Les ententes financières franco-allemandes et l’expansion économique avant 1914
p. 15-37
Texte intégral
Introduction
1Les historiens des idées politiques ont longtemps considéré que les contacts économiques et financiers entre la France et l’Allemagne avaient été relativement peu importants entre la guerre de 1870 et la Première Guerre mondiale. Cette thèse se fondait sur le fait que les deux gouvernements avaient toujours essayé, par le biais d’interventions politiques, d’éviter tout contact trop étroit, d’empêcher ou tout au moins de limiter les transactions. Jusque dans les années 1980, l’histoire de la diplomatie dans sa version « classique » n’a généralement accordé qu’un faible intérêt à l’économie et aux relations économiques bilatérales. Il allait de soi qu’une entreprise française représentait les intérêts politiques français et une entreprise allemande les intérêts politiques allemands. Ce raisonnement erroné a été inspiré par l’extrême nationalisation des relations économiques qui a commencé pendant la Première Guerre mondiale, s’est poursuivie dans l’entre-deux-guerres et a durablement influencé la pensée de plusieurs générations d’historiens, bien après la Seconde Guerre mondiale. Même pendant et longtemps après la controverse suscitée par Fritz Fischer1, c’est de cette manière qu’a été interprétée en Allemagne la politique économique internationale. Toutefois, depuis une vingtaine d’années, on assiste à une remise en cause de ce raisonnement. Le critère de la nationalité ne permet pas d’éclairer les rapports que les entreprises européennes du secteur privé entretenaient avant la Première Guerre mondiale avec leur État national respectif. De même, il est impossible de comprendre les structures politiques créées par les puissances impériales en Europe et hors de l’Europe, sans tenir compte de l’impérialisme financier des entreprises privées. Celui-ci ne répondait pas à des visées nationales mais suivait d’autres règles, que l’exemple des rapports franco-allemands avant 1914 met en évidence.
2Dans les décennies qui précèdent la Première Guerre mondiale, on observe une asymétrie économique entre la France et l’Empire allemand. La France, notamment Paris, comptait de nombreux financiers et rentiers aisés, toujours en quête d’investissements intéressants. Le marché des capitaux français n’offrait alors que des possibilités de placement limitées pour le capital excédentaire, en raison d’une industrialisation relativement lente comparée à celle de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne. Aussi, dès le milieu du XIXe siècle, les investisseurs ont-ils recherché des opportunités prometteuses à l’étranger. Cela n’allait pas sans une prise de risque souvent considérable, entraînant parfois des pertes financières élevées, comme dans le cas du désastre de la Compagnie du canal de Panama, de certaines opérations dans les Balkans ou encore de la faillite de l’Empire ottoman à la fin des années 1870. Dans le même temps, les investisseurs étrangers ayant besoin de capitaux se tournaient volontiers vers les banques parisiennes et la Bourse de Paris, car, par rapport aux autres pays européens, ils trouvaient là une offre de capital diversifiée et bon marché. À la fin du XIXe siècle, Paris était devenu la deuxième place financière mondiale, tout en restant loin derrière Londres. L’Empire allemand, en revanche, a commencé à exporter des capitaux de manière sporadique à partir de la fin des années 1880, mais, en dépit du taux très élevé de formation de capitaux au niveau national, les ressources financières disponibles pour l’exportation étaient, dans l’ensemble, bien moindres qu’en France. L’industrialisation rapide du pays, qui avait pris un nouvel essor dans les années 1880, nécessitait la quasi-totalité des capitaux disponibles en Allemagne. Ce processus de croissance très dynamique, qui s’est maintenu jusqu’à la Première Guerre mondiale, entrecoupé seulement de quelques brèves interruptions, assurait à l’industrie allemande une position de plus en plus forte sur les marchés mondiaux correspondants, mais empêchait dans le même temps la constitution d’excédents de capitaux en vue de leur exportation, contrairement à la France. En raison de cette moindre disponibilité des ressources financières, les taux d’intérêt proposés en Allemagne étaient généralement plus élevés pour des transactions présentant un risque équivalent, ce qui contribuait à attirer les capitaux étrangers2. Les investisseurs français achetaient parfois des titres d’État allemands en quantités telles que les banquiers allemands eux-mêmes s’en inquiétaient : en 1907, le banquier Paul von Schwabach mettait en garde contre le danger d’encourager les Français à acheter toujours plus d’emprunts d’État allemands, car ils n’hésiteraient pas à s’en débarrasser rapidement, au détriment de l’Allemagne, en cas de tensions politiques, par exemple une nouvelle crise du Maroc3.
3Les succès notables que remportaient les entreprises exportatrices allemandes sur les marchés d’outre-mer étaient dûs non pas tant à l’exportation de capitaux qu’à l’interdépendance étroite de différents secteurs au niveau organisationnel : le système bancaire d’outre-mer, créé à la fin des années 1880, servait aussi bien les intérêts commerciaux que les clients industriels et assurait ainsi une promotion des exportations ciblée sur le commerce des marchandises. En outre, les exportations étaient soutenues par le réseau efficace des consulats allemands, considérablement étendu au début des années 1880.
4Compte tenu de ces disparités économiques, ce n’était donc pas sans raison que les gouvernements français successifs, indépendamment de leur couleur politique, craignaient que l’exportation de capitaux français en Allemagne ou en faveur de projets allemands outre-mer ne renforçât encore davantage la croissance de l’industrie allemande ; d’autant plus que cela pouvait contribuer à accroître aussi la puissance politique déjà remarquable de l’Allemagne, voire, indirectement, sa puissance militaire. Par ailleurs, à l’aube du XXe siècle, un danger politique réel menaçait : le fait que des capitaux français puissent financer des entreprises allemandes impérialistes situées outre-mer et susceptibles d’agir directement ou indirectement contre des intérêts français. Lorsqu’à la fin des années 1890, le chancelier Bülow et d’autres leaders politiques allemands proclamèrent avec emphase l’adoption de la Weltpolitik, cette nouvelle orientation expansionniste donnée à la politique extérieure de l’Allemagne se heurta au problème de l’insuffisance criante des capitaux au niveau national pour soutenir véritablement un engagement mondial de l’économie privée allemande. En France, la gravité du problème ne fut pas perçue partout de la même manière, d’où certaines tentatives du Quai d’Orsay pour réduire les liens financiers qu’entretenaient certaines banques ou certains hommes d’affaires français avec l’Allemagne.
5La seule lecture des archives diplomatiques des gouvernements respectifs donne l’impression qu’après 1871, les contacts entre les milieux bancaires allemands et français sont insignifiants, les transactions rares et les relations financières, à l’image des relations politiques, plutôt tendues. Or, si l’on tient compte des archives des banques et de celles des financiers, l’impression s’avère trompeuse. Les travaux novateurs de Raymond Poidevin et d’autres études plus anciennes sur l’histoire des relations financières françaises ont d’ores et déjà montré que les efforts politiques en vue d’empêcher tout rapprochement financier n’avaient pas été très efficaces et qu’à tous les niveaux, un grand nombre de coopérations franco-allemandes avaient été développées dans le cadre de projets économiques du secteur privé4. La plupart du temps, ces projets communs étaient profitables aux banques des deux pays, même si, bien souvent, ils ne servaient pas les intérêts nationaux respectifs.
6Malheureusement, il est impossible de réunir des données statistiques précises sur le montant des capitaux français investis en Allemagne ou dans des projets allemands outre-mer directement via les banques parisiennes, via des marchés neutres en Suisse, en Hollande et en Belgique, via la très libérale place de Londres ou d’autres intermédiaires financiers. Jusqu’au tournant du XXe siècle, n’importe quel investisseur pouvait en principe accéder aux marchés des capitaux européens, grâce au système de l’étalon or. Les emprunts internationaux également étaient émis et négociés partout de la même manière, de sorte que l’origine nationale des capitaux ne pouvait être établie. À l’instigation des gouvernements, des mesures de régulation furent introduites sur le marché anglais puis français à compter de 1900. Les emprunts des consortiums internationaux devaient dès lors être fractionnés pour faire l’objet de plusieurs émissions indépendantes, appelées tranches séparées. Cette mesure émanait du gouvernement anglais, qui craignait qu’un afflux massif de capitaux britanniques vers la France n’eût de fâcheuses répercussions à la Bourse de Londres, déjà malmenée pendant la Guerre des Boers. Le gouvernement français adopta la même démarche pour renforcer sa propre position vis-à-vis de l’Empire allemand5. Toutefois, il semble qu’en pratique ce type de mesure n’ait eu qu’un effet très limité. Fin 1909, au cours d’un entretien très secret avec les autorités du Reich, le directeur de la Deutsche Bank, Karl Helfferich, mettait l’accent sur le rôle d’intermédiaire important que les banques allemandes jouaient sur le plan économique, en concluant à l’étranger des transactions profitables à l’industrie allemande, puis en vendant rapidement tous les titres correspondant à ces mêmes transactions, toujours à l’étranger, afin de pouvoir réaliser de nouvelles opérations. Aucun observateur extérieur ne pouvait se douter de la quantité de capitaux étrangers qui était brassée par l’ensemble des banques impériales. Tel était, pour ainsi dire, le secret d’affaires du monde de la finance allemande. Étant donné que de nombreuses transactions transitaient par la Suisse, la Hollande ou la Belgique, le Reich avait réussi jusqu’alors à empêcher les gouvernements étrangers de réunir des données précises sur la capacité d’absorption limitée du marché allemand6.
7Le nombre des projets impérialistes menés conjointement par des banques françaises et allemandes s’avère également très élevé : en Europe, mais aussi dans l’Empire ottoman, en Chine, en Égypte, dans plusieurs pays d’Amérique latine et d’autres régions du monde, les financiers des deux bords pouvaient travailler en étroite collaboration tout en se livrant une concurrence acharnée. Compte tenu de l’impossibilité d’entreprendre une analyse exhaustive, quelques conditions générales préalables au fonctionnement des ententes financières franco-allemandes seront présentées en première partie, à la lumière du développement des établissements bancaires privés allemands. Dans une deuxième partie, l’exemple des projets ferroviaires allemands dans l’Empire ottoman permettra d’expliquer le mécanisme de ces ententes de long terme. Il s’ensuivra un bilan de la situation à la veille de la Première Guerre mondiale, qui soutient l’idée qu’avant 1914, l’expansion politique et l’expansion économique ne recouvraient jamais les mêmes réalités. Les objectifs poursuivis, les méthodes utilisées et les rouages de ces deux formes d’impérialisme étaient très différents. De surcroît, en dépit de leurs efforts en ce sens, les responsables politiques n’ont pas réussi, ni en France ni dans l’Empire allemand, à imposer une nationalisation des relations financières.
I. Quelques conditions préalables à la coopération franco-allemande : les banquiers privés au xixe siècle
8Il est impropre de parler d’une haute finance allemande, anglaise ou française pour la période comprise entre le début du XIXe siècle, après la fin des guerres napoléoniennes, et l’édification de l’Empire allemand en 1871. Tous les grands établissements bancaires privés étaient très actifs au niveau international et imprégnés de cosmopolitisme, souvent en raison de leur origine juive. Au contraire des banques par actions qui apparaîtront ultérieurement, les grandes banques privées ne pouvaient pas ouvrir de succursales dans d’autres villes ou pays, puisqu’elles étaient chacune la propriété d’une famille. C’est pourquoi, dès les années 1820, elles développèrent un système leur permettant malgré tout d’affirmer leur présence dans les principales capitales européennes. Une fois leurs études achevées, les fils de ces grandes familles de financiers étaient envoyés à l’étranger, où ils créaient leurs propres établissements bancaires. Bénéficiant, dans les premiers temps, du soutien familial, ils s’efforçaient de tisser rapidement leurs propres réseaux, dans leur nouveau pays d’adoption, qui devaient contribuer en retour à la consolidation de toute l’entreprise familiale. Pour des raisons qui n’ont pas encore été suffisamment étudiées, une première vague de créations de banques à l’échelle européenne est partie de Francfort/Main7. Le parcours légendaire des cinq frères Rothschild n’est que l’histoire la plus connue en la matière ; il a existé beaucoup d’autres familles de banquiers similaires, qui ont essaimé en Europe8. Pour les banques privées, il était devenu déterminant d’être représentées sur les principales bourses européennes (Londres, Paris et, dans une moindre mesure, Vienne) et quelques autres places financières, qui correspondaient à leurs activités. Elles nouaient vite de bons contacts au sein des administrations de chaque pays et se chargeaient de l’émission d’emprunts d’État de toutes sortes.
Tableau 1. Création de banques en Europe, par des familles juives établies à Francfort9
Francfort | Londres | Paris | Vienne | Autres | |
Nom | |||||
Rothschild | x | x | x | x | Naples |
Erlanger | x | x | x | x | - |
Stern | x | x | x | - | - |
Sulzbach | x | - | x | - | Berlin |
Speyer | x | x | x | - | New York |
Goldschmidt | x | x | x | - | Berlin |
Königswater | x | - | x | x | Amsterdam, Fürth |
Bischoffsheim | x | x | x | - | Mayence, Amsterdam, Anvers, Bruxelles |
Haber | x | x | x | - | Karlsruhe |
9Toutes les banques mentionnées dans le tableau ci-dessus n’ont pas forcément été en mesure de perdurer. L’établissement créé par les Rothschild à Naples, notamment, n’a pas eu le temps d’acquérir une envergure européenne et a dû fermer peu après son ouverture. Néanmoins, il faut reconnaître, dans l’ensemble, une tendance à prospérer assortie d’une dimension internationale impressionnante. La nombreuse descendance de ces familles privilégiait une telle expansion : sur les douze enfants de Jacob S. H. Stern, six garçons embrassèrent la carrière de banquier. De cette manière, les relations d’affaires étaient pour ainsi dire transmises par héritage10. Par ailleurs, ces banques déployaient un réseau d’agents dans toutes les grandes métropoles en Europe et hors d’Europe, qui servait à nouer des contacts d’affaires mais surtout à faire remonter les informations. Ces réseaux très denses recueillaient de façon rapide et fiable des renseignements dans le monde entier et s’avéraient d’une redoutable efficacité. De nombreux cas sont connus, où les Rothschild de Londres avaient été mieux renseignés que les services diplomatiques de la Grande-Bretagne. Toute information connue avant les concurrents pouvait se transformer directement en avantage économique, avec des bénéfices à la clé11. À cela venait s’ajouter une politique de mariages qui encourageait fortement les unions entre familles de la haute finance, ce qui permettait de créer de nouveaux réseaux, de consolider des liens existants ou de rétablir des contacts interrompus. Chacune des banques était officiellement indépendante, décidait de ses propres activités et se constituait sa propre clientèle régionale et internationale. Toutefois, les banques d’un même réseau familial veillaient à préserver les intérêts du clan. Chez les Rothschild, aucun établissement n’aurait conclu une affaire susceptible de déplaire à une autre branche de la famille12. Dans le cas de transactions relativement importantes, toutes les maisons travaillaient en étroite collaboration, à l’instar d’une multinationale. La famille Warburg, originaire de Hambourg, s’est ainsi implantée en Scandinavie et aux États-Unis, tandis que les Oppenheim, de Cologne, s’établissaient en France13.
10Ce type d’expansion familiale n’était en aucun cas l’apanage des financiers juifs, mais semble avoir caractérisé les minorités ayant réussi sur le plan économique dans toute l’Europe. En France, au XIXe siècle, plusieurs familles de banquiers protestants ont ainsi émigré de Suisse en France. Autre exemple : au début du XIXe siècle, la banque privée « chrétienne » Bethmann frères, originaire de Francfort, qui a étendu son champ d’activités en utilisant des procédés similaires. Avec l’établissement Bethmann & Cie à Paris et grâce à une politique de mariages ciblée pour tisser délibérément de nouveaux liens précisément en France, les Bethmann disposaient de liens familiaux privilégiés au sein de la haute finance française. L’un des frères, Hugo von Bethmann, était propriétaire de l’établissement bancaire parisien, tandis que l’une des sœurs avait épousé le baron Rodolphe Hottinguer, financier qui présidait notamment le conseil de la Banque impériale ottomane, à Paris14. Tous ces liens subsistèrent, à quelques changements près, au lendemain de 1871, car la guerre franco-allemande n’avait pris à aucun moment la dimension d’une guerre économique. Certes, Gerson von Bleichröder, jusqu’alors l’agent à Berlin de la branche française des Rothschild, avait par exemple gagné en indépendance. Mais cette situation offrait à ses collègues français une contrepartie très appréciable, puisque Bleichröder devint le banquier privé du chancelier Bismarck et de la quasi-totalité des élites prussiennes, autrement dit une personnalité incontournable de la haute finance allemande, à même de communiquer aux Rothschild français des informations confidentielles et de première qualité, provenant directement du centre du pouvoir germano-prussien15.
11Entretenir des contacts étroits avec une clientèle exigeante était essentiel pour ces banques privées, la plupart d’origine juive, qui pouvaient ainsi lancer des émissions internationales de toute nature en dehors des places boursières, donc en dehors de tout contrôle des instances politiques. Elles vendaient à leur clientèle de rentiers fortunés des titres apparemment sûrs et prometteurs en termes de bénéfices, directement ou via des bourses « neutres », sans avoir besoin d’être admis à la Bourse de Paris. Il a été avancé qu’à partir des années 1880, les banques constituées sous forme de sociétés par actions nouvellement créées en Allemagne et en France, telles que le Crédit mobilier, avaient progressivement supplanté les banques privées. Cette thèse n’est vraie qu’en partie et repose sur un mythe, tout du moins dans le cas de l’Allemagne. À l’inverse des grandes banques privées, les nouvelles banques par actions étaient tournées vers l’industrie, c’est-à-dire les créations d’entreprises et leur financement, les participations à long terme, les investissements industriels, les émissions de titres et la promotion du commerce en général. Les banques par actions ne pouvaient s’immiscer entièrement dans le domaine d’activité traditionnel des banques privées qui défendaient avec autant d’acharnement que d’efficacité leurs prérogatives en matière de financement de l’État et d’émission des emprunts d’État. En chiffres absolus, le « déclin » du système bancaire privé avant la Première Guerre mondiale n’est pas démontré et s’est avéré relatif face à l’essor des banques par actions qui ouvraient de nouveaux champs d’activité.
12Les principaux consortiums internationaux chargés des opérations concernant les fonds d’État étaient toujours dominés par les banques privées. C’est ainsi qu’en dépit de multiples efforts, le groupe Deutsche Bank n’est jamais parvenu à prendre la place de la banque Mendelssohn à la tête du consortium qui vendait, dans l’Empire allemand, des titres d’État russes de toutes sortes16. En raison de leurs nombreux contacts dans le monde entier, les banques privées occupaient une position-clé, et ce notamment dans le cadre de projets impérialistes, souvent financés au moyen d’emprunts publics ou privés et assortis d’une garantie officielle. Elles agissaient et réagissaient beaucoup plus rapidement que les banques par actions grâce aux relations qu’elles entretenaient au sein des cercles du pouvoir et des places boursières et disposaient en outre de contacts de longue date dans les administrations nationales, qui reposaient sur des rapports de confiance mutuels. En principe, les émissions des banques allemandes étaient très rarement admises à la cote officielle de la Bourse de Paris. Mais cette interdiction avait pour seul effet d’exclure une petite partie des nombreux investisseurs en Bourse, d’abord intéressés par la spéculation. Sa portée était très limitée puisque les titres allemands pouvaient être vendus sans difficulté, via le réseau des banques privées, aux riches clients français qui en attendaient un rendement élevé. En l’occurrence, les décisions d’achat en Bourse étaient guidées avant tout par le profit et des calculs coût-bénéfice et relativement peu par les objectifs patriotiques que le gouvernement français formulait. Régulièrement, les banques par actions allemandes utilisaient ces réseaux privés, lorsqu’elles désiraient vendre à Paris des titres qui n’auraient pas pu être introduits sur les bourses allemandes, ou seulement à un cours très inférieur.
13Ce mécanisme des transactions financières par les banques privées ne suffit aucunement à rendre compte de la complexité et de la diversité des relations financières franco-allemandes à la veille de la Première Guerre mondiale. Beaucoup d’autres éléments sont à considérer. Il est arrivé que les banques par actions soient également étroitement liées par des relations financières et intragroupe. Dans le domaine du commerce, les échanges de marchandises et de crédits entre entreprises allemandes et françaises étaient normaux, et la coopération entre banques d’outre-mer était chose courante, indépendamment des nationalités, dès lors que des affaires ou des projets trop ambitieux ou trop risqués pour une seule entreprise se présentaient. L’ensemble des relations commerciales au quotidien entre petites et moyennes entreprises est un autre aspect de la question, qui n’a pas été suffisamment étudié à ce jour. L’exemple des banques privées montre que les considérations politiques étaient certes prises en compte, lorsque les conditions générales de certaines transactions s’en trouvaient modifiées, mais qu’elles n’ont pratiquement joué aucun rôle, dès lors qu’il s’agissait de déterminer si une transaction était en principe souhaitable ou non. Les banquiers prenaient leurs décisions exclusivement en fonction des risques économiques estimés et des bénéfices escomptés.
II. L’entente franco-allemande dans l’empire ottoman et les projets ferroviaires allemands
14La construction de voies ferrées dans l’Empire ottoman par des entreprises allemandes illustre particulièrement bien et, pour ainsi dire, modélise le fonctionnement de la coopération financière franco-allemande entre différents groupes de banques privées et de banques par actions, dans le cadre d’un projet de prestige pour l’Allemagne impériale. Dès la genèse du réseau ferré d’Anatolie et du chemin de fer de Bagdad (Bagdadbahn), il s’est avéré que les banques allemandes et françaises prenaient leurs décisions en fonction de critères commerciaux très stricts et selon des calculs de coût-bénéfice. Elles se préoccupaient peu des directives de leurs gouvernements en matière de politique extérieure et essayaient d’en faire abstraction dans toute la mesure du possible. Mais cela n’excluait pas de requérir le soutien des services diplomatiques en cas de difficulté, voire, au besoin, d’invoquer une prétendue atteinte aux intérêts nationaux.
15Dès la construction des chemins de fer d’Anatolie, au début des années 1890, différentes entreprises et banques aussi bien françaises qu’allemandes travaillaient en étroite collaboration. Entre 1888 et 1890, la Deutsche Bank obtint la concession de plusieurs lignes existantes dans les Balkans ottomans. En même temps, elle obtint l’accord de la Sublime Porte pour la construction d’un réseau ferré censé contribuer au processus de modernisation de l’Asie Mineure occidentale. La Deutsche Bank n’avait alors qu’une expérience réduite dans le domaine de la construction et du financement de grands projets industriels outre-mer. Mais, compte tenu du fait que l’État turc accordait des garanties kilométriques pour l’exploitation des lignes achevées et que les crédits étaient indirectement garantis par le contrôle international de la « Caisse de la dette publique ottomane », la Deutsche Bank ne prenait qu’un risque financier négligeable en s’engageant dans la construction et l’exploitation des lignes ferroviaires, sous réserve d’une stabilité politique durable dans l’Empire ottoman. La banque aurait pu à elle seule financer et exploiter les voies ferrées. Mais le directoire de la Deutsche Bank comprit rapidement qu’il était plus profitable de s’associer à la Banque impériale ottomane et à d’autres financiers ou entreprises français établis de longue date dans l’Empire ottoman, que de se livrer à une concurrence économique ouverte avec ces différents acteurs. À l’inverse de quelques spéculateurs autrichiens ou des banquiers dits de Galata, à Constantinople, il n’aspirait pas à des bénéfices exceptionnels à court terme mais poursuivait une politique de développement de moyen et long terme, qui pourrait également profiter à l’Empire ottoman. Cela supposait néanmoins que la communauté internationale soutienne, tout du moins tolère un tel projet. Dans ce contexte, il allait presque de soi de se rapprocher des financiers français, qui, en contrepartie, se virent proposer des participations.
16Face à l’émergence d’un domaine d’activités prometteur à plus d’un titre, la Banque impériale ottomane, contrôlée en pratique par la haute finance parisienne, accepta volontiers les offres de la Deutsche Bank. Les branches parisienne et francfortoise de la famille Bethmann jouèrent les intermédiaires à l’occasion de quelques transactions et se virent confier d’autres missions informelles, notamment en raison de leurs excellents contacts avec la Banque impériale ottomane, afin de simplifier la constellation d’intérêts au sein du consortium de la Deutsche Bank et de jeter des ponts entre les différents groupes17. Étant donné qu’il n’existait encore aucune entreprise allemande capable de réaliser seule les travaux de construction ferroviaire d’envergure envisagés en Asie Mineure, l’entreprise de construction du comte français Georges Vitali, déjà établie en Turquie, se déclara disposée à effectuer une partie des travaux pour la Deutsche Bank, qui plus est en utilisant principalement des matériaux allemands et en formant des ingénieurs de l’entreprise berlinoise Holzmann & Co18. Afin de faciliter la participation d’investisseurs français et autres investisseurs étrangers, la Deutsche Bank mit en place un réseau extrêmement complexe de sociétés de financement, d’exploitation et de participation, englobant également des sociétés de portefeuille et d’autres organismes, dont le siège était en Suisse ou à Constantinople. Ainsi, le caractère « allemand » des opérations était moins visible, de nouveaux partenaires internationaux, notamment français, pouvaient se joindre au projet et les interventions politiques de toutes sortes, qui suscitaient des craintes, devenaient plus difficiles19. Bien que la Deutsche Bank conservât la direction du groupe, les chemins de fer d’Anatolie et leurs différents embranchements, dont la construction s’étendit jusque dans les années 1895-1896, étaient en fait des chantiers multinationaux sous la conduite de la banque.
17Toutefois, le directoire de la Deutsche Bank ne souhaita pas s’engager dans de nouveaux projets sur le territoire ottoman, car il ne semblait plus possible à cette époque de contrôler et d’évaluer les risques politiques à long terme comme à la fin des années 1880. Depuis le début, les constructions ferroviaires avaient été rentables pour tous les participants ; mais la situation politique de l’Empire ottoman était loin de s’avérer aussi stable que prévu. Vers 1895-1896, des troubles intérieurs et des massacres menaçaient de disloquer l’Empire. En outre, les rivalités impériales croissantes que nourrissaient les grandes puissances dans plusieurs régions du monde incitaient à la prudence, voire à une certaine retenue sur le plan économique. Il est frappant de constater que pendant cette période, le directoire de la Deutsche Bank refusa de livrer une compétition sans merci à la Banque impériale ottomane pourtant affaiblie par des spéculations malheureuses, alors même que le gouvernement allemand exerçait de fortes pressions pour que fût éliminée la concurrence française. En outre, en dépit des tentatives du gouvernement français en vue d’empêcher plusieurs émissions de titres allemands, la plus grande partie des obligations du chemin de fer Salonique-Monastir fut absorbée par le marché français20. Au printemps 1899, la coopération franco-allemande au niveau financier fut même officialisée, tandis que les banques des deux pays contractaient une entente pour des projets communs de construction ferroviaire dans l’Empire ottoman21.
18Dans le même temps, deux facteurs venaient modifier la politique étrangère du Reich : le grand tournant vers la Weltpolitik, synonyme d’une expansion impérialiste accrue, et la construction de la flotte allemande. Le gouvernement allemand découvrait que les investissements économiques outre-mer étaient un point de départ pour obtenir certains avantages en matière de politique étrangère face aux autres puissances impérialistes. Le ministère des Affaires étrangères accentua ses pressions sur la Deutsche Bank pour la construction de nouvelles lignes de chemin de fer, si possible jusqu’à Bagdad et au golfe Persique, afin de renforcer l’influence allemande dans l’Empire ottoman. De tels projets allaient directement à l’encontre de la stratégie du directoire de la Deutsche Bank, mais l’établissement financier ne pouvait ignorer la demande qui lui était faite, car il dépendait de la bienveillance du gouvernement dans d’autres domaines. Les Turcs eux-mêmes souhaitaient ardemment d’autres constructions ferroviaires à l’intérieur de leur territoire, en vue de faire progresser la modernisation du pays, qui accusait du retard, et de donner une impulsion à l’industrialisation. Le directoire de la Deutsche Bank commença donc à vérifier que les conditions financières, économiques, politiques et techniques étaient réunies pour lancer de nouveaux grands projets dans l’Empire ottoman.
19Lorsque, au début du siècle, la Deutsche Bank se décida à envisager la construction d’une ligne reliant Constantinople à Bagdad et au golfe Persique, cédant à la pression politique insistante du gouvernement allemand, son directoire était pleinement conscient des risques politiques du projet. Il s’agissait d’une entreprise qui pouvait aussi bien générer des bénéfices considérables que se solder par un échec total en raison des dangers politiques et des risques difficilement appréciables dans le système international. C’est pourquoi le directeur de la Deutsche Bank, Georg von Siemens, affirmait avec détermination, juste avant son décès soudain peu avant 1901, que le soutien massif des milieux bancaires français et britanniques était indispensable à la réalisation du projet. D’une part, un projet aussi ambitieux était à peine concevable sans l’appui des Bourses de Londres et de Paris, parce que le besoin élevé et constant en capitaux de l’industrie allemande ne laissait que des fonds en quantités limitées pour les investissements dans l’Empire ottoman. D’autre part, Siemens espérait, par la participation financière des grandes banques et groupes financiers français et britanniques, au moins affaiblir, si ce n’est complètement neutraliser la résistance politique attendue de leurs gouvernements respectifs contre le projet « allemand » d’un chemin de fer pour Bagdad22. Pour mettre sa stratégie à l’épreuve, la Deutsche Bank conçut un premier tronçon de 200 kilomètres, dont la réalisation devait déterminer si le schéma de coopération souhaité était viable. Ce premier « tronçon test » aurait ensuite servi de modèle pour le reste de la ligne jusqu’à Bagdad et au golfe Persique.
20Mais l’idée de départ ne fut réalisée qu’en partie. Après négociations, le concours de la haute finance française fut obtenu, car les banquiers concernés pressentaient les avantages économiques à venir. Il ne fallait pas compter sur le soutien officiel du gouvernement français, mais les établissements bancaires ne se laissaient pas dicter leur politique d’investissement par le Quai d’Orsay23. Quant à l’appui de Londres, il fit lui aussi défaut, car les résistances politiques virulentes et le tollé soulevé dans l’opinion publique anglaise rendaient impossible toute participation des financiers britanniques. Aujourd’hui encore, nous ne savons pas précisément dans quelle mesure ce concert de protestations de l’opinion publique britannique est imputable aux groupes d’intérêts politiques et économiques24. Dans le contexte qui nous intéresse, la coopération franco-allemande qui suivit et s’avéra dans l’ensemble fructueuse, était plus importante. En dépit de crises difficiles et d’interventions politiques permanentes des deux bords, elle demeura entière jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Dans le cadre de transactions substantielles, la coopération la plus étroite n’excluait pas une concurrence acharnée, sans aucun rapport avec les rivalités nationales. Il s’agissait d’une situation de concurrence typique entre deux puissants groupes bancaires, qui essayaient chacun d’atteindre les meilleurs résultats possibles tout en étant dépendant l’un de l’autre, ce qui les amenait à coopérer sans difficulté dans de nombreux cas de figure.
Tableau 2. Participation financière internationale réelle au projet de la Bagdadbahn (en millions de francs)25
Actions nominales de la société de construction | Montant nominal des emprunts – série II | Montant nominal des emprunts – série III (non émise) | |
Total | 10 | 108 | 119 |
Parts | |||
Italie | 0,13 | 2,16 | 2,38 |
Autriche | 0,374 | 7,29 | 8,033 |
France | 1,95 | 32,4 | 35,7 |
Suisse | 0,342 | 5,67 | 6,247 |
Nationalités non définies et divers | 0,115 | 1,54 | 2,785 |
Total | 2,91 | 49,06 | 55,145 |
en % | 29,1 % | 45,43 % | 46,34 % |
21Des visions très différentes entrent en jeu lorsqu’il s’agit d’apprécier ce que fut l’entreprise de la Bagdadbahn. La plupart du temps, l’historiographie ne rend absolument pas compte du fait que ce fut, du point de vue financier26, une joint-venture franco-allemande couronnée de succès. L’intérêt suscité par la ligne de Bagdad s’est concentré sur d’autres aspects. Dans la période qui suivit l’année 1908, cette construction ferroviaire était de plus en plus considérée comme un projet de prestige allemand. Le ministère des Affaires étrangères allemand poursuivait des objectifs nationaux, tandis que l’opinion publique faisait preuve d’un enthousiasme croissant pour les projets impérialistes dans l’Empire ottoman. La Deutsche Bank eut toutes les peines du monde à tenir l’entreprise ferroviaire en dehors du débat colonial public27. La politique extérieure, plus particulièrement par le biais de l’ambassade d’Allemagne à Constantinople, s’immisça dans le projet, jusque dans les points de détail. Il déplaisait par exemple au ministère des Affaires étrangères qu’un poste de direction fût confié à un Suisse francophone, Édouard Huguenin, qui, en raison de son origine, n’aurait pas été à même de défendre les intérêts nationaux28. Pourtant, de par sa dimension financière, la Bagdadbahn resta toujours une entreprise internationale, sous la direction de la Deutsche Bank. Près de la moitié des capitaux nécessaires à la construction et à l’exploitation de la ligne avaient été réunis à l’étranger, essentiellement en France. Le tableau ci-joint donne un aperçu de la situation, qui est incomplet faute de sources suffisantes.
22Il est probable que le nombre réel des valeurs placées en France était nettement plus élevé, même s’il n’est pas possible d’en apporter la preuve statistique. Les sommes concernant l’étranger indiquées dans le tableau sont des estimations basses et nous pouvons partir du principe qu’il devait y avoir en plus une part de capitaux « allemands », placés non pas en Allemagne ou auprès de souscripteurs allemands mais à l’étranger. Par différents canaux, au premier desquels les banques privées (dont celles déjà mentionnées telles que Bethmann Frères et son équivalent parisien Bethmann & Cie), la Deutsche Bank était sans cesse tournée vers Paris pour vendre de nouveaux titres, non négociables en Allemagne ou susceptibles d’atteindre un cours plus élevé en France que sur les places boursières allemandes. C’est ainsi que la banque privée parisienne Hirschler plaça à Paris, sans susciter de réaction particulière, un reliquat d’emprunt allemand de 1905, qui offrait une marge bénéficiaire appréciable. Cet emprunt allait pourtant directement à l’encontre des intérêts politiques français, puisqu’il était destiné au règlement de la livraison de pièces d’artillerie de l’entreprise Krupp à l’Empire ottoman29. Les banques privées n’avaient pas besoin de passer par les bourses, mais pouvaient vendre des titres intéressants directement à leur fidèle clientèle d’investisseurs fortunés, sans aucune dépense publicitaire. Cela se vérifie notamment dans le cas des titres liés à l’affaire de l’emprunt de la Deutsche Bank en 1910-1911, qui mit à mal la stratégie de politique extérieure du Quai d’Orsay. Étant donné que les intérêts économiques français et allemands s’en trouvèrent affectés et que cela a été une source de conflits majeurs pour la diplomatie française, cette question sera traitée brièvement ci-après.
23En 1908-1909, le renversement du Sultan suite à la révolution et au putsch des Jeunes-Turcs mit tout d’abord la diplomatie allemande et la Deutsche Bank en mauvaise posture, en raison des liens très étroits qui avaient lié ces dernières à l’ancien régime. Mais le régime jeune-turc, faible à ses débuts, dépendait des crédits européens pour exister. Si, de prime abord, les financiers britanniques firent preuve d’un enthousiasme libéral pour la révolution, ils n’avaient pas suffisamment confiance en l’évolution du mouvement pour octroyer des fonds. Dans ce contexte, la politique extérieure française a surestimé l’efficacité des moyens dont elle disposait. Pendant l’été 1910, elle tenta de lancer une grande offensive diplomatique et financière. Le gouvernement français promit aux Jeunes-Turcs de leur fournir les capitaux dont ils avaient un besoin urgent, mais il lia la souscription d’un emprunt à Paris à des conditions politiques draconiennes. Ces mesures devaient conduire à ébranler la position des banques allemandes dans l’Empire ottoman et, ainsi que l’espérait la diplomatie française, à affaiblir l’influence politique dominante de l’Allemagne. L’objectif visé était de placer le régime révolutionnaire jeune-turc sous contrôle français par l’injection massive de capitaux. Ce procédé faisait partie des méthodes impérialistes financières classiques. En agissant de cette manière, la France savait que le marché des capitaux allemand concurrent ne serait probablement pas en mesure de lancer l’émission d’un grand emprunt ottoman. Cependant, cette tentative d’exercer un impérialisme politique par des moyens financiers informels revenait à sous-estimer le nationalisme des Jeunes-Turcs, qui n’auraient jamais accepté de telles conditions même en grande difficulté financière, ce qu’avaient bien compris les Allemands. Le nouveau ministre des Finances turc, Djavid Bey, reprocha au gouvernement français d’essayer de « marocaniser » l’Empire ottoman. Du point de vue de la politique extérieure britannique également, l’offensive diplomatique française allait trop loin, et la Grande-Bretagne fit savoir qu’elle était favorable à un Empire ottoman indépendant30.
24Paradoxalement, l’initiative maladroite des Français permit à la diplomatie allemande de ranger le gouvernement jeune-turc de son côté, alors que ce dernier avait jusqu’alors toujours clairement sympathisé avec la France pour des raisons culturelles et politiques. Au prix de difficultés considérables et sous la pression exacerbée de Berlin, la Deutsche Bank réussit à émettre un emprunt concurrent grâce à un montage financier complexe, qui impliquait l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche et d’autres pays et reposait sur plusieurs transactions étroitement liées entre elles. Pour l’Empire ottoman, les conditions financières de cette opération étaient bien moins intéressantes que celles qui auraient pu être obtenues à Paris, mais la Deutsche Bank n’avait quasiment aucune exigence politique en retour31. Cet emprunt permit de repousser l’offensive financière lancée par l’État français à l’encontre de la position allemande dans l’Empire ottoman. Malheureusement, en l’absence de sources suffisantes, il ne semble pas possible d’établir des statistiques qui feraient apparaître la part des capitaux français dans l’emprunt émis par la Deutsche Bank et dans les transactions correspondantes. Les établissements bancaires et les investisseurs français veillèrent, à juste titre, à ce que le ministère des Affaires étrangères en apprît le moins possible sur leur stratégie de placement. Il s’avère, mais indirectement, qu’ils investirent d’importantes sommes d’argent. La participation française fut probablement aussi importante que dans les emprunts de la Bagdadbahn32. Pour les investisseurs français qui voulaient investir dans l’Empire ottoman, le taux d’intérêt et les conditions d’émission étaient très avantageux, sans compter que l’opération était couverte par des garanties suffisantes. Les titres en question offraient au public des conditions à peine concevables à Paris. Les valeurs du chemin de fer de Bagdad, l’emprunt de 1910 et les autres émissions de la Deutsche Bank en rapport avec l’Empire ottoman semblaient être des placements industriels relativement sûrs, produisant des intérêts élevés, présentant un faible risque de fluctuation des cours et, de surcroît, très prometteurs à moyen et long terme, sous réserve que la situation de l’Empire ottoman restât stable. Même si cela déplaisait au plus haut point au gouvernement français, qui tenta à plusieurs reprises d’empêcher ce type de transaction, une grande partie des investisseurs décidait de leurs placements non pas en fonction de la politique extérieure nationale mais d’après les perspectives de bénéfices du moment.
25Le peu d’importance que revêtait le critère de la nationalité dans le monde de la finance est mis en évidence par un autre cas de figure en Turquie. Dans les dernières années qui précédaient la Première Guerre mondiale, le principal rival de la Deutsche Bank dans l’Empire ottoman n’était pas la haute finance française mais un autre groupe financier allemand. En 1906-1907, la Dresdner Bank avait créé une filiale, la Deutsche Orientbank, qui, à ses débuts, n’était pas très impliquée dans des entreprises industrielles ou dans la construction de voies ferrées, mais cherchait plutôt à s’assurer une position dominante dans le domaine du financement des échanges commerciaux, dans toute la partie ottomane et arabe du bassin méditerranéen oriental. Dans ce contexte, elle était amenée à coopérer fréquemment avec d’autres entreprises allemandes, françaises ou britanniques. Peu avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, la Deutsche Orientbank se lança également dans le financement du commerce des armes de l’entreprise Krupp dans l’Empire ottoman, entrant ainsi directement en concurrence avec l’entente formée par la Deutsche Bank et la Banque impériale ottomane. Ces deux instituts luttèrent ensemble et de toutes leurs forces contre leur nouveau concurrent allemand, avec plus ou moins de réussite. Vis-à-vis du ministère des Affaires étrangères, les deux banques allemandes faisaient toujours valoir des arguments inhérents au système impérialiste, dans la logique de l’époque. Le directoire de l’Orientbank accusait la Deutsche Bank de mener une politique commerciale sous influence française et de ne pas tenir suffisamment compte des intérêts nationaux, tandis que la Deutsche Bank reprochait en retour à l’Orientbank de brader les intérêts nationaux dans l’Empire ottoman et de mener une politique exclusive et à courte vue. Ces attaques mutuelles n’eurent pas de conséquences économiques dignes d’être mentionnées, à l’exception de la grande controverse sur le financement du commerce des armes de l’entreprise Krupp en 1913, qui finit en laissant les parties exaspérées, chacune espérant avoir affaibli l’autre33.
III. La situation à la veille de la Première Guerre mondiale
26Même si le monde de la finance française, comme celui de la finance allemande, manifestait un intérêt marqué pour la poursuite d’une coopération économique pacifique dans de nombreux projets impérialistes outre-mer, force est de constater que certaines relations se distendaient depuis 1911-1912 et que l’entente entre banques allemandes et françaises ne fonctionnait plus aussi bien. La cause en était double.
27En premier lieu, le gouvernement français accentuait depuis 1911 la pression qu’il exerçait sur les banques parisiennes. Certes, l’ampleur réelle de la coopération financière franco-allemande n’était pas toujours connue des responsables au pouvoir, mais la situation était de plus en plus paradoxale : d’un côté, les intérêts impérialistes et politiques de la France et de l’Allemagne s’opposaient violemment dans l’Empire ottoman et d’autres régions du monde, au point qu’à l’automne 1911, au paroxysme de la deuxième crise du Maroc, les deux États étaient restés plusieurs semaines au bord de la guerre. La France, malgré une situation politique favorable en raison de son alliance militaire avec la Russie et de son rapprochement avec la Grande-Bretagne, avait à subir défaite sur défaite dans la confrontation directe avec l’Empire allemand. À cela venaient s’ajouter les prémisses d’une course aux armements franco-allemande accélérée. De l’autre côté, les investisseurs et banquiers français finançaient constamment des projets impérialistes allemands qui servaient le prestige, les intérêts nationaux et la position de force du Reich, même s’ils cherchaient surtout à retirer des bénéfices élevés de leurs placements.
28En deuxième lieu, il devenait clair, depuis le point culminant de la deuxième crise du Maroc en automne 1911 et compte tenu des troubles et des conflits permanents qui secouaient les Balkans depuis 1912, que l’éventualité d’une guerre européenne de grande ampleur, à laquelle quasiment aucun banquier n’avait sérieusement cru jusqu’alors, avait été sous-estimée. Au vu de la situation politique générale et sous la pression exacerbée et constante de leur gouvernement, les banques françaises commencèrent, à contrecœur, à réduire progressivement leurs investissements dans des entreprises allemandes, aussi bien dans l’Empire ottoman que dans d’autres pays, même si, en 1914, le retrait des capitaux français était loin d’être achevé. La coopération officielle entre banques fit place à des accords territoriaux en fonction des sphères d’influence respectives dans l’Empire ottoman. La Deutsche Bank reconnut l’Arménie, l’Anatolie du Nord et la Syrie comme zones d’intérêts français, tandis que la France accordait d’importantes concessions. La zone côtière entre Alexandrette et Beyrouth, où les Français jouissaient de prérogatives économiques en vertu des contrats qu’ils y avaient conclus, fut déclarée neutre. En rapport avec la partition envisagée de l’Empire ottoman fin 1913, début 1914 et suite aux pressions politiques, un terme fut officiellement mis à l’entente financière franco-allemande pour la construction de la Bagdadbahn. Mais les banquiers trouvèrent un moyen pour que, du côté français, une participation informelle et non négligeable aux projets allemands dans l’Empire ottoman pût continuer. En contrepartie, le directoire de la Deutsche Bank accepta de couvrir différentes transactions françaises vis-à-vis de la diplomatie allemande34.
29Avec le recul, nous pouvons clairement affirmer qu’au niveau bancaire, les quelques préparatifs consentis étaient nettement insuffisants face à la réalité de la Grande Guerre à venir. Dans l’ensemble, la haute finance européenne n’attendait pas grand-chose d’un conflit important, même si les banquiers n’étaient généralement pas des pacifistes convaincus. Ils préféraient des transactions commerciales paisibles, car tous, en dépit de leurs commentaires parfois chauvins, étaient conscients du fait qu’en temps de guerre, la plupart des investisseurs étaient perdants et que seuls quelques individus pourraient engranger des bénéfices substantiels. En outre, la quasi-totalité des banquiers allemands et de nombreux économistes partaient du principe que l’interdépendance financière et économique des États européens allait jouer en faveur de la paix, puisqu’aucun des pays industrialisés européens ne pourrait supporter une longue interruption militaire de ses relations extérieures sans provoquer des dégâts irréparables pour son économie. Mais ces analyses rationnelles et purement économiques, de plus en plus fréquentes à compter de 1911, ne tenaient compte ni du nationalisme croissant, jugé irrationnel par les banquiers, ni des plans de guerre élaborés au niveau des états-majors et inconnus des directeurs d’établissements financiers. L’opinion des financiers britanniques était révélatrice de cet état d’esprit : peu après que la guerre éclate, ces derniers étaient convaincus de la victoire de l’Entente, compte tenu de l’énorme potentiel économique qu’elle représentait, tout en étant pessimistes pour l’économie, puisque l’Empire allemand représentait l’un des principaux débouchés pour les produits anglais35. Autrement dit, éliminer ses meilleurs clients n’a aucun sens.
Conclusion
30L’exemple des projets franco-allemands et, plus largement, de l’impérialisme financier européen transnational nous amène à deux réflexions, dont la brève présentation conclura cet exposé.
31Premièrement, l’impérialisme économique et financier suivait une toute autre règle que l’expansion politique européenne. Les banques et les investisseurs cherchaient avant tout à faire des bénéfices et les observateurs de l’époque relevaient déjà que les capitaux n’avaient pas de nationalité et qu’ils allaient là où la rentabilité était maximale : ubi bene, ibi patria36. C’est pourquoi les banques coopérèrent étroitement, indépendamment de leurs nationalités, dès lors que des affaires intéressantes se profilaient. En dépit de ses efforts, le politique ne parvint jamais, avant 1914, à contrôler un tant soit peu ces activités. Certes, la nationalisation presque totale des capitaux que l’on peut observer pendant l’entre-deux-guerres commença peu avant la Première Guerre mondiale, mais elle ne concerna aucunement la haute finance internationale, qui réussit à préserver son indépendance jusqu’au déclenchement du conflit.
32Deuxièmement, les historiens discutent actuellement de la pertinence d’évoquer une première vague de mondialisation en référence à la période d’avant 1914, thèse étayée par de nombreux arguments37. Si l’on considère les activités de la haute finance européenne, cette thèse est fondée. Tous les financiers européens et même américains coopéraient et se concurrençaient dans le monde entier, tandis que, sous la pression exacerbée de l’impérialisme financier européen, les régions isolées du globe s’ouvraient aux capitaux du vieux continent. En dépit des pressions politiques, les marchés financiers restaient perméables et transparents. Avant 1914, tout investisseur européen pouvait théoriquement acheter les titres qu’il souhaitait. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale mit fin de manière radicale à cet « âge d’or » des capitaux.
Notes de bas de page
1 Concernant cette argumentation, voir Fischer (F.), Der Krieg der Illusionen. Die deutsche Politik von 1911 bis 1914, Düsseldorf, Droste, 1969.
2 Voir Kroboth (R.), Die Finanzpolitik des Deutschen Reiches während der Reichskanzlerschaft Bethmann Hollwegs und die Geld-und Kapitalmarktverhältnisse 1909-1914, Francfort/Main, Peter Lang, 1986, p. 28.
3 Voir Schwabach (P. v.), Aus meinen Akten, Berlin, 1927, p. 125 sqq., 18 septembre 1907, Schwabach an Lancken.
4 Voir Poidevin (R.), Les relations économiques et financières entre la France et l’Allemagne de 1898 à 1914, Paris, Armand Colin, 1969 (réédition Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998) ; Allain (J.-C.), Agadir 1911. Une crise impérialiste en Europe pour la conquête du Maroc, Paris, Publications de la Sorbonne, 1976 ; Thobie (J.), Les intérêts économiques, financiers et politiques français dans la partie asiatique de l’Empire ottoman de 1895 à 1914, Lille, 1973.
5 Voir Politisches Archiv des Auswärtigen Amtes China 3, vol. 36, 27.01.1913, Note de Urbig.
6 Voir les archives secrètes de l’État prussien à Berlin-Dahlem, Rep. 109, vol. 5451, 16.03.1910, Präsident des Reichsbank-Direktoriums an Staatssekretär des Inneren, Anlage, Geheime Aufzeichnung der Besprechung vom 18.12.1909.
7 Voir Barth (B.), « Weder Bürgentum noch Adel – Zwischen Nationalstaat und kosmopolitischem Geschäft. Zur Gesellschaftsgeschichte der deutsch-jüdischen Hochfinanz vor dem Ersten Weltkrieg », in Geschichte und Gesellschaft 25, 1999, p. 94-122.
8 Concernant les Rothschild, voir Ferguson (N.), The World’s Banker. The History of the House of Rothschild, London, Weidenfeld & Nicolson, 1998; Lottmann (H. R.), Die Rotschilds in Frankreich. Geschichte einer Dynastie, Hambourg, Europäische Verlagsanstalt, 1999 ; Gille (B.), Histoire de la Maison Rothschild, 2 vol., Paris, Genève, Droz, 1967.
9 Tableau exploitant des données extraites de Grunwald, Studies in the History of the German Jews in Global Banking, Jérusalem, 1980, projet de manuscrit.
10 Voir Prinz (A.), Juden im deutschen Wirtschaftsleben. Soziale und wirtschaftliche Struktur im Wandel, 1850-1914, Tübingen, Mohr-Siebeck, 1984, p. 46 sqq.
11 Voir Liedtke (R.), N. M. Rothschild & Sons. Kommunikationswege im europäischen Bankenwesen im 19. Jahrhundert, Cologne, Böhlau, 2006.
12 Cité par Barth, Weder Bürgentum noch Adel, op. cit., p. 101.
13 Concernant les Warburg, voir Farrer (D.), The Warburgs. The Story of a Family. New York, Stein & Day, 1974; Rosenbaum (E.), Sherman (A. J.), Das Bankhaus M. M. Warburg & Co 1798-1938, Hambourg, Christians, 1976; Chernow (R.), Die Warburgs. Odysse einer Familie, Berlin, Siedler, 1996 ; Concernant les Oppenheim, voir Treue (W.), Das Schiksal des Bankhauses Sal. Oppenheim Jr. & Cie im Dritten Reich, Wiesbaden, Steiner, 1983 ; Stürmer (M.), Teichmann (G.), Treue (W.) (sous la direction de), Wägen und Wagen. Sal. Oppenheim Jr. & Cie. Geschichte einer Bank und einer Familie, Munich, Piper, 1994 (3).
14 Concernant les contacts franco-allemands de la famille Bethmann, voir Helbing (K.), Die Bethmanns. Aus der Geschichte eines alten Handelshauses zu Frankfurt am Main, Wiesbaden, Der Greif, 1948.
15 Voir Stern (F.), Gold und Eisen, Francfort/Main, Ullstein, 1977 (L’Or et le fer. Bismarck et son banquier Bleichröder, Paris, Fayard, 1990).
16 Voir Lemke (H.), Finanztransaktionen und Außenpolitik. Deutsche Banken und Rußland im Jahrzehnt vor dem ersten Weltkrieg, Berlin-Est, Akademie der Wissenschaften, 1985.
17 Voir les nombreuses sources dans les archives de la famille Bethmann, déposées aux archives de la ville de Francfort, A, V, vol. 152 et 328.
18 Voir Lodemann (J.), Pohl (M.), Die Bagdadbahn. Geschichte und Gegenwart einer berühmten Eisenbahn, Mayence, Hase & Koehler, 1988, p. 20.
19 Concernant ces participations croisées, relativement complexes, voir Barth (B.), Die deutsche Hochfinanz und die Imperialismen. Banken und Außenpolitik vor 1914, Stuttgart, Steiner, 1995, p. 83 sqq.
20 Voir Poidevin, op. cit., p. 66 sq. ; Thobie, Les intérêts…, op. cit., vol. 1, p. 321 sqq.
21 Voir Seidenzahl (F.), 100 Jahre Deutsche Bank 1870-1970, Francfort/Main, Deutsche Bank, 1970, p. 148 sq. ; Ducruet (J.), Les capitaux européens au Proche-Orient, Paris, PUF, 1964, p. 191 et p. 197 ; Koessler (A.), Aktionsfeld Osmanisches Reich. Die Wirtschaftsinteressen des deutschen Kaiserreichs in der Türkei 1871-1908, Fribourg en Brisgau 1981, p. 303 sq. ; Thobie, Les intérêts…, op. cit., p. 618 sqq.
22 Concernant les réserves émises par G. von Siemens à propos de la construction d’une ligne de chemin de fer jusqu’à Bagdad, voir Seidenzahl, 100 Jahre Deutsche Bank, p. 142 sqq. ; Helfferich (K.), Georg von Siemens, Ein Lebensbild aus Deutschlands großer Zeit, vol. 3, Berlin, 1923, p. 88 sq., 99 sq. et 104 sq. ; Gall (L.) et al., Die Deutsche Bank 1879-1995, Munich, C. H. Beck, 1995, p. 76.
23 Voir Lemke (H.), « Das Scheitern der Verhandlungen über die offizielle Beteiligung Frankreichs am Bagdadbahnunternehmen 1903 », in Jahrbuch der Geschichte 29, 1984, p. 227-262.
24 Voir Ducruet, Les capitaux européens, p. 203-207; FEIS (H.), Europe, the World’s Banker, New York, Yale University Press, 1965 (2), p. 350; Lodemann, Pohl, Die Bagdadbahn, p. 59; Francis (R.-M.), « The British Withdrawal from the Bagdad Railway Project in April 1903 », in Historical Journal 16, 1973, p. 168-178.
25 Barth, Hochfinanz, op. cit., p. 261.
26 Pour une étude du point de vue de l’histoire diplomatique pure, dans laquelle la majorité des aspects cités fait défaut, voir Schöllgen (G.), Imperialismus und Gleichgewicht. Deutschland, England und die orientalische Frage 1871-1914, Munich, Oldenbourg, 1984.
27 Voir Kampen (W. v.), Studien zur deutschen Türkeipolitik in der Zeit Wilhelms II, Kiel, 1968.
28 Barth, Hochfinanz, op. cit., p. 231.
29 Voir les archives de la ville de Francfort/Main, A. V., vol. 261, 21.01.1910, Borgnis à Hirschler, 24.01.1910, Hirschler à Borgnis.
30 Voir Barth, Hochfinanz, op. cit., p. 267-275.
31 Voir les archives politiques du ministère des Affaires étrangères allemand, Turquie 110, vol. 58, 26.09.1910, la Deutsche Bank à la Compagnie des chemins de fer d’Anatolie ; Poidevin, Les relations…, op. cit., p. 571 sq. ; les détails de la transaction sont indiqués dans les archives fédérales de Berlin-Lichterfelde, 80 Ba 2, vol. 23006.
32 Cette hypothèse est étayée par le fait que, parallèlement à cet emprunt, de nombreuses petites transactions entre les groupes bancaires allemands et français furent conclues sans difficulté, dont une partie était aussi sensible sur le plan politique. Voir les archives de la ville de Francfort/Main et les archives Bethmann, A. V., vol. 210, 17.10.1910, le Crédit Suisse à Bethmann Frères, 29.10.1910, le Crédit Suisse à Bethmann Frères. Voir aussi Mommsen (W. J.), « Europäischer Imperialismus vor 1914. Ein Beitrag zu einer pluralistischen Theorie des Imperialismus », in Historische Zeitschrift 224, 1977, p. 17-81, ici p. 43, note infrapaginale nº 46.
33 À ce sujet et sur l’histoire de la Deutsche Orientbank, voir le rapport de Wolfgang G. Schwanitz, Gold, Bankiers und Diplomaten. Zur Geschichte der Deutschen Orientbank 1904-1946, Berlin, Trafo, 2002; voir aussi Barth (B.), « Politische Bank wider Willen. Die Deutsche Orientbank vor dem Ersten Weltkrieg », in Zeitschrift für Unternehmensgeschichte 43, 1997, p. 65-88.
34 Concernant l’ensemble de ces difficiles négociations, voir les archives fédérales de Berlin-Lichterfelde, 80 Ba 2, vol. 10101 et les archives politiques du ministère des Affaires étrangères allemand, Turquie 152, vol. 66 ; voir aussi Thobie, Les intérêts…, op. cit., p. 878 sqq. ; concernant les accords, voir Ducruet, Les capitaux…, op. cit., p. 219 sq. ; Seidnezahl, 100 Jahre Deutsche Bank, op. cit., p. 235 ; Thobie, Les intérêts…, op. cit., p. 594.
35 Voir Barth, Hochfinanz…, op. cit., p. 451-455.
36 Steinmetz (W.), Die Deutschen Großbanken im Dienste des Kapitalexportes, Luxembourg, 1913, p. 1.
37 Voir Osterhammel (J.), Peterson (N. P.), Geschichte der Globalisierung, Prozesse, Epochen, Munich, C. H. Beck, 2003.
Auteur
Docteur en histoire de l’Université de Düsseldorf, professeur habilité d’histoire moderne et contemporaine à l’Université de Constance depuis 2005. Parmi ses domaines de recherche, figurent l’expansion européenne et l’impérialisme financier depuis les Temps modernes. Il a, entre autre, publié : Die deutsche Hochfinanz und die Imperialismen. Banken und Aussenpolitik vor 1914, Stuttgart, Steiner Verlag, 1995 ; (en codir. avec Jochen Meissner), Grenzenlose Märkte? Die deutsch-lateinamerikanischen Wirtschafsbeziehungen vom Zeitalter des Imperialismus bis zur Weltwirtschaftskrise, Hambourg/Münster, LIT-Verlag, 1995 ; (en codir. avec Jan Kren, Eduard Kubu et Josef Faltus), Konkurrenzpartnerschaft. Die deutsche und die tschechoslowakische Wirtschaft in der Zwischenkriegszeit, Essen, Klartext 1999 ; (en codir. avec Jürgen Osterhammel), Zivilisierungsmissionen. Imperiale Weltverbesserung seit dem 18. Jahrhundert, Constance, UVK, 2005 ; Dolchstoßlegenden und politische Desintegration. Das Trauma der deutschen Niederlage im Ersten Weltkrieg, Düsseldorf, Droste-Verlag, 2003 ; Genozid. Völkermord im 20. Jahrhundert. Geschichte, Theorien, Kontroversen, München, Beck-Verlag, 2006.
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