La RFA et la France face aux turbulences du système monétaire international : l’Union économique et monétaire (UEM) comme exutoire, instrument de dissuasion et de négociation de 1957 à 1978
p. 339-355
Texte intégral
1« Emminger estime qu’il sera bientôt impossible de résister à une solution européenne. Il a laissé entendre que l’Allemagne pourrait s’accommoder d’une telle option, tout en observant que cette option serait une solution de second ordre pour tout le monde »1. En rapportant ce propos du futur président de la Bundesbank, alors chargé des questions monétaires internationales au sein de l’institution, l’ambassadeur américain en RFA, Kenneth Rush, saisit sur le vif, au cœur de la bataille monétaire de l’automne 1971, le comportement des Européens face à l’Union monétaire. Durant la crise du dollar qui s’est étirée tout au long de cette année, l’Union monétaire, érigée en priorité de la relance européenne initiée à l’issue du sommet de La Haye (décembre 1969), fait en effet figure tantôt de solution, tantôt de repoussoir.
2Que la mise en œuvre du régionalisme monétaire ait été le résultat d’un arbitrage entre le coût de la mutualisation de la souveraineté monétaire au niveau européen et les risques inhérents à la destruction de l’ordre de Bretton Woods, est une évidence. De fait, les recherches sur l’histoire de l’unification monétaire européenne tentent depuis toujours de concilier deux approches : la prise en compte de la question du sacrifice de la souveraineté économique et monétaire d’une part, le caractère nécessairement hétérogène des philosophies et de l’organisation de la politique monétaire en Europe de l’autre. Plus intéressant pour notre propos est de s’intéresser aux comportements, voire aux stratégies qui ont pu faire de l’Union monétaire un instrument de négociation dans le cadre des relations monétaires internationales, que cet instrument ait eu d’ailleurs une ambition nationale ou européenne. Comment juger de ces comportements au regard de l’objectif ultime de l’Union monétaire ? En élargissant des pistes sur les motivations et les inhibitions des acteurs européens, on peut saisir toute la complexité des sources de l’unification monétaire. Pour autant, il convient de ne pas prêter à ces exemples d’instrumentalisation de l’Union monétaire une importance qui en ferait la solution d’une explication définitive. En même temps, le rappel de ces stratégies nationales garantit contre une double simplification. Elle permet de déconstruire une approche à la fois naïve et univoque de l’unification monétaire européenne : la simplification économique qui isole les débats sur l’Union économique et monétaire du champ plus large des relations internationales ; la simplification historique qui, par exemple, occulte le caractère souvent schizophrénique des décisions européennes.
3Dans un premier temps, il convient de rappeler le diagnostic partagé que font la France et la RFA des dysfonctionnements du système monétaire international tout en exposant les facteurs qui les empêchent d’adopter une démarche concertée. Une mise en perspective de sources primaires inédites couvrant les deux crises du dollar de 1971 et de 1978 permettra ensuite d’esquisser le rôle que le projet d’Union monétaire européenne a pu jouer, tant dans la structuration des relations économiques et monétaires internationales que dans les rapports franco-allemands.
I. Une coopération élusive malgré des intérêts monétaires évidents
4Avec le retour progressif à la convertibilité amorcé à partir de 1958, la France et l’Allemagne ont des intérêts monétaires apparemment convergents. Les années 1950 sont brillantes pour la RFA et le mark, tandis que la France assaini ses finances publiques et sa monnaie avec le plan de stabilisation Rueff de 1958. À quelques exceptions près pour la France, les années 1960 sont marquées par l’accroissement des réserves monétaires (or et dollars) pour les deux plus grandes économies du Marché Commun. Liées par le traité de Rome depuis 1957, la France et la RFA ont aussi des intérêts communs en terme de stabilité des parités monétaires afin de réaliser l’Union douanière et de permettre la mise en œuvre de la Politique agricole commune (PAC). Au niveau monétaire et financier, ce sont donc globalement des années de convergence pour la France et la RFA. Malgré tout, face à la détérioration de la situation des principales monnaies de réserve, en particulier du dollar et de la livre, la conjonction des intérêts structurels entre la France et l’Allemagne ne permit pas réellement la mise en œuvre d’une stratégie ambitieuse de coopération ni au sein de la CEE, ni au sein du FMI. Certes, dans le cadre restrictif des dispositions monétaires du traité de Rome, des avancées significatives eurent lieu en matière de coopération monétaire européenne, d’abord au sein du Comité monétaire, activé dès 1958, puis en 1964 avec l’installation du Comité des gouverneurs des banques centrales2. Mais les instances communautaires jouent davantage le rôle d’apprentissage de la coopération par la concertation, l’échange de l’information et des positions que de cadre opérationnel pour la résolution des difficultés monétaires, comme en atteste la gestion de la crise de la lire en 19643. Bref, si la question du régionalisme monétaire européen est évoquée par plusieurs économistes et défendue par la Commission européenne, la priorité demeure la défense du cadre universel de Bretton Woods4.
5Or, la réalité du fonctionnement du système des changes fixes de Bretton Woods est très éloignée de la représentation de l’âge d’or que les soubresauts du régime des changes flottants ont pu rétrospectivement contribuer à nourrir. Le système de Bretton Woods est en crise dès 1958, année où la balance des paiements des États-Unis entre en déficit. Entre 1958 et 1960, les réserves d’or des États-Unis chutent de 10 %. Outre ceci, le SMI est secoué par plusieurs crises qui affectent les monnaies des pays en déficit et dont les États-Unis ne sortent pas indemnes. La résolution de la dualité de la fonction du dollar américain décrite avec anticipation par l’économiste belgo-américain Robert Triffin, n’est le produit que d’une série de replâtrages5. C’est ainsi que les expédients défendus par la diplomatie américaine et britannique visent en priorité à limiter l’hémorragie de la chute des réserves d’or américain (accord sur le pool de l’or en 1961 et fixation d’un double marché du prix de l’or en 1968), ensuite, à renforcer les lignes de crédit du FMI (accords généraux d’emprunts de 1961), enfin, à défendre le principe de la diversification des sources de financement de l’économie mondiale dans un contexte de forte progression du commerce international, sans toutefois remettre en cause le paradigme éminent de la convertibilité en or du dollar. Côté lumière, la coopération monétaire internationale semble fonctionner, côté ombre, elle s’organise au bénéfice des pays en déficit.
A. Les freins institutionnels et doctrinaux au fonctionnement de la coopération monétaire franco-allemande
6Quels sont donc les obstacles à la coopération monétaire franco-allemande ? Voyons brièvement deux freins d’ordre institutionnel et doctrinal au fonctionnement de cette coopération, avant de souligner les obstacles politiques.
7Premièrement, l’articulation entre l’exécutif et la banque centrale : la Banque de France et la Bundesbank évoluent dans un environnement juridique diamétralement opposé. Bien que de création récente, la banque centrale de la RFA jouit déjà dans les années 1960 d’une crédibilité incontestable. En réalité, l’indépendance de la Banque centrale allemande tient autant à la garantie qui lui est offerte par la loi de 1957 que d’une pratique héritée de sa devancière, la Bank deutscher Länder (BdL). Au départ, la BdL n’était pas indépendante du tout. De 1949 à 1957, le débat n’est pas tranché entre les partisans d’un encadrement strict des prérogatives de la banque centrale et ceux favorables à la souplesse d’action du conseil monétaire. Ce débat prend de l’ampleur en mai 1956. À Gürnezich, le chancelier Adenauer critique publiquement la politique du crédit cher de la BdL. Au lieu de recueillir le soutien de l’opinion publique, ces attaques provoquent la défiance de la population à l’égard d’une classe politique jugée peu soucieuse du bien commun. L’indépendance de la banque centrale allemande se façonne en fait au milieu des discussions visant à sortir de l’organisation provisoire de la BdL6. Mais le principe de l’indépendance devient solidement ancré à partir du moment où la Bundesbank parvient habilement à ranger derrière elle l’opinion publique comme le démontre l’affaire du discours de Gürnezich7. En définitive, l’autonomie, d’ailleurs garantie par la loi dont jouit la Bundesbank, n’a pas d’équivalent dans le monde des banques centrales des années 1960. C’est le conseil de la banque centrale qui détermine l’évolution du taux des avances sur titres (taux Lombard). Au total, le principal niveau de porosité de l’indépendance de la Bundesbank se situe dans les questions relatives au système monétaire international, dans la mesure où le gouvernement est seul responsable de la modification du prix officiel de la monnaie (dévaluation/réévaluation). A contrario, depuis la réforme de 1936, et surtout, la nationalisation de 1945, la Banque de France fonctionne comme l’auxiliaire du pouvoir exécutif dans la mise en œuvre de la politique monétaire intérieure et extérieure. S’il a pu être démontré que la participation de la Banque de France dans plusieurs enceintes financières internationales a occasionné une certaine différenciation de l’institution par rapport à l’exécutif français, la Banque de France fonctionne dans le cadre d’une tutelle étroite exercée au plus haut niveau par le Trésor, le gouvernement et la présidence de la République, cette dernière n’étant jamais éloignée des grandes décisions prises par la Banque centrale8.
8Deuxièmement, les objectifs économiques de la politique monétaire : si, durant les années 1960, la Banque de France et la Bundesbank font reposer globalement la politique monétaire sur l’instrument du refinancement et des réserves obligatoires, ne laissant que peu de place aux procédures dites de marché, les politiques monétaires répondent à des besoins sensiblement différents. Dans l’ensemble, les deux institutions évoluent dans le contexte de la domination de la macro-économie keynésienne qui implique qu’une politique monétaire expansive, en créant une inflation limitée, peut avoir des effets réels en stimulant la production et l’emploi. Le trait distinctif de la politique monétaire allemande consiste à avoir décidé de « se lier les mains » en annonçant des règles d’objectifs en termes de stabilité des prix, toute déviation de ces prévisions par rapport à l’objectif devant entraîner une action correctrice. Certes, la Bundesbank ne faisait pas toujours la sourde oreille aux objectifs du gouvernement allemand, non sans avoir auparavant regimbé car, soucieuse de l’impératif de la stabilité des prix, elle s’inquiétait du phénomène d’inflation importée stimulée par l’afflux des capitaux. Cela explique certainement sa prévention à l’égard de la coopération monétaire européenne susceptible d’engager l’activation de mécanismes de soutien aux pays en déficit. À l’inverse, pour la politique économique de la France dont la force repose sur un potentiel industriel et exportateur moins développé que la RFA, la priorité est la réalisation d’une croissance volontariste qu’exprime la planification. De sorte que la politique monétaire constitue alors en France un instrument privilégié du pilotage économique, et donc une composante essentielle de la souveraineté nationale.
9Ces deux types de freins d’ordre institutionnel qui touchent aux cultures économiques posent une question essentielle pour la coopération monétaire franco-allemande et globalement européenne. Au total, l’ensemble de ces considérations ne permet de rendre compte qu’imparfaitement de l’éloignement des politiques françaises et allemandes. C’est pourquoi, au miroir d’intérêts partagés évidents (position de créditeurs et nécessité de la stabilité monétaire dans le cadre de la mise en œuvre de l’Union douanière et de la PAC), il apparaît qu’il faut voir plus large et plus loin que la dimension économique et s’intéresser aux mécanismes politiques qui inhibent la coopération franco-allemande.
B. Militantisme monétaire français et contraintes de sécurité allemande : les enjeux politiques des relations monétaires internationales
10L’utilisation politique de la monnaie a été un axe fort de la politique d’indépendance nationale du général de Gaulle, tant au sein de l’environnement politique européen que dans le cadre des relations transatlantiques. S’il est faux de résumer la philosophie monétaire du général de Gaulle à l’argumentaire déployé depuis le début des années 1960 par l’économiste Jacques Rueff9, on peut observer dans le cadre nécessairement limité de cette démonstration que le général de Gaulle adhérait largement à l’urgence d’abandonner le système de l’étalon de change or pour retourner à un véritable étalon-or. Dans cette logique, les mesures de circonstances adoptées à l’initiative des États-Unis ne faisaient que prolonger l’inégalité organique du système de Bretton Woods, soit la faculté permanente des pays débiteurs à monnaie de réserve de financer leurs déficits sans régler leurs déséquilibres de balance des paiements. Le militantisme monétaire du général de Gaulle trouve un premier terrain d’application vis-à-vis de la Grande-Bretagne lors des négociations d’adhésion au Marché commun. Forte d’une situation financière assainie, la France conteste âprement la capacité du Royaume-Uni à supporter les règles communautaires en stigmatisant les faiblesses du sterling. Le 14 janvier 1963, la France n’invoque pas l’argument monétaire car elle craint de légitimer les projets visant à renforcer les mécanismes de la coopération monétaire européenne10. Par contre, le chantage monétaire est parfaitement déployé contre la deuxième candidature britannique de janvier 1967. Bref, la charge contre le sterling fonctionne comme une répétition générale de la dénonciation des privilèges exorbitants de l’Amérique. Comment juger de la réponse de la RFA, premier créditeur en or et en dollars, face au militantisme monétaire du général de Gaulle ? Le point de vue de la RFA converge avec la France quant à la nécessité d’engager une réforme approfondie du système monétaire international. Certes, la RFA ne partage pas la doctrine du métallisme or du général de Gaulle, mais elle appuie la démarche française de l’encadrement du volume des liquidités internationales, ainsi que le principe de leur diversification. Mais, outre ses interrogations sur la politisation des débats monétaires, on observe que la RFA prend largement ses distances avec la politique de conversion massive des excédents dollars en or, engagée par la France depuis le début des années 1960. La communicabilité progressive des sources d’archives, tant en Europe qu’aux États-Unis, permet de réexaminer la question des lacunes de la coopération monétaire européenne. De ce point de vue, la relation germano-américaine entre 1958 et 1968, qui mêle les négociations monétaires au débat sur la sécurité, se révèle fondamentale.
11Dès 1958, l’Amérique sollicite la conclusion d’accords de compensation avec la RFA. Il s’agit de dédommager les États-Unis du coût d’entretien des forces stationnées en RFA. Plusieurs accords sont conclus jusqu’en 1964. L’année suivante, l’accord en vigueur est reconduit tacitement, faute d’entente entre la RFA et les États-Unis, les ministères économiques et le Département de la Défense plaidant contre l’avis du Département d’État pour une compensation intégrale des coûts du stationnement des forces. L’affaire rebondit cruellement en 1966. La coalition Trésor-Défense est renforcée par plusieurs amendements du Congrès qui brandissent la menace du couplage. Le chancelier Erhard, présenté volontiers comme l’« America’s errand boy »11, joue son va-tout dans la négociation12. À quelques jours d’une rencontre décisive entre Johnson et Erhard, le secrétaire d’État George Ball estimait que « l’échec de la rencontre risque de faire tomber le gouvernement Erhard »13. En effet, le Département d’État désapprouvait fermement l’option du couplage. Mais, après deux jours de discussions intenses, Erhard est contraint de céder aux exigences américaines. L’affaire est un camouflet pour celui qui avait défendu l’idée d’une coopération renforcée avec Washington contre l’option du rapprochement avec la France souhaitée par les gaullistes allemands de Franz-Josef Strauss.
12Pour quelles raisons la question des accords de compensation prend-elle un tour aussi explosif ? La question s’impose au vu de la détérioration observable des relations entre Washington et Bonn. C’est que l’arrangement financier germano-américain est désormais le pivot d’une relation de sécurité. Parallèlement, l’accord vise également à protéger le dollar et à limiter l’hémorragie des réserves d’or14. À Washington, l’argumentaire du sénateur William Mansfield visant à une réduction unilatérale des forces américaines stationnées en Europe commence à faire mouche. Un mois plus tard, c’est au tour du successeur d’Erhard, le chancelier Kurt Georg Kiesinger, de défendre les intérêts de la RFA. L’arrivée de Kiesinger ne marque nullement un coup d’arrêt à la brouille germano-américaine. Certes, Washington consent à nommer l’illustre John Mc Cloy à la tête de la délégation américaine. Reste que le tableau d’ensemble est compliqué par Londres qui conditionne son engagement militaire en RFA à une forte revalorisation de l’accord de compensation liant le gouvernement britannique à son homologue allemand. À Washington, cette équation suscite une réaction du président Johnson qui n’est sans doute pas feinte : « Si les Allemands et les Anglais ne jouent pas le jeu, alors Mansfield et Dick Russel vont me mettre à terre »15.
13La sortie de crise vint de l’imagination de la Bundesbank et du Trésor. Sans accéder aux demandes américaines d’une couverture complète des dépenses militaires, la Bundesbank ajoutait l’achat de bons du Trésor dans la corbeille. Pour compléter le dispositif, Bonn s’engageait, formellement cette fois, à ne jamais exiger une conversion en or de ses créances en dollars. En fait, dès 1961, des contacts entre banques centrales conduisirent à un accord informel visant à prévenir la conversion en or des excédents dollars de Bonn. L’accord écornait substantiellement l’autonomie de la Bundesbank16. La véritable pierre de touche de la relation financière et de défense entre l’Amérique et la RFA était donc bien la « réserve volontaire » de la Bundesbank17. En effet, en elle-même, la seule neutralisation des dépenses militaires engagées par le stationnement de troupes en RFA ne réglait en rien l’affaiblissement de la couverture or du dollar. En 1967, Bonn s’engagea formellement à ne jamais exiger une conversion en or de ses créances en dollars. En fait, la RFA venait formaliser dans un document cadre la politique de non conversion des excédents en dollar pratiquée depuis plusieurs années. Par là-même, la « Blessing Letter », à laquelle on se référera par la suite, est d’un grand intérêt, car elle acte le basculement du système de Bretton Woods vers un système à étalon dollar. La liberté retrouvée de Washington fait dire à Francis Bator, le conseiller à la sécurité nationale du président Johnson : « Avec cet accord, la RFA fonctionne dans le cadre de l’étalon dollar ». Ce faisant, Washington soldait en catimini l’étalon dollar, ce qui est très bien compris par le conseiller de Johnson : « Cet accord nous permet de tolérer des déficits modérés pour une période indéfinie »18.
14Mais, du même coup, le règlement de la crise ne fait pas que déplacer le centre de gravité du système de Bretton Woods. En effet, l’accord fait diverger dans des directions complètement opposées les politiques monétaires de la France et de la RFA19. Car la sujétion clandestine de Bonn à la dictature de la balance des paiements américaine est irrecevable du point de vue de Paris qui n’a eu de cesse de dénoncer les privilèges exorbitants du dollar et qui continue à faire de l’or le régulateur du SMI. En définitive, l’ultime concession de Bonn contribuait à lester davantage l’horizon de la coopération monétaire de l’Europe.
15Cela signifie-t-il que la coopération monétaire entre les Européens soit impossible ? Le débat menant à la création des droits de tirages spéciaux (DTS) montre que les choses ne sont pas aussi simples. Ce débat fonctionna comme une première motion de censure collective de l’Europe contre la politique monétaire de l’Amérique. Forgée dans le cadre du Comité monétaire, la démarche européenne fait figure de laboratoire et de prototype. En 1963, la France proposa l’introduction d’une nouvelle unité de réserve internationale. Certes, l’idée d’une unité de réserve collective avait des visées manifestement anti-américaines. Il n’empêche : l’administration américaine se saisit de l’occasion car, estimait-elle, « la proposition française peut poser les bases d’une réforme constructive du SMI »20. Par la suite, le gouvernement français tenta de fermer la brèche qu’il avait contribué à ouvrir en plaidant pour un relèvement du prix de l’or. Mais le thème de la réforme du SMI n’était plus tabou à Washington21. De toute évidence, la conférence de presse du général de Gaulle de janvier 1965 commandait une réaction volontariste. Le secrétaire au Trésor Henry Fowler rendit public le revirement de la position américaine dans un discours prononcé devant la Virginia Bar Association, le 10 juillet 196522.
16Or, ni la France, ni la RFA n’étaient disposées à accepter un nouvel instrument de réserve international sans en encadrer très strictement les conditions d’émission. Parce que Paris s’apprête à jouer de l’argument monétaire pour contrer la deuxième tentative de la Grande-Bretagne d’adhérer au Marché commun, le général de Gaulle décide de jouer la carte de la modération et du consensus au sein des institutions communautaires. Parallèlement, dans les négociations qui se jouent avant le sommet de Rio où doit être lancée la nouvelle réserve internationale, la RFA se contente d’affirmer « qu’elle souhaite jouer le rôle de tampon entre Washington et Paris »23. L’administration Johnson comprend que les Six sont prêts à se serrer les coudes au sein du comité monétaire et fait clairement savoir sa désapprobation au partenaire allemand24. Pour évaluer la position de négociation de Washington, il faut garder à l’esprit l’attitude de la Grande-Bretagne. Candidate à l’adhésion au Marché commun, le Trésor sait que Londres sera testée par ses partenaires, et plus que tout par la France25. Les turbulences causées par l’insubordination de Bonn se manifestent jusqu’à la fin de juin 1967. Johnson entreprit de forcer la main de Kiesinger lors d’une conversation téléphonique, le 24 avril 1967. Mais l’élément nouveau dans la position américaine se situait sur le terrain légal. Johnson s’employa à réfuter l’idée selon laquelle « le traité de Rome engageait ses membres au niveau de la politique monétaire internationale »26. Washington souhaite un alignement plus radical de Bonn et ne tolère pas la solidarité monétaire européenne qu’il perçoit comme le prélude à l’affrontement de blocs économiques.
II. L’UEM comme moyen de pression des relations économiques et monétaires internationales
17Aucun événement ne reste plus étroitement associé à l’histoire du système monétaire international que la décision du président Richard Nixon de suspendre la convertibilité en or du dollar. De fait, peu d’événements monétaires auront suscité autant d’analyses et de commentaires que cette décision dont on occulte le plus souvent la forte dimension commerciale. Prévisible, du fait du quasi-démantèlement des contrôles de capitaux mis en œuvre par l’administration Nixon, préfigurée depuis 1967 par la garantie de non conversion en or qu’a reçue le Trésor américain de son principal créditeur, la décision du 15 août 1971 et le lancement de la New Economic Policy (NEP) visent à restaurer l’autonomie de la politique monétaire américaine dans la perspective des élections de 1972 et à tenter un règlement favorable des contentieux commerciaux grâce à l’arme monétaire.
A. L’UEM pour forcer la dévaluation du dollar
18Pour l’Europe, engagée dans le processus de l’unification monétaire depuis le plan Barre de février 1969, c’est déjà l’heure du bilan. Ardente obligation pour la Commission européenne, impératif de la construction européenne affirmé par la France lors du sommet de La Haye, le projet de l’Unification économique et monétaire (UEM) est conçu pour fonctionner dans un régime de changes fixes. Outre ceci, les discussions sur le plan Werner sont restées étroitement conditionnées par la question de l’Union politique européenne. Ce débat, les principaux acteurs du jeu européen l’abordent avec leurs présupposés et leurs références propres qu’alimentent des priorités rivales. Pour la diplomatie française, l’UEM doit permettre à l’Europe de s’affranchir de l’impunité dont bénéficient les États-Unis dans le jeu monétaire international et, dans la perspective de l’accession du Royaume-Uni au Marché commun, de tenir tête à la RFA. Pour cette dernière, l’UEM n’est une priorité qu’en ce qu’elle constitue le couronnement de l’Union politique. Derrière cette hiérarchisation différente des priorités, se dessine naturellement une appréciation divergente des sacrifices que chaque partie est prête à consentir. Après l’expérience détestable du sommet de décembre 1970, les Six s’accordent en mars 1971 sur le lancement de la phase expérimentale de l’UEM en juin 1971. C’était négliger les conséquences des soubresauts monétaires internationaux qui vont gripper la dynamique communautaire et révéler du même coup les lacunes du plan Werner.
19La crise de mai 1971 est bien le premier véritable test de l’UEM. C’est tout le malentendu qu’avait préfiguré la crispation de la France à la suite de la présentation des conclusions du rapport final du comité Werner à l’automne 1970, qui va éclater au grand jour. Face à l’afflux extraordinaire d’eurodollars, la RFA se trouve conduite par anticipation à arbitrer entre le danger d’écorner le projet balbutiant de l’UEM et le risque immédiat du désordre inflationniste. Une fois rapidement tournée la page de la solidarité européenne qu’incarnait la proposition de Karl Schiller d’un flottement concerté des monnaies – sans qu’on sache précisément sur quel mécanisme de défense il aurait reposé – le choix du flottement du mark par les autorités allemandes discrédite l’effort européen en même temps qu’il rend l’entreprise plus désirable. Sans guère de transition, l’euphorie de la conférence de La Haye, encore bien présente au moment du sommet européen de mars 1971, cède la place en quelques mois aux incertitudes de la NEP. Démentant les pronostics les plus pessimistes des pouvoirs publics américains, l’Europe réagit en ordre dispersé.
20Malgré les bonnes dispositions des Européens, les négociations de l’après NEP piétinent. Les Européens ne parviennent pas à trouver un langage commun avec le secrétaire au Trésor John Connally. Mais, dans le secret des bureaux de la diplomatie américaine, on admet la réalité. Une coalition inédite du Département d’État, du National Security Council et de certains conseillers de la présidence sonne la fin des hostilités. À Bonn et à Francfort, les autorités allemandes jouent les intermédiaires. Quelques signes paraissent encourageants. Les Européens sont déterminés à faire capituler Washington : le règlement de l’affaire de la NEP ne pourra se dispenser d’une dévaluation en bonne et due forme du dollar27.
21Puisque les Américains s’opposent à cette forme de « contribution », pourquoi ne pas jouer de la menace de l’Union monétaire ? Les Allemands tentaient de renouer le fil rompu avec Paris sur l’UEM. Mais les confidences des Français et des Allemands aux autorités américaines ne laissaient guère de doute sur les arrière-pensées de cette UEM « bouclier »28. Personne en Europe n’a de goût pour une aventure mettant en danger la coopération avec Washington. Rien n’illustre mieux le comportement de marche à reculons que les confidences laissées par Jean-René Bernard, le proche conseiller du président Pompidou, à Paul Mc Cracken, le président du Conseil d’analyse économique. Mc Cracken rapporte que Jean-René Bernard a paru « très réservé à l’égard d’une solution régionale (y compris d’un système européen) »29. Mais à Rome, lors de la réunion du G 10 le 22 novembre 1971, le duo Volcker-Connally continue de faire preuve d’intransigeance. Au fond, Washington veut éviter l’humiliation de la dévaluation. Mais les Six et la Grande Bretagne répliquent par la menace d’un flottement concerté des devises, assorti de mesures de contrôle des changes. Ce dernier point est capital, car le front uni des Européens a permis de faire vaciller la position de Washington30. L’initiative européenne n’est pas insignifiante même si, au fond, elle ne semble pas avoir été désirée. Dans les semaines qui suivent, l’Amérique et la France, qui parle cette fois au nom de l’Europe, s’accordent pour le premier remaniement des règles de Bretton Woods au Smithonian Institute.
B. L’UEM comme moyen de pression sur les relations économiques et monétaires internationales
22La confrontation de sources européennes et américaines inédites permet d’envisager les errances de la politique économique de l’administration Carter comme l’une des sources essentielles de la relance de l’intégration monétaire européenne en 1978. On retrouve le chancelier Schmidt aux avant-postes de la création du Système monétaire européen. La relance monétaire n’est-elle que la concrétisation des impératifs économiques et financiers qui s’imposent à la Communauté ? N’y a-t-il pas un lien de cause à effet entre la forme que cette relance prend en 1978 et les tractations qui se nouent entre l’administration Carter et la RFA ? Il est notable que le calendrier de la genèse du SME se superpose parfaitement à celui de la négociation sur la relance économique concertée. Aussi bien, la bonne foi européenne supposée des promoteurs de l’initiative prise par Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing ne peut occulter toute une stratégie nationale visant à peser sur le calibrage de la relance économique concertée dont la RFA craint qu’elle n’attise les tensions inflationnistes. Pour tester cette hypothèse, il convient en premier lieu de confronter les intentions des acteurs européens après le discours inaugural du président Roy Jenkins à l’Institut universitaire européen de Florence, ensuite de constater l’écart entre l’ambition déclarée au sommet de Copenhague et les résultats de la négociation du sommet de Bruxelles (décembre 1978).
23Le 21 novembre 1977, la Commission européenne soumettait au Conseil des Finances une communication31 sur les perspectives de l’union monétaire. Le Conseil restreint du 1er décembre 1977 consacré à la préparation du sommet de Bruxelles conclut que « sur les perspectives de l’UEM, la Commission présentera un projet de résolution qui n’est pas encore connu. Il est peu probable qu’un accord allant au-delà de la procédure pourra intervenir, compte tenu en particulier des réserves allemandes »32. Deux considérations semblent alors façonner la position du gouvernement français : les réserves du gouvernement allemand sans lequel la relance de l’union monétaire est impossible, la proximité des élections législatives françaises pour lesquelles les sondages d’opinion donnent l’opposition gagnante. La dernière semaine du mois de février 1978 a été décisive pour le Système monétaire européen. C’est à Bonn, le 28 février 1978, lors d’un entretien avec Roy Jenkins, que le chancelier Schmidt va littéralement électriser son interlocuteur en lui confiant son intention de réaliser l’union monétaire. Dans le courant du mois de février, Schmidt avait sensibilisé son ministre des Finances Hans Matthöfer et surtout le président de la Bundesbank Otmar Emminger. Mais la résolution de Schmidt était assortie d’une réserve :
« Dès que les élections françaises seront passées et en admettant que tout se passe bien, que les communistes n’entrent pas au gouvernement, je proposerai alors aux gouvernements européens de franchir une étape décisive à l’union monétaire, en réponse aux problèmes du dollar »33.
24Comment expliquer la conversion soudaine du partenaire allemand ? En effet, en décembre 1977, du côté allemand, les projets de la Commission n’étaient pas de bon augure. Mais, entre novembre 1977 et février 1978, l’opinion d’Helmut Schmidt a considérablement évolué face à la dépréciation brutale du dollar qui perdit près de 25 % de sa valeur par rapport au deutschemark. Ce fut le facteur décisif qui inclina le chancelier Schmidt à étudier, puis à s’approprier l’initiative de Jenkins. Pour endiguer le développement indésirable d’un mark comme monnaie de réserve, la RFA disposait de deux alternatives : continuer à protéger le dollar par une politique d’intervention conjointe, ce que refusaient les États-Unis, constituer un bloc monétaire européen, voire mettre en place une politique commune à l’égard du dollar. Parallèlement, les autorités monétaires américaines décidaient de garder le cap sur une stratégie de reflation concertée au niveau mondial, et ce furent les recommandations qu’elles adressèrent au président Carter pour la préparation de son voyage en Europe de janvier 197834.
25Persuadée qu’imposer la synchronisation des économies des pays les plus industrialisés, c’était en fin de compte agir pour le plus grand bien de l’économie occidentale, l’administration Carter offrit alors une image exemplaire de cette étrange confusion qui est souvent une constante dans la politique économique extérieure américaine : entre un leadership économique auquel elle ne saurait se dérober et la défense acharnée des intérêts économiques les plus affirmés. Comment dès lors s’étonner qu’une attention extrême ait été portée aux solutions de nature à forcer la reflation des pays en surplus, au risque d’une véritable ingérence dans les affaires économiques des pays alliés ? Comment ne pas saisir le piège qui guettait les autorités américaines ? Tardant à reconnaître les déséquilibres de leur politique économique, elles se sont alors obstinées dans une politique de neutralité sur les marchés monétaires extérieurs, au risque d’alimenter les suspicions européennes d’une politique délibérée de manipulation des taux de changes.
26Il est en effet fascinant d’analyser l’interaction entre les États-Unis et la RFA. Au départ, les premiers réussirent à convertir les pays en surplus à un ajustement expansionniste censé prendre le relais du boom américain de 1977. La seconde accepte, à reculons, avec des arrière-pensées. La préparation du sommet des pays industrialisés et du projet de zone de stabilité monétaire démarre en mars 1978. Pure coïncidence ? La RFA ne cherche-t-elle pas à renforcer sa position de négociation alors qu’elle subit les pressions américaines ? Bref, l’Amérique promet de soutenir le dollar en échange de la relance de l’économie allemande, tandis que la RFA tente de défendre l’intégrité de sa politique économique en invoquant la relance de l’Union monétaire. De fait, on décèle aisément le mode du donnant-donnant auquel semble s’être résignée l’administration Carter : « Il sera difficile de stabiliser le cours du dollar en l’absence d’une stratégie globale de relance de la croissance, laquelle peut contribuer à la stabilité des changes »35, écrit Carter à Schmidt, le 9 février 1978.
27C’est dire que l’on ne pourra véritablement rendre compte des progrès de la coopération monétaire européenne sans prendre une juste mesure des ruptures économiques (libéralisation des échanges, diversification des sources de financement des économies nationales, modification du consensus économique), mais tout aussi bien de l’importance déterminante des facteurs politiques. Posons simplement que les difficultés rencontrées par la Commission européenne et par les mouvements européistes pour approfondir la coopération monétaire dans les années 1960 ne peuvent être comprises que rapportées aux différentes dimensions de la monnaie, à la fois reflet et facteur des relations internationales.
28Deux séries de facteurs compliquent apparemment la coopération monétaire franco-allemande. Tout d’abord, l’absence de vision commune quant au rôle dévolu à la politique monétaire dans le pilotage macro-économique. Reste que la forte différenciation des organisations institutionnelles monétaires de la France et de l’Allemagne et l’absence de consensus au niveau de la politique économique ne sont pourtant pas les seules pierres d’achoppement. En effet, il faut noter la transformation de l’attitude face au partenaire américain. À Bonn, la remise en cause des orientations de la politique monétaire américaine n’est plus un tabou à partir du moment où Washington joue moins de l’argumentaire de la sécurité. Cette inflexion libère Bonn. De là, l’élan à concevoir un projet monétaire européen, d’autant plus qu’avec Georges Pompidou, Paris a opté pour une politique plus accommodante à l’égard de l’Amérique. L’autonomisation de l’Europe à l’égard des États-Unis et la stabilisation de l’ordre monétaire deviennent des ressorts communs des stratégies économiques internationales de la France et de l’Allemagne. Ces objectifs sont à la base du système monétaire européen imaginé par Helmut Schmidt comme une zone de stabilité monétaire. De sorte que le rythme de l’enchaînement de la coopération monétaire franco-allemande qui se réalise essentiellement dans le cadre de la construction monétaire européenne semble avoir été imposé par le souci de neutraliser les errances de la politique monétaire américaine, et ce, jusqu’au Système monétaire européen.
Notes de bas de page
1 Telegram from Rush to Department of State, « Emminger on International Monetary System », November 17, 1971, Bonn, Tel nº 1450, in FRUS Series, Volume III, International Monetary Policy, Nixon-Ford Administrations, Document nº 199.
2 Sur les débuts de la coopération monétaire européenne, on se reportera à la contribution d’Agnès Bottex, « La mise en place des institutions monétaires européennes (1957-1964) », Histoire, économie et société, 18e année, nº 4, p. 753-774.
3 Horst Ungerer, A concise history of European monetary integration from EPU to EMU, Londres, Quorum Books, 1996, p. 67-95.
4 Régine Perron, « Le discret projet de l’intégration monétaire européenne (1963-1969 », in Wilfried Loth (éd.), Crises and Compromises : the European Project (1963-1969), Baden-Baden, Nomos Verlag, 2001, p. 345-367.
5 On trouve une excellente synthèse de la politique économique extérieure des États-Unis dans l’ouvrage de Diane Kunz, Butter and Guns, America’s cold war economic diplomacy, New York, The Free Press, 1997.
6 Sur l’histoire institutionnelle de la politique monétaire allemande après la seconde guerre mondiale, voir par exemple Robert Hetzel, « German Monetary History in the second half of the twentieth century: From the Deutsche Mark to the Euro », Federal Reserve Bank of Richmond, Economic Quaterly Review, vol. 22, Spring 2002, p. 29-62.
7 Voir Jörg Bibow, Investigating the intellectual origins of Euroland’macroeconomic policy regime: Central Banking institutions and traditions in West Germany after the War, The Levy Economics Institute, WP nº 406, May 2004, p. 25.
8 Éric Bussière, « La Banque de France et la réforme du système monétaire international : entre impératifs nationaux et solidarité des banques centrales européennes (1963-1968) », Histoire, économie et société, oct-déc. 1999, p. 797-814.
9 Gilles Grin, « L’évolution du système monétaire international dans les années 1960 : les positions des économistes : Robert Triffin et Jacques Rueff », Relations internationales, nº 100, p. 377-392.
10 Voir sur ce sujet Céline Pailette, « Stratégie monétaire française, candidatures britanniques à la CEE et SMI (1961-1967 », Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, nº 13, printemps 2002, p. 87-101.
11 State Department. Memorandum to the President, « Visit of Chancelor Erhard », September 26-27, 1966, Papers of Francis Bator, Box 21, Lyndon Baines Johnson Library.
12 Dans une conjoncture économique dégradée, Erhard est attaqué sur sa gauche par les « gaullistes » allemands qui lui reprochent la situation d’État client qu’occupe la RFA vis-à-vis des États-Unis et le refroidissement des relations avec la France : une situation de chaos politique qui fait dire au Département d’État que « pour Erhard, il est essentiel de prouver qu’il demeure un ami du président Johnson, mais en même temps, il doit être capable de s’affirmer face à l’Amérique », Memorandum from Bator to the President, « Trilateral negotiations and NATO », September 25, 1966, National Security Files, Box 50, Lyndon Baines Johnson Library.
13 Memorandum from George Ball for the President, « Handling the offset issue during Erhard’s visit », September 21, 1966, Papers of Francis Bator, Box 21, Lyndon Baines Johnson Library.
14 Il est vrai que les enjeux financiers ne sont pas négligeables. Les dépenses militaires américaines sont estimées à 770 millions de dollars en 1966. Un montant qu’il convient de rapprocher des 1,3 milliards de dollars de déficit de la balance des paiements en 1965. Cf. Diane Kunz, Butter and Guns…, op. cit., Chap. 8, Fighting the good fights, p. 171.
15 Memorandum for the record, Papers of Francis Bator, March 2, 1967, Box 13, Lyndon Baines Johnson Library.
16 Jusqu’en 1967, ce consentement de Bonn est jugé « fragile » par Washington. Par exemple, en décembre 1963, Dillon constate que la Bundesbank se montre de plus en plus « réticente ». Ce qui nécessita une mission secrète du sous-secrétaire Roosa auprès de Karl Blessing, le président de la Bundesbank. En fait, la retraite forcée du président de la Bundesbank pour six mois, à la suite d’un accident cardiaque, avait créé un malentendu. Blessing était donc le seul légataire de cet accord clandestin. Voir, sur ce sujet, Memorandum from Dillon to the President, « West Germany and our payment deficit », December 13, 1963, National Security Files, Box 190, Lyndon Baines Johnson Library.
17 Sur ce point, la confrontation des archives allemandes et américaines permet de préciser l’analyse de Monika Dickaus et de Hubert Zimmermann qui observent que la menace d’un retrait des forces américaines ne fut jamais véritablement formulée. Les documents du NSC (Fonds Bator) indiquent que le marchandage auxquels se prêtent les officiels américains est renforcé par une véritable révision de la doctrine d’emploi des forces en RFA. Monika Dickaus, « La Bundesbank et l’Europe, 1958-1973 », Histoire, économie et société, 1999, 18e année, nº 4, p. 790-791.
18 Memorandum from Francis Bator to the President, March 8, 1967, Henry Fowler Papers, Box 39, Lyndon Baines Johnson Library.
19 Pour une revue de la politique de la RFA, on lira avec profit la contribution de Monika Dickaus, « La Bundesbank et l’Europe », op. cit., p. 775-796.
20 Memorandum from Walter Heller for the President, « Background series on International Monetary Reform », Part III, « solutions and remaining problems », August 5, 1964, White House Central Files, FO4, Box 32, Lyndon Baines Johnson Library.
21 L’évolution des esprits en faveur de la réforme avait été facilitée par les conclusions du rapport Kaysen qu’avait commandé le successeur de Kennedy. Le rapport suggérait un rééquilibrage du SMI par un renforcement des responsabilités incombant aux pays en surplus. Memorandum from Kaysen to the President, « Report of the President’s task force on Foreign Economic Policy », November 25, 1964.
22 Remarks by the Honorable Henry H. Fowler, Secretary of the Treasury, before the Virginia State Bar Association, Hot Springs, Virginia, July 10, 1965, Papers of Francis Bator, Box 7, Lyndon Baines Johnson Library.
23 Telegram from Ambassador George McGhee to Department of State, « International liquidity », Bonn, April 14, 1967, Tel nº 12257, Francis Bator Papers, Box 9, Lyndon Baines Johnson Library.
24 Department of the Treasury, « Background paper for International Monetary Reform », April 20, 1967, Anthony Solomon Papers, Box 5, Lyndon Baines Johnson.
25 Memorandum from Anthony Solomon to the Secretary, « Talking points for the Secretary in conversations with EEC Finance Ministers on International Monetary Reform », April 22, 1967, Anthony Solomon Papers, Box 5, Lyndon Baines Johnson Library.
26 Memorandum from Rostow to Schiller and Bator to the President, « What we want from Germans on international monetary negotiations », April 24, 1967, Secret-Eyes only, déclassifié le 23 février 1998, Francis Bator Papers, Box 9, Lyndon Baines Johnson Library.
27 L’état des négociations sur la Nouvelle Politique Économique est retracé dans une note de Peter Peterson, le conseiller aux affaires économiques internationales de Nixon, Memorandum from Petersen to President Nixon, « Status of International Economic Negotiations-Your meeting this morning with John Connally », November 15, 1971, Arthur Burns Papers, Box 64, Gerald Ford Library.
28 Telegram from Ambassador Rush to Department of State, « German views on the G-10 Ministerial and the Brandt-Pompidou Summit », November 24, 1971, Bonn, Tel nº 2045, FN3EEC, Box 820, NARA.
29 Memorandum from the Chairman of the CEA to President Nixon, November 24, 1971, Nixon Project, NSC Files, Agency Files, Box 216, NARA.
30 Interview de l’auteur avec Paul Volcker. On retrouve un compte-rendu du G 10 de Rome dans les archives de la présidence Pompidou, « Audience de Monsieur Valéry Giscard d’Estaing chez Monsieur le Président de la République, compte-rendu de la conférence de Rome », le 2 décembre 1971, 5 AG2, carton 69, Archives Nationales.
31 « Communication sur les perspectives d’union économique et monétaire », COM (77)-620 Final, 16 novembre 1977.
32 Archives nationales, Compte-rendu du Conseil restreint pour la préparation du sommet européen et du sommet franco-britannique, 1er décembre 1977, Boîte 50, 5AG3.
33 Roy Jenkins, European Diary 1977-1981, London, Collins, 1989.
34 Memorandum from Blumenthal to President Carter, « International financial issues on your trip », 20 December 77, Antony Solomon Files, Box 4, Jimmy Carter Library.
35 Letter from Jimmy Carter to Helmut Schmidt, February 9, 1978, National Security Council, Brzezinski Papers, Box 3, Jimmy Carter Library.
Auteur
Docteur en histoire contemporaine et diplômé de l’Institut d’études politiques de Lille. Il est attaché des services du ministère de la Défense. Il est spécialiste de l’histoire des relations monétaires internationales, de la politique économique étrangère des États-Unis et de l’histoire de l’intégration européenne (milieux et réseaux d’affaires). Il a soutenu sa thèse, dirigée par le professeur Gérard Bossuat, en 2006, sur « Les États-Unis et l’unification monétaire de l’Europe, bilan d’ensemble et perspectives de recherche ». Ses publications sont : « Les milieux d’affaires américains et l’euro » in Inventer l’Europe, PIE-Peter Lang Édition, Euroclio, 2004 ; « Social Democracy and Monetary Union », Journal of European Integration History, vol. 11, Number 1, 2005 ; « Les États-Unis et la création du SME. Un test de la politique étrangère américaine vis-à-vis de la construction européenne », in Laurent Warlouzet et Katrin Rücker (dir.), Quelle(s) Europe(s) ?, Nouvelles approches en histoire de l’intégration européenne, Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2006, p. 169-179 ; « New evidence reveals internal discord in the Nixon White House: How to deal with European integration- The writing of National Security Decision Memorandum 68 », SHAFR, University of Kansas, juin 2006 et « Résistance ou faiblesse de l’Europe face au discours monétariste », in L’Europe et la mondialisation, Éditions Soleb, 2007.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances, 1918-1946
Les hommes, le métier, les carrières
Nathalie Carré de Malberg
2011
Le choix de la CEE par la France
L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle (1955-1969)
Laurent Warlouzet
2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006