Du logo d’entreprise royale à la libre enseigne de magasin la publicité pour les draps fins en France de 1646 à 1830
p. 115-139
Note de l’auteur
À Roxane Debuisson
Texte intégral
1La réclame est perçue aujourd’hui comme une chose si banale qu’elle paraît n’avoir jamais eu de commencement. On concède bien à l’historien qu’elle est née avec le premier article – un os de renne ou une pointe de flèche – exposé en promotion sur le premier étal, mais, oubliant aussitôt les immenses contrées sans magasin, les vastes zones de troc sans asymétrie d’information et les grands magasins d’État sans publicité, on se range finalement à l’avis général : sous une forme ou sous une autre, ça a toujours existé et ça existera toujours.
2Si on laisse, provisoirement, de côté la question de l’inauguration du premier marché avec publicité, et qu’on s’intéresse aux variations de forme de cette information très particulière qu’est la réclame pour un produit, il faut reconnaître que le sens commun pose à l’historien de la chose marchande un vrai problème d’histoire. Car cette innovation en forme d’annonce change la relation entre les acteurs, influence les actes d’achat et de vente, enchante ou indispose le client. Et dès lors que cette manière d’inciter à l’achat devient familière et fait partie des mœurs, elle doit être observée et étudiée comme un fait individuel et collectif, comme une affaire privée et publique, comme une affaire d’argent et une affaire d’État, avec les sources appropriées : les marques et les enseignes, les factures et les éventaires, les mots et les images des vendeurs, des consommateurs et des autorités de l’époque.
3Présenté secrètement au chancelier Séguier comme une affaire « des plus importantes et pressantes1 » et officialisé avec éclat par Mazarin en Conseil d’État le 27 juin 1646, le lancement sur le marché français des draps fins « façon de Hollande » fabriqués en France fut l’une des plus grandes opérations manufacturières, commerciales et publicitaires entreprise par le roi et ses drapiers. Destiné avant tout à chasser du royaume les laken hollandais, à vêtir les Français de qualité avec du drap de France, et à éviter les sorties d’argent du royaume, le projet fit un tel bruit que, cent ans plus tard, Richard Cantillon le jugeait encore en ces termes :
« […] on peut dire que la puissance de la France n’est allée en augmentant que depuis 1646, [quand] on y érigea des manufactures de draps, au lieu qu’auparavant on les tirait de l’étranger, jusqu’en 1684, (alors) qu’on chassa nombre d’entrepreneurs et artisans protestants, et que ce royaume n’a fait que baisser depuis cette époque2 ».
4Ce n’est pas le lieu, ici, de discuter l’opinion, encore très répandue au milieu du XVIIIe siècle, selon laquelle la Révocation de l’Édit de Nantes aurait entraîné le déclin de la France : c’est vrai pour la période qui suit immédiatement le grand exil des « fugitifs », ça l’est moins à partir du moment où les protestants restés en France choisirent de reprendre leurs activités et leurs affaires comme « nouveaux convertis ». Pour notre sujet, remercions Cantillon d’avoir rappelé le coup de fouet donné à l’économie française par l’érection des manufactures de draps, de l’avoir daté – 1646, création de la Draperie de France à Sedan –, et d’en avoir signalé le succès. Un succès industriel et commercial durable qui tient à l’organisation du marché, à l’excellente qualité des produits et aux innovations de « marketing » qui accompagnèrent leur fabrication et leur vente.
« Contenter les plus curieux… et les personnes de qualité3 »
5Le projet d’« établissement nouveau en ce royaume de quelques manufactures de draps façon de Hollande » était encore dans les cartons du chancelier Séguier que déjà, les promoteurs avaient « ciblé » la clientèle et fournissaient des arguments publicitaires et commerciaux convaincants : « Ce qui pourra contenter les plus curieux, qui les auront toujours et plus commodément et moins chers que les draps de Hollande et d’Angleterre à cause de la perte sur le change qu’il faut que leur prix supporte ». Et ces draps qu’on devait tirer de l’étranger « nous [enlevaient] tous les ans plus de vingt millions de livres » ; de la qualité, il est vrai, ces laken noirs de Leyde qui habillaient le docteur Tulp pour sa leçon d’anatomie ou le mennonite Cornelis Anslo pour sa prière en famille, mais obtenue au prix d’une sortie d’espèces du royaume insupportable pour le trésor royal, honteuse pour le roi, inadmissible pour Richelieu, il l’avait écrit dans son Testament.
6D’où la décision audacieuse de Mazarin en 1646 d’établir, à Sedan, « la fabrique de certains draps noirs et de toutes autres couleurs, de la qualité (laine mérinos espagnole), façon et manière d’ouvrer (laine cardée) telle qu’elle se pratique en Hollande4 », de confier pour vingt ans la direction de la draperie de France à Nicolas Cadeau, marchand mercier de Paris, et de lui accorder des privilèges qui, à l’usage, allaient faire fonction de supports publicitaires pour la renommée des draps fins de la manufacture royale. Le Cardinal, qui connaissait bien les lois de la « guerre d’argent », l’avait déclarée dès 1644 en déclenchant un premier tir de barrage douanier contre les draps de Hollande. Il fut relayé fidèlement par Colbert en 1664 et en 1667, et quand la dernière salve protectionniste fut tirée en 1687, les draps étrangers étaient quasiment prohibés du royaume. Les draps de Sedan, et après 1666 d’Abbeville, de Louviers, d’Elbeuf et du Languedoc (ou de Carcassonne) n’avaient alors plus de concurrents sérieux sur le marché national. Encore fallait-il persuader « les bourgeois aussi bien que les personnes de qualité, [qui] s’habillaient d’étoffes de soie, de droguets et d’autres étoffes de demi-soie5 », de porter des « laken français ».
7Le roi et ses ministres ne lésinèrent pas sur les avantages consentis à leurs marchands manufacturiers : armes de France et plombs royaux – garantie en première qualité pour l’abbé, le magistrat ou le cavalier d’avoir sur le dos de la pure laine de Ségovie, 3 800 fils dans la chaîne et une teinture de grand teint éprouvée au « débouilli » –, anoblissement, exemption de taille et de logement des gens de guerre, commitimus, Suisse en livrée du roi à la porte. S’ajouta au fil du temps la permission de spécifier le caractère haut de gamme des draps fins dans la classification des articles cautionnés par le roi : manufacture royale et privilégiée de… brodé au chef de chaque pièce, Munus premium que Labori ou NIHIL SUPRA gravé sur les plombs locaux, autant de devises faites pour vendre et qui sonnent comme le « meilleur produit, premier sur le marché » de nos annonces d’aujourd’hui. Mais cette information sur la qualité exceptionnelle des draps fins, ces mots qui la proclamaient, ces plombs qui l’attestaient, n’auraient guère eu d’utilité commerciale s’ils n’avaient pas été entendus et vus par le plus grand nombre de chalands, capables de débourser entre vingt et trente livres tournois pour une aune de drap.
8Il fallait des boutiques pour que prît la réclame. Mazarin y avait pensé. Au risque de bouleverser l’ordre du commerce et de bousculer le premier corps des marchands, les drapiers, il avait accordé dès 1646 aux Sedanais – la mesure fut ensuite étendue à Abbeville en 1666 et à Louviers en 1680 – l’extraordinaire privilège de vendre « en gros ou en détail leurs draps aux marchands drapiers ou merciers de Paris et autres lieux6 ». Tout était dans le « OU » : d’une quarantaine de drapiers qui pouvaient vendre du drap fin, on passait à plus de 2000 magasins de luxe, dont Le Marteau d’Or de… Nicolas Cadeau, rue St Denis. En 1687, 8 des 10 millions de ventes annuelles sur Paris étaient assurées par 12 merciers, dont 5 fabricants de Sedan – merciers à Paris, ce que ne purent continuer à souffrir les drapiers de la capitale. Le 11 octobre, ils obtinrent du Conseil d’État « la faculté de faire commerce et de vendre seuls » les draperies de laine, mais ils ne réussirent pas à interdire aux merciers d’opter pour le corps des drapiers, ce que firent aussitôt 70 merciers, et parmi eux, Jacques Cadeau, fils de Nicolas, Denis Rousseau et Gilbert Paignon, manufacturiers privilégiés des Gros Chiens et du Dijonval à Sedan7.
9C’est donc dans les boutiques de mercier à Paris qu’on entendit les premiers échos des bons coups de commerce, ou plus joliment des « coups à l’or8 » réalisés sur les draps fins « façon de Hollande » à la fin du XVIIe siècle, que les premières réclames furent lancées pour captiver les curieux et les personnes de qualité. Peu de bruit, mais une réputation confirmée pour la Draperie royale de Sedan, lorsque la reine lui passa commande en 1705 de 420 uniformes pour son régiment de dragons : coût de l’opération, 32 000 livres, et l’on apprend dans le « devis » qu’il fallait plus de neuf aunes de drap pour habiller un dragon avec son justaucorps, ses parements, sa veste, sa culotte et son manteau9. L’affaire des draps rayés en 1685 fit beaucoup plus de tapage et de scandale. Louvois, qui accordait sa protection à Jacques Cadeau – un agent publicitaire en quelque sorte, et quel agent ! –, lui conseilla de fabriquer des draps rayés avec promesse d’empressement de la clientèle des courtisans de Versailles. Marché conclu, fabrication à Sedan, après avoir vaincu les réticences des ouvriers habitués à l’uni, commande du Roi-Soleil, mais marché raté par Cadeau qui livra des étoffes cassantes et non pas les veloutées attendues. Louvois se fâcha ; le roi, pour que son « grand brutal » de ministre ne perdît pas la face, reconduisit néanmoins son ordre pour l’hiver suivant. Le Dauphin n’emboîta pas le pas royal de son père, ce que Le Peletier, Contrôleur général et serviteur fidèle, rapporta aussitôt à Louis XIV. Le roi ne décoléra pas pendant huit jours10.
10Le Roi-Soleil avait donné la préférence à Sedan, pour l’occasion. Pour sa publicité, Sedan en fit une gravure de mode pour l’éternité (Fig. 1).
La concurrence entre les fabriques, facteur d’innovations de marketing
11L’affaire des draps rayés de Sedan le montre bien : le marché des étoffes de luxe était passé aux mains de quelques gros négociants parisiens, fabricants en province, et, dans les années 1680, on pouvait se demander s’il était bien nécessaire de continuer à se faire connaître et à faire reconnaître les produits de sa manufacture. La hiérarchie des articles et des qualités était garantie par le roi, le grand magasin formé par Paris et la Cour avait trouvé, depuis 1687, ses chefs de rayon, et deux ans avant, la France drapière était devenue « toute catholique11 », à l’image de la France entière. Les entreprises des manufacturiers protestants d’Abbeville, de Louviers et surtout de Sedan, étaient menacées d’anéantissement. Là où les fabricants n’avaient pas fui, les dragons avaient fait place nette. La concurrence imparfaite paraissait être établie pour longtemps et pour le plus grand bénéfice des catholiques. La publicité est un art inutile quand on n’a plus d’adversaire, c’était ce sentiment de soulagement que durent éprouver les merciers et drapiers parisiens quand ils vinrent s’installer à Sedan aussitôt la Révocation de l’Édit de Nantes, privilège dans une main et « interdiction de travail aux plus mutins (des religionnaires) » dans l’autre12.
12C’était sans compter sur l’énergie retrouvée des entrepreneurs « nouveaux convertis ou nouveaux réunis », et sur l’esprit de revanche qui, l’effroi et l’humiliation passés, allait s’emparer d’eux. L’issue de la partie commencée vers 1700, avec la reconnaissance amère d’un regain d’autorité des « catholiques non romains » à Sedan, fut longue à se dessiner. Mais au milieu du siècle, les protestants finirent par l’emporter : Louis Labauche, privilégié en 1741, félicité pour sa bonne et ferme conduite face aux tondeurs en grève en 1750, fit l’acquisition d’un magasin à Paris, où il put vendre ses beaux draps noirs et écarlates et prendre en dépôt ceux de ses parents et alliés, tous fidèles de la Religion Prétendue Réformée ; parmi ceux-ci, Abraham Poupart, récompensé lui aussi en 1754 par un privilège royal13. À eux deux, ils fabriquaient près de la moitié des draps de Sedan, et les deux manufacturiers catholiques privilégiés, un tiers seulement. Pour la vente, étaient-ils logés à la même enseigne ?
13Oui et non. Les plombs royaux et locaux apposés par l’inspecteur de la manufacture mettaient certes les draps catholiques et les draps protestants sur un pied d’égalité (Fig. 2) où qu’ils se trouvassent, à Sedan, à Paris, à Rome ou à la Martinique. Mais c’est là précisément, sur les lieux, et dans les méthodes de vente, qu’une différence s’était fait jour et avait grandi au fil du temps de prospérité. Les manufacturiers « romains » avaient eu tout le loisir, après la grande peur des huguenots, de prendre les bonnes « parts de marché », de choisir les bons « créneaux », d’organiser un réseau efficace de clients et de relais commerciaux sur le territoire de France. Seuls à jouer, ils gagnaient à tout coup. Jusqu’au moment où la concurrence des marchands fabricants « persécutés ou tracassés pour leur foi » commença à se manifester sur les comptoirs de Paris ou des villes de province, avec des draps d’une aussi grande beauté et d’aussi bon teint. D’abord dépités par l’audace de ces anciens hérétiques qui venaient débaucher leurs clients, ils réagirent honteusement en recourant à la justice du roi, c’est-à-dire à la dénonciation des hommes, des femmes et des enfants pour crime contre la religion catholique. Puis ils en prirent leur parti, à l’exemple du roi qui accordait honneurs et faveurs aux plus valeureux de leurs adversaires, et décidèrent sinon de riposter, du moins de défendre leurs positions acquises sur le marché. Rousseau et Paignon, les deux chefs de file historiques de la fabrique catholique n’organisèrent pas vraiment une campagne publicitaire mais ils firent beaucoup pour qu’on parlât d’eux. Le premier fit représenter, sur le trumeau de la porte des Gros Chiens, l’outil du travail parfait, les forces du tondeur, seul moyen de garantir au client la qualité NIHIL SUPRA, et source intarissable de fortune pour le vendeur de draps si bien apprêtés. Les Paignon, en affichant en en-tête de leur papier à lettres, leur ancienneté de première manufacture royale de draps de France, créèrent peut-être, vers 1770, le premier logo d’entreprise : là encore, la trompette y sonne la renommée de la « belle ouvrage » accomplie à Sedan depuis 1646, et non pas depuis 164414, dans la finition, par les habiles tondeurs et par la presse à draps (Fig. 3). Ainsi les noms de Rousseau et de Paignon devinrent-ils synonymes de beaux draps et, « effet Vuitton » assuré auprès d’une clientèle dépensière, leurs draps furent précocement réputés les plus chers du monde. Trente livres, l’aune de Vert Romainville en 4/3 d’aune de large À la Fleur de Lys d’Or, chez Sauvage, trente livres également l’aune de « Paignon noir » à La Pomme d’Or, chez Quatremère, un ancien associé de Paignon : à ce prix-là, chaque facture se transformait en dépliant publicitaire flatteur pour le riche chaland (Fig. 4). « Achetez au plus haut prix », telle fut la réclame préférée des Parisiens, la condition aussi pour que les manufacturiers catholiques conservassent la fidélité de leurs clients face aux assauts des concurrents protestants.
14Car les « nouveaux convertis » furent des vendeurs agressifs. Rivalité et nécessité obligent : outre qu’ils avaient toutes les raisons du monde de vouloir en découdre avec des confrères anciens traqueurs de huguenots, ils durent passer en force sur un marché devenu uniformément catholique en 1685. Impossible pour eux de se satisfaire des arguments de vente tels que l’hyperprix et la qualité supérieure, sauf à en user auprès d’acheteurs qui n’avaient pas encore entendu les sirènes des marchands « officiels ». Aussi innovèrent-ils dans cette nouvelle branche d’activité en train de se former dans le commerce, l’information et le marchéage. Bons de commande à la main, carnets d’échantillons dans les sacoches, à cheval, en bateau et en coche, 160 voyageurs intelligents et commis de confiance circulaient en France et à l’étranger dans les années 1770, à la recherche de clients qui n’avaient pas encore eu la chance de s’habiller en Sedan. Autant de commis voyageurs qui redoublaient le réseau de vente par correspondance, formé par l’envoi régulier des lettres circulaires, telles celle de l’« opiniâtre » huguenot, Jean Labauche15 (Fig. 5). Et comme il restait trop peu de clients à fournir en France, les négociants fabricants protestants reportèrent leurs efforts à l’extérieur du royaume, exauçant ainsi le vœu mercantiliste de Mazarin et de Colbert : faire rentrer l’or et l’argent dans le trésor royal. Sur les huit millions de valeur produite en draps, à Sedan, à la fin des années 1760, 2/5 étaient exportés et si le drap de Sedan était prisé au Portugal, en Espagne, en Suisse, en Allemagne, dans le Nord et même au Vatican, c’était aux « nouveaux réunis » qu’on le devait. Les membres de la curie romaine portaient des pourpres fabriqués par Labauche de Bazeilles et Poupart de Neuflize, tous deux anoblis par Louis XV en 1769, tous deux des « huguenots outrés ». Les victimes des persécutions et leurs enfants tenaient leur revanche sur les catholiques, et le roi lui-même leur faisait de la publicité.
15Il n’y eut pas de belle entre les deux groupes de drapiers sedanais. Tout le monde gagnait. À la veille de la Révolution, les clients, enrichis par les affaires et par la hausse de la rente foncière, étaient trop nombreux à s’arracher les étoffes de première qualité pour qu’on songeât encore à se les disputer. Les boutiques, de moins en moins tenues par les fabricants, se multiplièrent, et ce fut à qui attirerait le mieux et le plus de chalands. Les vendeurs professionnels rivalisèrent d’enseignes alléchantes, et les vignettes des factures de la collection Debuisson permettent d’observer les tendances de la publicité dans les magasins d’étoffes et de tissus parisiens, années 1780 et 1790. Enseigne de référence, Au Cheval Noir, la plus ancienne de la collection – début XVIIIe siècle – et sans doute la plus belle : à l’arrière-plan un château fort, auquel on accède par un pont à trois arches ; à part le paysage montagneux, on peut penser à la place forte de Sedan et au pont de Torcy, et la robe du cheval a la même couleur noire que le drap le plus réputé de la ville. Ibert a été sélectionné pour deux raisons : c’est un des marchands français les plus assidus aux foires de Leipzig16, et l’homme sait bien ce qu’« être à la mode » veut dire dans le monde où il vend. Il tient en 1785 le Magasin Anglais et en 1789, c’est-à-dire trois ans après le « funeste » traité de commerce franco-anglais, il le rebaptise Magasin de Nouveautés où il livre un tout nouveau tissu de laine fine, imité d’une étoffe anglaise, le casimir. D’autres magasins cherchent à se distinguer par leur client le plus titré et le plus chic – Au Duc de Bourbon –, ou par une ville drapante renommée – À la Ville de Louviers, À la Ville de Reims –. Delarue, Au Grand Balcon, paraît avoir gardé la tradition du marchand fabricant : il affiche sa double appartenance, sa double compétence, et il ajoute sa marque de marchand au loin, avec navire sur les flots, ancre de marine et balles de draps fins de 45 aunes, la longueur réglementaire d’une pièce de drap royal… ou républicain (10 germinal an IX). Dernier exemple de panonceau publicitaire, celui de Leblond, Au Sauvage : l’homme ne paraît vêtu que de poils hirsutes, mais les habits de Huron qui l’entourent lui sont peut-être destinés ? La massue n’est sur l’épaule que pour « faire » sauvage, elle ne peut pas suggérer qu’Au Sauvage, on écrase les prix. Chez Leblond, on vend de tout « à juste prix », des perles fausses, des « souliers de dame en or et en argent fin et faux », des ceintures de soie pour prêtres, mais pas de drap, sauf pour la confection des masques et des loups. À Leipzig ou à Paris, à la fin du siècle, personne ne pouvait se tromper : on n’entrait pas Au Sauvage pour acheter des draps fins. Ces articles, réglementés depuis l’origine, avaient gardé leur propre publicité et leurs magasins particuliers (Fig. 6, 7, 8, 9).
Guillaume Ternaux ou l’invention de la publicité moderne
16La Révolution survient. Que signifie-t-elle pour le client, pour son « information » sur les draps fins et sur les autres articles de luxe qu’il avait coutume d’acheter ? Fini les plombs de garantie de conformité aux règlements de fabrication, fini les boutiques où il était sûr de trouver un commis incapable de lui vendre un Louviers pour un Paignon, fini l’ordre du commerce et des marchandises. Il est vrai que, pour un tenant de la tradition, le mal avait commencé avec la « déréglementation » opérée par Necker à la fin des années 1770, avec la liberté laissée au fabricant, au vendeur et à l’acheteur de choisir entre la conformité et la non-conformité aux règlements ; mais après la Révolution, ce fut pire, tout était permis, on pouvait ne rien afficher ou afficher n’importe quoi… pour le même partisan du marché à l’ancienne. Place aux malfaçons et aux contrefaçons, place aux « nouveaux-produits-qui-viennent-de-sortir » des manufactures « françaises » de Verviers et d’Aix-la-Chapelle, place à la liberté du consommateur, à la sûreté de son œil et de son tact, à son goût !
17Dans ce nouveau climat de « liberté indéfinie », certains préférèrent dire de « désordre », comment regagner la confiance d’une clientèle devenue méfiante et fuyante ? En sachant que les premiers marchands qui lui en feraient retrouver le chemin, emporteraient les meilleures parts du marché de l’habillement civil, le marché du drap militaire étant beaucoup trop conjoncturel. Le génie de Guillaume Ternaux est d’avoir compris très tôt qu’il fallait se « positionner » au plus vite à Paris et « à l’international ». Avec un aplomb sans pareil, cette seconde nature dont il ne se défera jamais, il envoie, le 1er septembre 1797 – à cette date, il n’est pas encore rentré en France et il y est toujours considéré comme émigré –, une lettre circulaire d’information. Il fait part aux grands négociants européens de draps17 de l’extension qu’il est en train de donner à sa manufacture de Sedan – ce qu’il appellera plus tard « une vaste combinaison industrielle », une expression très schumpeterienne –, du transport de la correspondance de la manufacture de Sedan à Paris – translation du centre du réseau commercial dans la capitale, de la création d’un grand magasin parisien de draps et, pour la dimension internationale, de la poursuite des activités de la succursale de Livourne. Suivent les signatures appropriées à chaque place de commerce (Fig. 10) : le nom de Ternaux, bien sûr, « celui d’un homme qui, d’un trait de plume, se fait obéir d’un bout de l’univers à l’autre18 », disait déjà de ce genre d’homme Vanderk père, dans Le philosophe sans savoir.
18De retour de Suisse en 1798, Guillaume Ternaux va réaliser en France et à l’étranger tout ce qu’il avait projeté et réussir tout ce qu’il va entreprendre. La saga du capitaine d’industrie est trop connue19 pour qu’on y revienne ici, sauf sur un point : la campagne publicitaire que Ternaux organisa lui-même autour de ses propres succès avec un toupet – le mot date de 1808, il convient mieux que « culot » employé vers 1879 – qui ferait pâlir d’envie un publicitaire blasé d’aujourd’hui. Qu’il obtienne une médaille d’or à l’exposition nationale des produits de l’industrie de 1801 pour ses casimirs, rien que de normal – le savoir-faire de Sedan dans cette branche est confirmé, et il n’y a pas de quoi parader. Il ne le fait d’ailleurs pas. Mais il a cette idée extraordinaire de faire exécuter des duplicatas de son diplôme, frappé en haut de l’avers et de l’envers de la médaille d’or, et en bas de deux cachets rappelant sa double identité de marchand et de manufacturier. Or, les quatre estampilles font penser, à s’y méprendre, aux plombs royaux et aux marques locales du ci-devant Ancien Régime, d’autant que ce certificat de garantie est inséré très habilement dans les volets d’un catalogue d’échantillons avec la mention : (prix) donné par le gouvernement ! Le chaland, grâce à Ternaux, peut se remettre à rêver un monde meilleur ou ancien où les articles sont, ou étaient marqués, signés, sûrs (Fig. 11).
19Le même client, deux ans plus tard, n’en croit pas ses oreilles lorsqu’il entend le récit des événements qui se sont déroulés à Reims, le 10 août 1803. Madame Bonaparte – Joséphine –, en compagnie de son glorieux mari, visite la fabrique de « schalls » de Jobert, beau-frère de Ternaux. Elle se voit offrir un cachemire marqué Ternaux, dont elle couvre ses épaules après s’être prestement débarrassée de son châle. Aussitôt, la rumeur court : l’épouse du premier consul s’habille chez Ternaux ! Vrai ou faux ? Joséphine, de retour à Paris, en commande une douzaine qu’elle paiera le double du prix annoncé… comme quoi, il n’y a pas de fumée sans feu. Les châles Ternaux, en raison de leur qualité et d’une réclame exceptionnelles, en raison aussi d’un argument de vente très « tendance » patriotique – il est français brodé dans la lisière – vont connaître un immense succès, malgré, ou à cause de leur prix très élevé : 1 200 F/pièce pour les premiers « sortis d’usine ». Pourquoi pas, dans ces conditions, triompher hors des frontières, en Angleterre par exemple ? C’est chose faite, ou du moins, l’exploit est raconté ainsi : Ternaux, en voyage à Londres, après Waterloo, entre chez un marchand de châles de la City et étale sur le comptoir un article de ses manufactures :
« – Voilà le châle le plus parfait d’exécution que j’ai vu.
– Monsieur, il sort de ma manufacture…
– En ce cas, vous devez être Monsieur Ternaux20. »
20Vrai ou faux ? Peu importe ! Ce qui compte pour un publicitaire « qui monte » : lancer le slogan, le répéter partout où il y a une étoffe à vendre et à acheter, faire savoir que les clients de qualité se disputent « son » produit… et ça marche partout en Europe où un article Ternaux est à l’étalage. Bateleur, Ternaux ? Plutôt un sens aigu des bonnes affaires à faire, au bon moment, un flair très sûr pour choisir commis et informateurs et trier ses informations, une intelligence de l’action au service d’un projet qu’il a formé depuis son retour en France. Car Ternaux ne travaille pas en amateur, même s’il hésite rarement à sauter sur l’occasion qui se présente, il n’aventure pas sa réputation, même s’il se risque à jouer des coups incertains, il est un entrepreneur professionnel, « autant négociant que manufacturier », avec un tableau de bord industriel dont il s’est équipé très tôt et un objectif commercial qu’il s’est fixé dès qu’il a pressenti la formation du grand marché européen et impérial.
21Le célèbre Mémoire de 1807 sur « les établissements Ternaux » commence bien par « Et moi aussi, je fais la guerre à l’Angleterre !21 », mais, la page tournée et l’étincelle ayant fait son effet, le « Prince Mérinos » expose son plan et ses buts de guerre : une stratégie industrielle articulée sur une stratégie commerciale, un projet d’intégration verticale parfaite, un des grands rêves du Commerce. Pour Ternaux, les établissements commerciaux et les pratiques d’enchantement de la clientèle ne sont pas des paillettes pour badauds, ni la partie visible de l’iceberg pour industrialiste, même si elles paraissent telles. Non, pour lui, les magasins et leurs enseignes, les comptoirs et les factures, les vendeurs et la « montre », font partie intégrante de la nouvelle « organisation » qu’il est en train d’installer sur le territoire impérial. Au même titre que la production, sur le même plan que les usines, les boutiques et le marketing forment l’autre « ressort » de l’empire Ternaux, l’autre base du « système d’indépendance » exigé par l’entreprise moderne, la seule machine qui permette la prompte réalisation des bénéfices.
« 18e établissement : Etablissement de la Vigogne.
C’est un magasin de détail que M. Ternaux a cru devoir établir pour connaître d’une manière positive le goût des consommateurs, auxquels les objets de ses manufactures sont livrés à d’autant meilleur compte qu’il peut se dispenser d’un troisième bénéfice.
Après avoir pris directement la toison brute du bélier, il parvient, par suite de ses opérations, à en revêtir le consommateur, sans s’être servi d’intermédiaire. C’est ainsi qu’il réalise son projet favori, et se trouve indépendant des circonstances, des événements et des caprices des marchands. On peut concevoir l’avantage qui en résulte, puisque roulant ainsi sur lui-même, il n’est obligé de confier sa fortune à personne. Si le temps le lui permet, M. Ternaux se propose d’étendre encore ce système d’indépendance en formant, dans les principales villes d’Europe, une quarantaine d’établissements semblables par le moyen des commis qu’il instruit, et surtout si ses fils, qu’il élève avec soin, sont capables de tenir la clef de voûte de l’édifice qu’il a conçu et créé dans des moments difficiles22 ».
22Armé d’une énergie et d’une puissance de travail aussi inépuisables et légendaires, de son vivant, que celles de l’empereur, Guillaume Ternaux multiplie les innovations. Il fait savoir à tout l’Empire français qu’il a reçu la médaille d’or de l’exposition nationale de 1801, nous l’avons déjà vu de nos yeux, mais il l’obtient encore en 1802, et encore en 1807. Voilà une « information » à « communiquer » au client ! Le triple médaillé complète son palmarès de magasins : à La Vigogne, il ajoute Aux Pyramides d’Égypte pour célébrer la victoire de Bonaparte, et pour montrer que le bleu Rousseau, le vert et le noir Pagnon (il faut lire évidemment l’illustre Paignon) sont encore les draps les plus chers du monde ; Au Bonhomme Richard, « établissement de confectionnement et d’habillement, Le Seul Établissement de ce Genre (avec La Vigogne) sous le Patronage de M. Ternaux ». Voilà des « messages » qui méritent d’être lus par le chaland !
23Il dédouble des dépôts de châles rue des Fossés Montmartre, il contrôle tout ce qui touche aux cachemires, À la Vallée du Kachmyr et Au Cachemire Français, Place des Victoires ; il absorbe en 1810 l’entreprise de Jean-Baptiste Decrétot, manufacturier réputé de Louviers, médaillé comme lui à l’exposition de l’an IX, et les draps qui sortent après cette fusion portent deux marques « nationales »… qui valent toujours mieux qu’une. Voilà, brièvement raconté en factures, la petite histoire de la « chaîne » de magasins Ternaux à Paris, spécialités draps fins, casimirs, cachemires et châles. (Fig. 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19).
24Et l’Europe ? Il s’était proposé, dans le Mémoire de 1807 d’étendre son « système » sans intermédiaire, directement « du producteur au consommateur », à quarante villes d’Europe. Tint-il parole ? Aucune trace d’une installation commerciale à l’étranger n’ayant été trouvée, il était permis d’en douter23, jusqu’à ce qu’on l’eût surpris, sous les arcades de la Reichstraße, au 433, et de la Katharinenstraße, au 363, vendant des casimirs et des Tücher de Sedan et de Louviers, de 1820 à 1828, aux foires de Jubilate et de Saint-Michel à Leipzig24. Ainsi, Guillaume Ternaux était-il le seul négociant manufacturier de draps français à s’être déplacé en personne sur ce marché des plus risqués, un « marché de dupes et de fripons », si l’on en croit André de Neuflize, un de ses confrères de Sedan presque aussi huppé que lui25. Décidément, Ternaux n’avait peut-être pas la taille d’un « homme de l’univers » comme prétendait l’avoir Monsieur Vanderk, au théâtre, mais il avait donné, à coup sûr, une dimension européenne à son projet industriel et à sa recherche de clientèle. Hommage de Charles Dupin, paru dans le Journal des débats, du 6 avril 1833 : « le plus grand commerçant que la France ait produit depuis Jacques Cœur jusqu’à nos jours26 ».
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25Pour caractériser le climat social de la France au cours de la première moitié du XIXe siècle, on cite souvent le mot d’ordre de Guizot « Enrichissez vous ! », en omettant tout aussi souvent d’ajouter que c’était « par le travail » que les individus accéderaient au rameau d’or, tel Crésus ou Fortunatus, tel Jacques Cœur, Gradis ou Ternaux.
26Par le travail ou d’une autre manière, les Français se sont effectivement enrichis durant cette période, il suffit d’observer l’augmentation annuelle de la moyenne successorale dans les bureaux de l’enregistrement de 1791 à 1848 pour le vérifier27. Gagné en travaillant ou reçu en héritage, l’argent disponible croissant, la propension à consommer, et avant de consommer, à acheter, à dépenser, s’est manifestée chez les mieux lotis et les déjà nantis. La rencontre avec l’offre sur le marché réel était prévisible, à condition de changer de mœurs, d’abolir la hiérarchie des produits dédiés, de rompre avec la longue tradition de la société d’ordres qui voulait qu’on achetât ou qu’on vendît « à chacun selon son rang » ; de faire en sorte que le client fût enclin à changer de boutique, quand il se sentait importun devant un éventaire, et d’en trouver un plus accueillant à sa libre demande, quitte à « faire la queue28, comme tout le monde ». Cette révolution des mœurs marchandes, c’est-à-dire des habitudes de fabrication, de vente et d’achat conformes aux règlements en usage et aux préséances sociales, avait commencé avant la Révolution française : l’organisation de la production et du marché change d’allure entre 1776 – suppression puis rétablissement des « corporations » – et 1779, année où Necker institue le libre choix entre deux marques – le « plomb de fabrique » pour les produits réglementés et le « plomb de liberté » pour les autres29 – et partant, crée la publicité « à deux vitesses », ou si l’on préfère, la réclame à deux voix. Un moment stoppée par la production de « salut public » et par l’économie de guerre, la valse des étiquettes, des labels et des enseignes fut relancée dès le retour à la monnaie métallique, s’accéléra sous le Consulat et l’Empire, et se poursuivit au même rythme après 1815.
27C’est dans cette atmosphère de liberté d’initiative et de fièvre marchande et publicitaire que Ternaux revint aux affaires avec l’ambition d’installer sa « vaste combinaison industrielle » et d’établir son « système d’indépendance » commercial. Seul, il en avait élaboré la théorie, seul, il prit le risque de la mettre en pratique. Ses vues étaient-elles trop étendues ? Possédait-il trop d’usines ? Sans doute pas. Mais ce qu’il avait de trop, c’était des magasins de vente et surtout trop de crédit. Non pas ce beau crédit, qui consiste à « ne rien devoir à personne30 » et à avoir autour de soi de nombreux débiteurs dévoués, mais ce mauvais crédit qui oblige à « devoir beaucoup à une meute de créanciers » ce crédit qui provoqua sa chute lors de la grande crise commerciale de 1826-1832. Dans la branche « textile habillement », Ternaux aurait peut-être tenu le choc s’il avait limité ses investissements, c’est-à-dire ses emprunts, à la location, à l’entretien et à la publicité d’un ou deux « magasins de nouveautés » à Paris, tels que ceux que décrit avec talent un Provincial en 1825.
« Chapitre XIII. Les magasins de nouveautés.
L’époque où ces sortes d’établissements ont commencé à fixer l’attention publique est assez peu reculée : elle ne remonte guère à plus de vingt ans. Leur nombre était d’abord assez peu considérable, il dépasse aujourd’hui toute proportion, et chaque semaine en fait éclore de nouveaux… Le magasin des Deux Magots (ouvert le 1er avril 1813) est, dit-on, un de ceux où l’on vend le plus… Le propriétaire (du Masque de Fer) est, je crois, le seul marchand de l’époque actuelle qui n’ait pas choisi pour enseigne le titre d’une pièce de théâtre. L’arrangement des marchandises, de la montre, est fait avec un goût, une recherche, un tact, une connaissance de l’harmonie des couleurs qu’on ne retrouve dans aucun pays… L’étalage extérieur d’un magasin de nouveautés est, avec l’enseigne, le but des soins constants d’un marchand qui sait les choses : d’immenses bandes d’étoffes d’une couleur éclatante occupent toute la devanture de la maison… Il faut qu’on lise en gros caractères, au-dessus de la porte d’entrée : PRIX FIXE ; c’est une petite phrase d’usage, absolument sans conséquence et qui n’engage à rien… tel marchand a jusqu’à deux douzaines (de commis) à ses ordres, non compris le teneur de livres et les demoiselles de comptoir. Leur mise doit être soignée… Il est de rigueur qu’un magasin achalandé soit jonché d’une épaisse couche de paille, et que de nombreux ballots (qui peuvent fort bien ne rien contenir) encombrent les avenues. L’abondance des marchandises doit être telle (du moins en apparence) qu’on ne se puisse remuer qu’avec peine entre les comptoirs des salles où le public est admis. Il faut aussi que des prospectus répandus avec profusion sur les ballots, dans l’étalage et partout, rappellent le nom du magasin et ses titres à la confiance des acheteurs. Des prospectus annoncent invariablement un rabais étonnant dans les prix des marchandises. Il serait presque ridicule d’annoncer moins de vingt-cinq mille robes à la fois ; on doit ne pouvoir pas énumérer les objets de fantaisie, les cachemires français, les foulards et les mouchoirs de toute espèce ; enfin tout doit tendre à faire croire à ce bon public, que c’est absolument pour l’obliger et dans son seul intérêt qu’on tient un magasin. »31
Notes de bas de page
1 BN, Fr 17566, Mémoire pour la manufacture de draps, serges et autres étoffes de layne, vers 1645. En tout cas, avant le 27 juin 1646, jour où le Conseil d’État du roi accorde à « Nicolas Cadeau, Jean Binet et Yves de Marseille l’établissement (à Sedan) de la fabrique de certains draps noirs et de toutes autres couleurs, de la qualité, façon et manière d’ouvrer, telle qu’elle se pratique en Hollande ». Gérard Gayot, Les draps de Sedan (1646-1870), Paris, Éd. de l’EHESS, 1998, p. 26 et 46.
2 Richard Cantillon, Essai sur la nature du commerce en général, 1755, Rééd., Paris, Éd. de l’INED, 1997, p. 103.
3 BN, Fr 17566, source citée. AN, G7 1685, Enquête du contrôle général des Finances sur les manufactures du royaume, 1692 ; Mémoire des marchands merciers de la ville de Paris, 1687.
4 « Articles et conditions accordés à Nicolas Cadeau… », in Gérard Gayot, op. cit., p. 46-48.
5 AN, G7 1685, source citée, Mémoire des marchands merciers de la ville de Paris, 1687.
6 Jean-François Belhoste, « Naissance de l’industrie du drap fin en France à l’âge classique » in La manufacture du Dijonval et la draperie sedanaise (1650-1850), Paris, Ministère de la Culture, Cahiers de l’Inventaire, 2, 1984, p. 13-14.
7 Ibid., p. 14, 26, note 40.
8 La formule est de Louis Greffulhe, manieur d’argent à Amsterdam en 1763. Cité par Herbert Lüthy, La banque protestante de la Révocation de l’Édit de Nantes à la Révolution, t. 2 : De la banque aux finances (1730-1794), Paris, SEVPEN, 1961, p. 610.
9 AN, MCN, XLVIII, 23, annexe d’un acte du 29 janvier 1705. Voir Jean-François Belhoste, op. cit., p. 92 et note 50.
10 Germain Martin, La grande industrie sous Louis XIV, Paris, Rousseau, 1899, p. 212-213.
11 Pierre Bayle, La France toute catholique sous le règne de Louis le Grand, 1686.
12 Lettre de l’intendant de Champagne, de Pomereu, au Contrôleur général, 1700. Cité par Marc Scheidecker et Gérard Gayot, Les protestants de Sedan au XVIIIe siècle. Le peuple et les manufacturiers, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 53.
13 Ibid., p. 68-69.
14 À moins que ne soit parvenue aux oreilles de Paignon cette information glanée dans un almanach de la deuxième moitié du siècle selon laquelle « M.M. Paignon et Rousseau, ayant trouvé les eaux de la Crise, près de Soissons, excellentes pour le dégraissage et la teinture, avaient déterminé d’y fixer leur manufacture en 1644 », in Tableau général du commerce, des marchands, négociants, armateurs, etc., Années 1789 et 1790, par M. Gournay, avocat, art. Soissons, p. 767. En 1644, ce ne pouvait être que Nicolas Cadeau, ou un autre marchand parisien, les Paignon et les Rousseau ne s’étant intéressés aux draps qu’un demi-siècle plus tard. Vrai ou faux ? Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il n’y avait pas qu’un projet d’établissement de manufacture dans l’air avant 1646. Certains avaient été formés dès 1639 : BN, Fr 17566, source citée.
15 Gérard Gayot, Les draps de Sedan, op. cit., p. 403-407. Voir p. 403-405, un texte remarquable où Delo Desaunois, sous-inspecteur de la manufacture, fait un tableau exemplaire des innovations de marketing à Sedan en 1775, AN, F12 1357, 24 mai 1775.
16 Je prépare actuellement un inventaire des marchands et des produits français, britanniques, suisses et italiens présents et présentés aux foires de Leipzig de 1756 à 1833, du premier Livre d’adresses publié avec les noms et l’origine des marchands, à l’entrée de la Saxe dans le Zollverein. Voir Gérard Gayot, « La main invisible qui guidait les marchands aux foires de Leipzig : enquête sur un haut lieu de la réalisation des bénéfices, 1750-1830 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 48, 2/3, avril-septembre 2001, p. 71-101.
17 Dans le cas présent, à Pierre Dethier, où plutôt « Herr de Thier aus Hodimont und Verviers » que j’ai « filé » dans les rues et sur les foires de Leipzig et que j’ai fini par considérer comme le maître du marché du drap fin dans ce haut lieu de réalisation de bénéfices : voir Gérard Gayot, art. cit. p. 84-87.
18 Michel Jean Sedaine, Le philosophe dans le savoir, 1765, Acte II, Scène 5.
19 Louis M. Lomüller, Guillaume Ternaux, 1763-1833, créateur de la première intégration industrielle française, Paris, Éd. de la Cabro d’Or, 1978.
20 Ibid., p. 100-101.
21 AN, F12 618, Mémoire sur les Établissements Ternaux, 1807.
22 Ibid., comme les mots nouveaux employés pour désigner de véritables innovations « organisation… ressort… système d’indépendance ».
23 Je dis bien « commerciale ». Car l’installation industrielle de Ternaux à Verviers en 1802, dans le département de l’Ourthe, là où Cockerill a introduit les fameuses mécaniques à filer dès 1800, a fait l’objet d’une étude récente : Gérard Gayot, « La classe ouvrière saisie par la révolution industrielle à Verviers, 1800-1810 », in Giovanni Luigi Fontana et Gérard Gayot, Wool : Products and Markets (13th-20th Century), CLE Université de Padoue – IFRÉSI – CNRS Lille, 2004, p. 653-686.
24 Leipzig, Stadtarchiv, Adreß-Post und Reise-Kalender, Leipziger Messen, 1820-1828, et Gérard Gayot « Les foires de Leipzig, grand magasin européen de draps (1750-1830) », in Luigi Giovanni Fontana…, op. cit., p. 1143-1174. Guillaume Ternaux est mentionné venant de Paris et de Sedan.
25 AN, 44 AQ 5, André de Neuflize, Travail sur la fabrication des draps, 1836.
26 Cité par Louis M. Lomüller, op. cit., p. 51.
27 Enquête en cours dans les bureaux de l’enregistrement de Lille, Roubaix, Tourcoing, Arch. dép. Nord, 3 Q 318, 431, 524.
28 Vérification faite dans les bons dictionnaires, ce mot employé à partir de 1794 pour désigner une « file de personnes qui attendent leur tour » n’est pas anachronique. Quant à savoir qui, en l’an II, faisait la queue et devant quoi ? les dictionnaires ne le disent pas.
29 Jean-Pierre Hirsch, Les deux rêves du commerce. Entreprise et institution dans la région lilloise, 1780-1860, Paris, Éd. de l’EHESS, 1991, p. 178.
30 AN, 44 A Q 5, André de Neuflize, Mémoires, 1836.
31 L. Montigny, Le Provincial à Paris. Esquisse des mœurs parisiennes, Paris, L’Advocat, 1825, 3 vol., t. 2, p. 150-160.
Ce travail est dédié à Madame Roxane Debuisson dont le « plomb » figure sur la plupart des factures qui l’illustrent. Avec patience et passion, elle a réuni plus de 50 000 factures anciennes – XVIIIe et XIXe siècle – qu’elle a classées pour Paris par nom de rue, et qu’elle met à la disposition de tout chercheur intéressé. Ce qui a été mon cas depuis près de 10 ans.
Nombre d’excellentes monographies de magasins lui sont largement redevables et le reconnaissent d’ailleurs chaleureusement, ainsi Piedade da Silveira, À Pygmalion et À la ville de Paris, Paris, CCM, 1998, la dernière parue, ou Françoise Tétart-Vittu, Des magasins de nouveautés aux grands magasins. Aux Deux Magots (1813-1881), Paris, CCM, 1993, la première du genre. Il va sans dire qu’une histoire de la consommation et des consommateurs en France au XIXe siècle ne pourrait se faire sans puiser dans cette belle source, si abondante et si facile d’accès… ni sans rendre hommage à Roxane Debuisson et à Florence, sa fille, qui l’accompagne dans l’aventure.
Auteur
Professeur à l’Université Charles de Gaulle-Lille 3, directeur de l’Institut fédératif de recherche sur les économies et les sociétés industrielles (IFRÉSI, FR CNRS 1768, Lille) et président de l’Association française des historiens économistes (AHEF). Il a entre autre publié : Les draps de Sedan (1646-1870), Paris, Éditions de l’EHESS, 1998 ; avec M. Scheidecker, Les protestants de Sedan au XVIIIe siècle. Le peuple et les manufacturiers, Paris, Champion, Genève, Slatkine, 2003, coll. « Vie des Huguenots », 31 ; avec G.L. Fontana, Wool: products and markets (13th to 20th century). La laine : produits et marchés (XIIIe-XXe siècle), XIIIth Congress International Economic History Association (IEHA) Session 16, Buenos-Aires, 26 juillet 2002, IFRÉSI-CNRS, Lille, CLEUP-Université de Padoue, 2004 ; Roubaix- Tourcoing et les villes lainières d’Europe. Découverte d’un patrimoine industriel, Villeneuve d’Asq, 2005, Presses universitaires du Septentrion, 2005, 95 p. ; « Réflexions sur les fraudes textiles », in Fraude, contrefaçon et contrebande de l’antiquité à nos jours, Études réunies par Gérard Béaur, Hubert Bonin et Claire Lemercier, colloque organisé par l’Association française des historiens économistes et le Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 5-6 novembre 2004, Genève, Droz, 2006, p. 431-514 ; « Les mots pour dire les bons et les mauvais usages dans la fabrication d’un drap noir 4/3 à Sedan au XVIIIe siècle », in Florence Charpigny, Françoise Cousin (dir.), Transgression, progression. L’erreur dans le textile, actes des journées d’études de l’Association Française pour l’Étude du Textile (AFET), 24-25 octobre 2003, Paris, AFET, 2007, p. 89-97.
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