Les relations entre entreprises allemandes et françaises dans le secteur du bâtiment sous l’Occupation, 1940‑1944
p. 169-199
Plan détaillé
Texte intégral
1L’histoire, longtemps négligée, des entreprises durant la Seconde Guerre mondiale suscite depuis peu un intérêt accru chez les chercheurs, tant en France qu’en Allemagne. En France, c’est le Groupement de recherche (GDR) 2539 « Les entreprises françaises sous l’Occupation »1, créé en 2002 par le CNRS, qui est à la fois l’expression et le moteur de cet intérêt. En Allemagne, les recherches historiques sur les entreprises à l’époque du national-socialisme ont connu ces dernières années un véritable boom, après une première amorce à la fin des années 1990 en particulier avec les études sur les travailleurs forcés. Dans ce contexte, les activités des entreprises allemandes en France et les relations entre entreprises françaises et allemandes pendant la guerre font également l’objet d’un intérêt accru.2
2Il est un secteur toutefois qui a largement échappé à ces recherches récentes, c’est celui de la construction, qui englobe à la fois les grandes entreprises de travaux publics opérant à l’international et les petites entreprises du bâtiment.3 Or les grands chantiers allemands qui ont été réalisés en France pendant cette période ont été l’occasion de contacts très nombreux et intenses entre entreprises françaises et allemandes ; près de la moitié des prestations fournies par l’industrie française sous l’Occupation pour le compte de l’ennemi l’ont été dans le secteur de la construction.4 Dès 1942, les commandes allemandes représentèrent environ 50 % du chiffre d’affaires du bâtiment en France, et au premier semestre 1944 elles atteignirent 80 %.5 De plus, dans aucune autre branche de l’industrie française travaillant principalement pour le compte des Allemands, il y eut autant de main-d’œuvre, libre ou réquisitionnée.
3Les études historiques sur les entreprises du secteur de la construction sont plus riches en France qu’en Allemagne, notamment grâce aux nombreux travaux de Dominique Barjot et de ses étudiants sur les entreprises de travaux publics aux XIXe et XXe siècles.6 À ces travaux s’ajoutent, pour la Seconde Guerre mondiale, ceux de Rémy Desquesnes consacrés au mur de l’Atlantique et à l’organisation Todt en France ainsi que les études menées par Danièle Voldman.7 En Allemagne, l’engouement pour l’historiographie sur les entreprises et l’industrie en général n’a pas jusqu’ici touché le secteur de la construction. La recherche sur les travailleurs forcés, au sens strict, ne s’est guère intéressée à ce secteur bien qu’il ait représenté, avec les mines, le deuxième secteur d’emploi de travailleurs forcés – après l’agriculture et avant l’industrie manufacturière.8 De plus, les études ont porté jusqu’ici presque exclusivement sur le Reich, et assez peu sur les territoires occupés. Les débats publics sur le rôle et la responsabilité des entreprises sous le régime national-socialiste, menés en lien avec la question de l’indemnisation, ont cependant eu un tel écho que les thèmes du IIIe Reich, de la participation du secteur privé aux crimes nazis et du travail forcé sont désormais abordés dans les chroniques d’entreprises qui ont été récemment publiées et qui revendiquent une certaine rigueur scientifique.9 Mais là aussi, les territoires occupés sont évoqués à la marge et le travail se limite la plupart du temps au recensement de quelques grands chantiers.
4Que l’industrie française du bâtiment, et en particulier les entreprises de travaux publics, aient travaillé à une grande échelle pour la puissance occupante est un fait connu de longue date. Ce n’est pas sans raison que près de 30 % des dossiers traités par la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration (CNIE) au lendemain de la guerre ont concerné des entreprises du bâtiment et des travaux publics.10 Les motifs de cette collaboration ont été débattus par Rémy Dequesnes, Dominique Barjot et d’autres chercheurs. Il faut citer la perte d’un grand nombre de marchés internationaux, l’abandon progressif des chantiers par l’administration militaire, non compensée par d’autres commandes, voire l’attrait de profits élevés à court terme, ou encore la menace, agitée par les autorités d’occupation, d’une réquisition des machines et de la main-d’œuvre et plus rarement, semble-t-il, les motifs idéologiques. Dans la plupart des cas, il s’agissait de garantir la survie de l’entreprise, de conserver ses capacités et ses ressources et de se préparer ainsi pour l’après-guerre et la reconstruction – sans qu’il soit possible de distinguer clairement ce qui relevait de la lutte pour la survie économique, de l’exploitation de la situation d’Occupation et de l’opportunisme. Ces motifs pouvaient se cumuler et coexister aussi bien avec une connivence idéologique qu’avec une opposition politique et un soutien à la Résistance.11
5Les formes que pouvaient prendre les relations entre entreprises allemandes et françaises sont en revanche mal connues. C’est le sujet de la présente étude12, qui est construite autour de trois questions majeures.
Où et à quel moment des ruptures se sont-elles produites, quelles continuités peut-on observer ? Où situer ces coopérations sur un spectre allant de l’exception à la normalité d’une activité entrepreneuriale ?
Quelles furent les répercussions du déséquilibre politico-militaire entre l’Allemagne nationale-socialiste et la France vaincue sur ces relations ? Cette question en soulève une autre, d’une importance primordiale : quel fut l’impact de la volonté hégémonique du régime nazi dans le cadre du « nouvel ordre » européen sur les relations entre entreprises allemandes et françaises ?
Quelle était la liberté d’action des entreprises allemandes et surtout françaises face aux instances politiques et militaires, et dans leurs rapports entre elles ?
6L’exposé ci-après n’a pas la prétention d’apporter une réponse exhaustive et définitive à ces questions fondamentales ; il est au contraire conçu comme une première approche ayant pour objectif de poser les fondations, de livrer les premiers éléments de réponse et d’ouvrir la voie à d’autres recherches. Pour cela, nous dresserons dans un premier temps un état des lieux en décrivant l’environnement des entreprises françaises et allemandes au début de l’Occupation. Nous examinerons ensuite avec plus de précision la situation des entreprises françaises du bâtiment au service de l’Allemagne, leurs lieux et leurs modes d’intervention. Enfin, il s’agira d’étudier comment s’établissait le premier contact entre les entreprises, avant de conclure par une analyse de leurs capacités d’influence et de leurs marges de manœuvre.
I. L’industrie du bâtiment en France et en Allemagne : état des lieux et environnement
7Dans la nouvelle organisation économique arrêtée par le régime de Vichy, les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics étaient réunies au sein du Comité d’organisation du bâtiment et des travaux publics (COBTP). Le segment du bâtiment était essentiellement composé de petites entreprises artisanales ; il travaillait la plupart du temps pour des particuliers. Cela correspond approximativement au Bauhandwerk allemand. Les entreprises de travaux publics travaillaient quant à elles essentiellement pour les administrations publiques, les collectivités territoriales et l’armée.
8En raison de la crise économique mondiale, le secteur français de la construction connut une baisse de son activité, qui dura jusqu’en 1939. Le bâtiment fut particulièrement touché tandis que les entreprises de travaux publics, du moins une partie d’entre elles, profitèrent de la construction de la ligne Maginot, commencée au début des années 1930. L’entrée en guerre se traduisit par un nouveau recul des commandes dans le bâtiment et un gonflement des commandes militaires pour les entreprises de travaux publics. Ces dernières subirent, au printemps et à l’été 1940, d’importantes pertes matérielles dues aux destructions, à l’abandon de matériel lors de la retraite et aux saisies effectuées par l’ennemi. À cela s’ajoutèrent des pertes financières car certaines commandes du corps expéditionnaire britannique n’avaient pas été honorées.13
9La conjoncture défavorable provoqua, parfois avant la guerre, parfois en raison de la guerre, un grand nombre de fermetures, de faillites et de fusions et par conséquent une diminution du nombre des entreprises. Dans le secteur du BTP, on recensait en 1936 188 000 entreprises et, en 1941-1942, le COBTP en comptabilisait 164 000, dont 2 800 pour les travaux publics et 161 000 pour le bâtiment (les chiffres relatifs aux années de guerre n’ont qu’une valeur indicative). Dans le secteur du bâtiment, les entreprises étaient majoritairement petites, voire très petites.14 Furent particulièrement touchées les entreprises de travaux publics, qui étaient encore au nombre de 7 700 en 1936 et de 3 50015 en 1939. Les raisons étaient de nature économique, mais aussi administrative, comme par exemple le rattachement d’office de bon nombre d’entreprises mixtes du secteur des travaux publics à celui du bâtiment.16 Toutefois, à partir de 1942, et cela est particulièrement intéressant pour notre propos, le nombre des entreprises de travaux publics s’accrut de nouveau à la faveur des chantiers de construction allemands.
10Le secteur allemand de la construction ne disposait pas d’une organisation unitaire telle que le COBTP, qui chapeautait travaux publics et bâtiment. Il y avait d’une part, le Wirtschaftsgruppe Bauindustrie au sein du Reichsgruppe Industrie et d’autre part, le Reichsinnungsverband des Bauhandwerks. En 1938, le Wirtschaftsgruppe Bauindustrie rassemblait 4 000 entreprises de travaux publics ; il existait par ailleurs 112 000 entreprises artisanales qui appartenaient au seul secteur du bâtiment.17
11Contrairement au BTP français, le secteur allemand de la construction avait connu pendant les années 1930 un essor continu, auquel avait largement contribué la politique des grands travaux, comme la construction des autoroutes à partir de 1933 et l’édification du Westwall (ou ligne Siegfried) de 1938 à 1940, pour ne citer que les deux chantiers les plus vastes. Cet essor s’est traduit par une augmentation des chiffres d’affaires, des profits et de la main-d’œuvre ainsi qu’un accroissement du parc des machines. En 1938, le boom économique avait créé une situation caractérisée par des commandes supérieures aux capacités de production et une pénurie de main-d’œuvre et de matières premières.18
12Chargé en 1938, par Hitler en personne, de la construction du Westwall, Fritz Todt créa, sur le modèle de la structure testée lors de la construction des autoroutes, une instance de direction, de coordination et de contrôle, qui fut rapidement baptisée Organisation Todt (OT).19 Cette nouvelle structure permettait de coordonner, sous le contrôle de l’État, le travail de milliers d’entreprises du secteur privé et de centaines de milliers de travailleurs libres ou forcés. Cette organisation, qui mêlait administration et gestion privée, fut soumise au début de la guerre à une discipline paramilitaire. Pendant la guerre, elle opéra dans l’ensemble des pays occupés par le Reich ou alliés à ce dernier.
13La continuité fut parfaite, en particulier sur le Front ouest, entre les travaux du Westwall et les grands chantiers dirigés par l’OT dans les pays occupés. Les principes d’organisation étaient identiques. Même si elle était considérée dans la zone occupée comme une « organisation auxiliaire de la Wehrmacht », l’Organisation Todt n’était pas placée sous les ordres du haut commandement militaire. La réalisation des chantiers reposait sur deux piliers : le recours massif à des travailleurs issus des pays occupés et la coopération avec le secteur privé. L’OT ne se chargeait pas elle-même des travaux de construction (sauf à titre exceptionnel) ; elle assurait les tâches de planification, de coordination, de fourniture des matériaux et des bataillons de main-d’œuvre nécessaires, et de contrôle. L’exécution des travaux était confiée à de grandes entreprises de travaux publics, d’abord et avant tout allemandes, qui à leur tour passaient des contrats avec des sous-traitants. Il s’agissait là pour l’essentiel d’entreprises autochtones sauf en Europe de l’Est. Le principe de fonctionnement capitaliste du secteur de la construction perdura dans son principe, en dépit d’un encadrement réglementaire croissant du fait de la guerre.
14Arne Radtke-Delacor met en exergue trois caractéristiques fondamentales de l’évolution de l’industrie française sous l’Occupation : premièrement un recul global de la production industrielle, qui atteignit son niveau le plus bas au XXe siècle ; deuxièmement une augmentation constante de la part destinée à servir les intérêts allemands dans la production totale (un tiers environ à la veille du débarquement allié) ; troisièmement en dépit du recul général, un essor pour certains secteurs et certaines entreprises, ceux-là qui précisément pouvaient servir au mieux les intérêts économiques de l’occupant.20
15Ces trois caractéristiques valent pour l’industrie du bâtiment, et tout particulièrement le secteur des travaux publics. Alors que le chiffre d’affaires global ne cessait de diminuer en raison de la pénurie de matériaux, de la perte d’un grand nombre de marchés internationaux et de la réduction de la demande intérieure liée aux restrictions allemandes successives21, la part des chantiers allemands dans le chiffre d’affaires du secteur français de la construction augmenta de manière continue. Le recul de l’activité toucha bien plus les travaux publics que les petites entreprises du bâtiment qui, reposant essentiellement sur une structure artisanale, avec un chiffre d’affaires en tout état de cause assez faible et une activité limitée à l’échelon local, traversèrent souvent la guerre sans pertes excessives.22 Par ailleurs, les grands travaux allemands provoquèrent un véritable boom dans les régions côtières, avec la création de nombreuses entreprises, faisant du BTP le seul secteur de l’économie française ayant enregistré un nombre significatif de créations d’entreprises pendant la guerre.
II. Les entreprises françaises du bâtiment au service de l’Allemagne : lieux et formes de coopération
16Dans la très grande majorité des cas, les coopérations concernèrent des chantiers sur le territoire français. Il arriva toutefois que des entreprises françaises travaillent également hors des frontières pour le compte des Allemands, soit au sein même du Reich, soit dans les territoires occupés par la Wehrmacht.
A. Les chantiers hors de France (Reich et territoires occupés)
17Il s’agissait souvent d’un simple prêt de main-d’œuvre, comme dans le cas de l’Entreprise générale de Travaux publics-Béton armé qui, en décembre 1942, passa un contrat avec la « communauté de travail » « Arbeitsgemeinschaft Donauschleusen Persenbeug » dirigée par la société Grün & Bilfinger, pour la construction d’écluses.23 Désignée explicitement comme « entreprise de prêt », la société parisienne s’engageait à envoyer un contingent de 200 ouvriers sur le chantier ; en revanche il n’était question ni de machines ni d’outils, encore moins de prestations techniques ou de conception. Autre exemple de prêt de main-d’œuvre, cette fois commandé directement par une autorité publique : les contrats passés par différentes entreprises françaises à l’été 1942 avec l’administration civile allemande en Lorraine pour l’envoi de travailleurs sur des chantiers de reconstruction dans le département de la Moselle, annexé de facto par l’Allemagne.24
18Dans les cas précités, les entreprises et les administrations allemandes, en faisant appel à des entreprises françaises, s’efforçaient de remédier à la pénurie croissante de main-d’œuvre, en particulier de personnel qualifié. Les documents qui mentionnent cette forme de coopération concernent principalement la période d’août à décembre 1942. L’envoi de main-d’œuvre par les entreprises françaises de construction, désigné sous le terme de « réquisition », fut l’un des volets des « actions Sauckel » et fut imputé sur le contingent de travailleurs imposé à la France.25
19La collaboration des entreprises françaises hors des frontières ne se limitait pas toujours au placement et à l’encadrement des travailleurs du bâtiment. Il arrivait que ces entreprises assument également la responsabilité de l’exécution de certains travaux et il y a même eu, au moins dans le cas de Sainrapt et Brice, une coopération technique pour le développement de nouveaux procédés.
20Souvent citée comme exemple d’une entreprise ayant fait le choix de la collaboration ou, selon les termes de Danièle Voldmann, d’une « collaboration notoire et volontaire »26, la société Sainrapt et Brice travailla pour l’occupant non seulement en France, mais aussi, entre 1942 et 1944, sur au moins six chantiers du Reich. Elle alla même jusqu’à signer à deux reprises « de véritables contrats d’association » avec la société Hochtief AG, pour des travaux de terrassement liés à la construction d’installations stratégiques destinées à la fabrication de carburants synthétiques27 : l’une était située à Rhumspringe près de Göttingen, l’autre à Marienau, près de Forbach, en Lorraine, à quelques kilomètres au sud de Sarrebruck, là où le consortium « Hochtief AG Sainrapt & Brice » avait établi son siège.28 À Marienau, le groupe Reichswerke Hermann Göring faisait construire depuis 1943, par l’entreprise Mineralölbaugesellschaft mbH Berlin, une importante installation de carbonisation à basse température destinée à la production de carburant à partir de charbon. Cette entreprise avait confié les travaux d’ingénierie et de construction des bâtiments et des installations à la société Hochtief AG, qui à son tour avait chargé Sainrapt et Brice des gros travaux de terrassement. Les travaux de construction nécessitèrent un recours massif aux prisonniers de guerre et aux travailleurs forcés civils français. Ces derniers étaient logés sur le chantier même dans un ensemble de baraquements prévus pour 1 000 ouvriers, dont le nom officiel était « Barackenstadt Marienau ».29 À Rhumspringe également, l’entreprise Sainrapt et Brice prit part aux travaux « à la demande de Hochtief », comme cela est indiqué dans l’exposé à la cour de justice de la Seine de 1948.30 C’est là que – très vraisemblablement grâce à un recours massif au travail forcé – fut construite pour le compte de la société Otto Schickert & Co. KG une usine de fabrication de peroxyde d’hydrogène, un composé utilisé comme carburant dans les moteurs-fusées, les turbines équipant les sous-marins et les dispositifs de propulsion de torpilles, et comme auxiliaire de décollage pour les avions. Toutefois, la guerre s’est terminée avant que l’usine ait pu commencer sa production.31 Sainrapt et Brice envoya à Marienau comme à Rhumspringe un grand nombre d’ouvriers mais aussi des ingénieurs, et participa activement aux travaux. Ce type de « communautés de travail » (Arbeitsgemeinschaft) demeurait toutefois l’exception, car la seule chose qui intéressait les entreprises de bâtiment allemandes, c’était obtenir de la main-d’œuvre via les entreprises françaises ; en général elles ne s’associaient pas avec elles.32
21Dans le cas de Sainrapt et Brice, dont la direction exprimait ouvertement son soutien à l’Allemagne, la collaboration fut étendue au domaine technique. Dès avant la guerre, l’entreprise avait fait breveter un procédé technique qui permettait de fabriquer des réservoirs en béton « étanches aux hydrocarbures ». Pendant la guerre, l’entreprise obtint un brevet pour ce procédé en Allemagne et le testa en coopération avec la Kriegsmarine et la société Siemens, qui s’étaient déclarées intéressées. À partir de septembre 1942, l’entreprise eut un bureau d’études au sein de la société Siemens à Berlin, qui fut détruit en novembre 1943 au cours d’une attaque aérienne.33 En 1944, Sainrapt et Brice signa un contrat de sous-traitance avec Siemens-Bauunion pour le développement d’un prototype de navire en béton, dont la construction débuta dans le port hollandais de Rotterdam.34
22Si l’on considère le secteur français de la construction dans son ensemble, la collaboration avec les entreprises et les autorités allemandes à l’extérieur du territoire français doit être considérée comme un phénomène très marginal. Elle fut l’affaire de quelques grandes entreprises. Parmi celles-ci le cas de Sainrapt et Brice, fut, à son tour, d’un point de vue à la fois quantitatif (de 1940 à 1944, 20 % du chiffre d’affaires furent réalisés au sein du Reich35) et qualitatif, unique en son genre. Cet exemple montre néanmoins jusqu’où pouvait aller la collaboration dans ce domaine. Rien n’indique que les entreprises françaises aient fait l’objet de pressions pour travailler pour le compte des Allemands à l’extérieur du territoire français, que ce soit de la part des autorités d’occupation ou du gouvernement de Vichy. Ce chapitre de la collaboration mériterait une étude systématique, notamment quant au rôle et à la responsabilité des entreprises françaises dans l’utilisation de travailleurs forcés sur les chantiers de construction.
B. Chantiers en France
23Infiniment plus importante fut la collaboration sur le territoire français, où divers organismes allemands firent réaliser de grands travaux sous l’Occupation. Ces chantiers devinrent progressivement l’activité principale des entreprises françaises. Les principaux maîtres d’ouvrage étaient la Wehrmacht (armée de terre, armée de l’air, marine de guerre) et surtout l’Organisation Todt. En France, l’OT travaillait avant tout pour le compte de la Wehrmacht (installations portuaires, bases sous-marines, installations d’aérodromes et aires de manœuvre, bunkers et fortifications, rampes de lancement pour les armes de représailles) ; elle participait par ailleurs à la viabilisation et à l’extension de gisements de minerai, effectuait des travaux de réparation après les attaques aériennes et, au printemps 1944, réalisa toute une série de travaux souterrains pour la protection d’industries stratégiques. Le mur de l’Atlantique constitua à partir de 1942 le plus gros chantier de construction en France. À partir de 1942 les conditions contractuelles et salariales offertes par les autres maîtres d’ouvrage allemands, notamment les trois branches de la Wehrmacht, s’inspirèrent de plus en plus de celles de l’OT. En avril-mai 1944, l’Organisation reprit finalement l’appareil de production de la Luftwaffe et, en juillet 1944, celui de la Kriegsmarine.36 Les chantiers réalisés pour l’Organisation Todt font donc l’objet d’une attention particulière dans la suite de cette étude.
24Toutes les grandes entreprises du secteur allemand du bâtiment prirent part aux travaux réalisés en France. Mais on vit également l’arrivée sur la côte de la Manche, la côte Atlantique et, ultérieurement, la côte méditerranéenne, d’un grand nombre de petites et moyennes entreprises attirées par le développement des projets allemands ; elles s’organisaient en « communautés de travail » ou intervenaient comme sous-traitants d’autres entreprises allemandes. Selon un relevé établi à l’automne 1944, deux tiers environ des entreprises allemandes travaillant pour l’Organisation Todt en France relevaient des travaux publics et un bon tiers du bâtiment. Les entreprises du bâtiment, dont certaines réalisaient des chiffres d’affaires très importants, avaient souvent leur siège le long de la frontière ouest du Reich (12 % sur le seul petit territoire de la Sarre)37, ce qui s’explique par la proximité géographique mais également par la continuité entre le chantier du Westwall et les grands travaux menés en France par l’OT.
25Nous ne connaissons ni le nombre exact des entreprises allemandes présentes en France, ni celui des entreprises françaises ayant travaillé sur des chantiers allemands. Les autorités d’occupation elles-mêmes n’en avaient qu’une idée approximative. Selon les services secrets britanniques, « entre 1 000 et 1 500 » entreprises françaises de construction travaillaient pour l’Organisation Todt en 1944.38 D’après les indications fournies par le bureau du Travail du Militärbefehlshaber (MBF/commandement militaire), un peu moins de 800 entreprises allemandes et un peu plus de 800 entreprises françaises étaient employées par l’OT et la Wehrmacht en France au printemps 1944.39 Ces chiffres doivent toutefois être considérés comme des valeurs minimales, en particulier en ce qui concerne les entreprises françaises40 ; on peut en effet supposer qu’il y eut des pertes d’informations dans les comptes rendus des Oberbauleitungen (directeurs de chantier) à leur hiérarchie et que, par ailleurs, certaines des unités comptabilisées comme une entreprise étaient en réalité des « communautés de travail » regroupant plusieurs entreprises. Ce ne sont pas les seules réserves : établis à une date donnée, ces chiffres ne tiennent pas compte des fluctuations et n’incluent pas les commandes allemandes passées en dehors de l’Organisation Todt et de la Wehrmacht. Enfin, ils concernent uniquement les entreprises ayant passé des contrats réguliers avec l’OT ou la Wehrmacht en tant que maîtres d’œuvre ou sous-traitants ; ils ignorent les entreprises du bâtiment qui effectuèrent de petits travaux ponctuels d’installation et de réfection pour des services allemands. Il est probable que le nombre réel fut plus important, voire beaucoup plus important en ce qui concerne les entreprises françaises, ce qui rejoindrait tout à fait les estimations des services secrets britanniques. Enfin, il convient de mentionner que plusieurs entreprises de construction belges et néerlandaises travaillèrent également pour l’OT en France.
26Qui étaient les entreprises françaises ayant fait le choix de la collaboration ? Il est de notoriété publique que les entreprises de travaux publics furent davantage impliquées dans la collaboration que les innombrables petites entreprises du secteur du bâtiment. Les premières, grâce à leurs capacités de production, intéressaient fortement l’OT et la Wehrmacht et étaient donc « particulièrement exposées aux sollicitations allemandes ».41 D’une part, elles avaient beaucoup plus de possibilités de participer aux chantiers lucratifs de l’occupant, d’autre part, elles étaient soumises à une surveillance plus stricte et une pression potentiellement plus forte de sa part. La pression économique notamment était très forte, tandis que les petites entreprises du bâtiment ont souvent pu surmonter la guerre sans trop de contraintes malgré le faible volume des commandes françaises.42
27Trois observations peuvent être formulées ici. Premièrement, même si la plupart des sociétés ayant travaillé sur les chantiers allemands existaient avant la guerre, un nombre non négligeable de nouvelles entreprises fut créé. Ainsi, en mars 1945, le nombre des entreprises de travaux publics avait augmenté de près de 20 % par rapport à 1939.43 Souvent, ces « entreprises champignons » étaient créées dans le seul but de profiter de la conjoncture particulière. Nombre d’entre elles étaient moins des entreprises de construction que des entreprises de prêt de main-d’œuvre ; elles n’avaient pas de personnel technique, ni de matériel, et leur activité se limitait à recruter de la main-d’œuvre qu’elles mettaient à la disposition de l’OT. Ces « entreprises négrières », ces « marchands d’hommes », comme on les a appelées pendant l’épuration, n’ont pas, la plupart du temps, survécu à la guerre. En revanche, d’autres créations ont su se développer après la guerre, jusqu’à devenir des entreprises importantes comme la Société technique pour l’utilisation de la Précontrainte (STUP), qui existait depuis 1943.44
28Deuxièmement, en raison de la proximité géographique des chantiers du mur de l’Atlantique, les entreprises établies dans les régions côtières furent beaucoup plus impliquées que celles établies dans d’autres parties de l’Hexagone (à l’exception des grandes entreprises exerçant leur activité au niveau interrégional, essentiellement établies en région parisienne). Les créations d’entreprises contribuèrent également à l’inégalité de la répartition géographique car là aussi, les régions concernées étaient avant tout les départements côtiers. Dans les Côtes-du-Nord par exemple, le nombre d’entreprises du BTP passa de 35 à 110 entre 1940 et 1942.45
29Troisièmement, il n’est pas toujours facile de savoir ce qu’était une entreprise « française ». Il s’agissait parfois de filiales ou de succursales d’entreprises allemandes. La société Siemens-France en est un bon exemple, qui existait avant la guerre et réalisa sous l’Occupation d’importants montages électriques dans toute la France pour le compte de l’OT et de la Wehrmacht.46 D’autres entreprises allemandes suivirent dans les années 1941 à 1944. Dans un grand nombre de cas, c’était une création de filiale, comme la société STUP précitée, qui avait été mise en place en 1943 par Campenon-Bernard et la société holding créée par elle un an plus tôt afin d’exploiter le procédé breveté par Eugène Freyssinet dans le domaine du béton précontraint.47 Les possibilités offertes par les chantiers allemands incitèrent également des particuliers à créer leur propre entreprise. S’il s’agissait en majorité de Français, on comptait également un grand nombre d’Allemands et de ressortissants de pays tiers, en particulier des Italiens établis en France.48 Parmi les Allemands se trouvait l’ingénieur Alexander Carroux, un entrepreneur douteux qui avait quitté Mannheim pour venir à Paris en février 1942 en tant que représentant de plusieurs fabricants allemands de matériaux de construction. Son entreprise fournissait des « conseils » techniques à l’Organisation Todt et à la Kriegsmarine et mettait en place, pour leur compte, des dispositifs d’étanchéité ; en outre, elle « procurait » à ses clients des matériaux et des biens de toutes sortes, très vraisemblablement en recourant au marché noir. En 1943, Alexander Carroux créa avec un partenaire une entreprise de construction franco-allemande qui, conformément à la propagande allemande sur le nouvel ordre européen, reçut le nom de Compagnie européenne de construction et d’aménagement.49
30Qu’est-ce qui fait qu’une entreprise est française ou allemande ? Est-ce seulement son enregistrement au registre du commerce ? La composition de son capital ? La nationalité du chef d’entreprise ? Ou celle de ses dirigeants ou de ses cadres ? Bien que la réponse soit claire dans la plupart des cas, la question de la nationalité des entreprises rend le phénomène de la collaboration économique plus complexe encore. Cette question a d’ailleurs donné lieu à des débats au sein et entre les organes d’occupation. L’administration militaire utilisait un critère purement formel pour décider quelle législation devait s’appliquer en matière d’impôts et de droit du travail : une entreprise était française lorsqu’elle était inscrite au registre français des entreprises. Il y eut pourtant des cas problématiques, comme celui de la société Rittman. Cette dernière avait été créée en France par un Allemand, était inscrite au registre français du commerce, travaillait principalement pour l’OT et la Luftwaffe et se présentait parfois comme une entreprise allemande, parfois comme une entreprise française, selon ce qui était le plus avantageux50. L’OT, pour laquelle la fiabilité importait plus que les catégories formelles, traitait la société Rittman et la société Carroux comme des entreprises allemandes.
31Être considérée du point de vue juridique comme une entreprise allemande présentait des avantages financiers puisque les entreprises allemandes étaient soumises à des cotisations sociales et des impôts inférieurs à ceux que devaient acquitter les entreprises françaises51. Ce sont ces avantages financiers qui poussèrent l’entrepreneur alsacien Louis Gaertner, qui possédait déjà la Compagnie française du bâtiment et des travaux publics, une entreprise sise à Paris qui avait été créée en 1939 seulement mais qui fut sous l’Occupation l’entreprise de travaux publics avec le plus gros carnet de commandes allemandes52, à fonder à Nuremberg une entreprise de droit allemand, dont l’objet était de mener à bien en France d’autres projets allemands de construction53.
32Le secteur français du bâtiment a connu pendant l’Occupation une évolution ambivalente. Comme nous l’avons vu plus haut, la branche enregistra une baisse globale de son activité, qui, généralement, se traduisit au niveau des entreprises par une réduction du chiffre d’affaires, de la productivité et des bénéfices54. Parallèlement, grâce aux grands travaux allemands, la conjoncture dans les zones côtières était très favorable. Cette nouvelle situation offrait des opportunités, et ce pas seulement en termes de bénéfices. Elle permit aux nouveaux arrivants de créer leur entreprise et surtout (mais pas uniquement) aux jeunes entreprises de travaux publics de se développer, de s’équiper en machines, en matériel et en main-d’œuvre et de se positionner ainsi favorablement par rapport à leurs concurrents. Cette situation provoqua, du moins à court terme, un transfert des parts de marché. Ce n’est pas un hasard si au « top 10 » (en volume de commandes) des entreprises de travaux publics collaborant avec l’Allemagne, on ne trouvait qu’une seule entreprise ayant compté en 1939 parmi les dix entreprises leaders de la branche55.
33Les entreprises françaises du secteur participèrent aux chantiers allemands de cinq manières différentes :
en travaillant directement pour les maîtres d’ouvrage allemands ;
en tant que sous-traitants pour une entreprise allemande ;
en tant que sous-traitants d’une autre entreprise française qui travaillait directement pour un client allemand ;
en tant que membre d’un groupement d’entreprises françaises ;
au sein d’une « communauté de travail » (Arbeitsgemeinschaft) avec une entreprise allemande.
34Contrairement à ce qu’on peut lire dans la littérature, c’est dès 1941 et non 1944 que les entreprises françaises purent passer directement des contrats avec l’Organisation Todt56. Il est vrai que jusqu’à fin 1943, ces contrats furent rares, l’OT et la Wehrmacht préférant se reposer sur des entreprises allemandes, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité. Cette pratique changea lorsque les capacités des entreprises allemandes devinrent insuffisantes. Toutefois, le modèle le plus répandu demeura celui d’une entreprise contractante allemande avec des sous-traitants français alors que des partenariats franco-allemands restèrent l’affaire de quelques grandes entreprises. La collaboration de l’industrie française du BTP peut donc être analysée également sous l’angle des relations franco-allemandes.
III. Le début de la coopération : les premiers contacts
35Nous pouvons supposer que le comportement des entreprises était, du moins dans une certaine mesure, « dépendant du sentier » (pfadabhängig), qu’il dépendait donc en partie des conditions et des choix initiaux. Certes, les évolutions n’étaient ni contraintes ni irrésistibles ni incontournables, comme le suggèrent les chiffres d’affaires des entreprises de travaux publics qui, au lendemain de la guerre, durent rendre des comptes devant la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration (CNIE) : en effet, il y a quelques entreprises qui, en 1940-1941, réalisèrent un volume important de chantiers allemands mais ne participèrent pas à la construction du mur de l’Atlantique en 1942-194457. Mais, pour une entreprise engagée dans les programmes de construction allemands, il devenait souvent de plus en plus difficile de se retirer et de refuser d’autres chantiers. Si nous admettons cette hypothèse d’une « dépendance de sentier », le premier contact avec l’occupant et la première décision d’accepter des commandes allemandes revêtent une importance toute particulière. On peut identifier quatre grands modèles pour cette première prise de contact.
A. Contacts directs entre grandes entreprises
36Surtout dans le cas des grandes entreprises, le contact était souvent établi directement, sans l’intervention des autorités allemandes ou françaises. Cela était d’autant plus facile que nombre de grandes entreprises avaient déjà coopéré entre les deux guerres dans le cadre du plan Dawes (1924), qui avait permis à l’Allemagne de satisfaire à son obligation de réparation sous la forme de prestations en nature, en participant notamment à de grands chantiers de construction en France et dans les colonies françaises. Ces chantiers avaient été menés à bien par des groupements d’entreprises allemandes et françaises. De cette façon, les grands patrons allemands de la branche connaissaient les ressources et les capacités des grandes entreprises françaises. Aussi les coopérations entre grandes entreprises sous l’Occupation furent-elles souvent des retrouvailles. Leur nombre est frappant58 : tant les entreprises allemandes que les entreprises françaises préféraient apparemment coopérer avec des partenaires qu’elles connaissaient déjà. On peut supposer que la possibilité de renouer des partenariats ayant existé jadis a affaibli les réticences des Français à nouer des relations d’affaires avec les représentants de la puissance occupante, si tant est que de telles réticences aient existé.
37L’initiative venait très souvent du côté allemand, mais pas exclusivement, comme le montre l’exemple du projet de prise de participation de Dyckerhoff & Widmann dans le capital de la Société de construction des Batignolles59. Les deux entreprises avaient coopéré entre les deux guerres dans le cadre du plan Dawes mais aussi sur des chantiers de construction en Yougoslavie. Au début de l’année 1941, les représentants de Batignolles se rapprochèrent de Dyckerhoff & Widmann pour demander à leur ancien partenaire de les aider à liquider leur activité en Yougoslavie, alors occupée et démembrée. L’entreprise française, analysant avec justesse la situation et estimant que le matériel de production était de toute façon perdu, voulut au moins en assurer la liquidation financière. Dyckerhoff & Widmann se montra intéressée par le « rachat de ce matériel », non seulement en raison de la situation de l’appareil de production allemand, mais également « dans le souci d’entrer en relation avec une entreprise française leader, dans la perspective de chantiers futurs en Afrique et dans les autres pays étrangers, pour écarter autant que possible, grâce à la mise en place de groupements d’entreprises, la concurrence malsaine apparue sur le marché mondial de la construction à la veille de la guerre »60. La solution envisagée fut une option sur un tiers du futur capital de Batignolles, qui devait dans le même temps être augmenté de 50 %.
38Dyckerhoff & Widmann tenta donc de tirer avantage de ce moment propice pour d’une part, s’approprier un matériel précieux puisque rare et, d’autre part, pénétrer de nouveaux marchés grâce à une participation dans l’entreprise française. Le rapport de force sur le plan politico-militaire et la situation de guerre rendaient le contexte favorable. Toutefois, le nouvel État croate ayant entretemps engagé la liquidation du matériel, Batignolles se désintéressa en 1941 du projet qui tomba ainsi dans les oubliettes. Cet épisode montre qu’en dépit du rapport de force entre les deux pays, l’entreprise française jouissait, du moins à ce moment-là, de sa totale liberté de décision.
B. Reprise d’entreprises et de chantiers français
39La puissance occupante poursuivit, pour ses propres intérêts, de nombreux chantiers de construction qui avaient été commandés par les autorités françaises avant la guerre, notamment lorsqu’il s’agissait d’installations portuaires. Bien souvent, la Kriegsmarine ne fit que reprendre les chantiers avec les entreprises qui y travaillaient. Les administrations françaises (Marine, Armée de l’air, communes, etc.), en parfait accord avec la logique de collaboration de Vichy, non seulement fournirent des listes et des informations sur les entreprises, mais également encouragèrent ces dernières à poursuivre leur activité afin d’éviter que les chantiers et le contrôle des capacités de production ne tombent complètement entre les mains de l’ennemi. Le maître d’ouvrage allemand choisissait le plus souvent comme maîtres d’œuvre des entreprises allemandes qui trouvaient sur place une structure existante et travaillaient avec des entreprises françaises.
40Ce fut le cas par exemple dans le port de Brest, où deux filiales de Campenon-Bernard avaient, depuis 1935, réalisé d’importants chantiers pour le compte de la Marine nationale. Menacée de saisie et de réquisition, Campenon-Bernard continua le chantier avec l’accord de l’ingénieur en chef des travaux maritimes. Ce dernier préférait en effet que l’entreprise française demeurât sur le chantier afin de protéger le matériel et la main-d’œuvre. Enfin, comme l’indiquèrent les responsables au lendemain de la guerre, cela permettait d’utiliser également « pour les besoins français », les capacités et matériaux de construction restés au sein de l’entreprise61. Campenon-Bernard travailla ensuite à Brest comme sous-traitant pour la société Julius Berger AG, qui, en 1941, entama sur la base maritime et sous-marine des travaux commandés par l’OT62, et que Campenon-Bernard connaissait depuis le début des années 30, lorsqu’un groupement d’entreprises avait été mis en place pour réaliser des chantiers en Indochine63. Les choses se déroulèrent de la même façon pour l’aérodrome de Châteaudun, où Campenon-Bernard avait déjà construit avant la guerre des hangars pour avions pour le compte du ministère de l’Air. Là aussi, les travaux se poursuivirent sous l’Occupation, pour le compte de l’OT64.
41Dans la logique des autorités françaises, si des chantiers pour la puissance occupante devaient être réalisés avec des ressources françaises, il fallait autant que possible que cela le fût par des entreprises françaises. D’une part, il s’agissait de protéger les entreprises, d’autre part, on espérait ainsi pouvoir suivre les travaux et se garder des capacités d’influence. Mais il s’agissait aussi bien évidemment de coopérer correctement avec les autorités allemandes qui, elles aussi, étaient intéressées par une participation des entreprises françaises dans la mesure où cela constituait une solution beaucoup plus confortable, économe en main-d’œuvre et plus efficace qu’une réquisition générale des matériels et du personnel et qu’un recours aux seules entreprises allemandes. Au bout du compte, l’OT ne se préoccupait pas de savoir si la main-d’œuvre était placée sous l’autorité d’une entreprise française ou sous celle d’une entreprise allemande.
C. Mesures prises au niveau central par les autorités d’occupation
42C’est une fois de plus avec le soutien de l’administration française que la puissance occupante prit, à compter d’août-septembre 1942, des mesures au niveau central pour intégrer les entreprises françaises de travaux publics, avec leur personnel et leur matériel, dans le programme allemand de grands travaux sur les côtes atlantique et anglo-normande. Cela concerna dans un premier temps la main-d’œuvre puis, à partir de 1943, les capacités de production des entreprises françaises.
43Pour pouvoir mettre en place de manière systématique la « réquisition d’entreprises » (Firmeneinsatz), il était nécessaire de recenser les entreprises de travaux publics de la zone occupée et leur potentiel respectif. Le délégué du « Plénipotentaire de la construction » (General bevollmächtigler Bau) se tourna donc vers la Délégation générale à l’équipement national (DGEN) qui put lui fournir ces informations. Cette demande était accompagnée de la promesse de ne pas contraindre les entreprises et leur personnel à partir en Allemagne (la loi du 4 septembre 1942 institua le service obligatoire pour les besoins du Reich, mais également pour l’OT en France). Au service individuel obligatoire, la DGEN préférait un système dans lequel les entreprises françaises conserveraient leurs ouvriers spécialisés et recruteraient ellesmêmes du personnel supplémentaire ; elle donna donc pour instruction au COBTP de dresser au plus vite les listes exigées65. Le même scénario se produisit début 1943 pour les entreprises de la Zone sud, désormais occupée, qui allaient notamment participer à la construction du Südwall le long de la côte méditerranéenne66.
44Globalement, on constate que la mobilisation des entreprises françaises et les relations entre l’Organisation Todt et les entreprises privées furent progressivement institutionnalisées et formalisées. La mise en place de cellules de liaison joua, à cet égard, un rôle considérable. Aussi bien le Wirtschaftsgruppe Bauindustrie que le Reichsinnungsverband des Handwerks nommèrent des responsables pour la France et installèrent à Paris des bureaux qui étaient chargés de défendre les intérêts de leurs membres et servaient de cellules de liaison avec l’OT et le génie de la Wehrmacht. Par ailleurs, l’OT créa en novembre 1943 un Service de liaison et de défense des entrepreneurs français auprès de l’OT (SLD). Ce dernier était toutefois moins chargé de défendre les intérêts des entreprises françaises, contrairement à ce que suggère son appellation, que d’aider le Groupe d’intervention Ouest (Einsatzgruppe West) de l’OT dans ses efforts pour mobiliser davantage les entreprises françaises. Cette mesure s’inscrivait dans un contexte où le recours aux entreprises françaises, qui se montraient toutefois réticentes, était d’autant plus indispensable que certaines entreprises allemandes étaient parties sur des chantiers dans la Ruhr et en Italie. Le SLD dut par conséquent tout faire pour trouver des entreprises, soumettre des propositions pour une réquisition plus efficace, informer les services compétents de l’OT des difficultés rencontrées au niveau des contrats et des facturations et, de manière générale, jouer le rôle d’interface avec les responsables économiques et le gouvernement français67. Ce n’est pas un hasard si le SLD était dirigé par Francis Drouard, dont l’entreprise, Drouard Frères, comptait parmi les entreprises de travaux publics qui collaborèrent le plus avec la puissance occupante en termes de nombre de chantiers68.
45Cette centralisation progressive de la réquisition des entreprises dans le cadre de l’OT connut un point culminant en février 1944 – du moins en théorie – lorsque la direction des groupes d’intervention décida que l’OT désignerait désormais leurs sous-traitants aux maîtres d’œuvre69.
D. Contacts au niveau local
46Dans le cas surtout des petits sous-traitants français, les contacts étaient établis au niveau local, soit auprès des antennes locales de l’OT, de la Wehrmacht ou de l’administration militaire, soit directement auprès des entreprises allemandes implantées dans la région. L’initiative pouvait venir de toutes les parties. C’est le cas de ces nouvelles entreprises qui furent créées, après que des contacts avaient été noués avec des entreprises allemandes ou des responsables de l’OT, comme une réponse immédiate aux besoins de ces derniers, comme par exemple les entreprises Bonneau, et Cavazzoni et Prigent.
47Raymond Bonneau fut tout d’abord le représentant d’une entreprise française qui réalisait des travaux à la Rochelle pour le compte de l’OT. En août 1943, il créa son entreprise, selon ses propres déclarations, à l’initiative d’un chef de chantier de l’OT, qui aurait été impliqué dans des activités de résistance. Cela n’empêcha pas cette nouvelle entreprise sise à Bordeaux d’enregistrer, notamment en 1944, un chiffre d’affaires considérable grâce au déchargement de pierres pour la construction du mur de l’Atlantique70.
48L’entreprise Cavazzoni et Prigent fut créée en juin 1943 par un Italien vivant en France depuis 1930 et un jeune Français. Prigent avait travaillé auparavant pour une entreprise allemande qui quitta la France en 1943 pour la Ruhr et voulut l’amener en Allemagne dans le cadre du STO. Pour échapper au travail obligatoire (comme il l’a déclaré après la guerre), Prigent créa avec Cavazzoni, ancien employé d’une entreprise française de Dinard, sa propre entreprise de travaux publics, qui réalisa des chantiers en Bretagne pour le seul compte de l’OT et de la Kriegsmarine71.
IV. Possibilités d’influence et liberté d’action
49S’agissant des entreprises du bâtiment françaises, il convient de distinguer : premièrement, la liberté d’action vis-à-vis du maître d’ouvrage et en particulier de l’Organisation Todt ; deuxièmement, la liberté d’action à l’occasion des contacts directs entre les entreprises allemandes et françaises et troisièmement, la liberté d’action sur des aspects plus informels.
50Il convient de préciser au préalable que la question de la liberté d’action se pose, fondamentalement, aussi bien pour les entreprises allemandes que pour les entreprises françaises. En effet, même les entreprises allemandes disposaient d’une liberté d’action restreinte en ce sens qu’il leur était difficile sinon impossible de se désengager de l’Organisation Todt, de ne plus accepter d’autres commandes ou de déplacer leurs équipements et leur main-d’œuvre hors de France (la question de savoir si elles l’auraient souhaité si elles en avaient eu la possibilité est une autre histoire).72 En particulier, les sièges des entreprises perdaient prise sur l’utilisation des ouvriers une fois transférés en zone occupée. Au demeurant, même en supposant que les entreprises allemandes n’aient pas pu se désengager en totalité, elles étaient tout à fait en mesure de décider quels chantiers accepter, le lieu de ces chantiers (après tout, l’Organisation Todt était active ailleurs qu’en Europe occidentale) et l’ampleur de ces chantiers. Les grandes entreprises étaient les mieux à même de faire valoir, en haut lieu, l’influence dont elles jouissaient au sein du Wirtschaftsgruppe Bauindustrie, et étaient des partenaires de coopération tout désignés pour l’OT et la Wehrmacht. Elles étaient ainsi, par exemple, associées à l’élaboration des contrats-cadre.73 Du point de vue également des relations entre le régime nazi et les opérateurs économiques d’autres secteurs74, il est difficile de concevoir que quoi que ce soit ait pu être décidé contre la volonté des grands groupes, du moins jusqu’au printemps 1944.75 Les entreprises allemandes pouvaient par ailleurs exercer leur influence au plan local où, à partir de 1943, l’administration de l’OT se confondit de plus en plus, du point de vue des effectifs et de l’organisation, avec les entreprises du bâtiment allemandes.76
51Par contraste, les entrepreneurs français n’avaient aucun poids sur les conditions contractuelles. Comme nous l’avons vu, le Service de liaison et de défense des entrepreneurs français avait moins pour fonction de représenter les intérêts des entreprises que de servir de courroie de transmission des exigences de l’OT. À tous points de vue et en particulier de celui de la répartition des matériaux et de la main-d’œuvre, les maîtres d’ouvrage allemands étaient avantagés par rapport aux sous-traitants français qu’ils avaient reçu mission de surveiller et de contrôler de la part de l’OT. C’est ainsi que les firmes françaises se plaignirent à de nombreuses reprises que les maîtres d’ouvrage allemands se taillaient la part du lion du ravitaillement mis à leur disposition et de la main-d’œuvre qui leur était affectée, et de ce qu’elles étaient par conséquent contraintes de travailler dans des conditions nettement moins favorables. Elles se plaignirent également que les entreprises allemandes ne considéraient les Français que comme des objets d’exploitation. Le groupe d’intervention de l’OT prit ces plaintes très au sérieux. En effet, il ordonna aux directions supérieures de construction de vérifier, entre autres, la capacité d’encadrement des maîtres d’ouvrage.77 Des points de vue technique et conceptuel, les entreprises françaises n’avaient le plus souvent qu’un rôle d’organe d’exécution.
52Il ne faut pas pour autant en conclure que les sous-traitants français ne disposaient d’aucune liberté d’action et d’aucune influence sur les entreprises allemandes. De la qualité de leurs travaux et du respect des délais dépendaient en effet les chances des entreprises allemandes de se voir confier d’autres commandes de la part de l’OT. Il est attesté que les maîtres d’ouvrage allemands transmettaient à qui de droit les récriminations et les desiderata des sous-traitants et qu’ils défendaient leur cause auprès de l’OT. Ainsi, Alexander Carroux, dont il a déjà été question dans cet article, prit position auprès du Groupe d’intervention Ouest de l’OT pour que le personnel qualifié des entreprises françaises de sous-traitance soit dégagé du service obligatoire en Allemagne.78 Il faut dire que, dans ce domaine, il y avait assurément convergence d’intérêts entre les entreprises allemandes et françaises. Les entreprises allemandes invoquèrent notamment l’intérêt commun à réaliser des bénéfices. Rittmann fit ainsi valoir à maintes reprises à son sous-traitant Canal et Schuhl que l’on pourrait compter sur de nouvelles commandes de la part de l’OT à condition que les travaux en cours soient achevés à peu près dans les détails fixés et qu’il était par conséquent « dans son propre intérêt » de mettre les bouchées doubles et d’augmenter les effectifs déployés sur le chantier.79
53En outre, les entreprises françaises du bâtiment n’étaient en rien condamnées au statut de sous-traitant. Pour peu qu’elles eussent des capacités adéquates, elles pouvaient tout à fait s’associer à des entreprises allemandes au sein de « communautés de travail », voire agir pour leur propre compte pour celles qui avaient la réputation d’être des partenaires fiables. De la même façon, il était possible, sans s’exposer à de graves conséquences, de refuser des commandes ou de sélectionner les commandes, du moins pour les entreprises qui disposaient de ressources convoitées et de savoir-faire précieux et qui à ce titre étaient très sollicitées par la partie allemande. Campenon-Bernard constitue un bon exemple à cet égard et même Sainrapt et Brice qui, s’il travaillait largement pour des entreprises allemandes, ne s’en autorisait pas moins à décliner des commandes, des demandes ou des offres de coopération.80 Décliner des propositions d’entreprises privées allemandes n’entraînait aucune sanction. De plus et peut-être surtout, ainsi que nous l’avons vu, aucune entreprise française n’était de quelque manière que ce soit contrainte de travailler sur le territoire du Reich ou dans d’autres zones occupées extérieures à la France. Enfin, il y avait des entreprises françaises du bâtiment qui réussirent à survivre à la guerre sans accepter de grosses commandes allemandes. On peut citer, comme grandes entreprises, Fougerolle ou Hersent, qui avaient toutes deux également coopéré avec des entreprises allemandes dans le cadre du plan Dawes. Bien sûr, elles payaient leur refus d’une forte baisse d’activité.81 Les conséquences économiques, pour une entreprise, d’un renoncement aux commandes allemandes dépendaient d’une multitude de facteurs : lieu d’implantation, profil, spécialisation, diversification, taille, composition du chiffre d’affaires, etc.
54Au fil du temps, la liberté d’action des entreprises françaises connut une évolution contrastée. D’un côté, elle se rétrécit avec l’augmentation de la pression exercée par les Allemands, un recensement plus draconien, une réglementation de l’utilisation des matériaux et de la main-d’œuvre de plus en plus restrictive, l’institutionnalisation des contacts et la raréfaction des projets de construction français.82 D’un autre côté, l’OT et la Wehrmacht étaient de plus en plus dépendantes des capacités de production des entreprises françaises, dont la position dans les négociations et les marges de manœuvre eurent ainsi tendance à être renforcées, du moins pour quelques-unes d’entre elles. Là encore, Campenon-Bernard et Sainrapt et Brice illustrent bien ce fait. Comme nous l’avons vu, Campenon-Bernard avait commencé comme sous-traitant de la société Julius Berger AG lors de la construction de la base sous-marine de Brest. Par la suite, elle s’associa à Julius Berger AG dans le cadre du consortium Bergcamp, qui construisit une écluse sur la Garonne et exécuta des travaux dans la base sous-marine allemande de Bordeaux83. La société Sainrapt et Brice commença elle aussi comme simple sous-traitant de Julius Berger au Tréport (1942)84. Elle avait déjà travaillé avec elle lors de travaux de construction portuaire dans le cadre du plan Dawes.85 Louis-Pierre Brice, dirigeant de Sainrapt et Brice, avait toutefois d’autres ambitions pour sa société et l’engagea dans des communautés de travail avec Hochtief.86
55Les deux procès engagés en Allemagne par la STUP – créée en 1943 en tant que filiale de Campenon-Bernard – contre deux entreprises concurrentes allemandes, en l’occurrence Dyckerhoff & Widmann et la société Hoyer, pour contrefaçon des brevets Freyssinet dont elle était la détentrice, en disent long sur les relations et les rapports de force entre les entreprises allemandes et françaises. Étonnamment, la STUP eut gain de cause devant les tribunaux allemands. Sans doute le devait-elle au soutien de Wayss & Freytag, qui avait coopéré avec Campenon-Bernard avant le début des hostilités et avait obtenu d’elle, en 1937, une licence exclusive sur les brevets Freyssinet. Dans la pratique, le jugement eut des conséquences limitées dans la mesure où au minimum Hoyer, protégé par la Kriegsmarine, poursuivit la production reconnue comme stratégique du point de vue militaire.87 La réalité du pouvoir d’influence des entreprises françaises apparaît ici clairement, au même titre que sa relativité et ses limites. En 1943-1944, les entreprises pouvaient encore obtenir gain de cause auprès des tribunaux lors d’actions intentées contre des entreprises allemandes, mais faire valoir concrètement leurs droits était difficile du fait du déséquilibre des forces en présence. Cette anecdote révèle également que la concurrence et la compétition, éléments au cœur d’une économie fondée sur le capitalisme et la propriété privée, continuèrent d’être des facteurs de décision importants pour une activité entrepreneuriale. La concurrence opposait des entreprises allemandes et des entreprises françaises mais continuait d’exister aussi entre les entreprises françaises et entre les entreprises allemandes. Cela pouvait donner lieu à des regroupements tactiques dépassant les clivages nationaux.
56Enfin, les entreprises françaises comme allemandes disposaient d’une liberté d’action importante sur le plan informel, en matière de comptabilité par exemple. Elles influaient sur le rythme et la qualité des travaux, pouvaient réaffecter des matériaux et de la main-d’œuvre à des chantiers français, fixer en partie les conditions de travail et les conditions de vie effectives de leurs employés88, établir les permis de travail, protéger les plus jeunes travailleurs du service obligatoire pour le Reich, recaser les réfractaires au STO et transmettre des informations et des plans de construction à la Résistance. Inversement, elles avaient également la possibilité, en cas de conflits et de débrayages, de faire intervenir la police militaire allemande sur le chantier. De nombreux secteurs se montraient rétifs aux contrôles de la puissance occupante tandis que, par manque d’effectifs, les contrôles effectués par l’OT étaient rares et insuffisants. Cela ouvrit des possibilités et des marges de manœuvre dont les entreprises qui furent accusées après la guerre de collaboration devant la CNIE fournirent elles-mêmes les preuves. Il convient bien évidemment de prendre avec une extrême prudence ces déclarations de défense et de justification a posteriori. Pour autant, les témoignages d’anciens ouvriers, employés, personnels administratifs et résistants sont si nombreux et si variés qu’il faut bien supposer que non seulement ces marges de manœuvre étaient une réalité, mais qu’elles ont été largement exploitées89, à diverses fins il est vrai : au bénéfice ou au détriment de la puissance occupante, mais surtout au bénéfice ou au détriment des ouvriers.
Conclusion
57La coopération avec des entreprises du pays ennemi fut, pour les petites et moyennes entreprises, une situation exceptionnelle qui ne connut pas de précédent ni de suite. En ce sens, on peut affirmer que cette coopération était placée sous le signe de la discontinuité. Dans le cas des grands groupes, en revanche, il y eut dans l’entre-deux-guerres de nombreux contacts en vue de nouer des coopérations, lesquels contacts se révélèrent précieux au moment de choisir, sous l’Occupation, un partenaire de coopération. La quasi-totalité d’entre eux préférèrent travailler avec des partenaires qu’ils connaissaient déjà. Les entreprises allemandes y voyaient un gage de fiabilité, les entreprises françaises un gage de sécurité et les unes comme les autres, un gage de prévisibilité. Quitte à collaborer, autant que cela soit avec des entreprises connues : tel était le raisonnement que se faisaient les entreprises françaises. Il n’est pas impossible que ce facteur ait favorisé leur propension à collaborer.
58Au cours de l’immédiat après-guerre, ces contacts sont dans un premier temps restés sans suite. La situation changea dans les années 1950, lorsque le secteur allemand de la construction renforça sa présence à l’international. Si, sur ces marchés, les entreprises allemandes et françaises étaient le plus souvent concurrentes, il y eut également des cas de coopération à la faveur de reprise d’anciens contacts. Ainsi, dès 1950, le directoire de Grün & Bilfinger fit état d’une reprise des anciens contacts avec des entreprises françaises.90 Au cours des années qui suivirent, cette entreprise répondit en commun avec Hersent à un appel d’offres pour un chantier en Syrie et entama des négociations avec Sainrapt et Brice en vue du projet de construction d’un métro à Rio de Janeiro. En 1954, Grün & Bilfinger signa avec la Compagnie industrielle de travaux (CITRA, anciennement Schneider & Cie) un accord de coopération portant sur des travaux à Ceylan.91 La question de savoir dans quelle mesure le cas de Grün & Bilfinger est représentatif d’une situation plus générale reste à étudier, de même que celle de l’influence de l’expérience de l’Occupation pour l’évolution à long terme des coopérations entre entreprises. Ce qui est en revanche certain, c’est que la situation entre 1940 et 1944, dans le secteur de la construction, mais aussi dans d’autres secteurs, doit être comprise et interprétée dans le contexte de lignes de continuité à plus long terme allant de l’entre-deux-guerres à la période de l’après-guerre.
59On discerne également des lignes de continuité pour d’autres domaines. Ainsi, l’Organisation Todt et la Wehrmacht reprirent à leur compte de nombreux travaux de construction qui avaient débuté avant la guerre sous mandat français, mais en en changeant la destination, et absorbèrent les entreprises réquisitionnées pour les intégrer dans les nouvelles structures. Les entreprises françaises n’interprétaient pas tant cette évolution comme une rupture que comme la poursuite de la logique entrepreneuriale et elles continuèrent tranquillement à travailler pour le pouvoir militaire et la puissance publique. La seule chose, c’est qu’à partir de l’été 1940, cela impliquait également de coopérer avec des entreprises allemandes, au service de la puissance occupante. Enfin, il convient de prendre en compte l’évolution chronologique pendant l’Occupation, dans la mesure où l’ampleur de la coopération des entreprises françaises avec les institutions et les entreprises allemandes monta en puissance jusqu’en 1944, de manière presque continue. Cela est à la fois remarquable et paradoxal. En effet, compte tenu de l’évolution de la guerre et de l’horizon d’attente pour l’après-guerre, les instances dirigeantes des entreprises considéraient de moins en moins la collaboration comme une stratégie potentiellement astucieuse et, au contraire, étaient de plus en plus amenées à la considérer comme compromettante. On peut avancer comme facteurs d’explication une certaine « dépendance de sentier » dans le comportement des entrepreneurs ainsi que le caractère de plus en plus institutionnalisé des liens avec les entreprises allemandes et l’OT. S’ajoute à cela le risque de voir les machines et les outils réquisitionnés, jusqu’à la fin de l’Occupation alors que la conservation desdits machines et outils était une condition importante d’un bon positionnement dans la perspective de la reconstruction à prévoir dans la période de l’après-guerre et ce, quelle que soit l’issue de cette guerre.
60Pour ce qui est de la liberté d’action des entreprises et des répercussions du déséquilibre des forces politico-militaires, il est possible de formuler quelques conclusions préliminaires. Compte tenu de l’état de guerre et de l’Occupation, les coopérations entre entreprises françaises et allemandes du bâtiment furent, encore plus qu’ailleurs, contraintes par des consignes très strictes et très encadrées. En ce sens, les marges de manœuvre des entreprises étaient limitées. Les entreprises, allemandes comme françaises, n’en disposaient pas moins, vis-à-vis des donneurs d’ordres politiques et militaires et des instances de contrôle, d’une certaine liberté d’action. À l’évidence, les entreprises allemandes disposaient d’une capacité d’influence supérieure à celle de leurs homologues françaises et étaient, davantage qu’elles, en mesure de faire valoir leurs intérêts, soit au sein de l’Organisation Todt, soit indirectement, par le biais des organismes professionnels du secteur de la construction. Pour les entreprises allemandes comme françaises du secteur, un constat se dessine : si la majorité d’entre elles avaient, au vu des perspectives économiques, peu d’autres choix que celui de coopérer avec l’OT et la Wehrmacht, elles avaient néanmoins souvent la possibilité de décider l’ampleur de leur coopération et, presque toujours, de peser sur les modalités des travaux. Là encore, il appartiendra à de futurs travaux de recherche de préciser l’ampleur et les limites de cette influence au cas par cas et de montrer quel usage les différentes entreprises ont fait de leur liberté d’action, en particulier en ce qui concerne la situation des ouvriers.
61Les entreprises allemandes ont cherché de différentes façons à tirer profit de la situation d’Occupation et de la répartition asymétrique des pouvoirs. Sur le court terme, il arriva qu’elles escroquent des sous-traitants français au niveau de la facturation, de la répartition des matériaux de construction ou de l’affectation des effectifs. Il y eut également des stratégies à moyen terme de prise d’avantages, voire de stratégies à long terme : acquisition de machines, appropriation de savoir-faire techniques et, surtout, conquête de nouveaux marchés.
62En partant des exemples de Campenon-Bernard ou de Sainrapt et Brice, on peut formuler l’hypothèse que les grandes entreprises françaises disposaient d’une liberté d’action et d’une capacité de faire valoir leurs intérêts d’autant plus grandes que leur savoir-faire avait de la valeur aux yeux de la puissance occupante et qu’elles faisaient, fondamentalement, preuve de bonne volonté pour coopérer. Si cette hypothèse se vérifiait, cela voudrait dire que ce sont surtout les entreprises qui ont largement collaboré qui se sont ainsi donné la liberté de poursuivre leurs propres intérêts et, le cas échéant, de décliner des propositions. Cette attitude perfide mérite cependant d’être confirmée par des recherches plus approfondies.
63Quoi qu’il en soit, l’explication de l’importance de la collaboration des entreprises françaises de la construction n’est pas à rechercher dans une contrainte directe et généralisée. Le facteur central serait bien davantage le fait que la puissance occupante a, par le biais de la réglementation et d’une combinaison d’incitations financières et de mesures coercitives au coup par coup, créé un contexte qui faisait apparaître la coopération comme étant dans l’intérêt des entreprises. Les recherches récentes sur le thème des entreprises allemandes sous le régime national-socialiste parviennent au demeurant à des conclusions similaires.92 L’une des plus grosses lacunes de la recherche sur l’attitude des entreprises pendant les « années noires » est l’investigation du processus décisionnel en leur sein. Il y a lieu d’établir les logiques auxquelles celles-ci ont obéi, si celles-ci ont évolué au cours de la guerre et si oui, dans quel sens et pour quelles raisons.
Notes de bas de page
1 Pour connaître les réunions et les publications du GDR, consulter le site Internet : http://gdr2539.ish-lyon.cnrs.fr/.
2 Voir en particulier le forum de discussion franco-allemand organisé à Francfort-sur-le-Main en 2003, intitulé « Die französischen und deutschen Unternehmen während des Zweiten Weltkrieges », dont les articles sont traduits et publiés dans les revues suivantes : « Les entreprises allemandes durant la Seconde Guerre mondiale », Histoire, économie et société 24 (2005), nº 4 ; « Die französischen (und deutschen) Unternehmen während des Zweiten Weltkrieges », Themenheft der Zeitschrift für Unternehmensgeschichte 50 (2005), nº 2.
3 Dans la suite du document, le terme « secteur de la construction » (Bauwirtschaft) désigne en français aussi bien les entreprises de travaux publics que les entreprises du bâtiment et recouvre, en allemand, à la fois la Bauindustrie et le Bauhandwerk.
4 Arne Radtke-Delacor, « Verlängerte Werkbank im Westen. Deutsche Produktionsaufträge als Trumpfkarte der industriellen Kollaboration in Frankreich (1942-1944) », Stefan Martens/Maurice Vaïsse (dir.), Frankreich und Deutschland im Krieg (November 1942-Herbst 1944). Okkupation, Kollaboration, Résistance, Bonn, Bouvier, 2000, p. 327-364, ici p. 347.
5 Dominique Barjot, « L’industrie française des travaux publics (1940-1945) », Histoire, économie et société 11 (1992), nº 3, p. 415-436, ici p. 420 ; Renaud de Rochebrune, Jean-Claude Hazera, Les patrons sous l’Occupation, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 160.
6 Voir en particulier Dominique Barjot, La grande entreprise française de travaux publics, 7 volumes, thèse de doctorat d’État, université de Paris 4, 1989 ; D. Barjot, « L’industrie française… », op. cit. ; D. Barjot, Fougerolle. Deux siècles de savoir-faire, Cormelles-le-Royal, Éditions du Lys, 1992 ; D. Barjot, « French industry during the German occupation, 1940-44. The case of the public works industry », Jun Sakudo, Takao Shiba (dir.), World War II and the transformation of business systems, Tokyo, 1994, p. 211-236 ; D. Barjot (dir.), « Entreprises et entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics (XVIIIe -XXe siècles) », Histoire, économie et société 14 (1995), nº 2 ; D. Barjot, La trace des bâtisseurs. Histoire du groupe Vinci, Rueil-Malmaison, Vinci, 2003 ; Agnès d’Angio, Schneider & Cie et les travaux publics, 1895-1949, École des Chartes, Paris, 1995 ; Arnaud Berthonnet, Chagnaud. L’histoire d’une fidélité, Caen, Éditions du Lys, 1996 ; A. Berthonnet, Chagnaud (1860 à nos jours). Le développement d’une entreprise moyenne familiale dans les travaux publics, thèse de doctorat, Univ. Paris 4, 1998.
7 Rémy Desquesnes, Atlantikwall et Südwall. Les défenses allemandes sur le littoral français, 1941-1944, thèse de doctorat, université de Caen, 1987 ; R. Desquesnes, « L’Organisation Todt en France (1940-1944) », Histoire, économie et société 11 (1992), n º3, p. 535-550 ; Danièle Voldman, « Le bâtiment, une branche sollicitée », Alain Beltran/Robert Frank/Henry Rousso (dir.), La vie des entreprises sous l’Occupation. Une enquête à l’échelle locale, Paris, Belin, 1994, p. 91-116 ; D. Voldman, La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954. Histoire d’une politique, Paris, L’Harmattan, 1997.
8 Mark Spoerer, Zwangsarbeit unter dem Hakenkreuz. Ausländische Zivilarbeiter, Kriegsgefangene und Häftlinge im Deutschen Reich und im besetzten Europa 1939-1945, Stuttgart/Munich, DVA, 2001, p. 226.
9 Citons notamment : Manfred Pohl, Philipp Holzmann, Geschichte eines Bauunternehmens, 1849-1999, Munich, Beck, 1999 ; M. Pohl, Die Strabag 1923 bis 1998, Munich, Pieper, 1998 ; M. Pohl/Birgit Siekmann, Hochtief und seine Geschichte von den Brüdern Helfmann bis ins 21. Jahrhundert, Munich, Pieper, 2000 ; Bernhard Stier/Martin Krauß, Drei Wurzeln — ein Unternehmen 125 Jahre Bilfinger Berger AG, ifu/Inst. für Unternehmensgeschichte, Heidelberg, 2005. Voir également Erhard F. Knechtel, Arbeitseinsatz im Baugewerbe im Deutschen Reich 1939-1945, Hauptverband der Deutschen Bauindustrie, Berlin, 2000.
10 Barjot, « L’industrie française… », op. cit., p. 424.
11 Pour plus de détails sur la question de la collaboration des entreprises dans le secteur de la construction, voir Fabian Lemmes, « Collaboration in Wartime France, 1940-1944 », European Review of History, 15 (2008), p. 157-177. Dans la suite de l’étude, on entend par « collaboration », non pas toute forme de coopération avec la puissance occupante mais une coopération qui était choisie du moins jusqu’à un certain point, qui n’était pas totalement imposée ; cela suppose que les entreprises bénéficiaient d’une certaine liberté d’action.
12 La recherche sur laquelle s’appuie la présente étude s’inscrit dans le cadre de ma thèse de doctorat sur l’Organisation Todt en France et en Italie, 1940-1945.
13 Voir R. Desquesnes, Atlantikwall…, op. cit., p. 202-205.
14 Dans plus de 80 % des cas il s’agissait d’artisans qui travaillaient seuls ou avec moins de cinq employés. Voir R. Desquesnes, Atlantikwall…, op. cit., p. 202-205, ainsi que D. Voldman, « Le bâtiment… », op. cit., p. 114 sq.
15 D. Barjot, « L’industrie française… », op. cit., p. 423.
16 R. Desquesnes, Atlantikwall…, op. cit., p. 202-205.
17 M. Pohl, Philipp Holzmann…, op. cit., p. 208.
18 Franz W. Seidler, Fritz Todt. Baumeister des Dritten Reiches, Munich, Herbig, 1986, p. 210. Voir en outre l’évolution des chiffres d’affaires et de la main-d’œuvre dans les grandes entreprises : M. Pohl, Die Strabag…, op. cit., p. 191 ; M. Pohl, Philipp Holzmann…, op. cit., p. 208 et 230 sq. ; M. Pohl/B. Sieckmann, Hochtief…, op. cit., p. 196 ; B. Stier/M. Krauß, Drei Wurzeln…, op. cit., p. 135 sq., 138 sq., 142 (Grün & Bilfinger) ; Gert von Klass, Weit spannt sich der Bogen. Die Geschichte der Bauunternehmung Dyckerhoff & Widmann K. G, Darmstadt, Archiv für Wirtschaftskunde, 1955, p. 136 sq. ; Deutsches Museum, Bestand FA 010 (Dyckerhoff & Widmann AG), 100, Statistik zur Entwicklung der Gesamtfirma 1929-40 (Berechnung 1941).
19 Pour des informations générales sur l’OT, voir Franz W. Seidler, Die Organisation Todt. Bauen für Staat und Wehrmacht, 1938-1945, 2e éd., Bonn, Bernard & Graefe, 1998.
20 A. Radtke-Delacor, « Verlängerte Werkbank… », op. cit., p. 347-348.
21 D. Barjot, « L’industrie française », op. cit., p. 416-418 ; D. Voldman, « Le bâtiment… », op. cit., p. 112-116.
22 D. Voldman, « Le bâtiment… », op. cit., p. 113.
23 Contrat conclu entre Arge Donauschleusen Persenbeug et l’Entreprise générale de Travaux publics-Béton armé, Paris, [Déc. 1942], Bundesarchiv-Militärarchiv (BA-MA), RW 35, 1158.
24 Contrats conclus entre le Reichsstatthalter (gouverneur du Reich) de la Westmark (région regroupant la Sarre, le Palatinat et la Moselle annexée) et le Chef der Zivilverwaltung (chef de l’administration civile) en Lorraine, le Wiederaufbauamt (Office gouvernemental de reconstruction), et la Société marseillaise d’Entreprise de travaux et de bâtiments, Nogent-sur-Marne, 24.8.1942, ou l’Entreprise Viturat, Paris, 7.9.1942, BA-MA, RW 35, 1158 ; contrat conclu entre le Wiederaufbauamt et la Société centrale française d’Entreprise, Saint-Maur, 26.8.1942, Bundesarchiv Berlin R 83 Lothringen, 1.
25 « Erlass des MBF Wi VII/741/I/42 vom 5.11.1942 », AN, AJ 40, 851, Akte 5.
26 D. Voldman, « Le bâtiment… », op. cit., p. 105.
27 AN, F12/9614, Cour de justice de la Seine, Exposé contre X (pouvant appartenir à la direction ou à l’administration de la société anonyme Sainrapt et Brice), 29 septembre 1948 ; voir également R. de Rochebrune/J. C. Hazera, Les patrons…, op. cit., p. 149-182.
28 « Arbeitsgemeinschaft Hochtief AG Sainrapt & Brice – A. Monod an die Stadt Saarbrücken, 3.8.1946 », Stadtarchiv Saarbrücken, Fonds Personnes déplacées/prisonniers (non coté).
29 Henri Wilmin, « Le “Saillant Forbachois” sous la croix gammée », François-Yves Le Moigne (dir.), Moselle et Mosellans dans la Seconde Guerre mondiale. Metz 1983 (Cahiers Lorrains, numéro spécial, 1983/4), p. 173-193, ici p. 184 ; « Industriegeschichte Marienau », Portail Internet www.warndt.eu, Stadtverband Saarbrücken entre autres (accès le 15.12.2007) ; « Barackenlagerprojekt der Mineralölbaugesellsch. MbH Marienau-Forbach, 1943 (Pläne) », Stadtarchiv Saarbrücken, G 6530.
30 AN, F12/9614, Cour de justice de la Seine, Exposé, 29.9.1948.
31 Hans-Heinrich Hillegeist, « Die Schickertwerke in Bad Lauterberg und Rhumspringe. Eines der bestgehüteten Geheimnisse des 2. Weltkrieges », Rüstungsindustrie in Südniedersachsen während der NS-Zeit, Mannheim, VWM-Verlag Wagener, 1993, p. 142-247 ; Frank Jacobs/Friedhart Knolle, « Die ehemaligen Schickert-Werke in Bad Lauterberg – ein Kapitel Harzer Rüstungs-und Industriegeschichte », http ://www.karstwanderweg.de/schickert. htm (site consulté le 15.12.2007).
32 AN, F12/9614, Cour de justice de la Seine, Exposé, 29.9.1948.
33 R. d. Rochebrune/J.-C. Hazera, Les patrons…, op. cit., p. 149-182 ; D. Barjot, « L’industrie française… », op. cit., p. 424 sq. ; D. Voldman, La reconstruction…, op. cit., p. 362-364.
34 AN, F12/9614, Cour de justice de la Seine, Exposé, 29.9.1948.
35 D. Barjot, La trace…, op. cit., p. 154.
36 F. W. Seidler, Die Organisation Todt…, op. cit., p. 24 sq., 248-252 ; Hedwig Singer, Entwicklung und Einsatz der Organisation Todt (OT), Osnabrück, Biblio-Verlag, 1998, p. 50-54.
37 BA, R 13 VIII, 262 : Im Westen eingesetzt gewesene bis zum 7.11.1944 von der Abwicklungsstelle der OT-Einsatzgruppe West abgerechnete Firmen der Bauindustrie, 11.11.1944 ; Beauftragter der Wigru Bau für die besetzten Westgebiete an Wigru Bau Berlin vom 14.11.1944, mit Anlage : Aufstellung der im Westen eingesetzt gewesenen Mitglieder des RIV des Bauhandwerks.
38 Handbook of the Organisation Todt, By the Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force Counter-Intelligence Sub-Division MIRS/MR-OT/5/45, Reprint of the ed. London March 1945, Hedwig Singer (dir.), Osnabrück, 1992 (Quellen zur Geschichte der Organisation Todt ; 4), p. 176. Les données de la Commission consultative des dommages et réparations sont imprécises dans leur formulation (R. Desquesnes, Atlantikwall…, op. cit. vol. 1, p. 228 sq.).
39 BA-MA, RW 35, 1406, MBF Arb. 770/XXa/aa an MVOR Demiani vom 31.3.1944.
40 Il était plus facile pour l’OT-EG et le MBF d’avoir une vue d’ensemble et d’assurer un contrôle des entreprises allemandes, notamment grâce aux statistiques des bureaux parisiens de Wigru Bau et RIV.
41 D. Voldman, « Le bâtiment… », op. cit., p. 105.
42 Ibid., p. 113.
43 D. Barjot, « L’industrie française… », op. cit., p. 423.
44 D. Barjot, La trace…, op. cit., p. 166 sqq.
45 Christian Bougeard, « Les entreprises des Côtes-du-Nord », A. Beltran/R. Frank/H. Rousso (dir.), La vie des entreprises, p. 293-301, ici p. 299.
46 Centre des Archives du Monde du Travail (CAMT), Roubaix, 35 AQ 2-9 et 15-16.
47 D. Barjot, « French industry… », p. 228 ; D. Barjot, La trace…, op. cit., p. 71, 166.
48 Voir les dossiers de la CNIE, AN, F12/9596-9616.
49 CAMT, 104AQ/103-104.
50 BA-MA, RW35/1405 : Ministre Secrétaire d’État au Travail au MBF (Commandement militaire allemand en France) Wi VII du 19.08.1943 ; Commandant du Grand Paris, Service du Travail du MBF, Direction du Travail, 26.02.1944.
51 Cf. Fabian Lemmes, « Les conditions de travail dans les entreprises françaises du bâtiment et des travaux publics enrôlées dans l’Organisation Todt », Christian Chevandier/Jean-Claude Daumas (éd.), Le travail dans les entreprises sous l’Occupation, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, p. 211-227.
52 D’après une publication de la CGT de 1947, reprise ici de Dominique Barjot/Bruno Jégou, « Les archives des entreprises de travaux publics sous l’Occupation. L’exemple des quatre “majors” français », Les archives des entreprises sous l’Occupation. Conservation, accessibilité et apport, textes édités par Hervé Joly, Lille, IFRESI, 2005, p. 189-207, ici, p. 195, ainsi que Desquesnes, Atlantikwall, vol. 2, document 77, p. 96.
53 AN, F12/9599 : Dossier CFBTP.
54 Barjot, La grande entreprise, vol. 2, p. 1557-1597 ; Barjot, L’industrie française, p. 416-418.
55 Cf. Barjot/Jégou, « Les archives… », op. cit.
56 BA-MA, RW35/1406 : Contrat entre OT-OBL Nord et Travaux économiques de Construction (Paris), 17.06.1941.
57 AN, F12/9596-9616.
58 AN, F12, 9596-9616 ; Barjot, La trace…, passim.
59 AN, AJ40, 815B, dossier 45.
60 AN, AJ40, 815 B, dossier 45 : Dyckerhoff & Widmann K. G., Berlin-Wilmersdorf, au ministère de l’Économie du Reich, 22.05.1941.
61 AN, F12/9597, Actes Campenon-Bernard : déposition Estrade, ingénieur en chef, directeur des Travaux maritimes de la 2e région jusqu’en 1945, 11 septembre 1946 ; déposition Pierre Cayotte, ingénieur en chef hors classe de travaux maritimes de la 2e région, o. D.
62 AN, F12/9597, Actes Campenon-Bernard : exposé de la cour de justice de la Seine, 19.02.1946 ; déposition Pierre Cayotte ; attestation d’Albert Collange, ingénieur-directeur des entreprises Campenon-Bernard, 15.03.1946.
63 Archives Bilfinger-Berger, A 288 : protocole de coopération JBTAG, Campenon-Bernard, Fives-Lille, 1932.
64 Klaus Böhm, Die Organisation Todt im Einsatz 1939-1945. Dargestellt nach Kriegsschauplätzen auf Grund der Feldpostnummern, Osnabrück, Biblio-Verlag, 1987, p. 204 sqq., Rudolf Dittrich, « Wom Werden, wesen und wirken der Organisation Todt », H. Singer Entwicklung und Eihsutz, op. cit., p. 365-436, ici, p. 382.
65 DGEN au président du COBTP le 19.09.1942, reproduit dans Desquesnes, Le mur de l’Atlantique, vol. 2, document 70, p. 89 ; voir aussi ibid. vol. 1, p. 215.
66 Desquesnes, Le mur de l’Atlantique, p. 216 sq.
67 BA, R13 VIII, 263 : Circulaire du Groupe d’intervention Ouest de l’OT du 30.11.1943.
68 Voir note 52.
69 BA, R13VIII/261 : Groupe d’intervention Ouest de l’OT, L3 – 4/44 – Wie/LZ/Na, circulaire du 29.02.1944 adressées aux directions supérieures de construction (OBL) avec copies pour les entreprises.
70 AN, F12/9597 : Dossier Bonneau.
71 AN, F12/9597 : Dossier Cavazzoni et Prigent.
72 Au moins au cours de la période finale de l’Occupation, les entreprises allemandes du bâtiment auraient sans doute été heureuses de pouvoir se retirer de France plus tôt afin de sauver leur parc de machines. Cela est attesté pour Grün & Bilfinger (Archives Bilfinger Berger, A 607 : Grün & Bilfinger AG à Dir. Koch., 9.9.1944, notamment).
73 Cf. consultations entre les représentants de l’OTZ, du Groupe d’intervention Ouest de l’OT, de Wigru Bau et des leaders du secteur préalablement à l’introduction du contrat de rendement à l’Ouest à l’été 1942 (Archives Bilfinger Berger, A 367) ou les pourparlers sur la constitution de « communautés de travail » et les contrats de sous-traitance de l’OT en 1943-44 (BA, R13 VIII, 247).
74 Cf. Christoph Buchheim, « Unternehmen in Deutschland und NS-Regime 1933-1945. Versuch einer Synthese », Historische Zeitschrift, 282 (2006), nº 2, p. 351-390.
75 Le bureau de la construction et de l’OT (Amt Bau-OT), né en mai 1944 de la fusion entre la centrale de l’OT et du bureau de la construction au sein du ministère de l’Armement et de la Production de guerre, chercha de plus en plus à mettre les entreprises privées sous ses ordres, ce qui conduisit à des conflits sévères avec leurs représentants (Marc Buggeln, « Der Einsatz von Zwangsarbeitern und KZ-Häftlingen in der Bauindustrie », contribution au symposium sur l’armement, l’économie de guerre et le travail forcé sous le IIIe Reich, Munich, 15-16.3.2007). En France également on se plaint de tentatives du Groupe d’intervention Ouest de l’OT de restreindre le rôle du Wigru Bau et de donner tous les pouvoirs à l’OT (BA, R13 VIII, 86 : Emil Koch, Cologne, à Wigru Bau, 19.6.1944, Bl. 100).
76 BA, R 50 I, 304 : Ordre du Groupe d’intervention Ouest de l’OT en date du 28.1.1943 ; Handbook, op. cit. p. 31f.
77 BA, R13 VIII, 263 : circulaire du Groupe d’intervention Ouest de l’OT en date du 30.11.1943.
78 CAMT, 104AQ, 104 : Alexander Carroux, bureau des ingénieurs, au Groupe d’intervention Ouest de l’OT, commandement des opérations, en date du 14.12.1942.
79 AN, F12/9597, dossier Canal et Schuh : de l’ingénieur Harald Rittmann, Groupe Le Havre, à Canal & Schuhl Paris, 22.12.1942 et janvier 1943 (duplicata).
80 AN, F12/9614 : dossier Campenon Bernard ; dossier Sainrapt et Brice ; F12/9597 ; Barjot, « La trace… », op. cit., p. 71, 154.
81 Barjot, « L’industrie française… », op. cit., p. 428, Fougerolle, p. 42-32.
82 À partir de mai 1942 (et à partir de février 1943 dans le cas de la Zone Sud), les projets de construction d’un montant supérieur à 100 000 F étaient soumis à l’autorisation de l’administration militaire. Ce plafond fut abaissé à 10 000 F en novembre 1943. Le transfert d’équipements de construction sans autorisation des Allemands était déjà interdit depuis octobre 1942. Voir, sur le sujet de chantiers de construction civils français entre 1940 et 1944, Voldman, « La reconstruction… », op. cit., p. 69-91.
83 Barjot, « French industry… », op. cit., p. 227 ; Barjot, « La trace… », op. cit., p. 70.
84 AN, AJ 40, 851, dossier 5 : MBF Wi VII 714 b 8 an OT OBLn St-Malo und Dieppe, 8.8.1942.
85 Archives Bilfinger Berger, A 279 : Soc. anonyme Hersent, Paris, et Sainrapt et Brice, Paris, Vertragsakten Verdon de nov. 1927 et juillet-août 1930. Cf. également Barjot, « La trace… », op. cit., p. 151.
86 AN, AJ40/851, dossier 5 : MBF, Wi VII, an OT-OBL Saint-Malo und OBL Dieppe, 8.8.1942 ; Rochebrune/Hazera, « Les patrons… », op. cit., p. 149-182.
87 Barjot, « La trace… », op. cit., p. 167, 71.
88 Cf. Lemmes, « Les conditions de travail… », op. cit.
89 AN, F12/9596-9616, passim.
90 Archives Bilfinger Berger, A 4461 : Grün & Bilfinger AG, procès-verbal de la réunion du conseil de surveillance du 7.7.1950.
91 Ibid., A 4468 : Grün & Bilfinger AG, Rapport de situation au conseil de surveillance lors de la réunion du 24.9.1951 ; Grün & Bilfinger AG au dir. Carl Goetz en date du 26.7.1954. Dans les trois cas, il semble que l’on renoue des liens datant de l’entre-deux-guerres et non des années d’occupation.
92 Cf. Buchheim, Unternehmen in Deutschland …, op. cit. ; Werner Plumpe, « Les entreprises sous le nazisme. Bilan intermédiaire », Histoire, économie et société, 24 (2005), nº 4, p. 453-472.
Auteur
Effectué des études à l’Université de la Sarre et à l’Institut d’études politiques de Paris. Il a travaillé pour l’United Nations Institute for training and research à Genève. Fabian Lemmes vient de terminer une thèse de doctorat en histoire à l’Institut universitaire européen de Florence, sur « Travailler pour le Reich. L’Organisation Todt en France et en Italie 1940- 1945 » sous la direction d’Heinz-Gerhard Haupt. Il a publié : Zwangsarbeit in Saarbrücken. Stadtverwaltung, lokale Wirtschaft und der Einsatz ausländischer Zivilarbeiter und Kriegsgefangener 1940-1945, St. Ingbert, Röhrig Universitätsverlag, 2004 ; « Les conditions de travail dans les entreprises françaises du bâtiment et des travaux publics enrôlées dans l’Organisation Todt », in Christian Chevandier et Jean-Claude Daumas (dir.), Travailler dans les entreprises sous l’Occupation, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, p. 217-233 et « Collaboration in Wartime France, 1940-1944 » in European Review of History IS, 2008, nº 2, p. 157-177.
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