État et information économique en Allemagne à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle
p. 291-309
Texte intégral
1De nombreux travaux ont souligné la nécessité d’envisager la statistique à la fois comme activité et discours savants, et comme pratique administrative des États, en ne présupposant entre ces deux dimensions ni une coupure complète, ni une homogénéité totale, les rapports entre ces deux types de pratiques étant justement un sujet d’histoire1. Cette précaution méthodologique s’impose particulièrement quand il s’agit d’évaluer l’impact de l’émergence et de la constitution d’un discours économique « libéral » (celui de l’économie politique allemande ou Nationalökonomie) sur les rapports entre État et information économique entre les années 1790 et les années 1820.
2Dans la mesure où la statistique constitue une science auxiliaire du caméralisme et un pilier théorique et pratique de l’activité administrative de l’« absolutisme éclairé », on pourrait penser que l’émergence de la Nationalökonomie s’est traduite par un rejet univoque de la statistique, par exemple des enquêtes utilisant les registres douaniers pour déterminer la « balance commerciale » des différents États territoriaux de l’Empire, puis de la Confédération Germanique. Or, ce sont souvent, entre les années 1790 et les années 1820, des administrateurs et/ou des économistes « libéraux » qui sont à l’origine de la création des premiers Bureaux de Statistique au début du XIXe siècle. Ce paradoxe apparent se dissipe si l’on considère que les prises de position sur l’utilité ou la nocivité de la statistique au début du XIXe siècle dessinent des lignes d’opposition qui ne se superposent pas terme à terme avec celle partageant partisans et adversaires du caméralisme et de la Nationalökonomie. La configuration des rapports entre information économique et économie politique se présente donc comme un écheveau singulièrement complexe qu’on essaiera ici de démêler, en s’efforçant de distinguer les dimensions sociologique, politique et épistémologique des mutations qui affectent la statistique en général et l’information économique en particulier durant la « Sattelzeit ».
3Après un bref rappel des formes que revêt la statistique dans les États territoriaux de l’Empire pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, on montrera en quoi l’émergence de la Nationalökonomie vient renouveler le rapport des administrateurs à la statistique économique, avant d’évoquer les controverses liées au nouveau visage que prend l’information économique au tournant des XVIIIe et XIXe siècles.
Les figures de la statistique et de l’information économique dans la seconde moitié du xviiie siècle
La statistique économique comme pratique administrative
4L’exemple des États prussiens, bien connu depuis l’étude classique d’Otto Behre, révèle dans la seconde moitié du XVIIIe siècle un élargissement du champ couvert par la statistique économique. Sous Frédéric-Guillaume Ier, la statistique administrative dépend encore très largement de considérations militaires et donne la priorité au recensement démographique, même si une statistique agricole est également mise en place, les statistiques sur les récoltes et les productions agricoles étant centralisées auprès d’une section statistique centrale du Directoire général depuis 17232.
5À partir du postulat selon lequel la puissance d’un État repose à la fois sur une armée nombreuse et forte et sur une économie prospère, la statistique économique connaît une extension importante sous le règne de Frédéric II : d’une part, la statistique sur l’artisanat, les manufactures et les fabriques connaît un certain essor, au-delà des finalités fiscales (le calcul du produit de l’accise) qui avaient prévalu sous Frédéric-Guillaume Ier, puisqu’elle vise à élaborer une connaissance plus exacte des capacités productives de la monarchie – même si la politique économique de Frédéric II reste globalement dominée par des préoccupations fiscalistes3 ; d’autre part, le Directoire général diligente des enquêtes sur l’état du commerce extérieur afin de connaître la balance commerciale des États prussiens, et en particulier de l’Électorat du Brandebourg. Les méthodes d’enquête reposent à la fois sur l’utilisation de documents administratifs élaborés à des fins non-statistiques (les registres douaniers), et sur la confection de tableaux uniquement statistiques : ces enquêtes spécifiques se développent d’ailleurs à partir de la création, dès 1740, d’un cinquième Département pour les manufactures et le commerce au sein du Directoire général. Ces tableaux contiennent des données chiffrées élaborées à l’échelle de la province, les tableaux provinciaux étant ensuite souvent agrégés en tableaux généraux.
6Cet effort participe d’un engouement pour le chiffre qui révèle une nouvelle volonté de rationalisation de la pratique du pouvoir, ce qui implique le recours croissant aux données quantifiables, mesurables et comparables, à la fois dans le temps et dans l’espace. Mais dans la pratique, ces enquêtes reposent sur la collaboration des différents échelons de l’appareil administratif et d’un personnel à la bonne volonté et à la compétence aléatoires, ce qui entraîne un certain nombre de lourdeurs, de retards, et crée un décalage important entre les objectifs et la réalisation, dans la mesure où les données collectées sont peu fiables et par conséquent difficilement utilisables.
La statistique comme discipline universitaire
7En tant que pratique savante, la statistique est marquée par la coexistence de trois types de discours4 : il s’agit d’abord de la « statistique universitaire », implantée à Göttingen à partir de 1748 par Gottfried Achenwall, qui a de nombreux épigones durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, c’est-à-dire d’une science descriptive de la « puissance des États », essentiellement destinée aux futurs serviteurs des États. S’y ajoute la statistique tabellaire, qui recourt de plus en plus à des données quantitatives, chiffrées, et dont le représentant le plus célèbre est August Friedrich Wilhelm Crome (1753-1833), pour qui la force des États se mesure à partir de leur population, de leur superficie et surtout à partir du rapport entre ces deux données, ce qu’il a illustré par des représentations fondées sur le principe de l’anamorphose, puisqu’elles figurent les États par des figures géométriques proportionnelles à leur population, leur superficie ou leur densité de population5. Enfin, le courant de l’arithmétique politique est présent dans l’espace allemand à travers notamment l’œuvre du pasteur Johann Peter Süssmilch6. Ce courant se distingue du précédent en ce qu’il ne recourt pas seulement à la mesure pour consigner des données quantitatives, mais qu’il les élabore par le calcul.
8Trois remarques s’imposent pour cerner la signification de ces discours. En premier lieu, leur séparation stricte est artificielle : Achenwall n’est ainsi nullement hostile ni à la statistique tabellaire, ni à l’arithmétique politique, dont il a enseigné à ses étudiants les principes et les techniques7. De même, les caméralistes, quand ils s’expriment à propos de la statistique démographique, ne disqualifient pas l’arithmétique politique de Süssmilch, même si leur préférence s’oriente vers des recensements plus que vers des calculs8. La géographie politique d’Anton Friedrich Büsching, qui est au carrefour de la statistique descriptive et de la statistique tabellaire quantitative, est un exemple supplémentaire de la porosité des frontières séparant ces pratiques de la statistique9.
9En second lieu, la nature de l’information économique transmise par ces discours repose sur un ensemble de conceptions politico-économiques qui empruntent très largement au caméralisme. La « singularité d’État » est ainsi pour Achenwall ce qui contribue à son bien-être, à sa félicité10 ; de même, le rapport que Crome établit entre population, densité de population et prospérité d’un pays repose très largement sur des conceptions formulées dans les années 1760 par Joseph von Sonnenfels11.
10Enfin, l’ancrage social et institutionnel de ces trois types de discours, mesuré en termes de distance au centre d’exercice du pouvoir, n’est pas exactement le même : la statistique descriptive est une discipline essentiellement universitaire, tandis que la statistique tabellaire et l’arithmétique politique fournissent des procédures d’enquête et de calcul qui sont reprises par les administrateurs, de même que certains résultats en matière de statistique démographique, notamment certaines des conclusions établies par Süssmilch. En d’autres termes, la possibilité d’exercer une activité d’expertise n’est pas la même selon les auteurs et les types de pratiques (scientifiques) de la statistique, et elle semble plus réduite pour les représentants de la statistique descriptive « universitaire ». Par ailleurs, si Achenwall prône l’usage des tableaux sans passer à l’acte, c’est parce que son relatif éloignement par rapport à ces lieux d’exercice du pouvoir ne lui permet pas de surmonter le secret d’État pesant sur les données statistiques. Le recours à l’« opinion publique », à la fois comme destinataire et comme source d’information du discours statistique, sera le moyen privilégié par la statistique, notamment par August Ludwig Schlözer dans les années 1770-1790, pour donner à la statistique universitaire une assise sociale plus large et plus solide.
Les administrateurs : un rapport renouvelé à la statistique
Le nouveau discours économique et la statistique
11L’émergence de la Nationalökonomie en Allemagne dans les années 1790 est maintenant bien connue12. Elle est très largement liée à la réception de la Richesse des Nations, réception qui est d’abord fragmentaire (chez les caméralistes), avant de s’opérer par appropriation et reformulation des idées de Smith. C’est en 1796 que Georg Friedrich Sartorius, professeur à Göttingen, publie le premier traité d’économie politique se réclamant de Smith, et cette publication est suivie de nombreuses autres, tandis que la nouvelle économie politique prend progressivement pied dans le paysage universitaire allemand, notamment dans les universités de Göttingen (Sartorius, August Ferdinand Lueder), Könisgberg (Christian Jakob Kraus) et Halle (Christian Daniel Voß, Ludwig Heinrich Jakob) dans les États prussiens.
12Cet engouement pour Smith (non dénué de critiques et de nuances) s’explique par une double raison : d’une part, la Richesse des Nations offre, dans le domaine économique et social, un modèle de réhabilitation de l’individu et d’autonomie de la société civile, qui a son pendant dans le domaine philosophique ou juridique avec les écrits de Wilhelm von Humboldt ou la doctrine du droit de Kant13. D’autre part, le traité de Smith fournit aux administrateurs un programme de redressement économique des territoires impériaux, puis allemands, notamment de la Prusse après les défaites de 1806-1807, impliquant le libre déploiement des potentialités productives de la société civile, en libérant cette dernière de la tutelle de l’appareil gouvernemental et administratif14. Les professeurs de Nationalökonomie ont donc été des « professeurs politiques » (W. Treue), dans la mesure où ils ont formé les administrateurs qui allaient être les artisans de l’ère des réformes : c’est notamment le cas des administrateurs prussiens, qui ont dans leur très grande majorité étudié les questions économiques auprès de ces professeurs, que ce soit à Königsberg ou, surtout, à Göttingen15.
13Ces derniers, dans leurs traités, prennent position sur la question de la statistique et de l’effort de collecte de l’information économique que doit, ou non, accomplir l’État. Cet effort est parfois envisagé avec méfiance, soit parce qu’il préfigure, dans des questions qui relèvent de la seule « société civile », une ingérence de l’État dont ces auteurs réprouvent le caractère envahissant et multiforme chez les caméralistes, soit parce qu’il est inutile, l’administrateur devant se contenter de mettre en place les principes juridiques et moraux régissant le fonctionnement libre et autonome de la sphère économique16. La démarcation par rapport à la statistique administrative de l’époque frédéricienne apparaît également dans l’abandon du calcul de la balance commerciale, puisque celui-ci est impossible, et ne peut que mener à des erreurs de politique économique, comme l’affirme Leopold Krug en 1808 dans son traité d’économie politique17.
14Mais ces prises de position hostiles ou réservées sont loin d’être majoritaires, certains estimant que l’État ne peut se dispenser d’une connaissance minimale des différents éléments de la « richesse nationale », pourvu que sa quête de l’information économique n’entrave pas la liberté des individus. Cette prise de position est notamment celle de Jakob, qui se réclame de Smith et qui a par ailleurs traduit dès 1807 le Traité d’Économie Politique de Jean-Baptiste Say, soit deux auteurs dont l’hostilité à la statistique économique d’État était explicite.
15Ces prises de position peuvent être mises en rapport avec l’attitude des administrateurs « libéraux » face à la statistique au tournant des XVIIIe et XIXe siècles : on prendra ici l’exemple de la Prusse, sans préjuger de sa représentativité, dans la mesure où il s’agit d’un domaine sur lequel l’historiographie est actuellement encore relativement déficitaire18.
La première réforme de la statistique en Prusse
16Les projets de réforme de l’organisation de la statistique s’inscrivent, dans les années 1790, dans la lignée d’un train de réformes, dont le Code général (Allgemeine Landrecht) est l’exemple le plus célèbre, et plus généralement dans le contexte d’une réflexion sur le retard économique de la Prusse, notamment par rapport à la France et à l’Angleterre : ce thème, qui est déjà omniprésent dans les sciences camérales du XVIIIe siècle, conserve toute son acuité dans les années 1790, quand sont formulées des critiques contre l’absolutisme éclairé frédéricien, jusqu’aux années 182019.
17Un premier projet de réforme de la statistique est élaboré en 1798 dans le cadre d’une commission des finances mise en place par Frédéric-Guillaume III, qui vise à simplifier les enquêtes statistiques pour les rendre plus efficaces20. Cette simplification concerne notamment la chaîne administrative impliquée dans ces enquêtes, et doit éliminer les nombreux dysfonctionnements intervenant au sein de cette chaîne administrative.
18Ces efforts sont relancés en octobre 1804 avec la nomination de Stein au poste de ministre d’État et de directeur du département de l’accise, des douanes, des fabriques et du commerce. Ce dernier s’est intéressé de près à l’essor économique de l’Angleterre, a étudié les écrits des économistes anglais, et il est convaincu de l’utilité de la statistique pour la connaissance de la situation et des forces d’un État. Il assigne à Krug la mission de rassembler les tableaux statistiques jusque-là dispersés et élaborés par les différents départements pour déterminer et représenter sous une forme arithmétique la richesse et le bien-être de chaque province. Il s’adresse ainsi à un administrateur, qui s’est illustré par la publication d’un « Dictionnaire topographique, géographique et statistique de la Prusse » (1796-1803) et, en 1804, d’un traité reprenant en grande partie les conceptions des physiocrates et d’Adam Smith sur la politique économique à suivre21.
19Krug est donc nommé directeur du premier Bureau de Statistique qui est fondé le 28 mai 1805, et qui est directement rattaché au Directoire général. L’étendue de ses missions est définie par une instruction de service signée par Stein (1er novembre 1805), mais largement rédigée par lui-même, et qui présente deux grandes caractéristiques22. D’une part, la priorité est donnée aux données chiffrées ; d’autre part, cette instruction fait apparaître la reprise des catégories de la Nationalökonomie, en particulier celle de « richesse nationale ». Cette réception de Smith apparaît également dans les « Considérations sur la richesse nationale de l’État prussien et la richesse de ses habitants » (Betrachtungen über den Nationalreichthum des preußischen Staates und über den Wohlstand seiner Bewohner) que publie Krug en 1805 : le revenu de la nation comprend ainsi, outre le « produit net » dégagé par le secteur agricole, le revenu national annuel de l’industrie, calculé par l’addition des salaires versés et du profit du capital.
20Cette priorité donnée aux données chiffrées est donc étroitement liée à une conception de la statistique comme science auxiliaire de l’économie politique. Les données statistiques empiriques ne sont plus, comme chez Schlözer, subordonnées à une « théorie de la statistique », mais à une théorie de l’économie politique dont il s’agit de vérifier le caractère ou non applicable, sachant qu’entre la donnée chiffrée brute et la mesure de politique économique à prendre, peut s’intercaler la médiation du calcul réalisé par l’administrateur. C’est pourquoi l’instruction de novembre 1805 apporte la précision suivante :
« Si les missions principales du Bureau leur en laissent encore le temps, ses membres doivent, sans que cela soit exigé d’eux, se consacrer à apporter aux questions d’économie politique qui font l’objet de débats des réponses à l’aide de calculs statistiques, et chercher ainsi à présenter d’une manière arithmétique l’utilité et l’inconvénient de la mesure à prendre, afin qu’on ne soit pas, à propos de propositions bien pensées, dissuadé par le prétexte d’obstacles insurmontables, mais que le Bureau puisse traduire ces obstacles le plus possible dans des chiffres »23.
21Concrètement, les informations que doit recueillir le premier Bureau de Statistique doivent apporter des éléments de réponse à un certain nombre de questions qui sont au cœur du discours de la Nationalökonomie. C’est le cas de la répartition spatiale des activités artisanales et manufacturières : celles-ci étaient en effet en principe strictement cantonnées aux villes, et les données recueillies doivent, dans l’esprit de Krug, permettre de démontrer à quel point cette division spatiale du travail entre villes et campagnes a des effets nocifs sur un plan macro-économique, dans la mesure où, en limitant les possibilités d’activité et donc de revenus des populations rurales, elle limite la consommation, la « propension à l’échange » de ces populations, majoritaires en Prusse. Par ailleurs, les tableaux mensuels souhaités par Stein et Krug doivent éclairer la situation des travailleurs, c’est-à-dire l’offre et la demande de travail, ainsi que le niveau des salaires dans les villes et dans les campagnes. Ceci s’explique par la volonté de connaître les possibilités de consommation de la masse de la population, car à la suite de Smith, les traités de Nationalökonomie soulignent qu’une demande accrue exerce un effet-moteur sur la division du travail, et par conséquent sur la production – à l’inverse des caméralistes qui font de la propension à l’échange une conséquence et non une condition de la division du travail24.
22On le voit, les enquêtes confiées à ce premier Bureau de Statistique doivent servir à étayer un certain nombre de principes de politique économique, largement inspirés de Smith et des traités de Nationalökonomie, et qui correspondent très largement aux convictions de Stein25. Ce programme de politique économique conduit ce dernier à demander nombre de renseignements sur la condition économique et sociale de la paysannerie, dont le poids dans l’économie prussienne est prédominant, et constitue une menace potentielle sur l’organisation sociale en place dans les États prussiens, dans la mesure où l’octroi de la liberté économique aux paysans, voire l’instauration d’un libre marché de la terre ne peuvent manquer de remettre en cause les structures agraires en place, et notamment le servage, ou des institutions telles que les majorats ou les fidéicommis26.
Le second Bureau de statistique
23Ce premier Bureau de Statistique eut une existence éphémère, en raison de l’effondrement prussien de 1806. Mais d’emblée, le projet de Stein et de Krug s’était heurté à la mauvaise volonté des administrations provinciales, due notamment à l’importance du champ des données collectées. À partir de 1808 fut donc engagée une réflexion sur les missions et le statut d’un Bureau de Statistique dans la reconstruction de l’État prussien qui était à mener. À cette fin, Stein demanda dans une lettre circulaire aux administrateurs provinciaux de lui soumettre des propositions, et son attention fut attirée par le rapport rédigé par Johann Gottfried Hoffmann, qui était alors professeur d’économie politique à Königsberg (où il avait pris la succession de Kraus). Ce dernier constatait d’abord que le premier Bureau de Statistique était caractérisé par une proportion inverse entre l’efficacité de l’effort statistique et l’ampleur des données collectées, et que l’erreur de Krug avait été de se fier aux données fournies par les populations enquêtées, par exemple les propriétaires et les exploitants agricoles pour connaître le montant des récoltes27. Hoffmann préconisait donc de faire une plus grande place au calcul, aux dépens de la collecte directe de données chiffrées à la fiabilité douteuse.
24La réforme du Bureau de Statistique et la naissance du second Bureau de Statistique se font progressivement entre 1808 et 181028, sa création, sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur, étant officialisée par l’ordonnance du 24 novembre 1808. Son activité est alors supervisée par Hoffmann, qui avait entretemps été nommé conseiller d’État au ministère de l’Intérieur, et qui en prendra la direction en octobre 1810, avec la collaboration de Krug dont la position subordonnée ne faisait aucun doute.
25Hoffmann choisit de concentrer l’effort statistique sur quatre grandes rubriques seulement, afin d’obtenir des données qui seront peu nombreuses, mais (d’autant) plus sûres et fiables : il s’agit d’abord des données démographiques (baptêmes, mariages, décès), ensuite d’un « tableau statistique » portant sur la population, la « culture » (c’est-à-dire des données sanitaires destinées à quantifier les aptitudes personnelles des individus), l’artisanat, les manufactures et les fabriques, de données sur les prix des grains, et enfin du dépouillement systématique de différentes publications statistiques. La statistique tabellaire doit transmettre une vue d’ensemble, par des données chiffrées, quantitatives, des « forces de l’État » et des effets qu’ont sur celles-ci des institutions précises (comme le servage) ou des mesures de politique économique. Cette seconde création s’inscrit, comme la première, dans la même logique de rupture par rapport à la collection des « singularités d’État », sous forme tabellaire ou non, mais Hoffmann entend clairement mettre fin à la discordance entre objectifs et moyens, qui caractérisait selon lui l’activité du premier Bureau dirigé par Krug. La conception extensive de la statistique, qui prévalait encore chez celui-ci, est abandonnée au profit d’une conception qui raisonne en termes de « rendements », dans la mesure où l’effort de connaissance doit être concentré sur un petit nombre d’objets pour être productif29.
26Cette réduction du champ de connaissance n’est, dans le contexte de la Prusse du début du XIXe siècle, pas incompatible avec la centralisation des procédures d’enquête statistique : ces deux processus ne sont pas contradictoires, mais bien plutôt complémentaires, puisqu’en réduisant le nombre d’informations demandées, les dirigeants du Bureau de Statistique se donnent les chances d’éliminer les déperditions dues à la mauvaise volonté, à l’incompétence ou aux dysfonctionnements des échelons administratifs intermédiaires (provinciaux). Le fait qu’après un débat opposant notamment Altenstein et Stein à Dohna, Hardenberg ait décidé, conformément aux recommandations de ce dernier, de placer le Bureau de Statistique directement sous les ordres de la chancellerie, et non sous la tutelle du Ministère des Finances, s’inscrit dans la lignée de cette politique à la fois libérale et centralisatrice30.
27Cette redéfinition des modes de travail et cette centralisation de l’appareil statistique sont en effet parfaitement cohérentes avec le projet politique et social du gouvernement de Hardenberg, visant à réduire l’immixtion de l’appareil gouvernemental et administratif dans les affaires économiques et sociales, pour instituer une société civile, une société de marché la plus autonome possible. Les objectifs politiques et économiques poursuivis par Hoffmann et Krug ne sont donc pas fondamentalement différents, puisque comme l’écrit ce dernier en 1805, dans une formulation typique du discours de la Nationalökonomie, la tâche prioritaire du gouvernement est « d’ôter tous les obstacles qui s’opposent à la libre utilisation des forces de chacun pour son propre intérêt, sans nuire aux autres »31.
28Cette nouvelle conception de l’information économique et de l’activité statistique de l’État a provoqué des résistances, des controverses, qui sont notamment illustrées par la fameuse « querelle des tableaux ».
La « querelle des tableaux » : controverses sur le statut et portée de l’information économique
29La « querelle des tableaux » est lancée par la publication dans les Göttingischen gelehrten Anzeigen d’une série de comptes rendus au ton très polémique contre la statistique tabellaire. Contrairement à ce qui a longtemps été affirmé, ces attaques ne commencent pas en 1806, mais dès 180532. L’une de ces premières critiques est publiée dans l’édition du 8 juin 1805, et il est révélateur qu’elle apparaisse dans un compte rendu du Traité d’Économie Politique de Say, rédigé par August Wilhelm Rehberg. Ce dernier y présente d’abord Say comme un disciple de Smith avant d’évoquer le rejet par Say d’un « habillage mathématique » des concepts, en citant un extrait du livre I du Traité d’Économie Politique qui deviendra un leitmotiv des pourfendeurs allemands de la statistique tabellaire :
« Quand je vois qu’il n’y a pas d’opération détestable qu’on n’ait soutenue et déterminée par des calculs mathématiques, je croirais bien plutôt que ce sont les chiffres qui tuent les États. »33
30Sans qu’il soit nécessaire de revenir sur l’hostilité bien connue de Say à la statistique34, il faut noter que le commentaire de ces citations par Rehberg indique là aussi un certain nombre de thèmes centraux dans cette polémique :
« En réalité, quand on considère à quel point tous les rapports du monde civil sont infiniment compliqués, à quel point est grande l’influence des ressorts spirituels sur l’utilisation des outils morts pouvant être calculés, à quel point beaucoup de hasard se mêle en tout, et que cette part de hasard peut certes être jugée, mais non calculée : on doit alors tenir pour une inspiration des plus malheureuses de vouloir soumettre le monde civil, qui est dans tous ses aspects un monde moral, au calcul, et de vouloir faire de l’arithmétique politique une science. »35
31Ces propos montrent clairement que dès le début, cette querelle se situe moins sur un plan épistémologique que politique, son enjeu en étant la conception de l’État sous-jacente à l’activité statistique36. Une illustration très claire en est fournie par les critiques formulées par les adversaires de la statistique tabellaire, et notamment Arnold Hermann Ludwig Heeren, contre « l’État-machine »37, c’est-à-dire une métaphore qui joue un rôle central dans le discours politique et économique du caméralisme et de l’absolutisme éclairé38. À cette vision mécaniste, Rehberg oppose une conception de l’État et des réalités politiques et sociales qui souligne leur dimension morale, formule qui correspond à ce que Heeren appelle « l’esprit national, l’amour de la liberté, le génie et le caractère des grands ou des petits hommes au pouvoir »39.
32Le calcul, l’arithmétique politique et la quantification des données offrent donc un modèle de réduction de la complexité des affaires politiques et sociales, qui est refusé à la fois pour des raisons politiques (il masque une volonté des gouvernements de maintenir les individus et la société civile sous leur tutelle) et parce qu’il n’a pas de légitimité scientifique. Le rejet de la statistique tabellaire – tout comme de l’État-machine – correspond en effet aussi au rejet radical du rationalisme déductif qui sous-tend le discours politique de l’absolutisme éclairé. À la place d’une vision mécaniste et rationaliste des réalités politiques, économiques et sociales, doit donc s’imposer une approche accordant toute sa valeur à l’individualité des phénomènes, à la synthèse plutôt qu’à l’analyse, et à l’observation plutôt qu’à la subsomption sous des lois déduites à partir d’axiomes abstraits. Cette volonté de préserver la singularité de l’individuel explique par ailleurs l’amalgame que fait Rehberg entre statistique tabellaire et arithmétique politique. Cette réhabilitation de l’individu, contre un discours qui en ferait un ressort intégré dans une pratique politique définie à partir de principes abstraits, est, on le voit, tout à fait compatible avec la conception qui fait de l’individu, de son travail, la source de toutes les richesses, puisque c’est ainsi que Rehberg traduit l’enseignement de Smith en ouverture de son compte rendu sur Say40.
33Par ailleurs, le lien étroit entre la statistique tabellaire et les errements despotiques des gouvernements est souligné par Sartorius, pour qui l’attachement aux données quantitatives s’exprime également à travers le dogme de la balance commerciale41, et est donc inséparable de la politique économique mercantiliste que rejettent les tenants de la Nationalökonomie. De même, Heeren n’a jamais caché ni son scepticisme envers le « système mercantile » et la physiocratie, ni son approbation aux principes formulés dans la Richesse des Nations42. La limitation des statisticiens aux données quantifiables, chiffrées, et la négligence qui en découle des éléments spirituels, des forces immatérielles des États, sont également au centre des critiques qu’il formule contre la statistique tabellaire et l’arithmétique politique. Ces deux pratiques de la statistique sont là aussi reliées à une conception erronée de l’État comme machine, qui aboutit à ignorer la « vie » et l’« esprit »43 présents dans chaque État, ce que traduit l’utilisation récurrente de la métaphore du squelette44. Heeren se montre cependant moins radical que Rehberg, dans la mesure où il ne rejette pas totalement la statistique tabellaire, mais exige qu’elle soit complétée, « anoblie »45 par une statistique qualitative. Il dénonce ainsi en 1806 un « abus de la méthode des tableaux qui veut tout réduire aux chiffres », et qui élimine ainsi les éléments « moraux »46 faisant partie de l’essence et des forces d’un État.
34Cette querelle avait également un enjeu politique plus concret, dans la mesure où beaucoup, parmi les contributeurs des Göttingischen gelehrten Anzeigen, craignaient de voir s’implanter dans le Hanovre des méthodes de gouvernement et d’administration centralisatrices, s’inspirant des exemples français ou prussien47. Heeren reprend en effet l’idée exprimée par Say en associant la statistique tabellaire à l’absolutisme frédéricien, cette approche uniquement quantitative des réalités politiques et sociales ayant favorisé la politique d’arrondissement mené par Frédéric II et la Prusse « des deux dernières décennies »48. La cible n’est donc pas seulement le régime de Frédéric II – qui fut l’objet de critiques très virulentes émanant d’auteurs farouchement hostiles au rationalisme de l’absolutisme éclairé et à la Révolution française – mais la centralisation administrative et politique de manière générale : Heeren se range ainsi aux côtés de Rehberg pour défendre l’institution des diètes territoriales qui sont pour lui une partie intégrante des constitutions allemandes49. C’est pourquoi ce sont non seulement des universitaires (Sartorius, Heeren), mais également des fonctionnaires du Hanovre, Rehberg et Ernst Brandes, qui ont participé à cette querelle. La dimension politique de la querelle apparaît également dans la riposte des praticiens de la statistique tabellaire, et en particulier de l’une des cibles principales des Göttingische gelehrten Anzeigen, à savoir Crome : celui-ci souligne en effet que ces attaques viennent de défenseurs des privilèges de l’aristocratie, et surtout adversaires de la publicité des statistiques, reprenant ainsi le mot de Schlözer pour lequel statistique et despotisme sont incompatibles50.
35La conception de l’État est l’un des enjeux de cette querelle, mais celle-ci est également portée par une opposition concernant la vision de la société. En effet, tout comme l’arithmétique politique, la statistique tabellaire, parce qu’elle est quantitative et chiffrée, s’intéresse, notamment en matière démographique, à des unités de compte homogènes51. Elle est donc porteuse d’une vision de l’organisation sociale dans laquelle le statut des individus dépend plus de leur place et de leur rôle dans le processus de production et de reproduction des richesses que de leur appartenance à un ordre juridique (« Stand ») précis52. En cela, les mutations de la statistique prussienne sont compatibles avec les efforts – certes partiels – du Code général prussien (ALR) pour niveler le statut juridique des « sujets » du roi de Prusse53. Un tel nivellement est critiqué car il est jugé incompatible avec le respect de la valeur propre à chaque individu, voire avec une société d’ordres que défendent certains adversaires de la statistique tabellaire, tel que Adam Müller, au nom de la nécessaire prise en compte de l’héritage des générations passées54.
36Cette querelle est enfin porteuse d’un enjeu sociologique, dans la mesure où l’évolution de la statistique administrative au tournant des XVIIIe et XIXe siècles aboutit à remettre en question le statut social du statisticien55. Dans le cadre de la statistique universitaire, celui-ci était avant tout un écrivain ou un universitaire bénéficiant à la fois d’une certaine autonomie, et d’un statut littéraire d’auteur : il s’agit donc pour les critiques de la statistique tabellaire de protéger l’étude de l’État du matérialisme, de l’empirisme et de toute interférence politique, afin de ne pas brider le libre exercice de l’activité savante. Or, les bureaux de statistique, tels qu’ils se mettent en place notamment en France et dans les États prussiens, font du statisticien un fonctionnaire anonyme au service de l’État et au rayon d’action beaucoup plus restreint : l’activité statistique devient alors de moins en moins savante, et elle peut difficilement être distinguée de la pratique bureaucratique de l’État, dès lors qu’elle consiste à compter et mesurer la population, les quantités produites, la « richesse nationale » ou le volume de monnaie en circulation.
37En avril 1805, deux mois avant le compte rendu de Say par Rehberg, Brandes publie, toujours dans les Göttingischen gelehrten Anzeigen, le compte rendu d’un ouvrage anonyme sur le service de l’État en Prusse, notamment dans la justice, dont l’auteur éprouve manifestement une certaine sympathie pour les principes régissant l’administration prussienne. Ce texte décoche les premières attaques contre « l’esprit de tableau » et plaide par ailleurs pour un traitement « libéral » des serviteurs de l’État, ce qui désigne pour Ernst Brandes, outre l’augmentation des émoluments, le fait de laisser lesdits serviteurs user de leurs facultés intellectuelles. L’administration de l’État ne doit donc pas être conçue comme une machinerie composée de ressorts anonymes, mais doit au contraire reposer sur les facultés et l’esprit des individus la composant : la qualité d’une administration ne dépend pas principalement de son organisation, ou du système politique qui la sous-tend, mais « principalement de l’esprit régnant chez les serviteurs de l’État »56. La discipline militaire n’est donc pas apte à assurer un fonctionnement harmonieux d’une administration : « Jamais […] les lois pénales ne peuvent être le motif principal des actions intellectuelles libres de l’homme cultivé »57. Cette référence à l’esprit va de pair, comme chez Rehberg, avec une méfiance envers tout système politique, puisque « sans esprit dans leur application, les formules sont mortes ou nuisibles »58 – affirmation qui prend le contre-pied des caméralistes pour lesquels la perfection de la construction de l’État-machine pouvait compenser les faiblesses humaines. Cette conception du serviteur de l’État trouve sa confirmation dans la figure opposée du « faiseur de tableau » (« Tabellenmacher »), ou du « valet » (« Tabellenknecht »), figure qui sert chez Heeren à faire du savant universitaire le seul expert légitime. La définition des critères de légitimité de l’expert est donc bien également l’un des principaux enjeux de cette « querelle des tableaux ».
38Au total, l’émergence d’un discours libéral chez les administrateurs n’entraîne pas un rejet complet, mais bien plutôt une redéfinition de la statistique économique, par la priorité donnée aux données quantitatives, par la réduction du champ de connaissance statistique pour atteindre une meilleure efficacité, par la centralisation accrue des modalités administratives de l’enquête statistique, et enfin par l’intégration de la statistique dans un projet global d’instauration d’une société de marché la plus autonome possible. Ainsi réorganisée, l’information économique jette les bases d’une interprétation de la réalité à partir de laquelle sont prises les mesures destinées à modifier cette réalité59 ; en d’autres termes, elle fournit le moyen de rapprocher « champ d’expérience » et « horizon d’attente » des administrateurs prussiens, cette intégration de l’information économique dans un projet de politique économique « libérale » étant illustrée par les itinéraires professionnels et intellectuels de Krug et surtout de Hoffmann60.
39Le clivage entre partisans et adversaires du « libéralisme économique » ou de la Nationalökonomie ne se révèle donc pas pertinent pour comprendre les débats qui se cristallisent autour de cette information économique ainsi redéfinie : Heeren se réclame de Smith, tout comme Krug ou Hoffmann. Cette ligne de partage demande à être nuancée, dans la mesure où les modalités de la réception de la Richesse des Nations ne sont manifestement pas les mêmes chez les partisans et les adversaires de la statistique tabellaire.
40Les controverses autour de ce type de statistique portent finalement moins sur la nature des données (les tableaux, dont Heeren ne nie pas la nécessité) que sur deux autres aspects. Il s’agit en premier lieu du projet politique et social dans lequel s’intègre cette statistique : les critiques formulées dans les Göttingischen gelehrten Anzeigen se rapprochent de l’opposition qui se manifeste en Prusse aux réformes menées par Hardenberg, notamment sous l’impulsion d’Adam Müller. En second lieu, le statut d’expert est modifié : il s’agit de moins en moins d’un savant universitaire, reconnu pour ses publications, et de plus en plus d’un administrateur, d’un fonctionnaire relevant de l’administration. Le projet conçu par Heeren d’instaurer une division du travail entre une statistique tabellaire et une statistique « anoblie »61, qui inclurait la description des forces morales de l’État, est une tentative de conciliation qui masque mal une volonté de protéger une légitimité doublement menacée, à la fois par la consolidation et la centralisation des États allemands au début du XIXe siècle, et par les incessants bouleversements territoriaux de l’époque révolutionnaire et impériale, qui remettaient constamment en cause l’objet même de la statistique universitaire, à savoir l’État et son territoire62.
Notes de bas de page
1 Citons entre autres Jochen Hoock, « D’Aristote à Adam Smith : quelques étapes de la statistique allemande entre le XVIIe et le XIXe siècle », in Pour une Histoire de la Statistique, Paris, INSEE, vol. 1, 1977, p. 477-492 ; Alain Desrosières, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 1993 ; Éric Brian, La mesure de l’État. Administrateurs et géomètres au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1994 ; Lars Behrisch, « « Politische Zahlen ». Statistik und Rationalisierung der Herrschaft im späten Ancien Régime », Zeitschrift für Historische Forschung, vol. 31, 2004, p. 551-577.
2 Otto Behre, Geschichte der Statistik in Brandenburg-Preussen bis zur Gründung des Königlichen Statistischen Bureaus, Berlin, Heymann, 1905, p. 212.
3 Voir par exemple Jutta Hosfeld-Guber, Der Merkantilismusbegriff und die Rolle des absolutistischen Staates im vorindustriellen Preussen, Munich, Florentz, 1985.
4 Voir la présentation très complète de Harm Klueting, Die Lehre von der Macht der Staaten: das aussenpolitische Machtproblem in der « politischen Wissenschaft » und in der praktischen Politik im 18. Jahrhundert, Berlin, Duncker & Humblot, 1986, p. 51-83.
5 Sybilla Nikolow, « A.F.W. Crome’s Measurements of the « Strength of the State » : Statistical Representations in Central Europe around 1800 », History of Political Economy, 33 (suppl. 1), 2001, p. 23-56, ici p. 30-43 ; Karl Hildebrandt, « Experten wider Willen. Statistische Projekte und ihre Akteure um 1800 », in Eric J. Engstrom, Volker Hess, Ulrike Thoms (dir.), Figurationen des Experten. Ambivalenzen der wissenschaftlichen Expertise im ausgehenden 18. und im frühen 19. Jahrhundert, Francfort/Main, Peter Lang, 2005, p. 167-190, ici p. 181-187.
6 Voir entre autres Jean-Marc Rohrbasser, Dieu, l’ordre et le nombre : théologie physique et dénombrement au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 2001 ; Horst Dreitzel, « J. P. Süssmilchs Beitrag zur politischen Diskussion der deutschen Aufklärung », in Helwig Birg (dir.), Ursprünge der Demographie in Deutschland. Leben und Werk J. P. Süssmilchs (1707-1767), Francfort/Main, Campus, 1986, p. 29-141.
7 Paul Streidl, Naturrecht, Staatswissenschaften und Politisierung bei Gottfried Achenwall (1719-1772). Studien zur Gelehrtengeschichte Göttingens in der Aufklärung, Munich, Utz, 2003, p. 134-136.
8 C’est par exemple le cas de Johann Heinrich Gottlob von Justi, Staatswirthschaft, oder systematische Abhandlung aller oeconomischen und Cameral-Wissenschaften, die zur Regierung eines Landes erfordert werden (1re édit., 1755), 2e édit., Leipzig, Breitkopf, 1758, 2 vol. , vol. 2, p. 261-263.
9 J. Hoock, « D’Aristote à Adam Smith… », art. cit., p. 481.
10 Gottfried Achenwall, Vorbereitung zur Staatswissenschaft der heutigen fürnehmsten Europäischen Reiche und Staaten worinnen derselben eigentlichen Begriff und Umfang in einer bequemen Ordnung entwirft und seiner Vorlesungen darüber ankündiget, Göttingen, Vandenhoeck, 1748, p. 7.
11 Cela apparaît à la lecture de son traité Ueber die Größe und Bevölkerung der sämmtlichen europäischen Staaten: Ein Beytrag zur Kenntniß der Staatenverhältnisse, und zur Erklärung der neuen Größen-Karte von Europa, Leipzig, Weygand, 1785.
12 Parmi une abondante bibliographie, citons Keith Tribe, Governing Economy. The Reformation of German Economic Discourse 1750-1840, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, p. 133 sq. ; Marcus Sandl, Ökonomie des Raumes. Der kameralwissenschaftliche Entwurf der Staatswirtschaft im 18. Jahrhundert, Cologne, Vienne, Weimar, Böhlau, 1999, p. 406 sq.
13 David Lindenfeld, The Practical Imagination. The German Sciences of State in the Nineteenth Century, Chicago, University of Chicago Press, 1997, p. 55.
14 Barbara Vogel, Allgemeine Gewerbefreiheit. Die Reformpolitik des preußischen Staatskanzlers Hardenberg (1810-1822), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1983, p. 141.
15 Wilhelm Treue, « Adam Smith in Deutschland. Zum Problem des « Politischen Professors » zwischen 1776 und 1810 », in Werner Conze (dir.), Deutschland und Europa. Festschrift für Hans Rothfels, Düsseldorf, Droste, 1951, p. 101-133.
16 Christian Daniel Voß, Handbuch der allgemeinen Staatswissenschaft nach Schlözers Grundriß bearbeitet, Leipzig, Weidmannische Buchhandlung, 1796-1802, 6 vol. , vol. 3 (1798), p. 57-60.
17 Leopold Krug, Abriß der Staatsökonomie oder Staatswirthschaftslehre, Berlin, Realschulbuchhandlung, 1808, p. 98.
18 Pour un aperçu, voir H. Klueting, Die Lehre…, op. cit., p. 295-299.
19 B. Vogel, Allgemeine Gewerbefreiheit…, op. cit., p. 141.
20 O. Behre, Geschichte der Statistik…, op. cit., p. 364-378.
21 Leopold Krug, Topographisch-Statistisch-Geographisches Wörterbuch der sämmtlichen preußischen Staaten oder Beschreibung aller Provinzen, Kreise, Distrikte, Städte, Aemter, Flecken, Dörfer, Vorwerke, Flüsse, Seen, Berge… in den preußischen Staaten, Halle, Kümmel, 13 vol. , 1796-1803 ; id., Abriß der neuesten Statistik des preußischen Staates, Halle, Kümmel, 1804.
22 Le texte de cette instruction est reproduit dans O. Behre, Geschichte der Statistik…, op. cit., p. 381-384.
23 Ibid., p. 383-384.
24 Guillaume Garner, État, économie, territoire. L’espace dans le caméralisme et l’économie politique 1740-1820, Paris, Éditions de l’EHESS, 2006, p. 284-288.
25 O. Behre, Geschichte der Statistik…, op. cit., p. 384-385 ; Gerhard Ritter, 3e édit., Freiherr vom Stein. Eine politische Biographie, (1938), Francfort/Main, Fischer, 1983, p. 134 ; H. Klueting, Die Lehre…, op. cit., p. 295-296.
26 O. Behre, Geschichte der Statistik…, op. cit., p. 384-385 ; B. Vogel, Allgemeine Gewerbfreiheit…, op. cit., p. 155-156.
27 Ian Hacking, The Taming of Chance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 30-31 ; Hermann Loening, Johann Gottfried Hoffmann und sein Anteil an der staatswirtschaftlichen Gesetzgebung Preußens. Erster Teil : 1765-1813, Halle, Buchdruckerei des Waisenhauses, 1914, p. 48-49 ; Richard Boeckh, Die geschichtliche Entwickelung der amtlichen Statistik des preussischen Staates, Berlin, Königliche geheime Ober-Hofdruckerei, 1863, p. 28.
28 O. Behre, Geschichte der Statistik…, op. cit., p. 387-391.
29 H. Loening, Johann Gottfried Hoffmann…, op. cit., p. 49 ; J. Hoock, « D’Aristote à Adam Smith… », art. cit., p. 486.
30 Ibid. ; I. Hacking, Taming…, op. cit., p. 32.
31 Leopold Krug, Betrachtungen über den Nationalreichthum des preußischen Staates und über den Wohlstand seiner Bewohner, Berlin, Unger, 1805, 2 vol. , vol. 1, p. 311.
32 Holger Krahnke, Reformtheorien zwischen Revolution und Restauration. Die « gesammte » Politik an der Universität Göttingen im ersten Drittel des 19. Jahrhunderts, Francfort/Main, Peter Lang, 1999, p. 301 suiv.
33 Göttingische gelehrte Anzeigen, 1805, p. 902-909, ici p. 905.
34 Voir à ce sujet Claude Ménard, « Trois formes de résistance aux statistiques : Say, Cournot, Walras », in Pour une histoire de la statistique, vol. 1, Paris, INSEE, 1977, p. 417-430.
35 Göttingische gelehrte Anzeigen, 1805, p. 905.
36 S. Nikolow, « A.F.W. Crome’s Measurements… », art. cit., p. 44-45.
37 Göttingische gelehrte Anzeigen, 1806, p. 2034 ; 1807, p. 1299. Heeren est alors titulaire de la chaire d’histoire à l’université de Göttingen.
38 Barbara Stollberg-Rilinger, Der Staat als Maschine. Zur politischen Metaphorik des absoluten Fürstenstaats, Berlin, Duncker & Humblot, 1986, notamment p. 202 sq. ; G. Garner, État, économie…, op. cit., p. 45-47.
39 Göttingische gelehrte Anzeigen, 1806, p. 834.
40 Göttingische gelehrte Anzeigen, 1805, p. 902-903.
41 Göttingische gelehrte Anzeigen, 1807, p. 876-877.
42 H. Krahnke, Reformtheorien…, op. cit., p. 326-327 (sur Sartorius), p. 300 (sur Heeren).
43 Göttingische gelehrte Anzeigen, 1807, p. 1302.
44 Göttingische gelehrte Anzeigen, 1806, p. 2033 ; 1807, p. 1302.
45 Göttingische gelehrte Anzeigen, 1806, p. 835.
46 Ibid., 1806, p. 834.
47 Horst Kern, « Schlözers Bedeutung für die Methodologie der empirischen Sozialforschung », in : Hans-Georg Herrlitz, Horst Kern (dir.), Anfänge Göttinger Sozialwissenschaft. Methoden, Inhalte und soziale Prozesse im 18. und 19. Jahrhundert, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1987, p. 55-71, ici p. 68. Il faut cependant rappeler que les Français n’avaient en rien cherché à modifier le système administratif de la principauté du Hanovre lors de la première occupation de celle-ci entre 1803 et 1805 : voir Franz-Ludwig Knemeyer, Regierungs- und Verwaltungsreformen in Deutschland zu Beginn des 19. Jahrhunderts, Cologne, Grote, 1970, p. 37-38.
48 Göttingische gelehrte Anzeigen, 1806, p. 834.
49 Göttingische gelehrte Anzeigen, 1807, p. 1307.
50 S. Nikolow, « A.F.W. Crome’s Measurements… », art. cit., p. 50-51.
51 Paul Lazarsfeld, « Notes sur l’histoire de la quantification en sociologie : les sources, les tendances, les grands problèmes », in Paul Lazarsfeld, Philosophie des sciences sociales, Paris, Gallimard, 1963, p. 75-162, ici p. 78. Wolfgang Bonß, Die Einübung des Tatsachenblicks. Zur Struktur und Veränderung empirischer Sozialforschung, Francfort/Main, Suhrkamp Verlag, 1982, p. 64.
52 Karin Johannisson, « Society in numbers : the debate over quantification in the 18th-century Political Economy », in Tore Frängsmayr, J.-L. Heilbron, Robin E. Rider (dir.), The Quantifying Spirit in the 18th Century, Berkeley, University of California Press, 1990, p. 361.
53 Reinhart Koselleck, Preußen zwischen Reform und Revolution. Allgemeines Landrecht, Verwaltung und soziale Bewegung von 1791 bis 1848, (1re édit., 1967), 3e édit., Munich, dtv, 1989, p. 37 suiv.
54 Il est à cet égard révélateur qu’A. Müller ait posé en 1810 sa candidature à la chaire d’économie politique de l’université de Berlin nouvellement fondée contre celle de Hoffmann, et que cette rivalité ait entrainé une violente campagne de presse contre ce dernier et contre Kraus, son prédécesseur à Königsberg : voir W. Treue, « Adam Smith in Deutschland… », art. cit., p. 127-130.
55 K. Hildebrandt, « Experten… », art. cit., p. 178-181, 187-188 ; S. Nikolow, « A.F.W. Crome’s Measurements… », art. cit., p. 43-45.
56 Göttingische gelehrte Anzeigen, 1805, p. 538.
57 Ibid., p. 542.
58 Ibid., p. 543.
59 B. Vogel, Allgemeine Gewerbfreiheit…, op. cit., p. 47.
60 Reinhart Koselleck, « “Champ d’expérience” et “horizon d’attente” : deux catégories historiques », in Reinhart Koselleck, Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, (1re édit., 1979), trad., Paris, éditions de l’EHESS, 1990, p. 307-329.
61 Göttingische gelehrte Anzeigen, 1806, p. 835.
62 H. Klueting, Die Lehre…, op. cit., p. 289-294.
Auteur
Docteur en histoire (2001). Il est depuis 2002 maître de conférences en histoire moderne à l’École normale supérieure Lettres et Sciences Humaines, et depuis 2006 chargé des études modernes à la Mission historique française en Allemagne (Göttingen). Il a publié État, économie et territoire en Allemagne. L’espace dans le caméralisme et l’économie politique (1740-1820), Paris, Éditions de l’EHESS, 2006.
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