Du verrier au laitier : de l’échec de Saint-Gobain à l’absorption de Gervais-Danone par BSN en 1973
p. 127-136
Texte intégral
1Lors du 80e anniversaire de la marque Danone, le fondateur de la société, Daniel Carasso (1905-2009), précise qu’à la fin des années soixante :
« Nous avons fait cette politique de diversification en achetant Millat Frères, Panzani, Petit Jean… Et ensuite, nous avons fait le Brésil (1970) et le Mexique (1973). On s’est aperçu que lorsque l’on achetait une affaire, il fallait faire des restructurations. On a dû fermer deux usines, licencier 600 personnes. On a mis deux ans avant que l’affaire soit rentable. Se diversifier, c’est très long. J’en étais là dans mes réflexions quand je suis tombé sur Antoine. […] Il voulait étoffer davantage sa branche alimentaire toute jeune. Nous, on voulait aussi se diversifier et faire de Danone une marque mondiale1 ».
2Pourtant, ce rapprochement de Boussois-Souchon-Neuvesel avec Gervais-Danone décrit par le fondateur de Danone n’est pas exactement celui étudié dans les écoles de commerce ou dans les livres de stratégies industrielles2. D’ailleurs, la bibliographie sur Danone reste sommaire sur la fusion et correspond essentiellement à des ouvrages commandés par le groupe lui-même3. Quant à celle sur le patron emblématique de BSN-GD, Antoine Riboud, elle met davantage en avant le parcours atypique de l’homme4. En effet, cette fusion est souvent présentée comme la stratégie du jeune patron de BSN, de passer du contenant au contenu, notamment après son échec concernant la tentative d’OPE sur le groupe Saint-Gobain en 1969. Quant à Gervais-Danone, la situation du groupe, formé six ans plus tôt, est loin d’être florissante en 1973. Les écueils de sa diversification sont nombreux, en raison des restructurations, de l’absence de synergies entre les différents métiers et de la multiplication des concurrents. Les échecs de l’OPE de BSN et de la diversification de GD conduisent deux géants dans leur secteur à fusionner, même si les rapports alimentaires restent malgré tout très limités. Quelles peuvent être les synergies de deux sociétés positionnées sur des métiers très différents : le verre et les produits laitiers frais ?
3Cette étude tente ainsi de se démarquer du cas d’école de la diversification par « le passage du contenant au contenu » après l’échec de l’OPE de BSN, en insistant sur le rapprochement de deux sociétés fragilisées au début des années soixante-dix. Même s’il bénéficie d’une large renommée à cette période, le groupe présente peu de perspectives de développement, tandis que GD est confronté à des enjeux de restructuration, à une crise de consommation et à l’arrivée de nombreuses sociétés alimentaires d’envergure internationale, tels que le Suisse Nestlé ou l’Anglo-Néerlandais Unilever, menaçant son activité. À travers l’analyse de la situation de chacun des deux groupes au début des années soixante-dix, on tentera de montrer comment leur fusion gomme partiellement leur situation d’échec. On conclura cette étude par les difficultés croissantes du géant de l’alimentaire français tout au long de la décennie. Il ne s’agit par d’écorner l’image d’Antoine Riboud ni de réduire la stratégie audacieuse de l’homme, mais de repenser cette fusion sous un angle nouveau, celui de la volonté de GD de s’associer avec BSN, ou encore d’analyser la politique de diversification de Gervais et de Danone comme un échec, dont l’issue reste une fusion avec BSN.
I. Un géant laitier à restructurer
4À la fin des années soixante, la société Gervais-Danone reste le principal acteur du marché des produits laitiers frais, absorbant près de 40 % du chiffre d’affaires du secteur. Implantée sur l’ensemble du territoire national et ayant fait l’acquisition récente de sociétés majeures positionnées sur d’autres marchés de l’alimentation, comme les Établissements Lhuissier (conserve de charcuterie) en 1968, Milliat Frères (pâtes alimentaires et plats cuisinés) l’année suivante, les conserveries Petitjean en 1970 et surtout la société Régia-Panzani5, l’entreprise GD semble bénéficier d’atouts considérables pour se développer davantage, à l’instar d’autres sociétés françaises à cette période. En effet, le modèle n’est-il pas à cette période de se diversifier tous azimuts, à l’instar de la société Lesieur, qui se développe elle aussi sur différents marchés, parfois très différents de ses origines huilières, comme, par exemple, les produits détergents6 ? Cependant, au début des années soixante-dix, malgré leur fusion récente, les deux sociétés Gervais et Danone sont confrontées à une situation difficile dans la mesure où elles ont pour volonté de restructurer leurs sites de production et de rechercher des synergies entre les usines. Quel est leur nombre au début des années soixante-dix ? Existe-t-il d’autres sites industriels à l’étranger ?
5La société Gervais, fondée en 1850, développe le « petit-suisse » à partir du site de Ferrières-en-Bray. Les usines du Molay-Littry, bâtie vers 1917, puis celles de Neufchâtel, acquise la même année, et de Longueville-sur-Scie, rachetée en 1925, complètent les nombreuses fabrications de l’usine mère. Depuis le milieu des années soixante, un vaste programme de modernisation des différentes usines normandes est établi. Ainsi, en 1966, le site Neufchâtel II est inauguré, suivi deux ans plus tard par celui du Mollay II. En 1970, la construction de Ferrières II débute. Ce vaste programme d’investissements est lié soit à la spécialisation des usines, soit à la mise en place de nouvelles chaînes de fabrication à partir des emballages plastiques. Quant à la société Danone, elle est fondée à Paris par Daniel Carasso en 1929, en reprenant l’idée de la fabrication du yoghourt que son père Isaac avait développée à Barcelone dix ans plus tôt7. En 1932, l’usine de Levallois-Perret est créée, assurant le succès du produit dans la capitale. En 1958, l’usine du Plessis-Robinson, dans la banlieue parisienne, constitue le second site de production, suivie de Strasbourg et de Marseille en 1961, de Seclin en 1963, de Pierre-Bénite près de Lyon en 1966, puis de Rotselaar en Belgique. À l’instar de Gervais, Danone entreprend un programme de rénovation de ses sites au début de la décennie suivante, avec les extensions de Seclin et de Pierre-Bénite en 1970 et en 1971.
6Gervais et Danone ont largement développé leurs implantations industrielles à l’étranger. Au cours des années soixante, les deux sociétés sont présentes en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Suisse, en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne, au Maroc, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Sénégal et au Japon. Sur le continent américain, des partenariats sont conclus au début des années soixante-dix avec des sociétés brésiliennes et mexicaines. Sur le seul continent européen, le groupe dispose de 34 unités de production sans compter l’ensemble des entrepôts nécessaires à la diffusion des produits. La fusion des deux sociétés en 1967 a certes permis la création d’un leader sur le marché des produits frais, mais elle entraîne un vaste programme de reconfiguration des usines, parfois distantes de quelques kilomètres, à l’image des sites normands de Gervais. En dehors de cette fusion, le secteur est en pleine transformation avec la création du pot en plastique thermoformé, qui se substitue aux contenants du verre, et surtout du carton paraffiné, exigeants des investissements considérables en machines et des restructurations profondes avec l’automatisation des lignes de fabrication. Quelles sont les principales étapes de la création du pot en plastique ?
7En janvier 1958, trois ingénieurs français fondent la Société plastimécanique, située en région parisienne, à Courbevoie, pour y développer la thermoformeuse. Ils la perfectionnent au cours de la première moitié des années soixante, jusqu’à aboutir à la conception d’une chaîne complète de conditionnement par thermoformage en continu. La thermoformeuse, en chauffant la bande plastique, forme, remplit, scelle et découpe les pots à l’unité ou par groupage, révolutionnant ainsi le marché de l’emballage. La mise au point pour l’industrie laitière est réalisée au sein même de la Société des fermiers réunis des Flandres, dans l’usine de Bailleul, située dans le département du Nord, en 1965. Cette période correspond d’ailleurs à un vaste mouvement de transformation des emballages pour une partie des produits agro-alimentaires, à l’image de la création de la bouteille en plastique pour l’huile en 1963-19648. Ce nouveau procédé est en partie détenu par les deux sociétés Gervais et Danone, qui avaient pris des participations, 33 % chacune en 1964, dans le capital des Fermiers Réunis des Flandres qui prendra bientôt le nom de Stenval. La fusion, en 1967, des deux principales sociétés leur permet de bénéficier des progrès techniques accomplis au sein du site de Bailleul9. De façon immédiate, le groupe détient la majorité des parts de leur filiale nordiste. Cette révolution du plastique impose cependant des investissements considérables. En effet, afin de bénéficier de l’avantage concurrentiel du pot en plastique, il s’agit de restructurer rapidement les chaînes de fabrication, jusqu’alors spécialisées dans les pots en cartons paraffinés ou en verre. Cet enjeu devient d’autant plus déterminant que d’autres acteurs du marché, Yoplait et Chambourcy, se renforcent et se l’approprient.
8Yoplait est la marque commune de six coopératives regroupées au sein de la Sodima depuis la fin de l’année 1963. L’union rassemble la CLCP10, l’ORLAC11, l’ACA12, l’UCALM13, l’ULC14 et enfin la CLARA15. La Sodima possède, en 1966, 24 usines employant 2 500 personnes16, auxquelles s’ajoutent deux nouvelles unités : l’une à Toulouse en 1967 et l’autre au Mans début 196817.
« Après deux années d’études, la Sodima et ses deux dirigeants, André Gaillard, président, et Jacques Tulasne, directeur, [obtiennent] des coopératives qu’elles sacrifient leurs marques, Yola, Coplait, Meilhac, Balkan, Fraimont, Dauphilait et Yam, pour lancer, le 1er octobre1965, la marque Yoplait18 ».
9La signature coopérative provient de la concentration de Yola, marque de l’UCALM, et de Coplait, marque de la CLCP19. En 1966, la marque, s’appuyant sur une gamme de 40 produits, représente 7 à 8 % du marché. Yoplait manifeste sur-le-champ la volonté de s’imposer comme une marque nationale.
« Une campagne publicitaire massive [est] chargée de créer rapidement la notoriété du produit et de la marque. La radio et l’affichage [sont] surtout utilisés : en octobre 1965, quatre flashes par jour sur les ondes d’un poste périphérique. Une affiche dessinée par Savignac20 [est] largement diffusée sur les murs de la région parisienne et des grandes villes de province. L’opération de lancement se [poursuit] par des annonces dans les magazines et la presse régionale, ainsi que par la distribution de maquettes publicitaires et de matériels de PLV aux crémiers et épiciers21 ».
10La Sodima réalise aussi une action importante auprès des professionnels, avec « 50 annonces dans les plus grands titres de la Crémerie et de l’épicerie22 ». L’exemple de Yoplait est repris par une autre association de coopératives. En mars 1969, le Groupement d’animation de marques alimentaires, ou GAMA, pour la commercialisation à l’échelon national des produits frais à la marque Nova est fondé23. En mars 1969, le groupe coopératif concentre alors 32 000 producteurs, collecte plus de 550 millions de litres de lait. En 1970, le GAMA représente 56 040 producteurs, collecte 876 millions de litres, réunit 44 usines de transformation et emploie 3 504 personnes. Avec un chiffre d’affaires de plus de 730 millions, la distribution est totalement assurée dans 50 départements24. Plus de 1 300 véhicules Nova assurent le ramassage, les transports et les livraisons à partir de 50 dépôts ou centres de distribution. En 1971, la marque Nova couvre 75 départements, soit « 40 millions de consommateurs ou 80 % de la population nationale25 ». Dans chaque région, le GAMA a mis en place une direction commerciale, avec des cadres de vente, des attachés commerciaux et des livreurs-vendeurs Nova.
11Yoplait et Nova ne constituent par les seules menaces du groupe Gervais-Danone. Celui-ci est confronté, en plus de ses difficultés internes, à l’essor de « groupes alimentaires de taille supérieure », comme Nestlé à travers Chambourcy et Unilever avec La Roche-aux-Fées. Le premier prend, en octobre 1969, une participation de 20 % dans le capital de Chambourcy. Pour le responsable de la société, Jacques Benoît, « nous ressentions le besoin de faire de Chambourcy une affaire à l’échelon européen, ce qui représente des hommes et des investissements, alors que nous n’avions pas suffisamment de l’un et de l’autre. Cette aide nécessaire, nous l’avons trouvée en octobre 1969, avec Nestlé26 ».
12Le second, Unilever, après la prise de contrôle, en août 1968 de la Société La Roche-aux-Fées27, étend ses acquisitions dans le secteur des produits laitiers frais en absorbant, au printemps 1969, la Société Rousset, implantée dans la région lyonnaise, puis, en mai, la Société Cajazus, installée à Boeil-Bezing, dans le Sud-Ouest. En 1973, Unilever, via Astra-Calvé, substitue à Vitho sa propre marque de produits frais, La Roche-aux-Fées, en lui apportant « son soutien financier et son appui dans le domaine de la recherche et du marketing28 ». Jacques Corbière29 explique en 1972 que Gervais-Danone est « devenu le premier groupe alimentaire français à faire face dans l’Europe des Neuf à une dizaine de groupes alimentaires de taille supérieure, dont la stratégie [peut] s’opposer à la sienne avec des moyens plus importants. D’autre part, en dépit d’une politique de diversification et de développement de produits nouveaux activement suivie, Gervais-Danone [réalise] encore 70 % de son activité dans le secteur laitier et il lui [faut] parvenir à une diversification beaucoup plus large. C’est pourquoi le groupe a recherché des partenaires et les dirigeants de BSN sont apparus comme étant les plus proches de sa conception de l’entreprise30 ». En plus de la diversification, le groupe doit à cette période restructurer la plupart de ses usines, aussi bien françaises qu’étrangères. La société ne dispose pas de moyens internes pour relever de tels défis. En faisant appel à un homme, Antoine Riboud, qui avait déjà à son actif plusieurs expériences dans le domaine des restructurations à travers ses sept usines spécialisées dans le verre : Reims, Gironcourt, Veauche, Vayres, Givors, Lagébude et Marseille, elle bénéficie de nouvelles perspectives de développement31. En 1973, les trois initiales de BSN, qui ont déjà connu une renommée nationale forte en 1969 avec la tentative d’OPE sur Saint-Gobain, retentissent à nouveau dans le secteur agro-alimentaire. L’échec du jeune PDG, Antoine Riboud, nommé en 1965 à la tête du groupe, s’efface avec la fusion en 1973, lorsque Gervais-Danone recherche un partenaire32.
II. Un géant du verre à diversifier
13En 196633, après la fusion des deux sociétés Souchon-Neuvesel34, présidée par Antoine Riboud (1918-2002)35, et de Boussois36, le groupe acquiert différentes verreries, dont celles de Hémain Frères en juillet 1967 et de Gironcourt en septembre 1968. À la mi-décembre, il veut prendre le contrôle de Saint-Gobain. BSN propose alors aux actionnaires de Saint-Gobain de lui céder leurs titres en échange d’obligations convertibles en actions. Cependant, le président de Saint-Gobain, Arnaud de Vogüe, fait « de la défense de la Compagnie une affaire personnelle et pendant des semaines se [dépense] sans compter » selon Roger Martin, président de Pont-à-Mousson37. L’opération échoue finalement, « BSN n’étant pas parvenue à la clôture (27 janvier 1969) à contrôler les 30 % du capital de Saint-Gobain visés38 ». D’après Roger Martin, les conseillers d’Antoine Riboud « avaient mal joué, mais lui en tira une réputation définitive et méritée d’industriel dynamique et plein d’imagination39 ». En juillet 1970, Saint-Gobain fusionne avec Pont-à-Mousson. Après cet échec, BSN ne voit plus son avenir uniquement à travers le verre, mais dans le contenu des emballages. Pour Antoine Riboud :
« À partir de 1969, j’ai commencé à envisager un développement dans l’alimentaire. Ce qui a déclenché ma réflexion, c’est l’essor spectaculaire des emballages perdus. J’ai tout de suite pensé que le verre allait inévitablement perdre le monopole du conditionnement des liquides alimentaires. Cette évolution, que nous n’avions bien sûr, nous verriers, pas voulue, m’est apparue incontournable. Elle était provoquée par la mutation de la distribution et l’apparition des hypermarchés à la périphérie des villes40 ».
14Selon le journaliste Laurent Flallo, depuis le début des années soixante-dix, « le verre d’emballage consigné est concurrencé de plus en plus vivement par d’autres matériaux jetables (carton, plastiques), que BSN ne pourra pas fabriquer41 ». D’après un autre journaliste, Pascal Galinier, « puisqu’il ne peut devenir un grand du contenant, il va devenir un géant du contenu42 ». Selon Antoine Riboud :
« J’étais très marqué par l’intelligence dont mon grand-oncle, Eugène Souchon, et mon grand-père, Amédée Frachon, avaient fait preuve dans les années 1920. Pour vivre face à Saint-Gobain, qui était plus gros qu’eux, ils avaient créé des marchés captifs avec l’eau minérale. En prenant des participations significatives dans Évian43, dans Vittel, dans Vals, ils avaient sécurisé leurs débouchés44 ».
15Dès lors, BSN se lance dans l’acquisition de plusieurs sociétés alimentaires : Évian, la Société européenne des brasseries, Kronenbourg en 1970, Kanterbrau en 1971, et Gervais-Danone deux ans plus tard. Selon Roger Martin, « le virage du pot de yaourt au yaourt, en fracassant au passage les vitres de Saint-Gobain et de quelques autres, mérite un grand coup de chapeau45 ». En 1973, « Antoine Riboud est […] à la tête d’un vrai géant, qui emploie 74 000 personnes et réalise la moitié de son chiffre d’affaires dans l’alimentaire46 ». Selon Laurent Flallo, « astucieusement payées par échange d’actions », Antoine Riboud est parvenu à devenir « le numéro un hexagonal de l’alimentaire » en achetant ainsi ses sociétés avec « du papier47 ». Sa diversification dans l’alimentaire peut alors apparaître comme une stratégie « de redéploiement » et efface l’échec de l’OPE de 1969. Elle s’applique lorsque la société doit faire « face à une situation stratégique caractérisée par une forte position concurrentielle sur un segment stratégique vieillissant. La diversification devient un substitut à la faible croissance de l’activité principale, lorsqu’elle s’engagera vers le déclin48 ».
III. De la sortie de l’échec au saut dans « l’inconnu »
16À travers sa politique de diversification, BSN acquiert de nombreuses sociétés agro-alimentaires en quelques années. Entre 1976 et 1981, son chiffre d’affaires progresse de plus de 63 %, passant de 11,7 à 19,2 milliards de francs. Pourtant, malgré cette hausse, une partie de l’activité reste fragile49. En effet, selon Antoine Riboud, le groupe affronte dès 1974 « l’inconnu total50 », qui se traduit par une baisse sensible de son résultat net. « En 1975, fait unique dans l’histoire du groupe, il est même négatif ; l’exercice se solde par une perte de 56 millions de francs51 ». En plus, le groupe BSN-Gervais-Danone met en place une politique de « restructurations sur tous les fronts52 », selon Antoine Riboud. Au cours de la période, le groupe est lourdement pénalisé par deux branches à l’origine de sa construction : l’emballage et le verre plat53. Dès 1976, les résultats du groupe s’améliorent.
« La stratégie du groupe a été de se désengager progressivement de ce secteur industriel lourd pour développer les activités alimentaires54. Après les dernières opérations de cession intervenues en 1981 et 1982, BSN n’exerce plus aucune activité dans le secteur du verre plat55 ».
17Le groupe BSN-GD poursuit sa stratégie alimentaire tout au long de la décennie 1980, puis décide de se concentrer autour de trois pôles majeurs au début des années quatre-vingt-dix. Le 10 mai 1994, Antoine Riboud annonce ainsi que « Danone » devient l’étendard du groupe, s’écartant des anciennes initiales n’ayant plus de lien avec son activité alimentaire56. Le nouveau drapeau est complété par la figure d’un enfant et d’une étoile. Cette modification permet à la fois d’afficher la stratégie de développement international du groupe à partir d’un nom rapidement identifiable et de consolider la marque. Au cours des années 2000, Danone concentre davantage son activité en ne conservant que trois pôles : l’eau à travers « Évian », la nutrition avec, par exemple, « Blédina » et le lait avec sa marque éponyme. En 2012, selon le classement en termes de chiffre d’affaires, le groupe constitue le 4e acteur agro-alimentaire mondial, derrière Nestlé, PepsiCo et Coca-Cola Company.
Notes de bas de page
1 Mémoire de Danone, entretiens avec Daniel Carasso par Philippe-Loïc Jacob et Jacques Bungert, réalisation : Christophe Petitprez, s.d. (années 1990), 44 min. Daniel Carasso y retrace l’histoire de Danone de ses origines à 1973.
2 Bernard Carrette, Pierre Dussauge, Rodolphe Durand (coll.), Strategor, toute la stratégie d’entreprise, Paris, Dunod, 5e édition, 2009, p. 732.
3 Félix Torres et Pierre Labasse, Mémoire de Danone, Paris, Le Cherche Midi, 2003.
4 Pierre Labasse, Antoine Riboud, Un patron dans la cité, Paris, Le Cherche Midi, 2007.
5 Catherine de Narbonne et Françoise Geoffroy, Chroniques des années fraîcheur, Gervais et Danone, s.l., Olivier Orban, 1987, p. 71.
6 Tristan Gaston-Breton, Lesieur, une marque dans l’Histoire : 1908-1988, Paris, Perrin, 1998, 450 p., thèse pour le doctorat d’histoire contemporaine, soutenue à l’université de Paris IV, octobre 1996.
7 Félix Torres et Pierre Labasse, Mémoire de Danone, op. cit.
8 Tristan Gaston-Breton, Lesieur…, op. cit., p. 283-284.
9 Nicolas Delbaere, « L’économie laitière dans le Nord-Pas-de-Calais, de l’âge rural à l’âge des marques », thèse sous la direction de Jean-François Eck, université de Lille 3, 2007.
10 Coopérative laitière centrale de Paris, qui représente sur la région parisienne et l’Est une concentration en transformation et distribution de plus de 30 coopératives laitières.
11 Organisation régionale laitière agricole coopérative. Elle regroupe, dans le sud-est, neuf coopératives laitières et couvre commercialement les régions de Lyon-Grenoble à la côte méditerranéenne. L’ORLAC inaugure en 1966 à Vienne-Estressin un nouveau complexe industriel.
12 Avenir coopératif d’Auvergne (Richemont), de Clermont-Ferrand.
13 Union des coopératives agricoles laitières du Mans, spécialisée depuis la fin de la Seconde Guerre dans la production du lait de consommation et des produits frais.
14 Union laitière coopérative à Toulouse, dont l’activité s’étend de Marseille aux régions sud et sud-est de la France.
15 Centrale laitière d’Amiens et des régions d’Airaines et d’Albert.
16 « Yoplait : 2e fabricant français de yaourts », Points de vente, 46, 1er novembre 1966.
17 « Yoplait possède 24 usines et réalise 506 millions de chiffre d’affaires », La vie française, 7 octobre 1966.
18 « La bataille des yaourts », Entreprise, 615, 22 juin 1967, p. 37.
19 Michel Oudin, « Le lait en Somme, 1939-1983 », mémoire de maîtrise sous la direction de Nadine Chaline et Michel‑Pierre Chélini, septembre 1993, Amiens, p. 117.
20 Jean Watin-Augouard, « Savignac, le roi du gag visuel », La revue des marques, 21, janvier 1998, p. 45 et 46.
21 « La bataille des yaourts », art. cit, p. 39.
22 Archives provenant de la CLARA, Brochure de lancement de la marque Yoplait, s.l., s.d. (vers 1966).
23 Nicolas Delbaere, « La prospérité fermière de 1949 à 1988 : une coopérative laitière du Nord-Pas-de-Calais face à la modernisation », in Jean-François Eck et Michel-Pierre Chélini (dir.), PME et grandes entreprises en Europe du Nord-Ouest xixe-xxe, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires Septentrion, 2012, p. 117-134.
24 FNCL, « Les regroupements et concentrations intervenus dans l’industrie laitière française dans le courant des années 1968 et 1969 », Études, 61, 8 janvier 1970.
25 Points de vente, le magazine des magasins, extrait du n° 101, novembre 1971, non paginé.
26 Archives de la Société Nestlé France SA, La Roche-aux-Fées, op. cit.
27 François Vatin, Le lait et la raison marchande, essais de sociologie économique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996, p. 63
28 FNCL, « Les regroupements et concentrations intervenus dans l’industrie laitière française dans le courant des années 1968 et 1969 », Études, 61, 8 janvier 1970.
29 Président de Gervais-Danone.
30 Catherine de Narbonne et Françoise Geoffroy, Chroniques…, op. cit., p. 72.
31 Martine Capelle et Pierre Labasse, Le feu de l’action, histoire des verreries Souchon Neuvesel, Paris, Le Cherche Midi, 1995, 126 p.
32 Pierre-Antoine Dessaux, « Antoine Riboud, 1918-2002 », Dictionnaire historique des patrons français, Jean-Claude Daumas (dir.), Paris, Flammarion, 2010, p. 594-596.
33 Le 25 février 1966, le conseil d’administration des Glaces de Boussois et celui de la Verrerie Souchon-Neuvesel annoncent la fusion prochaine des deux sociétés. Antoine Riboud, qui a été l’initiateur de l’opération, est nommé président-directeur général en 1966.
34 Spécialisée dans la fabrication des bouteilles et flacons de verre.
35 Antoine Riboud, Le dernier de la classe, Paris, Grasset, 1999.
36 Le numéro 3 européen du verre plat.
37 Roger Martin, Patron de droit divin, Paris, Gallimard, 1984, p. 269.
38 Martine Capelle et Pierre Labasse, Le feu de l’action…, op. cit., p. 95.
39 Roger Martin, Patron de droit divin, op. cit., p. 270.
40 Rencontre avec Antoine Riboud, Images du groupe : 1966-1986 : 20 ans du groupe BSN, 27, septembre 1986, revue semestrielle du groupe BSN, éditée par le service information de la Direction générale des relations humaines, rédaction : O. Bayol, P. Labasse, et A. de Poncheville, p. 44 et 45.
41 Laurent Flallo, « La mort d’Antoine Riboud, patron visionnaire, bâtisseur du groupe Danone », Les Échos, lundi 6 mai 2002, p. 14.
42 Pascal Galinier, « Antoine Riboud, l’anticonformiste », Le Monde, mardi 7 mai 2002, p. 16.
43 Depuis 1915, Souchon-Neuvesel détient une participation de 20 % dans la marque d’eau minérale.
44 Rencontre avec Antoine Riboud, Images du groupe : 1966-1986 : 20 ans du groupe BSN, 27, op. cit., p. 45.
45 Roger Martin, Patron…, op. cit., p. 287.
46 Pascal Galinier, « Antoine Riboud, l’anticonformiste », art. cit.
47 Laurent Flallo, « La mort d’Antoine Riboud, …», art. cit.
48 Jean-Pierre Detrie et coll., Stratégie, structure, décision et identité, Paris, Inter éditions, 1998, p. 154.
49 BSN-Gervais-Danone, assemblée générale ordinaire du 12 juin 1981, p. 7 ; BSN – Note d’information succincte – augmentation de capital, janvier 1983, Imprimerie spéciale de banque, Montreuil, 1983.
50 Antoine Riboud, Le Figaro, le 5 janvier 1974.
51 Images du groupe – numéro spécial : la construction du groupe, 30 ans de passion, 46, mai 1996, p. 32.
52 Images du groupe – numéro spécial : 20 ans, 27, septembre 1986, p. 22-23.
53 Martine Capelle et Pierre Labasse, Le feu de l’action…, op. cit., p. 107.
54 En 1976, les branches alimentaires représentent 53 % du chiffre d’affaires du groupe. En 1981, elles constituent plus de 80 % de l’activité.
55 BSN-Gervais-Danone, assemblée générale ordinaire du 12 juin 1981, p. 12.
56 Didier Toussaint, Le génie de Danone, Paris, Éd. Descartes & Cie, 2012.
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L’échec a-t-il des vertus économiques ?
Ce livre est cité par
- Marraud, Mathieu. (2021) L'expérience du déclassement social. France-Italie, XVIe-premier XIXe siècle. DOI: 10.4000/books.efr.8828
L’échec a-t-il des vertus économiques ?
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