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Introduction. L’échec des institutions et des politiques publiques a-t-il des vertus économiques ?

p. 293-295


Texte intégral

1L’échec des institutions et des politiques publiques a-t-il des vertus économiques ? On peut en douter à la lecture des contributions présentées dans cet atelier. En les lisant, l’actualité surgit : lamentations françaises sur la crise de l’apprentissage et ses conséquences pour expliquer la langueur économique du pays, un taux de chômage des jeunes très élevé en France et un système d’enseignement secondaire et supérieur jugé inadapté. Depuis près d’un siècle, l’échec en la matière revient régulièrement sur le devant de la scène publique, en dépit de lois et de la volonté constamment affirmée par nos gouvernants et responsables patronaux de ne pas ménager leur peine pour promouvoir l’apprentissage et l’excellence de l’enseignement technique. Sur un tout autre plan, l’efficacité des règles édictées par l’Union européenne en matière de libre marché, de politique de concurrence, d’encadrement bancaire et de surveillance des marchés financiers suscite circonspection ou incrédulité, alors que se multiplient les quasi-faillites de banques mettant en péril les systèmes bancaires de nations européennes, ou qu’au nom de la concurrence, des entreprises se disent brimées dans leur politique d’expansion. Quatre contributions, trois pays (France, Italie, Espagne), deux regroupements, à la fois thématiques et chronologiques, dans notre session.

2Un premier regroupement considère, pour la seconde moitié du xixe siècle et le début du xxe siècle, le thème de l’éducation technique et professionnelle. Marco Santillo nous emmène dans le sud de l’Italie. Il rappelle la tentative de l’aristocrate et amateur d’art Gaetano Filangieri junior (1824-1892) de fonder une institution nouvelle à Naples, composée d’un musée d’Art industriel et d’écoles-ateliers. Musée – écoles – ateliers pour exposer, instruire, produire. L’unification italienne est achevée dans sa phase politique, la décennie 1880 est celle du développement économique. Vers qui se tourner pour prendre modèle dans ces trois domaines ? L’Angleterre ? La France, celle du début du xixe siècle et de son Conservatoire national des arts et métiers, modèle de musée ? Vers l’Allemagne ? La circulation des modèles et les transferts sont inégalement réussis. Les obstacles auxquels se heurte Gaetano Filangieri junior aboutissent, selon l’auteur, à un échec. En cause, les rivalités d’autres institutions, l’incompréhension des édiles et dirigeants politiques – ceci n’est pas pour étonner. Plus important pour comprendre l’échec du projet de valoriser les arts appliqués et insuffler dans ce Sud une attitude culturelle nouvelle, autocentrée pourrait-on dire, l’inquiétude des industriels sur le type d’ouvriers que ces écoles étaient susceptibles de former. Leur crainte de voir former des artisans-gentilshommes à l’heure d’une industrialisation réclamant des ouvriers durs à la tâche et travaillant en série conduit à l’échec de l’institution.

3L’attitude culturelle de la IIIe République ne serait-elle pas également en cause dans le cas de la France, qu’étudie Stéphane Lembré ? Il analyse une « crise de l’apprentissage » protéiforme (technique et professionnelle) et instrumentalisée. Comme dans le cas italien, les considérations économiques et culturelles se rejoignent. C’est la question des valeurs techniques ouvrières à l’heure de l’industrialisation qui paraît être en jeu. La solution passerait-elle par « la mise en école » de l’apprentissage ? Les oppositions sont vives. Les acteurs publics et privés rivalisent de projets. Le monde patronal propose des formes d’ateliers-écoles qu’il contrôlerait. Dans ce cas aussi, les modèles étrangers sont mobilisés. Le consensus ne se réalise, au lendemain de la Grande Guerre, que sur le recours à l’État et à la loi. La situation actuelle ne plaide pas pour le succès de l’entreprise.

4Le second regroupement thématique interroge une période plus récente et met en jeu les institutions européennes, non exclusivement cependant, car ces dernières, si facilement décriées, résultent aussi de la somme d’approches nationales et de compromis nécessaires. Laurent Warlouzet rappelle les premiers moments d’apprentissage des institutions européennes en matière de surveillance des acteurs économiques, de respect des règles de libre marché et de lutte contre les monopoles. Il retrace précisément l’adoption du règlement communautaire 17/62, issu de la confrontation de références sensiblement différentes. Il rappelle opportunément que l’adoption, qui peut être considérée comme une victoire, peut être suivie d’un échec, celui de la mise en œuvre et de l’application. Patent dans les années qui suivent, l’échec est pour l’auteur source d’apprentissage, un learning by doing, en quelque sorte, à l’issue duquel la Commission a été en mesure de reformuler ses directives et ses procédures en matière d’ententes.

5Vénérables institutions qui naissent un peu partout en Europe au cours du xixe siècle, les caisses d’épargne n’ont pas échappé aux tourmentes financières de ces dernières décennies, remettant ainsi profondément en cause leur rôle et leur existence même. C’est ce que démontre Gloria Pardo dans le cas espagnol. Libéralisations politique et économique sont allées de pair avec le processus d’adhésion à la Communauté économique européenne. L’adoption de l’euro, une politique laxiste de la Banque centrale européenne et surtout un manque de formation des dirigeants des caisses d’épargne sont, pour l’auteur, à l’origine d’un échec qui a profondément ébranlé le système financier espagnol – des grenouilles qui voulaient se faire aussi grosses que le bœuf, en somme.

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