Gilbert Devaux (1906-1981)
p. 154-155
Texte intégral
1Homme de tradition plus que de ruptures, de 1935 à 1960, Gilbert Devaux a cherché à réformer le système financier public dans la continuité des grands principes qui le caractérisaient. Il s’en est fait l’écho dans un ouvrage publié en 1957, intitulé La Comptabilité publique, t. I : Les principes.
2Né en 1906, Devaux intègre le corps de l’Inspection le 1er mai 1932. Ses débuts professionnels sont indissociables du parrainage de Joseph Caillaux qui l’appelle auprès de lui en 1934 à la Commission des finances du Sénat. En 1935, il entre à la direction de la Comptabilité publique, « les racines au sein de la rue de Rivoli », selon ses propres termes. Les quinze années qu’il passe dans cette administration (1935-1940/1947-1956) en font un excellent connaisseur de la Comptabilité publique, à propos de laquelle il évoque « la séduction de la grande mécanique » qu’il s’efforce constamment de perfectionner. Simplifier les opérations des comptables publics, permettre une présentation plus claire, plus rapide et régulière de la situation financière de l’État, renforcer le contrôle comptable de l’administration des Finances sont les axes de son action dans les années trente. Chef adjoint de cabinet de Paul Reynaud en 1940, il se réfugie en Angleterre, sans rallier pour autant le général de Gaulle. En résidence surveillée à York jusqu’en mars 1943, puis collaborateur au Cadran, il entre au service d’informations et d’études économiques de la BBC de mai 1944 à 1946. Réintégré en 1947, il revient à la Comptabilité publique comme sous-directeur, puis directeur, en 1949.
3Placé au cœur de la machine financière de l’Administration, il est alors confronté à ce qu’il appelle « l’évolution moderne, qui menace à la fois de provoquer un éclatement de l’État et de substituer la prédominance de la technique à celle du droit ». C’est à la lumière de ce diagnostic qu’il développe son action à la direction de la Comptabilité publique, puis, de 1957 à 1960, à la direction du Budget. Trouver « un équilibre raisonnable entre les principes traditionnels des juristes et les idées modernes des techniciens » constitue l’axe des réformes qu’il engage. La tâche est malaisée tant la Comptabilité publique qu’il dirige vit comme une contradiction la conversion des esprits à l’intervention de l’État dans l’économie qui s’opère alors. De 1949 à 1956, dans un contexte de dérèglement de l’orthodoxie financière qu’il décrit lui-même, il s’efforce de mener les adaptations nécessaires à une Comptabilité publique originellement conçue dans une optique radicalement étrangère au dirigisme économique. S’il ne conteste pas les conceptions nouvelles liées au keynésianisme triomphant, il envisage d’abord la réforme de l’État sous l’angle du droit. Son ambition est de mettre à jour le décret du 31 mai 1862 par un effort d’adaptation et de codification de grande ampleur. Cet effort est concomitant avec le mouvement de réforme administrative qui s’amorce sur la même période. Devaux semble emporter un premier succès lorsque paraissent les décrets-lois des 9 août et 30 septembre 1953 sur la responsabilité du comptable. Bien que salués par le Conseil d’État, ces textes n’entreront jamais en application et seront rapportés par le décret du 31 décembre 1962. C’est en qualité de directeur du Budget qu’en définitive il appose sa marque avec la rédaction de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959. Si celle-ci reprend l’essentiel du texte du 19 juin 1956, son inspiration générale est largement due aux conceptions de Devaux. Celui-ci, demeuré proche du cercle de Paul Reynaud, peu en phase avec le nouveau pouvoir gaulliste, achève son parcours à Rivoli en 1960 pour prendre les rênes de deux compagnies d’assurance, l’Urbaine Incendie et la Compagnie du Rhône. Il est parallèlement membre du Rotary-club de Paris et président du Demi-Siècle.
4Sans doute la carrière de Devaux n’aurait pas, pour l’historien, le même relief s’il n’avait pris la plume. L’ouvrage qu’il a rédigé permet d’éclairer les ressorts profonds de son action. Issu d’un cours professé durant sept ans à l’Éna, ce texte résume ses convictions de grand praticien de l’administration. Dominées par les idées de centralisation et de respect de la règle, les conceptions qu’il exprime s’inscrivent dans la continuité de la tradition administrative française. Elles sont bousculées par le climat intellectuel nouveau qui se met en place. Le corps de doctrine qu’il exprime se heurte à ce moment particulier de l’histoire, que signale Pierre Legendre, où « les législateurs » se sentent progressivement « désarmés par les techniciens ». Dans son effort de diagnostic des maux de l’administration française, G. Devaux traduit ce sentiment lorsqu’il se demande si « l’amour de la technique ne l’a pas emporté sur le sens de l’État ». Sceptique quant au transfert des méthodes de gestion du privé dans l’administration, il s’inscrit à rebours des conceptions qui commencent à prévaloir autour de l’idée de rendement appliquée aux dépenses publiques. Ainsi écrit-il : « Les opérations financières publiques ne sont pas dominées par la notion de “profit”, mais par la notion de “service” ». À cet égard, les écrits de Devaux apparaissent aujourd’hui comme un précieux témoignage sur les contradictions rencontrées par le système financier public français dans le contexte de l’émergence d’une figure nouvelle de l’État tournée vers l’intervention dans l’économie. Ils rappellent l’existence d’une tradition administrative française fondée sur la dualité entre les méthodes de gestion des finances propres au secteur public et celles du secteur privé. Ils exposent les raisons philosophiques, historiques et juridiques de leur relative incompatibilité.
5Gardien du temple qu’il réforme dans les limites qu’autorise le droit public financier, Devaux a, en définitive, une conception surtout défensive de son rôle et du corps auquel il appartient. Il l’écrit dans un texte non publié : « Nous sommes des mécaniciens. Notre rôle consiste à mettre en pratique les instructions du pouvoir politique en procédant aux aménagements utiles de la machine administrative. […] Il advient cependant qu’un problème de structure soit posé par un projet gouvernemental, nous nous sentons alors tenus d’intervenir pour défendre la machine. »
6Décrire, défendre et rénover, sous l’angle privilégié du droit, « le mécanisme un peu vieillot mais encore très solide » du système financier public face « aux mouvements centrifuges » qui en menacent l’unité, telle se résume l’action de Devaux sur vingt-cinq ans, rue de Rivoli.
Bibliographie
Masquelier Philippe, « Gilbert Devaux et la direction du Budget en 1956 : un état d’esprit commun ? », dans La direction du Budget, face aux grandes mutations des années 1950, acteur ou témoin ?, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, p. 549-586 ; « L’action administrative de Gilbert Devaux, directeur aux Finances dans les années cinquante : sous la marque de l’anonymat, quelle personnalisation effective ? » in Jean-Michel Leniaud et François Monnier (dir.), La personnalisation de l’action administrativen, journée d’étude du jeudi 23 octobre 2008, Paris, EPHE, p. 103-115 et « La comptabilité publique de Gilbert Devaux : un plaidoyer pour le maintien d’une gestion publique des Finances publiques en France dans les années cinquante » in actes du séminaires Histoire de la gestion des Finances publiques de 1815 à nos jours, Paris Comité pour l’histoire économique et financière de la France, vol. II à paraître en 2012.
Sources
Synopsis d’un livre sur « L’aventure est-elle une règle de vie ? », plan des mémoires de Gilbert Devaux, 36 p., dact.
Réponses dactylographiées au questionnaire de Nathalie Carré de Malberg, 1981, 40 p. et 36 p.
Devaux Gilbert, « Bulletin de santé de l’administration française », Le Monde, 24, 25 et 26 août 1967.
Devaux Gilbert à propos de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959, « L’accusée est-elle coupable ? », Le Monde, 28 février 1980.
Devaux Gilbert, La comptabilité publique. t. I : Les principes, Paris, Presses universitaires de France, 1957, VIII-248 p.
Auteur
Chargé d’études au bureau de la Recherche de l’Institut de la gestion publique et du développement économique
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