Émergence d’un leadership
p. 257-258
Texte intégral
1Après le panorama d’acteurs prestigieux que nous avons vu se succéder ce matin, je n’ai pas la prétention de me présenter comme l’un d’entre eux, mais je pense avoir eu la chance d’être un témoin privilégié de certains grands événements.
2Entrée en 1980 dans le corps des ingénieurs des Télécoms, j’ai commencé ma carrière par 14 années de recherche au CNET. Entre 1980 et 1996, l’ENST et le CNET étaient deux lieux particulièrement intéressants pour observer les grands bouleversements qui se sont succédé durant cette période. Dans mon poste actuel au ministère de l’Industrie, en charge du « soutien sectoriel » aux télécommunications et à l’audiovisuel, je reste un témoin privilégié des grandes évolutions, y compris des grands mouvements et consolidations chez les acteurs, avec le suivi des entreprises qui ont largement été citées ce matin : Thomson devenu Technicolor, Thomson-CSF devenu Thalès, Alcatel devenu Alcatel-Lucent et tous les autres. Alors j’ai le plaisir de dire à M. Griset que, comme dans les années 1970, on cherche toujours à faire émerger des champions nationaux. 1980, c’était la fin d’un septennat calqué sur celui du président de la République qui avait vu un plan de déploiement sans précédent pour combler le retard de l’équipement téléphonique des ménages. La France, jusqu’alors en queue de peloton, faisait la course en tête et les tout jeunes ingénieurs que nous étions (un certain nombre sont présents dans cette salle) découvraient les expériences de Vélizy et de Biarritz, et étaient les premiers à expérimenter le Minitel avant l’heure, notamment via les jeux en réseau installés à la maison des élèves.
3Sur le Minitel, un grand regret personnel : le CNET a développé des minitels pouvant accepter des cartes à puce, c’est-à-dire le Minitel pouvait être muni d’un périphérique lecteur de carte, le Lecam, qui permettait d’utiliser une carte, carte à puce ou carte bancaire, pour signer des transactions (ce qui permettait de faire le lien entre deux produits phares de la maison, puisque la DGT a également joué aux côtés de Bull et des banques un rôle de tout premier plan dans la carte avec les télécartes). Aujourd’hui, sur Internet, qui est un domaine où la sécurité est très loin de celle d’un réseau d’opérateur, on ne sait pas utiliser la carte à puce quand on fait un achat : vous tapez le numéro de carte bancaire puis vous croisez les doigts pour que le protocole de chiffrement soit bon, mais c’est quelque chose là-dessus qu’on n’a pas su vraiment imposer, enfin dont on n’a pas su profiter.
4Sur le GSM, des gens beaucoup plus qualifiés à cette table ou dans cette salle ont longuement évoqué le sujet sur lequel je ne reviendrai que via le prisme étroit de responsable de l’équipe de cryptologie du CNET. Le GSM a été le premier réseau où la prise en compte de la sécurité a figuré dans les spécifications d’architecture du système, et ce déjà entre acteurs européens. Il fallait, en effet, prévenir deux grands types de problème : le roaming allait rendre nécessaire l’authentification des appelants et la voie radio était connue pour être trop facile à écouter. Le président suédois du groupe GSM avait tenu à diriger lui-même le groupe de sécurité, et c’est un domaine où la France a su notoirement imposer ses solutions. D’une part, l’algorithme de chiffrement qui est présent dans quelques milliards de combinés (à l’époque, on n’en prévoyait que quelques millions, c’était un produit de luxe particulièrement onéreux et difficile à obtenir) aujourd’hui est l’œuvre d’un ingénieur du CNET, Michel Mouly. D’autre part, la France, qui venait de déployer des cartes pour les cabines, a réussi à imposer des cartes dans les combinés pour séparer l’abonnement du combiné, en fait du terminal (quelque part, on avait eu l’intuition du smartphone). Cette vision a été particulièrement difficile à imposer, parce que si les Français avaient une vision du GSM comme téléphone de voiture (donc qui pouvait supporter le surcoût et le surpoids), les Anglais, visionnaires dans ce domaine, avaient une vision téléphone portable (à ne pas alourdir) et une grande méfiance contre la carte. Heureusement, le tandem franco-allemand a fonctionné.
5Deux chiffres à mettre en regard : en 1991, il y avait 6 millions de minitels distribués par la direction générale des Télécommunications, en 2010, vingt ans plus tard, on dépasse les 20 millions d’abonnés sur le haut débit, avec un peu plus de 300 000 sur le très haut débit.
6Parmi ces 300 000, sous réserve de vérification des chiffres, il y en a 90 000, je crois, qui sont raccordés en fibre optique. Ce n’est pas beaucoup et on est très loin de l’époque du monopole, l’époque où l’opérateur, en quatre ou cinq ans, déployait un réseau, équipait 6 millions de foyers de terminaux qu’il distribuait gratuitement, on se rémunérait sur le modèle après.
7Mais l’Europe est passée par là et aujourd’hui l’État se cantonne à un rôle incitatif en matière de déploiement de très haut débit : le ministère propose des prêts, des subventions, du financement de la R&D, c’est-à-dire que s’il y a des sauts technologiques à passer, on peut aider les acteurs à le faire, mais on n’a plus les moyens, ni financièrement ni réglementairement, de déployer ce réseau à la vitesse à laquelle on le souhaiterait.
Auteur
Ingénieur général des Mines, Mireille Campana est sous-directrice des réseaux et des usages des TIC à la direction générale de la Compétitivité, de l’Industrie et des Services en charge du développement de la filière TIC et de l’élaboration de la législation et de la réglementation des communications en ligne. Elle a auparavant été chef-adjoint du Service central de la sécurité des systèmes d’information auprès des services du Premier ministre et chef adjoint du Service des technologies de l’information et de communication en charge de l’informatique et réseaux en France et à l’étranger au ministère des Affaires étrangères, après avoir travaillé au CNET de 1982 à 1985 en tant qu’ingénieur de recherche en modélisation des composants III-V puis de 1985 à 1996 comme chef du département cryptologie et sécurité des communications, chargé de fournir les expertises nécessaires à la sécurité des nouveaux réseaux et services déployés par France Télécom, GSM et Internet. Elle est également membre du conseil d’administration de l’Imprimerie nationale, de l’AFNIC, de l’Institut mines-télécoms ainsi que du conseil de direction et du Conseil scientifique de Supelec, et responsable du groupe de veille technologique de l’Observatoire de la sécurité des cartes de paiement.
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