Annexe 12. Lettre d’André Valls du 20 mars 1953
p. 573-574
Texte intégral
1Haut Commissariat de France en Indochine
2Le Conseiller Financier
3Secret
Extraits d’une lettre de M. Valls en date du 20 mars 1953
4J’avais raison de vous signaler les dangers que courait l’Union Douanière Indochinoise. Les travaux de la Conférence de Phnom-Penh, auxquels j’ai consacré presque tout mon temps, au cours des deux dernières semaines sont une nouvelle fois suspendus pour donner aux Délégations un délai de réflexion qui évitera peut-être de clôturer les débats orageux de cette conférence autrement que par une rupture spectaculaire.
5Vietnamiens et Cambodgiens ne s’entendent sur rien. Ils sont aussi entêtés et de mauvaise foi les uns que les autres. Ils sont incapables de faire aucun compromis qui permette d’aboutir à des solutions provisoires et boiteuses et ils ignorent qu’une négociation ne peut réussir que si chacun est capable de donner à son partenaire quelque satisfaction. Au cours de deux entretiens que j’ai eus avec le Président du Gouvernement vietnamien, S.E. Tam m’a dit en propres termes « Je me fous de l’Union Douanière. Le Vietnam n’a pas besoin du Cambodge. On nous force à vivre ensemble, alors que le Cambodge est un pauvre peuple. Je sais comment il faut traiter ses habitants. Uniquement par la force. Toutes ces questions seront réglées quand je pourrai envoyer à la frontière plusieurs bataillons vietnamiens ! ». Inversement, les Cambodgiens accusent leurs voisins de vouloir « tirer la couverture à eux et de méconnaître les droits du Cambodge à l’existence » : ce sont les propres expressions de S.E. Pen Vouth, Président du Conseil du Cambodge. Les relations entre les États ne sont donc pas très cordiales. Et il me paraît impossible dans ces conditions de maintenir un système aussi artificiel que celui établi par les Conventions de Pau.
6Au cours de ces deux dernières semaines, je crois avoir usé toutes les ressources de ma patience, et de mon imagination. J’ai multiplié les appels à la conciliation. J’ai tenté de minimiser les désaccords. Mais ceux-ci sont trop profonds pour que l’on puisse espérer les régler par de petites astuces de procédure.
7Le 25 mars, la Conférence de Phnom-Penh doit reprendre ses travaux. J’ai demandé au Ministre ses instructions. J’aurai voulu, pour détendre l’atmosphère, dire nettement aux États « Nous sommes prêts à reconsidérer l’organisation économique établie par les Conventions de Pau. Qu’est-ce que vous voulez ? » Le Ministre a craint qu’une démarche de cette nature provoque l’établissement de longs cahiers de doléances et émeuve l’opinion métropolitaine. Et ses instructions sont bien vagues. « Faire en sorte que la Conférence de Phnom-Penh ne se termine pas sur une rupture brutale. Envisager prudemment des aménagements aux procédures, sans remettre en cause les conventions de Pau. » Je doute avoir l’habileté nécessaire pour parvenir, sur la base de ces instructions sans netteté, à remettre d’accord nos partenaires. Je précise que nous faisons un mauvais calcul en nous accrochant aux conventions de Pau, dont les États ne veulent pas et qui n’assurent pas une défense intelligente de nos intérêts ici. Mais il m’a paru impossible de convaincre le Ministre. Nous nous acheminerons vers une détérioration complète des relations entre les États. Et au lieu de prendre une initiative qui nous permettrait de gagner du temps, nous serons contraints par la nécessité de céder aux pressions des États.
8La Conférence de Paris sur les marges préférentielles commencera en principe ses travaux le 20 avril. Je crains fort qu’elle soit un échec. Les États nous accorderont peut-être les marges de préférences que nous demandons, mais ils ne se mettront certainement pas d’accord pour apporter au tarif douanier les modifications nécessaires pour éviter que le jeu des marges compromette leurs recettes douanières. C’est à ce moment-là, je crois, qu’il faudra faire le choix que l’on a voulu éviter. Il deviendra alors peut-être nécessaire d’envisager un accord de type bilatéral avec ceux de nos partenaires – Laos, Vietnam – qui sont compréhensifs et laisser le Cambodge de côté. Mais cela impliquerait la rupture de l’Union Douanière et probablement à plus ou moins brève échéance, celle de l’Union Monétaire. Il n’est pas mauvais que Montrémy qui animera la délégation française à la Conférence de Paris soit venu ici pour mesurer toutes les difficultés de sa tâche.
9Source : AEF Fonds Trésor B 43930.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances, 1918-1946
Les hommes, le métier, les carrières
Nathalie Carré de Malberg
2011
Le choix de la CEE par la France
L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle (1955-1969)
Laurent Warlouzet
2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006