Annexe 21. Conclusion du rapport au Conseil économique – non voté – de Paul Bernard sur « La conjoncture économique des États associés » (1954)
p. 593-603
Texte intégral
1[De nombreuses copies de ce texte se trouvent dans les Archives économiques et financières. Il est par contre introuvable ailleurs].
2Le 26 février 1954
STRUCTURE ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE DES ÉTATS ASSOCIÉS D’INDOCHINE
3Une des difficultés essentielles des négociations qui vont prochainement s’ouvrir pour fixer le statut économique et monétaire des États Associés d’Indochine réside dans la quasi-impossibilité d’établir dès à présent un régime définitif, étant donné que les incidences des opérations militaires faussent toutes les données du problème.
4Les dépenses militaires de la France en Indochine sont de l’ordre annuellement de 500 milliards de francs, dont environ 200 milliards correspondent à des dépenses effectuées sur place. Ces dépenses effectuées localement sont considérables au regard :
5– de la balance générale des paiements extérieurs dont elles représentent 82 % ;
6– de l’ensemble des budgets Indochinois, environ 100 milliards de francs ;
7– du montant des exportations annuelles, environ 35 milliards de francs en 1952 ;
8– des billets en circulation, environ 90 milliards de francs.
9Ainsi, est-il impossible d’envisager immédiatement une souveraineté monétaire intégrale pour le Vietnam comme cela semble avoir été admis pour le Cambodge, souveraineté qui impliquerait notamment la latitude pour le Gouvernement vietnamien de fixer le taux de change de sa monnaie au cours qu’il voudrait, alors que 82 % de la balance des paiements des États Associés d’Indochine ont correspondu, en 1952, à des achats de piastres du Gouvernement français destinés à couvrir des dépenses militaires en Indochine.
10Il est donc indispensable de prévoir deux régimes différents, celui du temps de guerre et celui du temps de paix.
*
11En ce qui concerne le premier, la solution la plus logique et la plus prudente consisterait à changer le moins de choses possible au système actuel.
12Il devrait toutefois être amendé pour tenir compte de l’esprit particulariste de chacun des États ; les problèmes économiques et monétaires seraient désormais examinés sous l’angle de conventions bipartites à établir entre la France et chacun des États.
13Notamment, l’Institut d’Émission actuel serait scindé en trois organismes, mais la structure de chacun d’eux et leur mode de fonctionnement ne seraient pas différents de ce qu’ils sont avec l’institut actuel. Toutes les décisions importantes, en ce qui concerne l’émission, fixation du taux de change, avances aux États, continueraient à être prises d’accord parties avec la France, avec possibilité d’arbitrage en cas de désaccord.
14En contrepartie, le Gouvernement Français continuerait à s’adresser à l’Institut d’Émission pour se procurer les piastres dont il a besoin. La parité de la piastre par rapport au franc et qui pourrait varier, serait fixée d’un commun accord.
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15C’est assurément la solution la plus rationnelle, encore qu’elle puisse être considérée par les États Associés comme inconciliable avec la reconnaissance de leur indépendance intégrale et de leur souveraineté monétaire.
16Si cette solution réaliste ne peut prévaloir, en raison des engagements pris par le Gouvernement français et si nous sommes amenés à remettre aux États Associés tous les leviers de commande de l’économie (Institut d’Émission, service des changes, commerce extérieur), sans que nous participions à la gestion de ses organismes moteurs, il est nécessaire que des garanties soient obtenues par la France, sous le double rapport de l’efficacité et la continuité de son effort de guerre d’une part, et de la sauvegarde des intérêts privés français, d’autre part.
17En ce qui concerne le premier point, il n’est pas inutile tout d’abord de rappeler que les dépenses militaires de notre pays sont effectuées essentiellement pour le compte des États Associés.
18Cela est évident pour la contribution que notre pays verse aux budgets des États Associés, afin de leur permettre de financer la mise sur pied de leurs armées nationales.
19Mais cela n’est pas discutable non plus pour les dépenses proprement dites correspondant aux besoins du Corps Expéditionnaire et qui représentent le montant le plus important. Il n’y a qu’une différence de nuance entre cette catégorie de dépenses et celles engagées directement par les États Associés qui figurent dans leurs budgets. C’est bien en effet dans leur intérêt, beaucoup plus que dans le nôtre, que cet effort militaire et financier est poursuivi, puisqu’il conditionne leur indépendance elle-même.
20Il s’y ajoute, que s’accompagnant du sang français répandu, ces dépenses devraient comporter, de la part des bénéficiaires, plus de reconnaissance que lorsqu’il s’agit de simples crédits ouverts en dollars par les Américains.
21Il serait donc impensable que la France achète à l’Institut d’Émission les piastres dont elle a besoin pour assurer le financement des dépenses du Corps expéditionnaire, à un cours qui serait arbitrairement fixé par le Vietnam, ce qui pourrait amener notre pays à surpayer, dans l’avenir, des dépenses déjà écrasantes.
22Pour cette raison, il est absolument légitime de demander que les achats de piastres destinées à couvrir les besoins militaires du Gouvernement français, soient réalisés directement par le Payeur Français aux armées, sur le marché monétaire local, sans recourir à l’Institut d’Émission.
23Ce mécanisme doit être mis en place d’une façon permanente et non jouer de façon occasionnelle, sous peine de quoi il y a lieu de redouter que pour des raisons d’ordre politique ou militaire, le Gouvernement Français, sous la pression des États Associés, hésite à en faire usage. Il y a lieu de rappeler à ce sujet que les accords de Pau avaient admis la faculté pour la France d’acheter les piastres correspondant aux besoins du corps expéditionnaire, en dehors de l’Institut d’Émission, mais elle n’a jamais eu recours à ces facilités, en dépit de l’écart existant entre le taux officiel et le taux du marché parallèle.
24Ce système aura donc pour effet de constituer un marché libre de la monnaie, laissant au Vietnam la latitude, s’il le désire, de maintenir à côté un marché contrôlé réservé à certaines transactions.
25Il permettra, d’autre part, d’assurer la couverture en francs des besoins des entreprises françaises correspondant à leurs achats commerciaux ou à leurs rapatriements de bénéfices ou de capitaux dans la Métropole.
26Contrairement à ce que l’on peut redouter, la mise en place d’un pareil système ne contribuera pas nécessairement à provoquer une chute importante du taux de la piastre. S’il est exact, en effet, que dans les circonstances présentes on puisse trouver sur le marché monétaire, intérieur ou extérieur, des piastres à moitié prix du cours officiel, il s’agit le plus souvent de transactions de volume limité. On peut prévoir que lorsque la France se portera acquéreur pour des montants qui s’élèveront annuellement à la contre-valeur de 200 milliards de francs, lesquels représentent, comme nous l’avons dit, 82 % des mouvements extérieurs de la balance des paiements, elle fera pratiquement le cours de la monnaie ; il lui sera donc parfaitement loisible de rapprocher ce cours de la parité officielle du Vietnam, si cette parité a été choisie de façon raisonnable.
27La solution la plus logique consisterait, même pour le Vietnam, à généraliser le marché libre en y faisant également céder le produit des exportations. Ce faisant d’ailleurs, le Vietnam n’aliénerait en rien son indépendance, mais reconnaîtrait simplement que lorsqu’un élément représente 82 % des transactions sur un marché, il domine ledit marché.
*
28À cet égard, ce nouveau système marquera un sérieux progrès sur celui qui est actuellement en vigueur.
29Le mécanisme des opérations du financement du Corps expéditionnaire est en effet actuellement le suivant :
30– Le Gouvernement français doit faire face en Indochine au paiement de la solde des militaires, à l’achat de produits du cru, au règlement de dépenses de travaux, logements, ou transports ;
31– pour payer ces dépenses, il demande des piastres à l’Institut d’Émission et il lui remet en contrepartie des francs à Paris, au taux de 10 frs la piastre ;
32– après des circuits plus ou moins compliqués, mais au déroulement très rapide, les pouvoirs d’achat en piastres ainsi libérés se matérialisent en achats de produits d’importation et en transferts d’économies ou de bénéfices dans la métropole.
33Jusqu’à présent l’équilibre s’est établi de façon automatique et presque complètement entre les francs apportés par la métropole et les transferts réalisés dans la métropole pour couvrir les besoins commerciaux ou financiers, de telle sorte que l’Institut d’Émission a été incapable de constituer sa couverture légale, en dépit de restrictions sévères de transferts.
34Cela est dû essentiellement au fait que le taux de transfert officiel de la piastre en francs ne correspond pas à son pouvoir d’achat local, de telle sorte que la crainte d’une dépréciation de la piastre provoque une fuite devant cette monnaie ayant précisément pour effet d’accentuer la dépréciation.
35La fixation d’un taux rigide interdit donc tout espoir de stabilisation du taux de la monnaie, tout en obligeant la France à surpayer ses dépenses de guerre.
36D’autre part, elle favorise les opérations des fraudeurs qui importent clandestinement des francs ou des devises en Indochine, les y écoulent sur le marché noir et en rapatrient la contre-valeur en France au taux officiel, en trompant l’Office des Changes.
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37Néanmoins, le nouveau système ainsi préconisé n’atteindra sa pleine efficacité que si certaines précautions supplémentaires sont prises :
381°) Les vendeurs de piastres au Gouvernement Français devront justifier de l’origine de ces piastres, afin d’éliminer celles qui peuvent provenir d’opérations frauduleuses ou de ventes du Vietnam. Il s’agira non d’une reconstitution de l’office des Changes, mais d’une mesure de police militaire nécessitée par l’état de guerre.
392°) L’institution d’un change souple, même si les intentions du Gouvernement Français s’efforcent de faire varier le moins possible le cours de ses achats, entraîne la nécessité d’établir un marché à terme de la monnaie, sous peine de quoi les transactions commerciales peuvent être rendues difficiles. Les bases de calcul des droits de douane seraient établies sur un taux de change fixe et précisé plusieurs mois à l’avance.
403°) Il y aura lieu d’obtenir du Vietnam l’engagement de ne prendre aucune mesure de contingentement pour les importations de marchandises venant de France. Dans le cas contraire, le mécanisme ci-dessus deviendrait impossible à mettre en pratique.
41Car ce sont essentiellement les importations qui créent les besoins de francs donc les offres de piastres.
424°) Enfin, la création de ce marché des changes parallèle sans mesure d’adaptation préalable, risque d’entraîner une perturbation très grande dans les opérations commerciales. Il paraît donc nécessaire, avant de mettre en place ce nouveau système, d’assainir le marché monétaire local par une opération financière appropriée, ce que nous sommes en mesure de faire actuellement puisque nous gardons entre nos mains, jusqu’à nouvel ordre, les leviers de commande de l’Office des Changes.
43Comment peut-on y parvenir ?
44Dire que le taux de 10 fis pour la piastre est excessif, c’est dire qu’à ce taux, il y a une certaine masse de piastres, par exemple 2 milliards de piastres, qui souhaiterait être transférée contre francs, à ce taux, mais ne peut l’être en raison du contrôle de l’Office des Changes.
45Il s’agit d’éponger cette masse monétaire assurément considérable, mais néanmoins très faible au regard des dépenses en piastres de la France en Indochine dans une année, pour les besoins du Corps Expéditionnaire.
46Pour effectuer cette ponction, il suffit de placer en Indochine un emprunt en francs, à souscrire en piastres au taux de 10 fis, et dont les conditions (délai, intérêts, amortissements, négociabilité) aient été calculées pour que les souscripteurs fassent le sacrifice par rapport au taux officiel de 10 frs, qu’ils sont disposés à consentir pour transférer des avoirs présentement bloqués dans une monnaie qui risque de nouvelles dépréciations.
47L’opération est d’ailleurs avantageuse pour la France à concurrence de ces 2 milliards de piastres. La trésorerie de notre pays s’en trouvera allégée, puisque les francs correspondant à ces piastres ne seront payés qu’aux échéances de remboursement.
48C’est seulement lorsque le marché monétaire aurait été ainsi assaini que l’on passerait au Vietnam les leviers de commande économiques et monétaires et que le Gouvernement Français créerait le nouveau circuit piastres-francs en dehors de l’Institut d’Émission.
*
49Ce régime donne une certaine sécurité aux intérêts privés français, aussi longtemps que les dépenses du corps expéditionnaire atteindront les montants élevés actuels. Pour le temps de paix, les mêmes résultats peuvent et doivent être obtenus par d’autres moyens.
50Sur le plan monétaire, il est indispensable que les monnaies indochinoises restent dans la zone franc.
51C’est un fait bien connu que l’appartenance à une même zone monétaire constitue le moyen le plus efficace pour assurer la pérennité des liens économiques.
52Il ne paraît d’ailleurs pas impossible de reconnaître l’indépendance des États tout en maintenant leurs monnaies à l’intérieur de la zone franc. De nombreux pays dont l’indépendance vis-à-vis de la Grande Bretagne n’est pas contestée ou même qui ne font pas partie du Commonwealth, ont leur monnaie rattachée à la livre sterling.
53Le peso philippin est rattaché au dollar US. L’accord du Président des USA est nécessaire pour que les Philippins puissent modifier leur taux de change, suspendre la convertibilité de leur monnaie ou entraver les transferts de fonds aux USA.
54Quelles sont les conditions indispensables pour que chacune des nouvelles monnaies indochinoises puisse être considérée comme faisant partie de la zone franc ?
551°) Il faut que la convertibilité automatique de la monnaie des États Associés contre le franc soit assurée en tout état de cause.
562°) Subsidiairement, il est souhaitable – mais non indispensable – que les parties de changes des deux monnaies soient fixes ou tout au moins que les variations de ces parités soient le moins fréquentes possible.
573°) Dans la mesure où la balance des comptes de chacun des États Associés avec les pays autres que la France n’est pas équilibrée et comporte un déficit en devises, l’établissement de leur programme d’importation et d’exportation doit requérir l’approbation de notre Pays.
58La première et la troisième de ces conditions peuvent être réalisées si un accord librement consenti entre la France et l’État Associé considéré est établi à ce sujet et sans que notre Pays ait à s’immiscer dans la gestion des organismes économiques et financiers dudit État : Institut d’Émission, fonctionnement du Trésor, mécanisme du commerce extérieur.
59Mais dans ce cas, la parité des changes entre la monnaie de l’État Associé et le franc serait celle constatée par l’équilibre des transactions et elle risquerait d’être appelée à varier dans d’assez fortes proportions.
60Si l’on désire qu’une fixité plus grande soit assurée, il est indispensable que les organismes financiers de la Métropole, à qui incombe la responsabilité générale de la sauvegarde du franc, aient leur droit de regard dans les finances des États Associés : équilibre des budgets, émission de papier monnaie, émission de monnaie scripturale. Ces interventions auraient d’ailleurs un caractère purement technique et non gouvernemental. Ce serait des agents de la Banque de France, de préférence à des représentants du Ministère des Finances, qui devraient assister les représentants de l’Institut d’Émission.
61C’est au Vietnam qu’incomberait le choix entre ces deux solutions, mais il est capital pour la France que ce choix soit absolument net.
62En effet, le système de la fixité du taux de change non assorti de moyens de contrôle absolument efficaces, mettrait constamment le Trésor Français devant le dilemme :
63– ou de financer le déficit de la balance des comptes du pays, c’est-à-dire le plus souvent l’inflation locale,
64– ou de provoquer une série de dépréciations, ce qui aboutirait à la négation du système et entraînerait chaque fois une crise politique grave.
65Les objections que l’on peut présenter à la suppression ainsi réclamée de l’Office des Changes, pour les relations monétaires entre l’Indochine et l’Union Française, sont les suivantes :
661°) Nous demandons aux États Associés de faire ce que nous n’avons pas su ou voulu faire nous-mêmes : assurer le libre transfert des piastres contre francs, qui était prévu dans les accords que nous avons signés, avec faculté de modifier le taux de la piastre le cas échéant. Nous avons préféré instituer un contrôle des transferts rigoureux en maintenant un taux de piastre qui ne correspondait pas à la réalité. Nous l’avons d’ailleurs fait contrairement à nos intérêts, puisque notre pays était acheteur d’une masse considérable de piastres pour les besoins de son Corps Expéditionnaire et qu’il avait intérêt à se procurer au plus bas prix.
67Lorsque nous avons décidé, en mai dernier, de modifier le taux de la piastre, l’opération a été faite avec brutalité et sans préparation, de telle sorte qu’elle n’a pas eu la conséquence logique et souhaitable de la suppression du contrôle des changes dont les exigences ont été au contraire renforcées.
68Il est possible de répondre à cette objection en assainissant le marché monétaire par un emprunt avant la passation de l’Office des Changes aux États Associés, ainsi que nous l’avons recommandé plus haut, de telle sorte que la suppression de l’Office des Changes (abstraction faite d’un contrôle militaire sur l’origine des fonds) viendrait de notre initiative.
692°) On peut redouter également que la suppression du contrôle des changes entraîne de telles demandes de transfert que la monnaie verra son cours se déprécier indéfiniment avec une vitesse croissante.
70Quelles peuvent être les causes de cette dépréciation, étant admis que le flottant, au départ, sera résorbé par un emprunt ?
71– Une politique déraisonnable sur le plan économique et financier des États Associés, c’est-à-dire l’incapacité pour eux d’établir des budgets équilibrés et la nécessité de recourir à des avances excessives de leur Institut d’Emission.
72Ce déséquilibre des budgets peut lui-même avoir deux causes : train de vie exagéré accompagné d’une fiscalité peu courageuse, dépenses de guerre prohibitives.
73– En ce qui concerne le premier point, l’expérience du fonctionnement de l’Institut d’Émission actuel montre que la gestion des finances intérieures des États a été jusqu’ici assez économe, le recours aux avances de l’Institut d’Émission n’ayant jamais dépassé des limites admissibles.
74– En ce qui concerne le deuxième point, il est normal que la monnaie se déprécie lorsque le financement des dépenses de guerre est réalisé par l’inflation et il serait vain de prétendre maintenant sa parité à un taux arbitraire.
75Quelle que soit l’origine de l’inflation, on doit rappeler que la fixité du taux de change, non assortie de contrôles efficaces, conduirait la France à supporter la charge de cette inflation.
763°) Enfin on peut objecter que ce système de liberté absolue de transactions commerciales avec la France empêcherait les États intéressés de freiner l’importation d’articles qui ne sont pas de première nécessité et les priverait du moyen le plus efficace pour maintenir la stabilité de leur monnaie.
77Il n’est nullement prouvé que le maniement de l’appareil des droits de douane, sur une très large échelle, pouvant aller jusqu’à la prohibition établie d’accord parties, n’obtiendrait pas le résultat souhaité. Et si ce moyen se révèle insuffisant, c’est précisément l’arme du taux de change qui permet de rétablir l’équilibre des transactions.
*
78Il y aurait lieu de préciser, d’autre part, quel pourrait être le statut futur des Instituts d’Émission de chacun des États Associés.
79Il paraît difficile de maintenir un Institut d’Émission s’appliquant à l’ensemble des États Associés, l’expérience ayant révélé l’esprit particulariste de chacun des États.
80Dans l’hypothèse vraisemblable où l’Institut d’Émission actuel devrait être scindé en trois Instituts, la question suivante se pose :
81La France participera-t-elle à la gestion de cet Organisme ?
82Pour qu’elle puisse le demander, et pour que son intervention n’apparaisse pas comme une entorse à la souveraineté de l’État considéré, il est nécessaire que la France consente un appui financier permanent à cet organisme sur les points suivants :
83a) Mise à la disposition de l’Institut d’avoirs effectifs en francs et en devises pour assurer la couverture de ses émissions fiduciaires. Il pourrait s’agir soit d’une dotation généreuse et gratuite, soit d’une avance qui serait récupérée par un certain pourcentage des exportations à venir.
84b) Possibilité de monter un mécanisme de report permettant d’alimenter le marché monétaire local grâce à des disponibilités francs.
85c) Facilités de réescompte de crédits à moyen terme, par l’entremise d’organismes métropolitains spécialisés, les établissements bancaires locaux servant d’intermédiaires (Caisse Centrale, Crédit National, Caisse des Dépôts, etc.).
86d) Facilités de placement d’emprunts garantis ou non dans la métropole et contribution du fonds de modernisation et d’équipement à l’équipement des États Associés dans des conditions analogues à ce que fait la Métropole pour le Maroc et la Tunisie.
87e) L’aide économique que représente la mise à la disposition des États Associés de francs, fut-ce sous forme de prêts, peut d’ailleurs comporter une contrepartie.
88Il y aurait lieu, à cet égard, de s’inspirer de l’exemple américain.
89En dehors d’une aide gratuite qui ne comporte pas de prise en charge, mais qui n’atteint que des montants extrêmement limités, l’aide américaine se matérialise en fournitures de marchandises cédées gratuitement aux États Associés, mais vendues par eux localement à leur profit, ces prix de vente étant majorés de droits de douane et de taxes à l’importation. Mais les États Associés ne peuvent débloquer les piastres correspondant à ces ventes que pour une utilisation conforme à un programme établi par les USA qui comporte certaines dépenses de propagande en leur faveur.
90Toute aide économique de la part de la France devrait être assortie des mêmes obligations.
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91Reste à fixer le statut futur des échanges commerciaux entre la France et les États Associés d’Indochine.
921) L’Indochine représente un débouché essentiel pour certaines industries françaises. Pour le premier semestre 1953, les exportations françaises vers l’Indochine ont représenté 21 % du total des exportations vers la France d’outre-mer et près de 8 % de l’ensemble des exportations françaises.
93En 1952, les importations indochinoises en provenance de l’Union Française ont atteint 129 milliards.
94Certaines industries françaises traverseraient une crise qui pourrait être mortelle si le marché Indochinois leur échappait.
952) Inversement, l’Union Française peut constituer un débouché très intéressant pour certaines exportations indochinoises : riz, caoutchouc, anthracite, thé, etc. Lorsqu’il s’agit de produits dont la France est nécessairement importatrice, ces achats améliorent la balance des comptes de l’Union Française, dans la mesure où la monnaie indochinoise est une monnaie de la zone franc.
96Le riz mérite une mention toute spéciale. Il est rappelé qu’avant la guerre, l’Union Française absorbait entre 5 et 700 000 tonnes de riz Indochinois qui se substituaient, dans une large mesure, aux importations de céréales secondaires : maïs, etc. Ces exportations ont été extrêmement modestes depuis la Libération parce que, d’une part, les surplus exportables de l’Indochine se trouvaient réduits, du fait de la guerre, à leur plus simple expression et parce que, d’autre part, les cours du riz étaient devenus très supérieurs à la parité des cours des céréales secondaires.
97Mais à la suite du renversement récent de la tendance du marché du riz sur les places internationales, matérialisé par un effondrement des cours, il est permis de penser que, dès 1954, le Vietnam et le Cambodge se présenteront en solliciteurs pour l’écoulement du surplus de plusieurs centaines de mille tonnes sur le marché de l’Union Française.
98Ces circonstances nouvelles créent un climat favorable pour faire admettre par les États Associés l’instauration d’un système économique libéral favorisant les échanges réciproques entre lesdits États et l’Union Française.
993) Il ne faut pas se dissimuler que si en 1952 les importations Indochinoises en provenance de France ont représenté 82 % des importations totales, alors que les prix français sont supérieurs en général aux prix mondiaux, alors que la France ne bénéficie actuellement d’aucun régime préférentiel en Indochine et qu’elle est éloignée du marché de consommation, cela est dû essentiellement au fait que l’Office des Changes indochinois était entre des mains françaises et qu’il était largement approvisionné en francs, contrepartie des dépenses en piastres du corps expéditionnaire. Des licences d’importation étaient ainsi nécessaires pour les achats à l’étranger, tandis que les achats en France s’effectuaient librement, tout en acquittant les droits de douane et taxes d’importation.
100Si le maintien des monnaies indochinoises dans la zone franc est assuré, cette situation favorable sera consolidée. Mais elle devra être assortie de l’institution d’un système commercial comportant la libéralisation totale des échanges entre les États Associés et l’Union Française.
101Autrement dit, le courant d’échanges privilégiés entre la France et l’Indochine ne pourra être maintenu que :
102a) Si aucun contingentement à l’importation, comme à l’exportation, n’est prévu, le recours à ces mesures ne devant avoir qu’un caractère exceptionnel et être décidé d’accord parties.
103b) Si le régime douanier indochinois comporte deux catégories de tarifs pour les importations, un tarif minimum appliqué à la majorité des pays et un tarif général visant essentiellement le Japon.
104c) Si ce tarif minimum prévoit des dérogations préférentielles très larges pouvant aller jusqu’à la franchise complète pour les échanges avec l’Union Française.
105Enfin, il faut s’efforcer d’obtenir que certaines importations étrangères soient l’objet d’un contrôle quantitatif en vue notamment d’entraver l’importation des pays, comme le Japon, qui bénéficient d’un système de prix de main-d'œuvre anormalement bas et qui sont prêts à consentir d’importants sacrifices pour réaliser leur implantation.
106Ce contrôle pourrait être réalisé par une mission économique française en Indochine qui donnerait son visa sur toutes les autorisations d’importations de produits intéressant l’économie française, parmi lesquels les articles de coton, de fibranne et de rayonne.
107Pour donner à ces avantages un caractère de réciprocité, on pourrait prévoir qu’une mission économique des États Associés en France contrôlat l’importation en France des produits indochinois essentiels (riz, maïs, caoutchouc...). Ce contrôle, qui comporterait la possibilité d’exercer un droit d’opposition sur les importations étrangères de ces produits, serait la contrepartie du contrôle exercé sur les importations indochinoises par une mission française.
108Enfin, on pourrait prévoir l’établissement de véritables contrats à long terme pour l’écoulement dans l’Union Française, à des prix déterminés, des produits indochinois de base.
109La mise en application de ce système se trouvera certainement compliquée si les États Associés renoncent à l’union douanière indochinoise. Il faudra en effet que chacun d’eux établisse un cordon douanier à ses frontières et la fraude s’instituera sur une très large échelle. Mais, même dans cette hypothèse, le mécanisme des échanges que nous avons recommandé, ainsi du reste que le mécanisme monétaire, peut néanmoins être institué.
*
110Telles sont les bases rationnelles de la structure économique et monétaire des États Associés d’Indochine. Elles respectent l’indépendance des États, mais elles les maintiennent dans le système de la zone franc.
111Bien entendu, cette construction repose sur le postulat que la zone franc constitue un élément de stabilité au point de vue de la fixité du taux de la monnaie et un facteur d’efficacité en ce qui concerne les possibilités du marché monétaire et du marché financier.
112À cet égard, la France devrait s’inspirer de l’exemple de la Grande Bretagne.
113La sécession d’un territoire d’outre-mer peut en effet intervenir, non pas seulement sous la pression d’événements extérieurs, ou de troubles intérieurs, mais simplement du fait de l’inaptitude de la métropole à assurer son rôle de régulatrice et d’animatrice de l’économie d’ensemble.
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