Avant-propos
p. IX-XIII
Texte intégral
1L'argent du roi : les finances sous François Ier est l'ouvrage d'un jeune chercheur, Philippe Hamon, maître de conférences à l'Université Rennes II. Il témoigne du renouveau des études financières dans la recherche historique mondiale et d'une experte exploitation de sources on ne peut moins sérielles.
2L'histoire des finances n'est pas vraiment nouvelle en France. La fin du xixe siècle et le début du xxe ont vu de grands pionniers écrire de remarquables livres qui font encore référence aujourd'hui. Aucun historien des finances françaises ne peut se passer de l'Histoire financière de la France depuis l'origine de la monarchie jusqu'à la fin de 1786, de Bailly, de l'Histoire de l'impôt en France, de Clamageran, de l'Histoire du crédit en France sous le règne de Louis XIV, de Germain-Martin, des Impôts directs sous l'Ancien Régime et de l'Histoire financière de la France depuis 1715, de Marion, de l'Impôt des aides sous l'Ancien Régime (1360-1791), de Milne, de l'Impôt des gabelles en France aux xviiie et xviiie siècles, de Pasquier, des Finances de l'Ancien Régime et de la Révolution et de la Bibliographie historique des finances de la France au xviiie siècle, de Stourm, de l'Histoire de la dette publique en France, de Vührer, et des Variations de la livre tournois depuis le règne de Saint Louis jusqu'à l'établissement de la monnaie décimale, de de Wailly, tous parus avant le premier conflit mondial.
3Pourtant, cette thématique était alors largement noyée dans une production axée essentiellement sur les événements politiques et elle ne trouva pas tout de suite sa place dans le grand renouveau historique lancé, entre les deux guerres, par l'École des Annales. Si le monde rural, l'industrie, la banque, le commerce international, les prix mêmes trouvaient leurs chantres, entre 1930 et 1980, les finances n'attiraient pas. Il fallut attendre les années 80 pour qu'apparaisse une nouvelle moisson désormais bien encadrée.
4Dans ce nouvel élan, le xviiie siècle français est largement privilégié. C'est lui que décrivent J. Bergin (Pouvoir et fortune de Richelieu, 1987), R. Bonney (Political change in France under Richelieu and Mazarin 1624-1661, 1978 ; The king's debts, finance and politics in France 1589-1661, 1981 ; Jean Roland Malet, premier historien des finances de la monarchie française, 1993), J.-B. Collins (Fiscal limits of absolutism. Direct taxation in Early Seventeenth century France, 1988), J. Dent (Crisis in Finance crown, financiers and society in seventeenth century France, 1973), D. Dessert (Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, 1984 ; Fouquet, 1987), C. Michaud (L'Église et l'Argent sous l'Ancien Régime. Les receveurs généraux du clergé de France aux xviiie et xviie siècles, 1991) et moi-même (Le monde des financiers, 1988). Le xviiie siècle est éclairé par les travaux de Michel Antoine (Le Conseil royal des finances au xviiie siècle et le registre E 3659 des Archives nationales, 1973 ; Le gouvernement et l'administration sous Louis XV, dictionnaire biographique, 1978), J. F. Bosher (French Finances 1770-1795, 1970), G. Chaussinand-Nogaret (Les finances de Languedoc au xviiie siècle, 1970, Gens de finance au xviiie siècle, 1972), Y. Durand (Les fermiers généraux au xviiie siècle, 1971), E. Faure (La banqueroute de Law, 1978), C.-F. Lévy (Capitalistes et pouvoir au siècle des lumières, 1969), H. Luthy (La banque protestante en France de la révocation de l'Édit de Nantes à la Révolution, 1961) et M. Morineau (« Budgets de l'État et gestion des finances royales en France, au xviiie siècle », Revue historique, 1980), sans qu'une synthèse n'ait encore été tentée. A. Guéry (« Les finances de la monarchie française sous l'Ancien Régime », Annales E.S.C, 1978 ; « Le roi dépensier : le don, la contrainte et l'origine du système financier de la monarchie française d'Ancien Régime », Annales E.S.C, 1984 ; « La naissance financière de l'État moderne en France », 5e Congrès de l'Association française des historiens économistes, 1985), J. Meyer (Lepoids de l'État, 1983) et J. Riley (The Seven Years war and the old regim in France, 1986) ont cerné quelques évolutions de longue durée. Le xvie siècle est resté le parent pauvre en dépit des travaux de D. Hickey (The coming of French Absolutism : The struggle for tax reform in the province of Dauphiné 1540-1640, 1986), C. Michaud (« Finances et guerres de religion en France », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1981), H. Michaud (« L'ordonnancement des dépenses et le budget de la monarchie 1581-1589, Annuaire-Bulletin de la Société de l'histoire de France, 1970-1971), L.-S. Van Doren (« War taxation, institutionnal change and social conflict in provincial France. The royal taille in Dauphiné 1494-1559 », Proceedings ofthe American Philosophical Society, 1977) et M. Wolfe (The fiscal system of Renaissance France, 1972).
5Malgré tout, le mouvement est lancé. Il est, depuis 1989, soutenu, en France, par le Comité d'histoire économique et financière de la France qui organise des colloques, fait paraître une revue annuelle (Études et Documents), édite de nombreux ouvrages et des guides du chercheur pour ces documents réputés ingrats. Depuis 1989, la Fondation européenne de la science finance un programme de recherche sur la genèse de l'État moderne dont un des thèmes porte sur le système économique et les finances de l'État. Par ailleurs, la banque de données sur les finances de l'État européen enregistre les chiffres dont on dispose. Enfin, voilà qu'on annonce pour 1994, publiée par Cambridge University Press, une Financial History Review destinée à rassembler les travaux des chercheurs du monde entier. C'est dans ce contexte dynamique que s'inscrit l'ouvrage de Philippe Hamon.
6L'insérer dans cette redécouverte croissante ne diminue en rien son mérite, car, s'il pouvait s'appuyer sur quelques travaux antérieurs, il ne s'est pas moins aventuré, en solitaire, sur un terrain peu riche.
7Avant lui, les finances du xvie siècle s'ornaient déjà des noms de R. Doucet, R. Ehrenberg, M. François, R. Gascon, D. Gioffre, G. Jacqueton, B. Schnapper, A. Spont. Leurs études sur « Le grand parti de Lyon au xvie siècle » (Revue historique, tomes CLXXI et CLXXII), « La banque en France au xvie siècle » (Revue d'histoire économique et sociale, 1951), le Siècle des Fugger (1955), le Cardinal François de Tournon, homme d'État, diplomate, mécène et humaniste 1489-1562 (1951), le Grand commerce et la vie urbaine au xvie siècle. Lyon et ses marchands (1971), Gênes et les foires de change de Lyon à Besançon (1960), « Le Trésor de l'Épargne sous François Ier » (Revue historique, tomes 55 et 56), Les rentes au xvie siècle : histoire d'un instrument de crédit, 1957, et Semblançay ( ? -1527). La bourgeoisie financière au début du xvie siècle (1895) sont de grands classiques. Ils ne portent, toutefois, que sur des points particuliers. Certains de ces auteurs ont également publié des documents de l'époque : ainsi Roger Doucet, « L'état des finances de 1523 », Gilbert Jacqueton, les Documents relatifs à l'administration financière en France de Charles VII à François Ier (1443-1523), Alfred Spont des « Documents relatifs à Jacques de Beaune, Semblançay », Michel François, la Correspondance (1521-1562) du Cardinal de Tournon, tous fort utiles sur la question. S'y ajoutent les Ordonnances des rois de France, règne de François Ier (1515-1539) et le Catalogue des Actes de François Ier, autres pièces éditées. Aller plus loin nécessitait le recours aux archives. Quiconque les a fréquentées sait que l'incendie de la Chambre des comptes, en 1737, et le bureau de triage révolutionnaire ont réduit les documents comptables à des épaves que remplacent parfois d'anciennes collations, que l'on ne possède pas, pour le règne de François Ier, les précieux arrêts du Conseil du roi qui ont permis la connaissance des finances du xviie siècle et que les archives judiciaires, souvent très riches, sont irrégulièrement conservées. On pouvait donc être sceptique sur le résultat d'une telle étude et mettre en garde le chercheur sur les difficultés qui l'attendaient. Ce fut fait - je m'en souviens - dans un café parisien proche de la Bibliothèque nationale qui a dû en entendre bien d'autres.
8C'était compter sans le talent de Philippe Hamon qui a su tricoter ensemble des informations ténues venues d'horizons divers. Malgré d'imparables lacunes - les dépenses des maisons civile et militaire du roi ne sont connues, par exemple, que pour les années 1516, 1531, 1546 - se reconstitue sous sa plume toute l'histoire financière du règne de François Ier. Très logiquement, Philippe Hamon commence par scruter les dépenses et les recettes qui les assurent, crédit compris. Puis il décrit les changements institutionnels et les poursuites contre le personnel financier. Il en découvre alors les enjeux politiques, financiers et moraux.
9Ce qu'il prouve conforte les découvertes antérieurement faites sur les finances de l'État au xviie siècle. Les débours sont premiers et les recettes ne sont levées que pour les assurer. Les dépenses des maisons royales et des fêtes où la monarchie se met en scène, les dons, les pensions, les gages des officiers, la construction d'édifices publics, le soutien aux activités économiques, à l'éducation et à la culture sont minimes par rapport aux frais qu'occasionnent la guerre, les armées et la diplomatie : en 1546, la maison du roi a coûté 811 236 livres ; de 1542 à 1546, le dernier conflit du règne plus de 30 millions de livres. Les impôts direct (la taille) et indirects (très nombreuses taxes affermées portant sur la consommation et le transport) ne suffisent pas à assurer les dépenses - en 1546 P. Hamon les estime à seulement 9 millions de livres -et rentrent de manière irrégulière, créant ainsi des problèmes de trésorerie. Il faut donc constamment courir après l'argent et combler le déficit en vendant des offices, imposant le clergé (la décime devient annuelle), les villes et les officiers, aliénant le domaine et recourant à de nombreux autres expédients - dont sont cependant exclues les manipulations monétaires - et pour finir, au crédit. Selon les périodes, on fait appel au volontariat (les marchands-banquiers italo-lyonnais font face aux emprunts à court terme et tirent grand profit de ces opérations), à la contrainte (les proches conseillers du roi, les grands officiers de finance, les officiers entrant en charge, le clergé, les villes du royaume, les alliés suisses et italiens, les sujets d'outre-mont prêtent sur leurs fonds personnels ou ce qu'ils ont emprunté - les rentes sur l'Hôtel de ville de Paris en sont un exemple -) ou à l'imposition (le roi saisit les biens « consignés » par des justiciables) ; les fermiers « avancent » de l'argent pour obtenir une ferme ; les ambassadeurs et les chefs d'armée fournissent ce qui est indispensable au bon fonctionnement de leurs charges.
10Des similitudes se lisent aussi dans les poursuites réalisées contre le personnel financier pour récupérer des débets accumulés (en 1517, 1521, 1523, 1524, 1535) ou juger des malversations (procès Semblançay, enquêtes de la Tour Carrée). Le fonctionnement de ces cours, leurs dysfonctionnements et leurs résultats financiers sont analogues à ceux des chambres de justice au début du xviie siècle. Enfin, les attitudes de la monarchie vis-à-vis des contribuables (ils doivent payer ; s'ils se révoltent on envoie la troupe puis on pardonne), de l'argent (on en parle le moins possible, toujours pour dire qu'on n'a pu faire autrement que de taxer et que la demande est juste) et de ceux qui le manient (ils sont déjà des boucs émissaires en cas d'échec du monarque) sont assez semblables à ce qui a été décrit pour le xviie siècle.
11À l'opposé, cependant, de nets points de divergence distinguent les finances de François Ier de celles de Louis XIII et de Louis XIV. Philippe Hamon n'a pas retrouvé au début du xvie siècle le système fisco-financier, classique au xviie siècle, qui fait se dissimuler les plus nobles personnalités du royaume derrière des prête-noms roturiers prêtant directement l'argent au roi. Par ailleurs, les dépenses de la monarchie sont très inférieures à ce qu'elles seront un siècle plus tard : en moyenne 6 à 7 millions par an (110 tonnes d'argent) contre 20 millions en 1600 (242 tonnes d'argent) et 235 en 1636 (1 194 tonnes d'argent). Faut-il expliquer l'un par l'autre ? Dire qu'au temps du « beau seizième siècle » il n'était nul besoin de ratisser largement les épargnes et que la richesse des dominants suffisait aux besoins royaux ? Pour en être certain, il faudra attendre que Philippe Hamon publie un second ouvrage présentant les grands officiers de finance du règne. Ne pourrait-on pas, en attendant, risquer une hypothèse plus ample ? Avancer, par exemple, que le système financier du xviie siècle s'est mis en place progressivement au long du xvie siècle et que l'époque de François Ier ne constitue qu'une première étape technico-politique limitée aux hautes sphères dirigeantes ?
12Les réformes que décrit Philippe Hamon et les implications politiques qu'elles induisent l'attestent. François Ier centralise les opérations de finances autour de lui et rationalise les prélèvements dans les provinces et l'acheminement des espèces vers les caisses monarchiques. La création des Trésors de l'Épargne et des parties casuelles à partir de 1524, la mise en place, à partir de 1532, d'une « troïka » formée d'un robin, d'un homme d'épée et d'un officier de finances - ancêtres des bureaux de finances - dans chaque recette générale puis la constitution de seize recettes générales, à partir de 1542 sont définitives. De même, le renforcement du Conseil du roi en matière financière n'est jamais remis en cause ultérieurement et le roi reste toujours maître des décisions politiques en la matière. Mais, au début du xvie siècle, le monarque et ses conseillers ne vont pas jusqu'au bout de la centralisation et de l'absolutisme. Leur discours « moral » est encore en accord avec leurs actions. La raison d'État, dit P. Hamon, est ignorée. Ne serait-ce pas plutôt que l'État n'a pas encore de trop gros besoins ?
13Tout changera quand il n'en ira plus de même sous Henri II et les derniers Valois. C'est probablement à cette époque, devant l'ampleur des dépenses d'un État en pleine anarchie, qu'on est passé à une nouvelle étape du système fisco-financier faisant appel, cette fois, à de plus vastes approvisionnements. Le xviie siècle n'a plus eu, ensuite, qu'à perfectionner ce qui s'était créé au xvie siècle.
14Cette vue n'est qu'une hypothèse qu'il faut naturellement étayer. Philippe Hamon ne pourrait-il pas revenir à sa première ambition et continuer son enquête de manière à embrasser tout le xvie siècle, de François Ier à Henri IV ? Ce serait rendre grand service à l'histoire financière dans le monde de laquelle il vient d'entrer brillamment. Il a toute l'étoffe nécessaire.
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