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Philippe Huet (1920-1994)

p. 155-156


Texte intégral

1Né en 1920, Philippe Huet, reçu au concours de 1946, connaît une première initiation à la réforme administrative à la fin des années quarante, lors de sa participation aux commissions d’économies budgétaires, en 1947-1948, et à la tête du cabinet de Paul Ramadier, ministre des Armées, alors que ce ministère entame sa ­mutation d’une armée en guerre vers une armée en temps de paix. C’est l’époque pionnière et glorieuse du Comité central d’enquête sur les coûts et les rendements des services publics de Gabriel Ardant, qui taille dans les administrations de guerre et de répartition. Dans le sillage du ministère des Armées, Huet part au secrétariat général de l’Otan diriger la division des programmes de la Défense, puis des Finances et du Budget (1951-1956), ce qui lui permet de se familiariser non seulement avec l’anglais, mais aussi avec la programmation américaine des investissements et des équipements militaires. Il complète cette formation anglo-saxonne par une bonne connaissance des méthodes financières et budgétaires, cette fois-ci britanniques, lors de son passage à Londres entre 1957 et 1962 en tant que conseiller financier à ­l’ambassade de France en Grande-Bretagne.

2Intéressé précocement par le rôle et le fonctionnement du ministère des Finances dans ­l’économie, il suit de près le rapport François Bloch-Lainé sur l’administration économique, commandé en 1956 par Paul Ramadier, ministre des Finances, dont il dirige le cabinet. Mais c’est à la tête de la direction générale des Prix et des Enquêtes économiques, puis de la direction générale du Commerce intérieur et des Prix (1962-1968) qu’il donne toute sa mesure en se colletant avec la réforme administrative de sa propre direction, héritage de l’économie dirigée laissé par la guerre, l’Occupation et les pénuries de la Libération. En tant que directeur général, il affronte les regroupements et les fusions de corps et de services, le mélange des métiers, des formations et des cultures administratives ; il assure l’absorption de la direction du Commerce intérieur, en provenance du ministère du Commerce, la modernisation et la « libéralisation » de la direction des Prix, ainsi que l’intégration totale de la direction dans le grand ministère de l’Économie et des Finances (MEF), unifié par Michel Debré en 1966. À la suite du Plan de stabilisation de 1963 et dans le cadre de la lutte contre l’inflation et la hausse des prix, côtoyant chefs d’entreprises privées et publiques, il expérimente les premiers dispositifs de contractualisation entre l’administration et les entreprises, inaugurant une nouvelle relation entre l’État et les acteurs économiques ; bénéficiant de l’expertise de ses services, il est particulièrement sensibilisé aux questions de coûts et de prix de revient.

3Dans le cadre du lancement de la Rationalisation des choix budgétaires en 1968 (RCB), il se voit confier par Debré la mission RCB du ministère pour effectuer un travail de réflexion et de prospective sur l’organisation, les structures et les méthodes de travail du ministère et pour voir comment les « techniques modernes d’aides à la décision » pourraient être appliquées à la gestion de ce département (recherche opérationnelle, calcul économique, etc.). Pendant plus de trois ans, il accomplit un travail totalement inédit au MEF, unique en son genre au xxe siècle : une enquête quantitative par questionnaire auprès des 2 000 cadres de l’administration centrale des Finances sur leurs attributions et l’organisation de leur travail ; une enquête qualitative à base d’entretiens, commandée au Centre de sociologie des organisations de Michel Crozier, sur les services départementaux du Trésor public et des Impôts ; des études ­mathématiques sur les investissements immobiliers du MEF à Paris et en région ; la mise au point d’un modèle de gestion prévisionnelle des personnels informaticiens. Il tente de mener une réflexion collective sur les équipements informatiques du ministère et sur le développement futur de l’informatique de gestion, et propose de profonds remaniements dans l’organisation des directions financières et de l’administration centrale. Le rapport Huet, remis à Valéry Giscard d’Estaing en décembre 1971, est le premier et le dernier rapport du xxe siècle à avoir proposé une réforme pour l’ensemble du MEF, services centraux et déconcentrés, structures et procédures, organisation et management.

4En parfaite unité de vue avec Renaud de La Genière, directeur du Budget et promoteur de la RCB à l’échelle de l’État, inspiré par l’expérience du PPBS américain de Robert Mac Namara et du Président Lindon Johnson, il soutient le principe d’un budget de programme et encourage les directions du MEF dans l’établissement de leurs objectifs, de leurs programmes et de leurs premiers indicateurs de résultats. Séduit par les méthodes de gestion des entreprises publiques et privées, il préconise la mise en place d’une comptabilité analytique et patrimoniale, la direction par objectifs, ainsi que celle d’un contrôle de gestion a posteriori pour les administrations publiques. Il participe, en étroite concertation avec la direction de la Prévision et la direction du Budget, à la mise sur pied des programmes de recyclage des cadres du MEF et d’initiation à la RCB, et contribue à l’introduction de la formation continue au ministère, ainsi qu’à la rénovation du Centre de formation professionnelle (CFPP), jusque-là cantonné à la préparation des concours administratifs. De 1968 à 1973, il se fait le promoteur militant des « techniques modernes de gestion » dans tous les séminaires de sensibilisation ou de formation, au MEF et ailleurs.

5Huet forme avec Jean Saint-Geours, inventeur de la RCB sous sa version Techniques d’aide à la décision, et avec La Genière, prophète d’une gestion budgétaire rénovée de l’État, une triade exceptionnelle d’inspecteurs des Finances modernisateurs. Il incarne un moment unique au xxe siècle, où le MEF s’est ouvert aux sciences sociales et a participé à la construction des sciences de gestion. Enfin, il signe l’apparition explicite d’un modèle managérial de gestion de l’État, dont la résurgence trouvera son aboutissement en 2001 avec la loi organique sur les lois de finances, la LOLF.

Bibliographie

Descamps Florence, « La rationalisation des choix budgétaires 1966-1971, une première expérience managériale au ministère des Finances ? », dans Godelier Éric, Le Roux Muriel, Garel Gilles, David Albert et Briot Eugénie (dir.), Pensée et pratiques du management en France. Inventaire et perspectives xixe-xxe siècles, 2011, consultable en ligne à : http://mtpf.equilibre-webdesign.fr/fr/sommaire/chapitre-2/la-rcb-1966-1971-une-première-expérience-managériale-au-ministère-des-finances.html ; « Réformer l’organisation et la gestion du ministère des Finances : la mission Huet 1968-1971 », actes du séminaire Histoire de la ­gestion des finances publiques, xixexxe siècles (vol. III, à paraître).

Sources

SAEF, archives de la mission RCB.

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