Chapitre V. Le conflit avec l’État : « banque d’expansion » ou « banque d’exploitation » ?
p. 265-296
Texte intégral
1Les relations entre la Banque de l’Indochine, dont la direction était issue d’entreprises privées, et l’État, qui confiaient à cette Banque le privilège de l’émission des billets, étaient en général amicales avant 1914. La Banque donnait satisfaction aux demandes faites par l’État (soit l’ouverture de nouvelles succursales et agences, soit la participation aux affaires financières internationales, teintées de caractère politique) d’autant mieux que les affaires en question ne laissaient pas présager de pertes. L’État approuvait les renouvellements du privilège de la Banque sans exiger qu’elle lui concède en retour des sacrifices importants. Toutefois, avec la fin de la première guerre mondiale, les relations se modifient radicalement. Elles se tendent. Au cours des années 1920, en particulier, elles prennent une tournure alarmante à propos du privilège d’émission expiré en 1920 et du régime d’émission dans les colonies : la Banque refuse les projets de réforme que les ministères successifs veulent lui imposer en échange du renouvellement du privilège. Par suite, jusqu’en 1931, dure une situation anormale pendant laquelle le privilège est prorogé à titre provisoire de quelques mois en quelques mois, ou d’année en année, sans jamais être renouvelé définitivement.
2Ce qui est frappant, c’est que le cas de la Banque de l’Indochine n’est pas exceptionnel. A la même époque, on constate pareilles difficultés et discussions à l’occasion du renouvellement du privilège de la Banque de l’Afrique Occidentale et de la création de la Banque de Madagascar. Cela ne suggère-t-il pas que les années 1920 marquent un tournant dans l’histoire des banques coloniales françaises ? Quelles affaires et, plus précisément, quels intérêts étaient en cause ? Pourquoi les années 1920 ? Dans quelles perspectives les difficultés allaient-elles trouver leur solution ?
I. L’évolution du système français d’émission avant 1914
3Avant d’entrer dans le vif du sujet, jetons un coup d’œil sur les faits essentiels concernant l’évolution du système d’émission fiduciaire en France.
4D’abord, la Banque de France, institution centrale d’émission dans la métropole. Ce qui caractérise l’évolution de cette Banque à partir de la fin du XIXe siècle, c’est surtout l’extension du réseau de succursales et bureaux auxiliaires, et, par conséquent, le développement des opérations régionales. Par suite de cette évolution, la Banque se présente à la veille de la première guerre mondiale avec une double caractéristique : d’une part, « banque des banques », « prêteur en dernier ressort », ou « réserve centrale de l’or », caractéristique commune aux Instituts occidentaux d’émission de l’époque ; d’autre part, « dispensatrice du crédit » aux petits et moyens producteurs régionaux, ou « banque de la nation tout entière » (selon Georges Pallain, gouverneur de la Banque de France)1, caractéristique propre à l’Institut français d’émission et que les Instituts anglo-saxons d’émission n’ont point. Certes la Banque elle-même choisit cette voie afin de se défendre contre la concurrence sans cesse plus âpre des grands établissements de crédit. Toutefois, il est également vrai que cette évolution lui est imposée par le gouvernement et le parlement. Dans le climat politique de la fin du XIXe siècle, l’influence des républicains et plus tard des radicaux (et des socialistes) ne cesse de progresser, donnant un poids croissant à leur revendication de réformes démocratiques du crédit. A cet égard, la loi de 1897 portant renouvellement du privilège de la Banque de France est digne d’attention. Elle est votée sous la pression d’une offensive menée contre « l’oligarchie Financière » par les radicaux et les socialistes, et elle reflète en partie leurs préoccupations.
5Les articles réformateurs de la loi de 1897 qui concernent l’organisation intérieure de la Banque de France sont divers. Mais les principaux peuvent être groupés en deux séries. Les articles qui concernent la multiplication des succursales et bureaux auxiliaires, ainsi que l’escompte des effets agricoles aux mêmes conditions que les effets de commerce, visent à rapprocher la Banque des industriels, des commerçants et des agriculteurs, et à établir des relations directes entre la Banque et ces derniers. L’autre série d’articles fut insérée au nom des « droits de l’État » – l’État en tant que représentant de l’« intérêt général » – : l’avance gratuite au Trésor de 180 millions de francs, la redevance sur la circulation fiduciaire productive, et l’interdiction des fonctions de gouverneur et de sous-gouverneur aux membres du Parlement. Les buts de ces trois articles sont, pour les deux premiers, de permettre à l’État de capter le surprofit que la Banque réalise grâce à son privilège d’émission, et, pour le troisième, de rendre la direction de la Banque moins indépendante vis-à-vis de l’État. En somme, la réforme bancaire de 1897 comporte deux aspects, l’extension des opérations régionales et des places bancables et la participation (ou une participation plus efficace) de l’État aux bénéfices et à la direction de la Banque. En d’autres termes, l’idée qui domine la réforme est de faire bénéficier la masse des producteurs et des commerçants régionaux des taux à bon marché de l’Institut d’émission en imposant des contraintes aux intérêts privés au sein de celui-ci2.
6Or, en 1901, c’est-à-dire peu après la promulgation de la loi, les radicaux constituent leur parti, le « premier grand parti fondé en France à l’échelle nationale »3 ; et sans tarder, ils parviennent au pouvoir. En même temps, ils élaborent le programme économique et social qui souligne les « droits de l’État » et leur hostilité au grand capitalisme, telle que le montrent les formules suivantes : « prévenir les dangers que présente la constitution d’une féodalité capitaliste » ; « le droit pour l’État d’intervenir dans les rapports du capital et du travail » ; « la reprise par l’État des monopoles de fait » ; « trouver dans le bénéfice que ces monopoles peuvent fournir des ressources [...] pour la réalisation des réformes sociales », etc.4 On peut voir ainsi que les réformes d’orientation « démocratique » de l’Institut d’émission allaient de pair avec la montée du radicalisme.
7En 1900, en Algérie, colonie assimilée à la métropole, une réforme semblable est apportée à son Institut d’émission, la Banque de l’Algérie5.
8Passons aux institutions d’émission dans les colonies. Hors de la métropole, les choses évoluaient en sens inverse. La loi du 11 juillet 1851, qui fonde les banques coloniales, impose deux règles uniformes. En premier lieu, le monopole d’émission est accordé à chaque banque (une banque privilégiée pour chaque colonie ou groupe des colonies)6. En deuxième lieu, l’État se porte garant de la conduite de chaque banque : l’État envoie ses représentants au sein du conseil d’administration ; il nomme le directeur qui est en même temps président du conseil. Pourquoi cette intervention de l’État ? Etant donné qu’il n’existe qu’une seule banque dans chacune des colonies ou dans chaque groupement de colonies, celles-ci sont sollicitées d’effectuer des opérations diversifiées, notamment, outre l’émission et l’escompte, les opérations à moyen et à long terme pour le développement de l’agriculture. Mais le financement des affaires agricoles avec recherche de profit risque de porter atteinte à la circulation fiduciaire. Aussi n’a-t-il pas été jugé convenable de confier aux seuls représentants des actionnaires le contrôle des risques qui proviennent du fait que la banque d’émission s’occupe du crédit agricole (contrairement à l’orthodoxie bancaire) et l’intervention de l’État a été demandée. En tout cas, les banques établies dans les pays qui avaient été colonisés avant le milieu du XIXe siècle (« vieilles colonies ») se situaient toutes sous le régime de la loi de 18517.
9Cependant, après 1870, à mesure que l’expansion française s’intensifie, le contexte dans lequel évoluent les banques coloniales se transforme. On leur demande de plus en plus de se charger d’un nouveau rôle, devenir pour ainsi dire une « banque pour l’expansion ». Dans une colonie nouvellement acquise et dont le territoire est encore en voie d’extension, les institutions administratives et judiciaires d’un type occidental ne sont pas encore mises en place. Par ailleurs, ses relations économiques et monétaires avec les pays voisins sont souvent plus importantes que celles avec la métropole, ce qui fait de la question de change l’une des questions suprêmes. Enfin, la concurrence entre les banques occidentales est intense. Il y aurait donc de graves inconvénients à restreindre la liberté d’action de la banque établie dans cette colonie, en l’assujettissant au régime statutaire de la loi de 1851. Pour contourner la difficulté, des banques de type nouveau furent créées par décrets – c’est-à-dire en dehors de la loi de 1851 – dans les nouvelles colonies de l’Asie et de l’Afrique : la Banque de la Nouvelle-Calédonie (création en 1874), la Banque de l’Indochine (en 1975) et la Banque de l’Afrique Occidentale (en 1901). L’initiative de leur fondation revient à des banques et banquiers parisiens. Elles étaient, par conséquent, dirigées et administrées par les hommes d’affaires élus par les assemblées générales des actionnaires, et le contrôle de l’État s’exerçant sur elles était limité à une surveillance en fait nominale. Autrement dit, bien qu’elles fussent privilégiées, elles jouissaient d’un régime aussi « souple » et aussi « libéral » que les banques privées.
10Les banques nouvelles, exception faite de la Banque de la Nouvelle-Calédonie dont la vie est éphémère (de 1874 à 1877), prennent un grand essor au début du XXe siècle (voir le tableau 42). Notamment la croissance de la Banque de l’Indochine est remarquable. Mais il faut bien noter que le succès de ces banques est dû à leurs activités en tant que banques pour l’expansion, plutôt que banques d’émission ou banques agricoles. Par exemple, comme nous l’avons développé en détail dans les chapitres précédents, le succès de la Banque de l’Indochine repose sur deux causes. D’une part, lors du renouvellement du privilège en 1900, la Banque fut autorisée à participer à des affaires industrielles et financières (création ou réorganisation des sociétés, souscription aux emprunts publics), et se transforma en banque mixte, à la fois banque d’émission et banque d’affaires. D’autre part, de pair avec cette réorganisation interne, elle s’installa largement dans les pays étrangers de l’Asie orientale, particulièrement en Chine.
11Si nous dévoilons partiellement nos conclusions, les réformes apportées successivement aux banques coloniales entre les années 1925 et 1931 comportaient deux aspects : d’abord mettre fin au régime « souple » qui soutenait les activités des banques nouvelles, en étendant – et d’une manière plus radicale – aux colonies le système métropolitain d’émission tel que modifié par la loi de 1897 ; ensuite, et par conséquent, annoncer en partie les réformes du système métropolitain de 1936 et 1945.
II. La question du troisième renouvellement du privilège et les critiques contre la Banque
12Le privilège de la Banque de l’Indochine, qui avait été renouvelé en 1900, devait arriver à expiration le 20 janvier 1920. Prévoyant, le ministère des Colonies fit dès l’automne 1916 une large enquête auprès des institutions françaises (légations, ambassades, gouvernements locaux, chambres de commerce et d’agriculture) dans les pays de l’Asie orientale où la Banque était installée, enquête relative au fonctionnement de celle-ci.
13Des réponses8 adressées par des légations et des ambassades parviennent au ministère des Colonies par l’intermédiaire du ministère des Affaires étrangères entre les mois de janvier et d’avril 1917. Les membres du corps diplomatique s’y plaignaient de l’attitude réticente de la Banque envers les « affaires industrielles » locales et des opérations bancaires ordinaires de celle-ci, dont les bénéficiaires étaient les commerçants étrangers plutôt que les commerçants français. A cet égard, il est intéressant de signaler que le Quai d’Orsay ne faisait aucun commentaire sur les plaintes émanant de ses agents, ce qui est d’autant plus digne de remarque qu’il avait exprimé très activement ses opinions et désirs envers la Banque à l’occasion du dernier renouvellement du privilège en 19009. Au cours des débats ultérieurs sur la question du privilège de la-Banque, comme nous le verrons plus loin, les plaintes (et désirs) du corps diplomatique ne seront jamais pris en considération. Est-ce le reflet du désintérêt relatif du Quai d’Orsay à l’égard de l’expansion en Asie orientale après la première guerre mondiale ?
14Quant aux réponses faites par les chambres de commerce et d’agriculture et par les administrateurs dans les colonies, elles étaient presque unanimes : d’une part elles rappelaient la situation prospère de la Banque (que le précédent tableau 42 montre clairement) ; et d’autre part elles mettaient en avant le fait que la Banque n’accordait pas un concours assez large au développement des colonies, quoique sa prospérité fût due pour une bonne part à l’exercice de son privilège d’émission. Leurs critiques se portaient surtout contre l’attitude réticente de la Banque envers le crédit agricole ; contre le rejet par elle des avances sur valeurs coloniales ; et également contre le fait qu’elle justifiait sa politique timide par ses statuts. Citons quelques phrases de la réponse rédigée par un inspecteur général des colonies en mission en Indochine, dans lesquelles l’auteur résume les plaintes dominantes parmi les colons indochinois :
« En résumé, on se plaint que la Banque de l’Indochine, se plaçant à l’abri des règles parfois étroites de ses statuts, ait jusqu’à ce jour limité ses opérations à celles que pouvaient lui offrir, sans aucun risque, les plus importantes maisons françaises et le haut commerce chinois. Elle suit le progrès et en profite beaucoup, plus qu’elle ne contribue à le développer. Trouvant dans son simple courant de banque d’émission des bénéfices appréciables, à peu de frais et sans risques, la Banque de l’Indochine n’est pas suffisamment portée à rechercher les affaires. Son intervention ne se manifeste pour ainsi dire pas à l’égard du petit commerce, des industries naissantes, des agriculteurs, lesquels restent dès lors livrés à l’usure qui sévit en Indochine »10.
15C’est ainsi que les colons et administrateurs sur place qui participaient à l’enquête, quoiqu’ils ne soulevassent pas d’objection contre le renouvellement du privilège, insistaient pour que, profitant de cette occasion, le gouvernement impose à la Banque certaines conditions favorables aux colonies. Les propositions de conditions sont variables selon les réponses. Mais les principales se classent en trois catégories : la Banque restitue aux colonies une partie de ses bénéfices, c’est-à-dire qu’elle verse aux services du Trésor coloniaux une partie des bénéfices semestriels de son exploitation future et (ou) des réserves (bénéfices de son exploitation antérieure) qu’elle constitue à son siège social à Paris, ces services finançant avec cette somme les travaux pour le développement des colonies ; la Banque avance sans intérêts aux services du Trésor coloniaux des fonds nécessaires au développement des colonies ; des modifications sont apportées à certains articles des statuts de la Banque, en vue de l’amener ou de l’obliger à effectuer des opérations qui concernent étroitement les besoins de l’économie coloniale (le crédit agricole, en particulier l’escompte des effets agricoles, et les avances sur valeurs coloniales).
16Ces plaintes et désirs parviennent à la Chambre des Députés en mai 1917. La gauche, au centre de laquelle se situe le parti radical, forme la majorité de la Chambre depuis les élections générales de 1914. Le parti radical, quoiqu’il fût opposé à l’expansion coloniale, demandait dans son programme « la mise en valeur du vaste domaine colonial actuel »11, ce qui est compréhensible, le parti ayant bénéficié des suffrages des Méridionaux qui avaient parti lié avec les affaires coloniales. D’ailleurs le parti, comme nous l’avons signalé plus haut, était adversaire du « grand capitalisme » et des « monopoles de fait ». Les parlementaires radicaux ne pouvaient donc regarder avec indifférence les défauts du fonctionnement de la Banque de l’Indochine révélés par l’enquête. Dans une atmosphère critique envers la Banque, le député radical Pascal Ceccardi fit adopter, le 20 mai, un projet de résolution aux termes duquel les questions relatives au privilège de la Banque de l’Indochine devaient dorénavant (avec celles relatives à la Banque de l’Afrique Occidentale dont le privilège devait expirer le 29 juin 1921) être réglées par une loi (autrement dit, par le parlement) ; le gouvernement était invité à déposer un projet de loi tendant à proroger le privilège de ces deux banques. Ainsi l’expiration du privilège de la Banque de l’Indochine devient, d’après Etienne Clémente !, ministre du Commerce de l’époque, « une occasion d’étudier dans son ensemble le problème bancaire aux colonies »12.
17En septembre 1917, le ministre des Colonies, conformément à la résolution de la Chambre, confia la préparation d’un projet de loi portant sur le privilège de la Banque de l’Indochine à une commission interministérielle à laquelle participaient les représentants du Conseil d’État, des ministères des Colonies, des Finances et des Affaires étrangères, et de la Banque de France. Cette commission arrêta le 13 décembre le texte d’un projet de loi qui consiste essentiellement à renouveler pour 25 ans le privilège ; à imposer à la Banque de l’Indochine, de même qu’à la Banque de France et à la Banque de l’Algérie, le versement d’une redevance aux services du Trésor coloniaux ; à choisir certains membres du conseil d’administration parmi les actionnaires appartenant aux entreprises des colonies ; et finalement, à autoriser la Banque à faire certaines opérations relatives aux affaires agricoles. Il est évident que le projet de loi était inspiré par la même idée que celle qui orientait les réformes de l’Institut métropolitain d’émission d’avant 1914.
18Cependant le projet de loi préparé par la commission interministérielle ne devint pas celui du gouvernement. Car, presque au moment où ce projet de loi prenait sa forme définitive, Albert Sarraut, gouverneur général de l’Indochine, et Fernand-Abraham Bernard, ancien lieutenant-colonel et admistrateur délégué de la Compagnie des Messageries Fluviales de Cochinchine, adressèrent successivement des notes au département des Colonies, dans lesquelles ils développaient des arguments s’opposant à ceux de la commission13. Les arguments de Sarraut concernent des détails et nous n’y entrons pas ici.
19Beaucoup plus importants sont les arguments de Bernard, en ce sens qu’ils mettent en cause le régime bancaire colonial lui-même. Bernard critique la Banque de l’Indochine sur deux points : la Banque ne s’engage pas dans le financement de l’industrie coloniale et elle est opposée à la « stabilisation » de la monnaie indochinoise – ou à l’introduction du régime monétaire métropolitain en Indochine. Ces critiques expriment bien le point de vue d’un métropolitain directement intéressé aux affaires coloniales. Bernard explique ces attitudes de la Banque par deux raisons. L’une est que le conseil d’administration de la Banque est occupé par les représentants des grandes banques parisiennes qui ne s’intéressent qu’aux « questions financières » (c’est-à-dire aux opérations à court terme, aux souscriptions, aux emprunts publics). Mais il attache une importance plus grande à la deuxième raison : la Banque accorde une préférence aux opérations en Chine par rapport aux opérations dans les colonies.
« À cette raison fondamentale d’abstention, une autre, plus grave encore, est venue s’ajouter : c’est que la Banque de l’Indochine ne considère plus la Colonie que comme un objet accessoire offert à son action. Depuis une vingtaine d’années, c’est dans un pays étranger, c’est en Chine, qu’elle a transporté tout à la fois ses capitaux et son activité »14.
20Or les maux de cette « abstention » s’adouciraient jusqu’à un certain point, s’il existait une autre banque aussi puissante en Indochine. Par conséquent, Bernard estime que la cause première de tous les problèmes relatifs à l’organisation du crédit dans la colonie se rattache à la position monopoliste que la Banque occupe sur le marché colonial ; et que cette position tient aux trois rôles que la Banque joue : banque d’émission, banque d’affaires, institution finançant l’activité commerciale. Toujours selon Bernard, les problèmes ne se résoudront point tant que l’État ne dépouillera pas la Banque de son privilège d’émission, la transformant en simple banque d’affaires ; et qu’il ne créera pas un établissement indépendant et spécialisé dans l’émission. Bernard propose, pour conclure, de renoncer à renouveler le privilège de la Banque et de créer une nouvelle « banque nationale d’émission et d’escompte »15.
21Le ministre des Colonies, semble-t-il, ne put négliger les propositions de Bernard, puisque ce dernier était un homme influent qui faisait partie de groupements directement intéressés au développement économique de la colonie16 et qu’Ernest Outrey, député cochinchinois, ainsi que Marius Moutet, député socialiste, menaient à la Chambre une campagne contre la Banque de l’Indochine. Le 10 avril 1918, le ministre institue une commission interministérielle élargie cette fois-ci par la participation de quatre parlementaires (y compris deux députés, chacun élu en Cochinchine et en Inde française) et chargée de réviser le projet de loi. Cependant la majorité des membres de cette commission, présidée par le sous-secrétaire d’État aux finances Charles Sergent, tenant compte du climat critique de la Chambre envers la Banque, ne montrèrent pas d’ardeur dans leurs travaux17. C’est seulement après les élections à la Chambre à la fin de l’année 1919 que l’affaire prend un tournant décisif.
III. Le projet de loi d’Albert Sarraut et le « programme minimum » de Daladier
A. Le projet d’Albert Sarraut
22Aux élections législatives du 16 novembre 1919, le Bloc national remporta une grande victoire avec trois quarts des sièges. Les gauches subirent une défaite complète, en particulier le parti radical qui perdit la moitié de ses députés. Ainsi, bien que les radicaux conservassent encore la majorité au Sénat, il y eut un brusque revirement dans la structure du pouvoir au parlement : de la prédominance de la gauche à celle de la droite. Dorénavant et jusqu’en 1924, c’est le Bloc national qui détient le pouvoir. Le parti radical, malgré le danger d’une scission interne, décide de collaborer avec le nouveau ministère de droite, composé au mois de janvier 1920 par Alexandre Millerand, et d’y envoyer trois représentants. Albert Sarraut, qui prend le portefeuille des Colonies dans ce ministère et y demeure jusqu’en 1924, est l’un de ces trois émissaires.
23Albert Sarraut est le cadet des frères Sarraut, célébrés comme « les Césars, les rois non couronnés du Midi de la France »18. En contraste avec son aîné Maurice, qui avait une grande influence sur le parti radical, mais dont l’action s’exerçait en coulisse, Albert déployait presque toujours son activité sur l’avant-scène de la politique, « ministre éternel » de l’entre-deux-guerres. Son entrée en fonction comme ministre des Colonies se situe dans le prolongement de sa seconde nomination au poste de gouverneur général de l’Indochine (de 1916 à 1919)19. A cette date, Albert Sarraut a perdu le sens des luttes politiques d’autrefois et n’est plus guère « radical que de nom »20. Il sera expulsé du parti radical en mars 1924, pour avoir agi de concert avec le ministère de Raymond Poincaré, contrairement à la décision du parti. Ce fait symbolise sa position politique au cours des années 1920.
24Une commission interministérielle du même type qu’en 1917 et 1918 se charge, conformément aux instructions d’A. Sarraut aux Colonies, de la préparation de la loi renouvelant le privilège de la Banque de l’Indochine. Tout en traduisant la nouvelle situation politique, la commission poursuivit les travaux de la commission de 1917. Le 30 juin 1922, le rapport de la commission est déposé, ainsi que le projet de loi de Sarraut. Voici les trois principaux sujets débattus au sein de la commission et qui se retrouvent dans le projet de loi, ainsi que dans les projets de convention (à passer entre le gouvernement et la Banque) et de statuts, qui lui sont annexés21.
25En premier lieu, la participation de l’État aux bénéfices de la Banque. La commission consacra beaucoup de temps à ce sujet. A l’instar de la Banque de France et de la Banque de l’Algérie, l’État veut reprendre le surprofit de la Banque de l’Indochine par trois moyens (ou l’un de ces trois) suivants : redevance proportionnelle à la circulation productive ; participation de l’État à un superdividende éventuel ; avance sans intérêts de la Banque à l’État. Mais comment prendre en compte les conditions particulières à la Banque de l’Indochine et également aux colonies Asie-orientales ? Les énormes bénéfices réalisés antérieurement et dus à l’exercice du privilège d’émission sont conservés au siège social de la Banque ; l’exécution des travaux publics dans les colonies est considérablement retardée étant donné que l’émission des emprunts coloniaux est rendue difficile par la grande guerre et par le désordre du marché financier de la métropole ; tels sont les problèmes.
26Les membres de la commission, après avoir admis le principe de faire remettre les réserves de la Banque aux colonies afin de les mettre à la disposition des grands travaux locaux d’intérêt général, examinèrent les trois procédés : versement à l’État d’une redevance de 10 millions de francs, somme correspondante à 20 % des réserves ; avance sans intérêts aux Trésors coloniaux d’une somme équivalente aux réserves ; participation de l’État aux bénéfices semestriels avec un taux fixé à un niveau tel que l’État pourrait absorber sur le long terme les bénéfices passés sans toucher immédiatement aux réserves. De ces trois procédés, le premier fut écarté très tôt par suite d’une hausse exceptionnelle de la piastre car celle-ci réduisait d’autant la ponction prévue sur les réserves de la Banque lors de sa conversion en monnaie locale. Le troisième fut aussi écarté parce que les fonds mis immédiatement à la disposition des Trésors coloniaux ne se trouveraient pas assez importants. Finalement, la commission adopte une combinaison des deuxième et troisième procédés modifiés dans un sens modéré. En effet, des articles du projet de convention avec le gouvernement imposaient à la Banque, en plus d’une redevance sur la circulation productive, deux charges financières : d’abord, une avance sans intérêts et remboursable à l’expiration du privilège de 6 millions de piastres (48 millions de francs au cours du change au mois de mai 1922) pour la colonie de l’Indochine, et de 4 millions de francs pour les colonies autres que l’Indochine (Nouvelle-Calédonie, Inde française, Papeete et Djibouti) ; ensuite, une redevance à l’État du 1/10 des bénéfices nets (diminués de 7 % par les prélèvements statutaires) quand le dividende est inférieur à 150 francs net d’impots, et de la moitié au-delà de ce chiffre.
27En définitive les rédacteurs du projet de loi se préoccupaient, dans le choix des procédés de participation de l’État aux bénéfices, d’augmenter au maximum les fonds dont disposeraient les administrations coloniales pour le développement économique des colonies22.
28En deuxième lieu, l’ouverture de nouvelles agences. Ici aussi, on appliquait des règles analogues à celles concernant la Banque de France et la Banque de l’Algérie. L’article premier du projet de la convention obligeait la Banque de l’Indochine à ouvrir des agences et des bureaux selon trois étapes : dans un délai de deux ans à dater du renouvellement du privilège, trois agences dans les villes indochinoises de Nam-Dinh, Baclieu et Cantho ; dans un délai de dix ans, sept agences dans les colonies et les pays étrangers baignés par l’océan Pacifique et l’océan Indien ; enfin, à toute époque et sur la requête du gouvernement, cinq autres agences ou bureaux auxiliaires. Sur le moment une grande importance est donc accordée aux créations hors des colonies. Mais avec le recul du temps il faut bien noter qu’il ne s’agissait plus de la création de succursales émettrices dans les centres du commerce international, comme avant la grande guerre, mais plutôt de la création d’agences et de bureaux auxiliaires qui se chargeaient d’étendre la circulation fiduciaire et le crédit bancaire sur les lieux de production à l’intérieur des colonies.
29Enfin, en troisième lieu, la participation des représentants des colonies intéressées au conseil d’administration. L’article 41 des nouveaux statuts prévoit la composition du conseil : « la nomination d’au moins quatre d’entre eux, choisis parmi les personnes ayant séjourné au moins trois ans dans les colonies intéressées, appartenant ou ayant appartenu à des entreprises agricoles, industrielles, commerciales ou maritimes, intéressant les colonies dans lesquelles la Banque exerce son privilège, est soumise à l’agrément du ministre des Colonies ». Que signifie le chiffre quatre ? Le même article prescrivant « un conseil d’administration composé de huit membres au moins et quinze au plus », il correspond, lorsque le conseil ne compte que l’effectif minimum, à la moitié des administrateurs. Mais les membres du conseil de l’époque sont treize, et par suite, ce chiffre correspond dans les faits au tiers des effectifs du conseil. D’ailleurs l’idée de créer un poste de gouverneur ou de directeur général, qui serait en même temps président du conseil et nommé par le gouvernement, fut écartée, car le ministre des Colonies était « hostile à toute action de l’État dans la gestion d’intérêts privés »23. On peut donc dire que le projet de loi devait mettre fin à la monopolisation du conseil par les administrateurs appartenant aux grandes banques parisiennes, mais sans jamais compromettre la majorité de ceux-ci dans le conseil.
30Quelques remarques supplémentaires s’imposent. Le point essentiel du projet de loi élaboré selon les instructions d’A. Sarraut porte sur le fait que l’État intervient dans la conduite de la Banque, en qualité de concédant du privilège d’émission. L’objectif de cette intervention est d’une part de faire représenter les intérêts des colonies dans la gestion de la Banque, et d’autre part de reprendre le surprofit réalisé par la Banque et de l’utiliser pour mettre en valeur les colonies. Cependant, le projet de loi ne prévoit point la participation de l’État, ni au capital social, ni au conseil de la Banque. Cela veut dire que cet interventionnisme n’a jamais pour objectif de chasser de la Banque les intérêts privés. Il a plutôt en vue de les conserver et de les utiliser pour la mise en valeur des colonies. La réforme d’une puissante banque coloniale que le projet de loi se propose ne convient-elle pas tout à fait à A. Sarraut, ministre radical modéré du ministère du Bloc national ?
31Or le projet de loi déposé devant la Chambre est immédiatement transmis à la Commission de l’Algérie, des colonies et des protectorats. Celle-ci l’approuve le 21 juin 1923, sauf certaines clauses de détail. D’un autre côté, le ministère des Colonies et la Banque amorcent des pourparlers pour aboutir à la rédaction définitive des nouveaux statuts et de la convention. Le 24 mai 1923, la convention entre le gouvernement et la Banque est signée, puis agréée avec les nouveaux statuts par l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires du 21 juin. Toutefois, le climat politique était extrêmement défavorable au projet de loi. La situation politique évoluait à mesure que se rapprochaient les élections législatives prévues pour 1924. Au milieu du mois de mai, le parti radical qui s’était réorganisé sous la direction d’Édouard Herriot, décide de devenir un parti d’opposition, abandonnant l’attitude coopérative qu’il adoptait jusqu’alors vis-à-vis du gouvernement, afin de constituer un cartel des gauches aux élections prochaines contre le Bloc national. Le 20 juin, le comité exécutif du parti radical engage les trois ministres radicaux, y compris A. Sarraut, à donner leur démission. Quoique ces recommandations ne soient pas suivies par ces derniers, le projet de loi n’est plus soutenu par une majorité parlementaire, et il devient caduc.
B. Le « programme minimum » de Daladier et la résistance de la Banque
32Aux élections du mois de mai 1924, le Cartel des gauches acquiert la majorité des sièges à la Chambre. Dorénavant et jusqu’au mois de juillet 1926, les ministères à direction radicale, soutenus par le Parti socialiste SFIO, se succèdent. C’est Édouard Daladier, « leader d’un radicalisme plus jeune et plus “dur” »24, qui obtient le portefeuille des Colonies du premier cabinet d’Édouard Herriot, formé en juin 1924. Avec Daladier aux Colonies, la question du privilège de la Banque de l’Indochine prend une nouvelle tournure. Le nouveau ministre, profitant de la prise du pouvoir par les gauches qui est favorable à « l’interventionnisme »25, vise la réforme radicale des banques coloniales, au nom des « intérêts généraux » ou des « droits de l’État ».
33En automne 1924, Daladier, avec le concours de son collègue aux Finances Clémentel26, regroupe les exigences ministérielles vis-à-vis de la Banque de l’Indochine en trois séries d’articles que Daladier lui-même appela le « programme minimum » ou les « conditions minima ». Elles sont les suivantes :
1. Charges financières
Redevance moyenne de 1,5 % sur la circulation productive.
Participation de l’État aux bénéfices après prélèvement au profit des réserves.
Droit au partage des réserves constituées pendant la durée du privilège.
2. Charges stipulées dans l’intérêt du commerce
Garantie des transferts de fonds de la colonie dans la métropole, ou inversement.
Limitation du droit de la Banque de fixer librement les taux des escomptes et des avances lorsque ceux-ci dépasseront, commission comprise, de plus de 1 % les taux correspondants de la Banque de France.
3. Conditions relatives à la direction de la Banque et au contrôle de l’État
Nomination par l’État du directeur général.
Nomination par l’État de trois administrateurs.
Rémunération du conseil par des jetons de présence27.
34Parmi ces trois séries d’articles, les deux dernières seules sont nouvelles, la première n’étant qu’une reproduction partielle des clauses du précédent projet de loi d’A. Sarraut. Le ministre des Colonies considérait la troisième comme « essentielle », indispensable pour que soit modifié « l’état fâcheux » où une grande banque d’émission coloniale n’est en réalité qu’une « grande banque d’affaires » (dont le but est de réaliser des bénéfices considérables au profit des actionnaires), et pour que les « intérêts généraux » ne soient point sacrifiés aux « intérêts particuliers »28.
35Or le programme minimum pouvait être imposé à deux banques autres que la Banque de l’Indochine : la Banque de l’Afrique Occidentale dont le privilège arrivait à expiration, et la Banque de Madagascar dont la création était en discussion. Daladier tourna tout d’abord ses efforts vers la Banque de Madagascar en projet. Il y avait de bonnes raisons pour cela. D’abord, Madagascar était en pleine crise monétaire et la création rapide d’une banque d’émission était attendue dans cette colonie. D’autre part, le Comptoir d’Escompte et Paribas étaient en ardente concurrence en vue d’obtenir la concession de cette nouvelle banque29. Il apparaissait naturellement au ministre des Colonies plus facile dimposer ses conditions minima aux concessionnaires futurs et rivaux de cette banque. En tous cas, la concession de la Banque de Madagascar forme un précédent qui ne manque pas d’influer sur le privilège de la Banque de l’Indochine.
36Le 7 novembre 1924, le directeur du ministère des Colonies remit le texte du programme minimum aux représentants du Comptoir d’Escompte et Paribas qui demandaient la concession du privilège d’émissions à Madagascar. Les réponses de chaque banque parvinrent dans un bref délai au département (respectivement, le 10 novembre pour Paribas, le 12 novembre pour le Comptoir d’Escompte). Paribas acceptait entièrement le programme ; en outre, sur certains points tels que la participation aux bénéfices, elle offrait des conditions plus avantageuses que celles posées30. Dans le même temps, le Comptoir d’Escompte n’adhérait qu’aux articles des chapitres 1 et 2 du programme, mais sous des réserves multiples, et rejetait ceux du chapitre 3 en insistant sur l’agrément simple par l’État du directeur général présenté par le conseil d’administration, et des administrateurs élus par l’assemblée générale des actionnaires31.
37Pourquoi les deux banques différaient-elles dans leur attitude envers le programme minimum ? Nous ne trouvons pas dans les archives d’éléments explicatifs à cet égard. Mais on pourrait avancer que cela provient de deux raisons. En premier lieu, les rôles différents qu’elles jouaient dans le développement du secteur des banques coloniales depuis la fin du XIXe siècle. D’une part, le Comptoir d’Escompte, succédant à la Banque de France en 1860, remplissait continuellement le rôle de « correspondant officiel » des banques coloniales, c’est-à-dire qu’il était l’établissement de crédit désigné par le gouvernement qui se charge de procurer à ces dernières les ressources de la métropole32 ; et il avait pris la plus grande part dans la fondation de deux puissantes banques coloniales, la Banque de l’Indochine et la Banque de l’Afrique Occidentale. D’ailleurs, depuis 1885, il créait lui-même de nombreuses agences à Madagascar33. Il est donc vraisemblable que le Comptoir d’Escompte pensait que le gouvernement tiendrait compte de l’œuvre effectuée. En effet, dans les lettres qu’il adresse au ministre des Colonies aux mois d’octobre et de novembre 1924, il énumérait longuement et avec fierté les affaires financières qu’il avait réalisées. Le Comptoir d’Escompte, convaincu de sa position avantageuse envers son rival, négligea-t-il de céder au gouvernement ? Au contraire du Comptoir d’Escompte, Paribas n’a rien fait de particulièrement remarquable dans le secteur en question, ce qui l’obligea, sans doute, à faire des concessions au gouvernement pour concurrencer l’autre établissement34.
38Cependant, plutôt que cette première explication, c’est la différence de stratégie dans les affaires coloniales, entre le Comptoir d’Escompte en tant que banque de dépôts et Paribas en tant que banque d’affaires, qui semble peser le plus. Le Comptoir d’Escompte s’engageait dans les affaires coloniales en créant d’abord des banques coloniales (Banque de l’Indochine, Banque de l’Afrique Occidentale), puis, dans un second temps, participait aux affaires coloniales que ces banques combinent. Par contre, Paribas prenait l’initiative de la création de compagnies financières ou holdings ayant leurs activités dans les colonies (Compagnie Générale du Maroc, Compagnie Générale des Colonies), et elle s’intéressait aux affaires coloniales surtout à travers ces compagnies filiales. Par conséquent, pour le Comptoir d’Escompte, une banque coloniale doit être une banque d’émission et d’escompte mais aussi une banque d’affaires. Par suite, le contrôle de l’État s’exerçant sur cette banque coloniale doit être strictement minimisé. Au contraire, pour Paribas, une banque coloniale doit être celle qui assure la trésorerie des compagnies coloniales, bref un établissement spécialisé dans les opérations d’émission et d’escompte. Dans une lettre adressée au ministre des Colonies, les dirigeants de Paribas écrivaient : « La nomination du [président] par l’État est une question de principe. Elle est devenue la règle pour les Banques d’émission. Il est indispensable, en effet, que la personnalité de celui qui dirige une Banque d’émission ait continuellement en vue l’intérêt général et tienne la balance égale entre tous les banquiers, commerçants et industriels du pays »35. Cette adhésion de Paribas à l’interventionnisme dans le domaine de l’émission n’est-elle pas le reflet de sa stratégie dans les affaires coloniales en tant que banque d’affaires ?
39Le 28 novembre 1924, le gouvernement Herriot décide de donner à Paribas et à son groupe la concession de la Banque de Madagascar36. Décision naturelle, puisque, comme nous l’avons mentionné plus haut, le ministre des Colonies considérait comme « essentielle » la troisième partie du programme minimum. Le 18 décembre, le gouvernement signe la convention avec le groupe de Paribas et, le lendemain, dépose devant la Chambre un projet de loi instituant la Banque de Madagascar. Le projet de loi est voté avant la fin du mois de décembre ; et finalement la Banque de Madagascar se crée : « société d’économie mixte » au capital social de 20 millions de francs37, y compris la part du gouvernement colonial de 4 millions de francs, et avec un directeur général-président du conseil et trois administrateurs, tous les quatre nommés par le gouvernement.
40Le 20 décembre 1924, le surlendemain du dépôt du projet de loi instituant la Banque de Madagascar devant la Chambre, Daladier communique à la Banque de l’Indochine son programme minimum, en lui faisant savoir qu’il n’avait aucunement l’intention de reprendre le projet établi par A. Sarraut38. Or ce programme, en particulier son troisième chapitre qui impose la participation de l’État à l’administration et à la gestion de la Banque, s’oppose radicalement au projet d’A. Sarraut. Prévoyant que la Banque soulèverait une contestation sur ce point, Daladier envoya successivement deux dépêches (l’une, le 30 décembre 1924 ; l’autre, le 3 janvier 1925) à la Banque pour lui faire connaître que si elle n’acceptait pas le programme minimum dans sa totalité, il ne lui serait pas possible d’approuver le renouvellement de son privilège et il envisagerait alors de créer un Institut d’émission distinct avec le concours de la Banque39. Pourtant, le conseil de la Banque, ayant examiné ces dépêches, aboutit à une conclusion négative. Le 7 janvier, il écrivit au ministre : « La convention passée le 24 mai 1923 avec votre prédécesseur et approuvée le 21 juin 1923 par l’assemblée générale extraordinaire de nos actionnaires représentait le maximum des modifications que l’on pouvait faire subir à l’organisation de notre Banque telle qu’elle se comporte actuellement »40. Le conseil dut se rallier à la création d’un Institut d’émission sur les bases indiquées par Daladier.
41À partir du milieu de janvier 1925, commencent des pourparlers entre le ministre des Colonies, le sous-secrétaire d’État des colonies et le directeur de la Banque de l’Indochine, en vue de la création d’un nouvel Institut d’émission en Indochine. Il y a deux grandes questions délicates à régler : l’une, la formation du capital social ainsi que la composition du conseil d’administration du nouvel Institut ; l’autre, la politique que la Banque suivra après la fondation de cet Institut, en d’autres termes les rapports entre ces deux établissements indochinois. Sur le premier point, Daladier fait le 24 janvier 1925 une proposition que montre le tableau 43 (colonne a)41. La répartition du capital est marquée par la prééminence de la part faite aux intérêts privés : 30 % pour le gouvernement colonial, 70 % pour les capitaux privés. Par contre, dans la composition du conseil, les intérêts publics sont favorisés : 8 représentants du gouvernement français et de la colonie dont le directeur général-président du conseil, contre 4 représentants de la Banque de l’Indochine et 4 représentants d’intérêts divers. Or la Banque de l’Indochine n’adhère pas à cette proposition, estimant que la part faite à la colonie dans la formation du capital ainsi que dans la composition du conseil est trop importante par rapport à sa part. Mais, après plusieurs entretiens entre les représentants du département des Colonies et de la Banque, la question se règle au mois de mars de telle façon que la part de la Banque dans la formation du capital devient plus importante que celle de la colonie, et que les représentants de l’État et de la colonie au sein du conseil sont en nombre égale à ceux de la Banque (voir le tableau 43, colonne b)42.
42En ce qui concerne la deuxième question, René Thion de La Chaume, directeur de la Banque, essaie de dissuader le ministre des Colonies de créer un établissement distinct, en lui montrant les éléments inquiétants prévisibles pour l’avenir de cet établissement, de l’économie coloniale et de l’influence française en Asie orientale43.
43– « Les bénéfices que réalisera le nouvel Institut et, par suite, la participation de l’État dans ces bénéfices ne seront ni très considérables, ni très prochains », puisqu’il est à craindre que la circulation des nouveaux billets ne se développe que très lentement, et qu’il est certain que cet Institut affrontera l’ardente concurrence des banques étrangères (anglaises et japonaises) comme de la Banque de l’Indochine, toutes installées solidement et depuis longtemps dans la colonie.
44– La Banque de l’Indochine, devenue simple banque libre, « se trouvera obligée de faire rentrer un certain nombre de ses avances qui lui valent le moins de profit ou lui inspirent le moins de sécurité ». Ainsi « le retrait [du] privilège à la Banque de l’Indochine entraînera inévitablement un resserrement général du crédit en Indochine.
45– Étant donné que les ressources d’environ 1 300 à 1 400 millions de francs dont dispose, à l’heure actuelle, la Banque de l’Indochine seront réduites à 600 ou 700 millions de francs, « la Banque de l’Indochine se trouvera sans doute obligée de fermer un certain nombre de ses agences au Siam et en Chine ». Ainsi « le retrait de son privilège à la Banque de l’Indochine aura une répercussion néfaste sur l’influence française en Extrême-Orient ».
46La résistance de la Banque à la réforme du régime bancaire colonial ne se limite pas à ses pourparlers avec le gouvernement. La Banque organise, en même temps, une campagne contre le programme de Daladier, en France ainsi qu’en Indochine. Du début de février à mars 1925, une dizaine de groupements professionnels dans la colonie et des associations coloniales en France44 adressent au ministre des Colonies des pétitions dans lesquelles les auteurs demandent à celui-ci de bien vouloir respecter les avis de la Banque sur le régime d’émission de la colonie45. Par exemple, la Chambre d’agriculture de la Cochinchine à Saigon écrit, au nom de son président, dans un câble du 9 février :
« Chambre agriculture fait remarquer que nouvel Institut devrait être organisé en liaison étroite avec Banque de l’Indochine afin ménager transition continuer crédit indispensable pour soutenir affaires locales et initiatives privées et éviter crise sérieuse qui affecterait principalement intérêts français et annamites déclare particulièrement dangereuses modifications brusques système bancaire actuel et aussi régime monétaire dont preuves sont faites par prospérité passée et actuelle de Indochine »46.
47Toutefois, le 11 avril 1925, au moment où les pourparlers entre le département des Colonies et la Banque sont dans une phase tendue, le cabinet d’Herriot démissionne à cause de l’échec de sa politique financière. Daladier quitte le ministère des Colonies. Dans le cabinet suivant, constitué par Paul Painlevé, André Hesse prend ce portefeuille. Le 6 mai, la Banque adresse une lettre au nouveau ministre, pour lui déclarer que ses craintes et ses objections au projet de Daladier sont très fortes, et pour lui demander de trouver une solution qui s’inspire des grandes lignes tracées en 1923 par A. Sarraut, « solution qui, sans bouleverser un régime bancaire mis victorieusement à l’épreuve depuis près de 50 ans, en assurerait, sous le haut contrôle de l’État français, le rendement le plus profitable aux intérêts publics et privés »47. Mais ces propositions restent lettre morte, d’autant plus que le nouveau gouvernement s’engage publiquement à reprendre la politique de son prédécesseur. Des conférences reprennent au mois d’octobre entre le directeur du département des Colonies, assisté d’un inspecteur des finances, et le directeur de la Banque de l’Indochine. Elles sont entièrement consacrées à des travaux minutieux en vue de créer, selon la formule de Daladier, la « Banque Française d’Extrême-Orient » (appellation provisoire) au capital social de 50 millions de francs et dont la durée du privilège est fixée à 20 ans48.
48Au cours de ces pourparlers, l’antagonisme s’aggrave entre le gouvernement et la Banque de l’Indochine, notamment en ce qui concerne la substitution des billets du nouvel établissement à ceux de la Banque. La fabrication de nouveaux billets en quantité suffisante pour satisfaire les besoins de la colonie (110 millions de piastres, 30 millions de coupures) exige de 18 mois à 2 ans d’après l’estimation de l’ingénieur en chef de la Banque de France. Aussi une période transitoire est-elle prévue où les deux sortes de billets, anciens et nouveaux, doivent circuler en même temps dans la colonie. Mais il est absolument nécessaire de réduire au minimum cette période, pour que soit facilité le début du nouvel établissement et que soit évité un désordre éventuel dans l’économie coloniale. La seule mesure que le département des Colonies envisage à cette fin consiste à employer les billets de la Banque de l’Indochine en les surchargeant, billets qu’elle possède en réserve et qui sont au nombre de 10 millions environ. C’est ainsi que le département demande à la Banque deux concessions : la remise au nouvel établissement du matériel et des stocks de billets neufs en possession de la Banque ; la redevance de 1,5 % sur la circulation que la Banque conserverait pendant la période transitoire49. Thion de La Chaume, négociateur de la Banque, qui avait « le sentiment de jouer sur le velours »50, n’admet ni l’une ni l’autre.
49Le département des Colonies veut amener la Banque à composition. On cherche à faire pression sur elle selon deux voies distinctes : l’« échelon diplomatique » qui consiste à trouver « un établissement financier suffisamment solide qui serait pressenti en vue de pourvoir, le cas échéant, à la carence de la Banque de l’Indochine » ; l’« échelon de contrainte » qui consiste « à chercher à mettre la Banque en demeure de liquider sa situation en remboursant immédiatement toute sa circulation fiduciaire »51. Pour l’un comme pour l’autre, il faut que le gouvernement soit assuré du concours d’un tiers établissement financier prêt à entrer en ligne. En ce qui concerne le premier échelon, le ministre des colonies Léon Perrier qui succède à A. Hesse fin octobre 1925 fixe son choix sur Paribas, qui avait été à la fois conciliante envers le gouvernement lors de la création de la Banque de Madagascar, et hostile à la Banque de l’Indochine quand s’était posé le problème du renflouement de la Banque Industrielle de Chine tombée en faillite en 191952. Perrier entama officieusement des négociations avec elle. Quant au deuxième échelon, le ministre sonda, également officieusement, la Banque de France et la Banque de l’Algérie pour savoir s’il leur était possible d’intervenir pour assurer la circulation fiduciaire de la colonie au cas où le recours obligé aux billets de la Banque de l’Indochine serait arrêté. Aucun établissement consulté ne voulut se prêter aux projets du gouvernement53.
50Donc, les pourparlers repris au mois d’octobre 1925 se retrouvent dans une impasse dès le mois de décembre. Ils s’arrêtent au début de l’année 1926. Entre-temps, les discordes au sein du Cartel des gauches s’élargissent, et le Cartel s’effondre en juillet 1926. Il ne nous est pas possible de savoir quelle fut l’influence du changement politique sur la question de la réforme bancaire coloniale. Il est toutefois certain que le ministère des Colonies, sans jamais renoncer aux principes qu’il s’efforce, depuis Daladier, d’imposer aux banques coloniales, a modifié à cette époque sa ligne de conduite et qu’il donne désormais la priorité à la question du privilège de la Banque de l’Afrique Occidentale. C’est donc au lendemain de l’adoption du projet de loi portant renouvellement du privilège de celle-ci que le département s’occupe de nouveau du privilège de la Banque de l’Indochine.
IV. La loi du 31 mars 1931 : la transformation de la Banque en « société d’économie mixte »
51Le 29 janvier 1929 le projet de loi renouvelant le privilège de la Banque de l’Afrique Occidentale et lui appliquant un nouveau système d’émission fut adopté. Après la création de la Banque de Madagascar, la deuxième affaire relative au régime bancaire colonial se trouve désormais résolue. Il ne reste plus que le cas de la Banque de l’Indochine. C’est dans ce contexte qu’au début de juin 1929, le gouvernement et la Banque de l’Indochine rentrent en pourparlers après quatre ans d’interruption. Le ministre des Colonies, André Maginot, pose à la Banque, comme « condition essentielle »54 à laquelle est subordonnée la prorogation du privilège, « une participation de l’État au capital, à réaliser par la souscription au pair à une augmentation de capital »55. Cette proposition, qui rappelle le projet original de Daladier, vise, sans aucun doute, à réorganiser la Banque de l’Indochine de la même façon que le furent les banques de Madagascar et de l’AOF. Le comité de direction de la Banque de l’Indochine, consulté dans sa séance du 3 juillet, estima à l’unanimité « qu’il ne lui paraissait pas possible d’y répondre favorablement »56. Et, dans la séance du conseil d’administration convoqué le 10 juillet, cet avis du comité fut soutenu par tous les administrateurs sauf un (Octave Homberg).
52Cependant la réponse négative faite par la Banque ne modifia pas la politique du gouvernement, d’autant plus ferme que le projet de loi renouvelant le privilège de la Banque de l’Afrique Occidentale avait été voté. Le 3 octobre 1929, le département des Colonies transmit à la Banque les projets de loi, convention et statuts, prévoyant le renouvellement du privilège. Parmi les clauses, deux questions restaient en suspens : la nomination du président du conseil par le gouvernement et la participation de l’État à l’augmentation du capital. Dans la séance du conseil d’administration du 9 octobre, ces deux clauses furent mises en délibération. En ce qui concerne la première, il n’y avait plus d’objection majeure au sein du conseil ; les administrateurs étaient d’avis que la Banque était obligée de l’accepter, puisque toutes les banques privilégiées de France y étaient contraintes. Mais quant à la deuxième clause, la majorité des administrateurs y était toujours défavorable. Pourtant, le conseil finit par l’accepter, après avoir appris de son président Stanislas Simon que telle était la ferme volonté de deux ministres compétents et modérés, Maginot aux Colonies et Henry Chéron aux Finances57.
53C’est ainsi que la convention fut conclue le 16 novembre 1929 entre le gouvernement et la Banque. Mais la discussion du projet de loi au Parlement prit une bonne année par suite des crises ministérielles qui suivirent : c’est respectivement le 2 février et le 6 mars 1931 que la Chambre des Députés et le Sénat adoptèrent le projet de loi. Les dispositions essentielles de la loi, de la convention et des statuts qui furent promulgués le 31 mars portaient sur les six points suivants :
Le privilège de la Banque est prorogé de 25 ans (article 1er de la loi).
Le capital de la Banque est porté de 72 à 120 millions, par l’émission au pair de 96 000 actions, dont la moitié est réservée aux actionnaires actuels, l’autre moitié étant attribuée à l’État (article 1er de la convention).
Dans le conseil d’administration, composé désormais de 14 à 20 membres (autrefois de 8 à 15), l’État dispose de six postes. Le président est nommé par décret (article 43 des statuts).
La Banque verse à l’État une redevance calculée sur le montant cumulé de la circulation et des comptes courants créditeurs, autrement dit sur le rendement réel des opérations (article 4 de la convention).
La Banque consent des avances sans intérêt, pour un montant de 20 millions de piastres au gouvernement général de l’Indochine ; d’un million de francs à chacun des gouvernements de la Nouvelle-Calédonie, de la Côte française des Somalis et des Établissements français de l’Océanie ; de cinq mille roupies au gouvernement des Établissements français de l’Inde (article 8 de la convention).
Le gouvernement pourra, dans la limite de deux créations annuelles et de vingt au total, imposer à la Banque l’ouverture de nouvelles agences sur des points qui seront désignés par le ministre des Colonies (article 3 de la convention).
54Comment ces dispositions furent-elles réalisées ? Bornons-nous à quelques remarques concernant le contrôle de l’État sur la Banque, point de litige le plus important entre le gouvernement et la Banque. D’abord, les décrets du 3 avril 1931 désignent les six administrateurs dont la nomination appartient au gouvernement : Charles Régismanset, conseiller d’État, directeur au ministère des Colonies, Pierre Guesde, ancien résident supérieur en Indochine, Marcel Olivier, gouverneur général des colonies, Georges Thomé, secrétaire général du ministère de l’Intérieur, Marcel Borduge, conseiller d’État, directeur général des Contributions directes, Henry Borromée, ancien préfet58. Par ces décrets, le conseil atteint le nombre fixé de 20, et les représentants de l’État occupent les 30 %. En même temps, le comité de direction est élargi de 4 à 6 membres avec l’entrée de deux administrateurs désignés par l’État, Régismanset et Borduge59.
55Quant à la participation de l’État au capital, elle est réalisée du 19 mai au 30 juin 1931, lorsque la Banque augmente son capital de 72 à 120 millions de francs selon les termes de la convention annexée à la loi du 31 mars 1931. Les actions attribuées à l’État sont souscrites par le gouvernement français et par les colonies à raison de 8 000 actions par la métropole, 38 000 actions par l’Indochine, 1 200 actions par la Nouvelle-Calédonie, 500 actions par les Établissements français de l’Océanie, 200 actions par les Établissements français de l’Inde, 100 actions par la Côte française des Somalis60. L’État détient ainsi 20 % du capital.
56En tout cas, la participation de l’État au conseil de la Banque ainsi qu’au capital social demeurait minoritaire. Restait à résoudre le problème de la présidence du conseil en tant qu’organe de contrôle de l’État. Il était double.
57En premier lieu, à la différence des autres banques coloniales, le président de la Banque ne cumulait pas ses fonctions avec celle de directeur général61. La nomination de ce dernier demeurait comme auparavant indépendante du gouvernement (article 43 des statuts). En effet le gouvernement et les Chambres admirent que l’organisation de la Banque avait à conserver assez de souplesse pour répondre à son caractère particulier, ainsi que le soutenaient les dirigeants de la Banque : « [la Banque de l’Indochine] a des établissements en territoires étrangers, à monnaies différentes » ; « elle a à tenir compte des législations étrangères » ; « les questions de change nécessitent des techniciens, ayant une pratique approfondie de ces délicates opérations, qui ne se présentent pas au même degré dans les autres banques d’émission, et une compétence locale et spéciale »62. De toute façon, le contrôle de l’État s’exerçant sur la Banque par l’intermédiaire du haut personnel de celui-ci restait relativement faible, même au niveau institutionnel.
58En second lieu, le président du conseil Simon garda sa charge sous le nouveau régime inauguré le 1er avril 1931, malgré l’accord verbal intervenu lors de la convention entre le gouvernement et la Banque, et d’après lequel le président devait être choisi parmi les administrateurs représentant l’État au sein du conseil63. Autrement dit, avec l’instauration du nouveau régime, il se retrouve à la présidence comme s’il avait été désigné par l’État. Ce n’est pas tout. Il céda en même temps le poste d’administrateur-délégué qu’il occupait depuis 1920 à son fidèle ami Thion de La Chaume, administrateur-directeur. La qualité de représentant de l’État du premier président du conseil devenait ainsi fictive ; de plus, les prérogatives dont ce président disposait étaient bien moins importantes qu’autrefois. Certes, Simon mourut en juillet 1931, et par conséquent, la période de ses services en tant que président désigné par l’État fut très courte. Cependant, lors de la nomination du successeur de Simon, le gouvernement ne put non plus appliquer la règle de désignation par l’État.
59Un an durant, après la mort de Simon, les deux ministres des Colonies et des Finances s’efforcèrent en vain d’appeler un représentant de l’État à la présidence laissée vacante. En juillet 1932, redoutant la situation anormale née de l’absence prolongée de président, ils Finirent par admettre « les titres indiscutables acquis par M. Thion de La Chaume à la succession de M. Simon »64 et le désignèrent président. Ils n’avaient Finalement pas réussi à modifier la structure du pouvoir déjà établie au sein de la Banque. Tout ce qu’ils avaient pu obtenir était que la Banque reconnaissait que « cette désignation ne constitue pas un précédent qui puisse être invoqué à l’avenir »65, et qu’était créé pendant la présidence de Thion de La Chaume « un poste de deuxième vice-président qui serait attribué à l’un des représentants du gouvernement dans le conseil »66. C’est seulement en 1936 et sous le gouvernement du Front populaire que naît « le président désigné par l’État » dans le sens strict du mot : le 14 novembre 1936, le gouvernement relève Thion de La Chaume de ses fonctions et appelle Borduge à la présidence67.
60Au vu de ce qui précède, quel jugement porter sur la loi de 1931 ? Si l’on considère la proportion des actions et des postes d’administrateurs dont l’État dispose, et également si l’on tient compte des modalités autant que des réalités de la nomination du président du conseil et du directeur général, on peut dire que la loi ne s’oppose pas au point de vue que la Banque défendait depuis qu’il avait été question du renouvellement de son privilège (1917), et que le conseil de la Banque exposait à ses actionnaires le 11 décembre 1929 dans les termes suivants : « Nous avons toujours estimé qu’en matière de banque, l’initiative et la direction devraient appartenir aux intérêts privés et que l’État ne devait avoir qu’un rôle de contrôleur et de participant aux bénéfices »68. Toutefois, même si le contrôle n’était pas aussi complet que pour les autres banques coloniales, il est parfaitement vrai que la loi de 1931 transforma la Banque en « société d’économie mixte » avec des représentants de l’État. Dans ce sens, la loi donna une occasion de mettre fin au régime « souple » dont les banques de type nouveau jouissaient depuis la fin du XIXe siècle.
Conclusion
61La question du renouvellement du privilège de la Banque de l’Indochine fut réglée par la loi de 1931 de telle sorte que son organisation administrative subit des modifications profondes. Pourquoi un tel changement ?
62Il est indiscutable que la prise du pouvoir par les gauches dans les années 1924-1926 eût un rôle décisif dans la soumission successive de trois banques coloniales (Banque de Madagascar, Banque de l’Afrique Occidentale, Banque de l’Indochine) à la formule nouvelle de « société d’économie mixte » ou d’« actionnariat des collectivités publiques »69. A ce propos, il suffit de rappeler que ce fut Daladier, ministre des Colonies du gouvernement du Cartel des gauches, qui prit l’initiative de la réforme. Mais il n’est pas possible de tout attribuer à la force politique et aux idées économiques et sociales des partis de gauche. Le pouvoir ne passa-t-il pas, à partir de juillet 1926, aux mains des conservateurs ? Les réorganisations de la Banque de l’Afrique Occidentale et de la Banque de l’Indochine ne furent-elles pas réalisées sous des gouvernements de tendance conservatrice ? Tout cela suggère que des éléments plus structurels, autres que politiques, interviennent également.
63Parmi ces éléments, il faudrait signaler tout d’abord la réorientation du capitalisme français. A cause de la première guerre mondiale, comme on le sait, la France perd la plus grande partie de ses créances extérieures, alors qu’elle supporte des dettes extérieures énormes. Désormais, il ne s’agit plus d’expansion extérieure. Tous les gouvernements de l’après-guerre, soucieux de la situation précaire de la balance des paiements, considèrent comme un des éléments essentiels de leur politique la mise en valeur des colonies en vue de l’importation des matières premières situées dans l’intérieur de l’empire colonial. Ce changement d’orientation de la politique coloniale de « l’expansion » à « la mise en valeur »70 modifie nécessairement les rôles que les banques coloniales ont à remplir. Celles-ci n’ont plus besoin d’être « établissements pour l’expansion » ; elles doivent être avant tout des « établissements d’émission » qui collaborent avec le gouvernement à la mise en valeur des colonies. Cela revient à dire qu’il n’y a plus de motif à ce que l’État assure aux banques coloniales le régime « souple ». Dans une note datée du 1er octobre 1925 et adressée au ministre des Colonies, Ernest Roume, ancien directeur de l’Asie au ministère des Colonies et administrateur de la Banque de l’Indochine, écrit :
« Si on examine l’ensemble de ces projets successifs [portant privilège de la Banque de l’Indochine] et l’esprit qui les inspire on ne peut que constater que la politique suivie avec persévérance par le gouvernement pendant près d’un demi-siècle paraît être presque complètement abandonnée.
« Il ne s’agit plus d’instituer un puissant organisme financier, capable de soutenir avec efficacité les intérêts de la France en Extrême-Orient et de renforcer à cet effet la situation déjà acquise par la Banque de l’Indochine.
« Cette préoccupation semble être à peu près effacée ; il ne s’agit plus que de percevoir des redevances, d’acquérir des droits sur les réserves et d’augmenter plus ou moins, mais, en tout cas, très notablement la mainmise de l’État sur l’administration de la Banque »71.
64Or la demande du gouvernement qui considère que le rôle d’une banque coloniale doit être limité à l’émission des billets et à l’escompte du papier commercial semblait trouver des défenseurs parmi des banques d’affaires et des compagnies financières. D’une manière générale, les colonies dans les années 1920 connaissaient la prospérité économique, et, plus particulièrement, l’Indochine se trouvait « dans un véritable état “d’euphorie économique” caractérisé par une inflation des affaires et des crédits »72. Ce sont des banques d’affaires et des compagnies financières, telles la Banque de Paris et des Pays-Bas, la Banque de l’Union Parisienne et la Société Financière Française et Coloniale, qui participaient grandement à cette vague de prospérité, en même temps qu’elles poussaient celle-ci. Naturellement, pour ces grands établissements financiers qui prennent la résolution d’intensifier leurs activités coloniales73, il n’est pas désirable que les banques coloniales continuent à détenir les deux fonctions de banque d’émission et de banque d’affaires, et à monopoliser les affaires coloniales. C’est sans doute grâce à ce point de vue que Paribas obtint la concession d’une banque à Madagascar dont le rôle se cantonne à l’émission et qui est contrôlée rigoureusement par l’État, en concurrence avec le Comptoir d’Escompte et contre le gré de celui-ci (et également de la Banque de l’Indochine). C’est également en partant de ce même point de vue que Octave Homberg – rappelons qu’il était en même temps le président de la Société Financière Française et Coloniale, grand holding qui contrôlait une trentaine de compagnies coloniales –, seul parmi les membres du conseil de la Banque de l’Indochine, adhéra aux propositions faites par A. Maginot.
65Au total, le nouveau principe de l’émission appliqué aux trois banques coloniales avait son origine dans les idées des partis de gauche (« démocratisation du crédit », « nationalisation du crédit »), mais la mise en pratique de ce même principe était en fait conditionnée par certains besoins économiques de l’État français et par les intérêts de grandes firmes financières. C’est pourquoi Paribas collabora avec le gouvernement de gauche à la création de la Banque de Madagascar, tandis que les réorganisations de la Banque de l’Afrique Occidentale et de la Banque de l’Indochine furent réalisées sous des gouvernements de tendance conservatrice.
Notes de bas de page
1 AG, Banque de France, exercice 1901.
2 Voir notre étude (en japonais), « Les structures monétaires et bancaires de la France dans leurs rapports avec la “forte encaisse métallique” de la Banque de France, de la fin du XIXe siècle à 1914 », Economia, juillet 1979.
3 C. Nicolet, Le radicalisme, Paris, 1974, p. 36.
4 Formules qui se trouvent dans le programme de 1907. Cf. Ibid., p. 43-48 ; S. Bernstein, Histoire du Parti radical, t. I, Paris, 1980, p. 55-67.
5 P. Ernest-Picard, op. cit., p. 173-174.
6 Rappelons, à titre de comparaison, le régime anglais : plusieurs chartered banks pour chaque colonie. Cf. A.S.J. Baster, The Imperial Banks, Londres, 1919.
7 Banque de la Martinique, Banque de la Guadeloupe, Banque de la Réunion, Banque de la Guyane et Banque du Sénégal.
8 ANSOM, crédit carton 84.
9 Voir chapitre II du présent ouvrage.
10 ANSOM, Crédit carton 84, inspecteur général des colonies Phérivong à ministre des Colonies, Hanoï, 26 février 1917.
11 Article 25 du programme de 1907.
12 ANSOM, Crédit carton 84, Lettre du ministre du Commerce, Clémentel, à ministre des Colonies, Simon, 26 avril 1918.
13 ANSOM, Crédit carton 84, gouverneur général de l’Indochine Sarraut à ministre des Colonies, Simon, Saigon, 29 novembre 1917 ; Id., Crédit carton 19, Note du colonel Bernard déjà citée.
14 Note du colonel Bernard, op. cit.
15 Ibid.
16 Voici l’avis du département des Colonies sur Bernard et sa Note : « Le colonel Bernard, actuellement mobilisé en qualité d’inspecteur de l’Artillerie, occupe une situation importante en Indochine où il est administrateur de la Compagnie Fluviale de la Cochinchine. Il a une connaissance approfondie des besoins de l’Indochine où il a vécu de nombreuses années et il a une compétence incontestable en matière de commerce et de banque. Ses observations, bien que présentées parfois sur un ton un peu vif, n’en méritent pas moins, de ce fait, d’être examinées avec attention » (ANSOM, Crédit carton 39, Note sur les observations du colonel Bernard).
17 Du moins était-ce l’avis d’Outrey, membre de la commission. Ce dernier écrivait au ministre des Colonies, le 12 mars 1919 : « Nommée et fonctionnant depuis le mois de juin 1918, elle [la commission] semble vouloir prolonger indéfiniment ses travaux [...]. Or, si l’on croyait certains amis de la Banque de l’Indochine, la Chambre actuelle avait manifesté des sentiments inquiétants, en ce qui concerne les banques d’émission et, par ailleurs, mon collègue Moutet, ainsi que moi-même, ayant formulé des critiques nombreuses et sévères contre la façon dont la puissante banque française d’Extrême-Orient use de son privilège, celle-ci aurait manifesté le désir de ne pas voir venir la question du renouvellement de son privilège en discussion, au cours de cette législature [...]. Ce qu’il y a de plus regrettable et de plus attristant dans cette affaire, c’est de voir qu’un membre du gouvernement semble vouloir se prêter à cette manœuvre. Ne peut-on pas penser, d’ailleurs, que M. le sous-secrétaire d’État Sergent est, en quelque sorte, le représentant qualifié des banques françaises d’émission dans le ministère ? de ces banques dont les conventions sont toutes arrivées à expiration » (ANSOM, Crédit carton 39).
18 H. Lerner, La Dépêche, journal de la démocratie, t. I, Toulouse, 1978, p. 481.
19 Son premier séjour en Indochine est de 1911 à 1914.
20 H. Lerner, La Dépêche..., op. cit., t. I, p. 486.
21 ANSOM, Crédit cartons 16, 66 et 81.
22 Il va sans dire que cette préoccupation n’était pas étrangère au programme d’ensemble pour la « mise en valeur des colonies françaises » (ou plan Sarraut), dessiné à cette période au ministère des Colonies.
23 ANSOM, Crédit carton 81, Notes prises au cours de la conférence tenue dans le Cabinet du ministre des Colonies, 11 décembre 1922.
24 C. Nicolet, Le radicalisme, op. cit., p. 69.
25 Le parti radical au pouvoir s’opposait dans son programme de 1923, de même que dans celui de 1907, au « grand capitalisme ». Mais cette opposition était présentée d’une manière beaucoup plus précise qu’autrefois. Notamment, il faut remarquer que la prise de contrôle des monopoles par l’État avait une ressemblance avec le programme de la CGT de 1919. En effet, le programme de 1923 exigeait : « le maintien des monopoles d’État qui existent et la reprise par la nation des monopoles de fait là où l’intérêt public l’exige » ; « le contrôle des grands consortiums et des établissements financiers par les agents de l’État, par leur personnel et par les représentants de leur clientèle ». Évidemment, il s’agissait ici de la nationalisation des secteurs clés et de la gestion tripartite des firmes nationalisées. Cf. S. Berstein, Histoire..., op. cit., t. I, p. 173.
26 Clémentel était à cette époque l’un des promoteurs de l’interventionnisme. Cf. R.F. Kuisel, Le Capitalisme et l’État en France au XXe siècle, Paris, 1984, p. 90.
27 ANSOM, Crédit carton 66, Conditions minima posées par le ministre des Colonies.
28 Discours de Daladier devant la Chambre des Députés, 9 juillet 1925 (Fondation nationale des Sciences politiques, archives contemporaines, Fonds Daladier, IDA-Dr1).
29 C’est en 1919 que les deux banques entrèrent en compétition (ANSOM, Crédit carton 29 et 134).
30 ANSOM, Crédit carton 134, Banque de Paris et des Pays-Bas à ministre des Colonies, 10 novembre 1924.
31 ANSOM, Crédit carton 134, Comptoir d’Escompte de Paris à ministre des Colonies, 12 et 24 novembre 1924.
32 Comptoir d’Escompte de Paris, 1848-1893, s.d. (consulté au siège social de la Banque Nationale de Paris) ; Y. Gonjo, « Le Comptoir d’Escompte de Paris, op. cit. (1), (2) ».
33 Tanarive, Tamatave, Majunga, Diégo-Suarez, Tuléar, Mananjary, Nossi-Bé.
34 Dans la Note sur les banques d’émission, rédigée le 21 avril 1925, après que l’affaire a été réglée de manière à satisfaire entièrement les désirs du gouvernement, on peut lire les lignes suivantes : « Il est bien certain que ces conditions [minima] n’ont pu être obtenues qu’à la faveur de l’ardente concurrence qui s’est engagée entre le groupement financier du Comptoir National d’Escompte de Paris et celui de la Banque de Paris et des Pays-Bas » (ANSOM, Crédit carton 27).
35 ANSOM, Crédit carton 134, Banque de Paris et des Pays-Bas à ministre des Colonies, 10 novembre 1924.
36 S. Berstein (Histoire, op. cit., t. I, p. 427, 429 et 431) montre, à travers la presse de l’époque et les archives du ministère de l’Intérieur, que Paribas seule soutenait le gouvernement du Cartel des gauches, par opposition aux autres grandes banques parisiennes qui étaient hostiles à celui-ci. Nous confirmons ici que Paribas et le gouvernement de gauche étaient en accord sur la politique vis-à-vis des banques coloniales.
37 A ce capital social le Comptoir d’Escompte, répondant à la demande du ministre des Colonies, souscrit deux millions de francs. ANSOM, Crédit carton 30.
38 Daladier expliquait sa thèse en ces termes : « La Banque d’émission est, par nature, la dispensatrice impartiale du crédit : son champ d’action doit donc être limité et son rôle restreint à l’exercice de sa fonction essentielle. Mais cette condition ne peut être réalisée que si le directeur général de la Banque est nommé par l’État ainsi qu’un certain nombre d’administrateurs. Il importe également, dans l’intérêt du commerce, en vue surtout de contribuer à l’abaissement de ses prix de revient, de limiter le taux de l’escompte et d’assurer la gratuité des transferts. Enfin, les colonies doivent obtenir une large participation dans les bénéfices importants qui sont réalisés sur leur territoire, participation qui est indispensable au moment où leur mise en valeur présente, pour la Métropole, un intérêt vital » (ANSOM Crédit carton 60, ministre des Colonies à Banque de l’Indochine, 20 décembre 1924).
39 ANSOM, Crédit carton 66....
40 ANSOM, Crédit carton 66, Banque de l’Indochine à ministre des Colonies, 7 janvier 1925.
41 ANSOM, Crédit carton 66, Constitution du capital et du conseil d’administration, 24 janvier 1925.
42 ANSOM, Crédit carton 66, ministre des Colonies à Banque de l’Indochine, 7 mars 1925 ; Banque de l’Indochine à ministre des Colonies, 19 mars 1925.
43 ANSOM, Crédit Carton 66, Résumé de l’exposé fait par S. Simon et R. Thion de La Chaume, au cours de l’audience accordée par le ministre des Colonies, le 13 janvier 1925.
44 Chambre d’agriculture de Cochinchine, Chambre de commerce de Saigon, Syndicat des planteurs de caoutchouc, Chambre mixte de commerce et d’agriculture du Cambodge, Chambre mixte de commerce et d’agriculture de l’Annam, Chambre de commerce de Hanoï, Union coloniale française, Institut colonial français, Comité du commerce, de l’industrie et d’agriculture en Indochine. ANSOM, Crédit carton 66.
45 Au sujet de cette campagne, l’agence de la Société de Gérance de la Banque Industrielle de Chine, successeur de la Banque Industrielle de Chine et adversaire de la Banque de l’Indochine, adressait au ministre des Colonies un câble depuis Saigon le 14 mars 1925 dont le contenu est : « Banque de l’Indochine avoir l’intention de limiter le crédit et demander remboursement avances importantes y compris celle consentie pour Emprunt français prorogée depuis 1918 de manière à soulever opinion publique mettre Gouvernement dans une situation difficile et l’obliger différer ou renoncer projet. Depuis quelques jours M. Szimansky [directeur de succursale de Saigon de la Banque de l’Indochine ?] convoquer débiteurs importants et leur annoncer impossible renouveler avances en cours. Leur compradore agirait dans le même sens auprès Chinois. Débiteurs s’alarmer à quelles conditions Institut Émission reprendra avances Banque de l’Indochine » (ANSOM, Crédit carton 66).
46 ANSOM, Crédit canon 66.
47 ANSOM, Crédit canon 66, Banque de l’Indochine à ministre des Colonies, 6 mai 1925.
48 ANSOM, Crédit carton 66, Notes sur les projets relatifs à l’émission en Indochine, 31 décembre 1925.
49 Ibid.
50 ANSOM, Crédit carton 57, note pour le ministre des Colonies, 12 février 1926.
51 Ibid.
52 J.-N. Jeanneney, « La Banque industrielle de Chine et la chute des frères Berthelot, 1921-1923 », in L’argent caché, Paris, 1981.
53 ANSOM, Crédit carton 85, note : Utilité d’une grande banque privée pour l’exercice du privilège d’émission aux colonies, 12 novembre 1930.
54 PV, Banque de l’Indochine, 10 juillet 1929.
55 Ibid.
56 Ibid.
57 S. Simon, qui avait eu un entretien avec ces deux ministres, résuma leurs exigences au conseil : « MM. Chéron et Maginot ont alors déclaré qu’il leur était impossible de soumettre au Parlement un projet qui ne contiendrait pas cette clause. Ils étaient tellement sûrs d’un échec absolu qu’ils n’entreprendraient même pas de le tenter [...]. S’il n’en était pas ainsi, il ne leur resterait d’autre alternative que de s’adresser à un groupe autre que la Banque de l’Indochine pour lui demander de constituer une banque d’émission en remplacement de celle qui leur ferait ainsi défaut » (Ibid., 9 octobre 1929).
58 PV, Banque de l’Indochine, 15 avril 1931 ; AG, Banque de l’Indochine, 2 juin 1931.
59 PV, Banque de l’Indochine, 15 avril 1931.
60 Ibid., 29 avril 1931 ; AG, Banque de l’Indochine, 26 mai 1932.
61 Sous le régime de la loi de 1931, le directeur du siège central reçut la nouvelle désignation de « directeur général ».
62 ANSOM, Crédit carton 81, Notes prises au cours de la conférence, op. cit., 11 décembre 1922. Dans le rapport fait par la Commission de l’Algérie qui étudia le texte du projet de loi renouvelant le privilège de la Banque de l’Indochine, on peut lire : « En examinant le projet actuel, il ne faut pas oublier le double caractère de l’établissement avec lequel l’État s’associe : banque d’émission dans les colonies, banque de change et banque commerciale en dehors des colonies françaises. S’il est admissible que les représentants de l’Etat aient une compétence étendue lorsqu’il s’agit de simples opérations d’émission, il est plus difficile de leur donner un pouvoir directorial en matière d’opérations commerciales ou financières ordinaires. C’est en considération de ce caractère mixte de la banque que votre Commission a accepté la limitation sur certains points des pouvoirs accordés aux représentants de l’État » (Chambre des Députés, séance du 15 avril 1930). Voir également Avis présenté au nom de la Commission... par Jean Phillip, Sénat, 26 février 1931.
63 Lettre du ministre des Finances à la Banque de l’Indochine, 14 novembre 1936. Cf. PV, Banque de l’Indochine, 18 novembre 1936.
64 Lettre du ministre des Finances à la Banque de l’Indochine, 10 juillet 1932, cit. dans le procès-verbal de la Banque de l’Indochine, 12 juillet 1932.
65 Ibid.
66 Ibid.
67 Ce changement du personnel dirigeant fut réalisé par un acte d’autorité. On peut en prendre la mesure au travers des paroles échangées au cours de la séance du conseil de Banque de l’Indochine du 18 novembre 1936 et dans l’atmosphère extrêmement tendue entre Thion de La Chaume, qui voulait rester encore quelque temps au conseil comme administrateur délégué, et les autres membres du conseil. Reproduisons la dernière scène du drame : « Aucun membre du conseil n’ayant manifesté une opinion dans ce sens, M. Thion de La Chaume se lève. Il déclare qu’il vient de subir la plus grande offense de sa vie et il quitte la salle des séances » (Ibid, 18 novembre 1936).
68 AG extraordinaire, Banque de l’Indochine, 11 décembre 1929.
69 Termes utilisés dans l’exposé des motifs du projet de loi portant renouvellement du privilège d’émission de la Banque de l’Indochine.
70 On peut chercher l’une des origines de ce changement dans le « rapport Clémentel » de 1919 (ministère du Commerce, Rapport général sur l’industrie française : sa situation, son avenir, Paris, 1919, 3 vol.)
71 ANSOM, Crédit carton 57, Note au sujet du privilège d’émission en Indochine, par Ernest Roume, 1er octobre 1925
72 ANSOM, Crédit carton 39, Note sur la situation économique dans ses rapports avec le problème monétaire et la politique suivie par la Banque de l’Indochine, décembre 1933, Georges Keller, directeur des Affaires économiques aux Colonies.
73 En ce qui concerne l’action coloniale très active des banques d’affaires et des compagnies financières durant les années 1920, voir les Rapports à rassemblée générale des actionnaires de ces firmes.
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Banque coloniale ou banque d’affaires
Ce livre est cité par
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