Dominique Machet de La Martinière (1927-2002)
p. 267-268
Texte intégral
1Dominique de La Martinière a été non seulement une des figures marquantes de l’administration fiscale, mais aussi une manière d’archétype du haut fonctionnaire gaullien.
2La première partie de sa carrière est extrêmement classique et rectiligne. Après des études de droit et d’économie, puis un passage presque obligé par l’Institut d’études politiques de Paris, il entre à l’Éna en 1950. Major de sa promotion, il opte pour l’Inspection des Finances et est le premier à ce rang du classement à choisir, en 1958, l’administration fiscale. Il gravit rapidement tous les échelons de commandement de la direction générale des Impôts (DGI), selon le modèle institué par Robert Blot, d’abord chargé de missions, puis chef du service de la Législation en 1964 et enfin directeur général de 1967 à 1973. Seul un bref passage à Londres en 1966, comme attaché financier, interrompt temporairement ce parcours bien réglé.
3Ces fonctions successives lui offrent un point de vue privilégié sur les grandes réformes des années soixante. En 1964, il occupe ainsi le poste stratégique de rapporteur des Assises du commerce, première étape d’un processus de l’extension de la TVA jusqu’au stade du détail, qui ne s’achève qu’en 1968. De même, il suit de près les importantes transformations de la fiscalité des entreprises. Il est l’un des premiers à critiquer un régime trop favorable à l’autofinancement et soutient le recours accru aux marchés financiers, rendu possible par la loi du 12 juillet 1965 et la création de l’avoir fiscal. Mais il met aussi en garde contre les facilités excessives accordées aux sociétés importantes et souligne le risque d’une imposition devenue volontaire.
4Surtout, son passage à la tête de la DGI est marqué par une très forte accélération des réformes administratives. Il réalise notamment la fusion des services extérieurs, jusqu’alors spécialisés par type d’impôts, sur le modèle des anciennes régies financières. Dès 1964, des directions régionales unifiées sont créées sur un mode expérimental. L’étape décisive est franchie en 1969 avec la création des IFAC (inspections fusionnées d’assiette et de contrôle), qui deviennent bientôt les centres des impôts. Il sait nouer, à cette occasion, de bonnes relations avec les syndicats, notamment la CGT (SNADGI-CGT), très présente dans l’administration des Indirectes.
5Toutes ses mesures suffiraient sans doute à classer La Martinière dans l’Inspection dirigeante. Mais il est également très proche, politiquement et intellectuellement, du pouvoir qui se met en place en 1958. Issu d’une famille de propriétaire agricole de l’Ouest ayant, en 1940, fait clairement le choix de la Résistance (son père, maire d’une petite commune dans le Poitou, est révoqué par Vichy), le jeune homme, engagé volontaire du 3 novembre 1944 au 5 août 1945, est fortement influencé par le catholicisme social. Dès 1947, il s’engage au RPF et y rencontre Michel Debré, qui devient son mentor. Il ne cesse, par la suite, de cultiver un solide réseau d’amitiés gaullistes, comprenant notamment Marie-France Garraud, François Missoffe ou Pierre Juillet. Toute sa vie professionnelle, il s’efforce d’ailleurs de concilier cet engagement politique marqué et l’idéal de neutralité du haut fonctionnaire. De même, les conceptions économiques de La Martinière sont assez révélatrices des ambiguïtés ou de la complexité de la politique gaullienne en la matière. Libéral, il s’efforce d’adapter la fiscalité à l’économie de marché, mais n’est pas insensible à des thèmes plus sociaux ou plus interventionnistes, comme la participation, la planification ou encore la promotion des entreprises nationales.
6Après son départ de la DGI, La Martinière entame une seconde carrière, à la jonction de l’administration et du monde des affaires. Entre 1973 et 1975, il préside le conseil d’administration de la Compagnie générale transatlantique, alors en pleine crise et à la veille d’une restructuration fortement encouragée par les pouvoirs publics. En 1975, il prend la tête de l’Institut de développement industriel (IDI), où il reste neuf longues années. Cette société de capital-risque, la première en France, créée en 1970 à l’initiative de l’État, qui détient alors une part prépondérante de son capital, s’est spécialisée dans le soutien aux PME les plus innovantes. Après 1984, ses liens avec le secteur public au sens large s’estompent et jusqu’en 1992, il préside des sociétés financières ou d’investissement (Étoile participation, Compagnie financière de l’Ouest africain ou encore Delmas-Vieljeux).
7Son positionnement politique n’est pas étranger à ce second parcours en demi-teinte, éloigné des centres de pouvoir. Ses relations avec Valéry Giscard d’Estaing, élu président de la République en 1974, sont notoirement fraîches. Les deux hommes, de même génération, condisciples à l’Inspection, de sensibilité politique différente et probablement convaincus d’incarner l’un et l’autre le meilleur de ce que le corps peut produire, s’entendent mal. La Martinière a en effet participé activement à la campagne de Jacques Chaban-Delmas en 1974, au poste de trésorier. Marginalisé par la défaite, il peine à se replacer dans les nouvelles équipes qui incarnent désormais, autour de Jacques Chirac, le mouvement néogaulliste. Aussi doit-il se contenter, après une longue éclipse, de fonctions purement locales : conseiller régional de Poitou-Charentes de 1992 à 2002 et premier vice-président de la collectivité de 1999 à 2002.
8Dominique de La Martinière garde toutefois, comme essayiste ou comme expert, un regard sur la fiscalité. Il publie en 1990 une synthèse engagée, L’impôt du diable, sous l’égide de la Fondation Saint-Simon et préside, six ans plus tard, à la demande d’Alain Juppé, un groupe de travail sur la réforme des prélèvements obligatoires. Dans un autre domaine, il fait paraître, en 1984, une Lettre ouverte à tous les parents qui refusent le massacre de l’enseignement, première tentative d’un genre antipédagogique promis à un bel avenir éditorial.
Bibliographie
Tristram Frédéric, Une fiscalité pour la croissance, la direction générale des Impôts et la politique fiscale de 1948 à la fin des années 1960, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005, 740 p.
Sources
Entretiens de Dominique de La Martinière avec Patricia Bas, 1996, 23 h 39 et documents déposés, Comité pour l’histoire économique et financière de la France/IGPDE.
Auteur
Maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Paris I-Panthéon Sorbonne, IDHE (CNRS)
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