Annexe 9. La mise en place de l’institut d’émission des états associés. Article du Monde du 2 janvier 1952
p. 559-561
Texte intégral
L’INSTITUT D’ÉMISSION DE PNOM-PENH réalise au sein de l’Union française l’indépendance financière des etats associés
1Le 31 décembre à minuit une page de l’histoire franco-indochine a été tournée : après l’avoir détenu pendant trois quarts de siècle, la Banque d’Indochine – organisme privé – a perdu le privilège d’émettre la piastre1 au Vietnam, au Cambodge et au Laos : un organisme intergouvernemental, l’institut d’émission des États associés, assurera dorénavant ce service. Ainsi sera accomplie la réforme monétaire prévue par les accords de Pau et par la convention annexe du 16 décembre dernier. Le nouvel institut se donnera évidemment pour tâche de consolider la piastre et de favoriser le développement économique des trois territoires. Mais la réforme a aussi des prolongements politiques : elle cherche à concilier la souveraineté financière désormais reconnue aux Etats associés avec leur rattachement à la zone franc. Application particulière par conséquent du principe qui domine la politique française outre-mer : indépendance au sein de l’Union française. On voit par là toute la portée de l’expérience qui s’engage en Indochine.
2Un État souverain doit avoir son institut d’émission et sa monnaie. Aussi bien la création du nouvel organisme fut-elle prévue dès 1946, à la conférence de Dalat. En même temps deux principes essentiels étaient posés : les trois États auront une seule et même monnaie – la piastre – et elle appartiendra à la zone franc.
3On mettait donc l’accent, dès le début sur la nécessité de concilier la souveraineté monétaire de l’Indochine avec son rattachement au système financier de la Métropole.
4Comment allait-on passer de la théorie à la pratique ? On ne s’étonnera pas qu’il ait fallu beaucoup de temps pour élaborer des compromis acceptables par tous.
5Le Vietnam, le Cambodge et le Laos n’étaient pas toujours d’accord entre eux, et avec la France. Finalement fut signée à Paris le 16 décembre 1951 une convention qui complète et précise le projet préparé à Pau à la fin de 1950.
Un institut d’émission quadriparti précisé par un Français
6L’institut d’émission aura son siège à Pnom-Penh, les Vietnamiens ayant accepté de faire cette concession aux Cambodgiens. Il sera « unique » et – ce qui est extrêmement rare à notre connaissance – « quadriparti » : unique, afin de préserver l’unité financière et économique de l’Indochine ; quadriparti, car il comprendra des représentants de la France, à côté de ceux des États associés. Son président sera d’ailleurs un haut fonctionnaire français, M. Gaston Cusin.
7Le nouvel organisme sera soumis à des règles de stricte orthodoxie financière, tout au moins les techniciens ont-ils pris toutes les précautions qui dépendaient d’eux. Mais les meilleures règles résistent difficilement aux passions politiques et aux désordres d’une époque troublée. Or il est clair que la réforme monétaire intervient en Indochine à un moment où les conditions de la sécurité et de la stabilité ne sont pas encore réunies. Cette remarque faite, comment fonctionnera l’institut d’émission ?
Ni échange ni retrait des anciennes piastres
8Sa première tâche sera évidemment d’émettre des piastres. Point important : les billets précédemment mis en circulation par la Banque d’Indochine continueront d’avoir cours. Ils seront remplacés par les nouvelles piastres au fur et à mesure qu’ils passeront dans les caisses de banques. Il n’y aura par conséquent ni échange ni retrait des anciennes coupures.
9La coexistence des billets anciens et nouveaux prouvera que l’institut d’émission assurera, sans solution de continuité, des tâches jusqu’ici dévolues à la Banque d’Indochine. Si celle-ci perd son privilège ce n’est pas parce qu’elle a démérité. Le gouvernement a adapté tout simplement le système monétaire indochinois à des conditions politiques nouvelles.
La piastre sera gagée à 50 %
10Émettre la piastre n’est pas tout. Encore faut-il qu’elle soit garantie. Pour la gager il y a les créances sur les trois États et sur les entreprises. Mais ce n’est pas là l’essentiel. La véritable « couverture » est ainsi définie par l’article 5 de la convention du 16 décembre 1951 :
11« L’Institut est tenu de constituer progressivement et de maintenir une couverture en francs, or ou devises étrangères, au moins égale à 50 0/0 de la circulation fiduciaire ».
12Comment tout d’abord l’institut d’émission se procurera-t-il les francs ? Pour le moment la réponse est simple : la balance générale des paiements entre la france et d’Indochine fait apparaître un excédent de francs en faveur des États associés, en raison de l’augmentation de nos dépenses millitaires dans le Sud-Est asiatique. Ces dépenses jouent un rôle comparable à celles des troupes américaines en France. Elles rapportent des francs à l’Indochine en échange de piastres, de même que l’office français des changes encaisse des dollars versés par l’armée américaine en échange des billets nécessaires à la vie courante du GI. chez nous. L’opportunisme et le réalisme aidant, les « financiers » ont voulu tirer parti de cette situation de fait.
13L’article 5 de la convention du 16 décembre implique, notons-le, que la France verse à intervalles réguliers tous les francs qui correspondent à l’excédent de la balance des paiements de l’Indochine à l’égard de la métropole.
L’Indochine voudra-t-elle garder son or et ses devises ?
14Les États associés se contenteront-ils de la « couverture » en francs ? La convention du 16 décembre parie aussi d’une couverture en or et en devises étrangères. Une question se pose alors : l’Indochine demandera-t-elle, un jour, à conserver tout le produit de ses exportations vers les pays autres que ceux de l’Union française ? Une telle démarche équivaudrait à un retrait de la zone franc, puisque tous les territoires qui en font partie apportant les devises à un pool commun. Il serait excessif d’affirmer que nous ne courrons aucun danger de ce côté. Souhaitons que les trois États associés et la France montrent, par une compréhension réciproque, leur volonté de respecter, sur ce point précis, le principe fondamental : souveraineté monétaire dans le cadre du rattachement à la zone franc.
Les avances de l’institut d’émission aux trois États
15Au demeurant d’autres épreuves les attendent. Il est prévu que l’Institut d’émission consentira des avances en piastres aux Trésors nationaux du Vietnam, du Cambodge et du Laos. D’après la convention du 16 décembre « le montant global des avances ne peut excéder 50 % de la couverture en francs ou en devises », c’est-à-dire le quart de la circulation fiduciaire ; pendant une période transitoire ce plafond pourra toutefois correspondre au tiers de la circulation.
16C’est encore une règle de l’orthodoxie financière que de limiter les avances. S’il n’y a aucun barrage l’inflation s’installe. Mais personne ne saurait affirmer que les trois États seront constamment d’accord entre eux ou avec la France pour partager les crédits disponibles. En cas d’épuisement prématuré du montant global des avances de graves difficultés seraient à redouter. Là encore tout repose sur la bonne foi, sur la confiance réciproque.
17De même lorsque l’Institut d’émission accordera des facilités à certaines entreprises, soit pour la production, soit pour le commerce extérieur, il sera nécessaire que nos représentants ne soient pas suspectés d’orienter l’économie indochinoise dans un sens favorable à la métropole. Il est bon de préciser ici que la politique du crédit sera élaborée et appliquée en collaboration avec chacun de trois États. Les succursales « nationales » de l’Institut d’émission, qui seront créées dans les trois capitales, joueront à cet égard un rôle important.
*
18En conclusion, ce qu’il faut retenir c’est que la nouvelle expérience appelle la sincérité et la coopération de tous les intéressés. Il faut qu’elle réussisse. Un échec pourrait avoir de profondes répercussions non seulement en Indochine, mais encore dans toute l’Union française.
Notes de bas de page
1 Le coût officiel de la piastre est de 17 francs.
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