Chapitre II. Les hésitations d’une politique entre fraudes et scandales
p. 101-202
Texte intégral
1Durant les années vingt, les tensions sur la vie chère et le prix du pain semblent dominer. Alexandre Duval exprime bien alors le problème du point de vue de la commission de l’agriculture de la Chambre des députés :
« Le prix de vente du blé doit-il résulter des besoins de l’ensemble des consommateurs ou des possibilités de production et d’approvisionnements ? Autrement dit : la vie à bon marché doit-elle être à la charge constante et exclusive de l’agriculture au bénéfice de la collectivité ? Votre commission a affirmé le principe que les cultivateurs doivent bénéficier d’une équitable rémunération. Cette décision, solennellement affirmée, doit servir de base à la politique agricole de la Chambre des députés1. »
2En contrepoint, dans une étude de 1937, un docteur en droit caractérise ainsi cette période : « La revalorisation des cours a été recherchée dans un renforcement de la protection douanière, puis, à partir de 1930, dans une certaine organisation du marché2. »
3En fait, à partir du milieu des années vingt, les mobilisations des agriculteurs et l’évolution du marché du blé trouvent des échos dans l’action politique. Entre 1929 et 1932, l’action des gouvernements et des parlementaires paraît hésiter sur les instruments à employer pour réguler le marché. Un jeune membre du Conseil d’État note, en décembre 1932 :
« La situation des cultivateurs, producteurs de blé, nécessite actuellement, pour des raisons économiques et sociales, l’intervention des pouvoirs publics. Cette intervention qui s’est manifestée dans le cadre d’une économie dirigée par une action indirecte sur les prix, doit, pour les mêmes raisons, être poursuivie en vue de soutenir les agriculteurs dans la crise actuelle. Cette crise ayant pris fin, se posera la question de savoir dans quelle mesure une intervention de l’État serait nécessaire3. »
4Au cours de ces débats, deux questions majeures sont abordées : le dispositif de l’admission temporaire et le fonctionnement de la Bourse du commerce. Au cœur de scandales et de dénonciations continues, ces deux questions sont abordées dès le début des années trente, mais trouvent un relief particulier avec le vote de la loi du 10 juillet 1933 sur le prix minimum. La question de la spéculation à la Bourse du commerce est particulièrement complexe et importante pour comprendre les arbitrages politiques et les enjeux judiciaires ultérieurs.
I. De la lutte contre la vie chère aux nouvelles interventions sur le marché
5Si les mesures législatives et réglementaires du milieu des années vingt sont encore marquées par une volonté de lutter contre la vie chère, l’évolution du marché du blé et les diverses revendications agricoles transforment progressivement les modalités d’intervention de l’État sur cette question. Les mesures douanières restent encore une dimension prioritaire de l’interventionnisme étatique, mais, peu à peu, d’autres éléments d’organisation du marché apparaissent : stockage, report, financement… Avec la préparation de la loi du 1er décembre 1929, qui marque une évolution en ce sens, comme avec les grandes interpellations parlementaires du début des années trente, le blé devient un enjeu politique important.
A. Marché libre ou marché taxé ?
6La lutte contre la vie chère, revendication des villes et des pouvoirs politiques, est régulièrement dénoncée comme attaquant les intérêts des agriculteurs en imposant des cours du blé trop faibles. Le député Duval résume bien ce point de vue en 1929 :
« La solution inélégante est presque toujours apportée par des arrêtés d’une légalité souvent douteuse, pris par le chef de la police parisienne et à ce titre redouté du préfet de police. Il brandit l’article 419 du Code pénal contre les travailleurs de la terre qui ne veulent pas peiner à perte. […] L’on peut affirmer que les auteurs de la vie chère sont ceux-là mêmes qui croient la faire baisser en imposant des réglementations qui sont inopportunes : économiquement, socialement, psychologiquement4. »
7La loi du 31 août 1924 règle les conditions de fixation des prix limites de la farine et du pain5.
8Un débat au Sénat, à la fin de l’automne 1924, rend bien compte de l’enjeu politique que constitue encore le pain. Le rapporteur de la commission de l’agriculture, Marcel Donon, intervient ainsi : « Si nous reconnaissons volontiers que le pain a perdu de son importance dans notre alimentation nationale, nous devons dire que nous sommes encore dans la période de transition où la vieille religion du pain indispensable conserve des adeptes fervents. » Et il en souligne bien les conséquences en termes d’intervention étatique dans un contexte politique spécifique :
« Il ne faut pas oublier que nous sommes aux prises avec une vague communiste inquiétante. Si vous voulez l’enrayer et donner satisfaction aux populations qui souffrent et éviter qu’elles ne grossissent le lot des mécontents, il est indispensable de sacrifier un peu de votre liberté, de façon à ne pas laisser le pain dépasser un taux excessif ; ce que nous vous demandons, c’est une garantie pour le maintien de la paix sociale6. »
9Certains représentants du monde agricole critiquent fortement les mesures prises durant cette période, comme la loi du 24 décembre 1924, puis celle du 26 juin 1925, parlant même d’une « législature anti-agricole » :
« L’énumération des lois et décrets concernant la production agricole pendant cette période montre l’aberration des législateurs s’imaginant qu’on pourrait indéfiniment imposer des sacrifices à l’agriculture sans ruiner l’économie nationale. La loi du 24 décembre 1924 supprime le droit de douane sur le blé par remboursement aux meuniers de droits perçus. M. Compère-Morel déclarait le 26 novembre 1924 lors de la discussion de cette loi : “les consommateurs peuvent être assurés que s’il était nécessaire de peser sur le marché pour empêcher la hausse du prix du blé indigène – qui n’est plus possédé maintenant par les petits et moyens cultivateurs – le Gouvernement prendrait les mesures nécessaires”7. »
10En janvier 1925, plusieurs députés radicaux et socialistes déposent une brève proposition de loi demandant la réquisition des blés et farines en vertu de la loi du 16 octobre 1915, qui avait établi la réquisition civile. L’exposé des motifs précise que le rétablissement de celle-ci « donnerait au Gouvernement l’arme la plus utile pour stabiliser les cours et empêcher la spéculation8 ».
11La loi du 26 juin 1925 décide la suppression temporaire du droit de douane sur les blés jusqu’au 15 juillet9. Les droits perçus sont remboursés à la meunerie. H. Queuille, ministre de l’Agriculture, envoie aux préfets une circulaire expliquant que « le Gouvernement entend qu’aucun effort ne soit négligé pour réduire le coût de la vie en commençant par le pain ». Le député Duval dresse un réquisitoire sévère de ces lois en 1929 :
« L’expérience faite du remboursement des droits de douane en vertu des lois des 24 décembre 1924 et 26 juin 1925 a prouvé, hélas ! D’une part, que les remboursements étaient quelquefois longs à se faire, en raison de formalités multiples exigées ; Que malgré ces difficultés, nées de précautions jugées nécessaires par l’administration, un certain nombre de meuniers n’avaient pu, en fait, profiter des mesures prises à leur égard ; Et d’autre part, que la suppression des droits de douane n’avait pas fait baisser le prix du blé du montant de la valeur. On arrivait à cette déduction pénible pour le Trésor français et nos producteurs que, dès que cette mesure était prise, les vendeurs étrangers exigeaient de nos acheteurs un prix supérieur à celui qui était demandé antérieurement et, en fait, bénéficiaient d’une forte partie du montant des droits supprimés10. »
12La loi du 3 juillet 1926 édicte à nouveau la suppression temporaire du droit de douane sur l’importation des blés tendres jusqu’au 10 août11. Le remboursement des droits perçus peut être effectué aux meuniers par simple décret. La loi du 9 août 1926 a pour objet la compression des prix des denrées alimentaires12. Elle impose la déclaration obligatoire des blés, la communication du registre des entrepreneurs de battages, et établit un permis de circulation des blés, qui doivent être accompagnés d’une pièce de régie lorsqu’ils sont livrés en dehors du canton. La loi prévoit que le taux d’extraction des farines et l’incorporation des succédanés pour la fabrication du pain seront déterminés par décret. Le député Duval, devant la commission de l’agriculture de la Chambre des députés, en novembre 1928, critique fortement ces mesures : « Parmi les causes de la crise dont souffre l’agriculture, il y a les erreurs politiques (erreurs de programme ou d’application) et l’influence néfaste des lois des 31 août 1924 et 9 août 192613. » Dans son rapport de 1929, il note, à propos de la loi de 1926 : « Cette loi, conçue en l’absence de souci de protection du producteur, l’a été avec le désir de rechercher et obtenir des mesures de nature à peser sur les prix14. »
13Un Office des céréales panifiables est modifié par cette loi15. Un décret du 26 août 1926 en fixe la composition : 30 représentants des intérêts agricoles (dont quatre représentants du ministre) et 30 représentants des intérêts du commerce, de la meunerie et des consommateurs16. Mais cet office semble avoir eu un fonctionnement prêtant à discussion ; Duval conclut que cet office devient « un centre d’information pour les spéculateurs. Il n’est pas malaisé de constater à la lecture du mouvement en douane, que cette affirmation est malheureusement trop vraie17 ».
14Parmi les commentaires à propos de ces mesures législatives, le chroniqueur attitré de la Revue politique et parlementaire pour les questions agricoles, Daniel Zolla, se montre très critique et, de manière intéressante, mobilise des citations de Creuzé-Latouche et des débats de 1793 sur les lois de maximum. Sa conclusion est prudente : « S’abstenir de toute mesure capable d’inquiéter les producteurs18. » Quelques mois plus tard, Zolla proclame son libéralisme sur les questions du blé :
« Les profits réalisés par l’agriculteur sont bien moins élevés que le public ne l’a supposé. Au contraire, ces profits sont-ils insuffisants ? Nous ne le pensons pas. Ils sont réglés par le jeu normal des lois économiques. Rien n’autorise nos groupements agricoles à fixer eux-mêmes arbitrairement, par l’action de véritables trusts, les prix “rémunérateurs”. Ceux-ci doivent résulter de la concurrence et de la liberté du travail19. »
15Joseph-Honoré Ricard, ingénieur agronome et ancien ministre de l’Agriculture, condamne dans les pages de la même revue l’idée de restreindre les exportations pour aider au prix bas du pain :
« Presque toujours les prohibitions et restrictions des ventes de produits agricoles à l’extérieur sont décidées dans la pensée de provoquer une plus grande abondance sur le marché national, et d’amener, sinon une baisse, du moins une entrave à la hausse des cours. Ce souci de lutter contre le renchérissement excessif des denrées est, en soi, louable. Mais maintenant, on a procédé à assez d’expériences pour savoir si ce calcul est fondé ou non. Or, leurs résultats ne prêtent pas à équivoque : ils prouvent que, dans la plupart des cas, de telles interventions sont vaines, et qu’il en est de néfastes20. »
16Au-delà de quelques mesures techniques21, il semble que, dans les négociations commerciales, la situation de l’agriculture ne soit pas toujours favorable. Ainsi, André Tardieu, lorsqu’il est ultérieurement ministre de l’Agriculture, revient sur son expérience comme parlementaire durant ces années-là :
« Depuis bien des années, le ministère de l’Agriculture a servi, dans les négociations commerciales, de monnaie d’échange. Quand il fallait assurer une légère amélioration aux automobiles, aux productions industrielles, on cédait quelque chose sur l’agriculture… Nous avons conclu en 1927 une série d’accords commerciaux. J’étais à ce moment-là au Parlement. J’étais même au Gouvernement, sans être d’ailleurs chargé de négocier ces accords. Je n’ai pas le souvenir que leur ratification par les Chambres ait rencontré de difficultés. Et pourtant !… Les accords commerciaux ont certainement sacrifié l’agriculture à l’industrie. Il n’y a pas de doute. On a aggravé l’effet de cette politique par les consolidations, qui ont privé la France de sa liberté tarifaire pour 72 % des articles de son tarif, parmi lesquels j’ai le regret de constater que figuraient tous les produits du sol français. Ce fut une erreur fondamentale22. »
17En 1929, les producteurs de blé, par la voix de Pierre Hallé, font clairement entendre leur position :
« Le problème se pose de la façon la plus nette : c’est l’existence même de la culture du blé qui, dans la plus grande partie de la France, est en jeu, et les remèdes appliqués jusqu’ici ont été insuffisants à enrayer le mal. S’il en est ainsi, croyons-nous, c’est parce que les dangers de cette situation n’ont pas été exposés à l’opinion publique dans toute leur gravité23. »
18Il ajoute, dans le même sens :
« À quoi tient l’échec des mesures douanières prises ces dernières années en faveur de la production du blé et dont nous avons montré dans un précédent article qu’elle n’ait pas engagé le fléchissement progressif de cette culture ? On peut l’affirmer, s’il en est ainsi, c’est que depuis la guerre nos gouvernements successifs n’ont jamais eu une Doctrine, en matière de politique du blé : Balancés entre deux conceptions, celle de “faire bon marché” et celle de “blé rémunérateur” ils n’ont été capables – en face d’une transformation profonde du Marché Mondial du blé qui eut exigé un plan d’action mûrement étudié, un objectif précis et des directions fermes – que de mesures de circonstances. Colmatant de-ci de-là les fissures de notre politique agricole ; donnant quelques apaisements aux uns quand leur mécontentement était trop vif ; prêts à faire machine arrière pour calmer les autres, nos dirigeants n’ont jamais eu, n’ont même pas cherché à avoir une politique du blé. […] En fait, notre politique du blé est restée dominée depuis la guerre par la hantise du pain cher aggravée par toutes les surenchères de la politique24. »
19La conclusion annonce les débats des années de crise :
« Ce que les agriculteurs demandent aux Pouvoirs publics c’est de choisir, de savoir ce qu’ils veulent. S’ils adoptent la première solution, qu’ils le disent franchement et ne persistent pas à encourager, en paroles, une culture qui ne paye plus. S’ils adoptent la seconde, qu’ils aient le courage de leur décision ; qu’ils éclairent l’opinion publique. Ce serait plus facile qu’on le pense. Les producteurs ne veulent pas le “pain cher” ; ils veulent seulement que le pain et le blé soient payés à leur valeur pour être eux-mêmes payés de leurs peines25. »
B. Un premier tournant en 1929 ?
20Le député Alexandre Duval pose bien les enjeux de la situation à l’automne 1929 :
« Les conditions de la production, la mévente des produits, l’effondrement des prix, l’émotion causée par les difficultés des budgets des agriculteurs, le défaut d’organisation de la vente et de logement des blés ont, avec l’impulsion de l’opinion publique, des chambres d’agriculture, des associations et d’un certain nombre de parlementaires, provoqué la mise à l’étude immédiate de cette question26. »
21Dans le même sens, une note ministérielle, qui dresse le bilan de la politique agricole pour les années 1929-1930, insiste sur l’ensemble des revendications des organisations agricoles à partir du début de l’année 1929 :
« Au début de 1929, les Présidents des Chambres d’agriculture poussaient un véritable cri d’alarme pour signaler aux Pouvoirs publics la détresse de l’Agriculture. Les causes principales étaient : 1. La surproduction mondiale née de la guerre ; 2. L’apparition de la concurrence internationale pour tous les produits du sol ; 3. La politique d’intensification conseillée aux producteurs français après l’armistice ; 4. La défense insuffisante de l’agriculture française dans les accords commerciaux de 1927-192827. »
22La commission de l’agriculture de la Chambre des députés débat de ces questions dès l’hiver 1929, autour d’une proposition de loi tendant à établir le prix de vente du blé en rapport avec le coût de sa production et le prix du pain en rapport avec le prix du blé, mais les premiers arbitrages sont assez neutres : « La commission à l’unanimité, affirme le principe que le cultivateur doit avoir une équitable rémunération. […] La commission estime que la déclaration de récolte n’est ni possible ni souhaitable28. »
23Dès le mois de juin 1929, le radical Henri Queuille et de nombreux députés de son parti déposent une proposition de loi tendant à améliorer les conditions de vente des blés indigènes. Le refus de toute idée d’office est clairement exprimé : « La fixation annuelle du cours du blé entraîne d’ailleurs – si on veut que le prix officiel soit respecté – l’institution du monopole d’achat par l’État, avec – c’est fatal – le droit de contrôle et de réquisition. Cela doit nous la faire rejeter29. » Les mesures envisagées concernent les questions du financement des récoltes et l’encouragement aux magasins coopératifs. Un observateur note :
« Une émotion assez vive s’est manifestée dès les premiers jours de septembre chez les défenseurs patentés des intérêts de l’agriculture au Parlement. Ils ont rivalisé d’empressement pour annoncer que dès la rentrée des Chambres – fixée au 22 octobre – ils interpelleraient le gouvernement sur les mesures qu’il compte prendre pour empêcher le renouvellement des fluctuations désordonnées qui se sont produites sur le marché du blé30. »
24Jean Hennessy31, ministre de l’Agriculture, multiplie les discours sur le sujet à partir de la rentrée de septembre 1929. En Charente, il explique ainsi :
« En l’absence des Chambres, le gouvernement ne peut pas prendre de telles mesures par voie de décret : des lois ont fixé strictement les conditions de ces formes de transaction, ou les prohibitions existantes. Des lois seules peuvent les modifier. J’étudie en ce moment avec grand soin les dispositions qu’il conviendrait, le cas échéant, d’adopter et les répercussions qu’elles peuvent avoir, tant au point de vue des finances publiques que de l’économie générale du pays32. »
25Hennessy adresse aux préfets une circulaire le 20 septembre 1929, dans laquelle il se montre assez interventionniste. Hennessy recommande aux préfets de soutenir le rôle des caisses de Crédit agricole. Son propos explique pour une part les mobilisations de l’automne 1929 :
« À la suite de notes parues dans la presse tendant à accréditer la nouvelle d’une récolte de blé surabondante, les cours de cette céréale ont fortement baissé avant même que les résultats de l’enquête faite chaque année à ce sujet par les directeurs des services agricoles eussent été publiés. J’ai immédiatement mis les agriculteurs en garde contre les inconvénients que présenteraient des offres de vente trop précipitée et vous pouvez encore utilement attirer leur attention sur l’intérêt qu’il y a pour eux à ne vendre que progressivement le blé de leur récolte. S’ils sont dans l’obligation de se procurer des ressources pour payer leurs fermages, les salaires des ouvriers, les engrais qu’ils vont mettre dans leurs terres pour les prochains labours, etc., ils peuvent obtenir des caisses de Crédit agricole de prêts à court terme qui leur permettront d’échelonner la vente de leurs produits33. »
26À l’automne 1929, Duval présente son rapport général sur la proposition Queuille et d’autres textes parlementaires. À la commission de l’agriculture de la Chambre, le débat est plus vif, et la position adoptée bloque les propositions socialistes portées par Georges Monnet : « La commission déclare être, en principe, opposée à la création de l’Office du blé et décide de ne pas prendre de position définitive avant d’être saisie du projet du Gouvernement34. » Le gouvernement dépose un projet de loi en novembre 1929, qui prévoit la réforme de l’admission temporaire et donne de nouveaux instruments d’intervention au ministre de l’Agriculture. L’idée principale est de permettre au ministre de déterminer un pourcentage des farines provenant des blés indigènes à incorporer obligatoirement aux farines destinées à la panification. L’exposé des motifs précise clairement que l’« il ne peut être, en effet, question de prohiber l’importation des blés étrangers : ce serait aller à l’encontre des principes de notre politique internationale, et notamment de la convention de Genève que le Parlement a précédemment ratifiée35 ».
27Le ministre Hennessy vient défendre le détail de son projet devant la commission de l’agriculture, où il est vivement interpellé par un député républicain-socialiste de l’Eure-et-Loir, Henri Triballet, qui lui pose une question témoignant de ses doutes : « Croyez-vous que ces mesures soient suffisantes pour permettre un relèvement du prix du blé36 ? » À la fin du mois de novembre, la commission de l’agriculture suit les différents amendements et les modifications votées au Sénat. Le débat qui s’engage à la Chambre voit les socialistes proposer à nouveau un projet de monopole des céréales contré par les radicaux et Queuille37, le gouvernement ayant même posé la question de confiance. Au cours de la navette parlementaire, le rapporteur de la commission de l’agriculture du Sénat avait demandé la suppression totale des importations de froment étranger suivant un argument intéressant : la convention de Genève prévoyant la possibilité pour les États d’intervenir « pour sauvegarder, dans des circonstances extraordinaires et anormales, les intérêts vitaux des pays », Marcel Donon indique dans son rapport : « Nous pourrions invoquer ces circonstances extraordinaires et anormales, étant donné que la culture du blé se trouve dans une situation critique nécessitant des mesures exceptionnelles. » Mais il accepte la solution proposée par le gouvernement : « afin d’éviter des représailles à l’heure où nous désirons pratiquer une politique d’exportation devenue nécessaire, il a paru prudent d’employer une autre méthode devant aboutir au même résultat, sans éveiller de susceptibilités38 ».
28La loi finalement adoptée donne donc de nouveaux instruments au ministre de l’Agriculture, même s’il s’agit encore de jouer indirectement sur les droits de douane39. La loi de décembre 1929 abroge la loi du 15 juillet 1922 qui interdisait d’employer du blé à la nourriture des animaux. Les réactions sont assez contrastées face aux conséquences de cette loi. Les agriculteurs s’en félicitent plutôt tout en se plaignant de son caractère tardif :
« Certes, la loi récente s’inspire pour bonne part, de ces suggestions, mais malheureusement différée par les vacances parlementaires et par de vaines et laborieuses opérations politiques, elle arrive cinq mois trop tard, aussi la pente descendue sera-t-elle difficile à remonter40. »
29André Guignard, un homme du négoce de grain, se montre beaucoup plus réservé :
« Mais avec la loi du 1er décembre 1929 commence – s’affirme plutôt – une nouvelle politique “l’économie dirigée” dont l’aboutissement fatal semble devoir être à plus ou moins brève échéance, la création de l’Office du blé et des céréales panifiables c’est-à-dire l’institution d’un organisme d’État, seul acheteur et seul répartiteur de ces produits. […] L’initiative privée ne produit ses effets que dans la liberté. Revenons donc à la liberté : – Mieux et plus que tous les règlements, elle sait assurer le juste prix et l’équilibre41. »
30Dans les pages de la Revue politique et parlementaire, l’économiste Edgard Allix note à propos de cette loi que c’est « une loi curieuse à bien des égards42 ». Il attaque ce qu’il nomme un « protectionnisme administratif » et conclut :
« Les lois hâtivement votées en cette fin d’année n’étaient sans doute que des mesures d’expédient, provoqués par des circonstances exceptionnelles. Elles n’en sont pas moins un déplorable précédent. L’arbitraire et le faux-semblant y voisinent et il est à redouter que, par leurs répercussions extérieures, elles ne fassent finalement plus de mal que de bien43. »
31L’économiste attaque les discours qui proposent une politique de croissance de la production céréalière débouchant grâce à des exportations : « Attachons-nous à produire suffisamment pour nos besoins, mais non à produire au-delà de notre consommation, et ne nous laissons pas séduire par le mirage décevant d’une politique grandiose d’exportation des céréales44. » À l’opposé, le jeune docteur en droit Jean Sirol a une vision positive de cette loi : « Quels que soient ses défauts, elle marque la volonté très nette du Parlement de se défendre énergiquement contre les importations de blés étrangers, en même temps qu’elle reflète l’importance (dont on s’est enfin rendu compte) de la production agricole45. » Un étudiant de l’École libre des sciences politiques note quant à lui : « Ce n’est plus la monnaie dirigée, mais le blé dirigé avec tous les aléas que comporte la direction d’un tel volant par des mains ministérielles46. »
32La loi du 1er décembre 1929 pose des problèmes d’application et implique une première interaction entre l’administration de l’agriculture et le monde judiciaire. Une note de la direction criminelle d’août 1932 note la procédure :
« Les poursuites sont exercées à la diligence de M. le ministre de l’Agriculture qui signale à la Chancellerie les infractions relevées par les fonctionnaires du service du contrôle des céréales panifiables. Le ministère de la Justice saisit alors les Parquets généraux compétents auxquels des instructions ont été données pour que dans ces affaires qui intéressent l’économie nationale, une application stricte et rapide de la loi pénale, intervienne47. »
33Le bilan de l’application de la loi indique à cette date la réception de 318 plaintes, sur lesquelles 112 jugements de condamnation ont été prononcés, les cours d’appel étant saisies de 11 appels, 27 décisions de relaxe ou non-lieu sont intervenues et 168 poursuites étaient alors en cours48. Les non-lieux ou relaxes sont rendus en faveur de certains inculpés boulangers ou négociants en farine, car la jurisprudence de la cour de cassation a décidé que les termes de la loi ne permettent pas de prononcer des peines contre d’autres personnes que les « meuniers » (arrêt de la chambre criminelle du 18 mars 1932). Une loi modifie donc un des alinéas, et le nouveau texte indique :
« Des décrets rendus sur la proposition du ministre de l’Agriculture fixeront, à l’égard des meuniers, de tous détenteurs de blés et farines ainsi que des différents intermédiaires se livrant à des transactions sur les mêmes produits, toutes les mesures du contrôle nécessaires à l’application de la présente loi49. »
34Ces difficultés perdurent malgré l’évolution générale de la législation sur le blé. Ainsi, le 7 juin 1934, un arrêt de la chambre criminelle de la cour de cassation annule une décision de la cour d’appel de Douai du 16 février 1934, qui avait relaxé un meunier n’ayant pas employé le pourcentage minimum réglementaire de blé indigène fixé par le ministre de l’Agriculture. La cour de Douai justifiait la relaxe par le fait que le prévenu « avait agi de bonne foi et qu’il n’était pas établi qu’il avait dépassé volontairement le pourcentage légal de blé exotique50 », mais le procureur général avait interjeté pourvoi. La cour de cassation indique qu’il s’agit d’une « infraction purement matérielle qui existe par le seul fait qu’il n’a pas été procédé conformément aux prescriptions réglementaires sans qu’il y ait lieu d’exiger, pour l’existence du délit, un élément intentionnel non prévu par la loi51 ». L’arrêt est d’ailleurs commenté dans la presse juridique comme « extrêmement important », car « le meunier qui dépasse le pourcentage de blés indigènes à mettre en œuvre pour la fabrication de ses farines est donc punissable, soit qu’il ait agi volontairement, soit, au contraire, qu’il ait agi de bonne foi52 ».
35La loi du cadenas du 13 décembre 1897 est également modifiée par la loi du 1er décembre 192953. Le gouvernement peut dès lors majorer le droit de douane par décret rendu en Conseil des ministres sous réserve de ratification ultérieure. Par ce procédé, en mai 1930, le droit de douane antérieur de 50 francs par quintal est porté à 80 francs. Mais les milieux agricoles se plaignent que l’action ne soit pas efficace pour faire monter les cours du blé54. L’utilisation de la loi du cadenas provoque des tensions entre des ministères aux intérêts divergents. Au ministère du Commerce, on note ainsi sévèrement l’attitude de l’Agriculture :
« Je me permets d’appeler à nouveau très respectueusement l’attention de Monsieur le ministre sur les inconvénients qui peuvent résulter des méthodes nouvelles que nous impose le ministère de l’Agriculture en ce qui concerne l’application de la loi de cadenas. Les conditions dans lesquelles a paru le décret du 19 juillet modifiant certains droits de douane en apportent une dernière preuve. Tout d’abord, ma direction ayant été tenue dans l’ignorance absolue de la préparation de ce décret, comme aussi de sa parution, je me suis trouvé personnellement dans la situation la plus fausse à l’égard des personnalités étrangères que j’ai reçues. […] D’autre part, la teneur même du décret du 19 juillet aurait mérité, ce semble, d’être examinée avec beaucoup d’attention. […] Au surplus, je tiens à signaler une fois encore à Monsieur le ministre combien les négociations économiques sont rendues difficiles par l’attitude systématiquement négative du ministère de l’Agriculture55. »
36Dans un débat parlementaire très vif de janvier 1931, Flandin revient sur cette expérience pendant laquelle il était ministre du Commerce du gouvernement Tardieu :
« Il y a un moyen que tous les gouvernements ont toujours employé, avec plus ou moins de succès, mais qu’ils ont le devoir d’employer avec une discrétion absolue. Ce moyen, c’est vous, membres du Parlement, qui l’avez donné au Gouvernement, et je vous assure que c’est une singulière responsabilité pour ceux qui ont à l’employer : c’est le droit de douane décrété en vertu de la loi de cadenas. Il s’agit de ce droit de douane que l’on peut faire jouer en cinq minutes, par décret pris en Conseil des ministres et publié au Journal officiel. Certes, nous n’avons, ni les uns, ni les autres, perdu le souvenir de certains incidents qui se sont produits dans un lointain ou dans un proche passé et qui ont donné lieu à quelques remous dans l’opinion parlementaire. Mais ce sera ma fierté de déclarer que cette loi de cadenas, mon collègue le ministre de l’Agriculture et moi, nous l’avons fait pour jouer sept fois et que, pas une fois, personne n’a pu connaître, même cinq minutes avant que ne parût le décret au Journal officiel, quel était le nouveau droit de douane applicable aux importations56. »
37Il faut cependant être attentif à une note anonyme en date du 15 mars 1930, retrouvée dans les papiers de Flandin, où l’on découvre ce commentaire : « L’augmentation de la protection agricole aboutirait à un relèvement du coût de la vie. L’agriculture française doit rechercher d’autres solutions57. »
38Concernant l’évolution de la politique douanière pour les blés, un juriste propose un commentaire :
« Il est curieux de noter […] sur une question si importante, le dessaisissement graduel du Parlement entre les mains du gouvernement, en matière douanière. Il est quelque peu étrange de constater que, dans un régime aussi foncièrement démocratique et libre qu’est la France, une telle politique ait pu être conduite par le gouvernement à coup de véritables décrets-lois, sans autre reddition de compte que des discours dans des congrès ou des banquets, où les applaudissements reçus semblaient autant de votes massifs de confiance de la part de la Nation58. »
39Le jeu sur le pourcentage ouvert par la loi de décembre 1929 se poursuit dans les années suivantes : le décret du 26 juillet 1930 porte le pourcentage d’incorporation de 3 à 10 %, puis à 25 % en avril 1931, puis à 30 % ; le décret du 24 juillet 1931 le ramène à 10 %, puis, le 24 novembre, à nouveau à 3 % ; en 1932, le pourcentage est porté à 10 % le 30 janvier, puis à 40 % le 27 mars59. Une loi du 30 avril 1930 autorise le ministre de l’Agriculture « à engager les dépenses nécessaires pour entretenir un stock de sûreté de blés et farines destiné à assurer l’alimentation de la population », et ce « dans la limite d’un crédit de 30 millions de francs60 ». Un décret du 31 mai 1930 complète les dispositions de la loi en faisant intervenir l’intendance pour garantir les marchés passés concernant les stocks. Un décret du 6 septembre 1930 adapte ce stockage aux résultats de la récolte. Un juriste note justement à ce propos : « Le grand obstacle à un tel procédé est évidemment la limite des possibilités financières des nations qui le pratiquent61. »
40Le vote d’une nouvelle loi en avril fait naître des commentaires acerbes :
« La loi prorogeant jusqu’au 31 juillet l’effet de celle du 1er décembre 1929 sur le commerce du blé vient d’être votée. À cette occasion, nous avons entendu les paroles très sages et très prudentes de notre nouveau ministre de l’Agriculture, M. Fernand David. Nous avons, hélas ! dû écouter aussi l’habituelle collection des déclamations démagogiques et des mêmes erreurs économiques62. »
« Puisque gouverner c’est (comme spéculer) prévoir, le Parlement doit prendre avant la prochaine récolte les mesures économiques de longue haleine qui s’imposent pour développer nos débouchés intérieurs et extérieurs et parer aux inconvénients d’un marché clos par une haute barrière douanière chaque fois que les offres des producteurs dépassent les demandes, en sommes régulières, de la consommation. Ces mesures, on les connaît et on les étudie : peut-être les votera-t-on bientôt63. »
41Les économistes tenants de l’orthodoxie libérale dénoncent dès ce moment la « tyrannie étatiste64 ».
42Une proposition de loi originale est déposée par les députés radicaux de la Marne Alfred Margaine et Raymond Férin le 3 juin 1930, ayant pour objet la stabilisation des cours du blé en France. L’exposé des motifs est virulent contre les mesures prises décrites ainsi : « inopérantes, si tant est qu’on ne soit pas amené à constater que les personnes qui s’adonnaient aux opérations commerciales sur ce produit ont trouvé dans toutes ces mesures successives une source féconde en bénéfices exceptionnels65 ». Les deux parlementaires proposent la constitution d’une « société commerciale au capital de 400 millions de francs dont 395 millions [seraient] souscrits par l’État. […] Ladite société [pourrait] seule procéder aux importations et exportations de blé66 ».
43En juin 1930, au nom de la commission de l’agriculture de la Chambre, Alexandre Duval dresse un nouveau rapport dans lequel il se prononce à la fois sur diverses propositions de loi et de résolution et fait le point sur l’évolution des débats depuis l’automne précédent67. Parmi les textes parlementaires discutés, on peut noter celui de Camille Ferrand, qui tend « à établir un prix minimum pour la vente du blé », ou celui d’Hubert Pradon-Vallancy et plusieurs de ses collègues, tendant « à établir un cours officiel du blé68 » – mais Duval rappelle que la commission de l’agriculture a refusé ce principe de fixation d’un prix minimum et celui des projets d’office lors de sa séance du 6 février 192969. La particularité de la démarche consiste à la fois à faire le bilan des textes réglementaires (en particulier les circulaires successives) et à établir des études sur d’autres expériences nationales (Allemagne70, États-Unis et Canada71, Suisse72).
44La circulaire du ministre de l’Agriculture aux préfets, le 20 mai 1930 indique assez bien encore les hésitations sur la doctrine politique pour ces questions :
« La période actuelle de variations rapides des cours du blé rend plus nécessaire encore votre vigilance avertie en ce qui concerne la surveillance des relations normales entre les prix du blé et ceux de la farine et du pain. Il importe que, le plus possible, ces relations résultent du libre jeu de la concurrence, à la fois sur les prix et sur la qualité des farines et du pain73. »
45Les pages du rapport Duval sur la question des warrants ont un ton un peu vif. Le rapporteur rappelle l’adoption par la Chambre d’un projet de loi en 1927, bloqué au Sénat, et conclut :
« De ce projet, nous ne retiendrons que la preuve nouvelle qu’il apporte à l’impuissance du Parlement à mettre réellement en vigueur la loi sur les warrants agricoles, il faut même dire d’une façon plus absolue de l’impossibilité qu’il y a à faire du warrant agricole un moyen utile de crédit tant qu’il ne sera pas établi par des méthodes entièrement nouvelles74. »
46Les conclusions sont générales mais elles indiquent l’optique de la commission de l’agriculture :
« 1° Modifier et compléter le décret du 20 mai 1930 sur l’admission temporaire ; 2° Renforcer les moyens et l’application de la loi du 30 avril 1930 sur le stockage des blés ; 3° Encourager la création de greniers collectifs avec moyens de financement des récoltes ; 4° Mettre temporairement en usage le bon d’importation ; 5° Organiser une comptabilité douanière hebdomadaire des blés ; 6° Provoquer la réforme du marché réglementé de Paris avec admission des agriculteurs à la cotation ; 7° Réformer le régime de l’entrepôt des douanes ; 8° Réformer la fiscalité agricole75. »
47La commission reste en particulier réticente face à des solutions trop étatistes : elle « a pensé que l’initiative privée, orientée, dirigée, aidée, encouragée, était seule capable, sous des contrôles quelquefois nécessaires, de nous conduire vers le but envisagé76 ».
48En juillet 1930, une querelle éclate entre André Tardieu, président du Conseil, et le député Léon Meyer, un radical, maire du Havre et courtier (en café) de métier. Meyer est un partisan de la lutte contre la vie chère, et dans une lettre à Tardieu, il l’attaque très vivement : « Il est à peine croyable que, devant une situation aussi troublante, vous n’ayez pas cru devoir vous renseigner au jour le jour afin d’éviter des sorties qui devaient amener ce que nous constatons aujourd’hui : la disette et la hausse77. » Le jeu politique n’est cependant pas absent de ces polémiques, comme le montrent les événements de décembre 1930 et janvier 1931.
C. La chute d’un gouvernement
49Le ministère Steeg, formé à la mi-décembre 1930 avec une majorité précaire, connaît une courte existence et il n’est pas en cela forcément original durant cette période. Par contre, il est un cas rare, puisque sa chute politique, le 22 janvier 1931, se fait sur une interpellation touchant la politique du blé. Le problème initial naît en décembre d’un désaccord entre Victor Boret, ministre de l’Agriculture, qui entend faire monter le prix du blé et Léon Meyer, sous-secrétaire d’État à l’économie nationale, qui veut que le prix du pain diminue. Meyer reproche à Boret des déclarations intempestives sur des sujets pour lesquels le Conseil des ministres n’a pas délibéré.
50À la Chambre, en janvier 1931, le débat est assez vif sur les déclarations ministérielles et leurs conséquences pour le marché. Le député conservateur de l’Ain, ingénieur agronome de formation, Pierre de Monicault attaque le dissensus gouvernemental :
« À propos de la politique des céréales, on nous a dit – je n’insisterai pas, car je n’aime pas m’appuyer sur des on-dit, mais cela peut avoir sa valeur – qu’il y avait eu quelquefois conflit entre certains membres du Gouvernement au sujet des idées émises dernièrement par quelques-uns d’entre eux et des projets actuels annoncés dans la presse78. »
51Alexandre Duval, le rapporteur de la commission de l’agriculture, interpelle le ministre Victor Boret :
« Que voyons-nous ? M. le ministre de l’Agriculture a donné une interview, il y a huit jours. Il a prévenu tous les spéculateurs. Ils ont su qu’ils pouvaient travailler, qu’ils pouvaient spéculer. Monsieur le ministre, c’est un reproche que je fais au nom des agriculteurs79. »
52Boret lui répond vivement, lui reprochant des « termes un peu véhéments et presque discourtois » qui l’accusent « d’avoir fait bénéficier un certain nombre d’industriels d’une information à leur profit », et il affirme qu’il a « le droit de déclarer [qu’il n’a] point caché, en arrivant au Gouvernement, que [son] intention était de faire monter le prix du blé à 175 fr.80 ».
53Quelques jours plus tard, le radical-socialiste Louis Buyat interpelle le gouvernement « sur le désaccord public et persistant, au sein du cabinet, qui favorise une spéculation parfaitement nuisible aux agriculteurs et aux consommateurs81 ». Son attaque se fait dure sur la question :
« Ce que je vous reproche, Monsieur le ministre de l’Agriculture, c’est d’avoir donné à votre désir, à votre idée, une singulière publicité. […] Il y a […] dans les cabinets ministériels, dans les antichambres, sur les avenues du pouvoir, certains affairistes qui rôdent volontiers. […] Monsieur le ministre, je ne veux pas employer d’expression blessante, mais il est fâcheux que le président de la minoterie française reçoive la faveur de vos confidences82. »
54Boret lui répond fermement : « Vous m’avez reproché, Monsieur Buyat, d’avoir facilité la spéculation. Vous n’avez apporté aucune preuve de cette allégation. J’ajoute qu’il n’y a pas eu de spéculation dommageable pour l’agriculture83. » Et il contre-attaque vivement en accusant Buyat d’avoir été « vraisemblablement sollicité par un certain nombre de courtiers mécontents, qui avaient pris position… » Buyat dénonce une « insinuation intolérable » et surenchérit contre Boret : « Vous représentez, que vous le vouliez ou non, le haut commerce intéressé84. » Boret tente de répondre sur le fond :
« Véritablement, Monsieur Buyat, pouvez-vous me reprocher d’avoir pris consultation de tous les intéressés, de tous les meuniers, de tous les commerçants en grains, de leur avoir montré que les procédés qu’ils avaient pratiqués jusque-là ne pouvaient pas continuer plus longtemps ? Je dis nettement : non85. »
55Mais la défense de Boret se heurte à un débat parlementaire où les intérêts politiques s’affirment – ce d’autant que Boret, au Sénat, avait aidé à la chute du cabinet Tardieu en décembre, ouvrant la voie à la formation du gouvernement Steeg. Flandin, ministre du Commerce dans le précédent gouvernement et mis en cause pour la gestion de la Bourse du commerce, intervient. Dressant le parallèle entre la démarche de Tardieu, le précédent président du Conseil qui voulait le quintal de blé à 170 francs, et Boret, qui le veut à 175 francs, il commente :
« Il y a identité sur le fond, mais il n’y a pas identité dans la forme ; car il n’a jamais été question, du temps du gouvernement dont je faisais partie, de faire fixer par la loi le cours du blé. Vous comprendrez quelle différence il y a entre les deux positions. S’il s’agit simplement d’une indication ou d’un vœu, le commerce est libre. S’il s’agit au contraire, d’un prix fixé par l’autorité administrative, quand ce prix est connu, ceux qui le connaissent peuvent faire une affaire et une bonne affaire86. »
56Le président du Conseil refuse de recevoir des leçons d’unité gouvernementale. Le ton s’échauffe quelque peu, Théodore Steeg fait un rappel tactique à la laïcité et le gouvernement pose la question de confiance sur l’ordre du jour proposé par ses interpellateurs. Celui-ci reçoit 293 votes pour l’adoption et 283 contre, entraînant la chute du cabinet87.
57Il est faux de dire que ce gouvernement est renversé sur la question du prix du blé. Sa majorité parlementaire précaire, les dissensions de son équipe, les dynamiques de recomposition politique expliquent pour une large part cette chute. Il n’empêche qu’il s’agit là d’un juste révélateur du poids des questions agricoles et de la manière dont elles mobilisent les parlementaires, dimension qui va s’affirmant au début des années trente. L’autre point notable est que le débat a pour une large part porté sur les questions de spéculation, de rumeurs, de discours influençant les prix. Or ces éléments sont déterminants dans les années qui suivent, et les fraudes sont les caractéristiques indissociables de l’inflation législative à laquelle on assiste au début des années trente.
58L’économiste libéral André Liesse commente ce poids du jeu électoral :
« La “politique” du blé est donc soumise, par suite de ces fluctuations, à des mesures assez contradictoires, qui, en réalité, sont de vrais casse-tête pour nos ministres de l’Agriculture. Et cela d’autant plus que, à la question économique, se mêlent des questions politiques – la question électorale entre autres si importante dans le monde des politiciens – puis une question d’ordre social88. »
59Durant l’année 1931, après sa présidence du Conseil, André Tardieu est ministre de l’Agriculture dans les deux premiers gouvernements dirigés par Pierre Laval. Il présente son action comme une défense des agriculteurs89. En mai 1931, Tardieu se fait critique du rythme parlementaire :
« Les solutions économiques sont bonnes ou mauvaises. Si elles sont mauvaises, il ne faut pas les voter. Mais, si elles sont bonnes, il importe de les voter vite. Or, nos lois se votent lentement. Les propositions de relèvement des droits sur les blés ont perdu 60 p 100 de leur efficacité du fait des six mois de délai qui ont toujours précédé le vote. Il en est de même pour toutes les lois de douane90. »
60Il se montre aussi réticent face à la seule protection douanière :» On ne peut pas vivre éternellement dans l’isolement artificiel. Il vient toujours un moment, où une fissure se produit par où la pression du cours mondial s’exerce. […] La protection, c’est la tranchée provisoire91. »
61Edmond de Fels note dans sa revue, à propos de cette action de Tardieu à l’Agriculture, qu’il « a compris son rôle de façon à rendre bien évident à tous qu’il n’y a pas de petit ministère92 ». Cette action fait naître parfois quelques moqueries :
« Un des plus jolis gestes qui soient, c’est celui qui consiste à donner le nom d’un personnage que l’on veut honorer d’une façon toute particulière à une fleur : rose, azalée, chrysanthème. […] Nous possédons déjà le blé Poilu du Tarn, le blé Prince Albert, il nous fallait de toute nécessité autre chose. C’est ainsi que des grainetiers patriotes, pleins de reconnaissance envers le ministre du blé cher, ont créé le blé André Tardieu. C’est une variété qui donne un grain d’aspect prospère, mais dont le rendement en farine ne correspond pas aux promesses de l’extérieur93. »
62Un décret du 10 novembre 1931 institue des permis d’importation pour les blés étrangers, avec l’avis d’un comité interprofessionnel des importations de blé, nommé par arrêté du ministre de l’Agriculture94. Un décret du 14 février 1932 précise les avantages accordés à l’exportation : on institue un « bon d’importation », c’est-à-dire une prime indirecte à l’exportation sous la forme d’un remboursement du droit de douane, correspondant au montant des droits qui seraient perçus sur une quantité égale de blé ou de farine importée en France.
63Avec la récolte de 1932, le jeu sur les rumeurs et sur les cours semble battre son plein. Les représentants des producteurs de blé émettent des mises en garde :
« À la veille de la moisson, les producteurs de blé doivent garder leur sang-froid, ne pas faire le jeu des “baissiers” par des offres désordonnées et excessives. Comme à l’ordinaire, nous voyons dessiner la manœuvre classique ; on cherche à démoraliser les producteurs, à les entraîner à des ventes massives. Pour cela, on les persuade que la récolte “très abondante” entraînera l’effondrement fatal des cours. Pour cela, on fait grand bruit autour de quelques ventes imprudentes, par des cultivateurs découragés et indisciplinés, à des prix dérisoires. Que tous les groupements agricoles réagissent contre cette campagne tendancieuse. […] Les producteurs, dans le cadre d’une législation protectrice cohérente et efficace, ont à faire un effort personnel pour se défendre eux-mêmes. S’ils le veulent, s’ils gardent leur calme et ne vendent pas trop et trop vite, ils conserveront, sans excès, la maîtrise du marché95. »
64Les critiques contre l’action du ministre de l’Agriculture pointent :
« Depuis quelques jours nous assistons à une chute catastrophique des cours du blé. Rien ne justifie cet état de choses. Nous nous préoccupons activement de cette situation, nous agissons, nous vous demandons de rester calmes mais fermes dans notre action commune ».
65L’article attaque une circulaire du ministre :
« Nous constatons que les récidivistes des circulaires agricoles, qui ont fait signer à l’honorable ministre la circulaire ci-dessus, ont tort de vouloir toujours s’insinuer entre l’offre et la demande. D’abord ils placent leur ministre qu’ils veulent haussier en contradiction avec le gouvernement qui, pour combler le déficit budgétaire par la compression des dépenses et des traitements, a un besoin politique urgent de la baisse du coût de la vie, donc de la baisse du blé ».
66Puis l’auteur dénonce un article publié dans le Bulletin des Halles dont la conclusion est la suivante :
« “Plus d’interventions officielles, la liberté, le fair-play. Il n’arrive que ce qui doit arriver !” (signé L.C.) Cet article n’a pas besoin de commentaire c’est la lutte économique violente entre le commerce du blé et nous, les producteurs. […] Groupons-nous et de toute notre énergie luttons contre le commerce et contre la meunerie qui veut nous asservir en la circonstance96. »
67Les parlementaires commencent à se mobiliser sur la question des cours du blé à l’été, puis au début de l’automne97. Les socialistes déposent une proposition de résolution contre les « abus de la spéculation » en juillet 193298.
68Cette question des rumeurs sur l’anticipation de la récolte est déterminante pour comprendre les débats de l’automne 1932. Dans une chronique, un auteur anonyme de la Revue politique et parlementaire note :
« Les différentes estimations de la nouvelle récolte de blé français ont été ardemment discutées. On sait que l’estimation officielle du ministère de l’Agriculture est de 90 200 000 quintaux et que celle du Bulletin des Halles atteint 105 millions de quintaux. Cette dernière estimation justifie peut-être les bas prix enregistrés sur le marché de Paris99. »
69En province, les rapports de préfets font état des préoccupations sur le prix du blé : « La grande question a été celle du blé. La population agricole de Seine-et-Marne a commenté avec satisfaction les mesures prises par le Gouvernement en vue d’enrayer la baisse du prix du blé (baisse qualifiée de catastrophique par la presse régionale)100. » Le mois suivant, le rapport est dans la même tonalité :
« Les producteurs, nombreux en Seine-et-Marne, estiment que la situation demeure angoissante (notamment en ce qui concerne le marché). La Fédération des associations agricoles a attiré l’attention des cultivateurs du département sur les mesures qui viennent d’être prises par la Caisse régionale du Crédit agricole de la Brie pour permettre le financement de la récolte et la résistance à la “baisse catastrophique et injustifiée des cours du blé”101. »
70Un nouveau décret, le 12 octobre 1932, étend l’application de la loi du 30 avril 1930 et prévoit le stockage chez le producteur. Un communiqué du ministère de l’Agriculture du 6 octobre précise à ce propos :
« Il était devenu nécessaire d’alléger notre marché par une mesure énergique immédiatement efficace. […] Il est apparu que le moyen le plus rationnel et le moins onéreux pour organiser ce report, était de conserver le blé là où il est, c’est-à-dire chez le producteur lui-même. »
71Mais, comme le note le juriste qui cite cette circulaire :
« On n’obtint pas les résultats escomptés. Dans son ensemble, on peut dire que ce décret n’intéressa pas le pays. En effet, s’il instituait une prime de 10 francs par quintal, il ne garantissait aucun prix de vente de base à la libération des blés bloqués. Or, la croyance à la baisse étant générale, la plupart des cultivateurs préféraient, comme toujours en pareille occasion, limiter leur perte, en réalisant immédiatement102. »
D. Les interpellations parlementaires de l’automne 1932 : vers un office ?
72À la reprise de la session parlementaire à l’automne 1932, les interpellations sur la politique agricole arrivent en tête devant les questions internationales. Du 25 octobre au 17 novembre s’engage alors un vaste débat sur la « crise agricole », pour reprendre l’expression employée par la plupart des acteurs. Particulièrement dense et précise, cette discussion ouvre un nouveau cycle d’activisme parlementaire sur ces questions, qui est très important durant toutes les années trente. Comme dans toutes les interpellations, plusieurs sujets vont s’entremêler : des points précis qui concernent l’action du gouvernement (en particulier à propos des rumeurs de l’été sur la récolte et leurs effets sur les prix), des questions plus générales liées aux négociations internationales et des interrogations sur l’établissement éventuel d’un Office du blé.
73Le républicain-socialiste Henri Triballet, député de l’Eure-et-Loir, attaque « la grande minoterie et la spéculation » et signale que, dans son département, « les esprits sont à ce point exaspérés que 230 maires, sur 426, ont envoyé leur démission au préfet103 ». Il dresse un tableau de l’évolution économique : « Le temps de l’économie libérale est passé. Aujourd’hui, tout est faussé par des organisations puissantes qui s’érigent en trusts pour imposer leur volonté aux producteurs, aux consommateurs et même au Gouvernement104. » Il donne un exemple précis : en août, le syndicat agricole d’Eure-et-Loir envoie une délégation au président du Conseil ; avant leur audience, ils se rendent à la Bourse du commerce et en voici le récit :
« Le cours du blé baisse. Pas d’acheteurs. Ils se rendent rapidement compte de la manœuvre qui se joue et veulent en avoir le cœur net. Lorsque la cote de 116 fr. le quintal est atteinte, ils font appeler un courtier et lui demandent d’acheter 1 000 quintaux de blé à ce prix. Ce dernier revient au bout de quelques minutes et leur dit que c’est impossible, parce qu’il n’y a pas de vendeur. La manœuvre spéculative à la baisse est découverte. L’un de ces délégués veut la rendre publique. Il s’écrie à haute voix : “Je suis acheteur, à 116 fr., de 1 000 quintaux.” Pas de vendeur. Ainsi, jusqu’à 120 fr. Alors, il s’élança vers le tableau, et l’effaça, en déclarant qu’il était faux. Cet incident prouve que les cours affichés à la bourse du commerce sont notoirement faux. Celle-ci est entièrement entre les mains des spéculateurs, qui y règnent en maître aux yeux du public et aux yeux du Gouvernement. Si les deux cultivateurs ont été conduits au commissariat de police pour avoir provoqué l’incident dont je parle, je n’ai pas connaissance, Monsieur le ministre, que des poursuites aient été intentées contre les spéculateurs105. »
74Il continue son explication en se faisant l’écho de la presse :
« À la suite d’une intervention de tous les parlementaires d’Eure-et-Loir auprès du ministre, on pouvait lire dans le Bulletin des Halles le passage suivant, sur lequel j’appelle toute l’attention de la Chambre : “On dit que les acheteurs, ayant autant de droit que les vendeurs au mécontentement, seraient disposés, pour répondre à l’agitation politique d’Eure-et-Loir, de boycotter le blé de ce département.” Ainsi, Messieurs, nous sommes prévenus, le Gouvernement est prévenu : la poignée de féodaux qui dirigent les grands moulins n’admet pas qu’on lui résiste106. »
75Après ces dénonciations, Triballet se rallie à l’idée d’une création d’un Office national du blé, et il conclut :
« L’heure est venue, je crois, de choisir et de dire enfin si nous entendons libérer producteurs et consommateurs du pillage odieux auxquels ils sont soumis, ou si, au contraire, nous laisserons se perpétuer l’état des choses actuel, quitte à reprendre chaque année les interpellations sur la politique du blé et à nous apitoyer sur la misère du paysan107. »
76L’intérêt est ici de souligner que Triballet évite d’opposer villes/campagnes, prix du pain bas/prix du blé élevé, pour attaquer les intermédiaires et la spéculation.
77Gustave Guérin, député conservateur de la Manche, met en cause la solidarité du gouvernement, pointant les déclarations libérales du ministre du Commerce et de celui de l’Intérieur. Guérin attaque aussi la spéculation et dénonce les articles publiés par le Bulletin des Halles, lequel, par son annonce d’une récolte importante, « a certainement favorisé la spéculation108 ». Son appel à l’intervention de l’État est réel, mais s’arrête devant la demande des socialistes :
« Le rôle de l’État dans la crise actuelle peut être grand, comme défenseur des producteurs étrangers et aussi vis-à-vis des spéculateurs. Il n’est pas besoin pour cela qu’il songe, en accaparant l’achat et la vente du blé, à créer un monopole qui étoufferait toutes les bonnes initiatives109. »
78Le député radical de l’Oise, Armand Dupuis, est dans la tonalité générale lorsqu’il déclare :
« Je suis persuadé que le Gouvernement voudra bien montrer aux cultivateurs qu’il ne tolérera pas davantage les méfaits de la spéculation. Il faut que celle-ci soit jugulée. Il est nécessaire de prendre des mesures énergiques pour qu’elle ne puisse pas continuer son odieux trafic110. »
79Si Dupuis est réticent face à la création d’un office sur l’idée socialiste, il déclare qu’« il faut tenter l’expérience d’un organisme capable de contrebalancer l’influence du trust puissant des grandes meuneries et qui achète le blé concurremment avec elles111 ».
80Les socialistes Compère-Morel et Max Hymans se font l’écho des initiatives de plusieurs conseils généraux, qui ont voté des vœux de création d’un Office national du blé (dont le conseil général du Gers, présidé par le ministre de l’Agriculture !)112. Leur camarade de parti, également spécialiste des questions agricoles, Maxence Roldes, député de l’Yonne, les relaie et attaque les campagnes de presse du négoce :
« Comme à l’ordinaire d’ailleurs, dès que la spéculation a été mise en cause, nous avons vu les journaux qui défendent l’organisation et le fonctionnement de la Bourse du commerce de Paris nous railler : il fallait bien, disent-ils, pour nous tirer d’embarras, que nous pussions, faute de mieux, frapper sur cette tête de Turc. Ce matin encore, nous avons trouvé dans le Bulletin des Halles une appréciation de cette sorte. Il faut donc montrer une fois de plus que la spéculation n’est pas un produit de notre imagination, un fantôme, mais une détestable réalité113. »
81L’attaque de Roldes est très forte contre la Bourse du commerce : « Nous sommes donc bien ici devant un marché fictif, un marché sur des blés-papier, et non sur des blés réels114. » Puis il attaque l’action du ministre, qu’il juge inefficace :
« Vous avez remplacé cette action – car je crois à l’action beaucoup plus qu’au papier – par des mesures fragmentaires, et par des circulaires. C’était insuffisant, et ce fut la cause de votre échec. Car, Monsieur le ministre, vous avez subi un échec. C’est la spéculation qui l’a emporté. Vous avez livré la bataille du blé comme, à d’autres moments, on avait livré la bataille du franc115. »
82Comme ses collègues socialistes, il plaide pour l’office et insiste sur l’utilité du prix déterminé pour bloquer les « opérations de jeu » sur les cours :
« Plus de spéculation : c’est impossible. Le cours fixé, il n’y a plus de joueurs. Le joueur ne vit que dans l’espoir d’un écart de cours. Vous n’avez pas besoin de juge d’instruction pour traquer les joueurs ; ils s’en iront d’eux-mêmes ; ils seront sans emploi : il n’y aura pas de différences à exploiter116. »
83Intéressé par les questions agricoles, le député indépendant des Vosges, Louis Guillon, critique les faibles poursuites contre la spéculation :
« On me répondra peut-être qu’une petite information a été ouverte sur tel ou tel point du territoire et que la justice se trouvant saisie, le Gouvernement ne peut pas nous apporter de précisions. Sur le marché des blés, les cours ayant été dangereusement faussés, ce n’est pas une petite information qu’il fallait ouvrir, mais une masse d’informations. […] Je recherche quelles pourraient être les raisons de l’inertie des parquets117. »
84À la reprise des interpellations le 8 novembre, la liste des députés inscrits s’est considérablement allongée. Le démocrate-populaire, député du Finistère, Pierre Trémintin intervient pour défendre les petits minotiers118. Le représentant conservateur de la Meuse, Victor Schleiter, attaque quant à lui toute idée d’office :
« Solution singulièrement dangereuse, à notre sens, et qui ferait de l’État un spéculateur, doté, certes, de moyens puissants, mais exposé malgré tout aux risques spéculatifs. Le prix du blé et le prix du pain seraient dès lors ce que voudrait le Gouvernement du moment. Mais celui-ci aurait à contenter à la fois le producteur et le consommateur et je me demande comment il y parviendrait. […] Aussi, je comprends très bien l’hostilité marquée au projet du Gouvernement par les présidents des chambres d’agriculture, qui ne veulent pas voir transformer le producteur de blé en fonctionnaire119. »
85Dans le même sens, le député conservateur de Haute-Garonne, Henri Auriol, « affirme que le régime actuel du blé peut et doit suffire, évidemment en le renforçant, pour protéger nos producteurs de blé120 ». Quelques jours après, le conservateur Louis Marin dit que l’Office du blé comme réponse à la spéculation, « c’est aller d’un malheur à un autre121 ».
86Le radical du Lot-et-Garonne Paul Courrent plaide pour une révision de la loi du 1er décembre 1929 et de l’article 419 du Code pénal afin de rendre les sanctions efficaces : « Toutes ces affirmations, tous ces bruits lancés dans le public, constituent des inexactitudes, des manœuvres spéculatives, qu’il faudrait pouvoir briser par des sanctions122. » Le député conservateur de l’Eure, André Join-Lambert123, critique le gouvernement, mais se montre prudent :
« Monsieur le ministre de l’Agriculture, il me reste à formuler un vœu, c’est qu’il n’y ait plus, autour des intérêts agricoles, qu’une politique unanime. S’il y a de l’angoisse chez les cultivateurs, c’est en partie parce qu’ils sentent dans la politique du Gouvernement un certain flottement124. »
87Renaud Jean, le tribun communiste spécialiste des questions agricoles, intervient dans le débat pour condamner aussi bien la politique gouvernementale, le protectionnisme que les mesures proposées par les socialistes125.
88La réponse d’Abel Gardey, ministre de l’Agriculture, débute le 15 novembre et elle porte d’abord sur la manière dont le gouvernement a géré la crise spéculative sur la récolte de l’année. Sur le constat, le ministre se distingue d’abord de ses interpellateurs :
« Les enquêtes auxquelles il a été procédé n’ont pas fait apparaître un chiffre inaccoutumé de ventes à découvert. Mais ce qu’il y a eu incontestablement, ce sont des informations et des bruits tendancieux répandus d’une manière plus ou moins diffuse, dans le pays, sur l’importance de la récolte et sur les conséquences économiques susceptibles d’en résulter126. »
89Mais il assume la difficulté de son intervention : « Dans une large mesure, je le reconnais, il a fallu improviser127 », et se félicite d’avoir pu enrayer la chute des cours en août et d’avoir poursuivi la fraude (il parle de 335 plaintes déposées liées à la mauvaise application de la loi du 1er décembre 1929). Commentant une rencontre avec des représentants de la meunerie, le ministre restitue devant la Chambre sa réponse :
« À tel qui invoquait son droit de discuter librement le prix, je faisais remarquer qu’il avait en face de lui, acheteur averti et outillé, une masse de vendeurs inexpérimentés, pressés pas le besoin et faciles à émouvoir. Je continuais en disant que lorsqu’une industrie est devenue à ce point puissante, elle a un devoir social à remplir, spécialement dans les temps de crise, et il peut être et il doit être du rôle de l’État de se manifester dans les rapports économiques et sociaux ainsi précisés128. »
90Sur les propositions de taxation des prix, le ministre se montre « sceptique » :
« Je vous demande de ne pas vous laisser trop vite entraîner par une idée qui, en principe, peut paraître séduisante, mais qui se heurte à des obstacles si graves qu’ils risquent de ruiner le système lui-même. Taxer une denrée est chose possible quand il s’agit de freiner l’élévation abusive des prix. Par contre, la fixation d’un prix minimum pour enrayer la baisse est infiniment plus malaisée. […] Avec la loi du maximum, il est toujours possible à l’acheteur d’imposer la transaction au prix taxé. Au contraire, quand il s’agit d’une loi du minimum, l’acheteur peut toujours se dérober ; il n’est pas possible de le contraindre à acheter au prix taxé. Mais, dira-t-on également, si une transaction intervenait à un prix moins élevé que celui de la taxe, des pénalités sévères devraient être édictées. Autant vaut-il dire qu’un gendarme serait préposé à la surveillance de chaque opération, sans parler de l’usage qui pourrait se répandre de ristournes consenties aux acheteurs par les vendeurs que presseraient les besoins d’argent. En vérité, Messieurs, une loi du minimum ne peut se concevoir isolément. Elle fait partie d’un système général comportant l’achat par l’État des marchandises taxées par lui. Nous tombons ainsi, naturellement, dans le système de l’office129. »
91Après la réponse ministérielle, d’autres interpellateurs ont à leur tour la parole. Le député de Seine-et-Oise Maurice Dormann plaide pour l’accroissement de la consommation du pain, se plaignant de sa mauvaise qualité. Il pointe la déconnexion des variations des prix du blé et du pain et plaide : « Redonnez toute liberté au commerce de la farine et du pain, et vous rendrez service en même temps aux producteurs de blé et aux consommateurs130. » Refusant les idées d’Office du blé, il plaide cependant pour un « organisme régulateur de la vente du blé qui pourrait absorber l’excédent des récoltes et le restituer au cours des années déficitaires. […] Avant tout, il devrait être un établissement financier. Pourquoi ne pas l’instituer avec un régime libre, sous le contrôle de l’État et sous la dénomination de Banque du blé131 ? » Le socialiste de Saône-et-Loire, Jean-Marie Thomas se montre quant à lui critique de l’administration de l’agriculture :
« Nous nous méfions surtout des bureaux du ministère, qui, eux, sont permanents et qui, presque toujours, font leur politique propre, qu’ils arrivent parfois à imposer aux ministres, qui ne sont que des passagers dans la maison. Ce que nous voulons, c’est autre chose, c’est une organisation où les producteurs eux-mêmes, avec les représentants de tous les intérêts en cause, pourront prendre les mesures propres à assainir et à organiser le marché du blé132. »
92Neuf ordres du jour sont proposés à la fin des interpellations représentant différentes tendances de la Chambre. Celui proposé par François Albert et Léon Blum obtient de nombreux soutiens. Des parlementaires reviennent sur le projet de création d’un office. Le député indépendant d’Ille-et-Vilaine Alphonse Barbot, pour sa part, se montre critique :
« J’ai bien peur que ce grand organisme que vous voulez créer ne serve qu’à héberger, comme celui des assurances sociales, un grand nombre de fonctionnaires, logés dans de grands immeubles, etc. Les cultivateurs recevront des ordres impératifs, donnés au moyen de circulaires, les priant de venir tel ou tel jour et à heure fixée livrer leur blé à telle ou telle minoterie. Ce sera la suppression, dans nos campagnes, de nos petits commerçants qui, pour la plupart, appartiennent à des familles de cultivateurs et qui partagent les mêmes inquiétudes et les mêmes soucis. Ce sera l’État marchand de grains, qui n’en est pas à son premier coup d’essai pour tromper les cultivateurs133. »
93Dans le même esprit, le député conservateur du Pas-de-Calais Maurice Tailliandier proclame : « Nous, agriculteurs, nous sommes indépendants et nous entendons garder cette indépendance134. » Le modéré, membre de l’Alliance démocratique, Pierre Baudouin-Bugnet tempête contre l’éventualité d’une déclaration obligatoire des emblavements : « Quelle atteinte portée au principe de liberté si cher à nos campagnes135 ! »
94Le président du Conseil Édouard Herriot attaque la spéculation : « Ce producteur et ce consommateur dont je parlais ne sont pas deux ennemis. Ils ont un ennemi commun qui est le spéculateur136. » Il refuse l’ordre du jour de Join-Lambert, le trouvant trop limité, et pose la question de confiance sur l’ordre du jour proposé par François Albert et Blum. Le vote sur l’ordre du jour Join-Lambert est de 190 pour et 370 contre, et de 377 pour et 212 contre pour l’autre.
95Ce texte apparaît programmatique et mérite d’être cité intégralement :
« La Chambre, considérant les dangers résultant pour notre économie rurale du développement de la crise agricole, aggravée par le désordre du marché des céréales et les manœuvres de la spéculation. Considérant que la législation actuelle, suffisante pour parer aux dangers de la concurrence extérieure, est incomplète quant à l’organisation du marché intérieur. Résolue à mettre un terme aux manœuvres dommageables à la fois pour les cultivateurs et la masse des consommateurs. Décide qu’il y a lieu de renforcer et de compléter les diverses dispositions prises ou projetées par le Gouvernement (déclaration des stocks de blé, immobilisation d’une masse de report, primes mensuelles de conservation, etc.), par un ensemble de mesures urgentes qui sont : 1° La stabilisation des cours des blés jusqu’à la prochaine récolte à un cours qui, raffermissant les cours actuels, soit mieux en rapport avec les prix de revient de la culture ; 2° Le maintien de ce cours par tous moyens en son pouvoir, notamment par l’achat des excédents au moyen de crédits plus largement et plus efficacement réalisés par l’action combinée de la Caisse des dépôts et consignations et de la Banque de France et des organisations agricoles ; 3° La révision des prix de mouture et de panification et la taxation du prix du pain d’après le prix réel du blé ; 4° La création immédiate d’un office national des céréales panifiables qui, sous le contrôle direct du ministre de l’agriculture, sera seul chargé de diriger toutes opérations d’importation et d’exportation des céréales et des farines panifiables, d’organiser, suivant les nécessités de la situation, le stockage, le warrantage et le financement individuel et collectif des récoltes, de fixer les taux d’incorporation des céréales exotiques dans les moutures pour les farines panifiables, de dresser des statistiques de production, de détention et de vente des céréales et de leurs dérivés, de constituer les stocks de sécurité, de compensation ou de report, en procédant à des achats directs sur les marchés régionaux à l’aide de crédits nécessaires demandés au Parlement, en un mot de régulariser par tous moyens appropriés les cours des céréales et de leurs dérivés ; enfin d’établir et de contrôler le rapport normal qui doit exister entre ces cours et le prix du pain ; 5° Les déclarations des emblavements ; 6° La révision urgente des baux de fermage sur une base équitable pour les fermiers si durement éprouvés ; Fait confiance au Gouvernement et repoussant toute addition, passe à l’ordre du jour137. »
96Ce long débat trouve quelques échos en province. Le rapport du préfet de Seine-et-Marne note ainsi :
« La priorité accordée au débat agricole par 500 voix contre 78 a montré aux agriculteurs que le Parlement ne les oubliait plus. La question du marché du blé n’a pas cessé d’être à l’ordre du jour. Les mesures envisagées par le Gouvernement pour résoudre le problème de la baisse et le léger raffermissement des cours ne paraissent pas suffire aux intéressés. Certains cultivateurs, alléchés par un programme qui a fait l’objet de vœux émis un peu partout en France par des Conseils généraux ou d’arrondissement, réclament la taxation ; les autres la repoussent en objectant qu’il est dangereux de s’engager dans une voie où ils risqueraient de perdre une indépendance à laquelle ils sont fortement attachés et sans être sûrs d’ailleurs d’aboutir au résultat désiré138. »
97Mais des tensions persistent sur fond d’incompréhension entre les variations du prix du blé et celle du pain. Les meuniers en proposent une explication qui est exacte mais qui ne cache pas l’instabilité des marchés :
« En résumé, la réponse à la question que se pose l’opinion – pourquoi la baisse de la farine et du pain n’est-elle pas apparue du même ordre que celle du blé – est la suivante : Les prix de la farine et du pain, antérieurement à l’époque de la soudure, se trouvaient artificiellement comprimés par le pourcentage des blés exotiques et le taux plus fort d’extraction des farines ; ils étaient, en outre, abaissés par suite d’un prix plus élevé des issues et farines inférieures : enfin, le prix du pain était de 0 fr. 10 inférieur au prix du barème. Il n’est donc pas étonnant que la baisse actuelle de la farine et du pain n’apparaisse pas en corrélation avec celle du blé indigène : le point de départ était surbaissé139. »
98Certains parlementaires envisagent suite aux progrès du stockage d’accorder des indemnités aux producteurs de blé qui ont cédé leur récolte actuellement stockée140 ou d’instaurer des bons de compensation141.
99Dans une ample synthèse sur la « question du blé » en décembre 1932, Louis Pichat, auditeur au Conseil d’État et ancien membre du cabinet du sous-secrétaire d’État au ministère de l’Agriculture en 1929-1930, note à propos des mesures prises depuis 1929 :
« Les agriculteurs comptent sur l’intervention énergique des pouvoirs publics. Cette mentalité du monde agricole constitue un élément de fait dont il est impossible de ne pas tenir compte. Elle provient de ce que, depuis plusieurs années, l’État est intervenu dans les manifestations diverses de l’activité économique142. »
100Bien que partisan du « retour à la liberté », Pichat constate qu’« il s’agit essentiellement d’assurer aux producteurs un prix rémunérateur. Dans les circonstances actuelles, compte tenu du caractère social et économique du problème, ce but, nous le reconnaissons, est légitime. La liberté serait, en ce moment, une solution dangereuse, qu’il convient d’écarter143 ».
101Abel Gardey, le ministre de l’Agriculture, dépose un premier projet de loi relatif à la défense du marché du blé le 6 décembre. L’exposé des motifs en explique le cadre :
« Sans préjudice de l’organisation envisagée d’un office des céréales panifiables tel qu’il a été défini par ce même ordre du jour et par les déclarations du Gouvernement, des mesures complémentaires à celles qui ont été précédemment adoptées devaient être mises en œuvre, dans le plus bref délai possible, en vue du raffermissement et de la stabilisation des cours144. »
102La commission de l’agriculture de la Chambre revient sur ce débat au début du mois de décembre en auditionnant les représentants professionnels : Pierre Hallé pour l’AGPB et Henry Chasles pour la meunerie145, puis le ministre. Ce dernier vient y défendre sa vision très limitée d’un Office du blé et commente le dépôt d’un premier projet de loi, chargé de gérer les questions urgentes liées à la résorption de la récolte de 1932. Commentant son système, il insiste sur le fait que « le projet du gouvernement ne garantit donc pas un prix minimum. Le prix dérive d’une opération réelle d’achat qui aura, à mon sens, le double avantage d’agir sur le marché et de mettre en fait les vendeurs à l’abri d’une baisse possible grâce à une vente immédiate. J’estime que la garantie du prix est un principe assez dangereux. Pourquoi ? Parce qu’il est susceptible d’extension. Il y a d’autres denrées pour lesquelles un système de blocage est prévu et pour lesquelles on pourrait réclamer aussi une garantie de prix146. »
103Durant cette époque, les chambres d’agriculture se mobilisent également sur la question147. À la fin du mois d’octobre 1932, l’assemblée des présidents vote un vœu contre les projets d’office du blé et pour la mise à l’étude de « la création d’une société commerciale administrée par les délégués de l’Assemblée, ayant pour objet la stabilisation du prix du blé148 ». Une enquête auprès de l’ensemble des chambres a été réalisée, et Henri Patizel en donne les conclusions en mars 1933. Celles-ci sont nettes : « toutes les chambres repoussent la taxation », « aucune n’admet l’Office du blé exclusivement dirigé par l’État ». Sur la question de la société commerciale, 27 chambres sont favorables, 16 défavorables, 9 » considèrent l’organisme irréalisable, en raison de la difficulté de trouver les fonds nécessaires, ou bien estiment que le fonctionnement en sera très difficile », les 38 autres chambres ne se prononcent pas. Patizel conclut sur ce point :
« Pour une idée aussi neuve, susceptible de transformer les méthodes actuelles du marché du blé, un nombre important de chambres s’est prononcé en faveur d’une réforme hardie : cela indique la détresse des producteurs et leur volonté d’y remédier ; là-dessus au moins il y a unanimité149. »
104Si l’ordre du jour voté en novembre 1932 a été un pas important dans l’organisation des marchés, le travail parlementaire, marqué par sa lenteur et l’instabilité des gouvernements, ne permet pas de concrétiser les grandes déclarations. Pour autant, le gouvernement continue de faire voter des mesures techniques, parfois très importantes. Ainsi, à la fin de janvier 1933, la loi issue du projet de loi de décembre est votée. Elle est « relative à la défense du marché du blé150 » et reprend certains dispositifs précédents et les complète : des stocks sont constitués, leur financement est assuré pour un montant de 300 millions de francs, on prévoit 30 millions pour les primes de conservation des blés soumis au stockage et au report, et on annonce la création des comptes spéciaux au Trésor. Le décret du 9 février 1933 détermine les conditions d’application de la loi en mobilisant à nouveau les services de l’intendance militaire151.
105Un juriste commente, à propos de ces nouvelles dispositions :
106« Excellente dans son principe, il faut reconnaître une fois de plus que cette loi n’eut pas sur les cours l’influence qu’on espérait. Son insuccès venait en partie de ce que les estimations que l’on avait faites de la récolte étaient inférieures à la réalité152. » Un observateur note, en janvier 1933 : « Il convient donc d’établir un lien étroit entre la protection douanière et la limitation des emblavements, celle-ci étant la condition de l’efficacité de celle-là. Les sacrifices consentis par l’État ne porteront leurs fruits qu’à ce prix153. » La loi votée reste donc très en deçà de l’ordre du jour voté quelques mois auparavant et il faut attendre les débats du printemps et surtout de l’été 1933 pour voir les modalités d’intervention de l’État se modifier assez profondément avec le vote d’un prix minimum.
II. L’admission temporaire : toujours combattue, toujours maintenue
107La question de l’admission temporaire traverse tous les débats sur l’organisation du marché des blés durant les années vingt et les années trente ; elle lie ensemble débats douaniers, évolution de la meunerie et pratiques de fraudes, débouchant sur quelques scandales. Elle scande les débats parlementaires successifs de 1929 à 1935 en permettant de bien saisir le rôle des députés en défenseurs des intérêts économiques de leur circonscription.
A. Un dispositif en question
108La définition de l’admission temporaire est assez simple : c’est une mesure qui permet de faire entrer en France sans payer de droits des marchandises qui doivent y être manufacturées, avec l’engagement de les réexporter ou de les mettre en entrepôt pour un délai déterminé sous peine d’acquitter des taxes. Elle peut être « à l’équivalent » quand l’importateur doit réexporter une quantité de marchandises manufacturées proportionnelle à l’importance des matières importées ; elle est « à l’identique » quand les produits exportés sont ceux obtenus avec les marchandises importées. Le meunier qui fait admettre temporairement du blé soumissionne un acquit-à-caution ; lorsqu’il exporte, il apure son acquit-à-caution.
109Ce dispositif est ainsi résumé par un juriste :
« On est parti du point de vue que la meunerie est une industrie précieuse pour notre pays. Elle procure de très grands avantages à cause des nombreuses branches du travail national auxquelles elle se rattache : navigation, cabotage, chemins de fer, ports de mer, marchés des villes. Elle intéresse d’autre part l’agriculture puisque le blé ne se consomme que sous forme de farine. On a pensé que si l’on maintenait les droits de douane pour la meunerie, ce serait nuire à l’une de nos principales industries nationales, en entravant ses approvisionnements et en l’empêchant d’exporter. C’est pourquoi, l’on a ouvert en quelque sorte une soupape de sûreté pour que les blés étrangers puissent entrer en France en franchise, tout en sauvegardant les intérêts primordiaux de notre agriculture. […] C’est, en définitive, une arme de défense octroyée aux meuniers contre la protection donnée à l’agriculture154. »
110Or ce « régime donne lieu à des fraudes multiples. Il arrivait que les farines restent sur le marché national sans aucune protection douanière ; en réalité, on ne réexportait que les farines basses, les sons et les remoulages en compensation des blés exotiques introduits à titre temporaire. Surtout il y avait couramment de fausses déclarations du taux d’extraction des farines exportées. C’est ce qu’on appelle “la fissure” de l’admission temporaire. Fraudes pratiquées en vertu des dispositions des textes eux-mêmes. […] De plus l’admission temporaire était devenue un instrument redoutable de spéculation à cause du trafic des acquits155. »
111Dès l’hiver 1929, à la commission de l’agriculture de la Chambre des députés, on critique ouvertement l’admission temporaire ; le député conservateur du Nord Guillaume Des Rotours « signale les nombreuses fraudes qui se font avec les blés importés en admission temporaire156 ». Dans son premier rapport présenté au nom de la commission de l’agriculture de la Chambre des députés, Alexandre Duval, en novembre 1929, y consacre de longs développements157. Il rappelle l’ancienneté de la procédure et l’évolution de la législation158. Duval enquête auprès de « professionnels de la meunerie très avertis159 » qui minorent les phénomènes de « fissure », mais il note aussi que « des agents des douanes interrogés reconnaissent qu’il est, en pratique, extrêmement difficile de déceler ainsi les fraudes par inexactitude des taux d’extraction déclarés160 ». Duval réclame des contrôles renforcés ainsi qu’une réduction du délai d’apurement de trois à deux mois pour éviter, là aussi, des fraudes. Il commente longuement les demandes de la meunerie de cessibilité des acquits, rappelant les réserves des producteurs de blé, qui craignent une nouvelle possibilité de spéculation. Il se réfère à une étude des chambres d’agriculture qu’il cite :
« Considérant : que le fonctionnement actuel de l’admission temporaire est une cause de dépréciation du prix intérieur du blé (fissure, rendement réel supérieur au rendement théorique, apurement des acquits par des farines bises, etc.) […] émet le vœu qu’une commission de techniciens soit immédiatement nommée au ministère de l’agriculture pour étudier les réformes nécessaires au régime de l’admission temporaire, réformes qui devront être mises en application dans le plus bref délai161. »
112L’exposé des motifs du projet de loi de novembre 1929 résume bien l’ambiguïté de la question, puisque s’il s’agit d’« assurer une réglementation plus sévère de l’admission temporaire » :
« c’est une nécessité de conserver à l’industrie meunière la faculté de recevoir, sous le régime de l’admission temporaire, du blé étranger dont la farine, mélangée à la farine française, facilité l’exportation des blés français. Toutefois, le système actuel qui permet indifféremment aux blés étrangers d’entrer dans la consommation nationale ou d’être réexportés, peut donner lieu à de nombreux abus. Le régime de l’admission temporaire doit donc être modifié en vue d’imposer aux meuniers l’obligation de souscrire l’engagement de réexporter des quantités de farine équivalentes à la totalité des blés importés par eux. […] L’exactitude de ces équivalences ne peut être assurée qu’en dotant l’administration des douanes, en sus du procédé dit “visuel” dont elle dispose déjà, des moyens scientifiques de contrôle les plus modernes162 ».
113La commission des douanes du Sénat veille particulièrement au dispositif de l’admission temporaire, et le rapporteur indique « que l’on ne pouvait ainsi supprimer une institution bien établie, bien réglementée, qui avait rendu des services au commerce des blés, sans un très mûr examen163 ».
114La loi finalement votée prévoit les éléments suivants en son article 3 :
« La faculté accordée aux meuniers importateurs de laisser sur le territoire national totalité ou partie des farines, semoules ou gruaux provenant de la mouture des blés susvisés est supprimée. L’importateur devra, au moment de la délivrance de son titre de perception, souscrire l’engagement de réexporter dans le délai de trois mois une quantité, fixée par décret, de farine correspondant au blé importé ou, à défaut, d’acquitter le montant des pénalités prévues ci-dessous. Les modes de contrôle de l’apurement seront déterminés par décret. Faute par l’importateur de réexporter ses produits dans un délai de trois mois, le montant des droits consignés est acquis au Trésor. En outre, le délinquant sera astreint au payement d’un double droit de douane correspondant aux quantités non réexportées. En cas de récidive, les droits sont portés au triple164. »
115L’application de la loi sur ce point pose différentes difficultés. Un représentant du monde agricole critique férocement l’action gouvernementale en indiquant que la prescription du faible pourcentage de blé étranger autorisé dans la fabrication des farines était annulée par le jeu de l’admission temporaire :
« Dans une lettre adressée à l’Association nationale de la Meunerie française, en date du 20 décembre 1929, M. Hennessy, ministre de l’Agriculture, indiquait le moyen de violer les prescriptions cependant formelles de la loi et de son propre décret : Se basant sur la possibilité pour la minoterie d’importer sous le régime de l’admission temporaire des blés étrangers en équivalence de l’exportation d’une même quantité de blés français, le ministre déclarait les blés étrangers ainsi introduits “libres d’emploi”, c’est-à-dire, expliquait la circulaire de l’Association de la Meunerie, “ces blés peuvent être employés comme les blés indigènes”. Ainsi donc, grâce au tour de passe-passe de la réponse du ministre, la grande minoterie importatrice, seule outillée pour l’admission temporaire, pouvait utiliser 100 % de blé étranger au titre de blé français dans la fabrication des farines, tandis qu’un meunier ordinaire risquait la prison en dépassant les 3 % autorisés par la loi. Après semblable succession de lois, de décrets, de mesures douanières, économiques ou fiscales, de tracasseries, de passe-droits sacrifiant les intérêts les plus essentiels de l’agriculture, comment s’étonner que la prospérité rurale des premières années d’après-guerre n’ait pas tardé à s’atténuer, puis à disparaître pour faire place aux menaces d’une crise profonde particulièrement grave165 ? »
116Bon connaisseur du dossier, Queuille émet sur le sujet un avis mesuré, refusant la suppression de l’admission temporaire :
« Nous avons dans nos grands ports, et dans certains centres, de grandes minoteries, qui ont le droit de vivre, comme toutes les autres industries. Il y a même un intérêt national à leur permettre de vendre à l’étranger. Que l’on réglemente, que l’on surveille ces industries pour éviter des fraudes, cela est nécessaire, mais il me paraît impossible d’aller plus loin166. »
117Des commentateurs plus distants du sujet se montrent critiques, tel Edmond de Fels, qui note : « La liberté absolue de l’importation tant sous sa forme avouée que sa forme subreptice : l’admission temporaire à charge de réexpédition de farine, est le grand facteur d’instabilité167. » Il se fait aussi l’écho des séances de la Chambre, comme celle du 25 mars 1930, où l’on dénonce le « scandale de l’admission temporaire168 ».
118À la suite de la loi de décembre 1929, le décret du 12 mars 1930 institue une commission « à l’effet d’examiner les modifications susceptibles d’être apportées aux conditions d’application du régime de l’admission temporaire des blés et de déterminer en particulier les modes de contrôle de l’apurement ». Les travaux de cette commission, présidée par le sous-secrétaire d’État à l’Économie nationale, se tiennent du 21 mars au 8 avril 1830 et sont résumés par le député Duval dans son rapport de juin 1930169. Ces travaux se sont d’abord confrontés au jeu sur les blés tendres et les blés durs. En effet, « sous le régime actuel, il est permis d’apurer indifféremment des blés tendres ou durs importés temporairement par l’exportation de produits ou sous-produits de blés durs ou tendres. En fait, c’est la première opération qui est seule pratiquée. On apure, c’est-à-dire on compense, des blés tendres étrangers importés temporairement par l’exportation de produits ou sous-produits de blés durs […] Cette substitution résulte surtout de ce fait que l’industrie des blés durs en France emploie une proportion importante de blés durs de l’Afrique du Nord […] qui reçus en franchise douanière, ne donnent pas lieu à la création d’acquits d’admission temporaire170 ».
119La conclusion de la commission extraparlementaire apparaît dès lors claire :
« La faculté d’apurer les acquits de blés tendres par l’exportation de produits de blés durs sera donc supprimée dans le nouveau régime : et avec elle disparaîtra la cause principale du trafic des acquits qui se pratiquait entre meuniers d’une part, semouliers et fabricants de pâtes alimentaires, d’autre part171. »
120Présents parmi les membres de la commission, les représentants de la meunerie protestent contre ces modifications et publient un opuscule titré Défense du régime de l’admission temporaire des blés devant la commission instituée par le décret du 12 mars 1930. Louis Racine, président du Syndicat national de la meunerie d’exportation, interpelle le ministre en parlant du risque d’un « arrêt de mort pour la meunerie exportatrice172 » et en refusant les « campagnes de dénigrement ». Dans le long plaidoyer proposé, la meunerie insiste sur des revendications irréalistes :
« Exiger la réexportation à l’identique équivaut à la suppression de l’admission temporaire, à la ruine de la meunerie d’exportation. Ce serait aller à l’encontre du principe même sur lequel est basé le système, ce serait priver l’économie nationale, producteurs et consommateurs, d’un avantage incomparable173. »
121En se livrant à une exégèse du débat parlementaire de novembre 1929, le représentant de la meunerie insiste sur le fait que « le législateur n’a pas voulu “l’identique”174 ».
122Au-delà d’un appel à un dialogue interprofessionnel, la meunerie reste ferme :
« Il serait profondément regrettable qu’en France, sous l’empire de circonstances exceptionnelles, sous la pression de réclamations légitimes peut-être, mais dont les auteurs sont mal renseignés, un coup important soit porté à nos organismes économiques, au moment précis où, après quelques oscillations inévitables, un équilibre harmonieux est sur le point de se rétablir, à un niveau de progrès social et intellectuel indiscutablement très supérieur à celui d’il y a vingt ans175. »
123Duval, dans son rapport, liste ensuite en détail les éléments de la négociation de la meunerie à la commission extraparlementaire. La conclusion de la meunerie est presque ironique lorsque Racine explique :
« Je sais combien il est difficile d’expliquer à la masse le mécanisme des phénomènes économiques, surtout lorsque cette masse se croit lésée et qu’elle souffre, je sais qu’en pareil cas la sagesse politique fait un devoir de “jeter du lest” plutôt que de chercher à redresser les erreurs176. »
124Les travaux aboutissent à un décret du 20 mai particulièrement détaillé, qui prévoit la nomination d’une nouvelle commission pour déterminer les types de farines et les barèmes de compensation177.
125La question de la mise en entrepôt liée à l’admission temporaire et des droits de douane afférents reste assez complexe178. La fixation des types de farines est très longue à déterminer : « Il fallut en effet discuter pied à pied avec tous les représentants de l’industrie du blé, dur ou tendre, pour arriver à faire appliquer la réforme179. » Le décret du 10 août 1931 ne règle cependant que la question des blés tendres :
« Il fallut encore un mois de travail acharné pour arriver à mettre sur pied l’application exacte de ce système dont la condition fondamentale est l’exercice ou surveillance permanente des semouleries. Ce fut l’objet des décrets et arrêtés du 8 août 1931180. »
126L’admission temporaire réapparaît lors du débat sur les interpellations agricoles en novembre 1932. Le député conservateur de l’Eure André Join-Lambert se fait l’écho de fraude à l’admission temporaire et s’attire une réponse vive du député de Marseille Henri Tasso :
« Il ne faut pas continuer à faire la même réputation à l’admission temporaire. Celle qu’elle a, et qui est injuste, lui suffit. Aujourd’hui, vous savez comme moi qu’il y a des types de farines établis pour contrôler les sorties, qui donnent toutes garanties au monde agricole car on peut dire que c’est à sa demande qu’ils ont été établis. Il ne faut donc pas continuer à charger une industrie, qui a le droit de vivre, de tous les maux et de tous les méfaits en matière de blés. […] Je proteste car lorsque vous avez dénoncé l’admission temporaire à la vindicte des agriculteurs, vous croyez avoir trouvé la solution à la crise agricole. »
127Un dialogue polémique s’engage alors entre Tasso et Gustave Guérin, député conservateur de la Manche. Ce dernier accuse Tasso de défendre les intérêts de Marseille, ce à quoi Tasso répond : « Les intérêts économiques de Marseille ont exactement les mêmes droits que les autres à la bienveillance du Parlement », et Guérin conclut : « Les intérêts des cultivateurs valent tout autant, sinon plus, que ceux des semouliers de Marseille181. »
B. L’admission temporaire et le prix minimum de juillet 1933
128Ces débats déjà portés au Parlement trouvent un débouché logique dans les discussions qui conduisent au vote de la loi sur le prix minimum en juillet 1933. Devant la commission de l’agriculture à la Chambre des députés, le président de l’Association de la meunerie française est auditionné dès le 29 mars 1933. H. Chasles décrit les dispositifs issus des décrets et arrêtés de l’été 1931 avec les différents types établis pour les farines issues de blés tendres. Il insiste sur les évolutions du contrôle et conclut : « La fraude ou la “fissure” maintes fois dénoncée par les milieux agricoles se trouve donc nettement supprimée182. »
129Le sujet reste sensible dans les débats entourant la préparation de la loi du 10 juillet 1933. C’est le jeune député de l’Eure-et-Loir Pierre Mendès France qui aborde le sujet, le présentant comme « une des questions les plus importantes de ce débat183 ». Il insiste sur le fait que « l’opinion agricole est unanime à demander cette suppression [de l’admission temporaire] ». Son attaque contre les minotiers est vive :
« Je ne veux pas faire contre eux une démagogie facile et banale. Mais nous traversons une crise pénible dans laquelle toutes les branches de l’activité nationale ont été frappées, et la branche agricole de la manière la plus cruelle. Il y a une industrie, la minoterie, qui, jusqu’ici, n’a pas souffert comme tant d’autres. »
130Il précise sa critique en indiquant que l’admission temporaire ne concerne pas « nos petits minotiers de campagne » mais « les gros importateurs », les « grands moulins ». Mendès France prend un ton grave qui indique assez bien le ressenti de l’élu d’un département où les agitations des populations rurales se sont développées :
« Dans les heures graves pour la culture nationale, que nous connaissons depuis de longs mois, les populations rurales ont besoin de savoir si l’on est décidé à les aider. À les aider énergiquement, audacieusement, en frappant au besoin des privilèges et des fraudes trop longtemps tolérés184. »
131C’est le ministre du Budget qui lui répond pour refuser cette suppression :
« Si vous envisagiez la suppression de ce régime, vous devriez néanmoins maintenir une exception au profit du port de Strasbourg. Si vous agissiez autrement, il y aurait, dans cette ville, de très grandes facilités de fraude, étant donné que, de l’autre côté du Rhin, se trouve le port de Kehl, où pourraient se faire ces opérations d’admission temporaire185. »
132Il ajoute d’autres arguments pour Strasbourg, liés aux relations commerciales avec la Suisse, à la batellerie sur le Rhin et à la convention internationale de Mannheim de 1868 faisant de Strasbourg un port franc. Le rapporteur du projet de loi pour la commission de l’agriculture va dans le même sens que le ministre du Budget en indiquant, optimiste :
« si je n’avais pas la conviction que nous allons voter des mesures qui permettront de boucher les dernières fissures de l’admission temporaire, j’accepterais les amendements de mes collègues. Mais je suis convaincu que les mesures que nous allons voter aboutiront au même résultat sans avoir les mêmes inconvénients, je demande à la Chambre de repousser les amendements186. »
133Si le radical Mendès France reçoit le soutien du conservateur Join-Lambert, élu du département voisin, il s’attire l’accusation de démagogie par le rapporteur de la commission des douanes. François Chasseigne intervient en déclarant : « Il faut en finir avec ces épouvantails que l’on promène un peu partout dans les campagnes et qui n’y inspirent une crainte réelle, précisément, qu’en raison des déclarations que l’on fait à cette tribune187. » La demande de scrutin donne un résultat net puisque 405 voix sont pour l’adoption de l’amendement Mendès France contre 170.
134Le rapport déposé au Sénat par Marcel Donon pour la commission de l’agriculture est d’une tonalité différente :
« Les cultivateurs et la petite meunerie se plaignent de l’admission temporaire : ils redoutent les fraudes auxquelles ce régime peut encore donner lieu. Ils critiquent les avantages qu’il apporte au détriment de la petite meunerie et de la culture, aux grandes minoteries qui pratiquent le travail en admission temporaire. Votre Commission a estimé qu’une suspension provisoire de l’admission temporaire était nécessaire. Elle calmera l’opinion agricole, permettra de liquider les stocks et de mettre au point les retouches de détail qui doivent venir compléter la réforme de base déjà accomplie par la loi du 1er décembre 1929188. »
135Dans le débat parlementaire au Sénat, le ministre de l’Agriculture reprend ses explications et justifie son refus de la suppression de l’admission temporaire :
« C’est d’abord une raison d’intérêt national. Il y a, en effet, d’une part, de très grandes industries […] que nous ne pouvons pas mettre brusquement en chômage. Dans les ports, notamment, un nombre considérable d’ouvriers se verraient privés de travail. Enfin, une autre raison m’a été signalée par les services d’Alsace-Lorraine à la présidence du Conseil. Il s’agit du régime spécial du port de Strasbourg189. »
136Un sénateur de l’Eure, Ernest Neuville, accepte la suspension à la place de la suppression, mais insiste sur le fait que la suppression est demandée par les agriculteurs et les petits minotiers190.
137Au cours de la navette parlementaire, à la commission de l’agriculture de la Chambre, le 30 juin, les positions exprimées sont assez divergentes. Henri Léculier indique qu’il « acceptera le maintien de l’admission temporaire si l’on trouve le moyen de réprimer les fraudes que ce régime occasionne » ; Thomas Seltz, député alsacien, estime quant à lui « qu’il y a une mystique de l’admission temporaire », et il ajoute, à partir de son expérience (et dans la défense des intérêts de ses mandants…), que « ce régime n’amène aucune réclamation en Alsace » ; Camille Briquet indique que « ce qui est grave c’est le fait que la farine de blé exotique n’est pas réexportée et est une arme dans la main des grands minotiers contre les petits moulins191 ».
138En séance à la Chambre, le jeu des amendements reprend. Tasso présente sa position :
« Si aucun amendement n’est déposé tendant à reprendre le texte précédemment voté par la Chambre, pour aboutir, par esprit de conciliation et pour ne pas rouvrir le débat, j’accepterai le texte du Sénat quoiqu’il soit très préjudiciable aux intérêts de l’industrie. Par contre, si des amendements doivent être soutenus à cet égard pour la suppression totale de l’admission temporaire, je m’inscris pour les combattre192. »
139Mais plusieurs amendements sont à nouveau déposés. Mendès France reprend son combat et se montre virulent contre ce qui s’est joué au Sénat : il souligne en effet que le vote de la suppression fait par la Chambre n’a pas été discuté en séance au palais du Luxembourg mais bloqué par sa commission de l’agriculture. Il signale par ailleurs le caractère dangereux d’une suspension de l’admission temporaire pendant une durée de seulement deux mois et il refuse les voies proposées par le ministre et le Sénat : « Les mesures qui nous sont proposées pour réformer l’admission temporaire ne constituent que des palliatifs inefficaces193. »
140Tasso, pour tenter de renverser la majorité du précédent vote de la Chambre, fait rire ses collègues :
« M. Mendès France et M. Robert arguent d’ailleurs seulement des fraudes et des scandales qui ont eu lieu. Soit ! Mais est-ce que, parce qu’il y a eu des fraudes au concours de l’internat, vous avez supprimé le corps des médecins ? Est-ce que, parce qu’il y a eu des fraudes électorales, vous avez supprimé la Chambre des députés194 ? »
141Les députés du Bas-Rhin, par la voix d’Oberkich, réaffirment leur refus de la suppression, notant qu’elle « n’apporterait aucun soulagement au producteur et léserait les intérêts du consommateur195 ». Le député de Dunkerque, Maurice Vincent, s’exprime dans le même sens. Le ministre de l’Agriculture a plaidé pour le texte revenu du Sénat et espéré que le débat ne s’éternise pas. Le vote sur le nouvel amendement Mendès France donne un résultat contrasté avec celui effectué quelques jours auparavant : 190 pour, 400 contre. Jean Thureau-Dangin note que « la Chambre vient de se déjuger sur la question de l’admission temporaire196 », et il propose un amendement obligeant la réexportation à l’identique et non plus à l’équivalent. Le scrutin est plus serré et donne 302 pour et 270 contre.
142Au Sénat, le rapporteur de la commission de l’agriculture, Marcel Donon, revient, dans la séance du 6 juillet, sur la question de l’admission temporaire ; sa présentation montre le caractère sensible de la question :
« Vous savez que les cultivateurs excités par de mauvais bergers, il faut bien le dire, considèrent que l’admission temporaire leur cause un grave préjudice qu’elle détermine des fraudes, des importations massives de blés étrangers qui pèsent sur le marché et qu’ainsi tous nos efforts d’assainissement restent vains197. »
143Et, dans le cadre de la navette parlementaire, il explique :
« la Chambre ne veut plus de cette exportation à l’équivalent ; elle a manifesté le désir que, dorénavant, l’exportation se fasse à l’identique. Votre commission de l’agriculture, qui traduit sur ce point les sentiments manifestés à diverses reprises et avec vigueur par les associations agricoles, vous demande de suivre la Chambre198 ».
144Le débat reste cependant vif, et le ministre de l’Agriculture Henri Queuille est obligé d’engager sa parole : « Je puis donner à M. le sénateur Veyssière l’assurance que la surveillance des blés importés est faite de façon particulièrement attentive et qu’aucune fraude sur l’admission temporaire ne peut être commise199. » Il a certes obtenu que l’admission temporaire ne soit pas supprimée mais suspendue « en raison des arguments d’ordre international qui avaient été invoqués par le Gouvernement et de la situation particulière du port de Strasbourg ». Le socialiste Maurice Viollette réclame à nouveau la suppression proposant d’adopter « le texte péremptoire qui nous est soumis par la commission de l’agriculture200 », mais les intérêts du négoce et des armateurs, bien représentés au Sénat, montent au créneau pour contrer les volontés de la Chambre et de la commission de l’agriculture. Queuille réclame des moyens pour effectuer les contrôles ; à un sénateur qui l’interpelle sur le fait d’empêcher la fraude, il répond : « Je ne le pourrais pas tant que vous ne m’aurez pas donné le personnel nécessaire. Je ne vois pas comment, sans personnel, nous pourrions mettre sur pied une organisation qui donne satisfaction201. »
145Lors de la dernière navette, Queuille semble l’avoir emporté, puisque l’admission temporaire n’est que suspendue pour deux mois et qu’il n’est plus question de réexpédition « à l’identique », mais il lui faut encore batailler, et il conclut une de ses interventions par cette formule :
« Je remercie l’honorable M. Borgeot de vouloir bien ne pas déposer un amendement. Je lui donne l’assurance que j’étudierai, pour la fin des vacances […] la question infiniment délicate, puisqu’elle touche à des conventions internationales, d’une taxe sur les blés entrant en admission temporaire202. »
146Après ces nombreux débats, l’article 27 de la loi, finalement inclus dans le dernier titre des « dispositions diverses », prévoit une série de dispositions203.
C. Un scandale et un travail d’enquête
147Dès le 15 juillet, L’Action française se fait l’écho de l’évolution du texte sur la question de l’admission temporaire lors de la navette parlementaire :
« Pour prévenir ces abus, les producteurs de blé ont proposé la suspension provisoire de l’admission temporaire et le texte de la loi voté une première fois par la Chambre leur donnait, dans une certaine mesure, satisfaction. Seulement, sans que personne ne s’en aperçoive, un loustic a introduit dans le texte de la loi deux mots qui annulent l’effet de la suspension204. »
148Le journal de Dorgères, La Voix du paysan, attaque dans le même sens :
« Je ne prétends pas que M. Louis-Dreyfus ait fraudé personnellement. Mais c’est lui, certainement, qui a été le fournisseur des fraudeurs ; ce sont ses bateaux qui ont transporté le grain fraudé. Et on aurait ruiné ses amis et clients si l’on avait appliqué cette mesure si simple et si efficace : obliger les fraudeurs à réexporter des quantités de blés égales à celles qu’ils ont introduites frauduleusement205. » ; « On prétend même qu’à l’ordre de la nouvelle loi sur les blés, un sous-secrétaire d’État a spéculé et a ramassé ainsi quelques millions en introduisant des blés étrangers en France. Ce sous-secrétaire d’État, M. Patenôtre, est d’ailleurs fort capable de se livrer à de pareilles fraudes. Il possède un passé de spéculateur qui nous permet de croire tout ce qu’on raconte et il importe que des précisions soient fournies au plus tôt par le Ministère206. »
149L’Action française se fait régulièrement l’écho d’attaques très vives contre Louis Louis-Dreyfus, mêlant antisémitisme, haine de la République et argument de défense paysanne207. Ainsi, en août 1934, ce journal publie ce texte :
« La question du blé s’appelle la question de M. Louis Louis-Dreyfus. Pourquoi n’est-elle pas désignée par son nom ? Pourquoi l’enquête ne commence-t-elle pas par où elle doit commencer ? M. Louis Louis-Dreyfus est puissant. Il siège dans les assemblées du régime. Il a acheté un journal bien rédigé, fort lu, il est bien apparenté et bien allié. Toucher à Louis-Dreyfus, c’est toucher à la tribu des Jouvenel : elle est aussi puissante que la tribu des Chautemps. Et puis après ? Si l’on hésite à avancer dans cette direction, celle que tout indique, on avoue qu’il y a dans l’État démocratique républicain des Puissances assez fortes pour disputer au paysan de France le fruit de son labeur et le juste prix de ses peines. C’est ce qu’il fallait démontrer. J’entends bien qu’on me dit que ce n’est pas vrai, que nous nous trompons, que M. Louis Louis-Dreyfus est innocent de tous ces malheurs, qui le placent lui-même dans une situation difficile, le pauvre ! Cela est bel et bon. Pourquoi ne le dit-on pas avec précision et clarté ? Pourquoi cette affaire est-elle éludée et comme étouffée ? Pourquoi ne met-on pas M. Louis Louis-Dreyfus en mesure de se justifier de la puissante rumeur accusatrice qui monde du pays entier ? L’enquête s’impose. Reste à savoir qui sera assez fort pour l’entreprendre, assez indépendant pour la mener à bien. Une énorme fortune, chiffrée à milliards. Une armée de scribes qu’elle fait vivre. Une autre armée d’agents électoraux. Une famille solidement campée et distribuée dans l’État. Et, derrière elle, tout l’État. Mon opinion est que nos pauvres paysans peuvent se brosser. Un seul programme est à l’étude : le moyen de donner à de justes colères et à des exigences trop légitimes une pente de diversion. La démocratie est à la recherche d’un nouveau mythe sauveur208. »
150L’admission temporaire garde mauvaise presse dans les milieux agricoles, et, dans un article qui tente d’en défendre le maintien dans L’Agriculture nouvelle, en juin 1934, l’auteur doit reconnaître que « la suppression de l’admission temporaire fait partie des revendications du monde agricole, qui voit dans son exercice un moyen de fraude nuisible à l’écoulement de sa production sur le marché intérieur. […] [Elle] fait naître contre elle une mystique faisant partie de celle existant contre les intermédiaires209 ».
151Le débat revient dans l’enceinte parlementaire en mai-juin 1934, lors de l’adaptation de la loi du 10 juillet 1933. Dans un rapport, le sénateur Borgeot note même : « Le préjudice causé à la culture par l’admission temporaire est devenu une mystique pour le monde agricole : il faut en tenir compte210. » Ainsi, Camille Ferrand, député radical de la Creuse, citant des articles de journaux, s’interroge sur des fraudes concernant l’importation de blés211. Il relève dans l’un d’eux : « Une industrie spéciale de bootleggers du blé, si nous osons dire, a mis au point depuis six mois une organisation de tout premier ordre. Les agriculteurs normands sont informés là-dessus, beaucoup mieux qu’on ne paraît l’être rue de Grenelle212. » Le ministre de l’Agriculture répond que ces fraudes n’existent pas et qu’il n’y a pas eu d’entrées de blés étrangers. Le socialiste Camille Bénassy, député de la Creuse, insiste sur les campagnes de presse :
« Je sais qu’une presse plus mal intentionnée que mal informée, s’empresse de démoraliser la classe paysanne en affirmant que, malgré le vote d’une loi de taxation destinée à protéger le paysan français, on permet l’importation de quantités considérables de blé. Dans le monde paysan, on fait circuler des chiffres fantastiques d’importations de blés étrangers. Les détracteurs de la loi de taxation vont répétant qu’on a importé des quantités formidables de blé. Répondant à un interpellateur, monsieur le ministre, vous leur avez déclaré qu’on n’avait pas admis de blés étrangers en France, pour faire concurrence au blé français213. »
152Le ministre Henri Queuille rappelle l’existence des blés algériens, tunisiens et marocains (ces deux derniers étant soumis à un régime spécial), et il réaffirme que l’admission temporaire est strictement contrôlée214. Le député radical du Loiret Henri Chevrier intervient à la fin du débat sur le sujet en reprenant de manière équilibrée les arguments habituels :
« Certes, je n’oublie pas que l’admission temporaire peut éviter le chômage à un certain nombre d’ouvriers, de bateliers et de marins. Je ne veux pas la condamner d’une façon absolue. C’est pourquoi je suggère qu’en cette période de crise, à partir d’une date très prochaine, elle soit suspendue et que la minoterie qui fait de l’admission temporaire procède d’abord à l’exportation, avant de pouvoir importer de nouveaux blés. Ce sera, si vous le voulez, l’admission temporaire retournée215. »
153Les difficultés d’application de la loi du prix minimum et les campagnes de presse216 dénonçant les spéculations et le système de l’admission temporaire amènent la Chambre des députés à adopter une résolution, le 22 juin 1934, créant une commission « chargée de rechercher les quantités totales de blés étrangers entrées en France depuis le 1er mai 1933, et les conditions d’introduction, la destination et l’utilisation de ces blés », commission présidée par le sénateur Fernand Chapsal. Le rapport est réalisé par Capot de Barrastin, un conseiller honoraire à la cour d’appel de Paris. Sa publication est tardive, puisqu’elle ne se fait au Journal officiel qu’au début du mois de juillet 1935217.
154La commission d’enquête connaît une composition variée218. Le rapport justifie d’abord les raisons de cette commission d’enquête, non sans une certaine distance critique :
« Ceux qui souffrent ont toujours une tendance à faire retomber sur quelqu’un la responsabilité de leurs maux. » ; « Des bruits ainsi répandus, plusieurs journaux et non des moindres, se sont fait l’écho, et certains parlementaires, assurément de très bonne foi, mais gagnés par l’émotion de leurs électeurs, les ont portés à la tribune du Sénat et de la Chambre, leur conférant le poids de leur autorité219. »
155Le texte adopté par la commission d’enquête insiste ensuite sur le fait que le bilan demandé porte sur la période postérieure au 1er mai 1933, mais il commence par une série de mise au point sur ce qui s’est déroulé durant l’année 1932220. La commission note la présence blés « exotiques » mais destinés à la Sarre et donc non soumis à la législation française. L’un des points les plus notables est que le rapport indique la consultation des chiffres fournis par la douane mais aussi des enquêtes sur le terrain auprès du comité interprofessionnel du contrôle des importations de blé, où sont délivrées les licences d’importation, ainsi qu’aux Grands Moulins de Strasbourg et à Marseille.
156Le président de la commission demande aux parlementaires qui ont fait des déclarations aux tribunes des Chambres contre la fraude de « donner leurs sources ». Parmi les réponses, Louis Louis-Dreyfus dépose devant la commission et conclut qu’« à son avis les fraudes signalées étaient tout à fait improbables ». Conscient des attaques dont il est la cible, il précise :
« Au demeurant, M. Louis-Dreyfus indique que, pour lui, il n’y a pas d’opposition entre la qualité de négociant et celle de parlementaire, qu’il s’honore d’être et qu’il tient à déclarer pour qu’il n’y ait point de malentendu que, qu’elle qu’ait été son opinion personnelle sur ces questions, il a toujours voté les mesures agraires destinées, dans la pensée tout au moins de ceux qui les proposaient, à améliorer le sort des producteurs, des paysans si éprouvés dans notre pays agricole. Il l’a fait autant parce que la femme de César ne doit pas être soupçonnée, qu’en considération, – qui a à ses yeux une grande importance – de la nécessité de tout entreprendre pour parvenir à la paix sociale221. »
157En annexe du rapport, des réponses des parlementaires sont publiées et certaines sont assez surprenantes. Ainsi, celle du sénateur Léonide Babaud-Lacroze, qui écrit :
« Je ne comprends rien à votre lettre. […] Je suis partisan de la suppression de l’admission temporaire du blé, avec la totalité des cultivateurs de ma région. […] Chez moi les populations rurales sont déchaînées, et si l’on ne prend pas les mesures les plus draconiennes tout est à craindre222. »
158La troisième partie du rapport est construite comme une réfutation des différents griefs ou fraudes allégués. Une certaine crispation autour du cas du Maroc est à noter223. Sinon, le rapport est d’une grande précision dans les cas exposés (noms des bateaux, dates, volumes de blé) et le constat est celui d’un manque de preuves ou d’une impossibilité d’avoir pu commettre des fraudes. Le rapport aborde aussi directement, comme 18e et dernier point la « question des mots “ou achetées” insérés dans le premier alinéa de l’article 27 de la loi du 10 juillet 1933 », dont la présentation montre le caractère sensible : « Il nous reste à exposer une question qui a vivement ému l’opinion publique224. » L’explication refuse toute idée de fraude et plaide une incompréhension liée à un autre débat et à une contrainte de calendrier parlementaire.
159La conclusion générale est donc nette : « Les administrations dont le rôle est de contrôler les entrées de blés exotiques en France se sont acquittées consciencieusement de la surveillance dont elles étaient chargées. Elles disposent de moyens suffisants pour que cette surveillance soit complète225. » Sur la question du « ou achetées », la position transige un peu :
« Nous pensons qu’il aurait été bien préférable d’employer les mots “ou entreposées”, car les mots “ou achetées” étaient de nature à couvrir des opérations ne présentant pas toutes les garanties habituelles exigées en pareille matière par les administrations compétentes. »
160À partir de son étude, la commission considère qu’il n’y a pas eu de spéculation, mais que, « toutefois, cette insertion a pu, dans une certaine mesure, atténuer, dans l’esprit des milieux intéressés, l’effet psychologique attendu de la suspension pendant deux mois de l’admission temporaire des blés tendres ».
161Mais une juriste notait justement que ce travail de la commission d’enquête aboutissait à un résultat en demi-teinte :
« Elle conclut négativement. C’est possible. Restait cependant un danger en quelque sorte psychologique : la certitude que l’admission temporaire était violée était si bien ancrée dans l’esprit des cultivateurs qu’elle contribuait à entretenir cette mentalité défaitiste responsable pour une grande part de la baisse226. »
162Les dispositifs concernant l’admission temporaire se complexifient et le décret de codification sur le blé en mai 1936 fait référence, en son titre XII intitulé « Dispositions relatives à l’admission temporaire et dispositions diverses », à pas moins de six textes de lois différents sur le sujet pris entre 1933 et 1935227.
163Si l’admission temporaire a été une des questions récurrentes qui a agité tant les parlementaires que la grande presse, une autre a donné lieu à presque autant d’affrontements et de rumeurs de scandales : il s’agit de la Bourse du commerce et de son rôle dans les spéculations sur le blé.
III. Les scandales de la spéculation
164Si l’admission temporaire a été au cœur d’une partie des débats sur la fraude à la législation du marché des blés, l’enjeu de la Bourse de commerce est central dans tous les débats des années trente. Les opérations spéculatives qui s’y déroulent sont régulièrement dénoncées. De plus, les arbitrages politiques qui conduisent à des liquidations du marché en 1930 et 1933 sont au cœur de véritables scandales qui amènent la justice (pénale et administrative) à instruire des affaires complexes dans lesquelles tous les acteurs collectifs du marché du blé jouent des rôles parfois inattendus. La procédure d’enquête judiciaire tout comme les justifications des arrêts du Conseil d’État permettent d’analyser au plus près les luttes d’intérêts mais aussi les conséquences du travail parlementaire. À travers un cas précis, on peut ainsi réfléchir à la « qualité » de l’élaboration législative et aux problèmes d’interprétation qui sont ouverts après le vote d’une loi.
165La situation de la Bourse de commerce avant les crises spéculatives de 1930 et 1933 est présentée clairement dans les deux rapports de la commission de l’agriculture de la Chambre des députés, rédigés par Alexandre Duval228. Le parlementaire explique en effet :
« les difficultés éprouvées par les agriculteurs résultent, affirment quelques-uns, d’opérations fictives ou purement spéculatives, qui auraient lieu à la bourse de commerce de Paris. En outre, on se plaint que le cours officiel des denrées soit fixé et arrêté uniquement par des syndicats ou personnalités étrangères à la profession agricole ; et, non sans raison, d’aucuns émettent la prétention de voir un ou des agriculteurs participer aux cotations officielles des produits qu’ils font naître229 ».
166Duval se fait à la fois l’écho des défenseurs des marchés libre et réglementé et de la position des agriculteurs, exprimée par l’AGPB devant la commission sénatoriale de l’agriculture en juin 1929. Il faut noter aussi que la meunerie se méfie pour partie de la Bourse de commerce dès lors qu’elle ne veut pas être associée à la dénonciation des spéculations :
« Le marché réglementé de Paris était simplement un marché spéculatif, où le jeu domine surtout la situation. Haussiers et baissiers peuvent manipuler ce marché d’autant plus aisément, que le stock y est à peu près nul. Au surplus, la très grande majorité de la clientèle est étrangère au commerce des farines230. »
167Enfin, Duval cite l’étude d’Oscar Bloch sur la Bourse du commerce et note comme celui-ci :
« Avec les bourses […], avec la fongibilité des marchandises et des contrats qui y règnent, avec la publicité des marchés qui leur est propre, avec la pratique des arbitrages qui tient à leur essence, le déplacement qu’on peut appeler intellectuel et sans frais vient prendre la place du déplacement matériel et onéreux. L’effort inutile est remplacé par l’effort utile : phénomène analogue à celui qui, dans l’ordre de la production, nous a valu le machinisme et la division du travail, phénomène conforme à la loi du progrès et aux exigences de la civilisation231. »
168Bloch se livre alors à une défense et illustration des vertus de la Bourse de commerce :
« L’ignorance dans laquelle elle est enveloppée et les passions qui prennent naissance dans cette ignorance, la rouerie des politiciens et aussi des puissants magnats de finances et d’industrie qui trouvent commode de rejeter toutes les difficultés économiques sur ce bouc émissaire, et enfin l’excès et la maladresse de certaines apologies, tout a concouru à lui créer une légende d’obscurité et de malfaisance. Elle a toujours été un épouvantail et non un champ d’observations et de méditations. Et cela est très fâcheux. Car enfin c’est à la Bourse des Marchandises que se débattent les prix des matières les plus indispensables à la vie : son fonctionnement intéresse donc tous les consommateurs de ces matières, tous les mangeurs de pain, tous les mangeurs de sucre, etc., etc., autant dire tout le monde, tous les Français et toutes les Françaises des plus riches aux plus pauvres232. »
169Duval rappelle aussi dans son rapport un épisode « sensationnel et sans précédent lorsque, le 18 février 1924, une ordonnance du préfet de police, contresignée du ministre de l’Intérieur, ferma, jusqu’à nouvel ordre, la Bourse de commerce de Paris. Les motifs invoqués étaient les suivants : “Attendu que les conditions dans lesquelles s’effectuent les cotations par suite de la crise des changes sont de nature à troubler le libre jeu des transactions sur le marché intérieur à provoquer une hausse anormale des prix et, par suite, à compromettre l’ordre public”233. » Une décision de la cour d’appel de Paris, le 11 janvier 1928, se fait l’écho de cette mesure ; un juriste, qui commente cet arrêt, rappelle combien la décision de 1924 était « un événement unique dans nos annales commerciales234 ». Les projets anciens et longtemps retardés de réforme de la Bourse du commerce se trouvent ainsi à nouveau mis en lumière dans un contexte bien particulier. Ces éléments sont à l’arrière-plan des deux « affaires du blé » de 1930 et 1933 – pour reprendre la terminologie employée à la chambre de commerce de Paris, partie prenante de la question.
A. Une « liquidation » fort débattue à l’été 1930
170Une note « confidentielle » au ministre du Commerce fait un bilan des événements de juillet 1930, relatés dans la perspective de la chambre de commerce de Paris235. Ce texte insiste d’abord sur le caractère imprévu de l’ampleur de la récolte de 1929 et la difficulté, au printemps 1930, de lutter contre la baisse des cours. Or, la récolte de 1930 s’annonçait mauvaise et la note explique ce qui s’est alors passé : « les vendeurs à découvert des mois précédents essayèrent de se racheter, et, devant l’ascension continue des cours, donnèrent des ordres sans limitation de prix », et, « dès la fin de juin, la situation des maisons de commission à la Bourse de commerce se révélait grave ; l’une d’entre elles suspendait ses opérations à fin juin ». En juillet, la situation empirait et la chambre de commerce demanda alors une situation précise à chaque compagnie intervenant sur le marché sur un cours bloqué à 160 fr. Sur 76 réponses, 44 compagnies déclaraient pouvoir faire face, 5 ne pas avoir d’engagement sur le marché à terme des blés et 25 indiquaient être en difficulté de paiement. La note précise que, face à l’ampleur des difficultés, une décision d’intervention des pouvoirs publics était prise par modification du règlement du marché, acté par la chambre de commerce et promulgué par un arrêté du ministre du Commerce. En plus d’une série de modifications, des « dispositions transitoires » organisaient l’intervention en « résiliant de plein droit à la date du 31 juillet 1930 et liquidant aux cours de compensation fixés par la chambre de commerce de Paris ». La note précise le souci de la chambre de commerce d’assurer la liquidation dans les meilleures conditions possibles, y compris en négociant avec les banquiers236. La note insiste sur le fait que « les cours pratiqués en août et septembre font également ressortir le caractère fictif et presque uniquement spéculatif des cours pratiqués dans la dernière quinzaine de juillet ».
171Un arrêté du 30 juillet 1930 pris par le ministre du Commerce renforce les conditions d’admission des blés, ordonne l’enregistrement obligatoire des opérations à une caisse de liquidation et prévoit la représentation des agriculteurs à la Chambre syndicale de la bourse de commerce237. Flandin, alors ministre du Commerce, est interpellé par le socialiste Max Hymans :
« Depuis mi-juillet, les cours du blé à la Bourse du Commerce sont – au détriment des cultivateurs – maintenus bien au-dessous de leur valeur réelle, par suite d’une entente entre les commissionnaires du Marché de Paris. Leur but était de sauver les spéculateurs, qui depuis un an ont gagné, en jouant à la baisse du blé, des sommes considérables sur le travail des cultivateurs, qu’ils ont obligé à vendre leur récolte à des prix infimes. Par l’article 2 de l’arrêté du 30 juillet, le Gouvernement vient d’homologuer ces agissements en rendant obligatoire la résiliation et la liquidation des opérations sur la base de 160 francs, alors que le cours officiel et sincère fixé par les courtiers assermentés est de 173 francs. Vous comprendrez la surprise des producteurs de blé, – en faveur desquels le Gouvernement n’est pas intervenu pour arrêter la spéculation lors de la baisse artificiellement provoquée par des joueurs insolvables – lorsqu’ils constatent que des mesures de protection officielle sont au contraire prises pour éviter à des spéculateurs, dignes d’aucun intérêt les risques qu’ils ont librement courus dans l’espoir d’un gain spéculatif238. »
172La presse se fait l’écho de cet événement. Dans l’organe du Parti agraire et paysan français, un article reproche à Flandin de s’être porté « au secours des spéculateurs ». Le ton est vigoureux :
« C’est “le fait du Prince” insolent et brutal, mais un fait du prince que déterminent non pas la raison d’État, non pas des motifs supérieurs d’ordre public : simplement de misérables intérêts privés, de viles questions d’argent, de sales combines d’affairistes, pour empêcher la culbute de quelques mercantis qui eussent pourtant mérité la potence. Et M. P.-É. Flandin a osé signer “ça !”. “Ça”, une manœuvre grossière, un coup de Jarnac impudent, un truc immoral pour ratifier la tricherie, le vol des baissiers et des commissionnaires, qui ne veulent pas payer aux haussiers les 15 à 20 francs par quintal qu’ils leur doivent239. »
173Les agriculteurs (et particulièrement les céréaliers) s’inquiètent de ne pas obtenir la représentation espérée :
« Retard que subit la mise en application de la décision prise par le Conseil des ministres du 26 juillet, en ce qui concerne l’admission des représentants de l’agriculture au sein des organismes syndicaux de la Bourse de Commerce de Paris. […] Je ne vous cache pas, Monsieur le Ministre, ma crainte de voir le Syndicat des blés ne pas faire preuve d’un très grand désir de hâter l’homologation définitive de ces nouveaux statuts et avec elle l’entrée des représentants de l’agriculture au Syndicat et à la Chambre Syndicale. Je crois qu’il y aurait grand intérêt à ne pas laisser les choses traîner en longueur. Les réactions des représentants à la Bourse pourraient en effet devenir plus énergiques, au fur et à mesure que nous nous éloignons des événements, quelque peu douloureux, qui ont rendu nécessaire la réforme du marché réglementé240. »
174La mémoire de cet événement est parfois mobilisée, comme à la Chambre des députés, dans le débat de janvier 1931 qui amène la chute du cabinet Steeg. Camille Ferrand parle ainsi de « l’affaire Flandin » et se fait dénonciateur en rappelant que les plaintes « innombrables » ont été confiées à un juge d’instruction, espérant que « ces plaintes ne soient pas enterrées, comme l’ont toujours été, dans ce pays, celles déposées à propos du blé241 ». Flandin répond vivement en défendant ses choix242. L’épisode est à nouveau rappelé lors des interpellations d’octobre-novembre 1932. Le socialiste Roldes rappelle en particulier les faits pour opposer ce type d’intervention aux projets d’office du blé qui régulerait le marché :
« Ceux qui interviennent de cette façon sur le marché devraient être un peu moins sévères pour nous quand nous parlons d’intervenir. C’est là de l’intervention chaotique, accidentelle, arbitraire. Notre interventionnisme est mesuré, réglé, arrêté, il se produit dans le cadre même de la loi. La différence est sensible243. »
175Plusieurs plaintes sont déposées dans le cadre de cette affaire. Une partie de la minoterie semble opposée à l’arbitrage ministériel. Un comité de défense des usagers du marché réglementé de la Bourse de commerce de Paris est créé le 20 août 1930 et dépose une plainte devant le doyen des juges d’instruction244. Ce comité annonce également un pourvoi devant le Conseil d’État contre l’arrêté ministériel. Des notes du ministère du Commerce, conservées par Flandin, justifient les mesures adoptées :
« Le passif de ces maisons est tellement élevé que toute la place risque d’en être atteinte. […] On peut dire, sans crainte d’être démenti par les techniciens autorisés, que la non-intervention amènera fatalement le 31 juillet la faillite de tout le marché à terme de la Bourse245. »
176Le texte d’un projet de lettre du président de la chambre de commerce à Brack, juge d’instruction, le 13 mars 1931 en réponse à sa demande de fournir « tous documents communiqués à la Chambre de commerce vers le 17 juillet 1930 par le Syndicat du commerce des blés », montre la prudence de la chambre en cette affaire :
« Les déclarations individuelles recueillies par nos soins, en vue de l’accomplissement de notre mandat, nous ont été remises sous conditions du secret le plus absolu. C’est pour cette raison même que nous nous sommes considérés comme strictement tenus de ne donner au ministre du Commerce qu’un exposé d’ensemble des résultats de notre consultation. Le ministre a approuvé cette manière de faire. Dans ces conditions, j’ai l’honneur de vous informer que nous estimons ne pas pouvoir nous dessaisir des documents à nous confiés dans les conditions précitées246. »
177Par ailleurs, le directeur des Affaires commerciales et industrielles au ministère écrit, le 4 février 1931, au président de la chambre de commerce de Paris pour demander à celui-ci de réagir au mémoire ampliatif adressé au Conseil d’État à l’appui de son recours déposé par Henri Clément, qu’il lui joint à son courrier247. Ce long mémoire est à la fois très précis juridiquement et au ton un peu vif, comme dans le passage où les arrière-pensées de la décision prise à l’été 1930 sont mises en cause assez directement :
« On ne peut pas s’empêcher de se demander si cette mesure qui n’a pas été prise dans l’intérêt du service, ne l’aurait pas été pour sauvegarder des intérêts particuliers, étrangers sinon opposés à l’intérêt public. […] Dépassant les pouvoirs du ministre, nullement motivée par l’intérêt public, elle n’a été prise que pour éviter à des spéculateurs les risques qu’ils ont cependant courus dans l’espoir d’un gain spéculatif. Elle est donc, en plus de l’incompétence et de l’excès de pouvoir, manifestement entachée de détournement de pouvoir248. »
178Le 27 avril 1932, le ministre du Commerce et de l’Industrie écrit au vice-président du Conseil d’État, qui lui avait « communiqué pour avis » le pourvoi formé par le Sr Clément contre l’arrêté du 30 juillet 1930. La lettre rappelle la nature des décisions prises par la chambre de commerce et reprend l’argumentation élaborée par celle-ci dès l’automne 1930249. Un « mémoire en réplique » pour le plaignant est enregistré au Conseil d’État le 2 novembre 1932. Il est encore très sévère et explicite, notant par exemple : « À défaut d’une disposition législative expresse la chambre de commerce et le ministre du Commerce ne pouvaient disposer des contrats librement passés par les usagers du marché250. » La décision du Conseil d’État indique que le sieur Clément se désiste le 20 décembre 1932, mais que le comité de défense des usagers du marché réglementé de la Bourse de commerce persiste dans le pourvoi (notification du 18 février 1933).
179L’affaire de juillet 1930 trouve un premier épilogue avec un arrêt du Conseil d’État en juillet 1935. La juridiction administrative annule l’arrêté par lequel le ministre du Commerce avait homologué et publié la délibération de la chambre de commerce, celle-ci étant tenue pour non valide251. Le professeur de droit Achille Mestre, dans un long commentaire qu’il publie à propos de cette décision, note que « le présent arrêt présente un grand intérêt parce qu’il permet de se faire une idée exacte des rapports existants entre la chambre de commerce, établissement public d’État, et la Bourse de commerce, organisation privée, mais d’intérêt public252 ».
180Le commentaire est précis sur ce point, soulignant que la décision rapportée était « une atteinte à la liberté du commerce, comme le déclare le Conseil d’État, et aussi à un principe fondamental en vertu duquel les actes de l’administration ne peuvent bouleverser les situations de droit privé résultant d’actes juridiques régulièrement intervenus » ; il note de plus que le Conseil d’État n’a pas invoqué l’argument de nécessité ou de force majeure. Mestre conclut :
« C’est que, à ses yeux, si l’autorité peut aller, dans des cas extrêmes, jusqu’à sacrifier l’exercice d’une liberté au maintien de la paix publique gravement menacée quand il n’y a pas d’autre moyen d’assurer l’ordre, cette considération ne saurait légitimer l’atteinte portée à des contrats régulièrement conclus, dans le but d’éviter des pertes sévères à des spéculateurs malchanceux. C’est au seul législateur qu’il appartient d’intervenir s’il estime que l’intérêt public commande la révision ou la résiliation des contrats253. »
181La décision du Conseil d’État du 26 juillet 1935 est transmise le 4 octobre par le ministre du Commerce au président de la chambre de commerce, lui demandant « de vouloir bien étudier d’urgence quelle suite cette décision comporte pour votre compagnie et me tenir informé des conclusions de cette étude254 ». Le procès-verbal de la séance du 2 octobre 1935 de la chambre de commerce indique la lecture de l’arrêt du Conseil d’État, avec ce commentaire un peu désabusé du président :
« Voilà quelle est la situation. Je ne sais pas quelles conséquences elle aura. La chambre de commerce de Paris n’a fait que prendre une délibération à la demande même des pouvoirs publics ; il ne peut pas en résulter pour elle d’autres conséquences, je ne crois pas. Quant aux particuliers, que pourront-ils faire ? Que feront-ils ? Je ne le sais. Il me semble presque impossible de revenir sur une liquidation qui a été faite cinq avant ; les gens peuvent même avoir disparu255. »
182André Fleury, le président du comité de défense des usagers du marché réglementé de la Bbourse de commerce et membre actif de l’Association de la meunerie française, réagit cependant suite à l’arrêt du Conseil d’État. Une note interne à la chambre de commerce, non signée, en date du 8 novembre 1935, rend compte de la visite de Fleury, qui vient demander à l’institution consulaire d’agir. L’auteur de la note indique, non sans ironie, les points suivants :
« Puisque le Conseil d’État avait déclaré, dans son arrêt, que la chambre de commerce de Paris avait eu tort de se mêler de la question en 1930, il me semblait tout indiqué qu’elle ne cherche pas à s’en mêler à nouveau maintenant. […] que l’arrêt du Conseil d’État annulant la décision prise par le ministre du Commerce était une très jolie chose mais qu’en fait le Conseil d’État n’avait nullement indiqué par quels moyens et sur quelles bases on devait régler la question. Que si ces moyens et ces bases n’avaient pas été trouvés en 1930, il me paraissait qu’au point de vue pratique il ne devait pas être plus facile de les trouver en 1935256. »
183Les services techniques de la chambre de commerce dressent d’ailleurs une « note historique et explicative des événements de 1930 » le 21 novembre 1935, dont la conclusion est nette : « la chambre de commerce n’a aucune suite à donner à l’arrêt du Conseil d’État257 ». Fleury continue ses démarches sans vraiment de succès auprès de la chambre de commerce et des différentes directions du ministère du Commerce en janvier 1936. Le 20 avril 1936, le Syndicat du commerce des blés transmet au président de la chambre de commerce copie de l’assignation qu’ils ont reçue de la part des Grands Moulins de Pantin, en date du 10 avril, demandant des dommages (25 830 francs) sur les cours de compensation appliqués en 1930.
184Dans une note anonyme datée du 29 février 1936, retrouvée dans les archives de la présidence du Conseil, « l’affaire de 1930 » est rappelée en ouverture de l’historique des affaires de liquidation sur le marché du blé. Le résumé est bref et sévère :
« En 1930, nombre de grands usagers du marché réglementé des blés à la Bourse de commerce de Paris, furent éprouvés par une hausse rapide. Pour sauver plusieurs maisons de la faillite, le ministre du Commerce, M. Flandin, prit le 30 juillet 1930, un arrêté en vigueur duquel une liquidation obligatoire eut lieu sur la base du cours de 160 frs, inférieur au cours réel qui était de 175 frs. La fixation de ce cours de compensation fut confiée à la Chambre de Commerce où s’en occupait M. Pierre Fournier. Parmi les personnes intéressées à cette intervention se trouvait M. Ledermann, commissionnaire, beau-frère de M. Robert Bollack. Le président de la Chambre syndicale des blés était M. Benedic. L’intervention fut mal jugée par beaucoup d’usagers et de commissionnaires. On accusa M. Pierre Fournier d’avoir accepté une somme de 50 000 frs pour fixer les cours d’une façon déterminée. […]. Un recours au Conseil d’État eut lieu. Dernièrement, le Conseil d’État a annulé l’arrêté, avec des attendus très sévères, et tenant compte du grief de la fixation des cours en faveur de certains intérêts258. »
185L’arrêt du Conseil d’État met un terme à cette « première affaire des blés259 ». La lenteur du processus judiciaire, qui fait que l’affaire de 1930 n’est dénouée que cinq ans après, et la mémoire de l’événement chez les acteurs jouent un rôle important lors de la seconde crise de liquidation du marché des blés à l’été 1933, crise qui accompagne le vote de la loi du 10 juillet sur le prix minimum.
B. La loi sur le prix minimum ou comment vouloir contrer les spéculateurs
186L’éventualité d’une spéculation à la Bourse du commerce est en arrière-plan de toutes les discussions parlementaires des débuts de l’été 1933, avec l’établissement, finalement, par la loi du 10 juillet, d’un prix minimum du blé. Les analystes qui étudient de manière contemporaine aux événements la création de cette loi pointent les variations des cours pendant les mois de juin et juillet. Un juriste précise que la question se posait pour le marché réglementé de savoir comment dénouer les fonctions respectives des acheteurs et des vendeurs260, trois options étant possibles : « on pouvait laisser aller les choses » (solution faisant bénéficier les acheteurs de tous les avantages résultant du fait nouveau imprévisible de la fixation du prix minimum de 115 francs), « on pouvait estimer que ce fait nouveau constituait un cas exceptionnel analogue à ceux prévus par le règlement » (nécessité d’un cours de compensation choisi de manière équilibrée), « une troisième solution consistait à annuler purement et simplement les affaires du marché réglementé comportant livraison après le 15 juin, tout comme les affaires traitées au marché libre » (solution donnant tous les avantages aux vendeurs ayant une position à la baisse, qui allaient supporter, par suite de l’élévation des cours, une lourde perte). Le juriste souligne combien « les baissiers » ont interprété la décision ambiguë du Parlement dans leurs intérêts, et il note l’affrontement entre négociants et représentants des agriculteurs et l’action des « baissiers ».
187Ce choix n’est en fait pas vraiment tranché par un débat parlementaire confus et une loi imprécise, dont l’application est l’enjeu majeur d’un conflit qui dure pendant plus de cinq ans. Le débat parlementaire montre la conscience du problème par les députés et sénateurs, mais, en même temps, aboutit à une solution très ambiguë. C’est dans les premiers jours de juillet que le débat est explicitement posé à la Chambre suite à un amendement collectif défendu par le député radical de l’Aube Émile Brachard. Ce dernier explique son projet :
« Nous avons voulu en votant la résiliation, replacer dans une situation d’équité le vendeur mal informé qui, par sa livraison, a permis à l’acheteur de réaliser un bénéfice que nous trouvons inadmissible. Mais il serait encore plus inadmissible – et j’imagine que dans cette Chambre personne ne sera d’un avis opposé – de permettre à ceux qui ont joué à la Bourse du commerce et qui ont été en grande partie, par leurs spéculations à la baisse, les mauvais artisans de la détresse des campagnes, de bénéficier de la résiliation. […] Ceux qui ont vendu à 85 fr. et qui sont dans l’obligation de racheter à 110, 112 ou 115 fr., vont trouver la pilule amère. Mais ils ont fait assez de mal à ce pays et à la culture française pour que la pénalité qui, normalement doit jouer, leur soit appliquée261. »
188Dans sa réponse, le ministre de l’Agriculture Henri Queuille indique : « La seule question qui se pose est de savoir si la loi que nous allons voter constitue bien une taxation générale. C’est mon avis. » L’amendement Brachard est alors adopté.
189Au Sénat, le 6 juillet, le débat est incertain. Jean Philip s’étonne de ce nouveau texte voté par la chambre et conclut : « Je ferai tout pour les producteurs, je ne ferai rien pour les spéculateurs. Or le texte qui nous est proposé, je le crains laisse la porte ouverte aux spéculateurs » ; ce à quoi lui répond Alexandre Israël : « c’est exactement le contraire262 ». René Hachette explique quant à lui qu’il « est regrettable que, notamment, un accord ne soit pas intervenu rapidement le 24 juin entre les deux chambres, pour permettre d’arrêter immédiatement ou, plus exactement, d’étouffer dans l’œuf des spéculations qui, cet accord n’ayant pas eu lieu, ont pris jour et ce sont développées263 ». Et donnant la succession des cours au jour le jour sur le mois de juin, il conclut : « Si je vous dis cela, Messieurs, c’est que vous sentez qu’il n’est plus question de blé : on joue, et on joue sur les intentions du Parlement. Je considère cela comme intolérable264 ! ». Queuille se montre fataliste :
« Il s’agit de savoir comment nous allons passer de l’état normal d’hier à un état nouveau, créé par la proposition que vous avez adoptée. Quoi que nous fassions, à quelque décision que s’arrête le Parlement, en accord avec le Gouvernement, nous léserons certains intérêts, nous en favoriserons d’autres. Des spéculateurs seront atteints et, je le répète, la mesure adoptée pourra toucher certains intérêts légitimes265. »
190Renvoyé à la commission de l’agriculture du Sénat pour réécriture, l’amendement Hachette est présenté à la fin de séance par le rapporteur de la commission, Marcel Donon, qui accepte l’amendement et en permet le vote. Victor Boret pose alors une question qui reste sans réponse nette : « Sur quel taux se fera la liquidation ? Sur les cours précédant cette date ou sur ceux de la quinzaine suivant cette date ? Cela a une importance considérable266. »
191Un débat plus bref est reposé à la Chambre le 7 juillet, avec un nouvel amendement proposé par le député socialiste Albert Rivière et Brachard. Rivière insiste sur sa volonté de « défendre le producteur ignorant de la loi qui allait être votée contre la spéculation qui, elle, avait pu être informée267 ». Le ministre plaide pour l’adoption du texte sénatorial, car s’il reconnaît que la thèse de Rivière est « particulièrement séduisante », il insiste sur l’impossibilité de différencier « les bons et les mauvais » et reconnaît que, compte tenu du vote du Sénat, il « est obligé de faire une transaction268 ». L’amendement est repoussé. Le député radical du Loiret Henri Chevrier propose lui aussi un amendement soutenu par la commission des finances. Il fait un exposé bien informé et dit explicitement que l’amendement Hachette « satisfait, au plus haut point les spéculateurs à la baisse que nous voulons atteindre269 ». Brachard intervient à son tour pour parler d’« un point essentiel de la loi. Il s’agit de la moralité et de la salubrité des opérations faites à la Bourse de commerce […] Nous avons légiféré dans l’intention très nette et très formelle de protéger les cultivateurs français contre les agissements des baissiers qui, depuis un an, compromettant le sort de notre agriculture, ont réalisé des fortunes scandaleuses à la baisse et se trouvent maintenant enfermés dans un filet, parce que les cours ont remonté à la suite de notre intervention270 ».
192Queuille qualifie le problème de « délicat » et parle même d’« une part arbitraire271 » ; il fait alors une déclaration ambiguë :
« M. Brachard m’a demandé comment serait déterminée la période de quinze jours. D’après le règlement de la Bourse de commerce – c’est la thèse de M. Chevrier – le prix minimum est une taxation générale. Mais ce prix minimum ne sera en vigueur que le jour où la loi sera promulguée. Par conséquent, la liquidation devra se faire d’après les cours pratiqués pendant les quinze jours qui auront précédé cette promulgation. Voilà ma réponse à M. Brachard. À la Chambre de dire si, en cette matière, elle veut s’en tenir au règlement de la Bourse de commerce – il y a là, en effet, quelque chose de comparable à la taxation générale – ou s’en tenir au texte du Sénat, sur lequel j’ai fait des réserves. En effet, en pareille matière, nous ne pourrons pas atteindre d’une façon absolue tous les spéculateurs, et nous ne serons pas sûrs que certains marchés ne seront pas réglés d’une manière autre que celle que commanderait l’équité272. »
Le rapporteur de la commission de l’agriculture, Camille Briquet273, défend le texte sénatorial en expliquant que la liquidation qui en découlera ne léserait pas les agriculteurs :
« Seuls d’autres spéculateurs comme eux auront à en souffrir. Or, si ces derniers sont aujourd’hui des haussiers, je vous prie de ne pas oublier qu’ils spéculaient hier à la baisse, que, par conséquent, les uns et les autres sont dans ce même panier de crabes que nous voulons combattre. Peu nous importe qu’il s’agisse de spéculateurs à la baisse ou à la hausse. Ils ne sont pas plus intéressants les uns que les autres. Qu’ils se mangent entre eux, nous n’avons pas à intervenir274 ! »
193Le député Charles Delesalle expose les deux options avec clarté et l’amendement Chevrier n’est pas adopté.
194Ce déroulement des débats est commenté dans la presse. La Chambre syndicale du commerce des blés voit par exemple son communiqué publié par Le Temps :
« La chambre syndicale estime nécessaire de mettre en garde le Parlement contre les démarches faites par certaines personnes qui, guidées par leur seul intérêt particulier, voudraient exploiter l’état de fait actuel pour éviter le payement de différences dues par ceux qui n’ont pas craint de chercher à paralyser les mesures actuelles en vendant au marché réglementé275. »
195De même, dans la publication de l’AGPB, l’article sur « l’annulation des affaires à terme » est particulièrement sévère avec le texte finalement adopté, puisque le sous-titre de l’article est : « Le Parlement a-t-il compris ce qu’il a voté276 ? »
196Le texte prévoit donc, dans les alinéas 5 et 6 de l’article 1er de la loi :
« Tous les marchés, de quelque nature qu’ils soient, de blé, de farine ou de produits dérivés, comportant livraison après le 15 juin 1933, seront, si la livraison n’a pas encore été faite, résiliés sans indemnité à la demande de l’une quelconque des parties. La demande initiale en résiliation devra être formée dans le délai d’un mois après la promulgation de la présente loi. En ce qui concerne les marchés réglementés, les opérations postérieures au 15 juin 1933 seront annulées purement et simplement ; celles antérieures à cette date seront liquidées conformément aux règlements de ces marchés, comme en cas de taxation générale277. »
C. L’application de la loi à la Bourse de commerce : protestations et divergences de la doctrine
197Le récit de l’application de la loi votée est complexe, car elle est au cœur du conflit d’intérêts, des débats entre juristes et des procédures judiciaires. Si on la présente d’abord de la manière la plus simple, sans recourir aux découvertes (et aux partis pris énoncés lors) de l’enquête judiciaire, on doit préciser que l’application de l’alinéa 6 de l’article 1er a posé question à la Chambre syndicale du commerce des blés, qui en avait la charge. Celle-ci a consulté la chambre de commerce qui a la tutelle de la Bourse du commerce, et des discussions ont été engagées avec les ministères de l’Agriculture et du Commerce. Dans une lettre du 13 juillet de Fournier au président de la chambre de commerce, Henri Garnier, le premier précise :
« Toutes les éventualités résultant de l’application de la loi ont été envisagées, et le résultat de cet examen a obscurci encore une question qui n’était déjà pas très claire. Aussi, aucune décision n’a été prise. […] Je ne puis vous dire encore ce que sera la décision définitive. J’ai défendu le point de vue que vous avez bien voulu approuver, et les fonctionnaires assistant à la conférence s’y sont ralliés comme étant celui qui paraissait le plus équitable, et devant donner le plus petit nombre de conflits278. »
198Après des débats et les consultations de deux juristes, Garnier adresse une lettre au ministre du Commerce le 19 juillet, où il indique son point de vue, « [inspiré] des travaux de MM. les Professeurs Ripert et Lescure », dont le ministre a bien voulu lui communiquer le texte279. Garnier emploie dans sa lettre l’expression de « transmission des indications » pour l’application de la loi. Le choix de Garnier, en accord avec les ministères, est que « la date de taxation générale est fixée au 15 juillet et les cours de compensation seront établis en prenant cette date comme point de départ ».
199La chambre syndicale prend une décision en ce sens. Mais, immédiatement, les acteurs lésés ne se laissent pas faire280. Le 22 juillet, six commissionnaires protestent par lettre contre la décision de la chambre syndicale. Le 24, leur refus de liquider sur la base des cours de compensation établis est signifié par huissier ; le jour même, on assiste à l’application des sanctions prévues par le règlement auxdits commissionnaires. Le 26 juillet, une lettre du président de la chambre de commerce au président de la chambre syndicale a pour but de faire connaître aux intéressés « qu’il ne peut être question de revenir sur des décisions qui ont été prises en toute connaissance de cause ». Le 4 août, se réunit la commission d’appel de la Bourse de commerce ; les avocats des appelants font connaître qu’une assignation est adressée à la chambre syndicale d’avoir à comparaître devant le tribunal de commerce le 5 septembre pour voir annuler les cours déterminés ; une déclaration de regrets des commissionnaires contestataires est cependant signée et des sanctions moindres sont prononcées ; il est « donné acte » de la poursuite en cours devant les tribunaux. Le 7 août, de nouvelles exclusions sont prononcées, compte tenu de l’assignation devant le tribunal de commerce. Le 8 août, la démission collective de la chambre syndicale est proposée à la chambre de commerce et, le 10 août, l’AGPB écrit au président de la chambre de commerce pour se solidariser avec la chambre syndicale. Une note interne de la chambre de commerce à son président précise, en date du 9 août : « l’affaire des blés rebondit ». Un nouvel appel sur la nouvelle exclusion est engagé avec un appel a minima du ministre du Commerce. Le 19 octobre, la commission d’appel acquitte les appelants en se fondant sur le donné acte281.
200Un docteur en droit note à ce propos :
« En manière de protestations, leur opposition s’est traduite par le refus exprimé ouvertement de se soumettre aux cours de compensation fixés par la Chambre syndicale : par une action de propagande intense, menée dans l’espoir de faire revenir le gouvernement sur sa décision de principe, enfin par de nombreuses significations de responsabilité financière adressées par ministère d’huissier, à tous les membres de la Chambre syndicale, aux délégués de l’agriculture282. »
201Les choses se compliquent avec l’arbitrage de la commission d’appel, qui ne propose que des sanctions légères. Le docteur en droit commente sur ce point : « Le gouvernement, en faisant lui-même appel a minima pour obtenir des sanctions rigoureuses, prit ses responsabilités et marqua sa position en décidant de soutenir la cause des producteurs283. »
202Cet enchaînement d’événements, qui détermine les suites judiciaires, place en son cœur la question du choix de la chambre syndicale dans la détermination des cours de compensation à régler par la caisse de liquidation de la Bourse de commerce en application de la loi du 10 juillet 1933. Dans cette procédure, la chambre de commerce tient un rôle central, et ses services continuent de suivre de très près le dossier à l’automne 1933. Une note d’octobre s’interroge sur les « travaux préparatoires de la loi284 ». En comparant l’amendement Hachette du Sénat, finalement adopté, et l’amendement Chevrier rejeté, l’auteur précise :
« Sans doute, s’il y a entre les deux textes identité de but, il y a divergence sur le choix des moyens : dans un cas l’annulation et, dans l’autre la résiliation. Mais la conception est la même sur le caractère des marchés spéculatifs visés. » ; « Nous savons qu’il y a parfois quelque danger à vouloir “restituer” à la pensée du législateur une clarté qui n’apparaît pas nettement à la lecture de discussions plus ou moins confuses et imprécises, comme celles dont il s’agit. »
203Une note datée du lendemain précise cette argumentation en faveur de la compensation des affaires à terme d’après la moyenne des bourses précédant le 15 juillet285.
204Ce texte interne à la chambre de commerce montre qu’un des débats majeurs porte sur l’interprétation de la loi, et celle-ci, avant d’être tranchée par les tribunaux, est d’abord l’affaire des professeurs de droit286. Les deux premières consultations par ordre chronologique ont un commanditaire connu, puisqu’il s’agit du ministère du Commerce. Georges Ripert, professeur à la faculté de droit de Paris, rédige un texte daté du 16 juillet sous le titre : « Consultation pour l’application de la loi du 10 juillet 1933 ». Il conclut, sur la question centrale de la date à choisir pour déterminer les cours de compensation, en refusant de prendre pour point de départ de la liquidation la date de la promulgation de la loi :
« Nous n’admettons pas une telle solution pour des raisons purement juridiques et non d’ailleurs sans reconnaître que l’hésitation est permise. » ; « Il est possible que les expressions employées aient dépassé la pensée du législateur. Elles sont si générales qu’elles doivent être appliquées sans distinction287. »
205La seconde consultation, contradictoire, est celle demandée à Jean Lescure, économiste, également professeur à la faculté de droit de Paris. Il est consulté par les ministres du Commerce et de l’Agriculture et rédige un texte daté du 18 juillet. Là aussi il est fait référence aux débats parlementaires, mais la conclusion est différente :
« Nous écarterons la date du 15 juin, comme date de suspension des affaires. Sans doute la loi annule les opérations postérieures au 15 juin. Et, pour cette raison, on peut être tenté d’admettre la date du 15 juin, comme date de suspension des affaires mais des opérations ont été conclues régulièrement, des cours ont été cotés après le 15 juin. Et l’on ne saurait, à notre avis, admettre que les affaires ont été suspendues, et moins encore, qu’elles l’ont été officiellement. La suspension officielle implique une décision des pouvoirs publics, un arrêt des opérations à terme. Or, la Bourse est restée ouverte, des marchés à terme ont été conclus. Des cours ont été cotés. ».
206Il conclut :
« Nous proposons cette solution après beaucoup d’hésitation. Mais un texte de loi ne saurait être déclaré inapplicable, que si les travaux préparatoires, le raisonnement, s’opposent à toute application. Nous suggérons, dans ces conditions, et avec toutes les réserves nécessaires l’interprétation suivante288. »
207Après ces deux consultations, qui ont été utilisées pour la prise de décision par la chambre syndicale, les différents intérêts vont consulter d’autres juristes, souvent prestigieux, afin d’obtenir des avis qui pourraient servir leur point de vue. C’est un bref avis daté du 25 juillet du doyen de la faculté de droit de Paris, membre de l’Institut, Henri Berthélemy, qui semble régler facilement la question, il explique, « considérant qu’il n’est pas admissible, pour la détermination des cours de compensation, de s’en référer à des mercuriales portant sur des contrats annulés », « que les cours de compensation applicables aux marchés dont il s’agit ne peuvent être régulièrement établis que sur la moyenne des cours des quinze dernières bourses précédant le 16 juin 1933289 ».
208La tonalité de la consultation du doyen de la faculté de droit de Strasbourg, Joseph Duquesne, est différente. Publié tardivement290, son texte s’intéresse à l’enjeu juridique même s’il ne s’agit que d’une partie de la question :
« La loi du 10 juillet 1933 sur le prix minimum du blé est surtout connue par les difficultés qu’a rencontrées son essai d’économie dirigée ; les problèmes juridiques qu’elle pose n’ont tenu que le second plan dans les préoccupations de l’opinion publique. Et cependant, parmi ces problèmes il en est un qui mérite de retenir l’attention des juristes, tant par l’ampleur des intérêts en jeu et la multiplicité des procès qu’il soulève que par la nature de la question d’interprétation législative qu’il suscite291. »
209L’intérêt de la démonstration publiée est que Duquesne revient longuement sur les travaux préparatoires de la loi, il en distingue des phases successives avec le jeu des amendements dans les deux Chambres – il cite même une lettre d’un des sénateurs parties prenantes de ce jeu parlementaire lui confirmant son interprétation. L’exégèse est particulièrement subtile et montre une intéressante relecture par un juriste des joutes parlementaires, le technicien du droit se permettant même de juger de la qualité des alinéas du texte de loi voté – l’addition des mots « comme en cas de taxation générale » étant tenue pour « une superfétation maladroite292 » – et réaffirmant les conditions d’interprétation de la volonté des législateurs. La conclusion de Duquesne est nette :
« Le Parlement a accompli sa tâche. Il appartenait à la Chambre syndicale d’accomplir la sienne en se conformant à la loi et au Règlement. Elle a incorrectement interprété les deux textes. Ses décisions sont, pour cette raison, attaquables devant les juridictions compétentes. Elle ne peut prétendre à une immunité dont ne jouissent même pas les autorités administratives et gouvernementales293. »
210Une autre perspective est proposée par Henri Lalou, professeur à la faculté libre de droit de Paris. Il aborde cet « important problème juridique et économique », autour duquel une « controverse très vive s’est élevée294 ». Il critique la position de Berthélemy :
« Malgré la très respectueuse amitié que nous professons pour l’éminent doyen qui préconise cette solution nous pensons très fermement que cette solution pèche par la base, car l’argumentation sur laquelle elle repose confond deux choses : l’annulation des contrats d’une part, et la suspension de la liberté des cours, d’autre part. »
211Sa conclusion est favorable à la décision prise : « C’est donc correctement que cette date de suspension de liberté des cours […] a été choisie par la Chambre syndicale pour fixer le cours de compensation. » Il propose un autre élément d’analyse : « l’équité » :
« Le moindre mal plaidait donc en faveur de la liquidation au 15 juillet. » ; « La décision de la Chambre syndicale, qui ne pourrait pas être critiquée devant un tribunal, parce que cette décision est prise en vertu d’une délégation du pouvoir législatif nous paraît également à l’abri de toute censure. »
212La consultation de Julien Bonnecase, professeur à la faculté de droit de Bordeaux, est sans doute l’une des plus fournies, car, signée le 4 décembre 1933, elle peut commenter plusieurs consultations déjà effectuées et il reproduit de très nombreux documents de l’affaire295. À la question de savoir si la chambre syndicale a eu raison de prendre la décision qu’elle a prise, il souligne les quatre réponses négatives de Berthélemy, de Duquesne, d’Appleton et de Maurice Colrat (ancien garde des Sceaux)296. Bonnecase s’oppose à ces positions : « Il nous paraît que l’argumentation produite dans les consultations dont il vient d’être fait état n’est pas convaincante et que la solution contraire à celle qui y est défendue repose seule sur une saine interprétation des textes des lois et des règlements. » Il est de plus en accord avec la thèse d’Henri Lalou, et conclut : « Toute loi a une portée essentiellement limitée et objective qui se détermine à l’aide, d’une part, de la formule littérale du texte et, d’autre part, du but social poursuivi lors de l’élaboration de la loi interprétée. »
213Une dernière consultation est signée le 12 décembre 1933 par Henri Capitant, prestigieux professeur à la faculté de droit de Paris et lui aussi membre de l’Institut. Avant de prendre position, Capitant commence par une leçon de méthode :
« Nous ne pénétrons, quant à nous, qu’avec regret, dans le maquis des travaux préparatoires. Chacun croit y trouver, en citant l’opinion de tel ou tel orateur, la confirmation de la thèse qu’il soutient. Et comment en serait-il autrement ? Les opinions les plus diverses y sont émises, et on ne peut savoir en quelle mesure elles ont influé le texte définitivement voté. Les Anglais ont bien raison de ne jamais s’y reporter et de concentrer la discussion sur les formules de la loi297. »
214Il reprend ensuite un argument identique à Lalou : « La cotation est un fait matériel, le marché est opération juridique. L’annulation frappe l’opération juridique dans sa totalité ; elle ne détruit pas le fait. » Il conclut dans le même sens :
« Si donc la chambre syndicale avait appliqué les cours des quinze premières bourses précédant le 15 juin, tous les acheteurs auraient eu à se plaindre, tandis que, aujourd’hui, ce sont les baissiers qui réclament. Avec le système soutenu par ces derniers, on arriverait à ce résultat, qui ne manque pas d’imprévu et de pittoresque, de donner satisfaction aux intérêts de ceux-là même contre les opérations desquels le Parlement voulait réagir en vue d’assurer la hausse du prix du blé. En vérité et quoi qu’on en dise, en fixant le cours de compensation, d’après les bourses du mois de juillet, la chambre syndicale a pris la mesure qui lui a paru faire le moins de mal au commerce des blés et atténuer, dans la mesure du possible, le trouble profond que le législateur, véritable apprenti sorcier, a provoqué et dont il cherche encore à applier les conséquences. »
215Dans ce débat sur l’interprétation de la loi et de sa juste application, avant d’entendre les juges, il faut souligner que certains parlementaires ne restent pas silencieux. Ainsi, le sénateur de la Haute-Marne Émile Cassez s’explique dans la presse :
« Les baissiers cherchent aujourd’hui, pour appuyer leur thèse, à élever le doute sur la volonté du Parlement ; ils s’ingénient à tirer du texte de la loi et des débats législatifs cette conclusion que les décisions réglementaires, objet de leurs protestations, étaient condamnées par avance par le législateur. Qu’il soit permis à un représentant de l’agriculture au Parlement de dissiper cette équivoque298. »
216Un document retrouvé dans les archives de la chambre de commerce indique qu’en tout cas, les rumeurs étaient nombreuses à la Bourse du commerce durant l’été 1933. J. Adam, un commissionnaire en grains et fourrages à Reims, écrit ainsi à Henri Garnier, président de la chambre de commerce de Paris, le 6 juillet 1933 :
« Je maintiens également ce que j’ai dit, que cet avis préventif avait causé un préjudice énorme à ceux qui avaient acheté et particulièrement à moi-même et j’en saisirai la justice et peut-être le parquet car cet avis, démenti par vous, a été donné par des personnes sur lesquelles on pouvait fonder croyance ».
217Et il ajoute :
« P.-S. À titre confidentiel car je ne voudrais pas colporter une nouvelle dont je ne suis pas certain on me disait même hier, je ne puis toutefois pas l’affirmer, que c’était pour sauver quelques millions des Grands Moulins de Paris où Monsieur Fournier aurait des intérêts299. »
D. Procédures et décisions judiciaires
218La diversité des acteurs en conflits, la complexité de la discussion juridique et les différentes instances judiciaires saisies rendent l’affaire difficile à démêler d’autant que les archives retracent son déroulement de manière incomplète. Trois procédures s’entremêlent avec des chronologies qui interagissent mais qu’il convient de distinguer : une première concerne l’éventualité d’une entente illicite et elle donne lieu à une instruction judiciaire, une seconde met en cause la décision prise par la chambre syndicale devant le tribunal de commerce de la Seine puis devant la cour d’appel de Paris, enfin une troisième conteste cette décision mais devant le Conseil d’État.
219La procédure judiciaire va révéler beaucoup d’éléments sur les tractations de l’été 1933. C’est l’année suivante, le 13 avril 1934, qu’une plainte émanant du sieur Becker, propriétaire des « Grands Moulins de la Ganzau » à Strasbourg-Neuhof, et visant des faits de spéculation sur les blés parvient à la chancellerie300. À l’automne, le procureur de la République fait un premier bilan de l’affaire au procureur général en signalant la nouvelle plainte déposée par Pierre May et la Compagnie grainière :
« Il paraît établi que la Chambre syndicale envisageait avec plus de faveur la position prise par la spéculation à la hausse ; des témoins entendus au cours de l’enquête ont avancé que les membres de cet organisme avaient, dans des conversations privées, marqué leur intention d’interpréter la loi dans le sens d’une liquidation, base 15 juillet 1933. Dès cette époque la clientèle des arbitragistes et spéculateurs à la baisse, par l’entremise de ses courtiers et commissionnaires, faisait des démarches pour faire prévaloir, comme étant légal, l’établissement des cours de compensation sur la base du cours moyen des 15 bourses antérieures au 16 juin 1933, au motif que les cours de compensation ne pouvaient être fixés sur des cours résultant d’opérations annulées par la loi. La Chambre syndicale du commerce des blés et autres céréales entoura d’avis et de conseils la décision qu’elle avait à prendre301. »
220Les agriculteurs ne restent en effet pas inactifs face à cette instruction. Des courriers échangés avec la chambre de commerce en témoignent. Le 14 août, l’AGPB informe Garnier de la lettre de réponse des membres de la chambre syndicale au juge :
« Nous protestons énergiquement contre l’enquête ouverte et contre les renseignements que vous nous demandez. En prenant la décision au sujet de laquelle vous nous interrogez, nous avons agi comme membres de la chambre syndicale, conformément aux règlements qui nous régissent et en vertu d’une délégation que nous a donnée la loi du 10 juillet 1933. Nous ne comprenons donc pas que la juridiction pénale vienne, aujourd’hui, nous demander sur ce point des renseignements302. »
221Pierre Hallé écrit ensuite au président de la chambre de commerce à plusieurs reprises dans le même sens : « Dans son principe, cette enquête nous est apparue, ainsi qu’à nos conseils juridiques, inadmissible. […] Dans son exécution, voici que cette procédure se révèle maintenant fantaisiste et irrégulière303. » Il lui indique qu’il conserve par contre sa confiance à Queuille : « La position du ministre de l’Agriculture, dans cette affaire, reste à mon avis, parfaitement correcte et loyale304. » La tonalité est plus inquiète face au nouveau gouvernement Flandin en décembre 1934, mais Hallé montre ses ressources :
« Notre affaire de Bourse entre dans une phase plus aiguë et particulièrement pénible. Nos adversaires attaquent avec violence, j’ai l’impression que le Président du Conseil qui nous est très défavorable actuellement, n’est pas étranger à leur action. […] J’ai pris contact, d’autre part, avec le rédacteur en chef du Jour. M. Ledermann, par ailleurs, a vu M. Bailby, de ce côté la campagne est arrêtée par nos interventions305. »
222Le socialiste Georges Monnet critique en 1934 l’inertie de la justice et du gouvernement sur cette affaire :
« Si le Gouvernement était résolu à juguler la spéculation, il aurait, semble-t-il, tenu à faire la lumière sur des faits faciles à contrôler et sur lesquels depuis plusieurs mois, nous lui avons posé des questions précises. Ce n’est pas, je le répète, une fois de plus, que nous nous intéressions dans cette jungle qu’est la Bourse des blés à ces fauves aussi à craindre les uns que les autres pour les producteurs et les consommateurs, qu’ils s’appellent “haussiers” ou “baissiers”. Il leur arrive, d’ailleurs d’être alternativement l’un et l’autre. Mais je ne comprends pas qu’après un an passé, on ne soit pas encore arrivé à voir clair sur les raisons qui ont poussé la chambre syndicale de la bourse des blés de Paris, à interpréter d’une façon si paradoxale la loi du 10 juillet 1933, en fixant comme elle le fit les cours de compensation pour la liquidation des affaires antérieures au 15 juin 1933. J’ai su qu’une enquête avait finalement été ouverte. Le rapport du commissaire qui a fait l’enquête, indique fort clairement que la volonté du législateur a été trahie par la décision de la chambre syndicale. Mais “l’interprétation de la loi et des règlements des marchés du blé étant seule en cause” il déclare que ni le délit de coalition, ni celui d’escroquerie ne sauraient être relevés contre la chambre syndicale. Pour être bien persuadé que cet honorable enquêteur a raison, je me permets de poser pour la troisième ou la quatrième fois la question suivante : “Quelles étaient, en juin 1933, les positions acheteur et vendeur ?” Si l’on savait quels sont les groupes ou les personnalités qui avaient intérêt à ce que la décision de la Chambre syndicale fût prise dans tel ou tel sens on serait peut-être bien prêt de comprendre pourquoi la décision intervenue s’est trouvée aussi formellement en opposition avec l’esprit du législateur306. »
223Dans une tonalité moins socialiste mais tout aussi virulente, des articles de presse dénoncent cette fraude :
« Le contrôle de l’État s’est avéré une fois de plus pernicieux aux intérêts du pays. Il a permis à des spéculateurs, renseignés par les pouvoirs publics, de réaliser une opération dans laquelle ils ne couraient aucun risque. Une fois de plus une véritable escroquerie a été accomplie à l’abri des lois307. »
224Dans les archives de la présidence du Conseil, une note permet de connaître l’avancée de l’enquête et ses difficultés :
« L’information a été ouverte contre X… le 6 novembre 1934 sur la plainte avec constitution de partie civile de M. Pierre May, agissant en qualité de président du Conseil d’administration de la Société anonyme “Compagnie grainière”, ayant son siège à Zurich (Suisse). Au dossier de cette information, au moment de son ouverture, a été versé le dossier de l’enquête officieuse que le Parquet effectuait depuis le mois de mai 1934 sur la plainte d’un sieur Becker, directeur des Grands Moulins de la Ganzau, à Strasbourg. Les deux plaintes visaient, en effet, les mêmes faits : l’action illicite qui aurait été exercée sur le marché des blés par l’application dolosive qu’aurait faite la Chambre syndicale des blés près la Bourse de commerce de Paris des dispositions de la loi du 10 juillet 1933, en ce qui concerne la fixation des cours de compensation pour la liquidation des opérations à terme non encore dénouées lors de la promulgation de la loi308. »
225La note précise aussi, concernant la saisie de documents :
« Au moment de l’ouverture de l’information, les plaintes n’étaient assorties que de nombreux articles de journaux et d’une consultation de M. Duquesne, doyen de la Faculté de droit de Strasbourg. Par la suite, les plaignants n’ont remis au juge que de nouveaux articles de journaux, ainsi que les copies de dépêches et circulaires administratives qui paraissaient d’ailleurs avoir été précédemment publiées par la presse. Aucun document comptable ne lui a été encore produit par quelque partie que ce soit. Le juge a demandé à la police judiciaire le 3 décembre 1934 une copie des comptes en banque depuis le 1er janvier 1933 de la chambre syndicale des blés, de l’AGPB et des Grands Moulins de Paris, ce à la demande de la partie civile. Ces documents ne lui sont pas encore parvenus. Le juge n’a procédé jusqu’ici à aucune perquisition309. »
226La conclusion de la note sur l’information judiciaire est la suivante :
« Le juge d’instruction a procédé jusqu’ici à deux reprises à l’audition de M. May, partie civile, ainsi qu’à celles du Président de la Chambre de commerce et du président de la Chambre syndicale et à celles des fonctionnaires des ministères intéressés en fonctions à l’époque des faits incriminés. Le Président de la Chambre syndicale proteste de sa bonne foi. Il ne sera possible de se former une opinion sur l’existence des éléments du délit de l’art. 419, et, notamment de la bonne ou de la mauvaise foi de ceux à qui ces agissements sont reprochés, qu’au résultat de l’expertise comptable qui vient d’être ordonnée à la date du 19 décembre. M. l’expert Barbut se propose, après étude du dossier et obtention des comptes de banque, de procéder à toutes investigations utiles dans les comptabilités des membres de la Chambre syndicale et de ceux de la caisse de liquidation fonctionnant à la Bourse de commerce de Paris. L’expert estime qu’avec le maximum de diligence et à condition qu’aucun retard ne soit apporté dans la mise à sa disposition des documents indispensables six mois au moins, sauf imprévu, sont nécessaires pour l’accomplissement de sa mission310. »
227Entre décembre 1934 et novembre 1935, le juge Rousselet auditionne les acteurs de l’affaire et les documents d’archives conservés permettent de suivre chacune des déclarations. Il entend d’abord Henri Garnier, le président de la chambre de commerce, qui relate les faits tels qu’il s’en souvient. En dehors du procès-verbal d’audition, mais inclus dans une note conservée par la chambre, Garnier attaque vivement les plaignants May et la société grainière : « Elle est suisse, mais cache, au fond, des intérêts allemands311. » En janvier, le juge auditionne Angelo Massé, préfet en disponibilité et ancien chef de cabinet du ministre du Commerce à l’été 1933 – il le réauditionne en novembre 1935. Il entend le 5 mars Roger Fighiéra312, directeur des Affaires commerciales et industrielles au ministère du Commerce, qui témoigne de sa confiance envers son collaborateur René Bouffandeau313. Ce même jour, ce dernier est auditionné à son tour et déclare :
« Je tiens à dire qu’il ne semble pas que la volonté du législateur ait été si mal interprétée par la Chambre syndicale des blés, puisque deux ans se sont écoulés et qu’aucune interpellation, aucune question ni écrite ni orale, ni aucun dépôt de proposition de loi n’a eu lieu, à ma connaissance314. »
228Le 6 mars surtout, c’est au tour de Pierre Fournier, membre de la chambre de commerce de Paris, qui témoigne :
« J’estimais qu’étant donné le caractère un peu léonin de la loi si on l’appliquait en l’interprétant trop strictement, qu’il fallait se placer le plus possible dans l’éventualité où les contrats seraient normalement arrivés à leur terme, et c’était possible entre autres pour toute la liquidation du mois de juin qui était déjà faite. En tout cas cette opinion n’a pas été adoptée, et l’interprétation qui a été faite a été la conséquence normale des consultations qui avaient été demandées315 ».
229Fournier reconnaît qu’il est « le conseiller technique depuis 1926 des Grands Moulins de Paris et de Strasbourg et […] ignore si la liquidation des cours comportait un intérêt quelconque pour ces firmes. »
230Puis ce sont les plaignants qui sont entendus : le 7 mars, Charles Petit, président de la chambre syndicale des blés depuis février 1934, ayant succédé à Robert Ledermann, qui la présidait à l’été 1933, rappelle son opposition au choix effectué :
« Que connaissez-vous de la fixation des cours en juillet 1933 ? Celle-ci paraît avoir été faite d’une façon inouïe par l’ancienne chambre syndicale, et ce, en violation des lois et règlements. […] N’ayant pas voulu m’incliner avec mes collègues devant la décision de la Chambre syndicale, j’ai été à deux reprises exclu pour la durée d’un an316. »
231Le lendemain, Charles Speyer, administrateur de sociétés, président de la caisse de compensation est entendu dans le même sens, alors que, le même jour, Ledermann, ancien président de la chambre syndicale des blés, défend ses choix en racontant ses visites au ministère du Commerce.
232Ce même jour, Garnier est à nouveau entendu. En réponse aux questions du juge, il affirme ses positions et défend Fournier :
« Je ne sais quels sont exactement les rapports que M. Fournier peut avoir avec les Grands Moulins de Paris ou de Strasbourg, en tout cas j’ai toujours reconnu que ses avis étaient inspirés par l’intérêt général. […] Je tiens à prendre la pleine et entière responsabilité de l’avis que j’ai formulé, en toute indépendance, sans avoir subi aucune pression, après avoir pris connaissance par moi-même de la question. »
233Il conclut :
« Il y a des procès qui sont engagés devant les juridictions commerciales et le Conseil d’État, concernant la décision de la chambre syndicale ; il n’y aurait qu’à en attendre les résultats, et je ne vois pas comment une question pénale peut se poser, à moins qu’on ne veuille créer une atmosphère trouble autour de cette affaire317. »
234Ce même jour, Georges Delpeux, courtier assermenté, déclare qu’il a bien reçu un chèque, mais qu’il n’a rien à voir avec Fournier318. Le 15 mars 1935, Raymond Etlin, négociant, est entendu, et il attaque vivement Fournier :
« J’ajoute que M. Fournier a une réputation déplorable à la Bourse de commerce, à la suite de différentes affaires qu’il a faites avant et après la guerre. […] Dans les événements troubles qui se produisent depuis 1924, on le voit chaque fois réapparaître servant de directeur technique à des opérations spéculatives qui se font pour les Moulins de Paris, et dans lesquelles il a toujours eu comme exécutant la maison Robert Ledermann319. »
235Il dépose des notes contenant le récit des journées de juillet. Etlin n’était pas engagé par la liquidation de juillet 1933, mais il pense qu’il y a eu « un acte malhonnête » ; il s’était donc rangé avec les protestataires et avait été exclu. Le 25 mars, Henry Chasles, minotier et président de l’Association nationale de la meunerie française, apporte lui aussi un témoignage à charge contre Fournier :
« En septembre 1933, M. Benedic, ancien président de la chambre syndicale des blés, m’a déclaré devant M. Charles Petit […] et M. Jacob Israël […] que maintenant qu’il y avait prescription, il pouvait dire qu’en 1930, il avait versé à M. Fournier, membre de la chambre de commerce de Paris, un chèque de 50 000 frs. Pour services rendus à la chambre syndicale320. »
236Sur l’affaire de l’été 1933, il propose sa vision : « Pour un homme de bon sens, et quoique mes intérêts fussent contraires, on ne pouvait pas songer à donner l’interprétation de la loi qui en a été faite ; de là un véritable scandale. »
237Les 16 et 17 mai, le témoignage de Chasles contre Fournier à propos de l’affaire de 1930 est confirmé respectivement par Charles Petit et par Jacob Israël, courtier assermenté au tribunal de commerce de la Seine, président de la Fédération française des syndicats de produits du sol et grains. Le 16 mai, par contre, Léon-Isaac Benedic donne un témoignage plus ambigu sur le chèque remis en juillet 1930 à Delpeux, « en vue de rémunérer les concours qui avaient pu être utiles. Je ne puis aucunement certifier, n’ayant pas fait la remise moi-même, quels en ont été le ou les bénéficiaires321 ». Le 17 mai 1935, Fournier est réentendu avec des interrogations précises concernant les journées de juillet 1933, une des questions du juge étant : « Quand, où et à quelle heure avez-vous reçu la lettre du 10 juillet de la chambre syndicale322 ? »
238Une note du 29 avril 1935, sans doute rédigée par le juge instructeur s’intitule : « La journée du 10 juillet 1933 d’après les dépositions des témoins déjà entendus ». Il s’agit, dans ce texte, de faire le point sur cette journée qui s’intercale entre le vote de la loi le samedi 8 juillet et sa publication au Journal officiel le 11. La note refuse d’abord l’idée d’un débat sur l’interprétation de la loi par la chambre syndicale : « La chambre syndicale n’avait donc qu’à se placer à la date du 15 juin, et à appliquer arithmétiquement les articles du règlement. On ne voit donc pas en quoi la mission de la chambre syndicale était “délicate”, si la chambre syndicale restait dans son rôle réglementaire323. » À l’opposé des discussions des juristes consultés, la note établit fermement que « cette demande d’interprétation, ces difficultés d’application, sont nées de questions d’intérêts et non pas “d’obscurité du texte” comme on le dira par la suite. […] L’obscurité de texte n’existe pas : elle a été volontairement créée324. »
239Recoupant les dépositions, la note commente ensuite une réunion matinale du 10 juillet et précise la « présence insolite de M. Fournier », que celui-ci « a complètement passée sous silence325 ». C’est également le cas pour les dépositions de Garnier, le président de la chambre de commerce, et Bouffandeau l’homme du ministère326. La note insiste sur le fait que « la chambre syndicale saisit la chambre de commerce avant même la promulgation de la loi », et que « dans toute cette affaire les lettres arrivent aux intéressés avec une rapidité extrême, qui témoigne d’un contact étroit indiscutable327 ». La conclusion est assez nette : « L’objet essentiel de cette réunion du 10 est de déterminer comment on va essayer de faire couvrir par une décision qu’on espère gouvernementale la violation voulue de la loi328. » Les « difficultés certaines d’application » sont « purement imaginaires et minutieusement concertées. Le scénario est établi – la mise en scène est au point – les rôles ont été distribués – il n’y a plus qu’à jouer la pièce329 ».
240Dans cette configuration, le juge auditionne aussi les juristes consultés. Jean Lescure témoigne : « Il s’agissait d’une consultation d’urgence à faire dans un très bref délai et je ne me suis entretenu avec personne à ce sujet. Mon collègue, M. Ripert, en a rédigé une à mon insu, à la demande du ministère du Commerce330. » Le 14 novembre, c’est Georges Ripert qui confirme devant le juge avoir reçu une demande de consultation signée Bouffandeau par une lettre du 13 juillet. Les éléments du dossier d’instruction conservés comportent aussi une lettre au juge Rousselet d’un avocat dans l’affaire de la compagnie grainière qui précise : « J’ai pris ces jours-ci connaissance de la déposition de M. Lescure. […] Un fait apparaît aujourd’hui en pleine lumière. C’est le rôle particulièrement troublant et singulier joué dans toute l’affaire par M. Bouffandeau, sous-directeur au ministère du Commerce331. » L’avocat développe en notant que la première consultation demandée à Ripert ne donne pas le résultat attendu :
« Non seulement, les ministères intéressés et les intérêts connexes n’ont pas eu la couverture qu’ils convoitaient, mais au contraire la consultation de M. Ripert est une condamnation du point de vue qu’ils veulent adopter. Il est donc urgent tout à la fois de rendre officiel la décision prise et de couvrir autant que faire se pourra les auteurs de cette décision. M. Lescure est donc prié de déposer une consultation dans le délai le plus bref332. »
241Les mises en cause de Fournier sortent dans la presse professionnelle. Ainsi, en février 1936, un article du Petit Meunier indique :
« Accusation terriblement lourde ! Car, ou bien les faits rapportés sont inexacts et M. Chasles doit être poursuivi avec le président de la Chambre syndicale des blés, qui, à l’époque, était M. Benedic ; ou bien M. Fournier a trafiqué de son influence pour faire aboutir un règlement de compte répondant au désir de certains usagers du marché réglementé333. »
242Cet article entraîne d’ailleurs une lettre de Philippe Etlin à Pierre Fournier : « Je serais heureux de savoir quel démenti vous avez opposé à cette affirmation. Celle-ci jointe au fait que vos collègues de la chambre de commerce ont refusé, l’année dernière, de vous réélire premier secrétaire de la chambre de commerce, est troublante334. » Mais ce riche dossier ne semble pas aboutir. On a retrouvé une courte ordonnance de non-lieu du 19 mai 1937335. En parallèle de cette instruction judiciaire, la décision de la chambre syndicale a été aussi attaquée devant le tribunal de commerce.
243Le tribunal de commerce de la Seine se prononce en février 1934, dans l’affaire de la Compagnie agricole d’arbitrage et autres contre le Syndicat du commerce des blés et autres, en se déclarant « incompétent » : « Le juge consulaire ne peut annuler, ni modifier, ni méconnaître, un texte réglementaire sans sortir de ses attributions336. » L’avocat à la cour de Paris Pierre-Armand Weil, qui tient la rubrique de jurisprudence dans le Journal de la Meunerie et de la Boulangerie, se montre critique de ce refus de juger l’affaire sur le fond et il attend que le Conseil d’État tranche337. Mais le jugement du même tribunal de commerce (4e chambre), en date du 15 octobre 1935, dans l’affaire Cie grainière c. Lévy-Simons et Caisse de liquidation des affaires en marchandises statue dans un sens différent et refuse de se déclarer incompétent. Avec des attendus précis, le tribunal « dit que les décomptes des opérations visées au jugement n’ont pas été établis conformément à la loi, aux règlements en vigueur du marché des blés et aux contrats qui liaient les parties ». La note commente cette décision en indiquant que le jugement, « dans un raisonnement direct et dans une langue serrée et nette, pose le problème sur son vrai terrain : celui de l’interprétation de l’art. 6 § 1 de la loi du 10 juillet 1933 et du règlement du marché338 ».
244Les appels interjetés conduisent la cour d’appel de Paris à trancher. Les conclusions de l’avocat général Rolland, le 28 novembre 1935, sont intéressantes. Proposant de juger sur le fond, il pose le cadre de l’affaire : « Le débat dont la Cour est saisie démontre une fois de plus que l’action judiciaire s’exerce sur tous les domaines et qu’aucun, pour ainsi dire, ne lui est étranger. […] Aujourd’hui, c’est sur le terrain économique que vous êtes conviés à vous placer et à interpréter un texte législatif339. » Il prend parti dans l’interprétation de la loi :
« S’il est permis de regretter en présence des contestations actuelles que le Parlement qui ne les avait point prévues, n’ait pas, par une forme plus explicite, plus complète, plus précise, indiqué numérativement la date à laquelle il entendait limiter les effets de la loi quant à la fixation des cours de compensation, sa pensée et sa volonté se déduisent cependant par le jeu naturel de la raison. […] [La loi] ne peut pas prêter à équivoque et c’est en vain que l’on a essayé de lui donner un sens qu’elle ne porte pas en soi. Il faut cependant être beau joueur et dans une discussion qui a été si âpre, il convient de ne rien négliger pour convaincre la cour que la loi de 1933 a entendu fixer ses effets dans les conditions que j’ai dites340. »
245En les citant, il n’hésite pas à s’opposer aux avis des ministères du Commerce et de l’Agriculture des 16 juillet et 17 octobre 1934, exprimés à l’occasion du pourvoi du Conseil d’État :
« Quelle que soit l’autorité qui s’y attache, il me sera cependant permis de ne pas les partager sur ce point. Non seulement le pouvoir judiciaire est seul habilité pour interpréter la loi et ces avis ne peuvent s’imposer à lui avec la force qu’on a sans doute pensé leur attribuer, mais encore ils se heurtent aux diverses considérations de fait et de droit que j’ai envisagées. »
246Compte tenu des jugements du tribunal de commerce, il doit aborder ensuite la question de la compétence judiciaire pour cette affaire : « Sera-ce le Conseil d’État ? Je ne le pense pas. Ce serait à n’en point douter, faire fausse route que de considérer qu’une chambre syndicale aurait un caractère d’autorité administrative, alors qu’elle reste la simple émanation d’un syndicat corporatif. » Il refuse nettement l’hypothèse d’une délégation du pouvoir législatif à la chambre syndicale pour fixer les cours de compensation. Sa conclusion est cependant un peu surprenante, car, si le tribunal de commerce a eu tort de s’incliner devant la décision de la chambre syndicale des blés, « il [lui] paraît toutefois que la mise en cause de la chambre syndicale ne saurait se justifier. En soi, en tant qu’organisme corporatif, elle n’a rien à voir dans ces procès qui ont le caractère de différends d’ordre privé341 ».
247Les avocats de la chambre syndicale des blés produisent une note en réponse qui s’abrite derrière les consultations des juristes : « M. l’Avocat général adopte donc entièrement la thèse de M. le doyen Duquesne, contredite en tous points par l’opinion formelle de M. le professeur Capitant342. » Mais l’arrêt pris lors de l’audience du 19 décembre 1935 affirme que « la cote n’étant que l’indication des prix des marchandises négociées sur le marché public, il est impossible de donner force légale à des mercuriales qui ne sont que la manifestation des contrats que la loi a rendus inefficaces parce que ne correspondant pas à de véritables réalités économiques343 ». La décision de la 1re chambre de la cour d’appel de Paris le 19 décembre 1935 tranche le conflit. Statuant sur l’appel au jugement rendu par le tribunal de commerce de la Seine du 15 juin 1934, la cour annule « purement et simplement toutes opérations à terme sur le blé postérieures au 15 juin 1933, comme frappées de suspicion, en les tenant pour non avenues, sans caractère officiel, et dépourvues de validité, pour le motif que, conclues pendant la discussion de la loi au Parlement, la spéculation avait faussé la balance régulière de l’offre et de la demande, la loi du 10 juillet 1933 a annulé non seulement les marchés eux-mêmes, mais encore les cours qui en sont la conséquence344 ».
248Un sévère bilan de l’affaire est dressé dans une note anonyme retrouvée dans les archives de la présidence du Conseil, datée du 29 février 1936. Ce texte dénonce la collusion d’une partie des acteurs de la Bourse de commerce, de la grande meunerie et de l’AGPB, et l’instrumentalisation des consultations juridiques. Le texte précise :
« L’arrêt de la Cour a de multiples conséquences. La Chambre syndicale des blés et la Caisse de liquidation ne peuvent évidemment rester indifférentes à une décision de justice qui désavoue la base des décomptes ayant liquidé les opérations à terme au mois de juillet 1933. Une déliquidation est donc inévitable, qui doit rétablir la justice. D’autre part, l’arrêt de la Cour augmente davantage encore l’importance de l’instruction de la plainte. En effet, si la fixation des cours en 1933 résultait d’une manœuvre concertée, la culpabilité des personnes responsables de cette manœuvre devient incontestable. De toute évidence, sous cet aspect apparaît surtout probable l’inculpation de MM. Ledermann, Fournier, Meyer et Bavard, dont il a été parlé ci-dessus. Or, depuis le moment où les conclusions de l’avocat général furent déposées, l’AGPB – M. Pierre Hallé – commença dans son Bulletin, une campagne acharnée pour la fermeture du marché des blés, campagne reprise par nombre de personnalités agricoles, et qui permit d’obtenir une résolution de l’APPCA tendant aux mêmes fins. Cette campagne était sans raisons techniques, puisque depuis son ouverture, en septembre 1935, le marché réglementé des blés a été infailliblement orienté vers la hausse. Seulement, l’AGPB soutenait, depuis le début, l’opération de MM. Ledermann, Fournier, etc. Fin 1933, M. Ledermann et les autres membres de la Chambre syndicale furent blackboulés, parce que la majorité des commissionnaires estimait illégaux les cours obtenus par eux. Il s’ensuit une hostilité contre la nouvelle Chambre syndicale. Aussi la campagne de l’AGPB, dont le Bulletin a également protesté contre l’arrêt de la Cour d’Appel, a tout le caractère d’une pression destinée à intimider la Chambre syndicale qui, conformément à la décision de justice, doit procéder à la déliquidation, c’est-à-dire à la fixation de cours nouveaux, conformément à la loi345. »
249La question de la déliquidation est donc posée au début de l’année 1936. Charles Speyer, président du conseil d’administration de la Caisse de liquidation des affaires en marchandises, écrit au président de la chambre de commerce suite au jugement de la cour d’appel ; il lui indique avoir écrit à la chambre syndicale du commerce des blés pour demander « quelles initiatives elle entend prendre à bref délai346 ». Il lui écrit à nouveau en lui faisant part de son étonnement : « Je regrette que le désir de la caisse de liquidation de déférer aux décisions de justice se heurte à une volonté d’abstention systématique et malheureusement nouvelle de la part de ceux qu’elle va être obligée d’appeler aux débats comme responsables347. » La présidence du Conseil semble toujours suivre attentivement le dossier. Une note manuscrite sur papier à en-tête de celle-ci indique diverses rencontres en mars 1936348. Un expert est commis par ordonnance le 12 mars 1936 pour établir les cours de compensation avec le montant des primes. Il remet son rapport le 16 mai, rapport qui critique d’ailleurs la rédaction du texte de la loi : « À la vérité le texte de l’alinéa 6 de l’article 1er de la loi est imparfaitement rédigé349. »
250La chambre syndicale essaye alors de se couvrir auprès de la chambre de commerce, et son président écrit ainsi : « Je suis dans l’obligation de vous rappeler, Monsieur le Président, que les cours de compensation fixés, en juillet 1933 furent imposés par votre compagnie et que, dans ces conditions, des responsabilités éventuelles ne sauraient peser sur la chambre syndicale350. » Ce paragraphe est annoté en marge d’un « Non » ! Une note interne au président de la chambre de commerce cite le compte rendu de l’assemblée officieuse du syndicat des blés du 11 janvier 1934 : « Nous avons souligné p. 7, 9 et 10, les passages très importants qui attestent que la chambre syndicale a bien considéré la lettre de la chambre de commerce comme un avis, et a pris elle-même sa décision. » Ce compte rendu publié en brochure propose bien sûr une présentation orientée des événements de 1933351 Une autre note interne du service des études de la chambre, le 31 juillet 1936, plaide pour « détourner d’un procès » et trouver l’« opportunité d’une large transaction352 ».
251Une note précise le point pour la déliquidation :
« Les “dégâts” étaient estimés par la Bourse à 4 millions environ. La caisse de liquidation et la chambre syndicale des blés étaient décidées à faire chacune un effort. Elles demandaient en même temps à la chambre de commerce de participer à cet effort pour une somme approximative de 2 millions. Telles furent les propositions adressées verbalement au président Dalbouze dans l’audience accordée par celui-ci le 27 juillet aux délégués de la Bourse. Au cours de cette audience M. Dalbouze répondit négativement, et suggéra que la caisse et le syndicat s’entendent ? Il proposait de les aider à s’entendre et de les réunir la semaine suivante pour un arbitrage. […] Finalement […] la caisse de liquidation ainsi que le syndicat ont accru leurs efforts et opéré ainsi le règlement de ces affaires353. »
252Mais l’affaire continue à l’automne… Certains commissionnaires demandent le remboursement des amendes dont ils avaient été frappés à l’été 1933. Une note de la chambre de commerce s’y refuse :
« Aux termes de l’article 21 des statuts du syndicat des blés en vigueur au moment où est intervenue la décision litigieuse, les sentences de la commission d’appel sont toujours “définitives” ; il s’ensuit que de même qu’elles ne peuvent jamais donner lieu à aucun recours, elles ne sont pas susceptibles à révision354 ».
253Les commissionnaires Lévy-Simons et Etlin écrivent des courriers de relance à la chambre de commerce en février et mars 1937. Une note de la chambre en juillet 1937 indique des discussions avec Maître Bloch, avocat de Lévy-Simons et Etlin, qui est d’accord pour « inciter ses clients à abandonner la poursuite de cette affaire » ; l’homme de la chambre de commerce précisant :
« J’ai insisté sur l’erreur psychologique de susciter des litiges et des conflits entre commissionnaires et organes supérieurs des marchés, dans les circonstances actuelles politiquement défavorables à la bourse de commerce. Maître Bloch, qui a des relations dans les milieux de gauche, s’en est montré tout à fait convaincu355. »
254Dernier volet des procédures judiciaires, l’affaire instruite devant le Conseil d’État356. Trois pourvois différents sont en fait déposés : le premier, déposé dès le 31 août 1933, par l’Association nationale de la meunerie française et Olagnon, un minotier de Saint-Étienne en recours pour excès de pouvoir contre la lettre adressée par le président de la chambre de commerce à la chambre syndicale, le deuxième par Edmond Debordeaux, négociant, contre la chambre syndicale, le troisième par Basset contre la « décision » de la chambre de commerce.
255Le 26 juillet 1934, le ministre de l’Agriculture écrit au vice-président du Conseil d’État, qui lui avait « communiqué pour avis » le pourvoi formé par Debordeaux. La position de l’Agriculture est assez nette : « La recevabilité du pourvoi apparaît comme extrêmement difficile à établir357. » Sur le fond de l’affaire, l’administration attaque les arguments invoqués, et en particulier la consultation du doyen Berthélemy. Queuille conclut la lettre : « Le pourvoi, fût-il donc, contre mon sentiment déclaré recevable, apparaît en tout cas comme non fondé358. » À la fin du mois d’août 1934, la chambre de commerce prépare son avis au ministre du Commerce sur ce même pourvoi et plaide aussi « l’irrecevabilité du recours359 ». Le président de la chambre de commerce consulte Roger de Ségogne, avocat au Conseil d’État et à la cour de cassation360. Au début de l’année 1936, l’avocat prépare ses mémoires en défense361.
256Une note du 19 janvier 1936 de la chambre de commerce analyse la lettre de Garnier du 19 juillet 1933 comme une « lettre indicative » et pas une « décision » :
« Cet ensemble de démarches était, en l’espèce, parfaitement normal. En présence d’une décision à prendre dont les conséquences importantes ne lui échappaient pas et dont le caractère exceptionnel n’a pas besoin d’être démontré, la chambre syndicale agissait sagement en consultant la chambre de commerce de Paris, établissement public dont l’intervention n’était point requise, sans doute, sur le point précis à résoudre, mais qui exerce à la bourse de commerce une mission générale d’administration et de contrôle. Cette Compagnie, à son tour, en saisissant les ministres intéressés des questions posées par l’application de la loi du 10 juillet 1933, en référait à juste titre au Gouvernement dans une matière où la nature même des mesures législatives adoptées et l’intérêt public en jeu motivaient d’une façon particulière la connaissance de l’opinion gouvernementale362. »
257L’avocat argumente :
« La décision attaquée n’émane pas d’une autorité administrative et ne peut donc subir le contrôle juridictionnel de la Haute assemblée. […] Aucune objection ne saurait être tirée du fait que la chambre syndicale a utilisé pour la détermination des cours de compensation, des cours justement pratiqués pour des marchés qui étaient annulés par application de la loi du 10 juillet 1933. La réponse est en effet facile : la cotation est un fait et le marché est un contrat. Les pouvoirs publics ont évidemment voulu par cette loi, annuler les opérations de spéculation et n’ont jamais entendu décider que les cotations pratiquées et qui reflètent l’activité de la bourse de commerce à cette époque, devaient être tenues pour inexistantes363. »
258L’avocat échange de réguliers courriers avec la chambre de commerce durant l’année 1936 et le premier semestre 1937. Il indique ainsi en octobre le désistement de Basset et Debordeaux, un seul pourvoi restant alors. Près de quatre ans plus tard, le juge administratif se prononce donc sur la requête de l’Association nationale de la meunerie française et refuse à la lettre du 19 juillet du président de la chambre de commerce de Paris à la chambre syndicale du commerce des blés à Paris le caractère de décision et donc toute possibilité d’un excès de pouvoir364. L’avocat prévient alors le président de la chambre de commerce du résultat de l’arrêt, conforme aux conclusions du commissaire du gouvernement, qui allait dans le sens de sa démonstration, et il ajoute : « heureux d’avoir pu prêter à la chambre de commerce un concours utile dans cette affaire365 ». La meunerie déboutée commente la décision en soulignant :
« le Conseil d’État n’aborde donc pas le fond de la question de la date de la suspension ; il se contente d’affirmer que 1° La Chambre de commerce de paris n’ayant pas pris de décision dans cette affaire, ne peut être incriminée, 2° La Chambre syndicale des blés est seule habilitée pour prendre la décision dont il s’agit. Cet arrêt n’infirme donc en rien les décisions de justice de la Cour de Paris dont il ne parle même pas ; il n’a donc aucune incidence sur les liquidations faites ou seulement en cours366 ».
E. La réorganisation de la Bourse de commerce en 1935
259La Bourse de commerce symbolise pour beaucoup d’acteurs (agriculteurs, parlementaires, journalistes…) le lieu par excellence de la spéculation condamnée, et elle est toujours, durant cette période, l’objet de projets de réforme. Un docteur en droit note ainsi en 1937 : « L’histoire de la bourse de commerce de Paris n’est qu’un long récit des divers projets déposés en vue de sa réforme et de leurs vicissitudes367. » En 1924, les représentants agricoles parviennent à y être reconnus. La réforme de 1930, prise en pleine crise, obligeait l’enregistrement des affaires à la caisse de liquidation368. En parallèle des querelles judiciaires ouvertes autour de l’application de la loi de juillet 1933, un nouveau mouvement de réforme s’organise à partir de 1934 et aboutit, partiellement, en août 1935. Son histoire est directement liée aux vifs conflits nés des choix de l’été 1933.
260Une note retrouvée dans les archives de la présidence du Conseil indique l’action amorcée en 1934. En juillet, le ministre du Commerce engage la réforme en mobilisant la chambre de commerce, qui instruit un rapport sur le sujet. Le rapporteur, en accord avec l’AGPB, prévoit un plan qui permette l’intervention des associations agricoles, s’attirant l’opposition du Syndicat général de la Bourse de commerce. Là encore, des juristes sont consultés (Mestre et Jèze, éminents professeurs parisiens)369. Avant même le vote de la loi du 24 décembre 1934 porté par le cabinet Flandin, un décret est pris le 18 décembre, qui suspend les opérations à terme sur le blé et les farines « jusqu’à nouvelle décision, dans les bourses de commerce370 ». On peut faire l’hypothèse que Flandin ne voulait pas revivre une situation semblable à celle qu’il avait connue en 1930, puis vue à nouveau, mais sans être aux responsabilités, en 1933. Charles Petit, le président de la chambre syndicale du commerce des blés, plaidant pour la réouverture du marché à terme au printemps 1935, explique : « la crainte de la baisse a créé un réflexe de crainte à l’endroit de la cote officielle, et on suspend le marché réglementé » ; « le marché national du blé ne peut être sain sans que fonctionne l’instrument d’enregistrement des rapports de l’offre et de la demande : le marché réglementé371 ».
261La situation évolue à nouveau sur le front de la réforme avec l’adoption par la chambre de commerce d’un projet de règlement général le 16 janvier 1935. Dans un rapport spécial, au début de l’année 1935, le commissaire de police de la Bourse de commerce fait le sévère tableau suivant :
« Le conflit qui existait entre la Chambre de commerce et les syndicats de marchés à terme relativement à la réorganisation de la Bourse de commerce paraissait s’être aplani. Il n’en est rien. Bien que les Chambres syndicales aient fait de nombreuses concessions pour trouver un terrain d’entente, la question des statuts et la composition de la commission représentative des intérêts généraux laissent encore entre la Chambre de commerce et les Chambres syndicales un fossé assez profond. Les Chambres syndicales ne peuvent admettre aucune autorité étrangère au Syndicat général dans l’organisation de la Compagnie des commissionnaires prévue dans le projet de la Chambre de commerce. D’autre part, la composition de la Compagnie représentative des intérêts généraux qui est, comme son nom l’indique, la représentation de toutes les catégories intéressées aux opérations des marchés à terme, a été suggérée par les Chambres syndicales de telle façon qu’elle réponde au but invoqué. La Chambre de commerce tenant à ce que, dans cette commission, l’agriculture soit représentée à elle seule par la moitié des membres ; la Chambre de commerce par 4 membres, le commerce, l’industrie et les commissionnaires par un seul membre de chaque catégorie, le Syndicat général s’élève contre ces prétentions. Il estime que, dans ces conditions, les marchés à terme se trouveront entre les mains des producteurs. Ceci s’explique d’autant moins pour le marché à terme des sucres où la marchandise vendue n’est pas une matière première, mais un produit fabriqué. Sans entrer dans le débat qui divise le Syndicat général de la Bourse de commerce et la Chambre de commerce, je crois devoir signaler la situation à l’attention des Pouvoirs publics qui doivent statuer à bref délai sur cette question de réorganisation372. »
262Un bon témoignage en est donné aussi par une lettre du Syndicat général de la Bourse de commerce de Paris du 26 février 1935 au président du Conseil : « L’abus d’autorité commis en 1930 sur le Marché des Blés, qui inspire le projet de réforme ne saurait fonder un droit et les commissionnaires – libres commerçants reconnus par la loi –, ne veulent accepter ni d’être mis en tutelle, ni d’être transformés en officiers publics373. »
263Le ministre du Commerce demande le 15 mars 1935 son avis au Conseil national économique374. Les deux rapporteurs mobilisés sont des membres des grands corps et anciens chefs de cabinet des ministres de l’Agriculture et du Commerce375. Si la question est présentée à la première séance comme « assez près d’être mûre376 », les débats vont malgré tout être vifs. Fournier, l’homme de la chambre de commerce, est membre de la commission permanente du CNE. Il refait un historique de la question rappelant la fermeture de 1924 et la réforme très limitée de 1930. Il signale qu’après l’acceptation des conclusions du rapport Painvain par les ministres du Commerce et de l’Agriculture, la chambre de commerce a institué une commission devant laquelle ont été entendus tous les groupements intéressés : « Elle a été ainsi amenée à une refonte totale du rapport primitif et le texte actuel est un texte d’entente et de conciliation377. »
264Dupuis, président du Syndicat général de la Bourse de commerce de Paris – et président du syndicat des sucres –, attaque vivement le texte arbitré par la chambre de commerce en janvier 1935 en lui reprochant d’avoir voulu « maintenir des conditions qui supprimeraient les libertés syndicales, provoqueraient le déséquilibre et la disparition des marchés378 ». La tonalité de Pierre Hallé pour l’AGPB est un peu différente :
« Inutile de s’étendre, ici, sur la nécessité de cette réforme. Elle n’est plus, aujourd’hui, contestée par personne, même pas par les représentants de ces marchés que les multiples “incidents” dont les marchés à terme sont le théâtre depuis la guerre ont amené enfin à reconnaître l’évidence. […] L’important est d’aboutir. Les représentants de l’agriculture fidèles aux concessions qu’ils ont acceptées, par esprit de conciliation, n’insistent pas – si les intéressés ne mettent plus aucun obstacle à l’aboutissement de la réforme – pour que le texte de l’accord interprofessionnel soit modifié379. »
265La commission permanente du CNE entend le lendemain les représentants des syndicats du commerce actifs sur les places du Havre et de Marseille.
266Le 22 mars 1935, c’est au tour de Garnier et Painvain, de la chambre de commerce de Paris, d’être auditionnés. Garnier indique que les demandes de réforme du marché ont été effectuées par les ministres du Commerce successifs dès le 23 août 1933, puis le 17 novembre 1933, Painvain étant désigné comme rapporteur dès octobre de cette même année. Garnier narre ensuite dans le détail les très longues négociations et conclut sur le fait que « la question n’a été étudiée par la chambre de commerce ni précipitamment, ni à la légère380 ». L’adoption du projet d’avis du CNE se fait finalement de manière consensuelle381. En l’absence de documents explicites, on ne connaît pas l’origine du retard pris par le ministère pour prendre l’arrêté portant règlement général des marchés réglementés, ce qui est fait seulement le 28 août382. Un juriste commente le texte ainsi : « L’organisation nouvelle de la bourse de commerce permet à l’autorité administrative d’exercer un contrôle étendu sur les opérations de bourse383. » Mais, en fait, rien n’est encore réglé à l’été 1935, et les conflits entre agriculteurs et commissionnaires de la Bourse du commerce trouvent à s’exprimer dans la difficile mise en œuvre de cette réforme.
267La position des agriculteurs est exprimée dans une note rédigée par l’AGPB en février 1936 :
« Quelques années après leur création, chambres d’agriculture et association générale des producteurs de blé trouvèrent un marché à terme totalement détraqué, désaxé, où quelques poignées de trafiquants faisaient pluie ou beau temps, où une immense clientèle de joueurs, objet d’un honteux démarchage, venait pousser les cours aux plus invraisemblables excès. […] Tant que la représentation fut appuyée par le ministère de l’Agriculture, son rôle fut efficace et possible. Elle évita tout heurt du marché à terme et des intérêts agricoles. Malheureusement, cela ne dura pas. En 1933, détruisant ce qui avait été laborieusement construit, les boursiers regagnèrent la confiance du ministre de l’Agriculture. »
268Au sujet de la crise de juillet 1933, la position de l’AGPB est fermement rappelée :
« Cette liquidation opérée réglementairement par la Chambre syndicale où siégeait la représentation fut faite d’après les instructions sollicitées et reçues de la chambre de commerce de Paris, du ministère du Commerce et du ministère de l’Agriculture. Elle fut, cependant, le prétexte d’incidents multiples et de procès sans nombre où sombra le peu d’autorité qui restait aux organismes syndicaux de la Bourse, sans cesse mis en échec par les éléments les moins recommandables du marché à terme. »
269Concernant la réforme d’août 1935, la note indique : « Six mois se sont écoulés sans que la réforme ait été appliquée » et conclut : « On a vraiment trop abusé les masses agricoles avec une réforme depuis si longtemps attendue et sans cesse paralysée. Il faut en finir et employer tous les moyens nécessaires pour aboutir : vote d’un texte législatif384. »
270En contrepoint, Charles Petit, le président de la chambre syndicale et l’un des commissionnaires « contestataires » de l’été 1933, rédige une note, retrouvée dans les archives de la présidence du Conseil. Ce texte attaque la position de janvier 1936 prise par l’Assemblée permanente des présidents des chambres d’agriculture (APPCA), qui a demandé à nouveau la fermeture des marchés à terme des céréales :
« Il est d’usage, lorsqu’un établissement investi de la confiance des Pouvoirs publics procède à une étude approfondie d’un rouage économique important, qu’il examine le problème sous toutes ses faces et qu’il entende, avant de se prononcer, les divers intérêts en cause. L’APPCA a manqué à cet usage. Les raisons qui ont milité en faveur de l’adoption du vœu ci-dessus n’ont pas été rendues publiques. Nous les ignorons donc, mais, des critiques formulées par les dirigeants de l’AGPB – groupement tout-puissant auprès de l’APPCA – il semble qu’elles soient provoquées par le retard apporté dans l’homologation du nouveau règlement spécial du marché réglementé des blés. Or les faits l’établissent, le retard ne peut être imputé au marché à terme385. »
271Dans ce point de vue exprimé par un négociant, on constate à la fois les enjeux des négociations interprofessionnelles et le jeu subtil des représentants agricoles. Dans une note anonyme des services de la présidence du Conseil en date du 3 février 1936, la situation de la chambre syndicale est assez précisément décrite et elle mérite d’être largement citée tant elle révèle des éléments complémentaires concernant les différents acteurs qui interviennent sur le marché du blé et les conflits successifs qui ont eu lieu depuis 1933 et qui pèsent sur la réforme de la Bourse de commerce. Ce texte revient d’abord sur la composition de la chambre syndicale des blés à la Bourse du commerce en indiquant :
« il importe de faire remarquer que la désignation des membres de cette Chambre syndicale en 1934 a été uniquement inspirée par le souci de M. Garnier, président de la Chambre de commerce, de créer au sein de la Chambre syndicale, une majorité hostile à la réforme des cours de compensation de 1933, et à mettre ainsi en minorité, M. Charles Petit, chef des commissionnaires protestataires, que l’indignation de ses collègues avait élu à une écrasante majorité. La Chambre syndicale de 1933, avait du reste été désignée dans des conditions plus scandaleuses encore, et M. Ledermann choisi par M. Garnier et imposé comme président n’avait pas été élu, au scrutin de ballottage avec une vingtaine de voix, alors que des membres non désignés par la Chambre de commerce avaient réuni au premier tour une majorité absolue considérable386 ».
272La note précise ce point :
« Il faut en effet remarquer, que la catégorie C (agriculteurs) ne représente nullement les intérêts de l’agriculture mais est simplement, par un incompréhensible tour de passe-passe une section de l’AGPB. Il suffira de rappeler que, les 4 élus en 1935, comme en 1934, sont MM. Pointier, président de l’AGPB, Hallé, secrétaire général de l’AGPB, Goussault, porte-parole et rédacteur de l’AGPB, et Du Fou membre influent de l’AGPB. […] Le but poursuivi est très net : par une politique d’interventions abusives sur les cours à la Bourse du commerce (Tardieu 1932, Queuille 1933) on pousse à une surproduction effective du blé, et on maintient fictivement les cours jusqu’au moment, où la pression inéluctable de la marchandise les faits fléchir (mai/juin 1933) ; auparavant, sur base des cours fictifs, la grande culture a vendu son blé à des prix élevés. On recourt alors au prix minimum (juillet 1933) mêmes bénéficiaires que sous le régime des prix truqués à la Bourse du commerce. »
273La réinterprétation du point de vue des négociants de l’ensemble de la politique menée depuis 1932 comme étant favorable à l’AGPB est révélatrice des antagonismes entre intérêts rivaux, puisque, durant la même période, les céréaliers déclarent continûment qu’ils ne sont pas entendus. La conclusion de la note est plus sévère encore puisqu’elle accuse la chambre de commerce et les céréaliers d’une alliance pour s’enrichir :
« Quel est le but final ? L’Office des blés où MM. Ledermann, Hallé, Goussault, Fournier (alter ego de M. Garnier à la Chambre de commerce) recevront de grasses prébendes, où la position des Grands Moulins, fatalement difficile puisque par leur situation géographique même ils sont destinés à l’importation, sera sauvegardée et où les gros producteurs de blé vendront cher, tandis que les moyens et petits producteurs seront tout comme dans les régimes précédents exploités par des intermédiaires marrons. Il résulte de cet exposé que certains dirigeants de la CCP, certains meuniers, certains commissionnaires à la Bourse du commerce, certaines associations agricoles sont les instruments essentiels d’une certaine politique en opposition absolue avec la renaissance économique et l’ordre social du pays. »
274Au-delà de la diatribe, on retrouve les luttes entre ministères, les intérêts professionnels antagonistes, la difficulté de mener des réformes institutionnelles ; bref, autant d’éléments qui structurent les conflits sur la politique du blé durant la IIIe République.
275Enfin, une dernière note dans les archives de la présidence du Conseil fait le point à une date ultérieure, le 26 mars 1936, là encore dans la nette perspective des défenseurs de la Bourse du commerce, et permet de comprendre d’autres éléments du jeu des acteurs :
« C’est au moment précis où les cours côtés des blés et des avoines à la Bourse du commerce concrétisent les efforts tenaces de MM. Flandin et Cassez, Laval et Cathala, Sarraut et Thellier, en faveur de la revalorisation des produits agricoles, que les porte-parole de certaines associations agricoles renouvellent leurs attaques contre le marché à terme des céréales et en demandent la suspension. Cette attitude paradoxale est inexplicable si l’on n’approfondit pas les mobiles qui l’inspirent387. »
276Il reste délicat de savoir quelle importance accorder à la version présentée dans ces textes. Mais, outre le fait qu’ils ont été transmis à la présidence du Conseil, ils sont révélateurs de la vigueur des conflits d’intérêts et de la nécessité de ne pas s’en tenir aux discours des seuls producteurs de blé. C’est en 1936 que sont d’ailleurs pris les arrêtés pour les règlements particuliers des différents marchés388. En 1939, un juriste écrit, à propos de tout ce processus heurté de réformes de la Bourse de commerce, que ces dernières « sont particulièrement intéressantes parce qu’elles ont été dictées par un souci évident de défense de l’intérêt public. […] L’indication des cours, leur tendance à la baisse ou à la hausse sont en effet anxieusement suivies par les campagnes. Baromètre du climat agricole, la Bourse, presque malgré elle, a acquis l’autorité d’un Service public. Il convenait d’adapter l’organe à sa nouvelle fonction389 ».
277L’ampleur de ces affaires judiciaires liées à l’application des lois montre assez bien la complexité des intérêts en jeu et le caractère récurrent de certaines polémiques comme celle qui oppose céréaliers et négociants de la Bourse de commerce. La plupart des observateurs se montrent critiques de cette production législative :
« Il s’est trouvé que le marché du blé, par son extrême complexité et par, aussi, l’imprévu de ses réactions n’a pu se satisfaire des lois de 1929, de 1932 et de juillet 1933. Le bienfait que l’on attendait de ces mouvements législatifs ne s’est réalisé qu’en partie et une situation, à peine améliorée, a nécessité de nouvelles interventions législatives390. »
278Les projets d’office envisagés à l’automne 1932 font naître cependant de nombreuses critiques qui sont déterminantes pour les débats des années suivantes, de 1933 à 1936. Un membre assez conservateur de l’Académie d’agriculture s’exprime ainsi au début de 1933 :
« Vous trouvez qu’en France il n’y a pas encore assez de fonctionnaires ! Vous voulez en créer une armée nouvelle qui surveille nos millions d’agriculteurs. […] L’État a déjà des fonctions assez lourdes et accablantes, ne lui en donnons pas de nouvelles pour lesquelles il n’est pas préparé et qui ne sont pas de son ressort. Exigeons du Parlement le maintien des mesures imposées par les circonstances, droit de douane, application stricte du régime de l’admission temporaire, obligation de l’emploi d’un pourcentage déterminé de blé indigène ; faisons des blés de qualité, obtenons des meuniers l’achat des blés suivant la qualité et efforçons-nous d’en abaisser le prix de revient391. »
279De même, Louis Pichat, jeune membre du Conseil d’État, note avant la préparation de la loi sur le prix minimum à l’été 1933 :
« Cette politique s’est développée sous le signe de l’économie dirigée ; autrement dit, elle a été une des manifestations de cet interventionnisme économique, né de la guerre et de ses suites et d’une conception économique qui tend, trop souvent, à servir des fins politiques. […] Édouard Julia, dans une de ses chroniques du Temps, “sur un Office des blés”, écrivait : “…Il en est de l’étatisme comme de la morphine qui endort, à moins qu’on n’augmente toujours la mesure jusqu’à en mourir…” Tous ceux qui se préoccupent de la vitalité de notre agriculture formeront des vœux pour que cette mesure ne dépasse pas ce qu’une situation exceptionnelle a exigé et ce qu’un retour, aussi rapide que possible à un état normal, permettra de supprimer392. »
Notes de bas de page
1 A. Duval, Rapport fait au nom de la commission de l’agriculture chargée d’examiner la proposition de loi de M. Queuille et plusieurs de ses collègues tendant à améliorer les conditions de vente des blés indigènes, Journal officiel de la République française, Documents parlementaires, Chambre des députés, 2364, séance du 7 novembre 1929, p. 59. Alexandre Duval (1875-1943), notaire et grand propriétaire, est député conservateur de l’Eure à partir de 1919 et se spécialise dans les questions agricoles – battu en 1932 par le jeune Pierre Mendès France, il retrouve un mandat de député dans la circonscription voisine en 1934. Cf. sa notice in J.-P. Chaline, A.-M. Sohn (dir.), Dictionnaire des parlementaires de Haute-Normandie sous la Troisième République 1871-1940, Rouen, Publications de l’université de Rouen, 2000, p. 126-128.
2 J. de Bresson, L’Office du blé, Paris, Librairie technique et économique, 1937, p. 32-33.
3 L. Pichat, « La question du blé », Revue politique et parlementaire, 457, 10 décembre 1932, p. 464-489, p. 487.
4 A. Duval, Rapport…, op. cit., 2364, p. 59.
5 X (prix du pain) = y (prix de la farine) + P (prime de panification) / R (rendement). Le prix de la farine est fonction de six variables : le prix du blé indigène, le prix du blé exotique, la proportion du mélange de ces deux blés, la marge de mouture, le prix des issues, dont la proportion résulte elle-même du taux d’extraction, et l’extraction ; cf. C. Boursaus, La corrélation entre les prix du blé, de la farine et du pain, Neuilly, « La Cause », 1933, p. 23-24.
6 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Sénat, séance du 18 décembre 1924, p. 1548.
7 H. Brame, « La crise agricole. À des causes connues il faut des remèdes appropriés », Revue d’économie rurale, 8, mars-avril 1930, p. 103-113, p. 106-107.
8 A. Hesse, et al., Proposition de loi relative à la réquisition civile des blés et farines, Journal officiel de la République française, Documents parlementaires, Chambre des députés, 1152, séance du 29 janvier 1925, p. 137.
9 Loi portant prorogation du délai d’application de la loi du 24 décembre 1924 tendant à assurer dans des conditions plus favorables l’approvisionnement en blé, en farine et en pain, Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 27 juin 1925, p. 5910. Le rapport de la commission de l’agriculture sur le projet de loi était critique, précisant que la commission « ne pense pas que les lois d’exception soient de nature à provoquer l’amélioration nécessaire dans la production céréalière » (cité dans A. Duval, Rapport…, op. cit., 2364, p. 67).
10 A. Duval, Rapport…, op. cit., 2364, p. 69.
11 Loi assurant dans des conditions plus favorables l’approvisionnement en blé, en farine et en pain, Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 4 juillet 1926, p. 7354.
12 Loi tendant à assurer dans de meilleures conditions le ravitaillement en blé, en farine et en pain, Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 10 août 1926, p. 9003.
13 Arch. nat., C 14875, séance du 21 novembre 1928, p. 2.
14 A. Duval, Rapport…, op. cit., 2364, p. 71.
15 Un premier office a été d’abord créé par un décret du 21 octobre 1924. On ne sait si, au-delà de ce texte, il s’est effectivement réuni.
16 Office des céréales panifiables, Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 28 août 1926, p. 9747-9748. Le rapport Duval, en 1929, publie la liste des membres nommés à cet office (A. Duval, Rapport…, op. cit., 2364, p. 70).
17 A. Duval, Rapport…, op. cit., 2364, p. 70. Ce vif propos aurait été intéressant à recouper, mais on ne dispose hélas d’aucune source pour cela…
18 D. Zolla, « Revue des questions agricoles. La Hausse du blé et du pain », Revue politique et parlementaire, 381, 10 août 1926, p. 299-304, p. 304.
19 D. Zolla, « Revue des questions agricoles », Revue politique et parlementaire, 387, 10 février 1927, p. 297-304, p. 303.
20 J.-H. Ricard, « L’exportation des produits agricoles », Revue politique et parlementaire, 384, 10 novembre 1926, p. 225-238, p. 225-226 pour la citation.
21 Le décret du 18 octobre 1926 autorise le ministre des Finances à rembourser aux meuniers 8 francs par quintal de farine de blé tendre. Le décret du 29 janvier 1927 fixe à 8 francs par quintal le remboursement aux meuniers sur les blés tendres importés en admission temporaire avant le 1er janvier 1927. Le décret du 10 septembre 1927 réglemente le régime des succédanés à incorporer dans les farines dans la proportion de 46 %, dont 6 % de seigle pour 54 % de blé.
22 Cité in M. Braibant, L’agriculture française. Son tragique destin. Son avenir, Paris, Librairie Armand Colin, 1936, p. 183-184.
23 P. Hallé, « Il faut à la France une politique du blé », Revue d’économie rurale, 3, mai-juin 1929, p. 129-133, p. 132.
24 P. Hallé, « Esquisse d’une politique nationale du Blé », Revue d’économie rurale, 4, juillet-août 1929, p. 181-191, p. 181. Ce texte est en partie repris par l’auteur dans « Les grandes cultures », in « Situations et avenir de l’agriculture française », Revue d’économie politique, janvier-février 1930, p. 20-28.
25 Ibid., p. 190.
26 A. Duval, Rapport…, op. cit., 2364, p. 59. Duval rappelle, au début de son rapport, des initiatives prises dès 1928 et le début de la législature, mais il note à leur propos : « La question du blé a donc bien été posée et étudiée par la commission de l’agriculture dès le début de la législature. Son activité fut mise en échec par des forces qui lui sont étrangères. » (ibid.).
27 Bibliothèque nationale de France (BNF), manuscrit français (ms. fr.), NAF 28201, Fonds P.-É. Flandin, 55, Note de 6 pages : « La politique agricole de la majorité Poincaré-Tardieu-Laval ».
28 Arch. nat., CE 14875, séance du 6 février 1929, p. 7 et 8.
29 H. Queuille, et al., Proposition de loi tendant à améliorer les conditions de vente des blés indigènes, Impressions parlementaires, Chambre des députés, 1736, annexe au PV de la séance du 4 juin 1929, p. 3.
30 G. de Nouvion, « La question du blé », Journal des économistes, 15 octobre 1929, p. 149-160, p. 150.
31 Cf. F. Dubasque, Jean Hennessy (1874-1944). Argent et réseaux au service d’une nouvelle république, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 237-249.
32 Discours du 1er septembre 1929 à Villebon-la-Valette, cité par G. de Nouvion, « La question du blé », art. cité, p. 151.
33 Cité par A. Duval, Rapport…, op. cit., 2364, p. 109.
34 Arch. nat., CE 14875, commission de l’agriculture, séance du 23 octobre 1929, p. 4.
35 Projet de loi relatif au commerce des blés, Journal officiel de la République française, Documents parlementaires, Chambre des députés, 2428, séance du 18 novembre 1929, p. 184.
36 Arch. nat., CE 14875, séance du 19 novembre 1929, p. 23.
37 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, séance du 20 novembre 1929, p. 3328-3331.
38 Ces citations sont extraites de la relation de la navette parlementaire effectuée par G. Le Poitevin, « Ravitaillement… 1er déc. 1929 », Recueil Dalloz, 2e cahier, 4e partie, 1930, p. 33-36, p. 33.
39 Loi du 1er décembre 1929 relative au commerce des blés, Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 4 décembre 1929, p. 13042-13043. On peut noter qu’une loi du 1er avril 1930 complète celle-ci en prorogeant le dispositif de remboursement des droits de douane (2 avril 1930, p. 3566).
40 P. Hallé, « Que faut-il penser de la nouvelle loi sur le commerce des blés », Revue d’économie rurale, 6, novembre-décembre 1929, p. 313-319, p. 313.
41 A. Guignard, « Le rôle du commerce des blés », in Le blé. Dix ans de travaux du Comité central du blé et du pain 1923-1933, Paris, Comité central du blé et du pain, 1933, p. 27-32, p. 29 et 31.
42 E. Allix, « L’agriculture et le protectionnisme administratif », Revue politique et parlementaire, 423, 10 février 1930, p. 185-200, p. 191.
43 Ibid., p. 198.
44 Ibid., p. 200.
45 J. Sirol, Les problèmes français du blé, op. cit., p. 280. S’il s’agit d’une des thèses de droit les plus intéressantes sur le sujet, il faut rester attentif à des erreurs factuelles (de dates et de références aux textes législatifs et réglementaires).
46 [Anonyme], Les interventions de l’État en matière de blé depuis 1929, mémoire de l’École libre des sciences politiques, mai 1931.
47 Arch. nat., BB18 6074, Note sur les poursuites exercées sur plainte de M. le ministre de l’Agriculture par application de la loi du 1er décembre 1929 sur l’emploi des blés étrangers, 29 août 1932.
48 Un nouveau bilan, dressé au 23 septembre, fait état de 340 plaintes, 119 jugements de condamnation, 12 appels, 31 décisions de relaxe ou non-lieu, 178 poursuites (ibid.).
49 Loi tendant à modifier l’article 1er de la loi du 1er décembre 1929 relative au commerce des blés, Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 21 juillet 1932, p. 7883.
50 « Jurisprudence », Bulletin de l’Office de renseignements agricoles, 1er juillet 1934, p. 299.
51 Ibid.
52 « Blés. Emploi de blés indigènes par les meuniers. Pourcentage obligatoire. Infraction. Délit. Contravention. Cassation (Ch. criminelle), 7 juin 1934 (P.G. Douai c. Goubet) », La Semaine juridique, 2e semestre, 1934, p. 704. Pour une présentation de l’arrêt, cf. aussi « Jurisprudence. Cour de cassation (Ch. criminelle) 7 juin 1934 », La Gazette du Palais, 18 septembre 1934, p. 369-370.
53 Cf. C. Merveilleux du Vignaux, La réforme de la loi de cadenas…, op. cit.
54 Ibid., p. 135-139. « De toutes parts, on exprime les regrets habituels que des personnalités aient pu connaître le texte du décret avant la parution de l’Officiel. » (p. 136).
55 BNF, ms. fr., NAF 28201, Fonds P.-É. Flandin, 135, Note de la Direction des accords commerciaux et de l’information économique au ministre du 22 juillet 1930.
56 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, 22 janvier 1931, p. 231.
57 BNF, NAF 28201, ms. fr., Fonds P.-É. Flandin, 59, Note du 15 mars 1930 « L’agriculture et la protection douanière », p. 15. Cf. aussi la note de synthèse dans le même dossier : note du 25 juillet 1930, « Mesures prises depuis octobre 1929 en faveur de l’agriculture. Autres revendications du monde agricole ».
58 R. Ménasseyre, La politique du blé…, op. cit., p. 48. S’il s’agit d’une des thèses de droit les plus intéressantes sur le sujet, il faut là aussi être attentif à des erreurs factuelles. Le commentaire entre en écho avec un propos de l’économiste Edgard Allix à propos de la loi du 1er décembre 1929 : « Elle marque, d’une façon un peu inquiétante, un nouveau dessaisissement, s’ajoutant à tant d’autres, du Parlement en matière douanière », in E. Allix, « L’agriculture… », art. cité, p. 194 ; ce propos avait d’ailleurs été repris dans : E. de Fels, « Une politique du blé », La Revue de Paris, 1er novembre 1931, p. 5-26, p. 13.
59 R. Ménasseyre, Politique du blé…, op. cit., p. 40-41.
60 Loi tendant à la constitution d’un stock permanent de blés et farines et à l’institution d’une prime de conservation, Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 1er mai 1930, p. 4819. Des lois successives compléteront ce dispositif, comme celle du 7 avril 1932 portant ouverture d’un crédit pour subvenir aux dépenses nécessitées par la constitution et l’entretien de stocks de blés et de farines (8 avril 1932, p. 3766).
61 R. Ménasseyre, Politique du blé…, op. cit., p. 55.
62 G. Lefebvre, « Production, Consommation, Prix du blé de 1871 à 1930 », La Meunerie française, mai 1930, p. 109-111, p. 110.
63 Ibid., p. 111.
64 A. Liesse, « Le problème du blé en France. Remèdes empiriques – remèdes normaux », L’Économiste français, samedi 16 août 1930, p. 193-195, p. 194.
65 A. Margaine, R. Férin, Proposition de loi ayant pour objet la stabilisation des cours du blé en France, Impressions parlementaires, Chambre des députés, 3356, annexe au PV de la séance du 3 juin 1930, p. 1.
66 Ibid., p. 4. On peut noter que cette proposition s’attire les remarques acerbes du directeur du Mouvement général des fonds : « Intéresser l’État au sort d’une société commerciale paraît en effet constituer un précédent dangereux que, dans l’avenir, ne manqueraient pas d’invoquer de nouvelles catégories d’agriculteurs ou des groupements de commerçants ou d’industriels. », note relative à la proposition de loi ayant pour objet la stabilisation des cours du blé en France, non datée, CAEF, B-0000902/2 Direction du mouvement général des fonds : Crédit agricole, marché du blé 1929-1942.
67 A. Duval, Rapport fait au nom de la commission de l’agriculture chargée d’examiner les propositions de loi concernant la culture du blé, Impressions parlementaires, Chambre des députés, 3485, annexe au PV de la séance du 19 juin 1930.
68 Cette proposition de résolution (nº 3079) du 25 mars 1930 avait d’ailleurs donné lieu à une lettre de la chambre de commerce au ministre du Commerce en mai de la même année (ADP, CCIP, 2ETP/1/A/111).
69 A. Duval, Rapport, 3485, op. cit., p. 112-113.
70 Est ainsi publié, dans le rapport Duval, le compte rendu d’une mission d’études en Allemagne en novembre 1929 d’un ingénieur du génie rural R. Lyon, ibid., p. 166-184, et une étude du député Jules Wolff, de la Moselle, sur les bons d’importation en Allemagne (p. 233-247).
71 Rapport d’A. de Contades et H. Rouy sur « l’organisation des agriculteurs pour la vente de leurs produits aux États-Unis et au Canada. Ce que nous pouvons en imiter », au congrès de l’agriculture française des 15 et 17 mai 1930, cité in ibid., p. 207-212.
72 Ibid., p. 270-273.
73 Ibid., p. 11.
74 Ibid., p. 217.
75 Ibid., p. 290 ; les points 1° et 6° sont présentés dans les deux sous-parties suivantes.
76 Ibid., p. 265.
77 BNF, ms. fr., NAF 28201, Fonds P.-É. Flandin, 59, Copie d’une lettre de Léon Meyer à André Tardieu datée du 5 août 1930.
78 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, 16 janvier 1931, p. 66.
79 Ibid., p. 73 et p. 74.
80 Ibid., p. 74.
81 Ibid., 22 janvier 1931, p. 224.
82 Ibid.
83 Ibid., p. 227.
84 Ibid., p. 228.
85 Ibid.
86 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, 22 janvier 1931, p. 230.
87 La mobilisation de l’argument républicain est moquée par certains journaux. Ainsi, un article est titré : « La fin prévue du ministère Steeg. La spéculation fait à la laïcité un vain appel », Le Figaro, 25 janvier 1931. L’article est explicite : « De cette question de blé et de spéculation, il fit une question laïque – le vieux franc-maçon s’était réveillé. La cause de son ministre était mauvaise, il n’hésita pas : il brandit devant les gauches l’épouvantail poussiéreux du cléricalisme. » Un autre article note quant à lui qu’« il apparut clairement qu’une lutte s’engageait dont la politique du blé n’était qu’une face » (« Une crise prévue », Le Temps, 24 janvier 1931).
88 A. Liesse, « La question du blé et l’intervention étatiste », L’Économiste français, samedi 22 août 1931, p. 225-227, p. 225.
89 F. Monnet, Refaire la République. André Tardieu : une dérive réactionnaire (1876-1945), Paris, Fayard, 1993, p. 149‑151. Un observateur se montre sévère en parlant d’une « tentative brillante, claironnante, mais superficielle d’André Tardieu, ministre de l’Agriculture (1931) ; elle rencontre un accueil froid, puis résistant, puis hostile. » (L. Chevalier, Les paysans. Étude d’histoire et d’économie rurale, Paris, Denoël, 1947, p. 27).
90 Discours d’André Tardieu, in Treizième Congrès de l’Agriculture française, Compte rendu des travaux, Vichy 7-10 mai 1931, Paris, CNAA, p. 387-406, p. 399.
91 Ibid., p. 402-403.
92 E. de Fels, « Une politique du blé », La Revue de Paris, 1er août 1931, p. 508-527, p. 523.
93 Bardonèche, « Une variété de blé », La Revue de Cerdagne, 1, 5 décembre 1933, p. 3.
94 Cf. L. Salleron, L’évolution de l’agriculture française du régime foncier au régime corporatif, Paris, Dunod, 1937, p. 138-151. Le docteur en droit précise que les secrétaire et secrétaire adjoint du comité sont des fonctionnaires (Mathonnet et Layellon) qui « jusqu’alors avaient suivi la question au ministère » (p. 147). Salleron reprend ce passage dans la première édition de son volume : Un régime corporatif pour l’agriculture, Paris, Dunod, 1937, p. 165-205.
95 G. Rémond, « Le prix du blé sur la prochaine campagne. Appel au bon sens », La Défense agricole de la Beauce et du Perche, organe du syndicat agricole départemental d’Eure-et-Loir, 6 août 1932, p. 171-172.
96 J. Benoist, « La situation du blé », La Défense agricole de la Beauce et du Perche, organe du syndicat agricole départemental d’Eure-et-Loir, 13 août 1932, p. 181-182. Cette attaque contre l’administration du ministère est reprise à l’identique par le député d’Eure-et-Loir Henri Triballet à la Chambre le 25 octobre.
97 R. Férin, Proposition de loi ayant pour objet la stabilisation des cours du blé en France, Impressions parlementaires, Chambre des députés, 246, annexe au PV de la séance du 24 juin 1932 ; P. Courrent, G. Martin, Proposition de loi ayant pour objet d’établir le prix de vente du blé en rapport avec le coût de sa production, et le prix du pain en rapport avec le prix du blé, Impressions parlementaires, Chambre des députés, 690, annexe au PV de la séance du 23 octobre 1932 ; L. Pellé, Proposition de loi tendant à accorder une indemnité compensatrice aux producteurs de blé, Impressions parlementaires, Chambre des députés, 781, annexe au PV de la séance du 10 novembre 1932.
98 M. Roldes, et al., Proposition de résolution ayant pour but de stabiliser en France le cours du blé et de prémunir les producteurs et les consommateurs contre les abus de la spéculation, Impressions parlementaires, Chambre des députés, 408, annexe au PV de la séance du 7 juillet 1932.
99 « La situation économique internationale », Revue politique et parlementaire, 10 octobre 1932, p. 163-169, p. 164.
100 Arch. nat., F7 13042, Melun, le 15 septembre 1932, Rapport mensuel.
101 Ibid., le 8 octobre 1932, Rapport mensuel.
102 J. Sirol, Les problèmes français du blé, op. cit., p. 286.
103 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, séance du 25 octobre 1932, p. 2838.
104 Ibid., p. 2846.
105 Ibid., p. 2847.
106 Ibid., p. 2848.
107 Ibid., p. 2850.
108 Ibid., p. 2839. Guérin reprend, lors de la séance ultérieure du 27 octobre, le même exemple que Triballet sur l’incident de la Bourse de Paris du 10 août (séance du 27 octobre 1932, p. 2890).
109 Ibid., séance du 27 octobre 1932, p. 2893.
110 Ibid., séance du 25 octobre 1932, p. 2844.
111 Ibid., p. 2846.
112 Ibid., p. 2839.
113 Ibid., séance du 27 octobre 1932, p. 2880.
114 Ibid., p. 2881.
115 Ibid.
116 Ibid., p. 2882.
117 Ibid., p. 2886.
118 Ibid., séance du 8 novembre 1932, p. 2952.
119 Ibid., p. 2955. Le point est important car la représentativité des associations agricoles et des chambres d’agriculture est parfois contestée lors de ce débat. Le socialiste Raymond Bérenger proclame : « elles sont réactionnaires », et son camarade de parti Arthur Chaussy : « ce sont des cultivateurs en dentelle » (ibid., séance du 15 novembre 1932, p. 3029).
120 Ibid., séance du 8 novembre, p. 2961.
121 Ibid., séance du 17 novembre, p. 3068.
122 Ibid., séance du 10 novembre 1932, p. 2988.
123 André Join-Lambert (1875-1967) est un notable normand issu d’une riche famille. Cf. sa notice dans J.-P. Chaline, A.‑M. Sohn (dir.), Dictionnaire des parlementaires…, op. cit., p. 164-165.
124 Ibid., p. 2993.
125 Il s’attire d’ailleurs la réplique du socialiste Marx Dormoy : « Une fois de plus, le communisme et la réaction sont d’accord. » (ibid., p. 2994). Au moment du vote des ordres du jour, Renaud Jean reprend la parole et affirme : « le parti communiste a été seul, dans ce débat, à examiner, du point de vue de classe et en faveur des travailleurs de la terre, l’ensemble des problèmes posés par la crise agricole, et la crise elle-même. » (séance du 17 novembre 1932, p. 3083).
126 Ibid., séance du 15 novembre 1932, p. 3028.
127 Ibid., p. 3029.
128 Ibid. Un député, le radical Émile Brachard, dit dans le même sens, lors du débat : « Quelles sont les parties en présence ? En face d’une organisation puissante d’acheteurs, organisation concentrée, comme on l’a dit, du côté du producteur, c’est l’inorganisation totale. » (séance du 17 novembre 1932, p. 3069).
129 Ibid., séance du 15 novembre 1932, p. 3030.
130 Ibid., p. 3034.
131 Ibid., p. 3035.
132 Ibid., séance du 17 novembre 1932, p. 3065.
133 Ibid., p. 3083.
134 Ibid., p. 3085.
135 Ibid., p. 3087.
136 Ibid., p. 3088.
137 Ibid., p. 3079.
138 Arch. nat., F7 13042, Melun, le 15 novembre 1932, Rapport mensuel.
139 M. Delacour, C. Boursaus, « De la corrélation entre les prix du pain, de la farine et du blé », La Meunerie française, décembre 1932, p. 324-327, p. 327.
140 C. Ferrand, A. Dupuis, É. Brachard, Proposition de loi tendant à indemniser les producteurs de blé qui ont cédé leur récolte actuellement stockée, Impressions parlementaires, Chambre des députés, 841, annexe au PV de la séance du 17 novembre 1932.
141 A. Salmon, Proposition de loi tendant à assurer la protection intégrale du droit de douane sur les blés par la création d’une caisse et de bons de compensation, Impressions parlementaires, Chambre des députés, 903, annexe au PV de la séance du 24 novembre 1932.
142 L. Pichat, « La question du blé », art. cité, p. 471-472.
143 Ibid., p. 479. Le texte de l’article se poursuit sur une violente dénonciation de tout projet d’office du blé et l’auteur conclut sur ce point : « Un Office du blé n’est pas économiquement viable s’il a pour but de fixer les prix. » (p. 488).
144 Projet de loi relatif à la défense du marché du blé, Journal officiel de la République française, Documents parlementaires, Chambre des députés, 993, séance du 6 décembre 1932, p. 296-297.
145 Arch. nat., C 14980, séance du 7 décembre 1932.
146 Ibid., séance du 9 décembre 1932, p. 12.
147 « La question du blé domine les débats de l’Assemblée des présidents des chambres d’agriculture : entre 1928 et 1935, sur seize sessions normales de l’Assemblée, dix sont occupées par un rapport et une discussion prioritaires sur le blé. », in C. Mora, Les Chambres d’agriculture…, op. cit., p. 426.
148 Cf. M. Atrux-Tallau, Histoire sociale…, op. cit., p. 188 ; C. Mora, Les Chambres d’agriculture…, op. cit., p. 444-451.
149 H. Patizel, « Projet de création d’une société commerciale du blé », Assemblée des présidents des chambres d’agriculture, compte rendu des 14 et 15 mars 1933, p. 133-154, cité in M. Atrux-Tallau, Histoire sociale…, op. cit., p. 189 et C. Mora, Les Chambres d’agriculture…, op. cit., p. 451-457.
150 Loi du 26 janvier 1933 relative à la défense du marché du blé, Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 27 janvier 1933, p. 874.
151 J. Sirol, Les problèmes français du blé, op. cit., p. 287-291 pour une présentation détaillée de ces dispositifs.
152 Ibid., p. 292.
153 Texte dactylographié de 9 pages signé Baumont, membre de la Sdn, daté du 6 janvier 1933, Arch. nat., F10 2169.
154 R. Ménasseyre, Politique du blé…, op. cit., p. 50.
155 Ibid., p. 50-51.
156 Arch. nat., C 14875, séance du 6 février 1929, p. 4.
157 A. Duval, Rapport…, op. cit., 2364, p. 82-88.
158 Ordonnance du 20 janvier 1819, Lois des 5 juillet 1836, 7 mai 1864, 11 janvier 1892, 30 juin 1893, 31 mars 1896, 14 juillet 1897, 3 mars 1898, 8 mai 1900, 4 février 1902, 12 décembre 1906, 21 mars 1910, 28 juin 1812 (art. 2) et 31 décembre 1921 ; décret du 16 septembre 1921.
159 A. Duval, Rapport…, op. cit., 2364, p. 83.
160 Ibid., p. 84.
161 Ibid., p. 87.
162 Projet de loi relatif au commerce des blés, Journal officiel de la République française, Documents parlementaires, Chambre des députés, 2428, séance du 18 novembre 1929, p. 184.
163 G. Le Poitevin, « Ravitaillement… 1er déc. 1929 », Recueil Dalloz, p. 34.
164 Loi du 1er décembre 1929, op. cit., p. 13042.
165 H. Brame, « La crise agricole. À des causes connues il faut des remèdes appropriés », Revue d’économie rurale, 8, mars-avril 1930, p. 103-113, p. 107-108.
166 H. Queuille, « Le blé », La Revue de Paris, 15 septembre 1930, p. 434-447, p. 444. Cf. aussi le texte d’un sénateur : E. Néron, « Comment se fixe le prix du blé. L’effet des tarifs douaniers », in « Le Blé », L’Europe nouvelle, 666, 15 novembre 1930, p. 1652-1653.
167 E. de Fels, « Une politique du blé », art. cité, 1er août 1931, p. 521.
168 E. de Fels, « Une politique du blé », art. cité, 1er novembre 1931, p. 9.
169 A. Duval, Rapport…, 3485, p. 61-108.
170 Ibid., p. 64.
171 Ibid., p. 65.
172 Ibid., p. 67.
173 Ibid., p. 71.
174 Ibid., p. 74.
175 Ibid., p. 83-84.
176 Ibid., p. 94.
177 Ibid., p. 104-108.
178 Cf., par exemple, l’arrêt de la chambre des requêtes de la cour de cassation du 17 octobre 1933, « Soc. anon. des Grands Moulins de Paris c. Admin. des Douanes », Gazette du Palais, 14 novembre 1933, p. 789-790.
179 B. Fernagut, Le redressement agricole…, op. cit., p. 111.
180 Ibid.
181 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, séance du 10 novembre 1932, p. 2990. Cf. J. Gay, Le blé dans la vie économique du port de Marseille au xxe siècle, Aix-en-Provence, Imp. d’éditions Paul Roubaud, 1934, p. 35-41 et p. 176-178.
182 Arch. nat., C 14980, séance du 29 mars 1933, p. 3 de sa déposition sur l’admission temporaire.
183 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, séance du 23 juin 1933, p. 3103. Cf. A. Chatriot, Pierre Mendès France. Pour une République moderne, Paris, Armand Colin, 2015.
184 Ibid., p. 3104.
185 Ibid. Le député alsacien Alfred Oberkirch intervient dans le débat dans le même sens. Eugène Pierre, député de Marseille, combat aussi l’idée de suppression de l’admission temporaire (p. 3105).
186 Ibid., p. 3104.
187 Ibid., p. 3105.
188 M. Donon, Rapport au nom de la commission de l’agriculture, chargée d’examiner : 1) La proposition de loi de MM. F. David et J. Faure, ayant pour objet la régularisation des cours du blé ; 2) Le projet de loi, adopté par la Chambre des députés, tendant à l’organisation et à la défense du marché du blé, Impressions parlementaires, Sénat, 408, annexe au PV de la séance du 24 juin 1933, p. 3.
189 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Sénat, séance du 28 juin 1933, p. 1499.
190 Ibid., p. 1500.
191 Arch. nat., C 14980, séance du 30 juin 1933.
192 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, séance du 3 juillet 1933, p. 3404.
193 Ibid., p. 3405.
194 Ibid.
195 Ibid., p. 3406.
196 Ibid., p. 3408. Jean Thureau-Dangin (1876-1942) est un ingénieur agronome qui embrasse une carrière politique dans les rangs des modérés comme député de 1929 à 1935, puis comme sénateur de cette même année à sa mort. Cf. sa notice dans J.‑P. Chaline, A.-M. Sohn (dir.), Dictionnaire des parlementaires…, op. cit., p. 335-337.
197 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Sénat, séance du 6 juillet 1933, p. 1685.
198 Ibid., p. 1686.
199 Ibid., séance du 7 juillet 1933, p. 1714.
200 Ibid., p. 1715.
201 Ibid., p. 1716.
202 Ibid., séance du 8 juillet 1933, p. 1767.
203 « L’importation des blés tendres en admission temporaire est suspendue pendant deux mois ; seront toutefois admises les marchandises que l’on justifiera avoir été expédiées directement pour la France ou achetées avant le 15 juin 1933. Un décret publié avant l’expiration des deux mois et contresigné par les ministres de l’Agriculture, du Commerce et du Budget fixera les conditions dans lesquelles sera obligatoirement réexportée, dans un délai qui ne pourra pas excéder deux mois l’intégralité des produits de la mouture à l’exception des sons. Le recours à l’expertise légale en matière de farine est supprimé ; en cas de contestation, les résultats constatés par les laboratoires du ministère des Finances seront tenus pour définitifs. », Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 11 juillet 1933, p. 7201.
204 F. Bacconnier, « La nouvelle loi sur le blé », L’Action française, 15 juillet 1933.
205 La Voix du paysan, juin 1933, p. 3.
206 La Voix du paysan, septembre 1933.
207 La figure de Louis Louis-Dreyfus (1867-1940) reste encore méconnue. Héritier d’une famille de négociant en blés, il fait grandir l’affaire familiale en la développant dans le négoce, l’armement des bateaux et la banque. Député de la Lozère de 1905 à 1910, il l’est à nouveau des Alpes-Maritimes entre 1930 et 1936, puis sénateur entre 1937 et 1940. Il est aussi président du conseil d’administration du journal L’Intransigeant. Ses prises de parole sont rares, on a juste retrouvé : L. Louis-Dreyfus, La clause compromissoire, Paris, Association nationale de la Meunerie, octobre 1925.
208 « La politique. II. Les orateurs et les paysans », L’Action française, 27 août 1934.
209 « À propos de l’admission temporaire », L’Agriculture nouvelle, 23 juin 1934. Le débat se poursuit d’ailleurs par la suite, cf., par exemple, J. Bosc, « L’admission temporaire des blés étrangers », Revue politique des idées et des institutions, 14, 30 juillet 1936, p. 731-742.
210 E. Borgeot, Rapport fait au nom de la commission de l’agriculture sur sept propositions de loi, 116, 23 février 1934, Journal officiel de la République française, Documents parlementaires, Sénat, p. 555-557, p. 555.
211 Le député ne cite pas les titres de presse ; un de ses collègues le fait de manière polémique, Marx Dormoy interrompt le ministre de l’Agriculture et dit : « Par exemple dans Le Matin, journal gouvernemental. », Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, séance du 7 juin 1934, p. 1409.
212 Ibid., séance du 5 juin 1934, p. 1368.
213 Ibid., p. 1378.
214 Ibid., séance du 7 juin 1934, p. 1409-1410.
215 Ibid., séance du 8 juin 1934, p. 1453.
216 Élément toujours difficile à évaluer, on en trouve trace dans les quelques revues de presse conservées dans des archives, cf., par exemple, Arch. nat., F10 2169 et F10 2170.
217 Rapport de la Commission chargée de rechercher les quantités totales de blés étrangers entrées en France depuis le 1er mai 1933, et les conditions d’introduction, la destination et l’utilisation de ces blés, Journal officiel de la République française, annexes administratives, 2 juillet 1935, p. 589-603. Un exemplaire de ce rapport est conservé dans un dossier de la présidence du Conseil (Arch. nat., F60 208) et dans les archives du CNE (Arch. nat., CE 42).
218 Des parlementaires : les sénateurs Fernand Chapsal, Louis Amiard et Gaston Carrère, et les députés Max Hymans, Louis Rollin et Adéodat Compère-Morel, (présidents respectifs des commissions des douanes, du commerce, de l’agriculture), ainsi que les députés Camille Briquet, Camille Planche, Henri Tasso, qui étaient intervenus largement sur cette question. Aux représentants de la nation sont associés des représentants des producteurs de blé, parmi lesquels deux sénateurs, Jacques Benoist et Victor Boret, et sinon les représentants les plus actifs de la profession : Alain Du Fou, Jules Gautier, Adolphe Pointier, Pierre Hallé, Paul Vimeux. Enfin, des représentants des ministères siègent aux côtés de deux anciens magistrats, Capot de Barrastin et Bonnin.
219 Rapport de la Commission, op. cit., p. 589.
220 Ainsi, le rapport accorde une petite place à l’affaire de Pont-Audemer, signalée par le sénateur Veyssière, antérieure au 1er mai 1933 puisqu’elle concerne la période de fin 1931 et du 1er semestre 1932, et donc pas la même législation. Le rapport indique sommairement que des poursuites ont été engagées par les administrations pour des fraudes avec différentes condamnations. Cette affaire, jugée le 26 juillet 1934 par le tribunal correctionnel de Pont-Audemer, rebondit par la suite, car la cour d’appel de Rouen relaxe les prévenus. Il faut la différencier d’un autre jugement du même tribunal correctionnel le 8 juin 1935. Cf., sur ces affaires, le commentaire de l’AGPB : « Allez-y carrément, Messieurs les fraudeurs ! », Bulletin de documentation, 9 janvier 1936, p. 4-5.
221 Rapport de la Commission, op. cit., p. 602.
222 Ibid., p. 599.
223 Cf. P. Garcin, La Politique des contingents dans les relations franco-marocaines, Lyon, Bosc Frères M. & L. Riou, 1937.
224 Rapport de la Commission, op. cit., p. 597.
225 Ibid., p. 598.
226 S. Grenier, Le blé dirigé en France, Lyon, Bosc Frères M. & L. Riou, 1939, p. 109.
227 Décret du 24 avril 1936 portant codification des textes législatifs concernant l’organisation et la défense du marché du blé, Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 8 mai 1936, p. 4770. Parmi ces textes, certains concernent l’admission temporaire du maïs ou l’enjeu de la biscuiterie, cf. O. Londeix, Le Biscuit et son marché. Olibet, LU et les autres marques depuis 1850, Tours, Rennes, Presses universitaires François Rabelais, Presses universitaires de Rennes, 2012.
228 A. Duval, Rapport…, op. cit., 2364 et 3485. Pour une présentation différente, toute favorable, cf. F. Yème, « Comment se fixe le prix du blé. Le rôle régulateur de la Bourse de Commerce », in « Le Blé », L’Europe nouvelle, 666, 15 novembre 1930, p. 1654-1655.
229 A. Duval, Rapport…, op. cit., 2364, p. 76.
230 De la taxation des farines. Réfutation des accusations portées contre la meunerie, Paris, Association nationale de la meunerie française, 1922, p. 13.
231 Ibid., p. 79. Dans le second rapport, Duval donne à nouveau une large place aux analyses de Bloch : A. Duval, Rapport…, op. cit., 3485, p. 253-264.
232 O. Bloch, La Bourse de commerce. Le marché de Paris. Réglementation, fonctionnement, opérations, liquidation, Paris, Librairie Arthur Rousseau, 1925, p. 2-3.
233 A. Duval, Rapport…, op. cit., 2364, p. 76.
234 J. Brèthe de la Gressaye, « Note sous l’arrêt du 11 janvier 1928 », Recueil Sirey, 2e partie, 1930, p. 1-4. Cf. aussi R. Prègre, Les difficultés juridiques auxquelles a donné lieu la fermeture de la Bourse du Commerce du 18 février 1924, Paris, Jouve et Cie, 1930.
235 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 1re « affaire des blés » 1930, procédure judiciaire : correspondance, notes, 1930-1935. Note non datée (sans doute du 29 octobre 1930, d’après la référence faite à cette note dans un courrier ultérieur) à M. le ministre du Commerce sur les opérations traitées au marché réglementé des blés à la Bourse du commerce de Paris durant les mois de mars à juillet 1930, sur les conséquences de ces opérations en juillet 1930 et sur la liquidation des engagements à la suite de la promulgation de l’arrêté ministériel du 30 juillet 1930, 22 p.
236 « Les mesures prises par le Syndicat du commerce des blés, permirent la liquidation sans incident nouveau. Aucune nouvelle défaillance n’eut lieu et celles qui s’étaient manifestées furent réglées à l’amiable par abandon d’actif en faveur des banquiers intervenus. », ibid.
237 Journal officiel de la République française, Lois et Décrets, 31 juillet 1930, p. 8693.
238 BNF, ms. fr., NAF 28201, Fonds P.-É. Flandin, 135.
239 P. Casanova, « M. P.-É. Flandin, ministre du Commerce au secours des spéculateurs », La Voix de la terre, 7 août 1930. Un exemplaire de ce journal est conservé dans les dossiers de la chambre de commerce de Paris, ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 5 Bourse de commerce, marché des grains et farines 1931-1932.
240 Lettre de l’AGPB de Pierre Hallé à P.-É. Flandin, ministre du Commerce, 8 novembre 1930, BNF, ms. fr., NAF 28201, Fonds P.-É. Flandin, 135.
241 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, 22 janvier 1931, p. 226.
242 Ibid., p. 230.
243 Ibid., séance du 27 octobre 1932, p. 2880.
244 BNF, ms. fr., NAF 28201, Fonds P.-É. Flandin, 59. Une autre plainte semble déposée par H. Chasles, administrateur des Grands Moulins de Pantin-Paris, contre L. Bennedic, président de la Chambre syndicale de commerce des blés, seigles, avoines et orges près la Bourse de commerce de Paris.
245 BNF, ms. fr., NAF 28201, Fonds P.-É. Flandin, 135, Note de la Direction des affaires commerciales et industrielles au ministre du 23 juillet 1930. Une autre note du 21 novembre 1930 justifie à nouveau ce choix d’intervention et insiste sur la nécessaire réforme de la Bourse de commerce.
246 Ibid., Une note interne au président de la chambre de commerce précise qu’une argumentation juridique pourrait être fournie en arguant du secret professionnel (art. 378 du Code pénal).
247 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 1re « affaire des blés » 1930. Il fait d’ailleurs une lettre de relance le 19 mai 1931.
248 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 1re « affaire des blés » 1930. Copie du mémoire ampliatif, Affaire 19970, Conseil d’État, section du contentieux, 19 janvier 1931, 10 p.
249 La copie de cette lettre est d’ailleurs conservée dans les archives de la chambre de commerce : ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 1re « affaire des blés » 1930.
250 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 1re « affaire des blés » 1930. Copie du mémoire en réplique. Pour : Monsieur Clément, Affaire 19970, Conseil d’État, section du contentieux, 2 novembre 1932, 11 p.
251 « Chambres de commerce », Affaire 19970, Sieur Clément ; Recueil Lebon, 26 juillet 1935, p. 891.
252 A. Mestre, « Note sur la situation administrative de la Bourse de commerce de Paris », Recueil Sirey, jurisprudence administrative, 1936, 3, p. 41-42, p. 41.
253 Ibid., p. 42.
254 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 1re « affaire des blés » 1930, lettre du 4 octobre 1935.
255 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 1re « affaire des blés » 1930, extrait du procès-verbal de la séance du 2 octobre 1935, p. 387.
256 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 1re « affaire des blés » 1930, note du 8 novembre 1935, visite de M. André Fleury.
257 Cette note revient en particulier en détail sur les négociations de juin et juillet 1930 avec les différents acteurs, elle ne comporte pas moins de 28 pages, ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 1re « affaire des blés » 1930.
258 Arch. nat., F60 220, Note concernant l’affaire de la liquidation sur le marché des blés en juillet 1933, 29 février 1936.
259 D’après les archives consultées et les sources imprimées, il semble que la procédure judiciaire civile se soit arrêtée, mais on n’a pas trouvé d’éléments précis sur ce point.
260 R. Ménasseyre, Politique du blé…, op. cit., p. 204-205.
261 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, 3 juillet 1933, p. 3389.
262 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Sénat, 6 juillet 1933, p. 1687.
263 Ibid.
264 Ibid., p. 1688.
265 Ibid.
266 Ibid., p. 1691. Donon, en expliquant la lecture par la commission de l’Agriculture de l’amendement Hachette, parle « des opérations postérieures au 15 juin 1933, c’est-à-dire après la date de l’établissement du cours forcé. »
267 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, 7 juillet 1933, p. 3639.
268 Ibid.
269 Ibid., p. 3640.
270 Ibid.
271 Ibid.
272 Ibid., p. 3641.
273 Camille Briquet (1880-1960) est un médecin radical devenu député en 1928, qui, soucieux de sa circonscription, se spécialise dans les questions agricoles à la Chambre, cf. sa notice in J.-P. Chaline, A.-M. Sohn (dir.), Dictionnaire des parlementaires…, op. cit., p. 67-69.
274 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambres des députés, 7 juillet 1933, p. 3641.
275 « La vie économique. Les opérations à la Bourse de commerce », Le Temps, 8 juillet 1933, p. 5.
276 Bulletin de documentation sur le marché du blé, 14, 10 juillet 1933, p. 1.
277 Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 11 juillet 1933, p. 7198.
278 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 2e « affaire des blés » 1933, lettre de Fournier à Garnier du 13 juillet 1933.
279 Ibid., lettre de Garnier au ministre du Commerce du 19 juillet 1933.
280 La chronologie des événements est résumée dans une note du 21 novembre 1933 des services de la chambre de commerce, « Incidents survenus à la suite de l’application du § 6 de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1933 », ibid.
281 Note du 20 septembre 1933 sur l’interprétation du « donné acte » de la commission d’appel dans sa séance du 4 août 1933, 14 pages et une note complémentaire 25 septembre de 3 pages, ibid.
282 R. Ménasseyre, Politique du blé…, op. cit., p. 205.
283 Ibid., p. 206.
284 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 2e « affaire des blés » 1933, note du 13 octobre 1933.
285 Ibid., Note du 14 octobre 1933 : « La loi du 10 juillet 1933 et les opérations conclues au marché réglementé de Paris. »
286 Aucun document retrouvé dans les archives ne permet de connaître les rémunérations touchées par les juristes pour leurs consultations. On ne dispose pas avec exactitude du nom du commanditaire, même si on peut parfois avancer des hypothèses sur ce point. Le point est bien connu par les juristes eux-mêmes, mais ne semble pas avoir été souvent étudié. Cf. les remarques judicieuses dans S. L. Kaplan, Le pain maudit…, op. cit., p. 698-702.
287 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13, Consultation de G. Ripert, 16 juillet 1933.
288 Ibid., Consultation de J. Lescure, 18 juillet 1933.
289 L’avis du doyen Berthélemy est d’abord publié dans le Bulletin des Halles du 27 juillet 1933 – on ne sait pas au juste qui a demandé cette consultation, mais le lieu de publication suppose des liens possibles avec une partie du négoce et éventuellement de la meunerie –, puis il est cité dans son intégralité dans « À propos de la loi du 10 juillet 1933 fixant un prix minimum des blés », La Gazette du Palais, 4 octobre 1933 – cet article a été consulté sur la version microfichée de ce journal conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, mais dont la collection est lacunaire ; la collection de la bibliothèque Cujas en volumes reliés n’a pas permis de retrouver ces éléments. On n’a hélas pas non plus pu retrouver les publications de deux autres avis, présentés comme allant dans le même sens : Maurice Colrat, ancien garde des Sceaux, et Jean Appleton, professeur honoraire des facultés de droit et avocat à la cour d’appel de Paris (La Gazette du Palais, 11-13 novembre 1933). Mais on a pu prendre connaissance des conclusions de ces consultations, qui sont citées dans celle ultérieure du professeur Julien Bonnecase, conservée dans les archives de la chambre de commerce.
290 Dans un des documents conservés par la chambre de commerce, cette consultation est datée du 21 août 1933. Le texte publié par Duquesne en 1935 tient compte de la publication de certaines des autres consultations.
291 J. Duquesne, « La loi du 10 juillet 1933 sur le prix minimum du blé et la liquidation des affaires des marchés à terme en cours le 16 juin 1933 », Les lois nouvelles, 1935, 1re partie, revue de législation, p. 42-63, p. 42. L’article de Duquesne a été publié en brochure : Paris, Publications Émile Schaffhauser, 1935.
292 Ibid., p. 50.
293 Ibid., p. 63. Le dernier point énoncé renvoie à la stratégie développée par Henri Lalou comme quoi la chambre syndicale aurait agi par délégation de pouvoir législatif.
294 H. Lalou, « À propos de la loi du 10 juillet 1933 fixant un prix minimum des blés », La Gazette des Tribunaux des 22-23-24 octobre 1933 (4 pages non numérotées). Ce texte a été retrouvé dans ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 11 2e « affaire des blés » 1933-1936.
295 Ibid., consultation J. Bonnecase, 4 décembre 1933, 35 pages dactylographiées.
296 Ces deux dernières consultations semblent brèves : Colrat, consultation du 20 septembre 1933, qui commente juste sommairement les débats parlementaires ; Appleton, consultation du 31 octobre 1933, qui reproche à la chambre syndicale un excès de pouvoir dans son interprétation de la loi ; Ibid.
297 Ibid., consultation de H. Capitant, 12 décembre 1933.
298 « Pour la défense de l’agriculture. La loi de sauvetage du marché du blé ne doit pas être dénaturée », Le Petit Parisien, 19 octobre 1933.
299 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 2e « affaire des blés » 1933. La lettre est bien datée du 6 juillet, soit avant le vote définitif de la loi et plus encore l’arbitrage pris par la chambre syndicale…
300 Arch. nat., BB18 6637, Dossiers banaux. Divers dont spéculation sur les blés et les sucres 1933-1936.
301 « Vous avez bien voulu m’inviter à vous faire connaître les raisons de fait et de droit qui motivaient l’avis que j’avais formulé, suivant lequel la situation signalée par le réclamant ne me paraissait pas comporter l’intervention du ministère public. », Arch. nat., F60 220, lettre du 9 novembre 1934. Il n’est sans doute pas innocent de noter que les copies de ces documents de la procédure judiciaire ont été retrouvées dans le fonds d’archives de la présidence du Conseil. Ce courrier est un des rares qui se trouvait également dans le dossier BB18 6637 des Arch. nat.
302 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 11 2e « affaire des blés » 1933-1936, lettre de R. Goussault à H. Garnier, 14 août 1934. L’AGPB a aussi adressé au président du Conseil, le 11 août, une lettre lui présentant un historique de l’affaire dans sa perspective.
303 Ibid., lettre de Pierre Hallé à Garnier, 3 septembre 1934 : envoi de la copie de la lettre de l’AGPB au ministre de l’Agriculture le 1er septembre.
304 Ibid., lettre de Hallé à Garnier, 10 septembre 1934.
305 Ibid., lettre de Hallé à Garnier, 15 décembre 1934.
306 Georges Monnet, « Les manœuvres de la spéculation », Le Populaire, 18 août 1934. Une coupure de l’article est contenue dans les dossiers du ministre de la Justice (Arch. nat., BB18 6637, Dossiers banaux). L’article est repris dans La Revue de Cerdagne, 14, 20 septembre 1934, p. 2.
307 « Une fraude qui a coûté trente millions », Le Jour, 12 décembre 1934. Cet article a été retrouvé en ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 2e « affaire des blés » 1933.
308 Arch. nat., F60 220, Note sur l’état de l’information dans l’affaire d’action illicite sur le marché des blés, 22 décembre 1934.
309 Ibid.
310 Ibid.
311 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 11 2e « affaire des blés » 1933-1936, note de H. Garnier sur son audition du 10 décembre 1934.
312 Né en 1875, Roger Fighiéra est entré au ministère du Commerce comme rédacteur en 1899 ; il est directeur des Affaires commerciales et industrielles depuis 1918, conseiller d’État en service extraordinaire depuis 1931, il prend sa retraite et est nommé directeur honoraire en 1935.
313 Le fonctionnaire, né en 1894, était l’auteur d’une thèse en sciences politiques et économiques sur des questions en lien avec le ministère du Commerce : R. Bouffandeau, Du régime des importations et des exportations pendant la guerre et l’après-guerre (août 1914-août 1920), Paris, Éditions de la vie universitaire, 1921. Entré comme rédacteur en 1920, il est directeur adjoint de la direction des Affaires commerciales et industrielles en 1935.
314 Ibid., audition de R. Bouffandeau, 5 mars 1935. Il est à nouveau entendu le 30 mars et confirme son témoignage.
315 Ibid., audition de P. Fournier, 6 mars 1935.
316 Ibid., audition de Ch. Petit, 7 mars 1935.
317 Ibid., audition de H. Garnier, 8 mars 1935.
318 Delpeux était accusé par certains d’avoir servi d’intermédiaire pour Fournier. Il est à nouveau auditionné par le juge le 28 mai et confirme alors sa position (ibid.).
319 Ibid., audition de R. Etlin, 15 mars 1935.
320 Ibid., audition de H. Chasles, 25 mars 1935.
321 Ibid., audition de L.-I. Benedic, 16 mai 1935.
322 Ibid., audition de P. Fournier, 17 mai 1935.
323 Ibid., Note du 29 avril 1935, p. 2. L’utilisation de l’ensemble des auditions laisse supposer que le document est établi par le juge. Son contenu fortement à charge pourrait aussi indiquer qu’il serait le résultat du travail des avocats d’une des parties ayant eu accès au dossier.
324 Ibid., p. 14.
325 Ibid., p. 4.
326 Ibid., p. 15.
327 Ibid., p. 13.
328 Ibid., p. 15.
329 Ibid., p. 21.
330 Ibid., audition de J. Lescure, 12 juillet 1935.
331 Ibid., lettre non datée de l’avocat de la compagnie grainière au juge.
332 Ibid.
333 « L’agriculture française et les scandales à la Bourse de commerce », Le Petit Meunier, 27 février 1936, retrouvé dans ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 2e « affaire des blés » 1933.
334 Ibid., lettre du 2 mars 1936 de P. Etlin à P. Fournier.
335 Arch. nat., BB18 6637, Dossiers banaux. Divers dont spéculation sur les blés et les sucres 1933-1936, ordonnance nº 99606 du Parquet. Mais le dossier est très incomplet et ne permet donc pas de bien percevoir la fin de cette procédure.
336 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 11 2e « affaire des blés » 1933-1936 ; cf. aussi La Gazette des tribunaux, 30-31 mars 1934.
337 Journal de la meunerie et de la boulangerie, 602, mars 1934, p. 777-778.
338 La Gazette du Palais, 8 novembre 1935, p. 613-616, p. 615 pour les deux citations.
339 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 11 2e « affaire des blés » 1933-1936, conclusions de l’avocat général Rolland, 28 novembre 1935, cour d’appel de Paris, 1re chambre, présidence de M. Laroque, 22 pages dactylographiées.
340 Ibid.
341 Ibid.
342 Ibid., note en réponse à l’avocat général remise le 5 décembre 1935.
343 Ibid., arrêt de la cour d’appel, 19 décembre 1935.
344 « Cour d’appel de Paris (1re Chambre). 19 décembre 1935. Blé. Passe c. Société commerciale agricole Ganancia et Chambre syndicale des blés », Recueil hebdomadaire Dalloz, 1936, p. 73-74.
345 Arch. nat., F60 220, Note concernant l’affaire de la liquidation sur le marché des blés en juillet 1933, 29 février 1936.
346 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 11 2e « affaire des blés » 1933-1936, lettre du 16 janvier 1936 de Charles Speyer au président de la chambre de commerce.
347 Ibid., lettre du 26 février 1936.
348 Arch. nat., F60 220. En particulier la mention de « Dalbouze a téléphoné à Alphand », soit le président de la chambre de commerce de Paris et le directeur de cabinet du ministre du Commerce et de l’Industrie, l’inspecteur des Finances Hervé Alphand.
349 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 11 2e « affaire des blés » 1933-1936, rapport de Carlos Mulquin, expert près la cour d’appel, 12 mai 1936.
350 Ibid., lettre du 9 juillet 1936.
351 Ibid., Compte rendu lu par le président du syndicat du commerce des blés, seigles, avoines et orges à Paris, à l’assemblée officieuse tenue par les Commissionnaires, membres de la catégorie “A” le jeudi 11 janvier 1934, suivi de documents, Paris, Imprimerie Lahure, 1934, 32 p., p. 9.
352 Ibid., note du 31 juillet 1936 pour M. le Président. « Bourse de commerce. Blés. 1933 ».
353 Ibid., note du 17 décembre 1936.
354 Ibid., note du 26 novembre 1936.
355 Ibid., Note de M. Lebreton du 8 juillet 1937 (communiquée le 5 mai 1938). Une dernière relance d’Etlin en février 1938 est traitée par la chambre de commerce, mais lentement… puisque c’est au cours d’une réunion du 11 mai 1939 qu’est noté au procès-verbal que la chambre de commerce « n’a pas qualité pour prendre une décision ou formuler un avis quant à la question posée », ibid.
356 Pour cause de locaux amiantés, on ne dispose pas du dossier d’instruction du Conseil d’État. Par chance, les archives de la chambre de commerce sont là encore assez riches sur la procédure.
357 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 10 2e « affaire des blés » 1933. La lettre du ministre de l’Agriculture est très précise et se réfère à plusieurs reprises à la jurisprudence antérieure du Conseil d’État.
358 Ibid.
359 Ibid., Projet de réponse à la demande d’avis du ministre du Commerce, 31 août 1934.
360 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 11 2e « affaire des blés » 1933-1936.
361 Il indique à la chambre la nécessité de le rémunérer : « Je suis assuré d’aller au-devant de votre attention, en même temps que je me conforme aux exigences de nos règles professionnelles, en vous priant de vouloir bien me faire tenir, à titre de provision d’usage pour mes frais de procédure et honoraires d’instance dans l’ensemble de ces trois délicates et laborieuses affaires, une somme que je vous propose de fixer à dix mille francs. », ibid., lettre de Roger de Ségogne au président de la chambre de commerce, 10 janvier 1936.
362 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 11 2e « affaire des blés » 1933-1936, note du 16 janvier 1936.
363 Ibid., Mémoire en défense dont copie est envoyée par l’avocat au président de la chambre de commerce le 11 février 1936.
364 « Agriculture », Affaire 36607, Association nationale de la meunerie française ; Recueil Lebon, 4 juin 1937, p. 550‑552.
365 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 11 2e « affaire des blés » 1933-1936, lettre de Roger de Ségogne au président de la chambre de commerce, 7 juin 1937.
366 Lettre du 9 juin 1937 d’André Fleury aux membres du comité, « Comité de la défense de la meunerie et du commerce », La Meunerie française, juin 1937, p. 118-119.
367 M. Langlet, Les Bourses de Commerce en France, Paris, Librairie technique et économique, 1937, p. 52.
368 Cf. R. Villemer, La réglementation de la Bourse de commerce de Paris, Paris, Librairie sociale et économique, 1939.
369 Arch. nat., F60 220, La réforme de la Bourse de commerce (sans date), logiquement dans le courant de l’année 1934. La note non signée prend nettement parti contre les agriculteurs et une partie de la chambre de commerce. Le rapport Painvain est adopté par la chambre de commerce le 20 juin 1934.
370 Journal officiel de la République française, Lois et Décrets, 22 décembre 1934, p. 12500. Le seul visa est celui de la loi du 28 ventôse an IX.
371 A. Rambercourt, « Réouverture du marché à terme pour le blé. Interview de M. Charles Petit », La République, 3 mai 1935, article conservé dans ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 7.
372 Arch. nat., F60 220, Rapport spécial d’un commissaire de police, Bourse de commerce, 6 février 1935.
373 BNF, ms. fr., NAF 28201, Fonds P.-É. Flandin, 65.
374 Arch. nat., CE 163.
375 Respectivement Ivan Martin, auditeur au Conseil d’État, et Jean Filippi, inspecteur des Finances.
376 Arch. nat., CE 96, séance de la commission permanente du 18 mars 1935, p. 2.
377 Ibid., p. 6.
378 Arch. nat., CE 96, séance de la commission permanente du 20 mars 1935, p. 3.
379 Ibid., p. 7 et 9
380 Arch. nat., CE 96, séance de la commission permanente du 22 mars 1935, p. 7.
381 Arch. nat., CE 96, séance de la commission permanente du 25 mars 1935.
382 Arrêté du 28 août du ministre du Commerce et de l’Industrie portant règlement général des marchés réglementés de la Bourse du commerce (Journal officiel du 30 août 1935). Il se peut que le changement de gouvernement ait retardé l’arrêté.
383 L. Solal, Les opérations à terme sur marchandises à la bourse de commerce de Paris, Paris, LGDJ, 1939, p. 119.
384 ADP, CCIP, 2ETP/2/2/13 8, « La situation présente du marché à terme », 13 février 1936, note sur papier à en-tête du Service de représentation des agriculteurs à la Bourse de commerce (AGPB), 28 p. Cf. aussi les courriers de l’AGPB au ministre de l’Agriculture en mars 1936 (Arch. nat., F10 2171) et l’ensemble de la collection du Bulletin de documentation sur le marché du blé pour le 1er trimestre 1936.
385 Arch. nat., F60 220, note relative à l’élaboration du règlement spécial du marché à terme du blé, 5 mars 1936.
386 Arch. nat., F60 220, Note anonyme, 3 février 1936. La note défend les intérêts du commerce contre les céréaliculteurs.
387 Arch. nat., F60 220, « Le marché réglementé des blés », note du 26 mars 1936.
388 28 février 1936 pour le marché des sucres blancs, 11 mai pour les blés, seigles, avoines et orges à Paris, et 11 mai également pour les huiles à Paris, cf. M. Langlet, Les bourses de commerce…, op. cit., p. 56.
389 A. Richard, La défense de l’intérêt public à la bourse de commerce et le statut des commissionnaires, Paris, Éditions Domat-Montchrestien, F. Loviton et Cie, 1938, p. 1-2.
390 Y. Le Normand, L’utilisation d’un approvisionnement normal de blé en France, Montpellier, Imprimerie Mari-Lavit, 1934, p. 261.
391 H. Hitier, « La taxation du blé », Journal d’agriculture pratique, 97e année, nº 8, 25 février 1933, p. 149-150, p. 150.
392 L. Pichat, « La défense du marché du blé », Revue politique et parlementaire, 462, 10 mai 1933, p. 350-364, p. 350 et 364 pour ces citations.
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