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Introduction. Renouveau gestionnaire et promotion de l’innovation, deux voies nouvelles de rebond après l’échec économique

p. 77-80


Texte intégral

1Les quatre types d’entreprises étudiés dans cette partie présentent des aspects divers de l’échec et des manières de le surmonter. L’activité d’une entreprise dépend d’une part de facteurs internes (organisation, stratégies industrielles et/ou commerciales, capacité d’innovation, etc.), d’autre part de facteurs externes (environnement politique, économique et social, qu’il soit local, national ou international). Toutes les décisions prises par les dirigeants sont interdépendantes les unes des autres ; leur cohérence assure la bonne marche de l’entreprise. Celle-ci dépend donc de la capacité de l’entrepreneur à envisager les risques, à les anticiper par une gestion prudente et rigoureuse, par des ajustements limités, par des stratégies innovantes ou par des réorientations importantes de l’activité. Si des difficultés se produisent, plusieurs possibilités peuvent être envisagées pour les surmonter, entre autres un abandon temporaire ou une mise en veilleuse de l’activité en attendant des jours meilleurs. Si la reprise attendue s’effectue, considère-t-on qu’une bonne utilisation de l’échec conduit au succès, certes différé ? Il posséderait ainsi des vertus économiques. Si l’échec ne peut être maîtrisé, engendre-t-il inexorablement la faillite ou la cession de l’entreprise ? Cette dernière solution n’est-elle pas une alternative pour que l’entreprise survive et contribue à la réussite des repreneurs ?

2Les cas examinés apportent sur ces thèmes une diversité d’éclairages liée à plusieurs facteurs : la période concernée, qui s’étend du xive au xxsiècle, l’extrême variété des échelles d’analyse, tant sur la forme, la taille – du petit commerce au grand groupe –, le secteur des sociétés concernées que sur les territoires où elles exercent leur activité – d’une zone urbaine relativement délimitée au monde entier.

3Mélanie Dubois-Morestin examine les pratiques scripturales et économiques d’un marchand cordier d’Avignon, Jean Teisseire, au xivsiècle. Elle base sa recherche sur un important corpus documentaire inédit : le livre de raison du marchand, complété par des documents notariés, des correspondances et autres. Jean Teisseire espère atteindre une certaine efficacité et surmonter des difficultés inhérentes à toutes relations d’affaires en gérant son activité économique par l’écrit. L’auteur étudie la manière dont l’écriture lui a permis de se prémunir contre le risque, tout en ne garantissant pas, bien sûr, la réussite de l’entreprise. Le recours à des pratiques scripturales systématiques ne signifie pas, en effet, éviter l’échec. Mais le classement très minutieux de ses affaires facilite leur gestion. En période de différends, par exemple avec ses associés, le livre de raison peut lui servir à appuyer son témoignage. Le perfectionnement de ses outils de gestion, qui répond à un besoin, a permis au cordier de pérenniser son affaire, même s’il n’a pas évité totalement l’échec. Cela fut le cas lors de sa première association, ce qui l’a rendu plus prudent et a renforcé ses pratiques. Celles-ci semblent utilisées également par d’autres membres de l’élite urbaine.

4Laurence Croq, en s’appuyant sur l’exemple de la mercerie parisienne de Louis XIV à la Révolution, présente des faillites dans ce secteur en se demandant si elles permettent d’ouvrir l’espace commercial à de nouveaux entrepreneurs. Elle base ses recherches sur les archives du minutier central des notaires parisiens. La mercerie, affaires de petits et grands bourgeois, regroupe alors une vingtaine de branches et exerce un pouvoir économique sur la vie municipale. Son accès est réservé aux fils de maîtres (un quart de cette population) et aux commis, qui ne parviennent à la tête d’un commerce que par alliance. Un certain nombre de merciers rencontrent des difficultés et, ne parvenant pas à honorer leurs dettes, doivent céder leur commerce. Parallèlement, durant la seconde partie du xviiisiècle, le nombre de merciers augmente. Leur recrutement se modifie, la part de l’alliance pour l’installation des nouveaux venus diminuant nettement au profit de l’établissement d’individus sans liens familiaux avec les merciers en place. Mais cette accession ne peut se faire sans un appui financier, familial ou non (caution d’un parent pour l’achat des marchandises ou autres, paiement de pots-de-vin pour obtenir un fonds). L’évolution tend à distendre les liens entre les membres du corps, ce qui contribue à son affaiblissement.

5Deux contributions portent sur le xxsiècle, avec l’étude d’une compagnie nationale d’assurances et d’un groupe multinational de l’agroalimentaire.

6Pierre Martin s’intéresse, à partir des archives du Crédit lyonnais du Mans et des assemblées générales, à la réorganisation d’une société d’assurances, La Beauce Incendie, suite à une mauvaise gestion au début du xxsiècle (1921-1934). La Beauce (incendie) et Les Travailleurs Français (accidents) sont de modestes compagnies françaises d’assurances mutuelles, nées à Chartres à la fin du xixe siècle, juridiquement indépendantes, économiquement très liées et apparemment gérées « en bon père de famille ». En 1920, les sinistres absorbent près de la totalité des cotisations de la première société, et l’obtention d’un résultat « correct » s’explique par le relèvement des tarifs et la réassurance. Pourtant, en 1921, La Beauce Incendie manque de faire faillite en raison d’une mauvaise analyse des risques. L’auteur analyse les réactions de la direction, qui tente de surmonter l’échec en prenant des décisions à deux niveaux. D’une part, La Beauce est associée aux Travailleurs Français, société saine qui lui cède 10 % de ses réserves. La réassurance endosse donc plus du tiers de la charge totale des sinistres de l’année, et sauve La Beauce Incendie de la faillite. D’autre part, le président du conseil, Georges Hornung, choisit un nouveau directeur général en 1928, Raymond Senly, qui entreprend, par une gestion nouvelle, de redresser la société. C’est un homme d’expérience issu du monde de l’industrie, puisqu’il est à la tête de plusieurs sociétés, notamment de la Caisse syndicale d’assurance mutuelle des forges de France. Il entreprend des réformes en utilisant des méthodes tayloriennes appliquées au secteur tertiaire (peut-on alors parler d’utopie comme le fait l’auteur ?). L’échec, dans ce cas, semble avoir accéléré la modernisation de l’organisation des procédures de contrôle des risques. Les réseaux du directeur général ont sans doute contribué au redressement, cette piste de recherche restant à développer.

7Changement d’échelle avec Nicolas Delbaere. L’auteur s’intéresse à l’absorption de Gervais-Danone par BSN en 1973, pour faire face notamment à la concurrence internationale. La situation des deux sociétés est analysée essentiellement à partir de sources imprimées secondaires. Elles sont fragilisées au début des années soixante-dix avec les échecs, d’une part, de l’OPE de BSN sur le groupe Saint-Gobain en 1969, d’autre part de la diversification de Gervais-Danone. Ceux-ci conduisent les deux géants dans leurs secteurs particuliers à fusionner. L’auteur examine leurs synergies respectives, positionnées sur des métiers très différents : le verre et les produits laitiers frais, et la manière dont « leur fusion gomme partiellement leur situation d’échec ». Sous la houlette d’Antoine Riboud, les résultats s’améliorent à partir de 1976 par le développement des activités alimentaires et l’abandon, en 1979, de celles de verre plat. Le groupe se recentre sur trois pôles à partir de 1996, lors de la prise de fonction de son successeur, son fils Franck Riboud : les eaux minérales (Évian), la nutrition infantile et médicale et les produits laitiers. Le groupe devient le quatrième leader mondial de l’alimentaire sous la marque Danone, étendard du groupe depuis 1994. Les écueils de la diversification paraissent avoir été surmontés par un recentrage sur quelques produits.

8La diversité des entreprises, des secteurs et des époques abordés interdit de mener des comparaisons systématiques. Toutefois, les quatre cas montrent que les difficultés rencontrées ont remis en question la gestion de l’entreprise. Des solutions diverses ont été trouvées : l’écrit pour le marchand cordier, les alliances ou la cession du commerce pour les merciers, la recherche de financement et la réforme de la gestion pour les assureurs de La Beauce Incendie, les absorptions et les réorientations de production pour Gervais-Danone. Excepté pour les faillites dans la mercerie parisienne, qui ont généralement eu pour résultat la prise de fonctions de nouveaux venus, les échecs ont été porteurs d’innovations et de nouvelles prises de risque.

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