Les ministères à l’épreuve de la réforme fusions-réorganisations à l’échelle du siècle Le cas du ministère des Finances 1918-1974
p. 13-40
Texte intégral
1Si l’on prend l’exemple du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, on observe depuis le début des années 2000 des mouvements importants de fusions1, de créations d’agences2 ou de restructuration de services. Cette actualité de la réforme administrative n’efface pourtant pas l’impression durable laissée dans l’opinion de l’existence de « blocages » administratifs et politiques dont le symbole le plus prégnant pourrait être sans doute la « réforme manquée » en 2000 de C. Sautter aux Finances3. Perception contrastée de la réformabilité de l’administration, image ambivalente de la réforme administrative, entre un réformisme permanent qui semble toucher les marges ou des secteurs bien ciblés de l’appareil d’État et l’immobilisme de « noyaux durs » ministériels inattaqués et inattaquables…
2Si l’on se penche sur la réforme administrative à l’échelle du siècle, l’étude du passé montre qu’au XXe siècle, l’administration des Finances ne cesse d’essayer de se réformer et qu’elle est l’objet d’un mouvement quasi permanent de changement, d’adaptation ou d’aggiornamento. Le découpage inédit du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, entre un ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique et un ministère de l’Économie, des Finances et de l’Emploi, réalisé par le récent gouvernement Fillon, ne peut manquer de retenir l’attention. Même s’il y a déjà eu historiquement de nombreuses combinaisons gouvernementales distinguant le ministère du Budget et le ministère de l’Économie et des Finances, c’est un nouveau départage qui s’affirme, une nouvelle orientation qui se dessine au regard de l’histoire longue du ministère de l’Économie et des Finances.
3En effet, toute l’histoire de ce département ministériel au long du XXe siècle est celle d’une création composite, d’une lente unification, en même temps que d’une métamorphose sinueuse et incertaine pour s’extraire de la gangue des seules finances publiques et pour annexer les champs économiques et industriels, selon le processus de « conversion des Finances à l’économie » que M. Margairaz a décrit pour la période 1932-19524. Tout se passe donc comme si l’on revenait en apparence à un état archéologique de l’appareil administratif français, à savoir un schéma binaire organisé autour d’un ministère des Finances publiques et d’un puissant ministère de l’Économie nationale, soit exactement le schéma rêvé par le Front populaire ou par le Gouvernement provisoire à la Libération. Or, ces deux expériences historiques ont échoué administrativement et politiquement en leur temps5 et elles ont cédé le pas au choix volontairement et continûment poursuivi pendant une cinquantaine d’années d’un ministère unifié Finances et Affaires économiques dont la forme la plus achevée et la plus étendue s’est sans doute réalisée en 1997 avec l’annexion de l’Industrie (MINEFI).
4Le découpage récent est donc à contre-courant de la tendance lourde qui a dominé l’histoire du ministère des Finances, mais il n’est pas non plus la pure et simple réédition des espoirs du Front populaire ou de la Libération, car il introduit des innovations, parmi lesquelles les unes ont pu à un moment ou à un autre être suggérées à tel ou tel moment du XXe siècle et les autres sont totalement inédites. Le regroupement du Budget, de la Fonction publique et de la Réforme de l’État est une formule qui a été largement évoquée sous la IVe République comme sous la Ve République, mais jamais réalisée explicitement dans les faits sous cette configuration. L’idée la plus courante, souvent évoquée par les experts du mécano gouvernemental, était de détacher la direction du Budget du ministère des Finances et de la rattacher au Premier ministre, qui pour sa part a toujours eu dans son escarcelle la réforme administrative. Jamais le contraire n’a été fait ni même évoqué, à savoir de ramener la direction générale de la Fonction publique, création debréienne intouchable depuis 1945 et conquête chèrement acquise par le Premier ministre, au sein du ministère des Finances. Or faut-il rappeler qu’historiquement, de 1919 à 1945, la direction du Budget a tenu lieu de direction de la Fonction publique et qu’elle a périodiquement revendiqué, notamment entre 1950 et 19596 et entre 1966 et 1974 à l’époque de la rationalisation des choix budgétaires, un rôle d’impulsion pour la réforme de l’État. Mais la véritable innovation consiste sans doute à adjoindre à la Fonction publique, au Budget et à la Réforme de l’État les Comptes sociaux, ce qui est pour le coup totalement inédit. Ce dernier schéma constitue donc une solution nouvelle à des problèmes de structure gouvernementale… posés depuis les années trente !
5Quoi qu’il en soit, le ministère des Finances au XXe siècle, qui se caractérise comme le reste de l’appareil de l’État par la croissance, l’expansion, la différenciation et la spécialisation de ses structures, a connu des mouvements conjoncturels et structurels de restructuration, de concentration, de rationalisation, de simplification, de fusion ou de suppressions. Nous nous proposons donc de prendre comme cas d’étude l’histoire administrative en accordéon de ce ministère depuis 1918 jusqu’au milieu des années 1970. Nous retracerons, à très grands traits, les étapes de sa réforme administrative, en distinguant trois grandes périodes chronologiques : l’entre-deux-guerres, la IVe République, et la première Ve République, auxquelles correspondent trois expériences intéressantes de réforme administrative, à des échelles tout à fait différentes, dans lesquelles se trouvent impliqués chaque fois les services des Impôts : les réformes Poincaré de 1926 ; la fusion du ministère des Finances et du ministère des Affaires économiques et la création de la DGI en 1948 ; la fusion des régies financières en 1968.
6Pour chaque période, nous tenterons de voir quelles réflexions générales cette histoire peut nous inspirer du point de vue de la réforme administrative et de sa conduite : comment la réforme se prépare-t-elle ? Quelles références ou quels modèles met-elle en œuvre, notamment étrangers ou organisationnels ? À quelles ressources humaines et d’expertise fait-elle appel ? Au nom de quoi est-elle mise en œuvre ? Quelles fins poursuit-elle ? Quelles justifications se donne-t-elle ? Quels concepts invoque-t-elle ? Quel contexte a-t-il permis sa mise en œuvre ? Des contraintes ont-elles pesé ou ont-elles été invoquées ? Quels acteurs ou quels organismes l’ont mise en œuvre ? Pourquoi réussit-elle ou échoue-t-elle ? Quel a été son calendrier ? Selon quelles temporalités la réforme a-t-elle été mise en œuvre ? Avec quels moyens ?
L’entre-deux-guerres ou l’invention de la réforme administrative
Les années vingt : les organisateurs au pouvoir 1918-1930
7Au sortir du conflit de 1914-1918, l’effervescence est grande dans le monde de l’organisation, de la rationalisation administrative et de « l’industrialisation » des services publics7. Le taylorisme et le fordisme américains exercent une forte influence sur le patronat et les milieux industriels français et trouvent leur pendant dans le développement spécifique d’un mouvement d’Organisation scientifique du Travail à la française, le fayolisme du nom d’Henri Fayol. Parallèlement, dans les milieux de la haute fonction publique, s’épanouit une réflexion spécifique sur la réforme administrative, de la part de conseillers d’État tels qu’Henri Chardon ou de polytechniciens inspecteurs des Finances comme Jules Corréard. « Prévoir, organiser, commander, coordonner, contrôler », voilà les nouveaux mots d’ordre adoptés par les organisateurs français, qu’ils appartiennent à l’administration privée ou publique. Passionnés par le perfectionnement de l’État, les réformateurs le veulent moins routinier, moins lent, moins « incapable », moins « encombré », moins bureaucratique, moins opaque, moins aveugle, bref plus efficace. Plusieurs modèles d’inspiration nourrissent leur réflexion, le modèle étatique et administratif allemand ou britannique, le modèle de l’armée que de nombreux hauts fonctionnaires ont expérimenté directement pendant quatre années de conflit, le modèle de l’entreprise qui s’impose notamment pour les services industriels de l’État (PTT, tabacs et allumettes).
8Outre ces travaux de comparaison théoriques ou pratiques, il faut bien dire que la réorganisation et la remise en ordre relèvent désormais de l’urgence et de la nécessité. En effet, l’État sort de la guerre dans un désordre indescriptible, notamment en matière de finances publiques et de comptabilité. L’urgence s’impose de trouver une meilleure organisation des services et de changer les méthodes de travail, afin de faire face à l’arriéré qui s’est accumulé dans la reddition des comptes publics, d’accroître les rendements des personnels et de concevoir les nouveaux dispositifs qui permettront de relever les défis de l’après-guerre en matière monétaire, budgétaire, fiscale, financière et économique. Enfin, dernier facteur qui plaide en faveur de la réforme administrative, la Chambre bleu horizon élue en 1920, désireuse de revenir « à la normale » et au libéralisme d’avant 1914, souhaite réduire le train de vie de l’État et réorganiser les services qui se sont gonflés au fil des exigences de l’État de guerre. Les réformes des années vingt aux Finances sont donc le fruit de cette conjoncture et de cette triple volonté des décideurs publics : rechercher des économies budgétaires en réduisant les effectifs et le périmètre de l’État ; résoudre les désordres administratifs, comptables et financiers hérités de la guerre ; adapter l’administration française héritée du XIXe siècle au nouveau rôle que l’État entend jouer.
9Plusieurs types de réformes vont avoir lieu aux Finances entre 1919 et 1926 : réformes organisationnelles de l’administration centrale en 1919-1923 (création de la direction du Budget8, réforme de la direction de la Comptabilité publique9) ; réforme budgétaire et juridique du contrôle des dépenses engagées de 192210 ; réformes Poincaré de rationalisation organisationnelle et d’économies budgétaires de l’été 1926, en application du rapport Louis Marin de décembre 192311.
10Penchons-nous un instant sur la fusion des Contributions directes et de l’Enregistrement, l’une des mesures-phares du programme de réforme administrative de Poincaré Président du Conseil et ministre des Finances. C’est une réforme décidée « d’en haut » par Poincaré lui-même qui y a réfléchi dès avant la guerre, menée sans concertation, contre l’avis de l’encadrement central des régies, étudiée néanmoins de longue date par de nombreuses commissions ou rapport parlementaires, préconisée bien sûr par l’Inspection générale des Finances, mais peu préparée dans ses détails organisationnels et matériels. La fusion ne touche ni les services centraux des directions générales ni les services départementaux, mais les cellules de base des Contributions directes et de l’Enregistrement12 ; au sommet, un directeur général unique chapeaute désormais les deux directions générales. C’est une réforme ambitieuse, à la fois de technique financière et fiscale, de rationalisation organisationnelle, d’économies budgétaires et de simplification administrative (marier deux métiers, redéployer territorialement et professionnellement les agents, éliminer un échelon administratif inutile). C’est aussi une réforme sociale et politique qui cherche à prendre en compte la modification du rapport villes/-campagnes et qui s’intègre dans un plan plus général de simplification des structures et des circonscriptions administratives françaises héritées du XIXe siècle (supprimer l’arrondissement). Mais c’est une réforme fragile, menée par une coalition incertaine, qui regroupe le Président du Conseil ministre des Finances, la rationalisatrice Inspection des Finances et le syndicat de l’Enregistrement, mais se heurte à une forte résistance des échelons intermédiaires, des administrations fiscales centrales et surtout du syndicat des contrôleurs des Contributions directes. Les soutiens parlementaires, à une époque où la Chambre est reine et ne manque pas de relais syndicaux, sont trop faibles, trop instables et trop peu nombreux. La réforme est rapportée par le ministre F. Piétri, en juin 1931, et en 1934, les dernières recettes-contrôles disparaissent. Cette réforme Poincaré des services fiscaux, qui a laissé un bilan contrasté et controversé notamment chez les syndicalistes réformateurs, est la seule tentative de fusion de services aux Finances et même la seule réforme administrative d’envergure aux Finances dans l’entre-deux-guerres. Cet échec laissera des traces durables dans la mémoire administrative des décideurs et des personnels.
La crise des années trente et les impuissances de la réforme administrative 1932-1935
11Dans les années trente, le contexte change radicalement ; l’heure est à la crise économique, financière et budgétaire. Les méthodes des « organisateurs » sont à nouveau convoquées, mais dans un contexte de déflation budgétaire aigu. Elles sont mobilisées pour tenter de réaliser des réformes de compression et pour réduire le train de vie de l’État, mais elles deviennent secondaires à côté des deux autres types de dispositifs qui passent désormais au premier plan : 1° le resserrement du contrôle financier dans les ministères et sur les Offices13 ; 2° les dispositifs successifs d’économies budgétaires14. Pourtant, on le sait, cette politique de déflation a eu des résultats modestes et peu convaincants : peu de fusions dans les ministères et les administrations centrales, peu de suppressions de services et pire, peu de suppression d’emplois. Des leçons sévères en seront tirées par les contemporains après la guerre : les commissions d’économies ne servent à rien !
La prudence réformatrice du Front populaire
12Il faut attendre le Front populaire pour rompre avec la déflation budgétaire. L’heure n’est plus aux fusions, mais à la segmentation et la spécialisation de l’Administration centrale des Finances, qui s’accroît en 1936 par scission de la direction du Budget d’une nouvelle direction, la direction du Contrôle financier et des Participations publiques15. L’heure est aussi à la dilatation de l’appareil d’État qui s’enrichit d’un nouveau département ministériel, le ministère de l’Économie nationale16. Le Front populaire, en dépit des efforts réalisés par le Centre d’organisation scientifique du Travail créé au ministère de l’Économie nationale, en dépit des offres d’organisateurs privés tels que Paul Planus, Jean Coutrot ou Jean Milhaud17, ne réalise au niveau de l’Administration centrale des Finances que des réformes de commandement et de coordination. Georges Mer, cadre syndicaliste de l’Enregistrement, responsable du groupement réformiste L’État moderne18 est bien nommé secrétaire général au ministère des Finances en charge du contrôle des administrations financières, c’est-à-dire de la législation fiscale et du personnel des Finances, mais Vincent Auriol, en dépit de projets qui figurent dans ses cartons, ne se risque pas à rouvrir le dossier de la réforme des services fiscaux. C’est finalement la Cour des comptes qui se voit réformée en septembre 1936 et dotée d’une chambre supplémentaire, la quatrième chambre, pour mettre en œuvre les réformes toutes récentes de la comptabilité administrative et du contrôle financier de 1935 et 193619.
13Pour conclure, l’entre-deux-guerres a expérimenté presque tous les types de réformes administratives : organisation, commandement, stratégie, coordination, rationalisation, simplification, économies budgétaires, procédures, outils de gestion ; de ce point de vue, c’est une période-matrice pour le reste du XXe siècle. Du point de vue des méthodes, la conduite de la réforme administrative dans l’entre-deux-guerres est marquée par deux aspects opposés, d’une part, la collégialité, sorte de polysynodie permanente, appuyée sur des commissions omniprésentes et d’autre part, le recours brutal à la procédure des décrets-lois. C’est enfin le moment où se met en place le vaste débat jamais résolu qui oppose les partisans de la réforme menée d’en haut et ceux de la réforme menée d’en bas, les partisans de la réforme menée de l’intérieur ou ceux de la réforme menée de l’extérieur, avec ou sans recours à un organisme spécialisé…
Un âge d’or de la réforme administrative 1945-1960 : rationalisation et productivité
Constitution d’une science administrative appliquée : rationalisation et productivité
14Après avoir connu successivement la guerre, l’Occupation, le régime de Vichy et la Libération, l’État est à nouveau plongé dans un désordre administratif indescriptible, moins du côté des comptes comme en 1918, que du côté des structures administratives. Les observateurs réclament la disparition des services « politiques » liés au régime de Vichy ; ils soulignent et dénoncent la prolifération des services économiques et sociaux à tous les échelons (central, régional, départemental, municipal), suscités par la pénurie, le contrôle des populations et les nécessités d’une reconstruction organisée.
15Cet âge d’or du désordre administratif constitue l’âge d’or de la réforme administrative par excellence ; il offre aux organisateurs de tout poil un terrain d’observation et d’action privilégié, pour la construction et le développement d’un discours « rationalisateur », pour la chasse aux doubles emplois, et pour tous les projets de réorganisation ou de restructuration possibles et imaginables. Et ce n’est pas un hasard si c’est dans cette décennie, dans la mouvance des Finances, que vont s’affirmer ou se développer dans le champ de la réforme administrative de nombreux organismes tels que le Comité Central pour l’Étude des Coûts et Rendements des Services Publics de Gabriel Ardant (CCECRSP)20, la direction du Budget à partir de 194921, les bureaux Organisation et Méthode, le Commissariat général à la Productivité et ses départements « Administration » et « Organi-sation », l’Institut des Techniques d’Administration Publique (ITAP)22…Vont dominer dans la période toute une série de mots d’ordre tels que organisation, fusion, enquêtes, coûts et rendements, budget fonctionnel, prix de revient des services publics, organisation et méthodes, productivité…
Réorganiser l’Administration centrale des Finances et des Affaires économiques
16Au ministère des Finances, après la mauvaise passe de la Libération, – le ministère des Finances est entre 1944 et 1947 un ministère amoindri, contesté et concurrencé –, la grande affaire du ministère, c’est sa fusion avec le Ministère des Affaires Économiques (MAE), créé sous le nom de ministère de l’Économie nationale par le GPRF en 1944, confié un temps à Pierre Mendès France, gigantesque fourre-tout composé de plus de quinze directions et services, champion des doubles emplois et des désordres administratifs, rattaché en 1948 aux Finances par un ministre réformateur, René Mayer. Commence alors une œuvre de fusion et de rationalisation de longue haleine, qui va durer plus de dix ans jusqu’au début des années 1960.
17Cette fusion constitue un terrain privilégié d’étude, d’analyse, d’enquête et d’intervention de 1948 à 1954 pour tous les organes de réforme administrative, notamment pour le CCECRSP qui y travaille régulièrement de 1946 à 1953. C’est aussi une mine de réflexion pour les dirigeants du ministère, notamment à partir du gouvernement Mendès France et ce jusqu’en 1958, quand une série de rapports sont commandés par les ministres à des hauts fonctionnaires ou à des directeurs du ministère pour réviser l’organisation de l’appareil économique et financier de l’État23. Sans résultats probants, comme on le sait, compte tenu de la crise politique et institutionnelle qui paralyse le régime à la fin de la IVe République.
18Échec donc de la réforme macro-administrative, mais pas échec de la réforme micro-administrative. En effet, de 1948 à 1958, à défaut d’une réforme ministérielle de plus grande envergure, on observe l’effort continu et persévérant des chefs de service des Finances pour moderniser leur direction et la mettre en ordre de bataille24 : réforme des procédures, du recrutement et de l’encadrement, de l’organisation des bureaux, du pilotage, du commandement, de la stratégie et de la prévision. Cet effort se traduit aussi par un rabotage constant des services du ministère des Affaires économiques et par le discret mais non moins efficace « dépeçage » de ses fonctions stratégiques au profit des grandes directions du ministère des Finances. Dans cet effort d’auto-réformation, il y a là un modèle caractéristique de la réforme administrative aux Finances sous la IVe République : la réforme appartient aux chefs de service du ministère et aucun organisme extérieur n’a de légitimité pour intervenir aux Finances.
Le cas de la création de la DGI en 1948
19Pour illustrer ce mouvement de réforme du commandement et de la stratégie, il nous faut nous pencher sur le cas de la création de la direction générale des Impôts en 194825. C’est une décision majeure, mais qui va mettre vingt ans à entrer dans les faits, du fait de la résistance des structures, des personnels et des syndicats. Pourquoi et comment cette réforme a-t-elle été réalisée26 ? Il y a en premier lieu l’arrivée de René Mayer, ministre réformateur déterminé au poste de ministre des Finances et la mise en place d’un nouveau contexte politique et financier (rigueur, inspiration libérale, volonté d’aboutir sur la modernisation fiscale et administrative) ; puis le rôle d’une poignée de hauts fonctionnaires modernisateurs, Pierre Allix, Maurice Lauré, Paul Delouvrier, Jacques Delmas, Pierre de Calan ; la mémoire longue de l’Inspection générale des Finances ; l’influence des missions de productivité et d’organisation aux États-Unis dans le cadre de l’aide Marshall (Lauré a été responsable d‘une mission en 1950) ; l’urgence de la réforme fiscale qui s’impose à tous pour affronter les défis de l’économie moderne ; la prise de conscience d’une nécessaire réorganisation des services pour lutter contre la fraude et accroître les rendements… Les syndicats, pour leur part, ne manquent pas d’ajouter à tous ces motifs « nobles » quelques considérations politiques, de personnes, de postes et de défense du corps de l’Inspection des Finances, cette dernière cherchant selon eux à reprendre la main après la poussée de la Libération et à protéger ses accès aux postes dirigeants du ministère.
20Comment a été conduite la réforme ? C’est une réforme d’en haut, voulue par le ministre des Finances, sans consultation préalable des syndicats ni des directions, comme en 1926 ; c’est une réforme de cabinet. Mais, extrême prudence, la réforme ne touche pas les services extérieurs, elle ne touche que la coordination supérieure, pas même les administrations fiscales centrales. La fusion totale des services est repoussée à un avenir indéfini, sous réserve d’une harmonisation préalable des statuts du personnel des trois régies. Les dirigeants ont, semble-t-il, tiré les leçons de la fusion manquée de 1926. Un conseil d’administration central est créé, qui se superpose aux conseils d’administration des régies, ainsi qu’un directeur général et un directeur général adjoint chargé de coordonner les trois administrations centrales. Le Bureau de Législation fiscale, instrument stratégique de la coordination, est rénové et rattaché directement au directeur général ; un Service de la Coordination chargé d’unifier le recrutement et la formation professionnelle des agents et de préparer la réforme des statuts et des carrières est créé et rattaché lui aussi à la direction générale. Bref, c’est un véritable état-major qui se constitue, modestement présenté comme un organe de coordination et d’étude. Le dispositif est complété, comme en 1926, par la création d’une école commune aux trois régies, l’École nationale des Impôts, qui ouvre ses portes en 1951 et dispense un enseignement identique pour tous en première année tout en préservant une spécialisation en fin d’étude ; le but est de former un socle générationnel sur lequel pourront s’appuyer des réformes futures. La décision suscite quelques réactions de méfiance chez les syndicats, mais pas d’opposition frontale : la réforme ne touche pas les services, elle rajoute simplement un échelon dirigeant et coordinateur aux trois administrations centrales. En revanche, les services et les syndicats vont opposer à la poursuite de la fusion une formidable capacité d’inertie et de résistance.
21Dans le même temps, la DGI va vivre une autre expérience de fusion, entre 1950-1955, dans le cadre de la création du contrôle fiscal unique et du renforcement de la lutte contre la fraude, avec la création des brigades de polyvalents sous l’impulsion de M. Lauré, responsable du Service des Études et de Contrôle fiscal27. Cette innovation administrative, qui consiste à faire effectuer par un seul agent la vérification de tous les impôts d’une entreprise, contestée en interne par les syndicats dans ses résultats comme dans ses méthodes, va se télescoper avec une législation renforcée en matière de lutte contre la fraude et contre l’opposition au contrôle fiscal (amendement Dorey du 8 juin 1954), créant ainsi les conditions de l’explosion poujadiste. Il a fallu en conséquence résoudre la crise poujadiste, obstacle devenu rédhibitoire à toute modernisation de l’administration fiscale, tant dans ses dimensions internes et administratives qu’externes, sociales, économiques et politiques, avant de pouvoir reprendre en douceur le train de la réorganisation administrative28. Là encore, le souvenir des polyvalents, symbole de la modernisation des administrations financières et vitrine de la productivité fiscale des années cinquante, incitera à la prudence et à au principe de précaution dans la conduite des réformes.
La dernière grande Commission de réorganisation administrative et la résistance de Finances 1959-1961
22À la fin de notre période, marquée par un certain immobilisme des structures, il se produit à la charnière de la IVe et de la Ve République un énorme effort de réorganisation administrative à l’échelle de l’appareil gouvernemental tout entier. En effet, dans la foulée du plan de redressement économique et financier de décembre 1958, le Premier ministre Michel Debré, inspiré par le Comité de réforme administrative créé par P. Reynaud en 1938, installe début 1959 une grande Commission dite « de l’article 76 » rattachée au secrétaire d’État aux Finances29, dont les missions prioritaires sont la suppression des doublons, la fusion des services, la réduction des effectifs et des emplois. Le travail de « meccano » gouvernemental va durer près de trois ans.
23Aux Finances, c’est le branle-bas de combat pour les directions placées dans la ligne de mire du Premier ministre : le Trésor public et son réseau de perceptions, perçu comme archaïque ; la DGI et la fusion toujours ajournée de ses régies ; la fusion voulue par F. Closon, directeur de l’INSEE du Service des Études Économiques et Financières (SEEF) et de l’INSEE ; la fusion des deux Commissariats généraux au Plan et à la Productivité ; la suppression de la direction de la Coordination économique et des Entreprises nationalisées partagée entre le Trésor et le Budget. Sans parler des initiatives personnelles de M. Debré qui souhaiterait créer un grand ministère du Commerce extérieur. Le ministère des Finances tout entier entre en résistance passive. Les résultats de ce grand remue-ménage restent du coup fort modestes : une seule direction centrale supprimée ; une seule fusion, celle du Commissariat au Plan et celui à la Productivité ; peu de suppressions d’emplois à l’Administration centrale. En revanche, on relève une réorganisation durable et porteuse d’avenir de l’INSEE et du SEEF et un acquis définitif : l’achèvement de la fusion du ministère des Finances et du ministère des Affaires économiques, au bénéfice total des Finances, puisqu’il ne reste de l’héritage de la Libération que la DREE et la direction des Prix elle-même en plein maelström. Cette réorganisation s’est faite au prix d’une énergie considérable dépensée par le Premier ministre, qui en tire la leçon selon laquelle, pour réformer un département ministériel, mieux vaut être aux commandes directes du ministère concerné.
24Sous la IVe République, en dépit de nombreux projets et de promoteurs actifs de la modernisation, la réforme administrative n’avance que lentement, par bonds, à la faveur de fenêtres d’opportunité politique imprévisibles. Il faut sans doute incriminer la résistance des corps, des syndicats et des services qui défendent leur existence en invoquant leur expertise, mais aussi celle des élites administratives et des dirigeants qui répugnent au changement. Des vraies divergences sur le fond quant aux réformes à mener et sur le rythme à leur imprimer ralentissent la prise de décision, tandis que la crise de l’exécutif à la fin du régime la paralyse. Ce n’est qu’au début de la Ve République que des décisions de réorganisation administrative sont prises, mais à l’issue d’une dépense d’énergie considérable et d’une résistance non moins considérable et sans qu’aient été véritablement questionnés les finalités de cette réforme administrative et au-delà, le rôle et la place de l’État.
De la recherche de l’efficacité à la réforme du management ? 1962-1971
Une Administration centrale des Finances entièrement modernisée 1960-1971
25La décennie s’ouvre sur un contexte beaucoup plus favorable que celui par lequel la précédente a fini : croissance économique, maîtrise budgétaire même si des inquiétudes apparaissent à la fin de la période sur la croissance des « services votés » ; un État en expansion, dopé par le discours des gouvernants qui, au plus haut niveau, insistent sur la « restauration » de l’État et du service public30. Sur le terrain institutionnel, on observe une véritable créativité administrative avec l’institution de nouveaux départements ministériels (Affaires culturelles), combinée avec une recherche forte de coordination et d’impulsion par le biais des délégations (la DGRST, la DATAR, la DGA etc.)31.
26Aux Finances, après le raidissement initial causé par la Commission de l’article 76, le travail impulsé par cette dernière se poursuit, mais cette fois-ci dirigé par les ministres eux-mêmes, successivement Valéry Giscard d’Estaing et Michel Debré. Il y a là une véritable œuvre commune et continue des deux ministres, des directeurs d’administration centrale et de la direction du Personnel et des Services généraux, afin de simplifier, clarifier et concentrer les structures de l’Administration centrale. Sont menés de front deux types de modernisation : d’un côté, des réformes du pilotage et de la stratégie (services centraux de la DGI en 1960, fusion de la direction du Trésor et des Finances extérieures, création de la direction de la Prévision en 1965, réorganisation de la DREE en 1964-1965 et de la direction du Budget en 1965-1966, définition du rôle économique du TPG en 1964). De l’autre, des réformes d’organisation et de rationalisation (réorganisation de la DREE et de la direction générale du Commerce intérieur et des Prix en 1962)32. De 1960 à 1966, toutes les directions du ministère sont retouchées, dessinant une Administration centrale rationalisée, simplifiée et rénovée. En 1966, Michel Debré nouvellement nommé peut enfin modifier symboliquement la titulature du ministère et manifester ainsi ses priorités : ministère de l’Économie et des Finances33. Reste la réforme des services dits extérieurs, grand chantier de la décennie 1958-1968, tant pour le Trésor public, les Douanes que les Impôts. Seule sera véritablement menée celle des Impôts.
La fusion des régies en 1968
27C’est dans la continuité de la réorganisation de l’Administration centrale effectuée en 1960 que s’opère en 1968 la fusion des trois régies financières, plus le Cadastre. Les travaux de préparation de cette réforme, en concertation avec les syndicats, ont commencé dès 1958, voire dès 1954, conduits continûment et avec persévérance par les directeurs généraux des Impôts successifs, R. Blot, M. Laxan et D. de La Martinière. Une première étape a consisté à unifier les statuts et les corps des fonctionnaires concernés, travail qui s’est étendu de 1950 (la catégorie C), à 1954 (la catégorie B) jusqu’en 1957 (la catégorie A) et qui s’est accompagné d‘une harmonisation progressive des traitements et indemnités de chacun des corps concernés. Il a fallu également re-découper géographiquement les circonscriptions de base des trois régies pour les faire coïncider et pouvoir regrouper les agents dans des locaux communs, travail qui a duré de 1948 à 1963 ; parallèlement, un nouveau projet de fusion entre les Contributions directes et l’Enregistrement est mis à l’étude entre 1954 et 1959, avec des expérimentations départementales qui ont duré de 1956 à 1964 et des expérimentations régionales à partir de 1960. Le principe d’une fusion « à trois » avec les Contributions indirectes est finalement retenu le 17 décembre 1964. La mise en place des IFAC (Inspection Fusionnée d’Assiette et de Contrôle) commence dès 1964 par des expérimentations dans quatre départements-pilotes et dans les nouveaux départements de la région parisienne. L’ENI qui a unifié ses filières s’installe en 1966 à Clermont-Ferrand. En dépit d’une grève très suivie en mars 1968, la décision de la fusion définitive est prise par M. Debré ministre des Finances et le CTP de juillet 1968 entérine définitivement la nouvelle organisation34. La fusion a donc été une décision préparée de très longue date, prise in extremis à la veille de mai 1968…
28M. Debré a abouti sur le chantier de la DGI en quelques mois. Pourquoi ? On peut énumérer au moins douze raisons. 1° Une préparation longue et minutieuse, étalée sur près de quinze ans, sous la responsabilité du Service de la Coordination, rythmée par de nombreuses étapes intermédiaires et de nombreuses expérimentations préalables dans des départements pilotes, de taille et de nature très différentes ; 2° La continuité du management directorial et de la politique fusionniste menée conjointement par les ministres et les directeurs généraux ; 3° Le charisme de M. Debré ministre réformateur, volontariste et déterminé, qui suscite la confiance chez les partenaires sociaux mais sait également faire l’usage de la menace et de la force, notamment face à la grève ; 4° Le choix des hommes en charge de la réforme, avec la présence d’un double tandem réformateur, le tandem Debré/La Martinière, celui-ci recevant en tant que directeur général la mission de conduire la fusion et d’aboutir, associé au tandem La Martinière-Roché, celui-là acceptant en tant que responsable syndical au SNACI-CGT de jouer le jeu de la concertation et de la négociation ; 5° L’importance d’une véritable concertation entre pouvoirs publics et syndicats, avec dès 1958 une consultation régulière des personnels à travers les instances paritaires, l’organisation de groupes de travail spécialisés et la conduite de véritables négociations de février 1967 jusque janvier 1968 pour définir « les contreparties sociales et financières » du changement ; 6° Une prise de conscience générale de la part des acteurs administratifs, politiques et syndicaux de la nécessité rationnelle de la fusion, notamment chez les jeunes agents formés à l’ENI qui y ont vu un intérêt pour leur carrière autant que pour leur métier ; 7° Un affichage positif et moderniste de la réforme, qui évite le discours moins-disant, sacrificiel ou stigmatisant pour les agents ; 8° Des compensations financières importantes en primes, en grades, en créations d’emplois, en améliorations matérielles ou symboliques35 ; 9° Une conjoncture politique et budgétaire favorable, qui a permis l’ouverture de crédits pour créer 770 centres des Impôts et 780 recettes des Impôts et qui vérifie le principe selon lequel aucune réforme administrative ne peut se faire à budget constant ; 10° La prise au sérieux des aspects matériels et techniques, avec la mise au point d’un modèle immobilier semi-industrialisé de centre des Impôts et le lancement d’un plan d’équipement informatique en électronique de gestion ; 11 ° La prise en compte des besoins du personnel, avec la mise en place d’un réseau de centres régionaux de formation continue et professionnelle ; 12° Une information accrue des agents et une communication resserrée entre le centre et la base.
29Au final, la détermination de Michel Debré a eu raison du mouvement social de mars 1968 et de sa « surenchère revendicative » ; la fusion des régies est la plus grande réforme menée par l’administration des Finances au XXe siècle. Par-delà les deux ultimes années de négociation, la réforme des administrations financières se sera donc étalée sur vingt années, de 1948 à 1968. Le coût de cette réforme, à notre connaissance, n’a jamais été chiffré ; son évaluation demanderait une étude spécifique, d’autant moins commode à réaliser qu’elle s’étale sur plusieurs années et qu’elle se nourrit de plans successifs d’harmonisation ou de revalorisation indiciaires, étapes préalables à toute réforme des structures.
30Si Michel Debré a abouti sur le dossier de la fusion des Impôts, il n’a rien entrepris de conséquent sur la réforme du Trésor Public, pourtant réclamée depuis la Libération par toutes les commissions de réforme administrative. On peut légitimement penser que s’il avait disposé de plus de temps, Michel Debré s’y serait sans doute attaqué ainsi qu’aux Douanes36. Les événements de mai 1968 en ont décidé autrement.
La RCB : un discours sur la méthode au service de la réforme administrative ?
31La fin des années 1960, c’est aussi le lancement de la Rationalisation des Choix Budgétaire (RCB)37 : mûrie sous V. Giscard d’Estaing, dès 1964-1965, décidée en janvier 1968 par M. Debré, la RCB est officialisée le 27 avril 1968. Deux ans plus tard, Valéry Giscard d’Estaing redevenu ministre des Finances installe la Commission interministérielle de la RCB le 17 novembre 1970.
32La RCB à l’échelle macro-étatique a donné lieu à une pluralité de conceptions et d’usages : évaluation des résultats de l’action publique pour les uns ; rationalisation des investissements publics pour les deuxièmes ; perfectionnement du pilotage stratégique de l’État pour les troisièmes ; instrument de management et de réforme administrative pour les quatrièmes ; voie d’une future réforme budgétaire (programmation pluriannuelle) ou instrument d’économies budgétaires pour les cinquièmes ; moyen détourné d’obtenir des crédits d’étude pour les derniers, la RCB lancée par les Finances grâce à une alliance entre la direction de la Prévision et la direction du Budget a été une véritable auberge espagnole. Elle a nourri des espoirs de rationalisation des structures administratives et de suppression de doublons, mais, au final, elle a surtout abouti à la création et au développement de services d’études dans tous les ministères, au gonflement des services centraux comptables, économiques et informatiques et à l’intervention de cabinets privés en organisation ou en informatique.
33Quant à la RCB aux Finances, elle s’est traduite par un énorme chantier d’enquête administrative, renouant avec la tradition du meccano ministériel dans la lignée du rapport Bloch-Lainé de 1956. Ce chantier est l’œuvre de la mission Huet, créée par M. Debré en mars 1968. Philippe Huet, inspecteur des Finances, ancien directeur de cabinet de P. Ramadier en 1956, ancien directeur général de la direction des Prix, proche de M. Debré, appuyé sur une équipe de cadres du ministère et de jeunes chargés de mission ingénieurs, informaticiens ou statisticiens, y travaille pendant trois années consécutives.
34La mission Huet constitue une sorte de micro commission de l’article 76, consacrée à l’administration des Finances. Au programme de la mission Huet, au printemps 1968, M. Debré inscrit comme premières études d’urgence la localisation des 3 500 perceptions, prochain dossier qu’il se réserve de traiter après les Impôts, la gestion du domaine immobilier de l’État, vieux serpent de mer déjà évoqué lors des travaux de la Commission de l’article 76, la réforme de l’impôt sur le revenu (le rêve de tout ministre des Finances), l’étude des structures et des missions ainsi que la prospective du ministère de l’Économie et des Finances. Viennent s’ajouter en cours de travaux de nouveaux thèmes tels que la circulation de l’information, l’introduction des « méthodes modernes » de gestion, l’informatisation etc. Il n’est pas prévu de faire appel à un quelconque cabinet en organisation, ni à des organismes d’étude ou de conseil externes ; c’est l’INSEE qui se voit confier le traitement quantitatif et anonyme des enquêtes menées au sein des directions centrales et c’est la mission Huet qui se charge de la rédaction confidentielle des rapports d’enquête. Deux entorses seront néanmoins faites à ce principe d’internalisation des études : la commande au Centre de Sociologie des Organisations de M. Crozier d’une étude sur les services extérieurs du Trésor (SET) et le financement par la mission Huet de l’intervention du cabinet Mac Kinsey à l’INSEE.
35Quel a été l’impact de la RCB sur l’Administration centrale des Finances, en dehors de la création de la mission Huet ? Elle est bien sûr à l’origine de la création en 1968 de la sous-direction C de la RCB à la direction de la Prévision, à l’origine aussi de l’étoffement des bureaux d’études budgétaires et informatiques ainsi que du recrutement de nombreux chargés de mission à la direction du Budget, finalement réunis dans une sous-direction des Études budgétaires à partir de 1972. Elle est aussi à l’origine de la création d’une cellule RCB à la direction du Personnel et des Services généraux, au sein de la sous-direction de l’Organisation. Hormis ces créations administratives, son impact direct semble avoir été assez faible et ne pas s’être particulièrement traduit par des fusions de services. Il est en effet difficile de rattacher la fusion des régies à la RCB, compte tenu de la longueur du temps de préparation de la réforme, même si M. Debré a pu retrouver des arguments rationalisateurs qui lui étaient familiers. En revanche, l’étude Crozier sur les SET s’y rattache directement, mais elle n’a pas eu de suites directes au sein de la direction de la Comptabilité publique. Plus indirectement, c’est tout un vocabulaire, des façons de penser, des raisonnements, des comportements que la mission Huet, la direction du Budget et la direction de la Prévision ont essayé d’acclimater aux Finances, par l’organisation de stages d’information, de missions de formation en France ou même aux États-Unis, par la tenue de séminaires ou par la diffusion d’études microéconomiques RCB. Les archives de la mission Huet témoignent de ce travail d’imprégnation et de pédagogie, en direction des cadres du ministère.
36La mission clôt ses activités en décembre 1971 par un rapport, le rapport Huet. C’est un rapport-fleuve, de plus de 2 000 pages, en deux volumes, le premier consacré à la réforme des structures du ministère et de ses missions ; le second à la rénovation de la gestion du ministère et « aux voies de recherche d’une plus grande efficacité ». Le diagnostic sur le ministère est le même que celui du Club Jean Moulin en 196838 : un ministère obèse, aveugle, lourd, un État gestionnaire au lieu d’un État stratège39… Le rapport Huet liste toutes les incohérences et tous les doublons, soit en interne au niveau des directions du ministère, soit avec d’autres ministères (Industrie, Affaires étrangères). Les remèdes sont pour les uns classiques, restructuration interne des directions et des services, pour les autres parés de l’habillage de la modernité, responsabilisation des directions avec l’institution de directions « chefs de file », resserrement de l’administration centrale sur les tâches de conception et sur la définition des stratégies, déconcentration et décentralisation pour les services extérieurs, informatisation, mobilité des cadres, circulation de l’information, mesures des résultats, politique de relations publiques. Le rapport Huet se caractérise par une tonalité technicienne, positive et quasi scientifique : il ne prononce guère le mot « économies », jamais les mots « abus » ou « gaspillages » comme on l’aurait fait dans les années trente ou cinquante en recourant à un registre moral, mais autant de fois qu’il le peut « rationalité, efficacité, performance, résultats, évaluation, indicateurs »…
37Le rapport Huet est resté en apparence lettre morte et inexploité. Critiqué par les directeurs jaloux de leurs prérogatives, reçu froidement par V. Giscard d’Estaing selon le témoignage de P. Huet lui-même, resté confidentiel et non publié, il ne semble pas avoir suscité l’enthousiasme. Or, tous les directeurs ont disposé du rapport ou du moins des notes consacrées à leur direction et ont pu s’approprier telle ou telle analyse. Outre un salutaire et sévère exercice critique, outre un véritable travail de réflexivité tel qu’il n’en a jamais existé d’aussi approfondi auparavant dans l’histoire du ministère et outre l’intéressant « souci de soi » qu’il manifeste40, le rapport Huet est aussi une mine de réflexions et de solutions.
38En ce qui concerne les structures, on y trouve la proposition de création d’un Secrétariat général du ministère en charge des politiques de modernisation aux Finances, une vaste réorganisation de la direction du Budget qui inspirera la réforme menée par Déroche en 1974-1975, la proposition de fusionner la direction du Trésor et celle des Assurances, la suggestion de créer une direction pour les Relations avec le public… On y lit également des propositions plus étonnantes telles que la création de directoires pour coordonner des secteurs entiers d’intervention : un directoire de l’Information économique et de la Prévision (INSEE et direction de la Prévision) ; un directoire de la Concurrence et des Échanges (direction générale du Commerce intérieur et des Prix, DREE) ; un directoire des activités fiscales, douanières et domaniales en fusionnant la DGI et les Douanes, avec à terme le rattachement des activités de recouvrement de la Comptabilité publique ; un directoire de la Dépense publique par le regroupement de la Comptabilité publique, de la Dette, du Budget et des Contrôles. Le rapport insiste aussi fortement sur la mise en place d’un contrôle de gestion a posteriori…
39Quinze ans après le rapport Bloch-Lainé de 1956, les travaux de la mission Huet constituent un véritable effort méthodique de réflexion et de prospective sur le rôle et les missions du ministère de l’Économie et des Finances41. Les termes eux-mêmes de cette réflexion sonnent aujourd’hui familièrement à nos oreilles : organisation, structures, missions, objectifs, programmes, résultats, indicateurs, évaluation. Même si les résultats en sont restés confidentiels, ces travaux ne sont pas demeurés refermés sur le ministère, mais se sont nourris de modèles ou de références intellectuelles externes, qui sont venus parer la réforme de mille séductions : le Planing-Programming-Budgeting-System américain de Mac Namara, l’influence de Michel Crozier et du Centre de sociologie des organisations, l’exemple de la gestion des entreprises nationales et même des entreprises privées (direction par objectifs, recherche opérationnelle, directoire) ; les objurgations du Club Jean Moulin…
40Les réformes des années 1960 et du début des années 1970 aux Finances ne sont pas de simples réformes de rationalisation, d’économies budgétaires ou de compression comme dans les années 1930 ; elles ne sont pas de simples réformes d’organisation ou de productivité comme sous la IVe République, elles se préoccupent avant tout d’efficacité et de management ; enfin, avec la RCB, pour la première fois depuis 15 ans, elles s’accompagnent d’une réflexion articulée sur les finalités et les objectifs de l’action de l’État dans le domaine économique et financier. À l’échelle macro administrative, la RCB n’a pas rempli les espoirs que certains avaient pu mettre en elle en termes de resserrement de l’État ou de stabilisation de l’appareil administratif42. Mais elle a su, par ses méthodes, son habillage moderne et technique, mettre en mouvement et rénover la gestion d’un certain nombre de départements ministériels, parmi lesquels au premier chef, les Finances.
*
41La crise économique de 1973 va, dans un contexte économique contraire, interrompre cette réflexion prometteuse et instaurer d’autres priorités ; elle va provoquer la sédimentation d’une nouvelle couche d’administration au ministère de l’Économie et des Finances, avec la création de structures d’intervention pour les entreprises en difficultés (le CIASI, le CIRI, l’IDI). Les nationalisations de 1981 renouent avec le fil des extensions économiques du périmètre de l’État, nationalisations elles-mêmes concomitantes des lois de décentralisation dont on connaît les effets sur la naissance et le développement d’une fonction publique territoriale. Les années 1990 enfin parachèvent les ultimes réalisations de l’État-Providence, laissant à leur tour leur trace dans l’organisation administrative et sociale du pays. Le mouvement de croissance séculaire de l’État est là, puissant, en apparence inexorable.
42Pourtant, à la fin des années 1980, coup d’arrêt brutal ou retournement structurel, les réformes des privatisations qui redessinent pour la première fois, en le restreignant, le périmètre de l’État constituent dans le domaine économique et financier les premières réformes structurelles, à contre-courant de tout le mouvement du siècle…
43Le XXIe siècle aurait-il commencé pour le ministère des Finances en 1986 ?
Notes de bas de page
1 Cf. « La création de la direction générale du Trésor et de la Politique économique : un regard d’historiens », Les Notes Bleues de Bercy, n° 283, janvier 2005.
2 Création en 2000 de l’Agence de la dette, en 2001 de l’Agence française pour les investissements internationaux, en 2004 de l’Agence Ubifrance pour le soutien aux exportations, en 2004 toujours de l’Agence des participations de l’État, plus récemment en 2007 de l’Agence du patrimoine immatériel de l’État.
3 N. Tenzer, France : La réforme impossible ?, Flammarion, 2004 ; R. Fauroux et B. Spitz (dir.), Notre État, R. Laffont, 2000 ; T. de Montbrial (dir.), Réformes-Révolutions. Le cas de la France, PUF, 2003.
4 M. Margairaz, L’État, les finances et l’économie. Histoire d’une conversion, Comité pour l’histoire économique et financière de la France (CHEFF), 1991.
5 Elles ont échoué, entre autres raisons, précisément parce que les dirigeants politiques de l’Économie nationale ne sont jamais parvenus à attirer la direction du Trésor dans leur orbite. Dans la formule actuelle, la DGTPE, pour la première fois, a quitté les Finances publiques pour former le cœur du ministère de l’Économie.
6 F. Descamps, « Roger Goetze, la direction du Budget et la réforme de l’État », Revue Française de Finances Publiques, n° 99, septembre 2007.
7 H. Fayol, Administration générale et industrielle, 1917 ; H. Chardon, Le pouvoir administratif, Paris, 1911 ; L’organisation d’une démocratie. Les deux forces, le nombre et l’élite, Paris, 1921 ; L’organisation de la République pour la paix, Paris, 1926 ; G. Thuillier, « La plus grande France de Jules Corréard », in La bureaucratie en France aux XIXe et XXe siècles, Économica, 1987 ; S Rials, Administration et organisation 1910-1930, Beauchesne, 1977 ; O. Dard, Jean Coutrot, De l’ingénieur au prophète, PUFC, 1999 ; A. Chatriot, « Fayol, les fayoliens et l’impossible réforme de l’administration durant l’entre-deux-guerres », Entreprise et Histoire, n° 34, 2003, p. 84-97 ; J-L. Peaucelle, Henri Fayol, inventeur des outils de gestion, Paris, Économica, 2003.
8 N. Carré de Malberg, « La naissance de la direction du Budget et du Contrôle financier et les grandes étapes d’un développement contrasté », in La direction du Budget entre doctrines et réalités, CHEFF, 2001.
9 P. Masquelier, « La direction de la Comptabilité publique 1870-1940 », in CHEFF, La Comptabilité publique. Continuité et modernité, CHEFF, 1995.
10 S. Kott, Le contrôle des dépenses engagées, CHEFF, 2004.
11 H. Puget, « Un programme de réformes et d’économies, le rapport Marin », Revue des Sciences politiques, avril-juin 1924, p. 275 et sq ; Rapport Marin, Annexe, JO du 10 décembre 1923, p. 885-953
12 F. Tristram, « L’administration fiscale et l’impôt sur le revenu dans l’entre-deux-guerres », Études et documents XI, CHEFF, 1999 ; F. Tristram Une fiscalité pour la croissance, La direction générale des Impôts et la politique fiscale en France de 1948 à 1960, Paris, CHEFF, 2005 ; L’impôt en France aux XIXe-XXe siècles, Paris, CHEFF, 2006 ; J-F. Costes, Aux origines de la direction générale des Impôts, de l’Ancien Régime à nos jours, Mémoire inédit, CHEFF, 2005.
13 A. Chatriot, « Les Offices en France sous la IIIe République. Une réforme incertaine de l’administration », in M-O. Baruch et P. Bezès (dir.), Généalogies de la réforme de l’État, Revue française d‘administration publique, n° 120, 2006, p. 635-650 ; N. Carré de Malberg, « La naissance de la direction du Budget et du Contrôle financier », op. cit ; F. Descamps, « La Cour des comptes et le contrôle financier des administrations publiques », Revue Française d‘Administration Publique, n° 101, janvier 2008.
14 E. Bonnefous, La réforme administrative, Paris, PUF, 1958.
15 N. Carré de Malberg, op. cit.
16 M. Margairaz, op. cit.
17 O. Dard, Jean Coutrot, De l’ingénieur au prophète, PUFC, 1999 ; A. Weexsteen, Le conseil aux entreprises et à l’État en France : le rôle de Jean Milhaud (1889-1991) dans la CEGOS et l’ITAP, thèse EHESS, 1999.
18 F. Descamps, « L’État moderne, une contribution originale des fonctionnaires des Finances à la réforme de l’État 1928-1940 », Généalogies de la réforme de l’État, RFAP, n° 120, 2006.
19 F. Descamps et C. Descheemaeker, « Le rapport Labeyrie ou la ré-invention de la comptabilité administrative 1933-1940 », Revue française des finances publiques, n° 124, mars 2008.
20 F. Descamps, « Gabriel Ardant et la création du Comité Central d’Enquête sur le Coût et le Rendement des Services Publics 1946-1950 », in Le Comité d‘enquête sur le coût et le rendement des services publics : soixante ans de dialogue au service de la réforme de l’État, RFAP, n° spécial, 2007.
21 F. Descamps, « Roger Goetze, la direction du Budget et la réforme de l’État », op. cit.
22 A. Weexsteen, Le conseil aux entreprises et à l’État en France, op. cit. ; J. Siwek-Poydesseau, « L’ITAP, entrepreneur militant de la productivité administrative 1947-1968 », RFAP, n° 120, op. cit.
23 Pour une étude des rapports successifs de réorganisation du ministère des Finances, F. Descamps, « François Bloch-Lainé et la réforme de l’État. De l’action au magistère moral 1946-1996 », in François Bloch-Lainé, fonctionnaire, financier, citoyen, CHEFF, 2005.
24 L. Quennouëlle-Corre, La direction du Trésor 1947-1967, L’État banquier et la croissance, CHEFF, 2000 ; S. Lepage, La direction des Finances extérieures, de 1946 à 1953, Les années fondatrices ou le magistère de Guillaume Guindey, École des Chartes, 1996 ; A. Terray, Des Francs-tireurs aux experts, L’organisation de la prévision économique au ministère des Finances 1948-1968, CHEFF, 2002 ; La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur ou témoin ? CHEFF, 1998 ; F. Tristram, Une fiscalité pour la croissance. La DGI et la politique fiscale en France de 1948 à la fin des années soixante, CHEFF, 2005 ; L. Badel, « Une administration économique face à la construction européenne La direction des relations économiques extérieures (DREE) : origines, culture, logique (1920-1975) », in L. Badel, S. Jeannesson et R. Ludlow, Les administrations nationales et la construction européenne. Une approche historique (1919-1975), Peter Lang, 2005.
25 Décret du 16 avril 1948, qui fait suite à la loi du 6 janvier 1948 instituant le casier fiscal.
26 Pour l’histoire de la DGI, « La réorganisation des services extérieurs de la direction générale des Impôts », Bulletin de l’Économie et des Finances, 1970 ; F. Tristram, « L’administration fiscale et l’impôt sur le revenu dans l’entre-deux-guerres », Études et documents XI, CHEFF, 1999 ; Une fiscalité pour la croissance, op. cit. ; D de La Martinière, « L’évolution des structures de l’administration fiscale » in Histoire du droit et des finances publiques, vol. II, Économica, 1987, p. 517-528 ; J. Bouvier et M-C. Esclassan, L’administration fiscale en France, PUF, 1988 ; P. Bertoni, « La réorganisation de l’administration fiscale depuis 1914 », Revue du Trésor, n° 8-9, 1995 ; J-Y. Nizet, Fiscalité, économie et politique. L’impôt en France (1945-1990), LGDJ, 1991 ; R. Roustide, « La modernisation des services fiscaux de 1948 à 1981 », Études et documents XI, CHEFF, 1999, p. 265-290 ; G. Delorme, De Rivoli à Bercy, CHEFF, 2000 ; L’impôt en France aux XIXe-XXe siècles, 2006 ; A. Narritsens, Le syndicalisme des Indirectes 1940-1968, Institut CGT d’histoire sociale, 2005 ; J.-F. Costes, Hommes et femmes des Impôts, récits autobiographiques 1920-1990, CHEFF, 2004 ; J-F. Costes, « Aux origines de la direction générale des Impôts, de l’Ancien Régime à nos jours », note CHEFF inédite, Paris, 7 novembre 2005.
27 Un premier groupe de travail élabore un premier projet de contrôle unique. Sont envisagés l’implantation de 600 centres de casier fiscal et de fichiers immobiliers, la création de 1 500 inspections polyvalentes locales et de 2000 vérificateurs du contrôle unique. Un premier département pilote est choisi pour faire une première expérimentation, le département de la Seine, avec regroupement des dossiers des Contributions directes et de l’Enregistrement et création de trois directions des sociétés compétentes pour l’assiette et le recouvrement de l’ensemble des impôts. Quarante brigades de polyvalents sont constituées, mais la généralisation du contrôle unique connaît des difficultés du fait de la résistance des services fiscaux concernés, des syndicats et bientôt des contribuables eux-mêmes.
28 Les travaux préparatoires de la fusion démarrent à partir de 1954. Un accord est trouvé avec les syndicats pour une fusion progressive des services des Contributions directes et de l’Enregistrement, pour un début de réorganisation des échelons de commandement, pour la mise en place de régions puis la création de directions uniques fusionnées. La réalisation de ce regroupement exige en préalable l’unification des circonscriptions territoriales des trois régies pour former dans chaque département des circonscriptions communes, « le centre fiscal », avec regroupement, dans des locaux communs, des agents concernés et de la documentation Contributions directes/Enregistrement. Commencée en 1955, l’unification des circonscriptions territoriales est achevée en 1962.
29 F. Descamps, « Michel Debré et la réforme du ministère des Finances : continuité et innovations 1938-1968 », in Michel Debré un réformateur aux Finances 1966-1968, Paris, CHEFF, 2005.
30 M. Debré, Mémoires, t. III, Albin Michel, 1988 ; B. Gaïti, De Gaulle, prophète de la Ve République 1946-1962, Presses de Science Po, 1998 et D. Dulong et V. Dubois, La question technocratique : de l’invention d’une figure aux transformations de l’action publique, PUS, 1999
31 E. Pisani, « Administration de gestion, administration de mission », Revue française de science politique, n° 2, avril-juin 1956, p. 315-331.
32 Sur toutes ces réorganisations, voir la bibliographie dans les notes n° 24 et n° 26.
33 F. Descamps, « Michel Debré et la réforme du ministère des Finances », op. cit.
34 Le décret du 30 décembre 1968 crée les centres des Impôts et les directions départementales unifiées des Services fiscaux, tout en organisant définitivement la fusion des services comptables de l’Enregistrement et des Contributions directes. La création des directions régionales est également entérinée, à compter du 1er juillet 1969 sur l’ensemble du territoire.
35 Primes de fusion et « d’extension de compétences » pour les agents, avantages catégoriels, nouvelles perspectives d’avancement et de carrières, « re-pyramidage » hiérarchique des administrations fiscales, amélioration des conditions de travail, construction de nouveaux locaux, acquisition de matériel de bureau et équipement informatique. Les syndicats ont été d‘autant mieux armés pour obtenir des pouvoirs publics ces avancées que depuis le début des années 1960 sévit dans l’administration fiscale une sévère crise de recrutement, que de nombreux postes restent vacants et que le système ne fonctionne qu’avec une noria de non-titulaires. Il y eut certes des suppressions de postes comptables, mais elles ont été compensées par des créations de postes (conservations des Hypothèques, chefs des services fiscaux, directeurs régionaux, recettes divisionnaires) ou par la création de grades nouveaux (chefs de centres, directeurs divisionnaires, directeurs départementaux), par la création de deux nouvelles directions nationales, celle des enquêtes fiscales et celle des interventions domaniales, par le renforcement des brigades de contrôle fiscal et de vérification, par les accélérations de carrière, par les extensions de postes et l’amélioration de la promotion.
36 P. de Montrémy, directeur général des Douanes, reprenant à son compte un projet de V. Giscard d’Estaing de 1964-1965, propose de fusionner les Contributions indirectes et les Douanes ; M. Debré songe pour sa part plutôt à fusionner les Douanes et la DREE, conformément à l’idée qu’il a depuis 1959 de renforcer les services du Commerce extérieur. C. Gruson auteur d’un rapport en 1967 pour M. Debré pense à une fusion DGI/Prix, tandis que P. Huet responsable de la mission RCB se rallie à une fusion DGI/Douanes. Face à l’opposition de la DGI qui souhaite voir avant tout aboutir sa propre réforme, toute réorganisation inter-directionnelle est abandonnée.
37 Aude Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit. ; V. Spenlehauer, L’évaluation des politiques publiques, avatar de la planification, Université de Grenoble II, 1998 ; P. Bezès, Gouverner l’administration : une sociologie des politiques de la réforme administrative en France (1962-1997), IEP de Paris, 2002.
38 Club Jean Moulin, Pour nationaliser l’État, Paris, Seuil, 1968 ; C. Andrieu, Pour l’amour de la République, Le Club Jean Moulin, 1958-1970, Paris, Seuil, 2002 ; F. Descamps, « François Bloch-Lainé et la réforme de l’État », op. cit.
39 Sur la distinction entre un État gestionnaire et un État stratège et la discussion de ces deux notions, P. Bezès, « Le modèle de l’État stratège : genèse d’une forme organisationnelle dans l’administration française », Sociologie du travail, 4, 2005, p. 431-450.
40 P. Bezès, « Aux origines des politiques de réforme administrative sous la Ve République : la construction du "souci de soi" », Revue française d’administration publique, n° 102, 2003, p. 306-325.
41 Selon le rapport Huet, le ministère de l’Économie et des Finances doit assumer quatre missions fondamentales : « jouer un rôle directeur dans le développement économique par la définition des conditions favorables à la croissance et par la surveillance des équilibres conjoncturels » ; « assurer la direction financière et le contrôle de gestion des activités de l’État » ; « fournir diverses prestations de services, d’ordre économique et financier, au bénéfice des collectivités publiques et semi-publiques autres que l’État » ; « protéger les intérêts des particuliers dans le domaine des activités financières et dans certains secteurs économiques ». Enfin, le ministère doit assurer une cinquième mission de gestion interne pour lui-même et ses agents (soutien logistique, « prévoir, répartir, gérer »). Selon une arborescence dont la RCB est friande, les cinq missions sont déclinées en fonctions, puis en attributions puis en objectifs (structure d’objectifs), voire en tâches, en définissant les bénéficiaires de chacune des tâches (services, institutions, organismes) et les usagers concernés.
42 De nouveaux ministères liés à des nouveaux besoins sociaux, économiques et culturels vont se constituer tout au long des années 1970, sans que pour autant les anciens départements ministériels disparaissent. Citons par exemple l’apparition fugitive du ministère de l’Environnement et du Cadre de vie (1978-1981). Cf. « L’expérience du ministère de l’Environnement et du Cadre de vie 1978-1981 », Pour mémoire ; n° hors-série septembre 2007, Ministère de l’Équipement.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les réorganisations administratives
Ce livre est cité par
- Bonnaud, Laure. Martinais, Emmanuel. (2014) Fusionner les administrations pour mieux coordonner l'action publique ?. Gouvernement et action publique, VOL. 3. DOI: 10.3917/gap.143.0105
Ce chapitre est cité par
- Ruiz, Émilien. (2015) Quantifier une abstraction ?. Genèses, n° 99. DOI: 10.3917/gen.099.0131
Les réorganisations administratives
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3