Louis Schweitzer (1942-)
p. 356-357
Texte intégral
1Louis Schweitzer est à peu près le seul inspecteur des Finances à être, dans les années 1990-2000, un grand patron d’industrie dont la carrière ne soit pas interrompue prématurément par un échec ou ternie par les affaires.
2Louis Schweitzer est issu d’une famille de la bourgeoisie protestante alsacienne qui compte des personnalités illustres, comme ses grands-oncles, le médecin et théologien Albert Schweitzer et le chef d’orchestre Charles Münch, ou son lointain cousin Jean-Paul Sartre. L’arrière-grand-père paternel est pasteur, le grand-père industriel, directeur de verreries à Sarrebourg, et son père, Pierre-Paul (1912-1994), qui intègre l’Inspection des Finances en 1936, fait une grande carrière de haut fonctionnaire, comme directeur du Trésor (1953-1960), sous-gouverneur de la Banque de France (1960-1963) et directeur général du FMI (1963-1973), avant de passer tardivement dans les affaires comme administrateur et dirigeant de sociétés (Bank of America, Pétrofigaz, etc.). Sa mère est issue d’une famille de brasseurs, les Hatt. Louis Schweitzer est licencié en droit et diplômé de Sciences Po en 1964. Il intègre l’Éna en 1968 au sein de la promotion Robespierre, avec notamment Jacques Attali et Philippe Seguin comme condisciples. Il en sort dans l’Inspection des Finances et, après ses années de tournée, fait carrière à la direction du Budget, jusqu’au poste de sous-directeur en 1979.
3Son destin bascule avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en mai 1981. Ses sympathies connues pour la gauche lui valent d’être appelé par Laurent Fabius, nouveau ministre délégué au Budget, pour diriger son cabinet. Il le suit ensuite au ministère de l’Industrie et de la Recherche en 1983, puis à Matignon l’année suivante. Véritable « Premier ministre bis », il est associé à toutes les grandes décisions, ce qui lui vaut ensuite des mises en cause dans l’affaire du sang contaminé, où il bénéficie d’un non-lieu en 2002, ou dans celle des écoutes de l’Élysée, où il est condamné, mais dispensé de peine de manière définitive en 2008. En 1985, il propose à Fabius le nom de Georges Besse (X 1948 Mines), P.-D.G. de Pechiney, pour redresser la Régie Renault. En mars 1986, au lendemain de la victoire de la droite aux élections législatives, Besse lui propose d’entrer dans l’entreprise, non sans susciter quelques grincements de dents dans le nouveau gouvernement. À 43 ans, il se voit promettre la direction du contrôle de gestion et du plan, après un an de découverte du monde de l’industrie, dans le cadre de stages dans les usines et au service commercial. Mais, en novembre, son mentor est assassiné par le groupe terroriste Action directe. Le nouveau P.-D.G., Raymond H. Lévy (X 1946 Mines), pourrait lui en vouloir de lui avoir annoncé, en 1984, son renvoi d’Usinor, mais il ne remet pas en cause le choix de son prédécesseur. En janvier 1987, Schweitzer est officiellement installé comme directeur adjoint de la planification et du contrôle de gestion, le temps que le titulaire du poste parte à la retraite en août. Son action est marquée par le renforcement du rôle de la planification. En avril 1988, à la faveur du départ du directeur financier, il obtient de Raymond Lévy, malgré les réticences d’Alain Madelin, encore ministre de l’Industrie, la fusion des deux fonctions en sa faveur. L’année suivante, il est directeur général adjoint et, en 1990, il fait figure, comme directeur général, de dauphin de Lévy. Lorsque celui-ci est atteint par la limite d’âge à la tête de l’entreprise publique en 1992, le gouvernement de gauche entérine ce choix.
4Le début de la présidence Schweitzer est marqué par l’échec, en décembre 1993, du projet de fusion avec le constructeur suédois Volvo, mais entre les maladresses du gouvernement Balladur et les dissensions suédoises, la responsabilité ne peut lui en être que partiellement imputée. Malgré le retour de la droite au pouvoir, son mandat est, à la faveur des bons résultats financiers de Renault, renouvelé en mai 1994. Quelques mois plus tard, l’État ouvre le capital de Renault, tout en gardant une participation majoritaire de 51 %. En juillet 1996, une nouvelle cession de 6 % du capital fait formellement basculer l’entreprise dans le secteur privé, mais le P.-D.G. reste à la merci de son principal actionnaire, d’autant plus que sa position est affectée par ses mises en examen et par la dégradation des résultats financiers de Renault, déficitaire en 1996. Il lui est reproché d’avoir trop attendu pour réduire des coûts de fabrication trop élevés par rapport à la concurrence. Mais l’annonce, en mars 1997, de la fermeture de l’usine belge de Vilvorde suscite de vives réactions en Belgique. Schweitzer est critiqué par le Président Jacques Chirac et par le Premier ministre Alain Juppé pour la brutalité de sa décision. Le retour de la gauche au pouvoir en mai le met à l’abri d’une éviction. Si l’affaire met à mal l’image policée et consensuelle de l’ancien haut fonctionnaire de gauche, lui valant même une condamnation par la justice belge à une forte amende pour entrave à la concertation sociale en matière de licenciements collectifs, elle lui fait gagner ses galons de « patron de choc ». Les résultats financiers de Renault se redressent. En 1999, l’accord avec le constructeur japonais Nissan et le rachat du roumain Dacia donnent une dimension internationale au nouvel ensemble, qui accède au quatrième rang mondial. L’année suivante, Renault se recentre sur l’automobile en cédant le contrôle de ses camions à Volvo.
5Après l’entrée de Nissan au capital en 2001 et une nouvelle cession de titres en 2003, la part de l’État tombe à 15 %. Renault est presque devenue une entreprise comme les autres. Renforcé par des résultats financiers record, Schweitzer peut préparer tranquillement sa succession. En 2004, il cède d’abord la direction générale à Carlos Ghosn, qui fait figure de dauphin depuis qu’il l’a recruté chez Michelin en 1996 et qui a fait ses preuves à la tête de Nissan. Schweitzer resté président non exécutif jusqu’en 2009, peut se consacrer à de multiples activités extérieures : il siège dans des conseils d’administration prestigieux (BNP Paribas, EDF, L’Oréal, Véolia, Philips, Volvo) et préside celui du groupe pharmaceutique anglo-suédois AstraZeneca. En 2005, il est nommé par Jacques Chirac à la présidence de la nouvelle Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde). Il l’impose dans le paysage institutionnel par des décisions marquantes. Il préside également le conseil de surveillance du groupe Le Monde et, en grand amateur de théâtre, le conseil d’administration du festival d’Avignon.
Bibliographie
Fixari Daniel et Fridenson Patrick, « Financement et organisation : les transformations de Renault de 1981 à 1999 », dans Quennouëlle-Corre Laure et Straus André (dir.), Financer les entreprises face aux mutations économiques du xxe siècle, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2009, p. 329-352.
Sources
Schweitzer Louis, Mes années Renault : entre Billancourt et le marché mondial, Paris, Gallimard, 2007, 296 p.
Auteur
directeur de recherche (habilité) du CNRS au Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (Lyon)
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