Chapitre IV. La direction des fermes et son environnement humain
p. 209-236
Texte intégral
1Nous avons déjà été conduit à examiner dans le détail les relations de la direction des fermes de Valenciennes avec plusieurs composantes de son environnement humain. Comment, en effet, présenter les traits originaux du régime juridictionnel des fermes dans la Généralité du Hainaut sans aborder les rapports de la Compagnie avec le milieu judiciaire ? Et pouvait-on décrire convenablement le rôle du directeur en négligeant ses liens avec l’Intendant et sans s’interroger sur sa coopération éventuelle avec ses collègues des circonscriptions limitrophes ?
2S’il n’est pas nécessaire de revenir sur des sujets auxquels des développements importants ont déjà été consacrés, il convient, en revanche, d’approfondir la question, simplement effleurée jusqu’ici, des rapports conflictuels de la Ferme avec les autorités municipales et d’évoquer ceux, plus ou moins difficiles, qu’elle a entretenus avec l’armée et avec la poste.
3Mais surtout, il est tout à fait indispensable que l’on analyse, sur un plan général, les rapports de la Ferme et du public, qu’il s’agisse des milieux économiques ou des simples habitants des villes et du « plat pays », paisibles sujets du roi ou contrebandiers.
I. Les rapports de la direction des fermes avec les autorités civiles et militaires
A. De multiples conflits avec les municipalités
4Selon le vœu de la loi, la Ferme générale aurait dû trouver des alliés chez les maires, échevins, capitouls, consuls, etc., qui étaient notamment tenus de protéger ses commis et de leur prêter main-forte dans l’exercice de leurs fonctions. La réalité a été sensiblement différente, et il serait fort excessif de parler de franche coopération entre autorités municipales et représentants locaux de la Ferme.
5Lorsqu’on a évoqué plus haut les relations de la Compagnie avec les officiers municipaux de villes de la Généralité du Hainaut, il s’est agi, à chaque fois, de rapports conflictuels. Nous avons vu le Magistrat de Valenciennes revendiquer, contre l’opinion du directeur des fermes, la connaissance d’infractions constatées aux portes de la ville en matière de tabac, ou bien un fermier tourneur critiquer la propension du Magistrat de Cambrai à user de ses prérogatives juridictionnelles pour contrarier l’action répressive des gardes, ou encore la municipalité d’Avesnes s’obstiner à percevoir un droit sur le tabac consommé dans la ville, en arguant d’un privilège contesté par la Compagnie1.
6Ces difficultés ne sont cependant ni les seules, ni les plus graves qu’aient rencontrées les commis. Des affrontements particulièrement sérieux se sont, en effet, produits à l’occasion des visites auxquelles les employés entendaient procéder pour la recherche du faux sel, du faux tabac et plus généralement de la contrebande. De telles opérations faisaient partie des méthodes de travail usuelles des brigades et elles devaient s’effectuer en présence du maire, d’un échevin ou d’un « homme de loi », selon les prescriptions des ordonnances de 1680, 1681 et 1687 relatives aux fermes. Or, à de nombreuses reprises, les employés se sont heurtés au refus des autorités locales de remplir une mission à laquelle elles ne pouvaient légalement se soustraire ; il en est résulté un contentieux abondant.
7Ce type de problème est apparu dès la fin du XVIIe siècle puisqu’on trouve trace, en 1699, d’une ordonnance de l’Intendant du Hainaut condamnant un « refus de visite ». Il a continué à se poser périodiquement tout au long du XVIIIe siècle. En 1739, le mayeur de Floyon, village de l’Avesnois, refuse d’assister à une perquisition et l’Intendant le menace d’amende s’il persiste dans ce comportement2. En 1786, c’est le mayeur de Bachant, autre localité de l’Avesnois, qui s’abstient d’assister à l’ouverture forcée d’une porte de grange où des fraudeurs s’étaient réfugiés3. On pourrait citer d’autres exemples se situant entre ces dates extrêmes.
8C’est toutefois l’hostilité permanente de l’échevinage de Givet qui a le plus gravement perturbé l’activité de la Ferme dans la Généralité du Hainaut : nous y avons déjà fait allusion et le fonds valenciennois en témoigne abondamment.
9Le dossier relatif à un incident survenu en août 1785 nous a semblé, à cet égard, des plus révélateurs. Les faits se trouvent rapportés dans une lettre que le directeur des fermes adresse aux fermiers généraux pour les informer et solliciter leurs instructions. En voici des extraits :
« Des marchands juifs se sont introduits dans la ville de Givet, colportant des marchandises étrangères qu’ils vendaient publiquement et dont ils avaient établi un magasin dans une auberge. Les employés n’ayant pas pu s’opposer à cette introduction devenue très facile par les ouvertures multipliées des murailles... se sont déterminés à faire leur visite dans ce magasin et pour prévenir toutes difficultés, ils ont été chez le maire pour lui demander un échevin ou un sergent pour les accompagner. Le maire s’y est refusé, sous le prétexte des privilèges de la ville qui défendent toutes les visites des employés de la Ferme générale. Instruit de cet événement et ignorant absolument ces privilèges prétendus, dont l’effet doit avoir les suites les plus dangereuses, j’ai mandé au receveur de faire constater ce refus par procès-verbal. Cet acte... constate que, sur la réquisition du brigadier et d’un employé de la brigade de Givet faite au maire de la dite ville de les accompagner ou de les faire accompagner dans les visites qu’ils se proposaient de faire chez différents marchands de la ville, il leur a répondu qu’il ne s’opposait pas aux droits du Roi, mais qu’il ne pouvait pas déférer à leur réquisition sans avoir consulté ses collègues et que leur avis, après bien des réflexions, était de refuser de les accompagner dans leurs visites parce que, depuis plus d’un siècle, la ville de Givet a conservé et joui du privilège de n’être assujettie aux visites des employés, et que les marchandises une fois introduites, prohibées ou non, y pouvaient circuler sans droits, ni visite, ni confiscation... Avant de donner (au procès-verbal) les suites qu’il me paraît exiger, j’ai cru devoir vous en soumettre l’examen... En laissant subsister un privilège chimérique qui n’existe dans aucune autre ville du Royaume, ce serait favoriser un entrepôt de marchandises de fraude en tous genres et rendre absolument nul le travail des employés... D’ailleurs, je ne crois pas qu’aucun motif puisse autoriser le refus d’assister les employés dans leurs visites ni leur interdire l’exercice de leurs fonctions ».
10La réponse des fermiers généraux à l’exposé du directeur ne se fait pas attendre. Dans un mémoire rédigé à l’intention de l’Intendant, la Compagnie se réfère à tous les textes ayant « maintenu les employés, tant de la Ferme générale que de la Régie générale, dans le droit de faire des visites chez tous particuliers, de quelque qualité et condition qu’ils soient, en se faisant accompagner d’un homme de loi ».
11Une fois de plus, l’Intendant du Hainaut, qui jamais ne varie en cette matière, confirme les droits de la Ferme et les obligations des officiers municipaux.
12Cette affaire, qui éclate tardivement dans le cours du XVIIIe siècle, démontre que la réitération d’ordres non équivoques n’est pas venue à bout de l’obstination des édiles de Givet4.
13Au demeurant, les autorités municipales de cette ville ont continué, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime à se prévaloir de « privilèges prétendus ». Pareil entêtement a provoqué une exaspération qui s’exprime sans retenue dans une correspondance que le directeur des fermes adresse en 1788 aux fermiers généraux. Ce long rapport, dont nous reproduisons un extrait, est consacré à une demande d’exonération des droits d’entrée sur les beurres destinés à la consommation des habitants et de la garnison de Givet, toujours au nom des « privilèges » de la ville :
« Les petites villes de Givet5 qui ne sont séparées que par la Meuse et le fort de Charlemont qui les domine, sont réellement à l’extrême frontière du Royaume ; elles sont même presqu’entièrement environnées de villes et villages des dominations liégeoise et impériale, mais elles font partie du Royaume de France. Elles sont comprises dans la Généralité du Hainaut. Elles doivent donc être sujettes aux lois du Royaume et de cette Généralité, et conséquemment payer les mêmes droits que les autres villes qui en dépendent. Elles le doivent sans doute. Cependant, à la faveur de leur position si favorable à la fraude, de l’esprit républicain qui les anime et encore d’une espèce de jouissance forcément tolérée, elles ne paient presqu’aucun droit, non seulement sur tous les objets de consommation première, mais encore sur les marchandises de toutes espèces qui pénètrent ensuite dans le Soissonnais et la Champagne... À la nullité presque totale des droits d’entrée, si vous joignez les introductions frauduleuses et à main armée, des refus d’accompagner les employés dans leurs visites et des défenses qui leur sont faites d’en faire dans les maisons des habitants, bourgeois ou marchands, vous aurez une idée, triste sans doute, mais véritable (de la situation) et vous penserez comme moi qu’elles sont plus à craindre pour la Régie que l’étranger effectif, car ils prétendent faire assimiler leurs villes à celle de Dunkerque et ce sera sans contredit l’objet essentiel du mémoire qu’ils annoncent devoir présenter au Roi »6.
14Le comportement des officiers municipaux de Givet représente un cas extrême dont on ne trouve pas l’équivalent dans le reste de la Généralité ; il n’en est pas moins symptomatique de la réticence des autorités locales à coopérer avec la Ferme générale et même à se plier aux diverses exigences des lois douanières ou fiscales. Et pourtant, ces mêmes municipalités acceptaient volontiers le concours des commis lorsque celui-ci contribuait à alimenter les finances locales, comme à Valenciennes et Maubeuge où les gardes en faction aux portes aidaient à percevoir les octrois7.
15Quoi qu’il en soit, il y eut pire que le simple refus de coopérer. Il est arrivé que des officiers municipaux adoptent une attitude d’hostilité ouverte en s’abstenant de prêter main-forte à des employés en difficulté. Le cas s’est produit, par exemple, à Le Cateau en 1735, et cet événement a conduit le Conseil à condamner le Magistrat au versement de 1 500 livres de dommages et intérêts au receveur des fermes « tant pour les insultes et mauvais traitements à lui faits dans son bureau par Jolibois, grenadier du régiment de Lorraine, que pour avoir refusé main-forte »8. Le Conseil réitéra à cette occasion l’obligation faite aux officiers municipaux de « prêter main-forte et secours aux employés à première réquisition, à peine de privation de leurs places et tous dépens et dommages et intérêts ».
16Lors de mouvements populaires suscités par l’action des commis, il s’est assez fréquemment produit que les édiles traînent les pieds avant de répondre à la réquisition des employés ou s’abstiennent purement et simplement de se manifester.
17Dans un tel climat d’hostilité à l’égard de la Ferme et de ses agents, on ne saurait être surpris que les municipalités aient été peu enclines à respecter les privilèges que les ordonnances royales garantissaient au personnel de la Compagnie9.
18Cette fois encore, les difficultés sont apparues très tôt. On trouve trace, en 1711, d’une intervention de l’Intendant auprès du mayeur de Le Quesnoy qui avait imposé au receveur local des fermes le logement de militaires10. Nous avons évoqué précédemment les procès que les commis de Valenciennes et de Lille engagèrent et gagnèrent pour conserver le bénéfice d’exemptions de taxes dont les fermiers des octrois contestaient le bien-fondé à l’instigation des magistrats des deux villes11. Le plus récent incident de ce type dont témoignent les archives valenciennoises date de 1787. Il concerne le receveur des fermes d’Avesnes qui est menacé de la saisie de ses biens par la municipalité s’il n’acquitte pas les octrois. L’intéressé présente requête à l’Intendant en se référant à l’abondante jurisprudence qui, dans les cas similaires, a statué en faveur des employés de la Ferme12.
19Ce lourd inventaire des relations peu amènes entre municipalités et Ferme générale comporte une lacune, et une lacune sérieuse. La question des certificats de complaisance n’y figure pas, en effet ; or, elle touche autant, sinon plus, que celle des perquisitions aux intérêts essentiels de la Compagnie.
20Maires et échevins étaient appelés à délivrer à leurs administrés des attestations destinées à justifier la régularité de la situation douanière de marchandises. En permettant à leurs bénéficiaires d’échapper à la taxation ou à l’application de mesures de prohibition, ces documents étaient assimilables à des « passeports du Roi ». Malheureusement, divers rapports administratifs mettent formellement en cause la sincérité de beaucoup de ces certificats13. La preuve de complaisances coupables est d’ailleurs rapportée en plusieurs occasions. Ainsi, en 1773, les commis constatent que les échevins de Felleries ont attesté sans le moindre contrôle que des sucres étaient légitimement entreposés dans la localité14. En 1787, des faits analogues sont constatés à Beaufort où – circonstance aggravante – les attestations ont été délivrées à un contrebandier notoire15.
21Pour conclure, comment s’étonner que des officiers municipaux si peu disposés à coopérer avec la Ferme qu’ils n’hésitaient pas à entraver son action, soient intervenus le plus officiellement du monde en faveur de fraudeurs condamnés ? C’est ce que fit, en 1782, la municipalité de Saint-Amand, lorsqu’elle sollicita de l’Intendant la grâce de fraudeurs rébellionaires condamnés aux galères16.
B. Des militaires prompts à croiser le fer avec les gardes
22Province frontalière la plus menacée du Royaume et, de ce fait, riche en places fortes, le Hainaut a hébergé en permanence des troupes dont une partie tenait garnison dans les enclaves. Cette situation particulière entraînait des allées et venues de part et d’autre de la frontière à l’occasion des relèves ou encore pour l’entretien des fortifications et les besoins de l’intendance militaire. Les conventions frontalières permettaient de tels mouvements. La direction des fermes devait veiller à ce que les transports militaires correspondants ne couvrent pas des manœuvres frauduleuses ; aussi avait-on reconnu aux employés le droit de procéder à des vérifications. Or, ces contrôles étaient plutôt mal supportés par les militaires, comme en témoigne un incident survenu en mars 1787. Le trésorier des guerres de Givet qui accompagnait un chargement d’espèces destiné à son collègue de Philippeville, s’opposa à ce que les commis contrôlent le contenu d’une caisse ; il déclara qu’une telle investigation serait « attentatoire aux prérogatives de son état ». Il fallut dresser procès-verbal et la Compagnie n’en accepta le classement que sous promesse du trésorier de ne plus faire à l’avenir obstacle aux vérifications17.
23Le directeur des fermes avait le souci de prévenir de telles difficultés en entretenant de bons rapports avec les états-majors. À Valenciennes, où officiers supérieurs et principaux commis de la Ferme fréquentaient les mêmes loges maçonniques, l’objectif semble avoir été atteint.
24L’incident relaté ci-dessus montre que la conjoncture était moins favorable à Givet, mais sans doute faut-il en chercher l’origine dans le fait que cette localité n’était la résidence d’aucun représentant de la Compagnie d’un niveau hiérarchique suffisamment élevé pour traiter dans de bonnes conditions avec les officiers de la place. À plusieurs reprises, Richard a désigné cette lacune comme préjudiciable à la Ferme générale18.
25Il est en tout cas vraisemblable que certains receveurs des fermes tentèrent de se concilier les bonnes grâces des états-majors de place en leur consentant quelques faveurs. On en trouve un exemple dans les archives de la direction du Hainaut. Un receveur de Condé (nouveau venu à ce poste ou intérimaire) crut devoir signaler au directeur « l’usage établi de tolérer en faveur de l’état-major et du corps du génie l’introduction en exemption des choses nécessaires à leur consommation », car, « dans les villes de guerre, les employés ont besoin de l’appui de tous ces Messieurs, et c’est en conséquence de cela que l’on a toujours toléré l’introduction de certains petits articles nécessaires à leur consommation ». Au cas particulier, il s’agissait de 150 livres de sucre en pain destiné au chef du Génie. La quantité avait-elle semblé forte au receveur ? Toujours est-il qu’il chercha à se couvrir. Le directeur, pour sa part, ne voulut pas s’engager dans cette voie et il transmit le dossier à l’Hôtel des fermes en exprimant des réserves. La décision des fermiers généraux ne nous est pas connue, mais il est peu vraisemblable qu’elle ait autorisé la franchise des droits19.
26Si les représentants locaux de la Ferme avaient besoin, comme l’écrivait le receveur de Condé, de « l’appui de tous ces Messieurs » (des états-majors), c’était principalement pour lutter contre la fâcheuse propension des soldats à pratiquer la fraude. Sans aller jusqu’à encourager leurs hommes à s’associer aux contrebandiers, les officiers ne manifestaient pas toujours de l’empressement à s’opposer à ces excès. Ce problème n’était pas particulier au Hainaut ; il se posait sur toutes les frontières intérieures et extérieures, c’est-à-dire partout où la pratique de la fraude donnait à des militaires sans grandes ressources l’occasion de gagner facilement quelqu’argent. Le nombre considérable d’ordonnances royales, édits et arrêts du Conseil qui ont, aux XVIIe et XVIIIe siècles, fait « défense aux gendarmes, cavaliers, dragons et soldats des troupes de S.M. de faire commerce de faux sel, faux tabac et autres marchandises » démontre le caractère général et permanent du problème20.
27Cette fois encore, le secteur de Givet se signale défavorablement, mais on ne saurait s’en étonner, sachant quel était l’état d’esprit des autorités civiles dans cette ville frontalière. À de nombreuses reprises les militaires de la garnison y ont fourni aux fraudeurs des escortes prêtes à dégainer ou des éclaireurs prompts à prendre à partie les escouades de gardes. En 1769, des faits de cette nature conduisirent l’Intendant du Hainaut à condamner à la pendaison cinq soldats du régiment du Vivarais pour « fraude en tabac, port d’armes et rébellion »21.
28Les conséquences auraient pu être aussi graves, en 1781, lorsqu’un groupe de soldats attaqua les employés et tenta de les précipiter du haut du rempart. La justice de l’Intendant sévit, cette fois encore, non sans qu’il ait fallu, au préalable, régler un conflit d’attribution dont il a été question plus haut22.
C. Un directeur de la poste récalcitrant
29Une instruction de 1740 destinée aux « commis des fermes générales » et à ceux de « la ferme des postes » met en cause les courriers de la poste qui « se chargent journellement de faux tabac, d’indiennes et autres étoffes prohibées et de contrebande... venant de Flandres, d’Alsace et autres pays de la domination du roi, même de l’étranger »23. Il semblerait que la pratique de la fraude – sous forme de transport intérieur de marchandises préalablement introduites par des passeurs ou sous forme d’importation directe – ait été fréquente, à cette époque, dans le milieu des courriers. On avait, en tout cas, jugé utile de confirmer aux employés le droit de « visiter les malles et paquets non cachetés » transportés par les préposés de la poste. Pour tenir compte des impératifs du service postal, l’instruction avait précisé que ces contrôles devaient être exécutés « avec toute la promptitude possible », au bureau de la poste et en présence du directeur de ce bureau. Si un courrier était pris en défaut, il convenait de l’arrêter sur le champ et de le remplacer.
30Les abus ne semblent pas avoir cessé pour autant, puisqu’en 1773, une nouvelle instruction fait état de nombreux incidents ayant opposé postiers et employés de la Ferme, ainsi que de fraudes commises fréquemment par les courriers. Les directives données en 1740 furent alors remaniées : le droit de visite des employés en présence du directeur de la poste fut confirmé pour les paquets ne figurant pas sur le part24 ; quant aux envois repris sur ce document, mais d’apparence suspecte, on prescrivit de les sceller sans les ouvrir et de les acheminer sous acquit-à-caution vers le bureau de l’inspecteur général des postes à Paris. Les fermiers généraux recommandèrent aux commis d’agir avec circonspection et de ne pas faire de cette procédure un usage excessif. Quant aux courriers qui seraient trouvés en défaut, ils feraient l’objet de procès-verbaux, mais ne seraient plus immédiatement arrêtés, « vu la nécessité de maintenir le service public »25.
31Dans la direction des fermes du Hainaut, les relations avec la poste étaient devenues quotidiennes, à la fin du siècle, en raison de l’importance qu’y avait prise, après son aménagement, la route allant de Paris à Bruxelles via Valenciennes, Quiévrain et Mons. Or, plusieurs incidents, qui semblent en grande partie imputables à la personnalité du directeur de la poste de Valenciennes, un sieur Pierrard, créèrent une forte tension entre les deux services à partir de 1786.
32En janvier de cette année, 27 aunes de toiles peintes (marchandise prohibée) et un pain de sucre (marchandise taxée) furent saisis sur un courrier. En novembre, ce furent des boutons et des mouchoirs dont les gardes constatèrent le transport frauduleux26. Fait plus grave, à la même époque, les employés s’aperçurent que des journaux « suspects » – les Annales de Linguet27 – étaient placés sous cachet de la poste française dans la localité frontière étrangère de Quiévrain, ce qui permettait de les introduire dans le Royaume sans accomplir les formalités prescrites pour les imprimés venant de l’étranger28. Le directeur de la poste agissait-il de sa propre initiative ou avec l’approbation de ses supérieurs ? Il est difficile de le déterminer au vu des archives valenciennoises. Le 1er mai 1787, la constatation d’une importation frauduleuse de tabac à la charge d’un autre courrier ne fut évidemment pas de nature à décrisper les rapports entre les deux services.
33En juillet, on arrêta encore un courrier chargé de tabac et d’indiennes. En décembre, alors que les gardes se rendaient à la poste pour y procéder à la vérification de colis, le courrier ameuta les passants et l’on frisa l’émeute. En septembre de l’année suivante, dans une situation comparable, on ne l’évita point : un ballot de textiles saisi sur un courrier fut enlevé de force et les gardes subirent des violences. La correspondance que le directeur des fermes adressa le jour même aux fermiers généraux décrit la situation sous un jour assez noir :
« Les courriers, instruits qu’ils seront soutenus vigoureusement par (le directeur de la poste) et les siens, font journellement la fraude et il ne sera jamais possible de les surprendre. Ces courriers, à leur arrivée, affectent d’aller très vite et d’ameuter la populace contre les employés qui peuvent à peine les suivre, et quand ils arrivent tous ensemble au bureau des postes, l’entrée du bureau est interdite à ces employés qui en sont chassés comme des coquins et sur lesquels on vomit mille injures les plus grossières »29.
34Cet incident ne fut pas le dernier. En juin 1789, un courrier fut encore appréhendé à Valenciennes, alors qu’il importait en fraude six livres de tabac. Cette fois le directeur des postes se montra plus soucieux du respect de la loi que dans les occasions précédentes : le coupable fut mis à pied pendant un mois et il dut consigner 25 livres dans la caisse du receveur des fermes à titre d’amende30.
II. Les relations de la direction des fermes avec la population
A. Des industriels et négociants plutôt satisfaits dans le Hainaut, plutôt critiques dans les CGF
35À la fin du XVIIe siècle et dans les premières années du XVIIIe, la correspondance des Intendants du Hainaut témoigne des fortes tensions suscitées par l’application de la réglementation des fermes dans le « pays conquis » et aussi par les méthodes des employés.
36La situation semble s’être améliorée par la suite ; du moins ne subsiste-t-il, dans les archives de la direction des fermes de Valenciennes, que fort peu de traces de doléances exprimées par les manufacturiers ou les négociants de la province.
37Quelle interprétation peut-on donner de cette absence de récriminations et de pétitions sans risque de se fourvoir ? On a peine à croire que le monde du commerce se soit vraiment accommodé des entraves qui, dans cette région frontalière, contrariaient la circulation des marchandises. Et comment imaginer qu’il n’ait pas été hostile à la double barrière douanière séparant le Hainaut des Pays-Bas autrichiens et de l’ancienne France ? Il est vrai que les trois principales branches de l’activité manufacturière de la province : le textile, la métallurgie et les mines, bénéficiaient de la protection que les industriels avaient réclamée.
38Sans doute le monde du négoce se sentait-il davantage concerné par les contraintes que la Ferme faisait peser sur les échanges, donc par des aspects moins gratifiants de son action. L’absence de témoignages patents oblige à s’en tenir à des hypothèses.
39Quoi qu’il en soit, on relève quelques rares exemples de démarches entreprises par les milieux économiques du Hainaut pour obtenir un assouplissement de la réglementation ou pour critiquer l’action des commis. C’est ainsi qu’en 1786 des demandes de réduction des droits applicables au charbon des Pays-Bas autrichiens furent présentées à la fois par le mayeur de Maubeuge et par les États du Cambrésis ; d’un côté comme de l’autre on arguait de la commodité de s’approvisionner outre-Quiévrain. Or, le niveau des droits tenait compte, à cette époque, du développement de l’extraction charbonnière dans le Hainaut français. Appelé à exprimer son avis sur ces requêtes, le directeur des fermes se rapprocha de la Compagnie des mines d’Anzin : cette entreprise était-elle en mesure de satisfaire la demande dans l’Avesnois et le Cambrésis ? La réponse fut affirmative, et l’on conclut au rejet des pétitions31.
40La convention relative aux limites conclue en mai 1769 entre l’Autriche et la France avait autorisé le libre transit des marchandises empruntant le comté de Beaumont, aux Pays-Bas, pour rejoindre l’enclave française de Barbançon. Toutefois, les produits frappés de prohibition étaient exclus de cette facilité. Or, des abus s’étaient instaurés en ce domaine par la négligence des commis ou leur connivence avec les négociants. Le directeur Richard qui s’était avisé de la situation avait décidé, en 1787, de revenir à la règle, mais ce rappel à l’ordre avait suscité des protestations ; on mit en question l’interprétation de la convention de 1769. Interrogés, les fermiers généraux approuvèrent l’attitude restrictive du directeur32.
41Quelques années plus tôt, en 1780, les officiers municipaux de Fumay avaient appuyé auprès de l’Intendant la requête d’un négociant de Vireux-Saint-Martin qui souhaitait établir un dépôt d’ardoises à moins d’une lieue de la frontière (donc en zone interdite aux entrepôts) ; l’intéressé prétendait que le transport ultérieur de la marchandise par voie de terre s’en trouverait facilité. Le directeur des fermes s’était opposé à l’octroi d’une facilité qui, selon lui, ne se justifiait par aucun argument commercial sérieux ; les mobiles réels du pétitionnaire ne pouvaient qu’être inavouables : il ne se trouvait pas dans la région « de position plus avantageuse pour faire la contrebande » que l’emplacement envisagé pour le dépôt ; aussi convenait-il de se refuser à une dérogation qui aurait représenté, de surcroît, un précédent dangereux33.
42Nous ne sommes pas en mesure de proposer d’autres exemples de requêtes émanant des habitants du Hainaut et visant à l’assouplissement de la réglementation. En revanche, il est possible de citer au moins un cas où fut demandée, à l’inverse, une application plus stricte de dispositions contraignantes. Les maîtres de forges du Hainaut sont, en effet, intervenus auprès du Contrôleur général des Finances, en 1788, pour que le régime de l’« exercice » auquel ils étaient assujettis fût aussi imposé au « fourneau » de Féronval, près de Trélon. Cet établissement était, il est vrai, la propriété de Liégeois qui, pour d’obscures raisons, avaient jusqu’alors échappé à des obligations que les maîtres de forges du Hainaut connaissaient depuis 170434. Or, on soupçonnait le fourneau de Féronval de servir de couverture à l’importation frauduleuse d’ouvrages en fer provenant de l’État de Liège, principauté avec laquelle la France se trouvait en situation de guerre douanière depuis 1756 et dont la production métallurgique avait été prohibée à l’importation. Le directeur des fermes était convaincu du bien-fondé de l’accusation portée par les industriels hennuyers contre leur confrère de Féronval. « Le fourneau de Féronval, écrivit-il aux fermiers généraux, n’est presque jamais en activité et ne se soutient que par la fraude dont il est l’entrepôt et le distributeur, toujours impunément, étant donné qu’il est impossible de surveiller les manœuvres des ouvriers qui, dans quatre minutes, sont sur France ou sur Liège, et qu’il est très facile de tromper le contrôleur chargé de suivre les opérations prétendues de cette forge, puisqu’il demeure à une lieue, à Bossus »35. Richard opinait pour la destruction du fourneau, mais la Ferme générale préféra suggérer au Conseil d’en soumettre l’exploitation aux règles établies en 1704 pour les établissements alors en activité à l’extrême frontière36.
43En définitive, les récriminations du commerce hennuyer s’avèrent donc de faible portée et d’intérêt limité.
44Il en va différemment de plaintes émanant de groupes professionnels établis hors de la province. Incisives, ces plaintes ont ému les fermiers généraux, car elles mettaient en cause directement, pour son inaction, la direction des fermes du Hainaut.
45En 1785, la Compagnie fut saisie d’une protestation des manufacturiers de « toiles, batistes, linons et gazes » de Saint-Quentin. Ceux-ci reprochaient aux commis et employés de la direction des fermes de Valenciennes de ne pas s’opposer à l’exportation des fils de mulquinerie37, marchandise frappée d’une prohibition de sortie dans l’intérêt des transformateurs français ; l’accusation d’« infidélité » apparaissait en Filigrane. Aux dires des plaignants, la fraude avait atteint une telle ampleur qu’ils ne parvenaient plus à s’approvisionner sur le marché national où les cours avaient atteint un niveau exorbitant. Richard, ainsi mis en cause en tant que chef de circonscription, contre-attaqua vigoureusement. Comment les manufacturiers pouvaient-ils se plaindre d’une pénurie de matières premières, dit-il en substance, alors que leur activité ne cessait de se développer ? Ne venaient-ils pas de doubler, en quelques années, le volume de leurs exportations, les portant de 80 000 à 140 000 pièces par an ? De plus, renseignements pris, des stocks de fil étaient disponibles à Cambrai, Le Cateau et Saint-Amand, mais les Saint-Quentinois exprimaient en matière de prix des exigences que n’acceptaient pas les filateurs38.
46Le directeur de Valenciennes se trouva moins à l’aise lorsqu’à la fin de 1786 il eut à s’expliquer sur les importations frauduleuses de cotonnades qui s’effectuaient sur une assez vaste échelle au préjudice du monopole de la Compagnie des Indes. Richard dut convenir que le Cambrésis avait été « de tout temps l’entrepôt des marchandises prohibées qu’on y (faisait) pénétrer après avoir franchi les frontières du Hainaut » ; cette question, écrivit-il aux fermiers généraux, « a fait l’objet de plusieurs de mes lettres et... des ordres que je donne journellement pour le travail des brigades. Je ne puis pas m’en plaindre. Je parviendrai même à m’en louer, mais pour que le service ait tout le succès qu’on en peut désirer, il faudrait que les brigades ne soient pas si éloignées les unes des autres, qu’il en soit créé de nouvelles et que, plus rapprochées, elles puissent travailler conjointement et former une barrière que les fraudeurs ne pénétreraient que très difficilement. Aujourd’hui les brigades sont à plus d’une lieue de distance, même davantage. Cet espace coupé par une infinité de chemins rend leur travail fort incertain. C’est presque toujours le hasard qui procure les saisies »39. La contre-attaque visait cette fois la Compagnie, accusée de ne pas donner à ses services extérieurs des moyens d’action suffisants. Les fermiers généraux ripostèrent ; ils insistèrent auprès de Richard pour qu’il stimule davantage ses troupes, mais le directeur maintint fermement son point de vue ; il conclut même par une suggestion impertinente :
« La Compagnie des Indes plus intéressée encore que la vôtre, Messieurs, à détruire les introductions frauduleuses si funestes et si contraires à son établissement, devrait au moins contribuer aux dépenses très urgentes que la garde de la frontière exige »40.
47Le directeur des fermes de Valenciennes eut à cette époque fort à faire puisque, de surcroît, il se trouva aux prises avec un épineux problème d’exportation irrégulière d’écorces dans le secteur de la Meuse. Les écorces, matière première nécessaire aux tanneries, étaient prohibées à la sortie pour des considérations identiques à celles qui justifiaient la prohibition des fils de mulquinerie41. Un arrêt du Conseil avait admis cependant une dérogation à cette interdiction en faveur de communautés de forestiers établies dans le ressort de la maîtrise des Eaux et forêts de Givet et ayant pour unique ressource le commerce du bois et des écorces42. Pour des raisons obscures, le receveur des fermes de Givet avait donné à cette dérogation une interprétation extensive contre laquelle avaient protesté les tanneurs de Givet. Richard avait alors mis un terme aux exportations, mais il avait aussi demandé des instructions complémentaires aux fermiers généraux en leur indiquant que la production d’écorces excédait les besoins locaux et que la prohibition pénalisait les étrangers, propriétaires de bois sur le sol français. La Compagnie demanda un supplément d’enquête et l’on s’aperçut alors que les bureaux des fermes de Givet et de Charleville admettaient le transit de l’étranger vers l’étranger de chargements d’écorces. Or, les marchandises prohibées étaient – nous l’avons vu plus haut – exclues du régime douanier du transit et, bien entendu, les opérations incriminées servaient de couverture à des exportations irrégulières d’écorces françaises. On confirma la prohibition ; l’interdiction du transit fut rappelée et la dérogation consentie à certains exploitants forestiers fut rapportée.
48L’affaire rebondit cependant en 1788. Les tanneurs champenois se plaignirent à leur tour de l’insuffisance des contrôles opérés par les employés de Givet et le directeur de Charleville apporta de l’eau à leur moulin ; il fit intervenir ses agents dans la Généralité du Hainaut afin de démontrer par des saisies que le service y était mal assuré. Cet épisode a été rapporté précédemment pour illustrer les rapports houleux des deux directions des fermes43.
49Quel enseignement est-il possible de tirer de ces polémiques qui se situent dans la dernière décennie de la Ferme générale ? Il est clair que l’efficacité du dispositif de contrôle des échanges installé par la Ferme dans le Hainaut était alors contestée de divers côtés et que le directeur de Valenciennes éprouvait d’évidentes difficultés à se disculper. Mais il est clair aussi que, loin de se plaindre de l’action répressive de la Ferme, c’est de son inaptitude à vaincre la fraude qu’on lui fait grief ici. L’exigence d’une protection douanière forte sous-tend ces doléances et l’existence, ainsi manifestée, d’un courant protectionniste puissant à la fin du XVIIIe siècle, en opposition avec le courant libre-échangiste qui obtient la signature du traité de commerce franco-anglais, explique la facilité avec laquelle la Constituante substituera, en 1790, à la « partie des traites » de la Ferme générale une « régie des douanes nationales » chargée d’appliquer un tarif à tendances plutôt protectionnistes.
B. La Ferme générale et la population des villes et des campagnes : une tension moindre en Hainaut qu’en pays de gabelle
1. Le conseil de Voltaire
50Que les employés de la Ferme aient été en butte à l’hostilité du peuple n’est un secret pour personne. Avec son ironie coutumière, Voltaire en fit la constatation en recommandant aux intéressés, en guise de palliatif, de se bien aimer les uns les autres ! Les rapports entre commis et habitants des villes et des campagnes n’ont cependant pas connu le même degré de tension dans toutes les provinces. C’est en pays de grandes gabelles que la haine de la Ferme et de ses représentants s’est exprimée avec le plus de force. Très logiquement, en effet, l’animosité a été à la mesure des contraintes pesant sur la population.
51Diverses sources, en particulier les cahiers de doléances, montrent que, de toutes ces sujétions, les plus mal tolérées étaient les perquisitions et la brutalité avec laquelle elles s’effectuaient souvent44. Le nombre de ces opérations, la fréquence et la nature des incidents auxquels elles ont donné lieu peuvent donc être tenus pour d’intéressants indices du degré de tension dans les rapports entre population hennuyère et employés des fermes. Or, nous avons la chance de disposer, pour la décennie 1780-1790, d’un fonds d’archives fort riche dont l’analyse permet de satisfaire notre curiosité, non seulement en matière de visites domiciliaires, mais aussi en ce qui concerne d’autres aspects du problème des relations de la Ferme avec l’environnement. Ce fonds nous éclaire notamment sur les arrestations de contrebandiers : leur fréquence, les conditions dans lesquelles elles s’opéraient, le sort réservé aux fraudeurs appréhendés, etc., tous éléments propres à susciter l’animosité, à l’accroître ou à lui donner l’occasion de s’exprimer45.
52Une certitude s’en dégage : la population du Hainaut a volontiers pratiqué la fraude, spécialement dans l’Avesnois. De multiples documents l’attestent et nous avons cité un nombre suffisamment important d’entre eux pour qu’il ne soit pas utile d’insister. De cette observation en découle une autre : l’employé des fermes n’a pu qu’être l’ennemi de la partie de la population qui appartenait à la gent fraudeuse.
53Les archives permettent encore de quantifier les résultats obtenus dans la lutte contre la fraude ; elles montrent que les employés n’étaient pas inactifs, même si leur efficacité ne se situait pas au niveau qu’aurait souhaité la Compagnie. Entre 1780 et 1790, les préposés de la Ferme ont effectué, dans le Hainaut, plus de 2 700 saisies relatées par procès-verbaux46.
54En chacune de ces occasions les fraudeurs ont subi un préjudice ; même s’ils appartiennent à la catégorie, bien représentée, de ces « inconnus en fuite » que les gardes n’ont réussi ni à appréhender, ni à identifier ; ils ont supporté la perte de leur marchandise et leur animosité à l’égard des employés s’en est, à coup sûr, trouvée renforcée.
2. L’impact limité des perquisitions
55Le système de classement des affaires contentieuses qui était appliqué dans les bureaux de la Ferme générale pour des considérations d’ordre comptable distingue, parmi les saisies de tabac (c’est-à-dire, en association ou non avec d’autres marchandises, plus de la moitié des constatations) deux groupes d’importance à peu près équivalente : celui des saisies opérées « à l’introduction primitive », c’est-à-dire au moment de l’importation, et celui des affaires « de vente exclusive », c’est-à-dire de circulation ou de dépôt de tabac en violation du privilège de vente exclusive. Dans le second groupe figurent la majorité des saisies réalisées au cours de visites domiciliaires. Si l’on y ajoute les saisies de sel effectuées dans la zone des trois lieues limitrophes de la Picardie à la faveur de perquisitions47, on totalise à peu près l’ensemble des visites domiciliaires fructueuses qu’ont exécutées les employés au cours d’une décennie. Leur nombre peut être estimé à 500, et il n’est pas spectaculaire.
56Bien entendu, pour se faire une idée plus précise de la fréquence de ces opérations, il faudrait être en mesure de comptabiliser aussi les visites infructueuses, mais nous en ignorons le nombre et il serait tout à fait hasardeux d’en proposer une estimation, fût-elle grossière.
57Nous avons, en revanche, la possibilité de dénombrer les incidents auxquels les visites, fructueuses ou non, ont donné lieu, puisque de tels faits ont presque automatiquement conduit à la rédaction de procès-verbaux. Or, on en recense peu. Nous en citerons quatre, survenus de 1786 à 1788 ; aucun ne présente un exceptionnel caractère de gravité et le dernier prête même à sourire.
58En octobre 1786, la brigade de Colleret décidait de perquisitionner chez un habitant d’Eclaibes, près de Maubeuge. Pendant qu’ils attendaient l’arrivée d’un échevin, les employés virent une femme sortir de la maison suspecte en emportant une potiche qu’elle alla dissimuler dans une haie. Au moment où les commis se disposaient à intervenir, survint un proche parent de cette femme qui ameuta le village, provoquant la réunion de plus de 80 individus munis de bâtons et de pierres. Les gardes durent mettre baïonnette au canon pour se dégager.
59En septembre 1788, à Marpent, ce sont des employés de Maubeuge qui, lors d’une perquisition, furent menacés par un homme armé d’un fusil et par un groupe de femmes et de militaires.
60En décembre de la même année, un incident du même genre se produisit à Bellignies.
61Une pittoresque affaire de mai 1787 est révélatrice de l’ambiance dans laquelle pouvaient se dérouler les visites. Sur la foi de renseignements fournis par un indicateur, les gardes de Bavai s’étaient présentés au domicile d’un négociant de Mecquignies afin d’y rechercher un dépôt d’articles textiles prohibés. On les fit attendre plus d’une heure avant de les laisser entrer. Le maître de maison étant absent, les employés eurent affaire à une bonne, puis à la maîtresse de maison qu’ils trouvèrent alitée.
« Elle ne nous fit, rapportèrent les verbalisants, d’autres réponses qu’elle était bien malade, poussant des cris plaintifs, nous disant qu’il y avait trois jours qu’elle était bien incommodée...
Et moi, capitaine général, étant approché de son lit avec toute la politesse possible... j’ai aperçu sous son oreiller une pièce de coton peinte. J’aurais prié la dite femme... de s’asseoir sur son lit où nous aurions tiré entre le matelas et la paillasse de son lit 26 pièces de toiles de coton peinte ».
Les employés finirent ainsi par mettre la main sur un lot de tissus valant 3 500 livres48.
62Ces observations ne nous permettent pas de conclure que les perquisitions ont été un facteur important d’animosité entre la population du Hainaut et la Ferme ; leur nombre, en effet, n’est pas très élevé (50 par an, en moyenne) et, sauf rares exceptions, elles n’ont pas provoqué d’incidents.
3. Des heurts fréquents entre contrebandiers et gardes
63L’agressivité est patente, en revanche, lors des rencontres entre fraudeurs et gardes. La lecture des procès-verbaux montre que les contrebandiers, même isolés, réagissent souvent avec violence, avant ou après leur arrestation. Cette violence est au minimum verbale : « Le sieur B. s’est mis à jurer le nom de Dieu et à dire des mots les plus impropres que la rage peut dicter à un homme, frappant sur la table, menaçant de nous maltraiter, levant le poing, etc.49 ». En d’autres occasions elle s’exprime à coups de poing ou de bâton, par la « spoliation » des marchandises, voire en excitant des chiens contre les gardes.
64Cependant, les affrontements les plus sérieux se produisent à l’occasion des attaques de bandes à pied ou à cheval. Nous en avons recensé une cinquantaine au cours de la décennie 1780-1790. Il arrive alors que les employés aient le dessous et ne parviennent à opérer aucune arrestation. Il est rare, au demeurant, qu’ils soient en mesure d’appréhender plus d’un ou deux membres de chaque bande. En général, les fraudeurs ne se servent pas d’armes à feu. Ils utilisent de préférence des gourdins, afin de ne pas tomber sous le coup des dispositions réprimant la contrebande armée. Parfois cependant apparaissent des haches, des lances, des sabres, des lames fixées à l’extrémité de bâtons, etc.
65Pendant la période de référence, une trentaine d’employés sont plus ou moins grièvement blessés ; l’un en meurt en février 1786. Du côté des contrebandiers, on compte quatre morts (trois en 1782, un en 1786) et quelques blessés, mais il est probable que le nombre de ceux-ci a été nettement plus élevé, les fraudeurs légèrement atteints, en tout cas en état de fuir, préférant abandonner la place.
66Comment qualifier un tel bilan ? Nous sommes enclin à le considérer comme plutôt léger dans le contexte de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il convient, en effet, de le rapprocher de ce que l’on sait des activités frauduleuses menées à la même époque en d’autres régions ; la violence semble y avoir été plus forte que dans le Hainaut50. Par ailleurs, les informations livrées par les archives révèlent que les blessures infligées aux gardes sont loin d’avoir toujours été graves. Il était normal que, pour qualifier la rébellion, on fît état dans les procédures des coups reçus par les verbalisants, même s’il n’en résultait pas de conséquences sérieuses pour les victimes de ces voies de fait. Certains documents à usage interne précisent d’ailleurs que les blessures infligées à tel ou tel employé en telle ou telle occasion ont été bénignes. Quant aux contrebandiers, il semblerait que leur impétuosité leur ait souvent été fatale. La plupart du temps, ils opéraient en bandes de 10 hommes et davantage ; leurs adversaires, au contraire, étaient rarement plus de trois ou quatre. L’espoir de submerger les employés sous le nombre a fréquemment dû pousser les fraudeurs à lutter plutôt que de fuir en abandonnant des charges. Ce genre de comportement mettait les gardes en difficulté ; par nécessité réelle ou sous l’empire de la panique, les employés usaient alors, pour se tirer d’embarras, des armes dont ils étaient dotés le plus légalement du monde.
67Tel fut peut-être le cas, en 1782, lors de la rencontre au cours de laquelle furent tués à coups de sabre trois des quinze ou seize contrebandiers à cheval qui s’étaient opposés à des gardes à pied de Solre-le-Château51.
68Il faut se garder cependant d’oublier que les chiffres cités ici concernent une décennie. Tout au long du XIXe siècle, et encore au début du XXe, le nord de la France, la Franche-Comté et la frontière pyrénéenne seront le théâtre de plus nombreux incidents de cette nature52.
69La situation du Hainaut à la fin de l’Ancien Régime ne présente sous ce rapport aucune exemplarité.
4. Qui fraude dans le Hainaut ?
70Il n’est pas facile de situer socialement les membres des bandes ; plus exactement, peu d’indices permettent de les distinguer des fraudeurs qui agissent isolément. Ce sont sans doute les circonstances qui les conduisent à intégrer des bandes ; rien ne les y prédestine.
71Au demeurant, il ne peut être question de proposer un portrait-type du contrebandier hennuyer de cette époque. On l’a dit déjà, les fraudeurs sont alors fort nombreux dans la province, bien plus en tout cas que ne le laisse supposer le bilan des constatations ; les gardes ne se trouvent pas, on le sait, en situation de surveiller convenablement leurs « penthières » dans le temps et dans l’espace, si bien que leur efficacité ne peut, de l’aveu même de leur directeur, qu’être très relative.
72Quoi qu’il en soit, parmi les fraudeurs arrêtés on compte, à côté de « professionnels », de « fraudeurs d’habitude », des « fraudeurs occasionnels » dont l’activité illicite n’a d’autre but que l’approvisionnement personnel ou familial. On est frappé par le grand nombre de saisies portant sur de petites quantités de tabac (parfois quelques onces seulement) ou de sel (quelques livres pesant).
73Bien entendu, les femmes, les enfants et les vieillards qui se livrent à la fraude sont plus souvent des « occasionnels » que des « professionnels », et on ne les trouve pas dans les bandes. Il existe néanmoins des exceptions. En novembre 1788, les gardes arrêtent à Wargnies-le-Petit une cavalière chargée de 130 livres de tabac ; il s’agit d’une sujette de l’Empereur connue sous le surnom de la « Belle Marianne » et réputée fraudeuse de profession53. En 1788, deux garçons de 14 et 12 ans appréhendés à Anor sont désignés comme « ne s’occup(ant) l’un et l’autre qu’à mendier et faire la fraude »54. Par ailleurs, quand une fillette de 12 à 13 ans mène des chiens chargés de 30 livres de tabac, il est difficile de parler d’approvisionnement familial55.
74Il semble que les gardes aient pris fort peu de ménagements à l’égard des femmes soupçonnées de fraude. Un procès-verbal de mai 1789 dressé par la brigade de Bérelles relate comme suit l’interpellation de deux femmes de Felleries surprises alors qu’elles rentraient en France : nous les avons sommé « de nous dire si elles ne portaient rien sur elles contre les ordonnances de S.M., à quoi elles nous ont répondu que non, et nous, commis susdits, non contents de leurs réponses, aurions passé à la visite de leurs personnes et aurions trouvé entre les fesses de l’une des dites personnes une vessie remplie de tabac en poudre »56.
75Les procès-verbaux indiquent rarement l’âge des contrevenants (sauf lorsqu’il s’agit d’enfants). Les professions sont plus souvent mentionnées, surtout lorsque les verbalisants jugent utiles de préciser que l’on a affaire, par exemple, à un militaire, ou à un « homme de loi », ou encore à un aubergiste, voire à un ecclésiastique.
76Les aubergistes ont, semble-t-il, fait l’objet d’une surveillance particulière ; ils figurent en nombre assez important parmi les fraudeurs appréhendés.
77On est davantage surpris d’y trouver aussi des prêtres, comme un vicaire d’Ohain ou encore le curé de Gussignies qui est poursuivi pour injures et coups portés aux employés. Il serait risqué d’extrapoler à partir de deux situations de cette nature, mais on peut présumer que le clergé partageait l’animosité des édiles et plus généralement de la population à l’égard de la Ferme générale. Une curieuse histoire survenue sur les terres de l’abbaye de Saint-Amand laisse penser à une possible collusion entre les moines et les contrebandiers. En mai 1788, les gardes des brigades de Lecelles et Le Rosult veulent vérifier le chargement d’une barque qu’occupent neuf individus et qui circule sur un canal dont le cours emprunte les terres closes de l’abbaye. Les occupants de la barque prennent aussitôt la fuite en abandonnant 2647 aunes de tissu et 55 livres de sucre, d’une valeur totale de 4 400 livres. Dans les jours qui suivent, le Grand Prieur demande au directeur des fermes, au nom d’un « réclamateur » de la marchandise saisie57, le bénéfice de l’accommodement ; il offre à cette fin de verser 2 400 livres. Richard refuse :
« J’aurais été fort aise de pouvoir obliger M. le Grand Prieur de Saint-Amand qui m’a témoigné prendre un vif intérêt aux propriétaires des dites marchandises », mais l’offre est insuffisante, écrit-il aux fermiers généraux. Ceux-ci adoptent une attitude plus intransigeante encore : « Nous ne nous arrêterons pas à aucune (des raisons) dont vous nous faites part, parce que nous sommes fort éloignés d’avoir égard pour l’avenir aux sollicitations qui nous seront faites en pareil cas. Si les moyens d’indulgence dont la Régie a pu user jusqu’à présent avaient produit les effets qu’elle devait en espérer, elle s’y prêterait encore volontiers. Mais, comme elle a lieu de remarquer qu’au contraire l’impunité ne fait que multiplier les abus sans les réprimer et que la fraude, loin de diminuer, prend un accroissement que l’exemple peut seul arrêter, elle ne saurait se dispenser de tenir rigueur sur tout ce qui porte ce caractère ».
78En conséquence, il n’est pas question d’obliger le Grand Prieur. Une transaction interviendra quand même, mais après jugement58.
79Si les ecclésiastiques apparaissent rarement dans les procédures, il en va tout autrement des cultivateurs. Ceux-ci représentent la majeure partie de la population de la Généralité et ils sont vraisemblablement les Hennuyers les moins portés à sympathiser avec les employés. Comme les autres habitants des régions frontalières, ils doivent se méfier des commis quand il leur arrive de se procurer du tabac, une coupe de tissu ou un pain de sucre de contrebande, mais ils subissent en outre, en raison de leur profession, des sujétions particulières. L’exportation des « approvisionnements », au nombre desquels figurent non seulement les céréales, mais aussi le fourrage, est prohibée de manière quasi permanente, et le respect de cette interdiction est très attentivement surveillé par l’Intendant.
80Aucun transport de « subsistances » ne peut se faire dans la lieue frontière sans acquit-à-caution. Nous avons cité plus haut l’ordonnance, affichée dans toute l’étendue de la Généralité, par laquelle l’Intendant Deblair rappela solennellement cette obligation en 1763. À l’époque, un habitant de la paroisse de Crespin, localité située à l’extrême frontière, avait été arrêté par les gardes alors qu’il transportait dans sa charrette 11 sacs de blé « destiné, déclara-t-il, tant pour sa consommation que pour celle de quelques habitants de Quarouble et Quiévrechain » (localités voisines de Crespin) ; « n’étant question que de petites parties de blé... il n’(avait) pas cru être assujetti à aucunes formalités pour le transport ». L’Intendant précisa dans son jugement que l’intéressé « ne pouvait se dispenser aux termes des règlements d’être porteur d’une expédition du bureau (de la localité) d’où le blé (avait) été enlevé, laquelle expédition lui aurait été délivrée en conséquence des certificats qui auraient été représentés des mayeur et gens de loi, contenant la quantité de blé et les noms des habitants pour qui chaque partie aurait été destinée »59. L’accomplissement de telles formalités entraînait des pertes de temps auxquelles répugnaient les paysans, si bien qu’on relève, dans les « états des saisies », un nombre assez important d’infractions dont certaines correspondent, au demeurant, à d’incontestables tentatives d’exportation frauduleuse60.
81Plus nombreuses cependant sont les fraudes relatives au « pas de penas », cet impôt domanial sur le bétail quittant la province dont la Ferme assura le recouvrement à partir de 178161.
82Ces infractions ont été constatées soit lors de déplacements d’animaux sans expédition (et l’on se trouve alors placé dans une situation comparable à celle qui vient d’être évoquée à propos des subsistances), soit à l’occasion des « retrouves » ou recensements du cheptel auxquels procédaient périodiquement les brigades.
83Il est hors de doute que toutes ces obligations, et les conséquences éventuelles de leur violation, étaient difficilement supportées par les paysans : ils le manifestèrent parfois en réagissant violemment aux interventions des employés62.
84L’interdiction de cultiver le tabac, si ce n’est par 1 000 plants au moins et à condition de déclarer et de vendre la récolte à la Ferme, n’était pas moins impopulaire. Dans les campagnes, on se risquait assez souvent, semble-t-il, à violer cette défense pour satisfaire les besoins de la famille ou pour approvisionner quelque « faux débitant ». Les gardes surveillaient champs et jardins, et ils ne manquaient pas de relever les infractions. Le mayeur du village d’Escautpont fut ainsi verbalisé en octobre 178563. Quant à la chasse aux faux débitants, elle se devait d’être menée avec une application particulière, si l’on voulait éviter que s’installât un réseau structuré de vente au détail de faux tabac étranger ou indigène.
85La menace n’était pas illusoire. En juin 1773, des employés venus signifier à un débitant de tabac l’ordonnance de l’Intendant qui le condamnait pour contrebande, surprirent l’intéressé en train de vendre des produits d’origine frauduleuse ! L’intervention des gardes provoqua des violences64. En 1786, une véritable émeute éclata lorsque des employés voulurent perquisitionner, à Eclaibes, chez un autre faux débitant65. La même année, à Condé cette fois, on s’aperçut qu’un cantinier dûment agréé par le directeur des fermes et arborant le tableau réglementaire « De par le Roi. Cantine au tabac », vendait lui aussi du faux tabac66.
5. Amendes et prison : la sanction de la fraude
86Beaucoup, parmi les fraudeurs, surtout parmi les « occasionnels », sont dépeints comme dépourvus de ressources et incapables de « s’accommoder » avec la Ferme pour éviter la prison. Le receveur de Givet écrit à ce propos, en 178467 :
« Les particuliers de ce lieu qui se mettent à faire la fraude n’ont ordinairement rien à perdre et, par conséquent, s’embarrassent fort peu des amendes qu’ils sont dans le cas d’encourir. Et, comme ils nous disent fort bien que, si on les emprisonnait, on les nourrirait, ce n’est point l’usage qu’on fasse aucun accommodement ici. Tout ce qu’on peut avoir est la confiscation des objets saisis ».
87Quantité de documents du fonds valenciennois font état de l’extrême misère de petits fraudeurs.
88Hors le cas de rébellion, l’emprisonnement était une sorte d’anticipation de la contrainte par corps à laquelle les contrebandiers seraient assujettis faute de payer l’amende que prononcerait le juge. C’est donc la Ferme qui décidait ou non de faire écrouer les individus appréhendés par les gardes. Il n’en était évidemment pas question si un « accommodement » intervenait immédiatement ou si une caution jugée suffisante était versée dans les caisses de la Compagnie. Quant aux fraudeurs qui n’étaient pas en mesure de satisfaire aux exigences de la Ferme ou que celle-ci tenait à faire condamner, ils étaient conduits à la prison royale la plus proche du lieu de leur arrestation.
89Telle était la procédure normale. Cependant, comme la Ferme devait assumer les « frais de geolage », c’est-à-dire la nourriture des personnes détenues à sa requête68, on cherchait à éviter l’emprisonnement quand les intérêts en jeu étaient minimes ; mieux valait dans ce cas transiger, sinon immédiatement, du moins le plus vite possible, même à des conditions très modérées. Encore fallait-il que le fraudeur disposât de quelques livres tournois ou fût en mesure de les emprunter, ou encore bénéficiât de solidarités quelconques ; dans l’hypothèse contraire, il fallait bien le remettre aux mains du geôlier. La Ferme pouvait alors espérer que, dans les prochains jours, si possible avant le jugement, un arrangement deviendrait envisageable et que ses débours seraient ainsi limités. En tout cas, on n’hésitait pas le cas échéant, à mettre même des enfants en prison. En 1788, en réaction contre une mesure de cette nature, les fermiers généraux recommandèrent au directeur de Valenciennes de « ne plus emprisonner des enfants de quatorze ans »69.
90Parfois cependant, la situation s’éternisait. Pour les plus démunis, être nourris en prison, même plutôt mal, n’était pas pire que souffrir de la faim en liberté. Ne signale-t-on pas, en avril 1789, qu’un indigent se serait volontairement fait prendre en possession d’un peu de tabac « pour être nourri en prison »70 ?
91Il est malaisé de se faire une idée exacte du nombre des fraudeurs incarcérés. On ne dispose à cet égard, dans les archives de la direction des fermes de Valenciennes, que d’un document précis ; il s’agit d’une liste nominative « des fraudeurs constitués prisonniers qui y sont encore ou ont été élargis ». Établi en juillet-août 1787, cet état comporte les noms de 27 individus dont l’incarcération s’échelonne de mars 1785 à novembre 1786, les libérations intervenant entre octobre 1785 et juillet 1787. Les faits délictueux – qui, en majorité, consistent en importations frauduleuse de tabac (de 5 à 480 livres) ou de produits textiles prohibés – datent, à une exception près des années 1785 et 1786.
92La plupart des individus cités ayant été élargis à la date d’établissement de l’état, on connaît la durée exacte de leur détention. Celle-ci a été dans cinq cas, de un mois au plus, dans quatre cas, de 1 à 3 mois, dans trois cas, de 3 à 6 mois, dans six cas, de 6 mois à un an, dans quatre cas, de plus d’un an et jusqu’à 2 ans 6 mois71.
93Ces mises en détention correspondent à des contraintes par corps consécutives à des jugements rendus par l’Intendant ; elles ne tiennent donc pas compte des fraudeurs qui sont sortis de prison grâce à une transaction intervenue avant jugement ; or, ces détentions interrompues avant jugement ont été les plus nombreuses et leur durée a pu varier de quelques heures ou quelques jours à plusieurs semaines.
94Apparemment, le nombre de ces incarcérations a pu s’élever à 80 durant chacune des dix dernières années de la Ferme.
95La grande majorité des affaires s’est réglée par des transactions dont les conditions furent fixées en fonction des possibilités financières des fraudeurs ; l’un paie 36 livres d’accommodement pour quelques onces de tabac alors qu’un autre verse cette somme pour quatre livres pesant de cette marchandise72. Il est tout à fait clair que les exigences de la Ferme diminuent au fur et à mesure que l’impécuniosité du débiteur se confirme, c’est-à-dire au fur et à mesure que la détention se prolonge. Les frais de geolage finissent par apparaître comme une dépense inutile et l’on se résout au bout d’un certain laps de temps à libérer des fraudeurs sans contrepartie.
96Les receveurs et les cantiniers principaux, qui sont directement aux prises avec les doléances des familles de détenus se font assez souvent leurs avocats. Ont-ils hâte d’en finir avec ces instances ? Prennent-ils en pitié leurs interlocuteurs ? Sont-ils animés par des préoccupations beaucoup moins nobles, à savoir la hâte de voir mettre en répartition le produit – si mince soit-il – de l’affaire ? Toujours est-il que les correspondances qu’ils adressent au directeur sont parfois fort éloquentes. Ainsi, le receveur de Solre-le-Château présente un habitant de Felleries détenu pour avoir fraudé cinq livres de tabac, comme « absolument hors d’état de payer aucune amende quelconque, étant réduit à la mendicité », et d’ajouter :
« Un de ses enfants, qui est en condition à portée d’ici, ayant appris l’accident de son père, est venu me trouver tout éploré en me disant qu’il sacrifierait son année de gages pour recouvrer la liberté de son père. Ce jeune garçon âgé de 16 ans ne gagne que deux louis par campagne. C’est au monde tout ce qu’il est en état de donner. Cet acte d’humanité de la part d’un enfant méritera, je l’espère, auprès de vous, Monsieur, des égards ».
97L’offre, de fait, fut acceptée par le directeur73.
98Le cantinier principal de Bavai est tout aussi convaincant lorsqu’il plaide la cause d’un habitant de Villereau au domicile duquel 54 livres de tabac ont été saisies ; il souligne « l’extrême misère et pauvreté » du délinquant, état dont témoigne « l’inventaire de ses meubles et effets lesquels ensemble ne valaient pas douze livres », et il propose d’accepter les vingt-quatre livres offertes par un voisin. Cette fois encore, le directeur donnera son accord74.
99Il arrive que le receveur ayant en charge le dossier se laisse apitoyer à tort. C’est apparemment le cas du receveur de Bouchain, lorsqu’il intervient en faveur d’un habitant d’Haspres incarcéré pour 16 livres de tabac ; il s’agit, écrit-il, d’un « pauvre malheureux qui a fraudé pour la première fois... L’extrême besoin l’a mis dans cette nécessité ». Or, le dossier révèle que l’intéressé était fraudeur de profession et, de plus, capable de verser la somme relativement importante de 150 livres pour obtenir sa libération75.
100Quoi qu’il en soit, nombreux sont les cas où les correspondances figurant aux dossiers font état de la grande pauvreté des fraudeurs ; l’un est « pauvre... s’est laissé séduire... travaille ordinairement comme journalier » ; d’autres sont « indigent » ou « dans la plus extrême misère », « sans ressources », ou encore « dans une extrême pauvreté », etc.76. Fréquemment alors, le directeur libère les intéressés moyennant le simple remboursement des frais de geolage. On relève aussi d’assez nombreux exemples de la solidarité qui s’exprime au sein de communautés paroissiales. On voit intervenir ainsi les habitants de Revin, de Felleries, de Clairfayt77. La dernière de ces manifestations mérite qu’on s’y arrête. Elle date d’octobre 1789, et cette précision n’est pas inutile comme on va le constater. Un nommé Bertaux avait été pris alors qu’il importait en fraude 24 livres de tabac. Il s’agissait d’un fraudeur d’habitude et on l’incarcéra. Son épouse alla trouver le capitaine général qui rapporta ainsi la démarche :
« (Elle nous dit) qu’elle n’avait trouvé personne (pour verser une caution) et que nous n’avions pas le droit d’arrêter son mari et qu’ils étaient du Tiers État ; des réponses aussi singulières me firent rire de tout mon cœur ». Pourtant, l’affaire émut les habitants de Clairfayt, paroisse du délinquant. « Le mayeur et les échevins du village de Clairfayt, écrivit le receveur de Solre-le-Château, sont venus hier chez moi me représenter la misère de la femme du sieur Bertaux... me disant que cette femme était vraiment malade de peine et de misère, et qu’il lui était mort un enfant n’ayant point de quoi l’allaiter et qu’ils ont nourri cette femme et ses enfants depuis que Bertaux est emprisonné... Cette femme avait cherché et fait l’impossible pour trouver de l’argent à rendre, ou à vendre sa maison, mais que personne n’a voulu lui en donner, vu que cette maison est bâtie sur un bien appartenant à la communauté du dit Clairfayt, et que cette maison est bâtie en terre ». Ils offraient 24 livres : « C’était une charité qu’ils faisaient entre eux ».
101Aussi surprenante que la chose puisse paraître, il y a même trace de l’intervention du concierge d’une prison en faveur d’un détenu. Ce geôlier adressa au responsable local de la Ferme un billet ainsi libellé :
« Le nommé M... du village de Felleries est entré en prison le 29 du mois de juin (soit environ six mois plus tôt) pour deux livres et quinze onces de tabac. Cet homme est si pauvre qu’il est obligé de se ménager sur sa ration de pain pour envoyer à sa femme et à ses enfants qu’il a à nourrir ».
102L’homme était un fraudeur professionnel qui, lorsqu’il avait été arrêté, explorait le terrain pour éclairer la route d’un autre contrebandier dont il était le salarié et qui avait pu se mettre à l’abri78. Ce complice se nommait Baudet. Il fut appréhendé par la suite, alors qu’il tentait, avec deux acolytes, d’importer 113 livres de tabac. Déjà condamné pour contrebande à quatre reprises, il fut incarcéré. Alors qu’il n’avait en rien aidé son éclaireur à sortir de prison, il s’employa à se tirer personnellement d’affaire aux meilleures conditions possibles. Il offrit 300 livres, ce que le directeur jugea insuffisant, compte tenu des antécédents de l’intéressé et de l’importance de la saisie. Par quelle voie Baudet réussit-il à intéresser à son sort l’Intendant du Hainaut ? Nous l’ignorons, mais toujours est-il que Senac de Meilhan demanda « que le sieur Baudet soit traité avec le moins de rigueur possible ». Les arguments avancés : « vieillard sexagénaire pauvre, chargé de six enfants », etc., n’impressionnèrent pas le directeur des fermes qui, dans une lettre adressée aux fermiers généraux, mit les choses au point :
« Le sieur Baudet a 60 ans. Il y en a 40 qu’il fait la fraude et même assez heureusement, car, depuis environ trois ans, il n’a été surpris que quatre fois... Ce n’est pas le coup d’essai du sieur Baudet, c’est son usage, c’est son habitude, c’est son unique commerce, il y est souvent heureux, mais quelquefois la chance tourne » ; promettre de ne plus faire la fraude « est au dessus de ses forces ; il ne renoncera jamais à une habitude contractée dès l’enfance et dans laquelle même il élève ses enfants »79.
103La Compagnie, habituellement très attentive aux souhaits des Intendants, ne tint cette fois aucun compte de l’intervention.
104Comme nous l’avons signalé précédemment, plus de 500 affaires ont été portées devant la juridiction de l’Intendant du Hainaut par le directeur des fermes entre 1781 et 1789. Il s’est agi de procédures « civiles » dans la quasi-totalité des cas80. On trouve peu d’applications, en effet, des dispositions répressives spéciales qui, depuis 1729 surtout, frappaient la contrebande aggravée. Ces dispositions étaient rigoureuses. À l’égard des contrebandiers opérant en armes, la peine de mort était prévue s’ils formaient une réunion de cinq individus au moins, et celle des galères dans les autres cas. Les contrebandiers non armés, mais agissant en réunion encouraient eux aussi les galères. Le « forcement des postes et corps de garde » tenus par les employés entraînait la peine de mort. Quant aux « portage, recel ou débit de faux-tabac ou de marchandises défendues », ils pouvaient conduire les hommes aux galères et valoir aux femmes la flétrissure et le bannissement, voire, en cas de récidive, l’internement dans une maison de force81.
105Il y a trace d’un jugement rendu le 20 décembre 1730 par l’Intendant du Hainaut « qui condamne Martin Dufloc père à être pendu, le fils présent à l’exécution et trois ans de galères... pour faux saunage et autres crimes ». Un autre jugement, du 15 mars 1760, prononce la peine de mort contre cinq habitants de Bas-Lieu (près d’Avesnes) pour faux saunage et rébellion. Un troisième jugement, de cette même année 1760, voue à la potence, toujours du chef de rébellion et faux saunage, « Joseph Mercier et 15 à 20 quidams ». Il faut attendre ensuite l’année 1769 pour relever une quatrième condamnation pour « fraude en tabac, port d’armes et rébellion » frappant « cinq quidams de l’uniforme du régiment du Vivarais » et quelques civils ; les militaires furent « pendus par effigie », un sieur Jean Duez envoyé pour trois ans aux galères et deux femmes « fustigées, marquées et bannies pour cinq ans ». Un cinquième jugement intervient en juillet 1777 ; il condamne « Maximilien et Matthieu Ducoffre et 19 quidams à être pendus par effigie pour avoir tué le sieur Hue, sous brigadier des fermes à Fumay ». Deux ans plus tard, en octobre 1779, l’Intendant du Hainaut est encore appelé à condamner « le nommé Lion, meunier à Hestrud, en 500 livres d’amende, et plus de cent (sic) quidams à être pendus pour rébellion et spoliation commises envers le receveur des fermes du dit Hestrud et les employés de la brigade de Solre-le-Château ». En décembre 1781, un septième jugement porte condamnation de « 16 fraudeurs à cheval, armés de bâtons à masse à être fustigés et en cinq ans de galères pour rébellion et exportation à l’étranger de fils de mulquinerie »82.
106Il est probable que, postérieurement à 1781, l’Intendant fut encore appelé à statuer, selon la procédure extraordinaire, contre des rébellionnaires ; cependant, nous n’avons pas trouvé trace de telles instances. Notons aussi que, lors du passage de la chaîne des galériens à Amiens, en septembre 1784 et en mai 1786, il n’était retenu dans les prisons de la province aucun fraudeur « qui ait subi la peine des galères »83.
107Il n’existe par ailleurs aucun exemple que cette peine ait été prononcée en substitution d’amende, dans les conditions prévues par les déclarations du roi de 1721 et 174984.
C. En définitive, une hostilité latente qui s’exprimera en 1789
108Peut-on, en évitant les simplifications caricaturales, exprimer une opinion globale sur les rapports de la direction des fermes du Hainaut avec son environnement humain ?
109Nous avons vu que les tensions avec les autorités municipales n’ont pas atteint, sauf à Givet, une ampleur considérable ; néanmoins, ces tensions ont été trop nombreuses pour qu’on en minimise l’importance. Il est difficile, de surcroît, d’imaginer que les officiers municipaux aient agi à contre-courant du sentiment général : leur attitude est révélatrice d’une mentalité.
110Il n’a pas existé de difficultés relationnelles avec l’armée en tant qu’institution, ni avec le corps des officiers. En revanche, la troupe a fourni trop d’auxiliaires à la contrebande pour qu’une animosité n’ait pas existé entre soldats et employés des fermes (même si ces derniers étaient issus en partie de l’armée).
111La poste, service public comme la Ferme, s’est trouvée localement en conflit avec les commis ; sans grande importance en elle-même, cette opposition est intéressante dans la mesure où nous l’avons vue servir de catalyseur à l’hostilité ambiante à l’égard des employés.
112Les relations de la Compagnie avec les acteurs économiques sont complexes. Ceux qui voyaient dans la Ferme l’outil d’une protection contre la concurrence étrangère ne lui ont évidemment pas manifesté d’animadversion. Très classiquement, ils lui ont demandé de se montrer plus vigilante encore. Quant à ceux, négociants surtout, que contrariaient les réglementations, ils éprouvèrent, très classiquement aussi, peu de sympathie pour l’institution et pour ses représentants. Leurs critiques ont été vives parfois. Sans état d’âme, ces commerçants se sont mués en fraudeurs quand ils y ont eu intérêt. C’est précisément dans ce milieu que l’abolition des barrières a été le plus revendiquée.
113Les habitants « ordinaires » du Hainaut, c’est-à-dire la masse de la population, n’ont pu qu’éprouver des sentiments hostiles à l’égard de la Ferme et des commis. Personne en France n’aimait l’institution. Ces sentiments ont dû, à l’évidence, être plus vifs chez ceux qui, par leur profession, le lieu de leur installation ou leurs activités frauduleuses se trouvaient plus exposés que d’autres à subir des contraintes administratives, à faire l’objet de perquisitions, voire à connaître la paille humide des cachots. On doit souligner toutefois que, dans le Hainaut et durant la décennie 1780-1790, les visites domiciliaires n’ont pas été extrêmement nombreuses et que la répression des actes de fraude n’a pas été particulièrement sévère.
114Toutes ces observations conduisent à conclure à l’existence d’une hostilité latente contre la Ferme et ses employés. Cette hostilité ne s’est pas manifestée, en temps ordinaire, de manière spectaculaire, mais divers exemples cités ici prouvent qu’elle pouvait quelquefois exploser sous forme de rassemblements menaçants, voire de scènes d’émeute ; il n’est donc pas surprenant qu’en 1789, la Ferme ait été victime dans le Hainaut des troubles qui ont accompagné la chute de l’Ancien Régime.
Notes de bas de page
1 Voir pages 27 et 99.
2 AM Valenciennes 4 II 64. Ordonnance du 6 mars 1739 de l’Intendant du Hainaut.
3 AM Valenciennes 4 II 46. Procès-verbal du 27 novembre 1786.
4 AM Valenciennes 4 II 64. Lettre du 23 août 1785 du directeur des fermes. Mémoire de la Ferme générale du 29 août 1785.
5 « Givet est divisé en deux villes, celle… qui est sur la rive gauche de la Meuse se nomme Givet-Saint-Hilaire… La Meuse… sépare Givet-Saint-Hilaire d’avec celui qui est sur la rive droite appelé Givet-Notre-Dame ». Mémoire de 1778. AM Valenciennes 4 II 114.
6 AM Valenciennes 4 II 83. Correspondances relatives à la requête des officiers municipaux de Givet, décembre 1787-février 1788.
7 AM Valenciennes 4 II 122.
8 AN AD/IX/410. Arrêt du Conseil du 19 juillet 1735.
9 Voir ci-dessus, Statut du personnel des fermes, page 183.
10 AN G/7/289. Correspondance de l’Intendant du Hainaut, octobre 1712.
11 Voir ci-dessus, Statut du personnel des fermes, page 184.
12 AM Valenciennes 4 II 60. Requête du 22 février 1787 adressée à l’Intendant par le receveur des fermes d’Avesnes.
13 Voir ci-dessus, note 28.
14 AM Valenciennes 4 II 56. Lettre du 8 janvier 1773 des fermiers généraux.
15 AM Valenciennes 4 II 52. Affaire du 20 février 1787.
16 AM Valenciennes 4 II 57. Affaire du 22 avril 1781.
17 AM Valenciennes 4 II 23. Procès-verbal du 1er mars 1787.
18 Voir ci-dessus, page 117.
19 AM Valenciennes 4 II 83. Lettre du 13 juillet 1785 du receveur des fermes de Condé.
20 AN AD/IX/475(136), ordonnance du 31 octobre 1674. AD/IX/408. Arrêts du Conseil des 30 octobre 1690, 15 septembre 1692, 4 octobre 1697. Ordonnance du 20 décembre 1719. AD/IX/410, ordonnance du 20 avril 1734, AD/IX/479(53), ordonnance du 22 octobre 1707.
21 AM Valenciennes 4 II 65. Note des jugements souverains et en dernier ressort rendus par MM. les Intendants, 1724-1781.
22 Cet incident a été évoqué ci-dessus à propos des conflits d’attribution entre juges ordinaires et extraordinaires. Voir page 25.
23 AN AD/IX/485(107). Instruction du 20 avril 1740.
24 Le part ou lettre de part est le document par lequel est attestée la prise en compte d’un paquet clos par un service officiel (Poste, Ambassades).
25 AM Valenciennes 4 II 33. Circulaire du 11 février 1773 de la Ferme générale commentée le 20 février par le directeur à Valenciennes.
26 AM Valenciennes 4 II 33. Relevé des saisies demandé par les fermiers généraux, 17-30 septembre 1787.
27 AM Valenciennes 4 II 90. Simon Linguet (1736-1794), avocat rayé du barreau, s’était fait journaliste. Éditeur d’une feuille intitulée Annales politiques, civiles et littéraires du XVIIIe siècle, il avait été embastillé de septembre 1780 jusqu’à la fin de 1782 en raison des attaques qu’il menait dans toutes les directions. Imprimées en Angleterre, les Annales avaient été distribuées en France jusqu’à leur interruption forcée, par la régie de la poste. C’est, en tout cas, ce qu’indiqua Linguet, en janvier 1783, quand il reprit, de Londres, la publication de sa feuille : « Chaque numéro, écrit-il alors, se distribuait sur un ordre exprès et formel, émané directement du ministère ». Il est possible que le directeur de la poste de Valenciennes fut autorisé officieusement, à partir de 1783, à acheminer sur Paris, sous cachet de la poste les exemplaires des Annales parvenant de Londres via les Pays-Bas autrichiens où Linguet jouissait d’appuis à l’époque. Pour la Ferme générale cette tolérance n’existait pas. Les correspondances adressées par la Compagnie au directeur de Valenciennes étaient très nettes : il convenait d’appliquer aux Annales de Linguet la réglementation générale. L’affaire fut soumise au Conseil. Le garde des Sceaux (compétent en matière de contrôle de la librairie) fit savoir, en juin 1788, donc un an et demi après l’incident que nous avons relaté, que Linguet pourrait importer ses Annales sans accomplir les formalités de contrôle des imprimés. Les archives valenciennoises ne nous fournissent aucun renseignement sur ce qui se passa dans l’intervalle.
28 Les imprimés devaient être acheminés sous plomb à Paris pour y être examinés par la Chambre syndicale des libraires sous le contrôle du lieutenant général de police.
Circulaire du 3 mai 1784 confirmant celle du 12 juin 1783. AM Valenciennes 4 II 90.
29 AM Valenciennes 4 II 90. Lettre du 12 septembre 1788 du directeur des fermes. Cette affaire fut soumise au Conseil par la Ferme générale suivant mémoire daté du 18 septembre 1788, donc dans un délai très court (AN G/1/19. Mémoires soumis au Conseil, 1788-1789).
30 AM Valenciennes 4 II 42. Affaire nº 45 de 1789.
31 AM Valenciennes 4 II 92. Richard fit observer que le mayeur de Maubeuge, exploitant d’une mine de houille aux Pays-Bas, n’était peut-être pas exclusivement le porte-parole de ses administrés.
32 AM Valenciennes 4 II 81. Lettre du 30 octobre 1787 des fermiers généraux.
33 AM Valenciennes 4 II 120. Mémoire du 6 août 1780 du directeur des fermes.
34 Voir ci-dessus page 128.
35 AM Valenciennes 4 II 97. Lettre du 4 mars du directeur des fermes.
36 AN G/1/29. Mémoires soumis au Conseil en 1788-1789. Mémoire du 25 juin 1789.
37 Mulquinerie : tissage du lin pour la fabrication des batistes et linons ; les tisserands sont appelés « mulquiniers ».
38 AM Valenciennes 4 II 77. Correspondances des 18 et 26 juillet 1785.
39 AM Valenciennes 4 II 77. Lettre du 10 mars 1787 du directeur des fermes.
40 AM Valenciennes 4 II 77. Lettre du 17 décembre du directeur des fermes.
41 AM Valenciennes 4 II 98. Arrêt du Conseil du 13 juin 1720 faisant défense d’exporter hors du Royaume les écorces d’arbres servant à faire le tan pour l’apprêt des cuirs.
42 AM Valenciennes 4 II 98. Arrêt du Conseil du 15 octobre 1726.
43 A.M.Valenciennes 4 II 98. Correspondances échangées entre le directeur des fermes et les fermiers généraux : lettres des 14 juillet et 21 juillet 1785, arrêt du Conseil du 27 août 1787, lettres des 29 juillet et 2 août 1788.
44 Sur les doléances suscitées par les « visites », cf. J. Clinquart, L’administration des douanes en France sous la Révolution, op. cit.. page 39.
45 Nous avons renoncé à donner référence à ces sources de manière précise dans chacun des cas évoqués ici. Il s’agit bien entendu du fonds valenciennois coté 4 II.
46 Les saisies ont été particulièrement nombreuses de 1785 à 1787 inclusivement. Durant chacune de ces années leur nombre a atteint ou dépassé 400, alors qu’il n’a guère excédé 200 par an le reste du temps.
47 Les saisies de sel dans les trois lieues limitrophes ont été peu nombreuses : 65 en six ans environ (1784-1789). Onze d’entre elles seulement résultent de perquisitions.
48 AM Valenciennes 4 II 20. On notera les précautions prises par les verbalisants pour éviter d’être accusés a posteriori de brutalité.
49 AM Valenciennes 4 II 20. Procès-verbal du 6 octobre 1787.
50 On pourra se référer, par exemple, au nº 11 de juillet 1968 de la revue historique L’Histoire en Savoie, qui consacre un important dossier à la contrebande aux frontières de cette province au XVIIIe siècle. (Réédition en nº spécial en janvier 1985, Chambéry).
51 AM Valenciennes 4 II 10. Affaire du 22 octobre 1782.
52 Cf. J. Clinquart, L’administration des douanes en France sous la Troisième République, op. cit., pages 63 et suivantes, 185 et suivantes.
53 AM Valenciennes 4 II 41. Etat des saisies de novembre 1788.
54 AM Valenciennes 4 II 25. Procès-verbal du 1er février 1788.
55 AM Valenciennes 4 II 15. Procès-verbal du 23 août 1786.
56 AM Valenciennes 4 II 28. Procès-verbal du 2 mai 1789. La vessie contenait 18 livres de tabac.
57 La pratique des « accommodements » avec des « réclamateurs » de marchandises saisies au préjudice d’inconnus a été évoquée ci-dessus, page 86.
58 AM Valenciennes 4 II 26. Affaire du 6 mai 1788.
59 AM Valenciennes 4 II 55. Affiche du jugement rendu le 31 décembre 1763 par l’Intendant du Hainaut sur le procès-verbal de saisie dressé le 21 décembre par les employés de la brigade des fermes à Onnaing, contenant saisie sur Antoine François.
60 Tel est le cas, en avril 1784, quand les gardes de Le Quesnoy attendent pour intervenir que deux chariots chargés de 30 sacs de froment soient parvenus à l’extrême frontière. AM Valenciennes 4 II 11. Affaire du 13 avril 1784.
61 Arrêt de règlement de 1780, déjà cité à différentes reprises.
62 Ainsi en est-il, le 30 septembre 1787, quand le conducteur d’une voiture chargée de fourrage passe « de force » pour éviter d’être contrôlé. AM Valenciennes 4 II 23.
63 AM Valenciennes 4 II 36.
64 AM Valenciennes 4 II 56. Affaire de juin 1773.
65 AM Valenciennes 4 II 17. Affaire du 17 octobre 1786.
66 AM Valenciennes 4 II 16. Affaire du 17 novembre 1786.
67 AM Valenciennes 4 II 11. Lettre du 22 août 1784.
68 La Ferme générale supportait les débours suivants : « frais de transport depuis le lieu de la capture jusqu’à celui du dépôt, ceux de conduite et nourriture des fraudeurs et contrebandiers depuis l’instant de leur capture jusqu’à celui de l’emprisonnement ». Article 15 de la délibération du 7 octobre 1752 pour le partage des captures. La Ferme devait assurer aux détenus, deux livres pesant de pain par jour Arrêt du Conseil du 22 février 1710. AN AD/IX/479(156). Cependant, en 1786, le receveur de Valenciennes versait aux geôliers 5 sols 6 deniers par journée d’emprisonnement, ce qui excédait le prix de deux livres de pain. (A.M. Valenciennes 4 II 75).
69 AM Valenciennes 4 II 34. Affaire du 1er février 1788 : saisie de 40 livres de sel.
70 AM Valenciennes 4 II 42. Affaire nº 30 de 1789.
71 AM Valenciennes 4 II 73.
72 AM Valenciennes 4 II 42.
73 AM Valenciennes 4 II 14. Affaire du 20 novembre 1786.
74 AM Valenciennes 4 II 19. Affaire du 29 août 1787.
75 AM Valenciennes 4 II 28. Affaire du 10 mai 1789.
76 Citations puisées dans AM Valenciennes 4 II 42.
77 AM Valenciennes 4 II 27-40 & 42.
78 AM Valenciennes 4 II 61. Lettre du 8 janvier 1788 adressée au directeur des fermes par un correspondant d’Avesnes (non identifié) et accompagnée d’un billet, daté du même jour, du concierge de la prison.
79 AM Valenciennes 4 II 61. Affaire Baudet et autres du 30 octobre 1788. Une note manuscrite de Senac de Meilhan à Duponchel, subdélégué chargé des affaires judiciaires, figure au dossier ; elle est libellée comme suit : « Je désire que le sieur Baudet soit traité avec le moins de rigueur possible et je prie M. Duponchel d’en parler à M. Richard à qui je parlerai moi-même la première fois que je le verrai ».
80 AM Valenciennes 4 II 2. Etat des affaires instruites contradictoirement, remises et jugées à l’Intendance. 1781-1790.
81 Cette répression de la contrebande a été évoquée pages 23 et 86 ci-dessus.
82 Toutes ces condamnations sont détaillées dans la Note des jugements souverains et en dernier ressort rendus par MM. les Intendants de Flandres et du Hainaut pour faits de contrebande, attroupement et rébellion. AM Valenciennes 4 II 65. Il a été déjà fait référence à ce document. Il est probable, sinon certain, que cette liste est exhaustive, le but poursuivi par la Ferme consistant à démontrer l’intérêt d’une décision attribuant aux Intendants du « pays conquis » une compétence de plein droit dans les affaires de la nature envisagée ici.
83 AM Valenciennes 4 II 69. Circulaires des fermiers généraux du 3 août 1784 et 7 mars 1786, et réponses du directeur. Apparemment la chaîne passait deux fois par an.
84 AN AD/IX/411. Déclaration du roi du 4 mai 1749 qui renvoie à celle de 1721.
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