Annexe 23. Compte rendu de la réunion au ministère des Finances des représentants des entreprises françaises opérant au Nord-Vietnam, 22 juillet 1954
p. 607-610
Texte intégral
Confidentiel
Réunion tenue au MINISTÈRE DES FINANCES, le 22 juillet 1954 à 17 heures, sous la PRÉSIDENCE de Monsieur SADRIN, Directeur des Finances Extérieures
1M. SADRIN ne peut actuellement fournir des renseignements très précis sur les accords passés à Genève ; mais il est bien évident que, compte tenu du cessez-le-feu et de la séparation provisoire du Vietnam en deux zones, des problèmes économiques, commerciaux et financiers vont se poser. M. Sadrin souhaiterait connaître, à ce sujet, les préoccupations des différentes entreprises ; il aimerait savoir également quels sont en ce moment l’activité, les actifs et les stocks des entreprises.
2À tour de rôle, les représentants des Charbonnages du Tonkin, des Cimenteries et de la Société Indochinoise d’Électricité indiquent que leurs stocks sont importants et leurs approvisionnements suffisants pour plusieurs mois. Les Charbonnages ont des possibilités de stockage considérables et des débouchés assurés, si leurs clients continuent à travailler et si le charbon peut aller vers le sud. Une question importante sera celle des frêts. Les liquidités des entreprises en France semblent importantes. Les liquidités qui sont en Indochine sont réparties entre le Sud, pour la plus grande part, et le Nord pour les besoins de trésorerie courante. Le personnel a un moral élevé et semble prêt à demeurer sur place à condition que des garanties sur sa sécurité lui soient accordées.
3M. Sadrin souhaiterait connaître exactement les garanties formelles que les sociétés désiraient obtenir pour pouvoir continuer à exercer leur activité.
4Le représentant de la Société l’Air Liquide rappelle l’expérience de sa société en Chine : sans avoir jamais été nationalisées, de nombreuses compagnies étrangères ont été rapidement étouffées. Les bouteilles métalliques représentent environ la moitié des investissements de l’Air Liquide en Indochine. Elles sont très dispersées et longues à récupérer. Il y aurait donc intérêt à les récupérer, sauf si de gros clients de l’Air Liquide souhaitaient le contraire. Cet exemple montre combien il importe que toutes les sociétés fassent bloc, plutôt que d’agir en ordre dispersé.
5Les Cimenteries considèrent, pour leur part, qu’il s’agit bien plus d’un problème politique – donc de Gouvernement – que d’un problème technique. A première vue, il est indispensable de connaître les garanties obtenues, car on ne sait même pas quelle sera la monnaie Viet Minh, et l’on peut se demander si elle appartiendra ou non à la zone franc ? ! En outre, il est fort probable que les garanties obtenues, quelles qu’elles soient, seront faciles à tourner pour les autorités VietMinh.
6Le Président de la Société Indochinoise d’Électricité, quant à lui, estime que sa société est particulièrement vulnérable, car elle ne peut interrompre ses approvisionnements ou l’entretien de ses installations. Il rappelle les menaces sur les personnes (cf. otages arrêtés à Shanghaï en garantie du paiement de certaines indemnités). Il estime que le Gouvernement français doit se considérer comme garant des installations industrielles et commerciales, et envisager même leur indemnisation en cas de spoliation totale.
7Sur une demande de M. Sadrin concernant l’éventualité d’un transfert du siège social des sociétés dans le sud il est répondu que c’est une chose souhaitable, et il appartient à chaque société d’agir comme elle l’entendra. Presque toutes les grandes entreprises, il est vrai, ont dès à présent leur siège social soit en France, soit à Saigon.
8M. MAXIME-ROBERT estime, lui aussi, que les entreprises ne devront surtout pas agir en ordre dispersé. Il a été pour sa part fort ému des instructions du Commissariat Général de Saïgon invitant des sociétés à prendre directement contact avec les autorités Viet Minh. Il pense que ce serait excessivement dangereux pour l’avenir des entreprises. C’est au Gouvernement français d’intervenir auprès des autorités Viet Minh pour savoir ce que celles-ci désirent.
9Si le Viet Minh ne souhaite pas que les entreprises françaises poursuivent leur activité, il n’y a qu’à partir ; s’il souhaite qu’elles continuent, dans ce cas, quelles garanties leur offre-t-il ? Il ne faudra du reste pas s’illusionner sur la durée de ces garanties ; aussi faut-il que les autorités françaises abordent d’emblée la question du rachat des entreprises par le Viet Minh.
10Or, ce rachat ne peut être payé que par deux moyens :
111) Les piastres Institut d’Émission qui représentent, d’après les déclarations du Président de l’Institut d’Émission, 3 milliards et demi pour le nord Vietnam (dont une partie seulement pourra être reprise par les autorités Viet Minh). Mais il ne faut pas se dissimuler qu’avec cet argent les autorités Viet Minh voudront surtout obtenir les denrées de première nécessité et les médicaments dont elle a besoin.
122) Un prélèvement sur les exportations de charbon et de ciment.
13Peut-être pourrait-on songer aussi à compter pendant la période de 300 jours sur la contrepartie en francs des dépenses du Corps expéditionnaire dans le Nord Vietnam.
14Mais cela reviendrait à faire entretenir le Corps Expéditionnaire par le Viet Minh et à consacrer la contrepartie de cet entretien en francs à des indemnités de rachat. En fait le problème ne se posera pas. Le Corps Expéditionnaire sera ravitaillé du Sud et tant qu’il sera dans une zone quelconque c’est la monnaie de l’Institut d’Émission qui y circulera. De toute manière, il faudra se garder de répartir les encaisses de l’Institut d’Émission, car, obligatoirement, les billets de l’institut d’Émission reviendront se présenter dans le Sud. Se garder aussi d’accepter dans nos zones de regroupement des piastres Viet Minh qui, pour le moment ne représentent rien. Enfin, ne pas remettre l’Office Indochinois des changes au Vietnam ou au Viet Minh, mais au contraire garder entre nos mains cet organisme et autoriser nous-mêmes les transferts.
15Le rachat posera également un problème d’évaluation des affaires. Une étude a déjà été faite par M. Valls. Contrairement à M. Lebée, M. Paul Bernard pense que la capitalisation boursière ne peut fournir de base valable pour le calcul d’un prix de rachat. Toutes les personnes présentes s’accordent pour estimer qu’il faut, en tous cas, dans les discussions avec le Vietnam, faire état de valeurs réelles résultant d’estimations directes des actifs. Même en cas de rachat, la question des garanties garde son importance pour toute la période sur laquelle s’étendront les délais de paiement.
16Abordant le problème des relations commerciales avec la zone nord, M. Sadrin souhaite connaître la position des personnes qualifiées.
17Les membres présents estiment que, depuis longtemps déjà la zone Viet Minh est alimentée par nos marchandises. Ceci continuera donc dans les jours à venir par le moyen d’échanges monétaires clandestins à cours variable.
18Sans doute, la population de la zone Viet Minh, ayant peu de choses à exporter, vivra-t-elle mal. C’est peut-être la seule chance politique du Sud, grâce aux comparaisons que ne manqueront pas de faire les habitants.
19La question est posée de savoir qui administrera la zone de stationnement de Haiphong pendant les 300 jours. Compte tenu des renseignements disponibles, il semble que ce soit l’administration franco-vietnamienne ; mais il apparaît souhaitable aux personnes présentes que si, pour des raisons politiques, il est inévitable de transférer aux États l’Office Indochinois des changes dans le Sud Vietnam, par contre, cet organisme devrait rester à Haiphong, pendant les 10 mois à venir, entre les mains des autorités françaises qui demeureraient ainsi maîtresses des transferts des entreprises du Nord Vietnam pendant cette période.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances, 1918-1946
Les hommes, le métier, les carrières
Nathalie Carré de Malberg
2011
Le choix de la CEE par la France
L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle (1955-1969)
Laurent Warlouzet
2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006