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Les agences sanitaires :entre réformes et technocratie

p. 73-93


Texte intégral

Introduction

1Depuis plus d’une dizaine d’années, la création d’agences constitue un phénomène marquant dans le paysage administratif. S’inspirant de modèles de référence comme ceux de la Grande-Bretagne ou de la Suède notamment, ces nouvelles institutions administratives incarnent les principes de réforme de l’administration, tout en s’inscrivant dans un paysage européen plus général, caractérisé par une profusion d’agences nationales et communautaires, et ce dans une grande variété de secteurs. Le domaine de la santé constitue un espace remarquable d’expérimentation, dans la mesure où des agences dotées d’une capacité d’expertise ou de décision y ont été créées dès la fin des années 1980. Elles jouent aujourd’hui un rôle prépondérant, aux côtés d’autres acteurs administratifs ou professionnels1. Il est vrai qu’en matière de santé, les agences ont souvent constitué une réponse à des crises exigeant des réactions rapides et visibles de la part des pouvoirs publics. Plus ou moins autonomes par rapport aux administrations centrales, les agences sont plus généralement chargées de missions de service public et placées à distance du pouvoir politique. Bénéficiant d’un label de modernisme, elles constituent une solution institutionnelle à de multiples problèmes posés aux pouvoirs publics.

2Pour ceux qui en ont fait la promotion depuis les années 1990, les agences conjuguent souplesse d’organisation interne, flexibilité de gestion, atténuation des lourdeurs hiérarchiques, meilleur service à l’usager. La création d’agences permet d’associer plus étroitement les groupes ou les populations visés par une politique publique. Elles constituent des structures publiques dont l’éloignement vis-à-vis de l’État apparaît comme une garantie de neutralité et de crédibilité. Elles peuvent aussi se révéler, un instrument remarquable de conquête ou de reconquête d’un domaine d’activité par l’autorité publique. Typiquement, le secteur de la santé, dont l’administration a historiquement été déléguée pendant plusieurs décennies à la profession médicale, a ainsi pu être réinvesti par l’État grâce au développement de ces nouvelles structures.

3Considérées de manière générale, ces formes institutionnelles ne sont cependant pas totalement nouvelles, puisque les premiers organismes qui s’apparentent à des agences ont été créés dès les années 1960. Mais elles ont incontestablement connu un nouvel essor depuis les années 1990. Leur légitimité a été renforcée par la mise en œuvre de nouvelles formes de régulation publique inspirées par un ensemble de transformations européennes et sans doute aussi, quoique de manière indirecte dans le domaine de la santé, par les courants du New Public Management. Contrairement aux pays anglo-saxons ou scandinaves, où les agences sont une forme juridique et politique bien définie, les agences françaises ont été instituées de manière essentiellement contingente, au gré des besoins et des crises. Leur nature comme leurs prérogatives apparaissent peu déterminées, variables d’une agence à l’autre ou même d’une période à l’autre pour une même agence. L’écart entre l’importance politique qu’elles ont acquise et leur relative indétermination institutionnelle rend d’autant plus légitime une interrogation sur ces nouvelles structures administratives. Quelles sont les propriétés de ces nouvelles institutions ? Qu’attend-on de leur mise en place ? Quels sont leurs effets, vertueux ou pervers, sur le fonctionnement de l’État et sur les politiques publiques ?

4Considérées comme des formes administratives à la fois modernes et libérales, offrant une alternative aux administrations intégrées, les agences sanitaires ont renforcé les moyens d’intervention de l’État. Elles ont renouvelé le rapport entre l’expertise scientifique et la décision publique et ont permis la mise en œuvre de nouvelles formes de régulation. Mais les agences sanitaires ne sont pas exemptes de tendances problématiques, moins souvent relevées. Loin d’être de simples alternatives aux administrations publiques, les agences étendent aux marges de l’administration des tendances bureaucratiques contre lesquelles elles étaient supposées faire barrage. D’un point de vue démocratique, elles n’ont pas élargi autant qu’on aurait pu le penser le cercle des acteurs légitimes pour statuer sur des questions sanitaires, qui restent largement l’apanage d’acteurs administratifs et médicaux. Enfin, au-delà du renouvellement de la régulation scientifique de la santé, les agences reconstituent des formes d’expertise officielle, non exemptes de tendances technocratiques. Au point qu’il devient pertinent d’évoquer à leur sujet une tendance à la constitution de nouvelles bureaucraties techniques, se développant sinon dans l’administration, du moins à sa périphérie. Après avoir présenté l’environnement et les conditions historiques dans lesquelles les agences ont été créées, nous signalerons leurs effets sur l’action publique et la manifestation de tendances paradoxales et assez problématiques, moins souvent relevées.

Le contexte français de création des agences sanitaires

Les agences entre la réforme de l’État et la construction européenne

5Les premiers organismes qui s’apparentent à des agences ont été créés dans les années 1960, parfois sous le nom de « Centre national » ou d’« Office ». D’appellation plus récente, les agences n’ont cependant jamais bénéficié d’une définition juridique claire2. Personnes morales distinctes de l’État, elles restent soumises à sa tutelle, au contrôle de la légalité et de la régularité des actes publics. Mais elles échappent à la relation hiérarchique de l’administration. Dans la plupart des cas, elles ont un statut d’établissement public administratif (EPA), parfois d’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), qui leur permet de percevoir des taxes parafiscales, plus rarement de groupement d’intérêt public ou d’association. Elles sont généralement pilotées par un conseil d’administration et dirigées par un directeur général, nommé et révocable par le gouvernement. Les agences se distinguent des administrations de mission comme les délégations, les missions ou les comités interministériels, voués à la coordination et généralement dépourvus de personnalité juridique. Elles se distinguent aussi des autorités administratives indépendantes créées à partir des années 1980 pour assurer la régulation de secteurs économiques ou garantir la protection des droits des administrés3. Les frontières de ces formes institutionnelles ne sont cependant étanches, certaines agences ayant pu évoluer d’une forme à l’autre. En 2006, la Haute Autorité de Santé succède à l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. Ce renouvellement d’attributions, de compétences, d’organisation et de moyens s’accompagne aussi d’un changement de statut, la Haute Autorité de Santé acquérant le statut d’« autorité publique indépendante à caractère scientifique », qui l’assimile aux autres autorités administratives indépendantes.

6En réalité, le concept d’agence paraît importé des systèmes administratifs anglo-saxons ou scandinaves, où les agences sont des entités administratives identifiées, caractérisées par leur autonomie par rapport au pouvoir exécutif et aux administrations, ainsi que par des règles définissant précisément leurs responsabilités4. Ces modèles sont devenus des références lorsque le New Public Management a prôné la création d’agences autonomes, supposées favoriser la séparation entre des fonctions de pilotage stratégique et de mise en œuvre des politiques. Les agences sont alors apparues comme le support institutionnel de la responsabilité managériale, de l’efficacité organisationnelle et d’une gestion de proximité5. Des programmes de réforme, comme le programme Next Steps, lancé en 1988 en Grande-Bretagne ont attribué un rôle de premier plan à ce type d’organismes, symboles des recompositions néo-libérales de l’État.

7Ce mouvement international inspire la création d’agences européennes, longtemps limitée par les traités fondateurs de la Communauté, qui ne permettaient pas de créer des organismes administratifs indépendants, et par les réticences des États membres à la création d’institutions supranationales6. Dans les années 1990, le renforcement de l’intégration européenne, le poids croissant du Parlement et la fragilisation de la Commission conduisent à reconsidérer le rôle d’instances plus autonomes, politiquement responsables. De nouveaux compromis apparaissent entre les institutions communautaires et les États membres. Huit agences sont créées en 19937. Elles se présentent comme des organismes spécialisés, dotés de la personnalité juridique et dirigés par un conseil d’administration principalement composé de représentants des États membres8. Contrairement à leurs homologues américaines, les agences européennes ne participent pas à l’élaboration, à l’exécution ou à l’évaluation des politiques communautaires, mais elles permettent de développer de nouvelles formes de régulation, fondées sur la diffusion de l’information ou la gestion de réseaux9. La création de ces agences au niveau communautaire a constitué un motif supplémentaire pour la mise en place de structures équivalentes au niveau national.

8Dans les années 1990, la création d’agences s’inscrit en France dans un contexte plus général de transformation de l’État, à ce stade sans relation directe avec les problématiques spécifiques au secteur sanitaire. Dès les années 1980, la modernisation du service public engagée par Michel Rocard valorise l’autonomie de « centres de responsabilité ». L’expérience britannique infléchit ensuite la réflexion sur la réforme de l’État. Il s’agit plus d’améliorer la gestion de l’État que d’en redessiner les contours, en précisant la nature contractuelle de ses relations avec des acteurs extérieurs. Entamées par le Commissariat général du Plan et par des instances ad hoc, comme la Mission sur les responsabilités et l’organisation de l’État présidée par Jean Picq10, ces réflexions esquissent le modèle d’un État « fort et efficace » qui accorde une place de choix aux agences. Selon la nouvelle doctrine, les fonctions d’exécution et de gestion doivent leur être déléguées, tandis que les administrations centrales doivent conserver le pilotage stratégique. L’État fixe les objectifs, choisit les dirigeants, évalue et contrôle les résultats des établissements. En contrepartie, les agences bénéficient d’une autonomie de gestion.

Une nouvelle administration sanitaire

9Le domaine sanitaire s’est révélé comme un terrain privilégié de développement des agences11. Depuis la fin des années 1980, les réflexions transversales sur la transformation de l’administration ont rencontré des préoccupations sur la gestion des risques sanitaires. Les premières agences sanitaires ont été conçues en réaction à l’épidémie de sida (Agence nationale de recherche sur le sida, Agence française de lutte contre le sida) puis à la nécessité de mettre en place de nouveaux modes de gestion de santé publique, avec par exemple la création en 1990 de l’Agence nationale de l’évaluation médicale (ANDEM) pour assurer à la fois la qualité des soins et la régulation des dépenses du système de santé12. Le Réseau national de santé publique (RNSP) créé en 1992 établit un dispositif d’alerte et de surveillance de la santé des populations. En 1993, l’Agence du médicament répond à la volonté de rationaliser l’évaluation des médicaments en distinguant les fonctions d’évaluation scientifique, d’autorisation de mise sur le marché et de fixation des prix, jusqu’alors assurées par la direction de la Pharmacie et du Médicament du ministère de la Santé, et à la nécessité de renforcer l’expertise française dans la perspective de la mise en place d’une agence européenne13. D’une manière plus générale, les agences sanitaires françaises ont dès lors développé une influence active auprès de leurs homologues européennes, tant nationales que communautaires, afin de conserver une position de premier plan, dans un contexte souvent concurrentiel à l’échelle européenne14.

10La création d’agences fournit aussi une réponse institutionnelle aux crises sanitaires qui, dans les années 1990, révèlent à différentes reprises les défaillances d’une administration pauvre en compétences scientifiques et techniques et souffrant d’un déficit de légitimité auprès des autres administrations15. Des missions de santé publique jusqu’alors déléguées à des associations quasi-gestionnaires du système de soins sont attribuées à des instances administratives sous responsabilité publique. C’est le cas de l’Agence française du sang (AFS) et de l’Établissement français des greffes (EFG). Sous l’influence de hauts fonctionnaires réunis autour de Bernard Kouchner, les agences sont réinscrites dans le cadre d’une doctrine de « sécurité sanitaire », définie comme la sécurité contre les risques liés au fonctionnement du système de santé16.

11Après la crise de la vache folle, en 1996, les travaux de la commission sénatoriale des affaires sociales préconisent de renforcer la veille et la sécurité sanitaire à travers la mise en place d’agences dites « de sécurité sanitaire ». La loi du 1er juillet 1998 place de nouvelles agences sous la tutelle du ministère de la Santé et sous la coordination d’un Comité national de sécurité sanitaire : l’Institut de veille sanitaire (InVS) remplace le RNSP, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) élargit le champ de compétence de l’Agence du médicament tandis que l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) est chargée d’une mission d’évaluation des risques alimentaires. Une agence de sécurité sanitaire environnementale voit le jour par la loi du 9 mai 2001, dont un amendement prévoit la création de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), regroupant l’OPRI et l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN). En 2002, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) se substitue au Comité français d’éducation pour la santé. Le système d’agences est encore transformé en 2004 par la création de l’Agence de la biomédecine (ABM), qui élargit les missions de l’EFG aux domaines de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaine, et par la mise en place d’une Haute Autorité de Santé (HAS), qui élargit les missions de l’ANAES à l’évaluation de l’utilité médicale de l’ensemble des actes, prestations et produits de santé pris en charge par l’assurance-maladie. La révision de la loi de 1998 donne enfin lieu en 2005 à l’élargissement des fonctions de l’AFSSE à la santé au travail, elle devient AFSSET. Après plusieurs crises sanitaires, de nombreux rapports administratifs ou parlementaires et le vote de plusieurs lois, la notion de sécurité sanitaire s’est ainsi progressivement imposée en définissant le champ d’application des agences de santé à de nouveaux secteurs, comme l’alimentation, l’environnement ou le travail. Aujourd’hui, neuf agences entourent aujourd’hui le ministère de la Santé17.

Les agences et le renouveau de l’action publique

La santé publique est de retour

12Les agences sanitaires se sont révélées être les supports d’une politique active de l’État dans le domaine de la santé, notoirement sous administré depuis plusieurs décennies. Créées pour renforcer l’expertise et la gestion des risques sanitaires, les agences ont eu vocation à rétablir la confiance de l’opinion dans l’action publique. Au point qu’elles semblent incarner un renouveau politique de la santé publique18. De fait, le système des agences a permis au ministère de la Santé de renforcer son administration en la dotant d’une nouvelle légitimité. Les agences ont été un moyen d’externaliser et de singulariser certaines missions, en leur donnant une visibilité et des moyens accrus. Elles ont libéré le ministère de lourdes tâches de gestion, comme la surveillance des maladies, la délivrance d’autorisation de mise sur le marché de médicaments, l’organisation de la transfusion sanguine ou l’élaboration et la mise en œuvre des actions de prévention.

13Les agences disposent de moyens humains et financiers importants et en forte augmentation. Les effectifs budgétaires des agences des agences sanitaires sont passés de 1 553 en 1997 à 10 38 en 2000 et leurs ressources financières ont été multipliées par cinq au cours de la même période. Elles ont aussi souvent mis en place des réseaux d’expertise externes, réunissant des chercheurs et des professionnels de haut niveau. Certaines agences, comme l’InVS ou l’AFSSET, animent des réseaux répartis sur le territoire. Les agences sont en liaison avec leurs homologues européennes et avec les agences communautaires.

14La création des agences a entraîné une transformation de l’organisation et des missions des administrations centrales comme la direction générale de la Santé (DGS). Face aux craintes d’émiettement perçues dès le milieu des années 1990, la DGS a souhaité passer d’une culture de gestion à une culture d’orientation et d’animation des agences19. Selon les formules préconisées par le New Public Management, la DGS a cherché à contractualiser ses relations avec les agences, par la mise en place de contrats d’objectifs et de moyens et par la rédaction de lettres de mission aux directeurs généraux, définissant les objectifs scientifiques de leurs établissements et permettant de réduire ses interventions dans le domaine du budget, du personnel et du fonctionnement administratif20.

Un nouveau rapport à l’expertise

15La création des agences sanitaires a aussi permis de répondre à des critiques formulées de longue date à propos du recours à l’expertise scientifique par les pouvoirs publics21. Après la contestation d’une expertise « technocratique » dans les années 1970, le développement des mouvements écologistes et anti-nucléaires, puis les catastrophes technologiques des années 1980 et les crises sanitaires des années 1990, les appels à une expertise scientifique plus ouverte à la société civile, plus transparente et plus indépendante se sont faits pressants22. Dans un contexte où le principe de précaution acquérait une importance croissante, les agences ont été pensées comme un moyen de réorganiser le recours à la science pour informer la décision politique en situation d’incertitude ou de controverse scientifique23. Elles ont défini de nouvelles procédures d’organisation et de recours à l’expertise. Formalisant les principes de la sécurité sanitaire, Didier Tabuteau a notamment insisté sur la séparation des fonctions d’expert, de gestionnaire et de décideur, soulignant l’exigence d’impartialité et de transparence des agences24. Les agences sanitaires sont apparues comme le cadre de mise en œuvre des nouveaux principes de « bonne expertise ».

De nouvelles formes de régulation

16Les agences sanitaires sont apparues comme le symbole d’un « risorgimento » de la santé publique. À travers les missions et les moyens qui leur ont été attribués, à travers leur culture professionnelle et la personnalité de leurs dirigeants, à travers la définition d’une doctrine de sécurité sanitaire, les agences garantissent la défense d’objectifs de santé publique.

17La création de l’Agence du médicament a permis d’instaurer de nouveaux modes de régulation du marché du médicament. Elle a entraîné une autonomisation de la décision d’autorisation de mise sur le marché vis-à-vis des considérations économiques, en matière de fixation du prix du médicament et de remboursement par la sécurité sociale25. En matière de sécurité alimentaire, secteur traditionnellement piloté par les ministères de l’Agriculture et de l’Économie, la création de l’AFSSA a permis de renforcer la légitimité du ministère de la Santé et des objectifs de protection de la santé humaine26. Les agences favorisent de nouvelles formes de régulation vis-à-vis des acteurs professionnels. L’action de l’ANDEM a par exemple permis le développement d’une évaluation médicale, pensée comme double instrument de qualité et de maîtrise des dépenses auprès d’une profession médicale traditionnellement soucieuse de son autonomie27. Les agences sanitaires semblent ainsi renforcer les prérogatives de l’État en matière de santé publique et de sécurité sanitaire.

L’autre visage des agences sanitaires

18Au-delà de ces acquis, le système de sécurité sanitaire est aussi le lieu d’évolutions préoccupantes. Elles résultent de dynamiques paradoxales. Constituées pour décongestionner les administrations, les agences semblent reconduire des modes de fonctionnement bureaucratiques aux marges de l’administration. En privilégiant l’intervention d’interlocuteurs médicaux en matière de santé publique, les agences n’ont pas véritablement ouvert le mandat politique de la santé publique, historiquement confié à la seule profession médicale. Elles ont plutôt étendu la portée de l’expertise médicale à de nouveaux secteurs. Enfin, tout en favorisant la formalisation de l’expertise, et partant l’amélioration de sa qualité intrinsèque, la reconfiguration des relations entre décision politique et connaissance scientifique n’a pas favorisé la démocratisation des choix scientifiques et techniques mais a plutôt renouvelé des procédures technocratiques, caractéristiques d’une nouvelle expertise officielle.

De nouvelles bureaucraties

19Contrairement aux projets du New Public Management, dans le domaine de la santé, la création d’agences n’aboutit pas à une désagrégation des administrations centrales en faveur de structures autonomes. Elle donne naissance à de nouvelles bureaucraties, dont le pilotage s’avère complexe28. Loin de déplacer les compétences de l’État hors de l’administration, la création d’agences sanitaires illustre d’abord une reprise en main par l’administration d’activités jusqu’alors déléguées à des acteurs privés. Des agences comme l’EFS ou l’EFG ont absorbé d’anciennes associations. En deuxième lieu, la création d’agences de sécurité sanitaire, si elle externalise des fonctions jusqu’alors assumées par l’administration, n’entraîne généralement pas la suppression des services administratifs, comme auraient pu le laisser penser les doctrines du New Public Management, ou l’interprétation d’expériences étrangères s’y référant, selon lesquelles les agences apparaissent comme une alternative aux administrations intégrées traditionnelles. L’Agence du médicament est la seule agence à avoir remplacé une direction d’administration. Dans les autres cas, les structures et les prérogatives administratives restent intactes : les agences sont dotées de simples pouvoirs d’expertise, les administrations et les ministères ayant systématiquement résisté au démantèlement. Enfin, la plupart des agences ont pris la forme d’organismes bureaucratiques, dont les moyens importants sont sans commune mesure avec ceux des administrations traditionnelles. La croissance de leurs effectifs a entraîné le renforcement de leurs structures administratives et la mise en place de procédures qui alourdissent leur gestion. Par crainte d’une autonomisation excessive des agences, les ministères ont en outre multiplié les contrôles et les inspections qui renforcent leur intégration au sein de l’administration29.

20Dès lors, les relations entre le ministère de la Santé et ces nouvelles bureaucraties posent problème. Malgré sa réforme en 2000, la DGS peine à piloter un dispositif qui lui échappe largement. L’exercice d’une tutelle stratégique s’est heurté à l’insuffisance de ses moyens (300 personnes) pour suivre l’activité des agences et élaborer une politique de santé coordonnée. Les instruments de contractualisation ont mis du temps à se mettre en place et ne sont pas systématiques. Dans ces conditions, les circuits de décision se complexifient. Les administrations de tutelle sont écartées au profit de relations directes entre les agences et les cabinets ministériels. Le pilotage est encore plus complexe lorsque l’agence est subordonnée à plusieurs ministères. Dès lors, le dispositif donne le sentiment d’un ensemble d’établissements centrifuges, plutôt que d’un système cohérent réuni autour du ministère de la Santé. Des concurrences institutionnelles se manifestent et s’accentuent en cas de crise, dans un contexte où la définition des prérogatives de chacun n’est pas toujours clairement définie, comme l’a dramatiquement illustré l’épisode de la canicule en 2003. La complexité des rouages de cette bureaucratie périphérique ne rapproche pas les décisions des citoyens ; elle accroît l’opacité des circuits de décision, dont la lisibilité devient ardue pour les acteurs eux-mêmes.

Administrer la santé entre professionnels…

21L’existence d’agences sanitaires a renouvelé les relations entre l’État et la profession médicale. Le renforcement de la sécurité sanitaire s’est traduit par deux phénomènes concomitants. La place attribuée aux questions de santé a accru le poids relatif de l’État par rapport à la profession médicale. Mais ce renforcement de la sécurité sanitaire semble s’être traduit par une extension de la juridiction médicale à de nouveaux domaines, plutôt qu’à une limitation du pouvoir médical, pourtant initialement visée par les promoteurs de la santé publique. Par opposition à la situation de nombreux pays, la médicalisation de la santé publique est un trait caractéristique de son institutionnalisation en France à partir des années 1980.

22Avant la création des agences, la principale innovation en matière de santé publique est la création d’un internat de santé publique, qui, après avoir été l’objet d’enjeux idéologiques dans les années 1980, devient la voie d’accès privilégiée à l’exercice médical de la santé publique30. La médicalisation de la santé publique s’accentue à la faveur d’un renouvellement de l’épidémiologie. Alors que cette discipline était jusqu’alors le fait de chercheurs, souvent non médecins, valorisant la connaissance plutôt que l’aide à la décision, une nouvelle génération de spécialistes, souvent médecins, souhaite intervenir dans des situations concrètes et développe en ce sens une épidémiologie « de terrain » en s’inspirant d’initiatives américaines31. Ces initiatives favorisent le développement de la surveillance épidémiologique, qui bénéficie dans les années 1980 du double intérêt de la profession médicale et des pouvoirs publics, fragilisés par la récurrence de crises sanitaires. Ces pratiques s’institutionnalisent au sein des agences et des médecins épidémiologistes sont appelés à diriger non seulement ces structures mais la DGS elle-même32.

23D’abord tenues en respect par la profession médicale, traditionnellement jalouse de son autonomie, les agences publiques sont ensuite investies par des médecins. Les moyens mis à la disposition des nouvelles structures favorisent le recrutement de professionnels de santé spécialisés en santé publique. Progressivement, les agences contribuent au déploiement de professionnels de santé publique et des raisonnements qu’ils mettent en œuvre dans de nouveaux secteurs, depuis le médicament jusqu’à l’alimentation, l’environnement ou le travail. Rétrospectivement, l’ouverture, qu’a constitué pour la médecine l’essor de la santé publique à partir des années 1970, prend ainsi deux sens bien différents : elle constitue certes, dans une certaine mesure une ouverture à de nouvelles approches, non strictement médicales, notamment à une appréhension plus collective des problèmes de santé, mais elle constitue aussi une ouverture vers de nouveaux domaines, qui ne relevaient pas jusqu’alors de la juridiction médicale. Initialement pensées comme un élément d’ouverture de la médecine à la santé publique, les agences favorisent le redéploiement de la profession médicale vers de nouveaux domaines.

De nouveaux experts officiels ?

24Les agences sanitaires sont apparues comme une chance pour le renouvellement des formes de l’expertise scientifique. L’autonomisation de l’expertise devait accroître les compétences scientifiques, favoriser l’indépendance par rapport aux intérêts économiques et politiques et permettre, dans un contexte d’appel à la démocratie technique, une plus grande participation de la société civile aux choix scientifiques et techniques. L’examen d’un dispositif d’expertise comme celui de l’AFSSA montre, à titre d’exemple, comment une procéduralisation de l’expertise a conduit à des effets paradoxaux33.

25Par rapport à l’expertise personnalisée et relativement opaque des cabinets ministériels ou des services administratifs, l’Agence garantit une transparence, à travers la traçabilité des procédures et la publication des avis. Mais le processus mis en place crée de nouvelles zones d’opacité. La division du travail entre experts externes et personnels de l’Agence demeure ambiguë : l’AFSSA n’a pas clairement défini le statut de son expertise interne, qui se substitue parfois à la consultation des experts externes. En outre, une forte incertitude réside quant à l’articulation entre l’avis des comités d’experts et l’avis de l’Agence : les textes attribuent au directeur général de l’Agence la responsabilité des avis et autorisent l’Agence à interpréter, modifier ou compléter l’avis de ses comités scientifiques. Au concret, la production d’avis scientifiques semble moins transparente qu’il n’apparaît au premier abord.

26En second lieu, la mise en place de procédures ne s’est pas accompagnée d’une véritable ouverture à de nouveaux acteurs. L’expertise est largement restée réservée aux initiés. Par souci d’indépendance, l’AFSSA a encadré la participation des représentants des administrations, des professionnels ou des consommateurs en s’efforçant de limiter toute interférence de leur part avec le travail scientifique. L’Agence a opté pour un modèle d’expertise « confinée », qui laisse peu de place à la contradiction, à l’expression des intérêts politiques ou socio-économiques et aux profanes34. Plus transparents, les dispositifs d’expertise n’en sont pas pour autant plus ouverts. Et la contradiction et la pluralité n’ont pas non plus été organisées à l’extérieur de l’AFSSA. Une étape d’analyse socio-économique, au cours de laquelle les risques et les mesures proposées par l’Agence seraient évalués au regard d’autres critères n’a pas été organisée. Ce type d’analyse est réalisé de manière informelle au sein des services administratifs, qui ne disposent pas des moyens techniques et humains nécessaires35. Ainsi aucune expertise socio-économique n’est véritablement réalisée dans des conditions d’indépendance et de transparence, par ailleurs affichées par l’AFSSA en matière scientifique. La consultation des parties intéressées et finalement la prise de décision se font donc toujours la plupart du temps de manière opaque et informelle au sein des administrations et des cabinets. Si l’expertise est devenue plus transparente et a rendu plus explicite les enjeux scientifiques de la décision, les « autres facteurs légitimes » et les enjeux d’ordre économique, politique ou social ainsi que les critères de décision sont rarement formulés et discutés36.

27L’examen du cas de l’AFSSA illustre la manière dont les agences sanitaires ont rationalisé l’expertise scientifique afin d’asseoir les décisions sur des avis d’experts. Mais aucun autre dispositif n’est véritablement venu organiser la consultation économique, sociale et politique autour des enjeux scientifiques37. Le type d’expertise mis en place dans les agences s’inscrit finalement dans le cadre d’une conception rationnelle et technocratique de la décision38. La publicité des avis accroît certes la transparence. Mais le travail des agences s’apparente à une nouvelle forme d’expertise officielle, limitant les contradictions et le débat public, perçue comme d’autant plus légitime qu’elle parvient à se prévaloir du respect de procédures explicites et d’une distance vis-à-vis de l’administration et des acteurs économiques et sociaux. Le modèle d’expertise procédurale renforce une prise de décision technocratique, les autorités se trouvant en position, heureusement pas toujours réalisée, d’utiliser les avis scientifiques des agences pour légitimer des mesures qui appelleraient davantage de consultation et de débat public.

28La place des agences dans le système démocratique ne s’en pose qu’avec plus d’acuité. De fait, les dirigeants du système de sécurité sanitaire disposent de pouvoirs importants, sinon de jure au moins de facto. Ces pouvoirs sont d’autant plus significatifs que les responsables politiques répugnent à s’immiscer dans des domaines réputés techniques, dans lesquels leur responsabilité pénale peut être engagée. L’autonomie des agences ainsi que la tendance des décideurs à se protéger derrière des avis scientifiques confèrent aux dirigeants des agences un réel pouvoir politique, tout en les maintenant dans un cadre administratif. De ce fait, leur légitimité politique reste en grande partie indéterminée. Malgré les références à la « démocratie sanitaire », d’ailleurs plus souvent pensée en termes de participation que de représentation, la question de savoir jusqu’à quel point ces responsables exercent une fonction politique reste non explicitée, ni a fortiori articulée aux principes traditionnels de la représentation politique et de la responsabilité démocratique.

Conclusion

29Les agences apparaissent comme l’une des grandes innovations institutionnelles intervenues dans le domaine de l’action publique au cours des toutes dernières décennies. Dans le domaine de la santé, leur création s’inscrit dans un contexte marqué par la survenue de crises graves, qui ont exigé une réaction visible de l’État, se traduisant par un renforcement de son intervention et de sa capacité d’expertise scientifique. Au-delà de l’aspect conjoncturel qui marque l’architecture d’un dispositif institutionnel soumis à de fréquentes et significatives transformations, la création d’agences sanitaires s’inscrit aussi dans des évolutions de plus long terme, moins facilement imputables à l’action d’acteurs identifiables et moins immédiatement perceptibles. Les agences ont en particulier reçu l’empreinte du New Public Management, dont elles ont cherché à décliner les principes en les adaptant au cadre régalien de l’action de l’État en France. Le développement d’une santé publique demeurée en France très médicale, ou la transformation de la relation entre science et société ont parallèlement imprimé leurs marques au développement et à la forme prise par les agences sanitaires.

30Pour autant, les agences sanitaires dessinent aussi des évolutions paradoxales : contrairement aux objectifs de la nouvelle gestion publique souvent associée à la création d’agences – désintégration administrative, autonomie et souplesse de gestion dans un cadre contractuel, ouverture et participation des citoyens, nouvelles formes de gouvernance – les agences sanitaires apparaissent bien souvent comme de nouvelles bureaucraties, prospérant à la marge des administrations traditionnelles. Elles fournissent une forme d’expertise scientifique officielle, étendent les prérogatives de l’État et renforcent le rôle de la profession médicale dans des domaines qui échappaient à sa juridiction, sans nécessairement renforcer la légitimité démocratique de décisions, prises au nom de la science et de la technique. Ces propriétés font des agences de nouvelles bureaucraties techniques, exigeant une réflexion approfondie sur les conditions dans lesquelles elles peuvent être amendées dans un sens plus démocratique, tout en étant respectueux des exigences fonctionnelles, en terme d’efficacité, dont elles sont aussi porteuses.

31En la matière, trois voies de réflexion semblent se dessiner. La première d’entre elles se rapporte aux relations que les agences entretiennent avec d’autres acteurs institutionnels. Par construction, ces institutions ont été créées à distance du pouvoir exécutif, incarné par les administrations centrales. Mais leurs relations avec les autres acteurs constitutionnels de la démocratie n’ont pas toujours été clairement problématisées. Quelle place occupent les agences par rapport à d’autres pouvoirs, notamment législatifs et judiciaires ? Plus concrètement, comment sont-elles adossées au travail ou au contrôle parlementaires ? Comment leurs décisions ou avis s’articulent-ils à d’éventuels recours ou décisions de justice ? La seconde voie passe par une réflexion sur l’ouverture des agences aux acteurs de la vie économique et sociale. Au-delà des experts, des professionnels et des fonctionnaires directement impliqués dans leur fonctionnement, selon quelles procédures les agences peuvent-elles, de manière régulière, intégrer à leur travail des acteurs du monde économique et du monde social, sans voir pour autant leur indépendance menacée par la manifestation d’intérêts particuliers ? Enfin, la troisième voie a trait aux savoirs incorporés dans le travail scientifique des agences. Alors que ces derniers relèvent aujourd’hui du modèle de la médecine fondée sur les preuves, à dominante essentiellement quantitative et médicale, d’autres types de connaissances, relevant de l’analyse économique, des sciences sociales ou plus largement du modèle international de l’évaluation des technologies de santé (Health Technology Assessment) pourraient être incorporés dans le travail des agences, favorisant une réflexion élargie sur les questions relatives à la santé publique.

32Ces différentes voies sont aujourd’hui explorées par certaines agences sanitaires, ce qui présage peut-être de transformations à même de pallier les évolutions paradoxales et problématiques intervenues au cours des dernières années. En tout état de cause, les agences constituent des objets politiques à la fois intéressants et importants, non seulement pour les spécialistes en sciences sociales qui les étudient, ou participent occasionnellement à leur travail, mais pour les acteurs du monde social, plus ou moins directement impliqués dans un contexte évolutif où la survenue de crises sanitaires et la nécessité d’ajustements imposent des adaptations à l’échelle nationale ou internationale, notamment européenne.

Notes de bas de page

1 Benamouzig D. et Borraz O., « Food and Pharmaceutical Agencies in Europe. B Bureaucracy and Democracy. Cross-national Perspectives. A commented Bibliography », Cahiers, Risques Collectifs et Situations de Crise, Publications de la MSH-Alpes, 2007.

2 ENA, Les agences, nécessité fonctionnelle ou nouveau démembrement de l’État ? Rapport du séminaire « Le travail gouvernemental », groupe 1, Paris, 1994.

3 Conseil d’État, Rapport Public, Les autorités administratives indépendantes, La Documentation française, Paris, 2001.

4 Institut de la Gestion Publique et du Développement économique, Agences, un modèle en expansion ? Perspective Gestions Publiques, n° 5, mars 2003.

5 Pollitt C., Bouckaert G., Public Management Reform : a comparative analysis, Oxford University Press, Oxford, 2000.

6 Les traités et la jurisprudence de l’arrêt Méroni de la Cour européenne de 1958 limitent les possibilités de délégation au sein du cadre institutionnel communautaire. Voir Majone G., La Communauté européenne : un État régulateur, Montchrestien, Paris, 1996 ; Kreher A. (ed), The EC Agencies between Community Institutions and Constituents : Autonomy, Control and Accountability, RSC, Florence, 1997.

7 Deux agences communautaires sont créées dès 1975, dans les domaines de la formation professionnelle et de l’amélioration des conditions de vie. Dans les années 1990, sont créées l’Agence européenne du médicament, l’Agence européenne environnementale, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies ou l’Agence européenne de sécurité et de santé au travail. Depuis, de nouvelles agences ont été créées dans les domaines de la sécurité aérienne, alimentaire et maritime ou encore pour la prévention et la surveillance des maladies. On compte en 2005 quelque 17 agences communautaires.

8 Demortain D., « European Agencies The European Medicines Agency (EMEA) and The European Food Safety Authority (EFSA) », in Benamouzig D. et Borraz O., op. cit, 2007.

9 Majone G.,« The New European Agencies : regulation by information », Journal of European Public Policy 4 (2), 1997, p. 262-275. Dehousse R., « Regulation by Network in the European Community : the Role of European Agencies », Journal of European Public Policy, vol. 4, n° 2, 1997, p. 246-261.

10 Commissariat général du Plan, Pour un État stratège, garant de l’intérêt général. Rapport de la commission « État, administration et services publics en l’an 2000 » présidée par C. Blanc, La Documentation française, Paris, 1993 ; Picq J. (dir.), L’État en France : servir une nation ouverte sur le monde. Rapport de la mission sur les responsabilités et l’organisation de l’État, La Documentation française, Paris, 1995.

11 Besançon J., Les agences de sécurité sanitaire en France, Revue de littérature commentée, Cahiers du GIS Risques Collectifs et Situations de Crise n° 2, MSH-Alpes, 2004.

12 Robelet M., « Les médecins placés sous observation. Mobilisation autour du développement de l’évaluation médicale en France », Politix, n° 46, 1999, p. 71-97 ; Girard, J.-F., « Genèse des agences sanitaires », Actualité et Dossier en Santé Publique, n°37, 2002, p. 18-19.

13 Urfalino P., « L’apport de la sociologie des décisions à l’analyse de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé », Actes de la dix-septième séance du Séminaire du Programme Risques Collectifs et Situations de Crise, 2000, p. 11-52.

14 Hauray B., L’Europe du Médicament, Presses de Science Po, Paris, 2006.

15 Morelle A., La défaite de la santé publique, Flammarion, Paris, 1996.

16 Voir Tabuteau D., La sécurité sanitaire, Berger Levrault, Paris, 1994 (2e édition en 2002). Le terme de sécurité sanitaire apparaît officiellement le 16 décembre 1992 dans la discussion du projet de loi relatif à la sécurité en matière de transfusion sanguine, qui donnera naissance à l’AFS. En France, l’un des principaux doctrinaires de la sécurité sanitaire est Didier Tabuteau, conseiller technique puis directeur de cabinet de Claude Evin au ministère de la Santé (1988-1991), puis directeur de cabinet de Bernard Kouchner (1992-1993). Plus généralement, la notion bénéficie de l’activité et de la cohérence d’un réseau d’affinité entre experts proches de Bernard Kouchner, qui constituent un véritable Policy Network. Didier Tabuteau deviendra directeur général de l’Agence du médicament (1993-1997) et sera remplacé au cabinet par Martin Hirsch, qui sera lui-même nommé directeur général de l’AFSSA en 1999. Philippe Duneton, également membre du cabinet de Bernard Kouchner en 1992, prendra la succession de D. Tabuteau à la direction de l’AFSSAPS en 1997. Cette équipe travaille aussi en étroite association avec Jean-François Girard, directeur général de la Santé de 1986 à 1997 et avec Aquilino Morelle, conseiller technique au cabinet de Bernard Kouchner en 1992-1993 et en 1997-1998.

17 AFSSAPS, AFSSA, AFSSET, InVS, HAS, ABM, EFS, IRSN et INPES.

18 Tabuteau D., « Les agences sanitaires : balkanisation d’une administration défaillante ou retour de l’État hygiéniste ? » Sève. Les tribunes de la santé, n° 1, 2004, p. 34-46.

19 Cour des comptes, Rapport sur l’exécution des lois de financement de la sécurité sociale, Chapitre 6, section 1 : L’organisation administrative nationale : les relations entre la DGS et les agences sanitaires, Paris, 2000.

20 Par exemple, une lettre de mission du ministère de la Santé a défini les fonctions de l’InVS et un contrat d’objectifs et de moyens a été signé, dans une logique d’autonomie et de responsabilisation.

21 Voir par exemple Granjou C., « L’expertise scientifique à destination politique », Cahiers internationaux de sociologie, vol. CXIV, 2003, p. 175-183 ; Joly P.-B., « La sociologie de l’expertise : les recherches françaises au milieu du gué » in Borraz O., Gilbert C., Joly P.-B., Risques, crises et incertitudes : pour une analyse critique, Cahier du GIS Risques Collectifs et Situations de crise, n° 3, MSH-Alpes, 2005.

22 Callon M., Rip A., « Humains, non-humains : morale d’une coexistence » in Theys J., Kalaora B. (éd.), La terre outragée. Les experts sont formels, Autrement, Paris, 1992 ; Roqueplo P., Entre savoir et décision, l’expertise scientifique, INRA-Editions, Paris, 1996.

23 Hermitte M.-A., « L’expertise scientifique à finalité politique, réflexion sur l’organisation et la responsabilité des experts », Justices (8), 1997, p. 79-103 ; Joly P.-B., « Besoin d’expertise et quête d’une légitimité nouvelle : quelles procédures pour réguler l’expertise scientifique ? », Revue Française des Affaires Sociales, n° 1, 1999, p. 45-53 ; Kourilsky P., Viney G., Le principe de précaution. Rapport au Premier ministre, Odile Jacob, Paris, 2000.

24 Tabuteau D., La sécurité sanitaire, Berger Levrault, Paris, 1994, (2e édition en 2002).

25 Urfalino P., « L’autorisation de mise sur le marché du médicament : une décision administrative à la fois sanitaire et économique », Revue Française des Affaires Sociales, n° 4, 2001, p. 85-90.

26 Besançon J., « L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments : rationalisation de l’expertise et régulation des risques », in Lahellec C. (dir.) Risques et crises alimentaires, Éditions Tec & Doc, Lavoisier, 2005, p. 81-108.

27 Robelet M., « Les médecins placés sous observation. Mobilisation autour du développement de l’évaluation médicale en France », Politix, n° 46, 1999, p. 71-97.

28 Benamouzig D. et Besançon J., « Administrer un monde incertain : les nouvelles bureaucraties techniques. Le cas des agences sanitaires », Sociologie du travail, vol. 3, 2005, p. 301-322.

29 Au début des années 1990, certaines agences soulignaient une surfréquentation de leurs services par les corps de contrôle (ENA, 1994). À plusieurs reprises, la Cour des comptes s’est penchée sur le dispositif des agences sanitaires (loi de financement de la sécurité sociale 2000 et 2002). En outre, comme les lois de 1998 et de 2001 à l’origine de la création des agences l’avaient prévu, les agences ont fait l’objet, cinq ans après leur création, d’évaluation des inspections ministérielles (IGF et al., 2004) et parlementaires (OPECST, 2005).

30 Politiquement associée à la gauche jusqu’au seuil des années 1980, la santé publique est d’abord combattue par la droite, qui supprime l’internat de santé publique en 1987, avant de bénéficier d’un plus large consensus, à la faveur de l’épidémie de sida.

31 Berlivet L., Une santé à risques. L’action publique de lutte contre l’alcoolisme et le tabagisme en France (1954-1999), Thèse de l’IEP de Rennes, 2000 ; Buton F., Machikou N., Pierru F., Thiaudière C., Vers une intelligence épidémiologique, l’épidémiologie de santé publique à l’épreuve du sida et de l’hépatite C, Projet de recherche pour le programme Sciences-biomédicales, santé, société, 2003.

32 C’est par exemple le cas d’épidémiologistes comme Lucien Abenhaim ou William Dab, qui deviendront directeurs généraux de la Santé, ou de Jacques Drucker et Gilles Brucker, qui dirigeront quant à eux le RNSP, puis l’InVS.

33 Barbier M., Granjou C., « Quand l’expertise scientifique construit la précation : le cas des maladies à prions », Droit et Société, vol. 60, 2005, p. 331-352 ; Besançon J., « L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments : rationalisation de l’expertise et régulation des risques » in Lahellec C. (dir.) Risques et crises alimentaires, Éditions Tec & Doc, Lavoisier, 2005, p. 81-108.

34 Callon M., Lascoumes P., Barthe Y., Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Seuil, Paris, 2001.

35 Le Conseil national de l’alimentation (CNA), qui, depuis 1985, réunit les différents intervenants de la chaîne agro-alimentaire, a cherché à jouer un tel rôle à différentes reprises en donnant un point de vue socio-économique sur des avis rendus par l’AFSSA. Mais ce Conseil, qui ne dispose pas des compétences et des moyens nécessaires, est rattaché institutionnellement au ministère de l’Agriculture et reste avant tout une instance de réflexion générale sur l’alimentation.

36 Borraz O., Besançon J., Clergeau C., « Is It Just About Trust ? The Partial Reform of French Food Safety Regulation » in Ansell C. and Vogel D. (ed.), What’s the Beef ? The Contested Governance of European Food Safety, MIT Press, Cambridge, 2006, p. 125-152.

37 Noiville C., Du bon gouvernement des risques, PUF, Paris, 2003.

38 Restier-Melleray C., « Experts et expertise scientifique. Le cas de la France », Revue Française de Science Politique, vol. 40, n° 4, 1990, p. 546-585.

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