Conclusion de la première partie
p. 293-295
Texte intégral
1La situation, au début de l’année 1936, semble donc être redevenue plus simple sur le plan législatif et réglementaire, mais les affrontements politiques et syndicaux de la première moitié des années trente jouent un rôle clef pour comprendre les innovations de la majorité de Front populaire à partir de l’été. Les jugements sur toutes ces lois sont tranchés, et les juristes qui les commentent portent souvent un regard un peu désenchanté :
« L’ensemble des textes législatifs et réglementaires qui, de 1929 à 1936, ont constitué la législation du blé forment une des plus vastes expériences d’agriculture dirigée qui ait jamais été faite en France ; expérience dont l’ampleur se manifeste aujourd’hui plus par le volume imposant des textes que par la portée effective qu’ils ont eue1. »
2Au-delà de l’inefficacité, on en souligne l’incohérence :
« Toute une législation concernant le blé est née depuis lors, soit une douzaine de lois et plus de 275 décrets ou arrêtés ministériels, qui s’annulent, se répètent souvent et quelquefois se contredisent. […] Cette législation apparaît un peu chaotique ; les textes sont votés pour parer aux dangers du moment, sans se rattacher à une politique suivie, qui n’existait d’ailleurs peut-être pas2. »
3Une publication agricole parle, en avril 1936, à propos des lois, décrets et circulaires publiés de juillet 1933 à juillet 1934 et qui forment un volume de 720 pages, d’un « monument impérissable à la gloire d’un étatisme qui n’a rien résolu3 ».
4Certains dénoncent ces conséquences :
« La liquidation de l’expérience tentée de 1933 à 1935 est ainsi presque achevée ; conçue en fonction des intérêts des régions de grande production, en grande partie responsables de la crise, elle n’avait au contraire apporté qu’un secours illusoire à la masse des petits cultivateurs qui n’ont à leur disposition ni magasins de stockage, ni facilités égales de crédit4. »
5D’autres se livrent à des bilans équilibrés :
« On ne peut, de bonne foi, se dispenser de reconnaître à l’ancienne réglementation des imperfections nombreuses et variées. Toutefois, elle a réalisé quelque utilité et les intéressés, malgré l’aspect fragmentaire des textes, sont généralement d’accord pour estimer que sans elle, le désordre de la production n’eût pas été conjuré5. »
6La plupart reconnaissent en tout cas qu’au-delà des désaccords théoriques, toutes ces lois ont témoigné d’une volonté de défendre l’agriculture :
« Au cours de cette étude nous critiquerons âprement les erreurs du législateur en la matière, le manque de plan d’ensemble, les solutions démagogiques, la méconnaissance des lois économiques les plus simples et les mieux établies : nous devons cependant lui rendre dès l’abord cette justice, qu’il n’a jamais méconnu l’importance de la question du blé en France, qu’il a même peut-être exagérée en ne protégeant que le blé et non les céréales secondaires, que, dans tous les cas, avec la bonne volonté la plus évidente, il a fait tout ce qu’il a pu pour protéger les producteurs de blé6. »
7Dans le même sens, le juriste, engagé politiquement avec les démocrates-chrétiens, François de Menthon note, en octobre 1933 : « L’intervention de l’État était économiquement, socialement et aussi psychologiquement indispensable ; si elle fut tardive, les difficultés de l’économie dirigée et la grande pénurie de notre trésorerie en sont des excuses qui ont bien leur valeur7. » Le juriste spécialiste d’économie rurale Pierre Fromont tente d’équilibrer son jugement tout en se faisant critique : « Si les économistes dénoncent les enfantillages souvent dangereux de l’économie dirigée paysanne, ils se doivent de dénoncer également les manœuvres capitalistes qui leur ont préparé le terrain8. »
8L’économiste libéral orthodoxe Jacques Rueff résume ce moment autour de la loi de 1933 et de l’idée d’un prix minimum :
« Avant la guerre, par exemple, on essayait de relever le prix du blé en France en le protégeant contre la concurrence des blés étrangers. […] Par-là, le droit de douane maintenait des productions qui, sans lui, auraient disparu sous l’effet de la concurrence étrangère. […] En tout cas le droit de douane ne faisait pas obstacle à l’équilibre du marché du blé, puisque le prix intérieur se fixait au niveau qui assurait l’équilibre de la production et de la consommation. […] Mais dans l’après-guerre, en raison des perturbations profondes qui ont ravagé les marchés, ces interventions ont semblé insuffisantes. En plusieurs cas, les Gouvernements ont accordé aux intéressés la fixation pure et simple du prix par voie d’autorité. […] Heureusement, dans notre pays le régime du prix minimum a été supprimé sur le marché du blé. Mais le fait que le régime de taxation ait été possible, qu’il ait été considéré comme un moyen de parer aux perturbations économiques des dernières années, précise la différence profonde qui existe entre les systèmes d’intervention d’avant-guerre et ceux qui ont été et sont encore pratiqués actuellement9. »
9Dans le même sens mais en accentuant un autre phénomène, un autre économiste libéral, René Courtin, souligne, en décembre 1934 :
« Chaque groupe de producteurs ne s’occupe que de lui et, dès lors, il obtient satisfaction en fonction, non pas d’un plan général mais de son insistance, de son habileté ou de sa force électorale. En France, par exemple, nous n’avons connu que des lois de circonstances proposées par des groupements puissants et votées par des majorités inquiètes d’une révolte possible des intéressés : lois sur le blé, sur le vin et sur l’alcool10. »
Notes de bas de page
1 A. Normand, Une expérience d’économie dirigée…, op. cit., p. 81. Un autre juriste dit exactement, dans le même sens : « Lorsque l’on considère les mesures qui ont été prises en vue de limiter les effets de la crise agricole depuis 1929 et en particulier depuis 1931-1932, on reste frappé autant par leur nombre que par leur peu d’efficacité. », J. Sirol, « Les caractères actuels de la crise agricole et, en particulier, la crise du blé en France », Revue d’économie politique, janvier-février 1936, p. 146-188, p. 146.
2 A. Schoen, Le marché agricole français…, op. cit., p. 109.
3 L’Agriculture nouvelle, 4 avril 1936.
4 R. Maspétiol, « Le nouveau statut du blé en France », Revue économique internationale, février 1936, p. 279-291, p. 286.
5 C. Eber, A. Hot, Le blé en France, op. cit., p. 13.
6 M. Touzet, Le problème du blé en France et sa solution législative actuelle, avec le commentaire des décrets-lois du 30 octobre 1935, Bordeaux, Imprimerie René Samie, 1936, p. 6.
7 F. de Menthon, « La Politique du Blé », art. cité, p. 771.
8 P. Fromont, « La production agricole », in « La France économique en 1935 », Revue d’économie politique, 1936, p. 782-816, p. 794.
9 BNF, ms. fr., Fonds Pierre-Étienne Flandin, NAF 28201, boîte 65, Note du 23 mars 1935 de Jacques Rueff.
10 R. Courtin, « L’économie dirigée en face du libéralisme et du bolchevisme », L’année politique française et étrangère, décembre 1934, p. 380-391, p. 384.
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