Conclusion de la deuxième partie
p. 475-477
Texte intégral
« Créer un Office du Blé, placé sous la gestion des producteurs, des consommateurs et de l’État – qui fixerait un prix rémunérateur pour le paysan, avantageux pour le consommateur – qui organiserait la vente coopérative de toute la récolte – qui aurait en main l’importation, le stockage, l’exportation – qui réprimerait exemplairement la spéculation et nationaliserait les consortiums de minoterie1. »
1Voilà comment un journal socialiste décrivait en 1934 le projet à réaliser. La loi d’août 1936, votée non sans luttes, l’a tenté, comme l’affirme le rapport sur la première année de l’Office :
« Cette loi s’est proposée essentiellement d’assurer aux producteurs de blé un prix rémunérateur et stable en adaptant aussi exactement que possible le débit de la production aux besoins de la consommation et, par voie de conséquence, de supprimer les intermédiaires qui grevaient antérieurement le prix de vente de la farine et du pain2. »
2Si de nombreux commentateurs y ont vu une solution idéologique au problème du blé, d’autres ont au contraire insisté sur son caractère novateur : « Ainsi l’office du blé constitue-t-il une solution originale du problème, une solution différente du système d’économie libérale et des systèmes d’économie collective basés sur la suppression de la propriété3. » Mais il est certain que la réglementation du blé est restée abondante et délicate, comme le note un juriste :
« Cette vue très sommaire des grandes étapes d’une législation aussi touffue dans sa technique que dans ses applications nous montre du moins les caractères dominants d’un prix minimum légal : la taxation devient de plus en plus complexe et détaillée ; elle rend une certaine place aux conditions normales du marché et à la loi d’offre et demande dont le prix légal ne peut faire complète abstraction mais qu’il cherche au contraire à utiliser et à dériver ; l’action sur les prix se renforce d’une organisation économique plus complète et plus efficace du marché4. »
3La création de l’Office du blé n’en reste pas moins une mesure symbolique de l’été 1936, et la designer Charlotte Perriand se souvenait avoir fait des photomontages pour la salle d’attente du ministère, « lieu de propagande pour le programme agricole du Front populaire » :
« Je proposai de consacrer les murs latéraux, l’un au pénible labeur, aux dures conditions de vie, aux mauvais rendements, aux calamités agricoles, l’autre, qui lui faisait face, aux progrès par la construction de routes, l’adduction d’eau, l’électrification, la vie radieuse ; sur le mur qui les reliait, les bienfaits attendus de la loi sur l’Office du blé : l’apport d’une juste rémunération, et la protection sociale au-dessus de la double porte d’entrée5. »
4Pour résumer la logique de la création de l’Office du blé, on peut suivre les propos de son initiateur Georges Monnet, tenus en Angleterre en février 19376. Commentant la situation qui prévalait à son arrivée au ministère de l’Agriculture, il affirme la nécessité d’organiser les marchés pour protéger les producteurs :
« Free trade in such a case simply means freedom for speculation. There can be no real freedom when the producer is not assured a fair return. Freedom presupposes organisation, and to allow a small minority to dictate prices to their own advantage at the expense of producers and consumers alike is the reverse of freedom7. »
5Il insiste sur l’idée que la situation difficile ne concernait pas que la France :
« The situation in all European countries is much the same ; agriculture has remained at the stage of individual production and producers almost everywhere continue to follow more or less traditional methods. On the other hand, the intermediaries between production and consumption have become fewer and fewer in number and more and more powerful and concentrated. Large firms exercise such authority against the interests of both producers and consumers that the State must intervene to protect both producers and consumers8. »
6Au cours de cette intervention, et dans un contexte où sa décision de non-revalorisation du prix du blé après la dévaluation a été fortement contestée, Monnet réaffirme sa position : « I feel that I am in complete accord with the real mind of the French peasant. The peasant sets great store by stability9. » Concernant le rôle de l’institution, Monnet se défie de l’accusation d’étatisme et explique nettement : « We did not think that the office du blé ought to be a public service, buying the wheat itself : the organisation rests entirely on co-operation by free association of the producers. » Il ajoute : « Our Office, I would repeat, does not administer: it supervises10. » Inquiet des éventuelles conséquences financières d’une surproduction, Monnet prend les exemples du sucre et du vin pour montrer que la limitation de la production est possible, et conclut : « With regard to wheat, we wanted to discourage over-production in the same way11. » La récolte de 1938 allait montrer toute l’ambiguïté de cette partie de la politique du blé et obliger à quelques réformes de l’Office. Un choc d’une ampleur plus considérable l’attendait cependant avec la Seconde Guerre mondiale.
Notes de bas de page
1 Al. Pagès, « Le problème du blé », La Revue de Cerdagne, 5, 5 avril 1934, p. 3.
2 Rapport sur le fonctionnement de l’Office national interprofessionnel du blé pendant la campagne 1936-1937, op. cit., p. 849.
3 A. Normand, Une expérience d’économie dirigée…, op. cit., p. 295.
4 Raymond-Yves Forestier, Les prix agricoles, Université de Paris-Faculté de droit, 1944, p. 236.
5 Charlotte Perriand, Une vie de création, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 89.
6 G. Monnet, « The Place of Agriculture… », art. cité. Il s’agit de la traduction d’une intervention de Monnet à Chatham House le 8 février 1937, sous la présidence de William Shepherd Morrisson, son homologue britannique. Citer un texte en anglais de Georges Monnet peut surprendre, mais, en dehors des interventions parlementaires et de quelques articles de journaux, on ne dispose pas de textes de Monnet revenant sur la période des débuts de l’Office. Cette intervention à Londres est de plus très intéressante compte tenu du moment où elle est faite et de la clarté du propos du ministre. Elle l’est aussi pour une des remarques que fait Morrisson dans sa courte intervention, quand il explique que, si la France doit tenir compte seulement de ces « home producers », « home millers », « home distributors » et « home consumers », la Grande-Bretagne a de plus à considérer « the overseas exporter who landed his goods on British stores » (p. 428).
7 Ibid., p. 419-420.
8 Ibid., p. 418.
9 Ibid., p. 422.
10 Ibid., p. 423.
11 Ibid., p. 425.
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