes de l’Université catholique de Louvain (Chaire Robert Triffin). Sa thèse a portée sur The Contribution of J.-R. Hicks to Macroeconomic and Monetary Theory. Il a publié récemment : Economic Thought and the Making of European Monetary Union, Edward Elgar, 2002; La Banque nationale de Belgique, du franc belge à l’euro. Un siècle et demi d’histoire, Éditions Racine, 2005 ; « On the Origins of the Franco-German EMU Controversies », European Journal of Law and Economics, 2004 et « The Ascent of the European Commission as an Actor in the Monetary Integration Process in the 1960s », Scottish Journal of Political Economy, 2006.
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