Annexe 4. Note pour le ministre sur les transferts (23 février 1950, Guillaume Guindey)
Très Secret 23 février 1950
p. 535-538
Texte intégral
NOTE pour le MINISTRE
1Objet : Transferts entre l’Indochine et la France
2La question des transferts entre l’Indochine et la France ayant été évoquée devant la Commission d’enquête sur l’affaire dite « des généraux », je crois devoir exposer au Ministre les premières observations qu’appelle de ma part l’exposé du Général REVERS.
I RÉGIME DES TRANSFERTS ENTRE L’INDOCHINE ET LA MÉTROPOLE
3L’Indochine fait partie de la zone franc, et la notion même de zone franc implique une liberté totale des mouvements de fonds à l’intérieur de la zone. S’agissant des territoires africains, cette liberté existe, sous la seule réserve que les mouvements de fonds soient opérés par l’entremise d’intermédiaires agréés (ce qui ne peut être considéré comme une limitation à la liberté). S’agissant de l’Indochine, le Ministre sait pour quelles raisons il a été jugé nécessaire d’instituer des restrictions aux transferts vers la France et de renforcer ces restrictions.
4Il n’en reste pas moins que la conversion de piastres en francs est en elle-même une opération parfaitement normale.
5Je rappelle que, en vertu du régime actuel, les mouvements de fonds d’Indochine vers la France se réalisent :
6a) soit librement, par voie postale, dans la limite d’une somme mensuelle de 25 000 francs par expéditeur ;
7b) soit par l’entremise des intermédiaires agréés, sur autorisation de l’Office Indochinois des Changes. Cet Office a d’ailleurs délégué ses pouvoirs aux intermédiaires agréés, dans certaines limites (assez réduites) et pour certaines catégories de transferts.
8D’une façon générale, l’Office Indochinois a reçu comme instructions de faciliter les transferts commerciaux ; mais, par contre, de se monter très restrictif pour les transferts financiers. On assiste, en effet, indépendamment de toute idée de trafic, à une tendance manifeste du rapatriement en France des avoirs Indochinois, provoquée tant par les événements politiques que par la crainte d’une dévaluation de la piastre.
9Il convient de noter que, les principes généraux du contrôle des changes étant applicables à l’ensemble de la zone franc, le commerce Indochinois avec l’étranger est soumis à un régime identique à celui en vigueur dans la Métropole. Les exportateurs doivent notamment rapatrier en Indochine le montant de leurs exportations. Pourtant, à certaines périodes et pour certains produits dont l’exportation aurait été freinée, voire même rendue impossible, par leur prix de revient, il a été admis que leurs exportations par l’intermédiaire du marché de Hong-Kong — ce qui permet au vendeur d’obtenir une somme en piastres supérieure à celle que donnerait une conversion directe en piastres, chez un intermédiaire agréé local, de la totalité des devises obtenues en paiement de la marchandise.
II. LE TRAFIC
10Il convient de s’élever contre l’idée trop répandue que tout transfert de l’Indochine vers la France constitue un trafic. Les relations commerciales entre l’Indochine et la France, la présence en Indochine de fonctionnaires et de militaires français, les nombreuses exploitations que possèdent en Indochine des sociétés françaises, ne peuvent que provoquer une masse importante de transferts parfaitement légitimes entre les deux pays.
11Il n’y a vraiment trafic que lorsque les francs obtenus contre piastres au cours officiel de 17 F sont ensuite transformés, au marché noir, contre d’autres devises ou valeurs, et éventuellement retransformés en piastres, ou lorsqu’il y a négociation des autorisations de transferts délivrées par l’Office des Changes Indochinois. Fréquemment, ces deux opérations se superposent.
12L’existence de tels trafics est indéniable. Cette fraude est spectaculaire, mais elle n’est pas aussi généralisée qu’on le prétend parfois.
III. RÔLE DE L’ADMINISTRATION DES FINANCES À L’ÉGARD DES OPÉRATIONS INCRIMINÉES
13Les opérations incriminées sont de deux sortes. Les unes sont des opérations de caractère politique, ayant fait l’objet d’autorisations régulières de l’Office des Changes délivrées à la demande de notre Haut-Commissaire en Indochine ; les autres sont des cas particuliers du trafic faisant l’objet du paragraphe II ci-dessus.
A. OPÉRATIONS DE CARACTÈRE POLITIQUE.
14Ces opérations ont été, soit des transferts d’Indochine sur la France, soit des exportations avec dispense de rapatriement de devises, ces dernières opérations étant évidemment destinées à procurer certains avantages à leurs bénéficiaires.
15La plupart de ces opérations ont été décidées sur le plan local, sans intervention de l’Office métropolitain des Changes, ni du ministère des Finances. C’est là une situation parfaitement normale. En effet, si l’Office Indochinois des Changes, du point de vue technique, relève de l’Office métropolitain des Changes et du ministère des Finances, il n’en est pas moins soumis, comme tous les services français en Indochine, à la haute autorité du Haut-Commissaire, Représentant du Gouvernement en Indochine et responsable des décisions à prendre sur le plan politique.
16Il n’appartenait pas au Directeur de l’Office Indochinois des Changes de refuser de délivrer des autorisations qui lui étaient demandées par le Haut-Commissaire pour des fins dont ce dernier était seul juge, et de contrarier ainsi la politique du Gouvernement en Indochine. M. RIVET n’a, d’ailleurs, pas manqué de souligner auprès de M. PIGNON les inconvénients inévitables de ces opérations. M. PIGNON en était lui-même parfaitement conscient, comme il a eu l’occasion de me le dire au cours d’un entretien que j’ai eu avec lui à Paris l’an dernier.
17Ce n’est qu’exceptionnellement que le Département a été appelé à examiner certaines demandes particulières de transferts d’Indochine sur la France pour des fins politiques. Les cas dont il a été ainsi appelé à traiter sont les suivants :
18a) Demande de transfert de 261 millions de francs à réaliser par l’intermédiaire de la Société d’Exportation et d’importation Cinéma et Radio. Cette demande a fait l’objet d’un refus (lettre du 25 décembre 1949).
19b) Demande de transfert de 85 millions de francs présentée par le Gouvernement vietnamien pour les dépenses de sa Délégation en France. Sur avis favorable du Ministère de la France d’Outre-Mer, cette demande a été acceptée le 12 janvier 1950.
20c) Demandes de transferts de 170 millions de francs et de 8 millions de francs au profit de S.M. BAO DAI. Ces deux demandes ont fait l’objet d’une lettre en date 14 février 1950, par laquelle le Ministre sollicitait l’avis du Département de la France d’Outre-Mer, tout en attirant son attention sur le développement des opérations de cette nature.
21d) Projet de création d’une banque du Vietnam à Paris, projet qui devait s’accompagner d’une importante conversion de piastres en francs. Ce projet a été refusé.
B. CAS PARTICULIERS de TRAFICS.
22Toutes les affaires signalées dans le rapport REVERS sont des affaires suivies sur place à la diligence de l’Office Indochinois des Changes. Si elles témoignent de l’existence incontestable d’un trafic important, elles témoignent aussi du fait que les Administrations compétentes (Office Indochinois des Changes, Douane, Police) ne restent pas inactives.
23Il convient en outre de mentionner que la répression du trafic se fait également en France. Les services métropolitains de la Douane et de la Police ont été invités à exercer une surveillance particulière, qui s’est révélée fructueuse, sur les navires et les avions en partance pour l’Indochine. Une vaste enquête est en cours, en accord avec l’Administration des PTT, sur les bénéficiaires des virements postaux en provenance d’Indochine (à ce titre plus de 1 000 personnes ont été interrogées ou sont l’objet d’enquêtes, à la suite de deux plaintes contre X déposées par le Département près le Parquet de la Seine). Le Ministre sait enfin, grâce à un rapport spécial que lui a adressé M. CALVET, que l’Office métropolitain des Changes a pris l’initiative d’une enquête spéciale sur les bénéficiaires d’un ensemble de transferts connus sous le nom de « Transferts Legrand ».
24Il convient toutefois de ne pas se dissimuler que, si l’Administration fait ce qu’elle peut pour lutter contre la fraude, elle ne peut se flatter d’empêcher qu’un important trafic se poursuive.
25Le Directeur des Finances Extérieures
26Signé : GUINDEY.
27Source : AEF Fonds Trésor Β 43917.
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