Bien d’équipement et commerce extérieur : 1874-1913 (1920-1930) : quelques réflexions sur une faiblesse structurelle de l’économie française
p. 37-88
Note de l’auteur
Note 1. Les sources sont à la suite de cet article ; la bibliographie est incluse dans les notes.
Texte intégral
Introduction
1Les rares études comparatives concernant la projection extérieure de l’économie française, au cours de la seconde grande mutation de l’économie mondiale contemporaine des années 1870 à 19292, ne s’intéressent que marginalement au secteur extérieur pour lequel rien de véritablement nouveau n’a été, sur le plan général, réalisé depuis les remarquables publications de Jean Weiller. Les grandes orientations de la recherche actuelle font craindre qu’il en soit de même dans le futur proche au détriment d’une question laissée depuis longtemps en déshérence. L’objet spécifique de cet article ne réside pas dans l’étude analytique du commerce extérieur français, mais dans sa relation détaillée avec la trajectoire de l’économie nationale. Par conséquent, il ne s’agit que d’un aspect limité d’un projet en cours, si la Parque nous en donne le temps. On se limite ici à mettre en valeur certaines variables explicatives du recul de la place de la France au sein de l’économie industrielle et commerciale internationale. Il ne s’agit pas de repousser certaines études économétriques, encore moins de les suivre. Même en écartant de nombreuses publications nord-américaines dont l’ampleur des démonstrations méthodologiques masque trop souvent la rusticité des bases statistiques et archivistiques, nous pensons qu’en la matière les études économétriques butent sur le fait que leurs modèles sont simplificateurs par construction et adhérons au bon sens de Paul David selon lequel l’analyse historique factuelle peut seule répondre aux questions que fait surgir la statistique.
2En même temps, fidèle à une ligne que nous avons suivie depuis notre thèse de doctorat3, cette étude s’inscrit dans la comparaison du développement des économies française et allemande entre 1870 et 19304. Dans l’étude principale, dont ce qui suit constitue un essai de synthèse fragmentaire et délimité, nous avons pris en compte l’analyse des facteurs institutionnels, politiques et éducatifs (le rôle du centralisme français et du polycentrisme allemand dans la dynamique de l’enseignement commercial, technique et scientifique à tous les niveaux, la plus ou moins grande adaptabilité des normes juridiques…). Nous postulons aussi que, dans la prise en compte des variables influant sur le commerce international, les facteurs démographiques et les coûts salariaux ne constituent un handicap que dans la mesure où les agents économiques ne les intègrent pas dans leurs plans de production. La sidérurgie et la grosse mécanique belges (ferroviaire), l’industrie de précision et l’électrotechnique en Suède comme en Suisse, la chimie organique dans ce dernier pays, constituent autant de justifications de notre choix. En 1870, l’Allemagne n’est guère plus peuplée que la France mais le nombre de ses ingénieurs et techniciens supérieurs est sans commune mesure alors que sa sidérurgie et sa mécanique sont, sur des aspects industriellement majeurs, plus performantes et technologiquement plus avancées. De même, aspect essentiel mais non traitée au niveau de la présente étude, il faut prendre en compte l’aménagement du territoire : chemins de fer, ports, canaux et routes sont des facteurs à double entrée car si leur réalisation a pu être présentée par certains publicistes contemporains et par des historiens français et britanniques actuels d’un coût exagéré, de leur capacité voire dans un premier temps de leur surcapacité dépend la dynamique économique, source de progrès dans la production industrielle comme d’accumulation financière et, finalement, de rentabilité des investissements. Il est essentiel de contredire par une analyse industrielle et commerciale la critique, par trop comptable au sens étroit du terme, et donc à courte vue, des investissements ferroviaires et des voies d’eau, faite par quelques historiens français et britanniques actuels, alors qu’ils sont incomparablement supérieurs en Allemagne tant au cours des années 1850-1860 que de la période postérieure à 1880 avec des effets positifs industriels et commerciaux incontestables. L’étroitesse de champ, avec le regard de l’historien fixé dès 1786 sur la ligne blanche des falaises de Brighton, pose la question du choix des étalons de mesure5. En outre il est nécessaire, pour saisir les variables du problème, de ne jamais négliger, même dans une étude macroéconomique, la dimension de la vie de l’entreprise.
3Le choix du commerce extérieur et la comparaison avec l’Allemagne répondent à une interrogation que nous avons posée dès 1976, sans il est vrai retenir l’attention des historiens trop impliqués dans l’histoire de l’économie et des finances intérieures : la faiblesse structurelle, la lenteur de l’innovation et l’inefficacité de l’industrie française des biens d’équipement ont-elles une importance et jouent-elles un rôle majeur dans les difficultés croissantes de l’économie française dès le premier tiers du XIXe siècle ? Et, devant ce qui nous paraît être une réponse indiscutablement positive, quelle importance donner à la centralisation politique et financière, comme au malthusianisme doublé d’élitisme social borné, sur lesquels a été construit le système éducatif français à partir du Premier Empire ?
4Dans ce domaine la comparaison poursuivie par certains chercheurs6 avec la Grande-Bretagne est contestable malgré la qualité des publications. Mis à part le débat autour des années 1690-1786, le développement anglais s’est réalisé au sein d’une économie mondialisée, sans concurrence et donc à son seul profit, dès les guerres de la Révolution et accentué par les conséquences du rapport de forces économiques né de l’effondrement du système napoléonien. Lorsque la compétition reprend force au cours des années 18607, le Royaume-Uni perd sa prééminence en moins d’un quart de siècle. La référence à comparer se situe à la fois aux États-Unis dès les années 1860 et plus encore aux États allemands dès avant les Gründerjahren. Elle relève au cours du dernier tiers du XIXe siècle moins d’un système bancaire germanique dont on exagère le rôle8, que de l’existence ancienne d’un maillage à la fois serré et décentralisé de PME industrielles, facilité par les pouvoirs politiques dans les États, favorisant la multiplication des pôles de transport, finançant un enseignement technique multipolaire évolutif s’élargissant à la recherche, unissant théorie réalisation et application, tel le Physikalisch-Technische Reichsanstalt9, dans un lien précoce avec des industriels de premier plan : Emil Fisher, Walter Nerst, Emil Rathenau, Werner Siemens.
5Deux incidents historiques illustrent le problème français sans qu’il s’agisse d’archétypes :
6Dès l’automne 1914, l’électrotechnique rencontre des difficultés dans le domaine des charbons fabriqués avec du matériel et sur des brevets autrichiens (Hardmuth), tout comme l’aviation ne dispose pas des porcelaines à haut indice de rupture exigé pour les bougies de moteur ; le problème est ici d’une autre urgence que pour les moteurs d’engins terrestres.
7En 1938 des ingénieurs de la CGE reviennent inquiets de la foire de Leipzig où a été complaisamment exposé le matériel allemand destiné à équiper les usines d’armement10. À la suite, un directeur du groupe industriel note dans un document interne que « pour préparer la guerre il nous faudra commander à M. Hitler les machines à forer les tubes de canon avec lesquels on lui tirera dessus ».
8Dans les deux premiers exemples la solution sera trouvée chez un neutre : les États-Unis et non en Grande-Bretagne. La suite du second cas est, hélas, trop bien connue.
9Le retard de l’industrie française des biens d’équipement (ce qui vaut aussi pour les installations chimiques et l’instrumentation de précision) aurait dû être apprécié par l’examen des brevets déposés. L’analyse statistique que certains ont tentée est parfois totalement impropre comme le plus souvent irréalisable. Les législations sont fondamentalement différentes : comment comparer le brevet français SGDG avec ses homologues anglo-saxons ou germaniques à examen ? Sur ce plan les lois du 7 avril 1902 et du 14 juillet 1909 sont insuffisantes. Même dans un contexte comparatif, comment discerner le brevet appliqué de son équivalent sans effet ? Seuls les enrichissements postérieurs ou le renouvellement peuvent fournir une indication à quinze ou vingt ans. Le brevet autochtone peut être distingué du brevet étranger déposé par une filiale locale d’un groupe étranger, mais il s’agit là d’une étude ponctuelle irréalisable sur le plan quantitatif. Au demeurant l’invention ou l’innovation, la découverte de laboratoire, ne se transmettent ni de façon rapide ni surtout linéaire dans la production. Dans ce domaine de réflexion la littérature est surabondante. Pour nous limiter à un exemple plaisant, Alec Cairncross a expliqué11 que si King Gillette conçut sa fameuse lame alors qu’il se rasait avec un « sabre », la réalisation attendit plusieurs inventions industrielles postérieures et autonomes dans les domaines des aciers spéciaux et des outils coupants avant que l’on puisse envisager sa commercialisation. L’invention est donc souvent ségréguée de son exploitation commerciale subséquente. Dans ce cas, on revient aux progrès synchroniques des industries de biens d’équipement, illustrés par le cas quasi-modèle des relations entre Schuckert et Mannesman au début du XXe siècle (A. Broder).
10Dès la fin du XIXe siècle, la place croissante occupée en France par les filiales et les licenciés des grands groupes étrangers de l’industrie technologique non seulement limite cette coopération mais réduit encore plus le recours à l’imitation dont l’importance dans la modernisation industrielle est mise en valeur par les travaux de nombreux chercheurs, de langue anglaise surtout, tels que Metcalfe, Gibbon, Rosenberg. Selon les derniers cités, la performance d’un pays dans le domaine technico-industriel se mesure en mettant l’accent sur la diffusion (brevets, ventes) et l’imitation de ses productions plutôt que sur l’innovation stricto sensu. Or que ce soit dans les secteurs de l’électrotechnique, la chimie organique ou les courants faibles, les principales entreprises françaises travaillant sur brevets étrangers et produisant des biens à spécification extérieure (comme les moteurs Sprague ou les transformateurs de la Savoisienne entre les deux guerres) sont statutairement restreintes dans la diffusion extérieure de leur production et utilisent pour réaliser cette dernière des instruments identiques à ceux employés et très souvent conçus par la firme mère ou cessionnaire des brevets12.
11Dans cette communication qui s’inscrit dans une étude plus ambitieuse à paraître, trois points sont à relever :
12Partant de l’indéniable insuffisance de l’équipement fixe des entreprises industrielles en France, nous avons cherché à faire ressortir l’évolution de l’importation de biens d’équipement (limités ici aux machines et mécaniques) tant en valeur qu’en relation avec les importations totales et manufacturées. Nous avons voulu tester les capacités productives de ces mêmes branches, que l’insuffisance des statistiques soit contemporaines soit reconstituées ne permet pas de saisir clairement, en rapprochant les exportations des importations. Cette comparaison aurait pu faire ressortir une spécialisation forte, ce que certains chercheurs actuels qualifient de « points forts » et qui, inévitablement, se retrouvent dans l’exportation. C’est le cas à l’époque de la Belgique (matériel ferroviaire pour voie étroite), de la Suisse (électrotechnique, chimie des colorants), de la Suède (matériel agro-laitier) et bien entendu de la France (soieries imprimées et manufacturées, produits agricoles élaborés tels que les vins et alcools). Il est avéré que pour les machines outils et instruments de précision comme pour les équipements électrotechniques, le prix ne constitue pas une variable décisive au regard des qualités intrinsèques du bien, de la réputation du producteur comme des garanties de l’après vente. Tous ces éléments dépendent de la capacité de l’industriel à apporter les garanties à moyen terme de maintenance et d’amélioration, soumises aux volumes de production en relation étroite avec l’importance du parc international du bien considéré et la rapidité des modifications nécessaires au suivi technique et économique des équipements. Comme l’écrit aussi Paul David13 : « Le processus de diffusion est par sa nature même influencé par les circonstances dans lesquelles il s’inscrit dépassant les aspects traditionnels tels que le prix relatif des facteurs, la taille des entreprises. » Selon cet auteur partant de l’analyse des cas de Microsoft et de Apple :
« Si l’intervalle entre deux données nouvelles de deux types d’un produit devient important et le taux d’entrée suffisamment faible pour que le processus stochastique de remplacement influe sur la part de chaque dans la population totale, cette part indiquera exactement la probabilité que la variante considérée devienne en définitive la norme universelle. »
13Cette idée que l’on peut, au début du XXe siècle, appliquer à des inventions françaises rapidement surclassées techniquement et surtout industriellement comme la photographie, la reproduction du son et de l’image, nous intéresse au premier chef. Dans la mesure où l’exportation est modeste, l’« effet David » s’installe et rend difficile à moyen terme la mise en place et le développement d’une industrie des biens d’équipement concurrentielle. Dans celle où l’importation est faible, la rareté des biens modèles limite l’effet d’imitation et donc d’amélioration technique de l’industrie nationale, restreignant drastiquement la mise au point de produits nouveaux y compris dans la consommation (« effet Gillette »).
14Enfin nous avons intégré à titre d’illustration certaines des données contenues dans l’étude annoncée en langue espagnole au Mexique14 et qui illustre cette question à partir de la comparaison des échanges de l’Allemagne et de la France avec des pays en voie d’équipement du cône sud de l’Amérique latine.
I. Évolution des échanges de la France 1874-191315
15À partir des tableaux annuels du commerce16 nous avons repris pour la période 1874-1913 trois séries aux importations et exportations spéciales : total, biens manufacturés, machines et mécaniques. Les tableaux sont plus difficiles à établir avec rigueur concernant les produits chimiques et pharmaceutiques, les outils et les instruments de précision (balances, machines à écrire, instruments de mesure des fluides…). Dans l’ouvrage en cours la nomenclature est plus détaillée mais reste insatisfaisante sur le plan comparatif en raison de différences qui traduisent la supériorité technologique allemande et donc de la nature des rubriques douanières portant sur les machines-outils, l’électrotechnique (à différencier du matériel électrique). Plus encore, les difficultés de comparaison (en partie masquées ici par les agrégats) concernent des activités de pointe où l’exportation allemande est particulièrement présente : la pharmacie, l’optique, les instruments de précision, la bureautique.
16Outre les tableaux en pourcentages, nous avons calculé des coefficients de dispersion et de corrélation. Nous ne faisons état ici que de ces derniers.
17Il ressort de l’ensemble qu’entre 1874 et 1913 le total des importations françaises a été multiplié par 2,4 alors que les exportations ne l’ont été que par 1,9, ce qui se traduit par un déficit dès 1876 que les contemporains espèrent temporaire et consécutif aux pertes industrielles de 1871, mais qui se révélera rapidement structurel. Il illustre une nette dégradation des termes de l’échange après 1892 qui n’est due qu’en partie à la hausse des matières premières et plus encore au déséquilibre de l’évolution des prix unitaires des biens industriels échangés. En particulier la forte cartellisation des industries sidérurgiques allemandes, leur domination du cartel international ferme pratiquement le marché extérieur aux produits français17. La modestie des exportations françaises de biens d’équipement et surtout la faiblesse de leur prix unitaire, qui ne peut s’appuyer sur des produits à technologie renouvelée, procèdent pour une part importante de la question des brevets dont il est fait mention. Cette situation qui se greffe sur la crise durable de nombre d’autres exportations18 fait que, mises à part de faibles fluctuations, la valeur des exportations françaises décline dès 1875 pour ne dépasser ce niveau qu’en 1899 et que la reprise n’est vigoureuse qu’à partir de 1905. En un quart de siècle la valeur des ventes françaises ne s’est accrue que d’un gros quart. D’où la régression du poids mondial de l’économie française que masque, aux yeux de certains contemporains, son apparente puissance financière. L’étude du comportement des agents économiques locaux dans nombre de pays fait ressortir une variable plus importante et durable. À partir de 1890, la France n’est plus perçue comme une source de l’innovation et du progrès, ce qui a dès cette époque une influence, persistant bien au-delà de 1914, tant sur les choix industriels que sur le modèle éducatif scientifique et technique au profit de l’Allemagne.
18La dépression commerciale est tout aussi nette aux importations mais plus irrégulière. La contraction des achats point en 1883 (ce que la conjoncture intérieure explique) et se maintient jusqu’en 1904 qui marque le dépassement durable du maximum antérieur. La reprise est nettement plus forte qu’aux exportations ce qu’expliquent trois facteurs intervenant simultanément : la hausse mondiale du prix des denrées, des matières premières et de l’énergie (charbon), le dynamisme retrouvé de l’économie nationale qui impose à la fois l’acquisition rapide d’équipements importés19 mais aussi de métaux et demi-produits ; enfin la forte poussée des investissements industriels étrangers accompagnés de l’importation d’équipements20. Cette évolution parallèle et de même sens se confirme dans la corrélation positive de + 0,91 entre les deux séries.
19Si, malgré les réactions des publicistes et journalistes à la mode l’opinion officielle s’inquiète modérément du déficit qui en résulte, la cause en est, comme dans le cas du Royaume-Uni, l’excédent important des autres balances. Dans le cas de l’Allemagne si le déficit commercial existe, il est au contraire en voie de résorption. La différence avec les membres de l’Entente au début du XXe siècle ne se trouve pas dans le déficit mais dans la nature du commerce de chacun de ces pays comme de leurs échanges bilatéraux. Dans les cas britannique et surtout français la part des biens d’équipement et de haute technicité est limitée. C’est surtout le cas de la France, mais la dégradation des échanges britanniques est très nette dès lors que le commerce impérial est comptabilisé à part21 et ressort des statistiques concernant les échanges avec la Russie, l’Espagne, les grands pays latinoaméricains, où la concurrence allemande, voire celle des États-Unis (Amérique centrale, Brésil et surtout Mexique), taille de forte croupières aux Britanniques comme à la France dans ses domaines privilégiés : textiles, vêtements, article de Paris.
20Étant donné le peu d’effet pratique du déficit sur la politique commerciale de la France, on en déduira deux remarques.
21Il est difficile d’affirmer que l’évolution des échanges de biens d’équipement est en concordance avec celle de la conjoncture internationale, même en décalant de trois ans les chiffres des échanges pour prendre en compte le délai moyen entre le passage des commandes et la livraison ; ce qui peut expliquer la pointe des importations de 1900 (correspondant à des contrats se situant autour de 189722) qui, au demeurant, disparaît en moyenne mobile sans modifier le fort trend à la hausse observable dès 1894. Alors qu’aux exportations la tendance haussière n’est caractérisée (avec une pente plus faible) qu’au-delà de 1904.
22Le rôle du tarif douanier de 1898 est à tempérer fortement puisqu’il accompagne la reprise des importations. Il faut relever que le long débat parlementaire (suivant les enquêtes et pétitions) suivi par la mise en place du tarif se situe au creux de la dépression française. Il est la résultante de la longue dégradation des échanges et de la dépression de l’économie nationale. Aucun indice ne permet d’appuyer son rôle dans la reprise de l’économie française sur les vingt-deux ans de son application, comportant nombre de modifications et de traités bilatéraux. Dans le traitement de cette question les méthodes dites cliométriques créent parfois des artéfacts, au mieux étayent des illusions. Difficilement neutres dans leur élaboration, elles permettent dans les meilleures hypothèses de discerner la fragilité des faits, de confirmer des conclusions établies sur les archives23. Deux contre-exemples confirment qu’il n’est pas possible de relier sinon de façon stochastique le tarif de 1898 et la production.
23L’Allemagne en pleine ascension industrielle et économique renforce également ses défenses douanières. Une politique voisine (compte tenu des différences propres à la nature des productions et aux intérêts économiques et politiques des États) pour deux économies à l’évolution divergente avant le tarif paraît difficile à soutenir. Vérité en deçà des Vosges et erreur au-delà ?
24La croissance économique française s’appuie sur le rattrapage d’un inquiétant retard dans l’équipement tant du territoire (électricité, gaz, chemins de fer, installations portuaires) que dans les industries. L’essor de l’automobile, dont il ne faut pas exagérer l’incidence à l’exportation (voir les tableaux), correspond au marché des classes moyennes supérieures aisées, notables souvent peu sensibles à l’économie industrielle et moins encore internationale, au contraire du téléphone et de la machine à écrire dont l’essor en France est plutôt souffreteux.
II. Commerce total et commerce des biens d’équipement24
25Les remarques du paragraphe précédent sont très largement corroborées par les chiffres du tableau et du graphique nº 1. La courbe fait nettement ressortir avec encore plus de précision chronologique les résultats des calculs : la corrélation étroite entre le rythme de la production française et celui des importations de biens d’équipement. Sur ce point la première pointe de 1882-1884 est très significative, surtout si on la régresse de deux à trois ans pour tenir compte du délai entre la commande et le passage en douane du bien. Phénomène qui se retrouve accentué avec la reprise durable de l’économie nationale, la pointe de 1901 correspondant à la réaction de précaution des industriels inquiets des derniers ajustements de la loi tarifaire en discussion au Parlement. Mais en moyenne mobile, comme nous l’avons déjà indiqué, cette pointe est écrêtée alors que le trend à la hausse est désormais durable.
26Aux exportations, le trend, à la hausse proportionnellement deux fois plus faible, n’est assuré qu’au cours de la dernière décennie. Il ne comprend pas l’automobile qui ne peut être considérée comme bien d’équipement industriel et il doit être atténué par la participation de l’Empire25.
27Ces remarques sont à la fois confirmées et amplifiées par la relation entre les flux de produits manufacturés et ceux de matériels d’équipement.
28Aux importations, mise à part la dépression ponctuelle de 1880 qui s’explique par la reprise plus rapide des autres manufactures, tant la longue stagnation nationale jusqu’en 1896 que le mouvement économique postérieur sont nettement affirmés. Par rapport au second quinquennat des années 1870, la proportion des équipements au sein des importations manufacturées double en fin de période alors que ces dernières ont quadruplé en moyenne au cours des cinq dernières années par rapport à la moyenne 1874-1878 et que, entre les deux quinquennats extrêmes, l’ensemble des importations n’a fait que doubler.
29Dans cet agrégat, avec la réserve concernant l’Algérie et l’Empire, même si le total reste modeste, on note un doublement en valeur entre 1885 et 1898, la décennie précédente étant stagnante combinant les effets durables de la perte des industries de l’Alsace-Moselle et les besoins de la reconstitution de l’appareil économique à l’ouest des Vosges. La reprise économique se traduit par un nouveau plateau, bien visible sur la courbe, qui illustre les limites de production de l’appareil français saturé par le brutal réveil de la demande intérieure (comme pour le matériel roulant ferroviaire). Le doublement de la dernière décennie est à la fois l’effet de l’accroissement des capacités de production et d’une demande extérieure activée tant par l’exportation de capitaux qu’accompagne un interventionnisme nouveau des autorités politiques au profit d’un lien financement-promesses d’achats26.
30Au point où nous en sommes il faut faire ressortir la très grave dépendance du système industriel français envers l’étranger. La forte poussée de la production automobile et ses brillants résultats à l’étranger, sont le fait d’un bien industriel de consommation durable d’un nouveau type s’adressant, comme une partie importante des exportations manufacturées françaises, à une clientèle très aisée ; ce qui ne peut venir en compensation, sinon simplement comptable, de déséquilibres industriels et technologiques. Il faudrait pour cela que l’automobile soit industrialisante en amont. C’est encore loin d’être le cas avant 1914. Comme les échanges de locomotives et autres machines à vapeur sont faibles et que dans d’autres branches énergétiques (électricité, générateurs à essence, moteurs de marine – les premiers Diesel), les filiales étrangères occupent une place majeure, parfois prépondérante dans la production en France27, l’accent est mis sur les importations de machines outils de production, de matériels agricoles et de façon croissante de matériels et de pièces électrotechniques comme d’équipements pour l’industrie chimique et d’outillages de haute précision pour l’industrie et les laboratoires. Plus que de Grande-Bretagne et de Belgique, qui fournissent du matériel d’équipement textile et sidérurgique lourd, ces biens sont essentiellement en provenance des États-Unis, d’Allemagne et de plusieurs entreprises helvétiques de matériel électrotechnique (Brown Boveri, Sprecher & Schuh, Genevoise), comme l’indiquent pour cette dernière origine les documents que nous avons consultés dans les archives de la CGE, d’EDF ou dans les archives techniques d’entreprises (Aciéries de la Marine, Fives-Lille Schneider : Châlons-sur-Saône, Panhard avant l’absorption par Citroën28). Cette situation se retrouve dans la profonde dépression des échanges avec les pays en voie d’équipement industriel. Un tel déséquilibre conforte également l’exigence d’une orientation vers l’approfondissement des questions soulevées par les chercheurs américains cités. Dans la grande indigence de la recherche technique française au cours du dernier tiers du XIXe siècle, l’acquisition de brevets est une voie difficile à valoriser. Les entreprises françaises ne disposent pas toujours des moyens techniques, rarement de laboratoires, ni surtout des techniciens pour les exploiter. Outre le malthusianisme des filières d’ingénieurs : pratiquement aucune nouvelle formation n’est créée par l’État entre 1880 et 189629 alors que certaines d’entre elles sont totalement orientées hors de l’industrie30. L’enseignement technique fait pâle figure confronté à l’Allemagne et à la Suisse. En outre, avec le poids croissant des entreprises étrangères précocement multinationales, l’application des brevets se fait avec un matériel souvent importé, au sein de filiales ou de licenciés qui n’ont accès qu’à une partie de la filière ; parfois toute application locale leur est interdite (Thomson). La voie la plus logique est donc celle de l’imitation-adaptation que l’on peut avec un peu d’anachronisme qualifier de francisation. La qualité sinon le nombre des ingénieurs et des techniciens français facilitent cette orientation à condition de bénéficier de moyens financiers et techniques permettant de réduire les délais de réalisation afin d’éviter de se laisser à nouveau distancer par les progrès de la concurrence. C’est ce que relève Paul David (supra, note 14). En France, dans le troisième quart du XXe siècle, la démarche a été un succès dans la francisation par Creusot-Loire de la technologie nucléaire Westinghouse, mais un échec dans l’informatique avec les métamorphoses de Bull. Dans le dernier cas il y avait ralentissement dans l’effort technologique originel et accélération des acquis extérieurs dans la catastrophe technique et financière que représentèrent les « plans calcul »31. Les atermoiements de la politique éducative française, la carence de la recherche scientifique et plus encore de la recherche appliquée, l’insuffisance financière des grands groupes industriels32 n’ont pas permis de redresser un déséquilibre qui révèle toute son ampleur en 1914.
III. Y-a-t’il une évolution dans la structure des échanges au cours des années vingt ?33
31Les statistiques commerciales des années vingt ne sont pas susceptibles d’entrer dans une courbe d’évolution générale en raison des profonds changements intervenus pendant la guerre dans la nature technique des biens, des systèmes de prix et des monnaies, le bouleversement dans la nature et l’orientation politique des flux. Sauf à demeurer dans les grands agrégats la comparaison est trompeuse. C’est ce qu’ont tenté les Allemands dès le rétablissement monétaire de 192534 sans que cela emporte l’adhésion. Les tentatives économétriques de quelques chercheurs anglais et surtout nord-américains relèvent plutôt de l’exercice mathématique que de l’histoire raisonnée. L’étude globale à laquelle nous nous intéressons est cependant aisée en évitant les raccordements par la comparaison proportionnelle, ce qui comme nous venons de l’indiquer, nous oblige à rester au niveau d’agrégats masquant les profondes mutations dans la composition interne des articles de la nomenclature.
32Cette importante réserve indiquée et malgré les changements profonds engagés par le conflit, il ressort que la corrélation entre le total des importations et des exportations reste stable. Par contre la grande stabilité de la corrélation antérieure disparaît des autres comparaisons.
33Ce qui nous semble significatif correspond à deux séries. Les liens restent très étroits entre les importations de machines et mécaniques et l’ensemble des importations manufacturées, ce qui se justifie par les besoins de rééquipement et de modernisation ; par contre le rapport s’est fortement dégradé au niveau des exportations. Alors que les exportations de biens manufacturés suivent de très près les exportations totales, accompagnées d’une dégradation proportionnelle lente qui suggère des réflexions quant aux limites de la modernisation technologique de l’industrie française, le rapport aux importations est très fluctuant avec un minimum de moins de 11 % en 1927. En outre les fluctuations sont fortes avec aux importations en valeur un écart type pour les machines de 623,4 pour une moyenne de 1 440,5 et aux exportations des valeurs correspondantes de 574,6 et 1 254,9. Ce que nous retenons cependant à ce stade très élémentaire c’est que, tant les importations que les exportations de machines, progressent proportionnellement peu par rapport à l’avant-guerre avec une nuance manifeste. Aux importations, le poste représente entre le cinquième et le quart des entrées manufacturées, avec une moyenne de 19,7 %, tandis qu’aux exportations on se rapproche de 7 % en fin de période avec une moyenne de 4,8 %. Aux importations, les valeurs proportionnelles du quinquennat 1909-1913 ne sont dépassées qu’en 1929 et 1930, en relation avec l’incitation publique à la modernisation. À l’inverse, la part des biens d’équipement dans les exportations de manufactures, après une nette stagnation au niveau d’avant-guerre, double entre 1928 et 1930 traduisant une forte hausse en valeur. Ce dernier point pourrait confirmer la critique extérieure relative à la dévaluation excessive (?) du franc. Cependant ni les exportations automobiles ni le poste des produits manufacturés dans son ensemble ne bénéficient de cette dévaluation. Il s’agit semble-t-il d’un aspect particulier, non généralisable, que l’étude détaillée doit éclaircir.
34Il est cependant possible de confirmer un certain nombre d’hypothèses :
35Malgré les progrès de l’industrie pendant la guerre et le retour de la sidérurgie lorraine très modernisée et du puissant pôle d’équipement mulhousien, les exportations du secteur continuent d’occuper une place mineure dans les ventes françaises, ce qui se reflète dans les relations avec l’Europe balkanique, les nations méditerranéennes et l’Amérique latine.
36Dans des importations dont on ne peut dire qu’elles montrent une forte croissance une fois prises en compte les fluctuations du franc par rapport à un panier de devises stables (dollar, livre, franc suisse, florin et couronne suédoise) pondérées à partir des statistiques commerciales de la Société des Nations (SDN), les biens d’équipement ne marquent pas le progrès que la situation révélée par la guerre et les destructions aurait dû laisser attendre. Ce qui constitue une justification de la mise en place du plan d’équipement national accompagné de mesures financières et fiscales. Mais ce plan vient achopper sur l’éclatement de la bulle financière et monétaire de la fin des années vingt. La crise le rend caduc même si, dans une logique que Britanniques et Nord-Américains adopteront quelques années plus tard, il aurait pu constituer une amorce de solution. Mutatis mutandi on se retrouve ici dans une configuration qui rappelle 1913.
37Ce qui s’illustre à nouveau dans la situation de l’automobile. Celle-ci est en plein essor et les exportations ont été multipliées par quatre entre l’étiage de 1922 et le maximum de 1929. Au même moment un rapport du département du Commerce des États-Unis consécutif à une enquête en France note la vétusté des installations techniques, le retard dans les équipements de production et loue la qualité des ouvriers français capables de produire d’excellentes voitures dans ces conditions. Situation que corrobore, un demi-siècle plus tard un inventaire des ateliers Panhard à la veille de la reprise par Citroën35. Or la corrélation entre l’exportation d’automobiles et l’importation de biens d’équipement s’établit pour les onze années à – 0,07. S’il faut prendre ce rapprochement avec précaution, car il faudrait pouvoir le nuancer par l’évolution du parc de machines des principaux constructeurs français, nous ne croyons pas qu’il soit artificiel dans la mesure où l’industrie mécanique française est dépendante de techniques extérieures. La profonde crise de la branche automobile dès 1932 dont la production régresse derrière l’Allemande et la Britannique est à mettre en rapport avec les difficultés de sa modernisation36.
38Contrairement aux Britanniques, les Français ne paraissent pas avoir nettement réduit le handicap d’avant-guerre. Visible dans la chimie où les regroupements n’ont absolument pas la même ampleur de part et d’autre de la Manche, la volonté de créer une entreprise nationale de taille internationale est encore moins évidente dans les hydrocarbures où l’égoïsme financier contrarie tout effort national obligeant à l’intervention publique37. Il est tout aussi absent dans l’industrie des armements, en pleine mécanisation avec l’expérience récente. Mais ni un Dudley Dockers ni logiquement une BSA n’apparaîssent en France38. Quant aux industriels de l’électricité et aux précurseurs de l’électronique, ils doivent réviser leurs plans d’expansion face au resserrement des liens germano-américains et au renforcement des cartels internationaux dominés par ces deux puissances.
IV. La vérification : le modèle latino-américain (1874‑1909) et la comparaison avec l’Allemagne (1880‑1913)
39La comparaison franco-britannique n’a guère d’intérêt pour le dernier tiers du XIXe siècle sinon de confirmer la pesanteur des schémas historiques dans les thèmes de recherche. Les deux pôles de la modernité industrielle à partir des années 1864-1871 sont les États-Unis et l’Allemagne. Des premiers, de nombreuses orientations peuvent être retenues, mais il faut prendre en compte la différence d’échelle et de nature des marchés intérieurs ainsi que le rôle de l’immigration qui ne se limite pas, au cours de ces années, au paysan italien, suédois ou au tailleur polonais. À la différence, l’Allemagne constitue dans ce secteur une référence d’autant plus intéressante que dès les années 1880 d’étroites relations se sont établies avec les Américains non seulement dans l’industrie électrotechnique, mais de manière plus précoce dans celle de l’outillage industriel. Il faudrait aussi faire intervenir la germanisation des formations universitaires techniques et scientifiques qui se manifeste dès le milieu du XIXe siècle avec les échanges d’ingénieurs39.
40Le cadre du choix géographique concernant la période 1874-1913 ne recouvre qu’un aspect de la question du commerce extérieur avec les principales puissances en voie de modernisation. Mais il s’impose dans le contexte de l’étude car il s’agit d’États réunissant des caractéristiques intéressantes, en dehors des dominions de l’empire britannique, lesquels constituent un cas trop particulier pour servir de modèle40. Il s’agit de nations de langue et structure juridique espagnole et portugaise, dont la population européenne est en forte croissance à partir d’une immigration qui s’apparente à celle que connaissent les États-Unis à la même époque (sauf pour le Mexique où le phénomène est plus limité). C’est en dehors de l’Amérique du Nord et de l’Europe orientale dont l’étude a été en partie faite mais qui nécessite une révision41, la partie du monde répondant le mieux aux critères de cette étude.
41Il s’agit par conséquent d’une étude partielle des échanges commerciaux et du rôle des banques pour la France et l’Allemagne dont une première partie plus détaillée est en cours de publication en espagnol42. Ni la France, ni l’Allemagne n’étant d’importants exportateurs de produits non élaborés, nous n’avons pas reproduit ici les séries particulières concernant les biens d’équipement (y compris travaux publics et matériel ferroviaire), ces derniers y compris les outillages constituant la part essentielle des exportations européennes.
A. Les échanges commerciaux et le rôle des banques43
42Historiquement la corrélation est étroite entre le commerce, l’investissement international d’une part, l’activité internationale des banques d’autre part. Pendant les années fastes de la monarchie de Juillet et du Second Empire (1830-1866) à l’exception de la crise de 1848, tandis que le commerce et l’industrie se développaient, les banques françaises s’implantèrent à l’étranger, presque exclusivement en Europe. Certes l’activité la plus recherchée par les banques françaises (comme par les établissements londoniens) est l’emprunt d’État, lequel ne nécessite pas l’installation de succursales ou d’agences dans le pays émetteur. Néanmoins sous l’impulsion novatrice du Crédit mobilier des Pereire de véritables banques locales furent créées et leur gestion supervisée par un Comité de Paris. La crise de 1866 entraîna la disparition des groupes les plus audacieux tels les Pereire, Prost, ou le repli des prudents (Rothschild). À partir de ce moment, l’aggravation de la crise nationale avec le coût excessif de la défaite44, la perte d’une part essentielle de l’appareil industriel national et la dépression de 1884, la banque française retourne à la tradition extérieure de la haute banque : emprunts publics, dette obligataire de services publics et des grands équipements. Si la haute banque s’efface devant la banque d’affaires qui est sa création et le plus souvent sa façade opérationnelle en réponse aux nouvelles contraintes juridiques, les syndicats internationaux de prise et d’émission sont à nouveau la forme essentielle de l’activité hors des frontières de l’empire colonial. De ces syndicats les banquiers français ont rarement la direction dès qu’il s’agit de l’Amérique latine, comme d’ailleurs de l’Empire ottoman (Thobie45). La raison en est double.
43D’une part, l’épargne française est trop limitée contrairement à l’image que l’on en a donné. Déjà au cours des années 1820 bien des emprunts pris par les banquiers français furent en fait largement souscrits dans le Royaume-Uni, en Belgique et aux Pays-Bas46. Après 1870 et surtout 1885 la dépression durable que subit l’économie française se traduit par des taux d’intérêt trop bas pour attirer dans les banques françaises l’épargne étrangère. Au contraire c’est l’épargne française qui se place à l’extérieur, non en raison de sa surabondance47 mais faute d’emplois domestiques alors que deux flux accroissent les disponibilités sans qu’il s’agisse de richesses nouvelles : le rachat de leur dette extérieure par des États comme l’Espagne et l’Italie, la vente de leurs biens par des propriétaires fonciers touchés par la forte baisse des prix agricoles ; d’où leur réorientation.
44D’autre part, la réalisation d’investissements industriels durables exige un entregent, la connaissance moins des marchés financiers, que de solides relations entre banquiers et milieux politiques, non seulement au plus haut niveau, mais plus encore régionaux dans des pays politiquement instables, au fédéralisme mal défini dans ses rapports avec le gouvernement central et dont les élites dirigeantes sont sensibles à la corruption. Dans ce contexte et à la fin du XIXe siècle, les appareils de la banque commerciale telle qu’elle s’est établie en France depuis les années 1860 sont insuffisants. Seul le Crédit lyonnais développe un important service d’information, mais ses dirigeants n’appartiennent pas à l’aristocratie de l’emprunt d’État.
45Les nombreuses études publiées sur la dette extérieure, font ressortir combien les réseaux locaux sur lesquels s’appuient les banquiers français sont de peu d’utilité. Dans les pays de placement les négociateurs décisionnaires, souvent présentés comme les preneurs-émetteurs, que ce soit pour les emprunts ou pour les investissements en services publics, sont la partie émergée et la face publique d’une architecture à trois niveaux :
46Le ou les négociateurs : banque d’affaires, banque privée, merchant bankers, maison de banque48 ne concluent souvent qu’une fois assurés du soutien-partage de la part de quelques-uns de leurs pairs sur des places de premier ordre. La tête du syndicat prend en principe le risque principal. Mais ce n’est pas toujours le cas car interviennent des aspects politiques, des pressions gouvernementales dans les deux sens, des conditions économiques concernant l’emploi des fonds à recueillir, l’entregent et les relations des banquiers. Jacques Thobie a montré le jeu de la Deutsche Bank dans le financement du Bagdad Bahn et ses efforts pour prendre la tête de l’entreprise comme du syndicat émetteur tout en reportant le placement en France d’une part majeure des obligations. Cette situation se retrouve concernant les emprunts publics et ferroviaires au Brésil. Plus extraordinaire apparaît une construction où l’on trouve au premier rang les groupes français de la Banque de Paris et des Pays-Bas, de sa filiale, la Banque française et italienne pour l’Amérique du Sud (BFIAS), de la Société générale, de la Marseillaise de crédit et de la Banque de l’Union parisienne49 ; associés à des maisons britanniques et belges d’importance disparate : Schroeder, Speyer, Bank of Scotland, Banque internationale de Bruxelles (allemande), Banque d’Outremer, Philippson, Stallaert & Loewenstein. Le conglomérat en question, aussi hétéroclite que douteux : la Brazil Railway, étend ses intérêts du Brésil amazonien au Rio Grande do Sul étendant ses pseudopodes sur l’Uruguay et l’Argentine jusqu’en Bolivie. Il lie les banques citées autour de deux entrepreneurs, véritables chevaliers d’industrie, l’ingénieur canadien Pearson et le Nord-Américain Farquhar (installé à Paris). La Brazil Railway, un énorme disparate et fragile ensemble spéculatif, est, selon les termes de l’époque, un omnium de droit américain et dont le siège est au Canada50, dont les statuts sont nord-américains au départ (1906) et le siège opérationnel installé à Londres puis à Paris à la veille de 191451. Les banques ne participent pas au capital mais sont un bon exemple de syndicat d’émissions de taille et d’ambition variables que chaque opération financière, souvent réalisée partiellement et reprise dans la suivante, lie plus fortement à une entreprise dont l’échec pourrait s’ouvrir sur un scandale sur le modèle de Panama. En même temps qu’elles sont prisonnières du processus, les banques de tête tentent d’imposer des choix lors des négociations successives des dettes des différentes entreprises du groupe.
47Chaque membre du syndicat dispose du soutien d’un réseau de banques, soit associées avec des parts de placement, soit de simples correspondants en province, dans les places secondaires, au contact d’une clientèle de notables épargnants parfois, en France, avec l’appui intéressé du notaire local.
48La banque commerciale, d’apparition tardive, n’est intéressante que dans la mesure où elle étend son réseau d’agences, organise rationalise et multiplie les points de contact élargissant l’espace géographique et humain du placement. Elle doit souvent intervenir avec force afin de n’être pas réduite à la portion congrue de la commission de placement. Elle n’est pratiquement jamais le négociateur prépondérant ; cette place est occupée par un des hauts banquiers agissant pour sa maison et parfois au profit de la banque commerciale au conseil de laquelle il siège souvent à titre personnel ou ès qualités (parfois les deux, surtout en Allemagne).
49De fortes nuances nationales doivent être signalées. Ce qui vaut pour l’emprunt public largo sensu ou pour l’investissement d’équipement (chemins de fer, ports maritimes) change dès lors qu’est abordé l’investissement industriel du dernier quart du XIXe siècle. Lorsque la banque commerciale est aussi une banque d’investissement industriel, le réseau d’agences devient un moyen puissant de placement du capital (actions, obligations) tout en préservant le contrôle effectif de la banque sur l’entreprise et donc sur les profits de son activité. C’est ce que nous avons montré dès les années 1855-1860 au sujet des Rothschild de Paris, des Pereire et de Paribas pour les chemins de fer espagnols52. Encore faut-il que la banque soit véritablement et durablement un établissement mixte. Pratiquement absent de l’horizon britannique, le cas devient exceptionnel en France au lendemain des deux débâcles bancaires de 1867 et 1884 alors qu’il se retrouve souvent au sein de la banque new-yorkaise et qu’il devient la norme de la GrossBank allemande et suisse. Pour celle-ci il est souvent fait appel à une explication s’appuyant sur l’essor international des nouvelles industries technologiques. Cette explication est tout à fait justifiée. On peut la renforcer par l’exemple de la dualité suisse : la banque genevoise, banque privée s’il en est, est souvent absente de l’investissement industriel dans une Suisse romande aux activités de haute qualité, gérées de façon traditionnelle avec des capitaux familiaux (horlogerie, mécanique, alimentation) ; la banque bâloise53 et plus encore zurichoise, sœurs cadettes de la GrossBank allemande, finance l’investissement industriel extérieur à partir d’un puissant développement d’activités technologiques similaires aux allemandes (électrotechnique, chimie organique, biens d’équipement et armements). Il est intéressant de noter que, dans ces domaines, les joint-ventures germano-helvétiques apparaissent historiquement comme les premières du genre54.
B. Une vérification quantitative et un essai d’explication partielle55
50Le cas précédent, s’il concerne les formes traditionnelles de la banque internationale française ne peut pas justifier de l’établissement de banques françaises à l’étranger. Celles-ci ne peuvent tirer leurs revenus, comme l’indiquent les cas britannique et allemand présentés, que d’activités régulières, de services permanents ou réguliers permettant l’amortissement normal d’investissements renouvelés (agences, matériel…), l’emploi durable et la rémunération d’un personnel qualifié, et plus encore la confiance de la place, qui ne s’acquiert que par l’appréciation de la compétence, de l’expérience et des résultats. Vues de Paris en 1900 le Crédit lyonnais et le Comptoir d’escompte sont des banques universellement respectées ; que sait-on d’elles si une de leurs agences s’installe à Salta, Belo-Horizonte, Guadalajara (Mexique), hormis quelques élites à l’information internationale ?
51Pour comprendre la question il faut en revenir aux réalités de l’époque.
52L’établissement d’une banque commerciale orientée vers l’international disposant d’une infrastructure locale, de personnels, de correspondants bancaires et de négociants dans le pays exige l’assurance de la réalisation d’un volume d’affaires non pas immédiat mais croissant dans le temps. C’est la position clairement exprimée par la banque allemande dans la planification de son réseau en Amérique centrale56. De son côté l’ancienneté de son implantation, l’originalité de celle-ci, bien décrite par Jeffrey Jones57, et l’importance des réseaux qu’elle contrôle, font de la banque britannique un cas difficilement imitable. Même si, vers le milieu du siècle, la position commerciale de la France dans certains pays aurait pu justifier un développement parallèle sinon concurrent : Rio de la Plata, Brésil, Pérou en particulier. Dans des régions où la production locale de biens de consommation manufacturés et plus encore de biens d’équipement (y compris les pièces détachées, les compléments)58 est faible ou absente mais où existe toujours un artisanat dans lequel on voit parfois une forme de pré-industrialisation qui se révélera le plus souvent sans avenir ; on trouve un réseau de négoce qui se ramifie à partir de la capitale ou d’un port dans une succession de grossistes d’entrepôt, de demi-grossistes-détaillants59 commandant des représentants, placiers, vendeurs, livreurs, encaisseurs et colporteurs. Certes la banque étrangère ne s’implique pas directement dans ce lacis complexe où l’unité de compte commercial devient souvent minime : une douzaine de paires de bas de laine, de soie ou de coton, un assortiment de courroies à l’unité… Par contre elle a tout intérêt à se trouver à la tête du dévidoir assurant le contrôle de l’écheveau des financements de l’entrepôt portuaire, du grossiste de départ, voire intervenant au stade de la banque régionale initiale en fournissant aux deux le crédit de leurs stocks comme l’amorce et la garantie de leurs propres capacités de financement.
53Sans entrer ici dans autant de détails, une activité similaire se réalise au niveau de l’exportation. Dans ce domaine il s’agit plus de denrées ou de matières premières d’origine agricole que de minerais, étant donné la concentration capitaliste de l’activité minière exportatrice. C’est pourquoi, dans le panier des activités locales de la banque étrangère, il nous semble justifié de ne tenir qu’un compte modeste de la valeur directe des exportations de minerais du Chili (cuivre, nitrates à partir de 1891) et du Mexique (cuivre, argent, pétrole). Nous en retrouvons une partie des effets commerciaux dans la création locale de revenus et de consommations nés de l’activité minière.
54C’est donc dans la dynamique réciproque des échanges commerciaux que réside la source des profits bancaires renouvelables et, par conséquent, l’intérêt d’en créer l’instrument de façon durable.
55Il faut contrarier l’opinion la plus enracinée concernant le cas français. Toute la littérature depuis les années 1880 jusqu’aux années trente, reprise par les historiens contemporains, oppose le dynamisme et le succès du commerce et des banques allemandes aux difficultés rencontrées par les exportateurs pour trouver des banquiers français. La même tonalité se retrouve chez les Britanniques depuis le très célèbre pamphlet Made in Germany jusqu’à un nombre impressionnant d’études contemporaines que l’on retrouve des deux côtés de l’Atlantique60. Les travaux britanniques les plus récents font nettement ressortir les causes industrielles, techniques et scientifiques du succès germanique. L’accent est de plus en plus mis sur l’avance technologique, le renouvellement des méthodes commerciales et la modernité de l’organisation bancaire.
56Du côté français les historiens actuels61 font parfois ressortir la responsabilité de l’appareil industriel français incapable de concurrencer les offres allemandes dans les secteurs des prix, des délais de livraison voire parfois de la qualité du bien livré62. Nous-mêmes dans plusieurs publications avons fait ressortir trois faiblesses majeures : l’insuffisance de l’appareil industriel qui interdit la rationalisation des coûts63, le sous-investissement industriel et l’insuffisance des budgets de l’État dès le milieu des années 1860 conditionnant un retard technologique croissant. Ce qui se traduit par l’absence de la France et du Royaume-Uni sur les marchés mondiaux de l’électrotechnique, de la chimie organique et des courants faibles que dominent l’Allemagne et les États-Unis, la première faisant cavalier seul dans la chimie.
57Mais au-delà de cette réalité bien connue et largement traitée (sauf en ce qui concerne les causes de cette insuffisance), tant les auteurs français qu’étrangers se font largement l’écho des doléances diffusées par le personnel diplomatique français de l’époque, qu’amplifient journaux et publicistes contemporains. Celles-ci sont relatives au très faible nombre, voire à l’absence comme en Bolivie, Costa Rica, Équateur, Guatemala ou Nicaragua, de négociants français importateurs installés et d’agences bancaires françaises à l’instar des Britanniques, des Allemandes voire dans certains cas des Italiennes. D’où il s’ensuit, indiquent les agents consulaires dont dans sa thèse Raymond Poidevin s’est fait largement l’écho, que les exportateurs français doivent avoir recours aux négociants et banquiers allemands ; lesquels naturellement et logiquement ont une préférence nationale et se trouvent en position de renseigner leurs nationaux sur les producteurs et produits français facilitant et promouvant leur substitution germanique.
58Cette critique, que nous avons déjà notée par deux fois, comporte une part d’exactitude, surtout dans le climat de nationalisme exacerbé qui prévaut dans les années qui correspondent à la majeure partie des thèses dirigées par Pierre Renouvin. Il faut cependant lui apporter plusieurs correctifs. D’une part il faut que les produits soient similaires ou tout au moins voisins tant dans leur nature que dans les conditions de l’offre. Les grands marchés d’équipement échappent à cette logique qui relève plutôt du bien de consommation courante : bimbeloterie, article fantaisie, textile manufacturé, bonneterie. Les articles majeurs de l’exportation française relèvent d’une qualité peu substituable mais destinés à une clientèle limitée. Là où la concurrence allemande se fait forte : bimbeloterie, quincaillerie, bijoux fantaisie, soieries de qualité courante (Krefeld), les conditions de prix, de crédit fournisseur sont contraignantes et le négociant local a tout intérêt à disposer des deux gammes si l’entreprise française ne peut répondre aux desiderata de la clientèle64. D’autant plus que les fortes fluctuations des économies latino-américaines sont plutôt favorables à l’importation de biens de consommation de moyenne et basse gamme assortis de crédits souples tandis que l’article de haute qualité ressort d’une clientèle en croissance lente et surtout très sensible aux à-coups de la conjoncture qui l’amène à se reporter, même temporairement, sur les produits de gamme moyenne. À cela s’ajoute dans les dernières décennies du siècle la croissance des productions locales de tissus de coton, de chaussures, de vêtements, qu’assurent de nombreux immigrés dans les villes d’Argentine, Brésil, Chili et Uruguay. Ces entrepreneurs sont, sauf cas d’espèce (les « Barcelonettes » à Mexico), venus d’Europe centrale65 et d’Italie, acquérant pour des raisons évidentes les manufactures locales (tissus, vêtements, chaussures) ou bon marché importées des pays d’origine des immigrants.
59L’autre volet du rapport commercial concerne l’exportation. La plupart des négociants majeurs pratiquent le double flux d’importation d’Europe et d’exportation vers l’Europe et il en va de même des banques installées localement. Le profit attendu est à double sens. Hormis les minerais et quelques grands produits monopolisés (la viande avec les grands abattoirs anglo-américains, le café brésilien contrôlé par une structure britannique en voie d’affaiblissement), les maisons de négoce même si elles ont un domaine majeur comme Bunge & Born dont l’origine et le siège européen sont à Anvers, Louis-Dreyfus (Le Havre), exercent dans plusieurs secteurs et sont donc sensibles à la dynamique de l’absorption par les marchés européens. L’évolution du poids réel des importations par l’Allemagne et la France constitue une dimension essentielle de la politique des négociants envers leurs fournisseurs européens. L’intérêt bien compris de l’entreprise constitue toujours le facteur majeur du favoritisme accordé à telle ou telle origine. On peut admettre que des négociants français auraient mieux soutenu l’exportation nationale à condition d’y trouver l’assise de leur développement. Les conditions liées à la réalité métropolitaine s’y prêtaient-elles ? Ce que l’on sait des « Barcelonettes » au Mexique permet d’en douter.
60Le problème de la dynamique bilatérale du commerce français doit s’analyser à trois niveaux
61Dans quelle mesure l’économie française a-t-elle évolué de façon favorable à la conquête de marchés extérieurs ?
62Dans quelle mesure l’évolution des relations bilatérales a constitué un facteur de développement du négoce français en Amérique latine et en particulier le négoce bancaire ?
63Concernant ce dernier point peut-on y trouver une cause majeure de la faiblesse de l’implantation des banques françaises dans la région ; toutes conditions relatives à la nature interne du système bancaire français étant mises à part ?
64La lecture des tableaux et des coefficients calculés (tableau nº 6) fait ressortir la profonde crise qui affecte au cours du dernier tiers du XIXe siècle les échanges entre la France et les principaux pays de l’Amérique latine. Aux importations le cas du Chili n’est pas significatif puisqu’il s’agit d’un transfert de pavillon des importations françaises de nitrates. Dans les autres cas la croissance des importations est faible et ce qui domine c’est la très forte irrégularité marquée par une profonde dépression de plus de quinze ans concernant les achats en Argentine qu’accompagne une longue stagnation des importations en provenance du Brésil tandis que les achats en Uruguay déclinent et que le Mexique demeure un fournisseur extrêmement modeste. La récupération, générale à partir de 1905, si elle illustre le dynamisme retrouvé de l’économie française et de ses besoins en matières premières et denrées (à une époque où l’empire d’Afrique de l’Ouest est peu pourvoyeur) est trop récente pour pouvoir se traduire par un réseau de soutien à l’exportation française, autrement que dans des ébauches créatrices (en particulier de la Banque de Paris et des Pays-Bas). D’autant plus que les banques allemandes et dans quelques cas italiennes et new-yorkaises ont quadrillé le continent où désormais elles sont en état de contester la prééminence des vieilles banques britanniques.
65La situation est donc plus préoccupante au niveau des exportations françaises. Dans trois cas sur cinq le coefficient de régression est négatif et dans les deux autres cas (Chili et Mexique) les volumes sont trop faibles pour être significatifs. Le cas du Chili est particulièrement inquiétant car la reprise au début du XXe siècle tourne court alors que les importations françaises sont désormais assez importantes pour justifier des relations maritimes régulières renforcées. Ce qui ne se réalise pas en raison de l’absence de fret de retour à partir des ports français. La crise est encore plus profonde sur les trois grands marchés que représentent l’Argentine, le Brésil et le Mexique. Si dans ce dernier cas on note un doublement des valeurs (qu’atténue la réduction du transit international), le total reste très faible où la valeur des ventes dépasse avec peine le double de l’Uruguay, alors qu’existe dans le pays l’une des deux seules colonies d’émigrants français du sous-continent.
66La situation du commerce français est encore plus difficile chez les deux partenaires majeurs bien que dans des conditions différentes. La forte croissance des ventes en Argentine au cours des années 1880 s’est brutalement arrêtée au moment de la crise Baring pour enregistrer en deux ans un effondrement de 70 %, le creux étant atteint en 1902 avec 41,4 millions de francs (commerce spécial), soit 24,4 % de 1889, et il faudra attendre 1906 pour que les ventes françaises dépassent à nouveau le chiffre modeste de 100 millions de francs. S’il est patent que la crise argentine a excessivement inquiété les exportateurs français dont le retrait a laissé la place à d’autres, les travaux d’Andrès Regalsky66 montrent que les ventes françaises, liées aux investissements surtout ferroviaires, s’effondrent avec l’achèvement de ceux-ci et surtout la concurrence, insupportable économiquement, du matériel allemand. L’essor de l’économie du pays qu’accompagne un puissant effort d’équipement n’a donc pas profité à la France en raison de son inaptitude à fournir les équipements adéquats (énergie, machines pour l’industrie, l’agriculture, la brasserie…). Cette situation est la cause et non la conséquence des graves lacunes que relèvent les observateurs de son appareil commercial et financier dans le pays. C’est ce que nous relevons, mais nous manquons cependant d’études précises et informées pour nous prononcer de façon plus assurée sur ce point67.
67Les ventes au Brésil montrent une évolution fort différente mais tout aussi peu satisfaisante. La valeur en est médiocre, car les 100 millions de francs ne sont atteints qu’une seule fois en trente ans et les 80 millions deux fois. Mais surtout les ventes françaises se présentent sous la forme d’une courbe en dos-d’âne avec une longue stagnation que suit une forte et brève poussée suivie d’un long déclin de près de quinze ans. Au total à partir du maximum de 1891 (102,9 millions de francs), soit pendant dix-huit ans, dix années se situent au-dessous de 60 millions dont sept au-dessous de 50 millions de francs. Au Brésil la reprise des ventes françaises, après le déclin affirmé en 1894, est à la fois très tardive (1906) et peu signifiante. Là aussi le fait que la France devienne le premier investisseur industriel et promoteur de grands équipements (ports, chemins de fer) n’a qu’une très faible incidence sur l’importation d’équipements français. Même si les entreprises de chemins de fer à capitaux étrangers sont le plus souvent françaises, si les entreprises de travaux publics réalisant les ports le sont aussi, les barrières qu’imposent le problème des coûts, les exigences techniques (engins de travaux publics) et, dans des entreprises essentielles, la séparation entre contrôle (nord-américain) et financement (français) font que la production française en bénéficie rarement. Par conséquent le cercle vicieux des conditions peu commerciales, consécutives à des marchés étriqués, lesquels limitent la modernisation industrielle française, joue durablement à plein.
68Facteur aggravant pour l’équipement des ports français, les armateurs et donc la construction navale et ses industries d’amont, dans les pays retenus, le transit international à l’exportation, illustré dans les tableaux et les graphiques par la colonne ES/EG, est trop réduit pour corriger la faiblesse des ventes françaises. Même s’il résiste mieux et en atténue quelque peu les fluctuations, il ne correspond pas à un volume d’affaires susceptible de rentabiliser une ligne maritime à haute fréquence.
69Confrontés à cette évolution, il nous est possible d’avancer quelques hypothèses élargissant le champ de l’analyse dans un domaine trop peu étudié :
70La crise du commerce français dans cette région du monde peut-elle s’expliquer, par l’insuffisance de l’offre de biens adaptés à la demande, insuffisance qui n’a fait que s’aggraver au cours de la période et quelle est la part du manque de soutien apporté par le secteur bancaire aux exportateurs et aux industries nationales ?
71En ce qui concerne l’appareil bancaire extérieur, son développement est resté très limité. Est-il dû au manque de matière exploitable sur laquelle établir une activité progressive, durable et donc rémunératrice à moyen terme ?
72Les entreprises nées des investissements français directs étaient-elles aptes à constituer une clientèle suffisante pour alimenter un réseau bancaire susceptible de contrecarrer la stagnation des exportations industrielles françaises ?
73L’importance croissante de l’investissement étranger et de la cession contrôlée de brevets dans les industries à haute technologie et à évolution rapide a constitué un handicap que la faiblesse financière et technique des entreprises françaises concernées68 ne permettait pas de combler. En outre il existe une contradiction difficile à surmonter au sein des banques tant de la part de celles qui se refusent à l’investissement industriel même au moyen des crédits renouvelables et celles qui participent au financement des entreprises à technologie extérieure comme Seiligman dans la CFTH ou la Banque de Paris et des Pays-Bas.
74Dans ces conditions c’est dans le caractère et le comportement historique de l’économie française qu’il faut rechercher les causes de la faible présence bancaire française et sans doute dans les effets destructeurs de la longue crise de l’économie française au cours de la seconde moitié du XIXe siècle ; crise aggravée pendant la longue stagnation de 1885 à 189869 qui ressort de l’évolution des échanges extérieurs et que masque, comme dans nombre d’autres cas, une stabilité monétaire sans doute contre productive sur le long terme et une exportation de capitaux qui constitue, pour le capitaliste et son banquier, une solution temporaire à l’asthénie durable de l’investissement productif national. Cette crise dont les courbes des échanges avec l’Amérique latine sont une illustration, se traduit par la modestie des importations françaises et la dégradation d’une offre industrielle dont la capacité concurrentielle diminue et qui ne parvient pas à s’appuyer sur les grandes mutations de la fabrique moderne.
C. Comparaison avec l’Allemagne : l’instantané de 191370
75Pour l’année et l’ensemble des pays considérés, le total des échanges de la France correspond à la moitié (53,1 %) de ceux de l’Allemagne. La différence est la plus forte dans les grands pays en développement où existe une importante colonie d’immigrés allemands. Cette variable, souvent intégrée aux explications concernant la rapide croissance des exportations allemandes est à notre avis très peu significative pour la France, comme l’indique l’indice de la croissance des exportations par pays en 1913 par rapport à 1886 (= 100). Dans les couples de pays retenus ici, la croissance des ventes au Brésil n’est pas significativement faible par rapport à l’Argentine et, dans les deux cas de marché restreint, le Chili croît plus vite que le Mexique. Or l’Argentine et le Mexique disposent d’une population d’origine française notable.
Argentine | Brésil | Chili | Mexique |
180 | 151 | 286 | 215 |
76En 1913, la comparaison des exportations des deux pays est particulièrement intéressante une fois admis que dans certains secteurs comme l’électrotechnique en général et le matériel ferroviaire la concurrence des États-Unis et les positions anciennes du Royaume-Uni constituent un frein majeur à l’implantation allemande. Certes les productions électrotechniques et chimiques françaises pèsent peu sur les marchés considérés par rapport aux allemandes et la comparaison détaillée est difficile en raison des différences de nomenclature et souvent de prix retenus par les estimations en douane des deux pays. Le principal problème posé aux exportations françaises réside dans la nature des principaux postes : tissus et vêtements, vins, parfumerie, tabletterie, bimbeloterie, outils manuels, alors que le bien d’équipement est pratiquement absent. Or la plupart des biens exportés sont pris en étau entre une production locale qui occupe rapidement les marchés inférieurs et les limites qu’impose la conjonction de consommateurs aisés relativement peu nombreux et d’une forte concurrence anglaise, allemande (textiles), voire italienne (vins). La France est structurellement absente des marchés de technologie électrique, de la chimie organique, du matériel textile et de couture et de leurs produits de consommation pour les premiers71. Le seul bien moderne qui marque l’avant-guerre et pour lequel elle occupe une position dominante et dynamique, l’automobile, correspond à une clientèle d’autant moins extensible que ce véhicule est, dans les conditions matérielles et routières locales, un produit de luxe strictement urbain. En 1913, l’automobile se place au troisième rang en Argentine et au premier rang au Brésil avec respectivement 8,92 % et 10,55 % de la valeur totale des exportations de la France. Mais ce marché en nette expansion commence à être disputé par la concurrence des États-Unis et, dans une moindre mesure, de l’Allemagne72.
77Il faut donc admettre avec les plus grandes réserves les affirmations et les constatations des contemporains, tout comme certaines publications récentes qui valorisent excessivement l’exportation d’automobiles, sans doute par référence à l’après-1919. D’autant plus qu’il s’agit d’un bien peu protégé par des brevets nationaux donc largement ouvert à la concurrence de pays disposant d’un appareil industriel supérieur. Les études concernant les difficultés du commerce britannique en Amérique latine vont dans la même direction que nos constatations. Il est évident que la plus grande agressivité des négociants allemands, la meilleure organisation de leur réseaux, la fréquence et la régularité des lignes maritimes germaniques sont des éléments majeurs dans la relation commerciale autant que la qualité des biens qui permet de supplanter l’enracinement britannique. Pas moins de cinq armateurs se partagent la région y compris sa côte Pacifique : la Hapag-Atlas, Nord Deutsche Lloyd, Roland, Kosmos, Hansa, maintenant un flux de relations sans égal73. Les chambres de commerce et sénats de ports comme Hambourg et Brème disposent d’une autonomie et de moyens qui font défaut aux organismes français, même les plus actifs comme Le Havre. Les ports français étant corsetés par une législation archaïque et le contrôle centralisé des polytechniciens du corps des Travaux publics, souvent incorrigiblement incompétents en économie commerciale. Ce qui, avec le manque de crédit réduit la capacité concurrentielle internationale des ports et de tous les organismes liés.
D. Des questions sur le cas français
78Mais la meilleure organisation, la plus dynamique ne peut exister, se développer ou même survivre sans la marchandise. Le pipeline est vite abandonné s’il ne transporte rien ou trop peu pour en assurer l’entretien. Or, à l’importation, le négoce français est moins enserré par un tarif protecteur (l’Allemand l’est tout autant) que par les limites d’un marché intérieur avec une population stagnante dont la capacité de consommation croît très lentement, loin derrière l’Allemande pour les produits tropicaux ; tout comme la demande industrielle est en croissance lente. La France importe trop peu de blé, viande, de peaux, de tabac, de cuivre, d’étain, de nitrates pour générer d’importants courants en faveur de maisons de négoce d’importance internationale. Trop souvent les échanges générés par la France apportent un complément d’activité aux négociants et armateurs tiers mais ne sont pas suffisants pour inverser la tendance. Dans les échanges maritimes les pavillons d’autres puissances européennes transportent la moitié et plus du fret français. En 1913, 48 % des échanges avec le Brésil et 64 % de ceux réalisés avec l’Argentine transitent sous pavillon tiers. Des ports comme Londres, Anvers voire Rotterdam sont souvent, à cette époque, les lieux de rupture de charge du commerce maritime français.
79Sur un autre registre c’est bread and butter de la banque commerciale qui manque pour la France. Il se retrouve dans le négoce des frets, les assurances, l’entrepôt (les warrants) et ceci des deux côtés des océans. La banque est aussi présente sur tous les segments du marché, finançant les entreprises et prêtant ses services. Dans ces domaines la banque est un transformateur d’échéances et de risques autant qu’elle accompagne et finance l’exportation. Or le risque systémique (crédits et liquidités) est d’autant plus grand que la banque n’a pas ou peu de prise sur ses correspondants et clients. Il est donc préférable qu’ils soient nationaux, même si le cœur du négoce est à l’étranger. Il en va de même des garanties armateurs, de l’assurance des transports, de l’entrepôt. Si l’entrepôt est à Hambourg ou à Anvers les meilleurs accords juridiques internationaux engendrent des contraintes coûteuses en argent et en temps donc des risques accrus. La situation est aggravée s’il s’agit d’entrepreneurs installés en Amérique latine soumis à des risques monétaires élevés, sur lesquels l’information est souvent imprécise, et protégés par des pratiques juridiques à géométrie variable.
80La nature et plus encore l’évolution du commerce français avec les pays considérés expliquent l’insuffisance de la structure du négoce français beaucoup mieux que de prétendues négligences, désintérêts ou défauts d’organisation. Tous ces arguments que l’on retrouve dans les rapports de diplomates au champ de vision logiquement restreint et que renforce le fait que cette situation se retrouve dans nombre de parties du monde74. Il y a certes une part de vérité dans cette explication universelle, mais elle est secondaire par rapport au fait essentiel : au cours du dernier tiers du XIXe siècle la France est de moins en moins capable de répondre à la demande nouvelle d’un monde en modernisation ; tandis que ses points forts traditionnels soit correspondent à des marchés en évolution lente (mode, vins, parfums, luxe), soit à des secteurs où la compétition s’accroît du fait de concurrents mieux équipés et donc plus performants, soit encore parce qu’apparaissent des concurrents locaux accaparant progressivement les strates inférieures des marchés : cotonnades, articles en cuir courant, outillage manuel.
81Le cas français n’est pas isolé, les Britanniques connaissent des difficultés voisines. L’ancienneté et l’enracinement de leur négoce, de leurs investissements et de leurs banques locales, la puissance des structures bancaires londoniennes (assurances, warrants, acceptations, capitale du change et du crédit international), l’excellence de leurs armateurs et de leurs structures portuaires ralentissent un déclin relatif qui n’en est pas moins noté par les contemporains. Il est symptomatique que la création bancaire internationale britannique se situe dès les années 1890 dans d’autres régions du monde et en particulier l’Empire et l’Extrême-Orient.
82Existe-t-il une clientèle entrepreneuriale appuyée sur les importations de biens d’équipement pour le négoce et la banque français en Amérique latine ?
83Il existe une dernière dimension qu’en l’état de notre documentation il ne nous est pas possible d’intégrer encore à cette étude. Il s’agit de mesurer l’activité des entreprises à capitaux français sur les marchés locaux dans leur rapport avec les banques. Ici aussi les archives et rapports des banques allemandes font ressortir le rôle de l’activité des entreprises locales dans le bilan de leurs agences qui associent autant que faire se peut le négoce international et la banque commerciale. Les études réalisées à propos des agences bancaires européennes du Crédit lyonnais tant à Londres, en Russie en Espagne, au Portugal qu’au Moyen-Orient font ressortir l’intérêt porté aux entreprises locales dont les dépôts, la gestion de la trésorerie, le financement des investissements (souvent en matériel étranger) créent des disponibilités pour le crédit commercial générant des revenus réguliers sans faire appel à des immobilisations en provenance de la maison mère75.
84À une date antérieure la création du Crédit mobilier espagnol et de la Société mercantile et industrielle, fut directement pensée en fonction de la gestion de la trésorerie des compagnies ferroviaires, minières, industrielles contrôlées par les groupes. Il s’agit de fournir un volant d’affaires et des revenus réguliers que l’investissement direct ne peut assurer. À terme, l’enracinement local doit provoquer l’intérêt du négoce autochtone et élargir le champ de l’activité bancaire au-delà de l’international. En Amérique latine les riches travaux réalisés par des historiens locaux sur les investissements étrangers n’abordent encore le plus souvent la question de la banque que par le biais traditionnel de l’investissement76.
85Il faut éliminer une des hypothèses concernant l’Amérique latine. Que les banques y soient allemandes, françaises, britanniques ou italiennes, le rôle majeur d’une importante colonie d’origine européenne immigrée, installée et active, susceptible de fournir le personnel local et dont les activités sur le marché régional alimentent la matière du négoce bancaire est réel mais non nécessaire. La Russie n’est pas terre d’immigration et les industriels étrangers installés sont pour la plupart du temps représentants de groupes occidentaux associés à des Russes. Mis à part quelques rares contre exemples comme dans le textile moscovite, il y a un lien originel entre entreprise et banque étrangère. Autrement dit la banque va disposer d’un personnel russophone de souche autochtone (au sens de l’Empire mais avec de fortes discriminations ethniques et surtout religieuses). Elle s’appuie sur des entreprises françaises ou mixtes, souvent précédant l’installation de l’agence bancaire, mais aussi sur le négoce local en relations d’affaires avec le premier type (par exemple les clients de la sidérurgie à capitaux français) et tendant, au cours des courtes années troublées précédant l’entrée en guerre et la révolution de 1917, à devenir des établissements fondamentalement russes. Le point de rencontre avec le cas latino-américain se trouve dans la faiblesse des échanges bilatéraux même si, compte tenu des espaces considérés, l’implantation industrielle française est beaucoup plus conséquente dans les pays situés à l’est du Reich allemand.
86Par contre si des tensions entre communautés immigrées se font jour dans les différents pays d’Amérique latine, l’hostilité n’y prend jamais la forme de la xénophobie et la banque étrangère ne constitue pas un corps étranger dont on souhaite majoritairement le rejet. Entre personnel venu d’Europe et personnel local souvent de même nationalité à l’origine, la maison mère peut constituer ses équipes et la banque est souvent admise avec le crédit que l’on prête à une organisation solide dont la réputation est faite. Par conséquent la question posée ne porte pas sur l’inadaptation de la banque française à créer des réseaux autonomes à l’étranger mais sur l’insuffisance des espérances d’affaires sur lesquelles construire une structure complexe, coûteuse que l’évolution des échanges internationaux et l’activité locale des entreprises à capitaux français ne semblent pas justifier. Au moins au-delà de quelques réalités non généralisables telles que la Banque française du Rio de la Plata ou la BFIAS77. La faiblesse du bilan d’autres expériences au Brésil, au Chili comme au Mexique, confirme cette hypothèse.
87La banque française telle qu’elle apparaît au lecteur attentif aux différentes monographies nationales rédigées par des auteurs sud-américains, correspond pour l’essentiel au type de la banque d’investissement dont la structure répond aux exigences de la négociation d’État et aux grandes affaires monopolistiques : chemins de fer, ports, mines, services urbains. Dans ces domaines la France occupe largement le second rang derrière le Royaume-Uni ; bien qu’avec le XXe siècle l’Allemagne et les États-Unis soient en passe de prendre le leadership en valeur annuelle à partir des technologies modernes. Si la banque anglaise conserve encore de beaux restes d’un passé glorieux et dominateur, la banque française existe peu sur le terrain en raison de la contraction précoce de son négoce et de l’impossibilité de s’imposer dans les exportations durables de biens industriels. Cette faiblesse structurelle s’affirme à la mesure de la croissance de la concurrence allemande. Quels qu’aient été les avertissements des agents diplomatiques, les critiques des publicistes, les inquiétudes et interventions des gouvernements français, la réalité s’impose à la société marchande. Le risque que constitue l’agent local anglais ou allemand, le banquier germanique correspondant de son confrère français, aurait pour contrepartie des négociants au chiffre d’affaires insuffisant, des agences de banque en sous-emploi et donc structurellement déficitaires, sauf peut-être dans certaines régions comme le bas Rio de la Plata. Ces déficits font partie du stade d’installation et les sièges sociaux des banques allemandes les admettent pour une période limitée, confiants dans le dynamisme durable qu’apporte l’importation de technologies dans ces pays et de leurs effets en profondeur sur l’élargissement des préférences. Tout cela appuyé sur une supériorité technique incontestable.
88Il n’y a aucune explication sociologique à la faiblesse des exportations françaises de biens d’équipement pas plus qu’à la nature de la banque française en Amérique latine.
89L’erreur majeure nous semble être constituée par l’analyse d’un monde de banquiers per se. La banque n’existe et ne prospère que par et pour l’économie marchande, le négoce et l’industrie. C’est donc dans la projection extérieure de cette dernière qu’il faut chercher les raisons de la faiblesse des réseaux. S’interroger sur la banque moteur de l’économie industrielle ou l’industrie précédant la banque n’a aucun sens dès le milieu du XIXe siècle, lorsque s’accélèrent les gains de productivité et que s’impose la prééminence du brevet sur le savoir-faire, l’obsolescence et donc le financement permanent. Au moment où l’Allemagne, les États-Unis suivis par la Suisse entrent de plain-pied dans cette mutation, la France subit une terrible épreuve militaire et connaît une crise économique de ses principales bases de profit agricole : céréales, vins, oléagineux, colorants naturels au moment où elle doit reconstituer son second pôle industriel et le premier pour la machine-outil annexé par les Allemands. Frappé par cette longue dépression, l’appareil bancaire ne trouve ni dans l’investissement intérieur ni dans le négoce extérieur les bases d’un redressement et s’engage dans une longue et complexe restructuration. Devenue nolens volens le premier acquéreur mondial de brevets industriels modernes et enregistrant une faiblesse durable de son produit national, la France connaît un brillant redressement au début du XXe siècle. Les positions, soit prises sur des secteurs traditionnels, soit créées sur des secteurs nouveaux par l’Allemagne et dans certains domaines comme l’électricité par les États-Unis, rendent très difficile l’installation tardive d’une banque française moderne dont certains indices suggèrent les préliminaires. Cependant si 1914 brise le renouvellement français comme il paralyse la croissance de l’Allemagne, ce sera dans les deux cas au profit des États-Unis de leurs industries plus d’ailleurs que de leurs banques.
Bibliographie
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L’essentiel de la bibliographie est consigné dans les notes. Sauf dans un cas les sources des archives publiques ont été omises pour des raisons d’espace : Archives du ministère du Commerce (F 12), Archives financières (nouvelle nomenclature B), Archives diplomatiques.
Les livres et les articles périodiques (surtout en langue anglaise) traitant de la question des relations économiques de l’Europe et de l’Amérique latine sont omis.
Il n’existe pas de bibliographie pour le sujet tel que nous l’avons traité. En premier lieu il n’existe aucune étude historique récente concernant l’activité commerciale des banques françaises en Amérique latine. Les archives bancaires sont en cours de dépouillement. L’absence d’étude analytique du commerce extérieur français constitue un autre obstacle majeur.
Il est possible de compléter la bibliographie sur quelques aspects intéressants. Cependant aucun ne traite du commerce français ou de l’activité de la banque commerciale avec l’Amérique latine. Le choix ci-dessous est très restreint et subjectif.
Bovykin (V.) et Cameron (R. R.) (éd.), International Banking and Industrial Finance, 1870-1914, Oxford, 1992.
Marois (B.), L’internationalisation des banques, Paris, 1979.
Poidevin (R.), Finances et relations internationales 1887-1914, Paris, 1970.
À propos de certains aspects concernant l’Allemagne (hormis les histoires d’entreprise) :
Les revues :
Ibero-Amerikansiches Archiv.
Jahrbuch für Geschichte von Staat, Wirtschaft und Gesellschaft Lateinamerika.
Lateinamerika-Studien (le nº 2 de 1977 comporte une excellente bibliographie sur l’émigration).
Jacob-Wendler (Gerhart), Deutsche Elekrtoindustrie in Lateinamerica, Siemens und AEG, 1890-1914, Stuttgart, 1982.
L’analyse d’un bon connaisseur français actuel :
10.3406/reger.1982.1037 :Blancpain (J.-P.), « Identité nationale et tradition culturelle : le germanisme en Amérique latine », Recherches Germaniques (Strasbourg), 12/1982, p. 188-220.
Annexe
Sources des tableaux
France :
Direction générale des Douanes, Tableau du commerce et de la navigation, Paris, annuel.
Allemagne :
Reichsamt des Innern, Auswärtigter Handel des deutschen Zollgebiets nach Herkunfts-und Bestimmungsländern in den Jahren 1880-1896, Berlin, 1897.
Kaiserliches Statistisches Amt, Statistisches Jahrbuch für das Deutsche Reich, Berlin, annuel.
Pour 1929 : Statistisches Jahrbuch für das Deutsche Reich.
Annuaire statistique de la Ligue des Nations, 1930-1931
Abrévations utilisées :
EM : exportations machines
EMA : exportations biens manufacturés
ET : exportations totales
IM : importations machines
IMA : importations biens manufacturés
IT : importations totales
M. et M. : machines et mécaniques
Tableaux du commerce de la France
Tableau 4. Échanges de biens d’équipement (1874-1913) (en millions de francs courants)
| Importations | Exportations |
1874 | 28.5 | 25.9 |
1875 | 32.4 | 25 |
1876 | 36.2 | 22.8 |
1877 | 37.7 | 20.8 |
1878 | 42.3 | 21.9 |
1879 | 37.5 | 23 |
1880 | 42.1 | 23.9 |
1881 | 66.6 | 26 |
1882 | 87.6 | 28 |
1883 | 93 | 28.3 |
1884 | 60.1 | 31.8 |
1885 | 43.7 | 27.1 |
1886 | 38.9 | 27.5 |
1887 | 43.5 | 31.4 |
1888 | 37.6 | 35.3 |
1889 | 44J | 42.2 |
1890 | 48.8 | 57.8 |
1891 | 55.3 | 45.5 |
1892 | 55.1 | 35.9 |
1893 | 46.7 | 30.2 |
1894 | 57 | 35 |
1895 | 58.6 | 37 |
1896 | 62.2 | 46.2 |
1897 | 67,6 | 43,8 |
1898 | 77,7 | 55 |
1899 | 103,6 | 61,5 |
1900 | 142,9 | 63,4 |
1901 | 120,6 | 56 |
1902 | 106,9 | 52,5 |
1903 | 106,9 | 56,9 |
1904 | 112,2 | 59,6 |
1905 | 130,1 | 71,3 |
1906 | 148,8 | 82,5 |
1907 | 224,2 | 94 |
1908 | 221,8 | 92,5 |
1909 | 216,2 | 90,7 |
1910 | 247,5 | 99,3 |
1911 | 286,7 | 113,6 |
1912 | 298,6 | 115,4 |
1913 | 329,6 | 123,2 |
Échanges de la France avec quelques pays d’Amérique latine (1880‑1909)
Tableau 6. L’évolution quantitative du commerce français (en millions de francs courants) 1880-1909 régression (méthode des moindres carrés)
Tableau 7. Comparaison France-Allemagne 1913 commerce spécial (en millions de francs courants, mark courant converti à 1,25 francs)
Notes de bas de page
2 Il ne s’agit pas seulement d’une date que justifient les évènements financiers et les analyses cycliques, mais également un moment de rupture technologique. Les années trente sont en effet contemporaines des nouveaux paradigmes technologiques et industriels sur lesquels s’appuiera la croissance de la seconde moitié du XXe siècle.
3 Le rôle des intérêts économiques étrangers dans la croissance de l’Espagne 1767-1924, Paris, ANRT Lille 1984.08.1601, ISSN 02943-1767, 1981.
4 Un autre aspect de cette étude doit paraître avant la fin 2006 aux éditions du fonda de cultura et analyse les politiques bancaires allemande et française en Amérique latine : Albert Broder et Carlos Marichal (éd.), La Banca francesa en America latina 1870-1914.
5 Entre 1871 et 1913, l’Allemagne qui nationalise l’essentiel de son réseau au sein de la Reichsbahn double la longueur de celui-ci. Même en déduisant les lignes d’Alsace-Moselle annexée, la comparaison est significative. En outre l’importance des profits directs (et indirects) qu’apporte le transport ferroviaire du Reich constitue un effet à double entrée du développement économique national.
6 F. Crouzet, M. Lévy-Leboyer.
7 Les études sur les présentations industrielles de la Prusse et surtout des États-Unis lors de l’exposition de Crystal Palace à Londres sont très significatives ; même si elles ne traduisent pas encore de réelles inquiétudes.
8 Voir sur ce point en français (ce qui est rare) l’excellente mise au point de Philippe Marguerat : « Banques mixtes et grandes entreprises en Allemagne, 1880-1913 : du mythe à l’antimythe », in Philippe Marguerat, Laurent Tissot et Yves Froidevaux, Banques et entreprises industrielles en Europe de l’Ouest XIXe et XXe siècles, aspects nationaux et régionaux, Genève, Droz, 2000, p. 29-58.
9 David Cahan, An Institute for an Empire 1871-1918, Cambridge University Press (USA), 1989.
10 On rapprochera cette attitude de celle de Göring faisant visiter la même année les usines allemandes d’aviation à l’attaché de l’air français à Berlin le futur général Stehlin. Comme les dépêches inquiètes et circonstanciées de ce dernier resteront sans effet, les rapports des ingénieurs de la CGE n’auront aucune diffusion.
11 Dans une conférence à l’Imperial College of Science and Technology de Londres en février 1981.
12 Dans de précédentes publications nous avons analysé le détail des contrats liant la société française Thomson-Houston à la General Electric (USA) comprenant outre les spécifications d’usage et le cadre géographique accordé, l’obligation d’utiliser un matériel de production bien défini en vue de réaliser le produit fini. Notre étude s’attachait aux moteurs de traction Sprague et à la fabrication d’ampoules électriques à filament métallique. Moins contraignant mais aussi précis est le contrat de cession des brevets suisses de transformateurs à la Société savoisienne d’Aix-les-Bains (avant son absorption par la CGE).
13 À partir d’une étude de Daniel Puffert : Spatial Network Externalities: a Model with Applications to the Standardization of Railway Gauge, Technology and Productivity, workshop paper, Department of Economics, Stanford, décembre 1987.
14 Infra, note 6.
15 Cf. tableaux 1 à 4 bis dans les annexes.
16 Nous utilisons les données des tableaux tels qu’ils ont été diffusés. Les problèmes de mesure des prix indiqués et l’exactitude précise ne sont pas ignorés mais n’ont aucune incidence au niveau de cette étude. La question y compris sur le plan comparatif franco-allemand a déjà été exposée par nous à plusieurs reprises : A. Broder, « L’influence de la politique monétaire française sur les échanges de biens d’équipement, 1958-1953 », in Du franc Poincaré à l’écu, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993, p. 569-583 entre autres.
17 Un exemple entre autres. Lors de l’inscription à la cote des actions du chemin de fer brésilien à capitaux et direction français (Crédit mobilier, Caisse centrale des banques de province) des engagements avait été pris d’acquérir en France la plus grande partie des équipements. Les faits n’ayant pas répondu aux promesses, les autorités françaises s’opposent à l’inscription à la cote des obligations nouvelles de 1902. La société répond que pour le matériel roulant la différence avec les prix et délais allemands était excessive (remarque fréquente et exacte). Par contre, concernant les rails, traverses métalliques et pièces de fixation (éclisses, etc.), elle a acquis en France le maximum autorisé par le cartel international. Ce dont convient le ministère des Finances. Archives du ministère de l’Économie et des Finances (AMF, Savigny le Temple), B 31 730 et 31 731.
18 Outre la crise viticole, la baisse de la valeur unitaire des exportations textiles dans nombre de pays à commencer par les États-Unis et ceux d’Amérique latine, qui subissent une forte concurrence allemande en sus de celle traditionnelle du Royaume-Uni, les effets des conflits douaniers avec l’Espagne, l’Italie, la Suisse se conjuguent. Y. Breton, A. Broder, M. Lutfalla (éd.), La longue stagnation en France 1873-1897, Paris, Economica, 1997.
19 La littérature contemporaine mentionne souvent l’engorgement des chemins de fer qui oblige à des commandes de locomotives aux États-Unis et même en Allemagne. Le même phénomène, plus atténué, se retrouve dans le transport maritime. Cet aspect est à rapprocher de l’incapacité de l’industrie française à concurrencer en prix et surtout en délais ses concurrentes en Russie (ce que mentionnent R. Poidevin et R. Girault dans leurs thèses).
20 Nous avons, dans plusieurs publications, analysé cette correspondance au sujet de l’industrie électrotechnique et des investissements américains, allemands et suisses. D’une importance moindre le cas britannique ne peut être négligé (Dunlop). Dans la majeure partie de ces cas le mouvement commercial pas plus que le flux financier d’investissements ne se retrouvent dans la balance des paiements, ce qui rend douteuse la méthode de mesure des investissements internationaux par cette dernière. En effet, la participation étrangère au capital des entreprises électrotechniques et chimiques (entre autres) se fait par acquisition d’une part, qui peut être majoritaire, du capital en actions libérée par la valeur des brevets, du savoir-faire, des marques et des équipements introduits. Trois cas nous ont servi d’exemple : la General Electric dans la CFTH, Schuckert puis Siemens dans la Compagnie générale d’électricité de Creil, le Suisse Sprecher & Schuh. D’autres nombreux cas se retrouvent dans l’électrotechnique, la chimie organique, la mécanique (Siemens dans l’Alsacienne de constructions mécaniques à Belfort).
21 Dans le cas de la France, la faible capacité d’équipement de l’Empire (y compris l’Algérie mais quelque peu nuancé et en Indochine) en fait un débouché secondaire.
22 Ce qui demandera une analyse plus fine du poste (en cours) car certains biens d’équipement (matériel électrotechnique, métiers textiles à dentelle, tours et foreuses de précision…) sont censés échapper au tarif maximal dans la mesure où ils sont à la fois indispensables et non fabriqués en France.
23 C’est le cas de la plus sérieuse d’entre elles : F. Bourguignon et M. Lévy-Leboyer, L’Économie française au XIXe siècle. Analyse macroéconomique, Paris, Economica, 1985.
24 Cf. graphiques nº 1 et 2 dans les annexes.
25 De modestes exportations de matériel électrotechnique pour l’électrification des villes en Afrique du Nord et Indochine. Les postes principaux sont l’agroalimentaire (matériel de brasserie pour l’Algérie et l’Indochine) et matériel ferroviaire.
26 Suivant en cela le renforcement de la politique allemande comme celle de la Belgique dans des domaines spécifiques, tels que les chemins de fer à voie métrique en Espagne.
27 Hormis les producteurs du secteur électrotechnique qui produisent directement ou par licenciés, on trouve des firmes britanniques ou suisses comme Babcock & Wilcox, Sulzer…
28 Au moment du rachat nous avons eu accès à des archives techniques tant pour l’automobile que pour la branche machines à bois. Nous n’avons pas eu accès à des documents financiers.
29 André Grelon, « Formation et développement des élites techniques et commerciales en France sous la Troisième République », in Y. Cohen et K. Manfrass (éd.), Frankreich und Deutschland, Forschung, Technologie und Industrielle Entwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, München, 1990, p. 39-95 ; Albert Broder, Enseignement technique et croissance économique en Allemagne et en France 1870-1914, idem, p. 66-95 ; Albert Broder, « La politique industrielle et financière de l’Allemagne et de la France : étude comparative des résultats », in Ph. Levillain et R. Riemenschneider (éd.), La guerre de 1870-1871 et ses conséquences, Bonn, Bouvier Verlag, 1990, p. 366-386.
30 Le polytechnicien refuse la qualité d’ingénieur pour ne garder que le titre prestigieux et surtout discriminatif d’« ancien élève de l’École polytechnique », ce qui se retrouve dans les notices nécrologiques ou de mariage que publie la presse. L’École refusera au cours des années trente de s’intégrer à la « commission sur le titre de l’Ingénieur ». Avant 1914, le polytechnicien est avant tout un officier, le « fanamili », d’artillerie ou du génie ; sauf s’il intègre les écoles d’application (Mines, Ponts et Chaussées) qui lui ouvrent la porte des grands corps de l’État. Officier retraité ou haut fonctionnaire pantouflard, on le retrouve moins dans l’industrie que dans les hautes directions de gestion et administration. Les rares cas d’entrée directe dans l’industrie correspondent souvent à des élèves étrangers, de famille fraîchement naturalisée ou de groupes socialement discriminés (tel André Citroën), sans lien avec les élites sociales.
31 Voir sur ce sujet les bons travaux très précis de P.-E. Mounier-Kuhn.
32 En 1913, le capital (A et O) de la CFTH, première entreprise électrotechnique et électrique française, avoisine 60 millions de francs, celui de l’AEG allemande 195 millions de francs pour la maison mère.
33 Cf. tableau nº 5 dans les annexes.
34 Entre autres modèles, en 1927 l’étude comparative : « Der Deutsche Aussenhandel im Jahre 1925 (verglichen mit dem Jahre 1913) », in Ausschuss zur Untersuchung der Erzeugungs und Absatzbedigungen der deutschen Wirtschaft, Berlin, Mittler et Sohn, 1927.
35 Supra, note 31.
36 Il n’y a pas perte du marché allemand qui ne fut jamais très porteur. Si Citroën se lance avec audace dans une modernisation qui est un des facteurs de sa faillite et qui est trop audacieuse pour les marchés extérieurs, avant 1935 la seule autre réponse à la chute des revenus vient de la Fiat importée (future Simca), la Topolino 5.
37 Ainsi le groupe Deutch lié aux Rothschild cède ses intérêts tant en France qu’en Espagne au Britannique British Petroleum (BP) tandis que la Banque de Paris et des Pays-Bas préfère s’associer à l’Américain Standard Oil.
38 Pour l’aviation voir Emmanuel Chadeau, Histoire de l’industrie aéronautique en France, 1900-1950, Paris, Fayard, 1987 et pour BSA : R. T. P. Davenport Hines, Dudley Dockers, Cambridge (UK), 1984.
39 En dehors des nombreux travaux allemands et suisses sur la question, en français Albert Broder, « L’expansion internationale de l’industrie électrique allemande », Relations internationales, 1982, nº 29, p. 65-86.
40 En dehors de fortes préférences malgré le libre-échange officiel britannique, nous y trouvons une forme préférentielle d’investissement international de la part des financiers britanniques. Ce qui se justifie par la stabilité politique et les garanties juridiques d’une autre nature que dans le reste du monde. La population est en quasi-totalité anglophone (le Québec joue au Canada un rôle très secondaire, mais ce dominion est de plus en plus absorbé dans l’aire économique et financière des États-Unis). A. Broder, Histoire économique du monde, 1870-1950, Paris (en particulier pour la bibliographie en langue anglaise), à paraître.
41 En particulier, outre la thèse de Raymond Poidevin, les travaux de René Girault (Russie) et Jacques Thobie (Empire ottoman) qui, comme la première citée, abordent la question mais pour une période trop limitée.
42 A. Broder et C. Marichal (éd.), La Banca francesa en America latina, 1870-1914, Mexico, sous presse fin 2006.
43 Cf. tableau nº 6 dans les annexes.
44 Entre la perte des territoires de l’Est et l’énorme indemnité de cinq milliards (six mois de PNB) le coût réel est, mutatis mutandis, supérieur à celui réglé effectivement par l’Allemagne du traité de Versailles.
45 J. Thobie, Intérêts et impérialisme français dans l’Empire ottoman 1995-1914, Paris, Imprimerie nationale, 1977.
46 A. Broder, Le rôle des intérêts étrangers…, op. cit., p. 370-449.
47 Les cinq milliards-or allemands ont été réglés par un désinvestissement extérieur et par des emprunts extérieurs rachetés par l’épargne française. Ce qui se justifie politiquement mais constitue une erreur économique.
48 Rothschild à Paris, Baring à Londres, Mendelssohn à Berlin, Bamberger à Bruxelles, Pictet à Genève, Hope à Amsterdam pour ne citer qu’un nom sur les principales places d’émission à différentes époques.
49 Dans ce cas, associée à Paribas dans l’indémêlable écheveau politico-financier intérieur et extérieur du port de Rio Grande.
50 Nous avons déjà, dans plusieurs publications dont notre thèse, indiqué les raisons de cette dichotomie à propos d’une autre affaire où on retrouve les mêmes intervenants : la Barcelona Traction, le holding électrique Ebro où l’on retrouve derrière l’écran juridique de la SOFINA, AEG, la General Electric et la Banque suisse pour les entreprises électriques (Elektrobank, filiale partielle de la Deutsche Bank).
51 Comporte un réseau ferré qui s’étend avec lacunes du nord au sud du Brésil, en Argentine, en Bolivie, en Uruguay et au Chili (19 194 km construits et 6 095 à construire dont 1 730 en Bolivie !), des chemins possédés en propre, des concession temporaires, pris à ferme aux États ou aux provinces, des écartements divers. S’ajoutent des installations portuaires construites, à construire, exploitées ou non : ports de Para, Rio de Janeiro, Rio Grande (do Sul). Via les Canadiens Pearson et les Mackenzie des concessions électriques et de tramways au Brésil et au Mexique ainsi que d’énormes concessions de terres dans les zones des chemins de fer à peupler et à mettre en exploitation. L’étude de ce conglomérat douteux et fragile est loin d’être réalisée malgré de très abondantes archives dispersées il est vrai dans cinq pays.
52 A. Broder, Le rôle des intérêts étrangers…, op. cit., p. 685-904.
53 Les familles à l’origine de la puissante chimie bâloise se retrouvent souvent dans la banque régionale. Il en va de même dans le canton de Zurich pour les activités mécaniques.
54 Outre la thèse citée note 3, on trouvera de nombreux cas bien analysés dans les publications de Peter Hertner.
55 Cf. tableau nº 6.
56 On trouvera aussi d’intéressantes précisions concernant la politique allemande en Amérique centrale dans un ouvrage par ailleurs fort médiocre : Thomas Schoonover, Germany in Central America, University of Alabama Press, Tuscaloosa, 1998, 317 p.
57 J. Jones, British International Banking, op. cit.
58 En nous limitant à l’industrie textile, l’une des premières à prendre une importance régionale, il s’agit, en excluant les pièces détachées spécifiques, des broches, des aiguilles, des ressorts, des tendeurs, des courroies et chaînes d’entraînement et de transmission, mais aussi des lubrifiants qui à cette époque remplacent rapidement les huiles de graissage naturelles (huile d’olive), les peintures, les soudures, les outils manuels spécialisés ou non (liste non exhaustive). Dans la partie de notre thèse concernant l’investissement ferroviaire en Espagne nous avons noté l’importance du petit outillage et des produits fongibles importés à l’usage des ateliers d’entretien des réseaux.
59 C’est un système qui s’est maintenu en France dans la bonneterie troyenne comme dans celle des Cévennes jusqu’aux années 1960 et qui était illustré par le commerce de bonneterie des quartiers parisiens du Sentier et des Arts-et-Métiers. Le même phénomène pouvait, au cours du dernier tiers du XIXe siècle jusqu’aux années 1960 être noté en Espagne entre la bonneterie barcelonaise dans le Barrio Gotico, les grossistes de Madrid (concentrés derrière la Puerta del Sol) les demi-grosssites de Salamanca ou Badajoz.
60 Entre de nombreuses publications : Ross J. S. Hoffman, Great Britain and the German Trade Rivalry, University of Pennsylvania, Philadelphia, 1933.
61 En particulier René Girault, Raymond Poidevin, Jacques Thobie.
62 C’est en particulier le cas des trois frégates livrées à l’Argentine avec un long retard et dont les vices de fabrications furent tels que la marine argentine en refusa l’usage et que Buenos Aires les revendit à l’Empire ottoman.
63 A. Broder, « Commerce français et allemand en Argentine 1880-1914 », in Mélanges offerts au professeur Asselain, à paraître.
64 Sur l’article de Paris au Brésil nous disposons de la remarquable thèse de Denise Monteiro Takeya sur Boris Frère, une maison de négoce française au Ceara, éditée en portugais : Europa, França e Ceará, a expansão comercial francesa no Brasil e as casas comerciais, Sao Paulo, USPE éd., 1992.
65 Allemands et Austro-hongrois surtout dont pour ces derniers une forte proportion de Juifs de Galicie presque germanophones (yiddish).
66 Et donc des prix compétitifs et le respect des délais ; même si la qualité du bien fourni est indiscutable. Andrès Regalsky, Mercados, inversores y elites. Las inversiones francesas en la Argentina, 1880-1914, Buenos Aires, 2002.
67 Il est à craindre que la même pente soit suivie au cours de la crise actuelle qui a commencé en 2001 et qui est marquée du côté français par le retrait du Crédit agricole et le repli de grandes entreprises comme la Lyonnaise des Eaux-Suez. Cette dernière abandonne le plus important investissement français en Argentine (Eaux de Buenos Aires) les effets psychologiques locaux sont importants et la comparaison profite aux autres pays dont les entrepreneurs sont moins timorés.
68 La Compagnie Générale d’Électricité ne dispose avant 1914 d’aucun laboratoire digne de ce nom ; ce qui en tient lieu dispose de trois salariés dont un homme de charge. Il s’agit en fait d’un instrument faire-valoir. La situation est telle qu’à la veille de la guerre la question du dépôt de bilan est envisagée faute de pouvoir concurrencer les filiales américaines (CFTH et Westinghouse), allemandes (CGE de Creil, Alsacienne) et Suisse (CEM Brown Boveri, Sprecher & Schuh). A. Broder, « The Multinationalisation of the French Electrical Industry 1880-1914. Dependency and its Causes », in P. Hertner et G. Jones (éd.), Multinationals Theory and History, Gower, Aldershot (UK), 1986, p. 169-192. A. Broder, in Alcatel Alsthom, Histoire de la Compagnie Générale d’Électricité (ouvrage collectif), Paris, Larousse, 1992, chap. 1 et 2, p. 15-95.
69 Yves Breton, Albert Broder, Michel Lutfalla (éd.), La longue stagnation en France 1873-1897, Paris, Economica, 1997, p. 9-59, 151-192, 311-324.
70 Cf. tableau nº 7 dans les annexes.
71 Ainsi en est-il de l’électricité grand public : éclairage, installations domestiques ou des teintures et colorants qu’emploie progressivement l’industrie textile locale.
72 En 1913 la France est largement dépassée au Mexique par les États-Unis et cette ligne d’exportation n’y correspond qu’à 5 % des exportations françaises. L’arrivée de la Ford T consacre les débuts d’une concurrence qui s’imposera dans le sous-continent avec la guerre de 1914.
73 La Hapag a racheté l’Atlas aux Américains de l’United Fruit qui dominent la production exportable d’Amérique centrale ; ayant crée avec la Deutsche Bank la Hanseatische Plantagen Gesellschaft, la Hapag (qui contrôle également des armateurs sous pavillon australien sur la côte ouest de l’Amérique du Sud) est à même d’organiser le marché de la banane dans toute l’Europe du Nord-Est. Alors que les Français, comme de nos jours, sont tenus par la production des Antilles. Lester Langley et Thomas Schoonover, The Banana Men: American Mercenaries and Entrepreneurs in Central America 1880-1930, Lexington, 1995. Voir aussi D. Joslin, A Century of Banking in Latin America, Oxford, OUP, 1963. Pour la France voir : Arch. nat., Finances F 30 393 (cité par Schoonover) et aux Archives du monde du travail à Roubaix la correspondance de la Banque de Neuflize 44 AQ 19.
74 Un consul change régulièrement de poste et ne peut que retrouver, dans la plupart des circonscriptions hors d’Europe, une situation similaire.
75 Les analyses les plus détaillées portant sur le Crédit lyonnais avant 1914 sont dans l’ouvrage éponyme : Londres (F. Gallice, p. 499-513) ; l’Égypte (S. Saul, p. 521-530), au Levant (J. Thobie, p. 549-585), le Portugal (R. Nougaret, p. 639-650).
76 Une bonne introduction coordonnée par Carlos Marichal, Las Inversiones extranjeras en America latina 1850-1930, Mexico, 1995. Les études sont lacunaires mais comportent des bibliographies très utiles.
77 Banque française et italienne pour l’Amérique du Sud. Banque à capitaux majoritairement français (Banque de Paris et des Pays-Bas) mais dont les directeurs des succursales nationales sont le plus souvent italiens tout comme une bonne partie de l’état-major opérationnel de Paris. La Banque se plaint de l’absence de personnel français bilingue et du refus des Français de s’installer à Buenos Aires, Sao Paulo et même Rio de Janeiro. Ces mêmes plaintes sont le fait des ambassadeurs de France en poste.
78 Calculée à partir des formules de régression logarithmique et exponentielle. La différence n’apparaît qu’à la 3e décimale.
Auteur
Agrégé d’histoire, docteur ès lettres, professeur émérite d’histoire économique à l’Université de Paris XII, directeur honoraire de l’Institut J.-B. Say d’histoire des relations économiques internationales et prix Vicens Vives de sciences sociales. Il a publié récemment : Histoire Économique du Monde depuis 1950, Cujas, 1993 ; Histoire Économique de la France XIXe et XXe siècles, Ophrys, 2 vol., 1995 ; La Longue Stagnation de l’Économie française (avec Yves Breton et Michel Lutfalla), Économica, 1997 ; Histoire Économique de l’Espagne contemporaine, Économica, 1998 (édition espagnole 2000). Sous presse : La Banca Francesa en America Látina (avec Carlos Marichal), Mexico, Fondo de la Cultura ; « L’Historien et la Mémoire Collective », Santé Mentale, mars 2006
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