Chapitre VIII. L’éclatement de l’Indochine
p. 397-445
Texte intégral
1Huit à neuf ans de guerre, pour un pays qui en est le théâtre principal, c’est assurément autant de temps perdu en immobilisme économique, même si toute guerre génère des modifications importantes de structures en la matière. Deux éléments paraissent dominer tous les autres : d’une part, l’Indochine est passée à côté d’une industrialisation qui pouvait sembler lui être promise ; d’autre part, elle a suivi le chemin inverse que la France lui préparait : au lieu d’une fédération d’États parrainés par celle-ci, elle éclate en entités hostiles, croisant les vieilles rancœurs coloniales et les affrontements idéologiques du siècle. De ce point de vue, l’Indochine ne paraît pas s’être remise de la guerre.
I. LA NON INDUSTRIALISATION DE L’INDOCHINE
2Nul ne peut sans doute savoir ce qu’il serait advenu du projet, mais le projet n’en existait pas moins : étendre le plan français de modernisation à l’Indochine et faire de cette colonie du bout du monde, que l’on identifiait plutôt jusqu’alors au riz ou au caoutchouc, un espace industriel destiné à assurer son propre développement et à rayonner sur l’Asie pacifique. A l’heure où le Japon semble à terre, n’y avait-il quelques places à prendre ? Le plan Indochine se situait dans cette perspective.
3Mais il n’a pratiquement pas vu le jour. Sur place, le calme social et politique indispensable à une opération de ce genre n’était évidemment pas au rendez-vous ; en métropole, et pour les mêmes raisons, le financement tardait à se mettre en place. Il exista bien un budget extraordinaire de reconstruction et d’équipement de l’Indochine mais qui demeura à un niveau très modeste avant d’être emporté lui-même par le tourbillon de la guerre.
4Il importe cependant, avant de dresser l’inventaire des destructions proprement dites liées au conflit, et pour bien mesurer ce que la guerre d’Indochine a vraiment « coûté » sur place, d’évaluer ce qui n’a pu s’y réaliser, ce qui a été perdu en matière d’équipement et de modernisation : de même que, sur le plan démographique, on mesure des déficits de naissances, on peut sans doute parler pour l’Indochine, du fait de la guerre, d’un important déficit de développement.
A. LES AMBITIONS DU PLAN DE MODERNISATION
5L’Indochine figurait en bonne place dans le plan Monnet de modernisation et d’équipement de la France. Relevant de la commission de modernisation des territoires d’outre-mer, réunie sous la présidence de Pleven, la sous-commission de modernisation de l’Indochine publie son premier rapport en novembre 1948 : en forme de programme, ce rapport synthétise le travail réalisé sous la houlette – notamment – de Bourgoin, par les six sections de la sous-commission : équipement public, agriculture, industrie minière, énergie, industrialisation et équipement social1. Mais il s’agissait d’un rapport séparé, en raison, précisent les auteurs dans leur introduction, des « données particulières du plan de modernisation et d’équipement de l’Indochine » : la situation de l’Indochine est pour eux à part, en raison des années d’occupation étrangère, de guerre et de « troubles fomentés par les Japonais », accompagnés de « destructions considérables » qui anéantissent parfois « l’œuvre d’un demi-siècle ».
6Tout paraît cependant concourir, à l’intérieur comme à l’extérieur, à créer des conditions favorables au développement de l’Indochine, avec pour seule donnée problématique la répartition de la population. Celle-ci est en général peu dense dans le pays, sauf dans les deltas et surtout au Tonkin. Il y a là, en fait, plus qu’un problème à résoudre, un véritable défi auquel on ne peut répondre qu’en se battant sur tous les plans : « accroître le rendement des terres, encourager l’émigration vers les terres libres ou trop peu peuplées, développer l’artisanat et industrialiser le pays ». Ce dernier objectif paraît accessible : l’Indochine dispose d’une « main d’œuvre abondante, habile, industrielle », de sources d’énergie (anthracite, hydro-électricité), de la plupart des matières premières « nécessaires à l’installation d’une industrie à grande échelle ». L’environnement extérieur, « transformé par la défaite du Japon », existe : « l’Indochine est appelée de ce fait à prendre une place de plus en plus importante sur les marchés de l’Extrême-Orient ». En bref, « tout concourt [...] à donner à l’Indochine une vocation industrielle de premier ordre »2.
7Les concepteurs du projet voient d’ailleurs dans cette perspective une sorte de continuité avec tout ce que les Français ont déjà édifié sur place, dans la ligne de Doumer, « créateur de l’Indochine, de l’Indochine en tant qu’entité supérieure aux pays qui la composent ». La dimension fédérale reste en particulier essentielle pour eux comme, d’une manière générale, pour la réinstallation de la France à l’époque en Indochine3. Leurs rapports insistent régulièrement sur ce point, comme à propos des projets d’équipement électrique : « Élément primordial du programme d’industrialisation de l’Indochine, la politique de l’énergie ne saurait, comme lui, n’être conçue que sur le plan fédéral »4.
8Globalement, le plan Indochine prévoit plus de 3 milliards de piastres 1939 de dépenses, soit environ 760 milliards de francs 1954, étalés sur dix ans en deux périodes quinquennales et répartis, pour tous les secteurs considérés, entre reconstruction et modernisation5. La ventilation par secteurs est la suivante :
9Que retenir de cette répartition ? L’équipement public, dont l’importance a déjà été soulignée, se taille bien sûr la part du lion : 45 % de l’ensemble, essentiellement en dépenses de modernisation. Les deux autres secteurs dominants sont l’agriculture (environ 25 %) et l’industrialisation (environ 14 % des dépenses). L’hydraulique agricole vient en tête des priorités, en particulier dans les régions deltaïques, plus ou moins surpeuplées. Le programme, illustré par une carte, a identifié de nouveaux réseaux à construire à côté de ceux qui sont déjà en exploitation – ils se situent essentiellement dans le centre du Vietnam et le delta du Mékong – et en met d’autres à l’étude, dans les deux deltas du fleuve Rouge et du Mékong. L’objectif, une fois terminé l’aménagement complet, serait tout simplement de doubler la production agricole.
10L’industrialisation apparaît quant à elle relativement ambitieuse en ce qu’elle prévoit une gamme d’industries nouvelles, et qui se veut complète. « Les industries de base, souligne le rapport : industries chimique et sidérurgique, qui constituent l’infrastructure économique d’un grand pays, manquent encore en Indochine. Il est nécessaire de les y installer. L’industrie chimique produira les engrais nécessaires au développement de la production agricole et le chlore, la soude, l’acide sulfurique, la cellulose, le carbure de calcium, les explosifs nécessaires aux autres industries. La sidérurgie alimentera en fonte, pièces de fonderie, profilés etc., les ateliers indochinois de construction. En outre, pour exploiter des ressources naturelles en énergie et en matières premières, il est proposé la création d’industries d’exportation : aluminium et ferro-alliages, dont les productions ne répondent pas à des besoins de l’économie indochinoise ». La répartition des dépenses d’établissement prévues entre ces trois secteurs illustre l’importance accordée à chacun d’eux.
11L’un des principaux axes du plan de modernisation de l’Indochine réside dans la combinaison de l’hydraulique agricole et de l’industrialisation, considérées comme les deux moyens principaux pour, d’une part, combattre les conséquences du surpeuplement et, d’autre part, rehausser le pouvoir d’achat en Indochine. Il n’est pas difficile de reconnaître derrière cette idée l’une des thèses défendues par Paul Bernard dans le second ouvrage qu’il avait publié avant-guerre6. Dans un chapitre intitulé « Le problème du surpeuplement et l’industrialisation », il y défendait déjà l’idée que « seul le développement de l’industrie offre des débouchés théoriquement illimités pour l’occupation des bras inemployés », et s’appuyait pour le montrer sur l’exemple du Japon : « En 1870, la population du Japon était d’environ 34 millions d’habitants, tous occupés à l’agriculture. L’économie du pays était une économie de riz, exactement comme l’est l’Indochine aujourd’hui. Ce qui a provoqué l’essor véritablement extraordinaire de ce pays, c’est le développement industriel, développement pour lequel il ne paraissait pas a priori particulièrement désigné », compte tenu de la rareté des matières premières industrielles sur place. Alors qu’au contraire « l’Indochine semble naturellement prédestinée à une semblable vocation. La main d’œuvre disponible se trouve, en effet, rassemblée à proximité de gisements de houille d’une richesse inépuisable et d’une exploitation très facile ».
12Pourtant, comme on le sait, l’industrialisation de l’Indochine ne s’est pas faite dans les années 1950. La somme globale d’environ 760 milliards de francs 1954 prévue pour son chantier correspond à peu près au tiers de ce que la guerre a coûté pour la France7 ; ou encore à ce qu’ont coûté les cinq premières années du conflit, jusqu’en 1950 compris. Il est évidemment facile de suggérer qu’il aurait été préférable de dépenser l’argent de cette manière...
B. UN FINANCEMENT INTROUVABLE
13Le déclenchement de la guerre d’Indochine et la conception du plan de modernisation sont contemporains, sans que d’ailleurs, dans un premier temps, le premier événement paraisse vraiment influer sur le second. Du côté français, en effet, personne n’imagine que la guerre puisse se prolonger longtemps. Entre l’ouverture officielle des hostilités, en 1946, et la mise en forme finale du programme, en 1948, un décret d’avril 1947 créa donc l’outil budgétaire ad hoc, annexe du budget général : le « Budget extraordinaire pour la reconstruction et l’équipement de l’Indochine »8.
14Plusieurs solutions sont ébauchées pour son financement. L’incontournable Paul Bernard donne bien sûr son avis et suggère « d’ingénieuses solutions », dont la presse économique se fait l’écho : n’est-il pas « l’un des techniciens les plus avertis de l’économie indochinoise »9 ? La question est que l’Indochine elle-même manque de moyens financiers suffisants pour assurer la réalisation du plan : elle ne pourrait, dans le meilleur des cas, n’en fournir que 37 %, les 63 autres restant à trouver. L’idée est alors de recourir à l’aide extérieure pour la fourniture de l’équipement nécessaire, certes, mais surtout de « mobiliser le travail de l’Indochine » et de mettre en valeur les ressources – agricoles – qui peuvent l’être rapidement. Concrètement, cette politique supposerait « la fixation d’un prix stable pour le riz et le recours à des méthodes dirigistes pour la production et la consommation ». Accessoirement, et de manière explicite, Paul Bernard suggère de recourir largement à l’émission monétaire « pour financer les dépenses rapidement productives ».
15Une réunion sur le financement du Plan d’équipement de l’Indochine se tient dans le même temps rue de Rivoli, dans le bureau du directeur du Trésor Bloch-Lainé10. Mais il ne s’agit encore que d’examiner « les différents aspects du problème que pose le financement du Plan Indochinois », non sans que les participants à cette réunion aient « reconnu économiquement et politiquement nécessaire que la métropole fasse en faveur du Plan d’équipement et de reconstruction Indochinois un effort comparable à celui qu’elle consent pour les autres territoires »11. Dans l’idéal, une première partie du financement devrait être assurée conjointement par la France, sous la forme d’une subvention, et par l’Indochine, qui aurait recours à l’emprunt sur le marché métropolitain ; mais ce dernier restant inaccessible, il faudra en passer par des avances du Trésor métropolitain. En bref, le Budget et le Trésor verseront directement subventions et avances aux budgets de l’Indochine.
16Quant au second volet du financement du Plan, c’est-à-dire l’accès des entreprises privées participant au programme à « des crédits que le marché financier est actuellement incapable de leur offrir », l’incertitude demeure : un recours à la Caisse centrale de la France d’outre-mer et au Fonds d’investissement qu’elle projette pour l’Indochine pourrait être imaginé12 ; une seconde solution serait dans la mise en place de prêts de démarrage financés par des avances du Trésor Indochinois, imputées à un compte spécial ouvert localement ; une troisième idée, proposée par Pleven, consisterait à créer sur place, de toutes pièces, un organisme de crédit à moyen et long terme sur le modèle du Crédit national, mais avec pour principal inconvénient un long délai de mise en place13. Mais rien n’est vraiment arrêté sinon l’idée que « le destin indochinois de la France, avec tout ce qu’il comporte d’essentiel pour le destin tout court de la France, est étroitement lié à la réalisation de ce programme économique ». Observons, pour mémoire, que le recours à l’émission apparaît là aussi comme une solution acceptable.
17Sur le terrain, pendant ce temps, on pare au plus pressé. Le projet de budget extraordinaire et spécial de 1948 porte sur environ 1 milliard de piastres (1 096 900), soit 27 milliards de francs 195314 – une somme qui représente moins du quart de ce que coûte la guerre cette année-là15.
18Une analyse du détail des projets, qui n’ont pas été reproduits dans ce tableau, montre que les travaux constituent les principales dépenses, à raison de 53 % sur l’ensemble du budget : routes et ponts surtout, mais aussi chemins de fer, ports et voies navigables, etc. Par contre une autre des priorités du Plan ne figure dans le projet que de manière résiduelle : l’hydraulique agricole, à hauteur de 1,9 %... Il est vrai que les campagnes à aménager constituent les principaux lieux de guerre sur le théâtre indochinois. Quant aux industries nouvelles, mais le Plan compte aussi sur les sociétés privées dans ce domaine, il n’en est pas question.
19Les perspectives de reconstruction et de modernisation de l’Indochine ne résistèrent pas à l’exercice 1949-1950 du budget extraordinaire – un exercice d’une durée un peu particulière qui avait été obtenue par le haut-commissariat, semble-t-il, pour des raisons de souplesse budgétaire. Ce budget entra d’abord dans le « collimateur » de la rue de Rivoli qui, à partir de 1949, cherche par tous les moyens – autres que la dévaluation de la piastre – à freiner les transferts financiers d’Indochine vers la France : il fallait en particulier limiter les apports de capitaux frais à l’Indochine. Ceux du budget extraordinaire semblent être rentrés dans cette catégorie non prioritaire. Comme l’écrit le conseiller financier français à Saigon dans son rapport de septembre 1949, à propos des compressions qui lui ont été imposées, « le budget extraordinaire de l’exercice 1949-1950, arrêté virtuellement aux chiffres ci-dessus indiqués, exprime clairement la volonté de mettre un terme aux dotations pléthoriques et pour la plupart injustifiées des exercices antérieurs. Il tient compte, au surplus, de la situation financière de l’Indochine qui, malgré l’aide apportée dans ce domaine par la métropole, ne peut s’engager plus avant dans une politique de prodigalités que ne justifiait pas dans la pratique les résultats obtenus »16.
20Portant initialement sur un montant de 2,27 milliards de piastres (environ 35 milliards de francs), soit plus du double du précédent budget – quoique pour une période plus longue –, le budget extraordinaire fut ainsi ramené, après de véritables coupes à la hache, à 1,03 milliard (environ 18 milliards de francs). Comme le montre le tableau suivant, les trois sections de ce budget, par ailleurs établi dans une présentation nouvelle, furent presque également affectées17.
21Les nouvelles directives de la rue de Rivoli, liées notamment à l’arrivée de Roger Goetze à la direction du Budget, contribuèrent à ce spectaculaire « dégraissage » : l’heure était on le sait à l’assainissement des finances publiques et il ne fallait théoriquement plus, à compter du début de l’année 1950, recourir aux procédés inflationnistes. La France d’outre-mer et l’Indochine en particulier devaient se soumettre à cette nouvelle règle : en conséquence, s’il n’y avait pas d’autres possibilités de financement pour le budget extraordinaire – qui avait justement commencé à fonctionner grâce à des avances du Trésor –, il fallait réduire celui-ci d’autant, ce qui fut fait. Moyennant quelques aménagements, le ministre de la France d’outre-mer Letourneau imposa au haut-commissaire Pignon le respect de ces instructions, « aux termes desquelles les dépenses de reconstruction et d’équipement à effectuer en Indochine en 1950 devaient être réalisées exclusivement sur des fonds d’origine métropolitaine, à l’exclusion des procédés locaux de financement se traduisant par des appels à l’émission »18.
22Enfin, et ce dernier élément augurait mal de l’avenir du budget extraordinaire, les dépenses qui y sont prévues – ou maintenues – prennent un tour de moins en moins économique et de plus en plus militaire : l’époque voit en effet les coûts de la guerre s’emballer, imposant localement des solutions pas toujours très orthodoxes. Dès 1949-1950, il ne faut pratiquement déjà plus parler d’hydraulique agricole, l’un des fleurons du Plan. 48 millions de piastres lui avaient été réservés, presque équitablement répartis entre les sections reconstruction, investissements et équipement – plutôt au profit des investissements, qui auraient dû en recevoir 41 %. Cette somme, qui ne représentait pourtant qu’à peine plus de 2 % du budget global, fond des trois quarts après les compressions réalisées : celles-ci préservent un volant pour la reconstruction, qui ne baisse que de 31 % mais font pratiquement l’impasse sur les investissements (moins 82 %), et suppriment purement et simplement les 14,7 millions prévus à la section équipement19. La guerre sévit en effet et, comme l’écrit l’un de ceux qui ont participé aux compressions, « la commission de révision s’est trouvée devant un bloc quasi-incompressible de dépenses, et tout d’abord de dépenses de sécurité »20.
23Les conventions de Pau mettent concrètement un terme aux ambitions, déjà largement contrariées, du Plan de modernisation de l’Indochine. Les attributions du Plan revenant désormais aux États, le budget extraordinaire de reconstruction et d’équipement est supprimé à la fin de l’exercice 1950. Son héritage éclata entre les différentes parties intéressées. Des « avances aux États associés pour l’exécution de leurs plans d’équipement » restent prévues – 3 250 millions de piastres (environ 55 milliards de francs) pour 1951 – mais leur financement reste mal assuré : les intervenants traditionnels – fonds de modernisation et d’équipement, ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme – se sentent moins concernés et la « planche à billet » paraît à nouveau sollicitée.
24Pour les États associés, d’ailleurs, l’idée même de Plan reste théorique – il est au passage assez piquant de constater que ces États, tout de même nés dans un contexte fortement anticommuniste, reçoivent un Plan en héritage du colonisateur français, avant que la RDV n’y songe elle-même... Quoi qu’il en soit, la guerre se fait toujours plus contraignante et le conseiller financier André Valls, subtil observateur de la situation, affiche son pessimisme : « Un double plan quinquennal avait établi en 1946 [...] les dépenses nécessaires à l’équipement et à la modernisation des économies indochinoises. Ce programme ne comprenait pas les dépenses de reconstruction imputables aux dommages de guerre. Fin 1951, au moment du transfert des services du conseiller au Plan, le budget extraordinaire avait couvert ces dépenses à concurrence de 3,6 % seulement. Depuis cette date, la création des armées nationales a absorbé les disponibilités financières des États. Les préoccupations militaires l’emportent sur les préoccupations économiques. Les crédits affectés dans les budgets nationaux aux dépenses de caractère économique sont très faibles et ne permettent même pas d’entretenir dans de bonnes conditions l’équipement public dont ont hérité les États »21.
25Du côté français, l’héritage du budget extraordinaire prit plusieurs directions. Ce qui était d’ordre public fut ventilé dans les comptes toujours gérés par la France : les dépenses d’ordre militaire qui y avaient été inscrites, comme certaines opérations de déminage, avaient déjà été recueillies par le compte spécial n° 2 du Trésor indochinois, mais l’existence même de ce dernier fut on le sait éphémère. Pour le reste, un compte « matériel de travaux publics à transférer s/c d’avances remboursables » assura le prolongement du budget extraordinaire dans la comptabilité du Trésorier général de l’Indochine22. Pour le financement des investissements français dans les États associés, le gouvernement revint en 1951 vers la Caisse centrale de la France d’outre-mer, à qui une avance de 1 750 millions de francs fut consentie pour réaliser des prêts sur place23. Il reste que lorsque la Caisse centrale est amenée à consentir un prêt, par exemple à une société produisant des cigarettes, comme le cas a déjà été cité, il faut admettre qu’on est assez loin des perspectives du Plan Bourgoin.
26Mais le concept de modernisation et d’équipement demeura, notamment du côté français : il permettait de couvrir diverses dépenses n’entrant vraiment dans aucune autre catégorie. Ainsi, en mai 1953, le ministre des États associés adresse à son collègue des Finances les données nécessaires à la « préparation des lois de programme pour la réalisation du deuxième plan de modernisation et d’équipement », pour un montant total d’environ 72 milliards de francs : y figurent des dossiers sur l’équipement des services civils français en Indochine (7,4 milliards), sur la reconstruction et les dommages de guerre (20 milliards) et, surtout, l’assistance économique et technique aux Etats associés (45 milliards)24. 72 milliards pour le second quinquennat, cela représente environ cinq fois moins que ce qui lui avait été réservé au départ : il ne pouvait s’agir que d’une fin de partie.
II. LA BALKANISATION DE LA PÉNINSULE
27La guerre d’Indochine s’est donc déroulée pendant plus de huit ans sur un territoire qui en était l’un des principaux enjeux. L’un des deux belligérants au moins – le Viet Minh – a consciencieusement mené, parallèlement aux combats, une guerre économique contre les Français et ce qu’ils symbolisaient, c’est-à-dire d’une certaine manière le secteur moderne introduit par la colonisation, alors que son propre secteur productif était en retour visé par le corps expéditionnaire. Blocus économique contre blocus économique, zones rizicoles verrouillées, tentatives – ou tentation – d’encercler les villes depuis les campagnes, imbrications des zones, prélèvements fiscaux concurrents, guerre monétaire... La question n’est plus de savoir si l’Indochine est sortie meurtrie de la guerre mais dans quelles proportions.
28Une impression s’impose d’abord à la lecture des documents français de cette période, en particulier quand le gouvernement recherche les moyens de financer la création de nouvelles « armées nationales » : l’impression que l’on créait depuis Paris, de toutes pièces, une sorte de guerre civile au Vietnam, dont les implications n’étaient pas seulement militaires, mais aussi très largement économiques et financières. Les destructions proprement dites de la guerre, nullement négligeables en elles-mêmes, ne feront qu’ajouter à cette ligne de fracture méthodiquement creusée au sein des populations concernées et qui finira par toucher toute la péninsule.
A. L’EXPÉRIENCE DE LA GUERRE CIVILE
29Il faut d’abord rappeler le contexte politique dans lequel s’est déclenchée la guerre d’Indochine. La Révolution d’août 1945 a été, du nord au sud du Vietnam, un moment fort pour toute la société, l’une de ces ruptures qui changent l’histoire et l’idée qu’on s’en fait : après environ trois générations sous tutelle étrangère, la magie de l’indépendance transformait les mentalités. Tous les responsables français n’en ont pas pris la mesure, comme a pu par exemple le faire Leclerc, vite sceptique à l’idée de juguler « par les armes un groupement de 24 millions d’habitants qui prend corps, et dans lequel existe une idée xénophobe et peut-être nationale »25. Mais tous se sont ralliés à la grande idée d’opposer au Viet Minh un autre nationalisme, quitte à « rétablir l’institution monarchique traditionnelle »26 : le dernier des Nguyen, qui occupait encore symboliquement la fonction début 1945, pouvait revenir sur scène. Bao Dai c’est la paix... On se prit à croire au slogan27, et ceux qui connaissaient l’histoire pouvaient avoir confiance : comment ne pas penser au vicaire apostolique de Cochinchine qui, à la fin du xviiie siècle, s’engagea auprès d’un héritier déchu contre les insurgés Tay Son ? « Mgr Pigneau, que des troubles ont forcé à se réfugier à Pondichéry, s’inspire de la grande tradition de Dupleix, demeurée vivace dans l’Inde française, rappelle Gaston Taboulet ; il voit dans la guerre civile une occasion providentielle de gagner, au profit de la religion qu’il sert, la faveur du monarque déchu »28.
30Mais la « solution Bao Dai » connut une trajectoire évolutive, de plus en plus militaire et surtout financière. La manœuvre consistant à substituer – sous contrôle – son nationalisme à celui-ci d’Ho Chi Minh ne fut d’abord pas très simple à mettre en œuvre : l’ex-empereur n’accepta pas déjouer ce rôle sans contrepartie – la reconnaissance de l’unité du Vietnam par la France ; et le Viet Minh ne s’avéra pas si facile à circonvenir. L’idée était politique, elle devint militaire : doté d’une armée, l’État de Bao Dai pouvait devenir un rempart contre le Viet Minh et, même à terme, assurer le relais de la présence militaire française. Dans le débat sur la Cochinchine qui accompagne l’accord du 8 mars 1949, Gaston Déferre pose la question : « le retour de Bao Dai au Vietnam ne risque-t-il pas d’y déchaîner la guerre civile ? »29. Le général Revers, qui se rend en mission en Indochine au lendemain de l’accord, lui répond on le sait à sa manière : la mise sur pied des « armées nationales » permettra d’abord « d’alléger notre dispositif et notre charge »30. Si l’on en croît Lucien Bodard, la guerre civile gardait pourtant ses adeptes, le haut-commissaire Pignon notamment : « son but, rapporte le journaliste, c’est de dresser contre les Vietminh un camp anti-Vietminh. [...] L’objectif de Pignon, c’est la guerre civile entre Vietnamiens »31. Mais, comme le suggérait Lucien Bodard, favoriser la construction d’un véritable camp nationaliste supposait des concessions. Elles furent offertes à Pau.
31L’année suivante en effet, en 1950, l’idée de « faire entrer » le Vietnam associé dans la guerre est en filigrane de la conférence économique réunie dans la cité béarnaise. Car ce n’est certes pas par bonté d’âme que la France s’y montra si soucieuse d’accomplir l’indépendance des États associés32, au point de sembler en perdre le contrôle. Mais comment leur indépendance aurait-elle été crédible, à la fois auprès de leur population et des États-Unis, si elle n’avait eu quelque consistance ? Les Français avaient sans doute trouvé en face d’eux des négociateurs exigeants, mais ils étaient eux-mêmes portés aux concessions par cette volonté d’impliquer le Vietnam associé dans le conflit : en novembre 1950, les échanges de Pau à peine apaisés, le ministre français des États associés Letourneau négocie à Dalat avec Bao Dai un quasi doublement de l’armée vietnamienne33... Ces unités militaires à créer, avec des dizaines de milliers d’hommes à mobiliser, valaient des milliards de francs.
32La conscription allait concrétiser la mise en opposition des nationalismes et encourager la guerre civile dans tout le pays. Des forces armées proprement vietnamiennes, relevant de Bao Dai, sont levées à partir de 1950. Elles existaient déjà depuis quelques années, mais à un niveau modeste : l’objectif est bientôt de les amener à 250 000 hommes fin 1954 – autant sinon plus que le corps expéditionnaire34. L’ennui du système, cependant, note par exemple en 1953 le conseiller financier français auprès du haut-commissaire, est la déperdition de main d’œuvre qu’il suppose, une main d’œuvre « mobilisée soit dans les rangs des armées nationales, soit dans les rangs des armées adverses »35.
33Combien de Vietnamiens ont-ils ainsi été directement entraînés dans la guerre ? En 1953, du côté de l’Union française, le corps expéditionnaire atteint 230 000 hommes36 et les armées des États associés 226 00037 : pour obtenir le nombre de Vietnamiens portant l’uniforme il faut ajouter celui des unités asiatiques – on disait « jaunes » – du corps expéditionnaire à celui de l’armée proprement dite de Bao Dai : cela représente un peu plus de 250 000 hommes, environ la moitié du total. Il faut ensuite prendre en compte ceux qui combattent dans les rangs du Viet Minh : une estimation française datant de juillet 1953 parle d’un total d’environ 350 000 hommes38. Il faudrait aussi pouvoir pondérer ces chiffres avec le niveau des motivations, certainement pas identique dans les deux camps. Globalement, plus de 600 000 Vietnamiens des deux camps font ainsi la guerre en même temps. Ce chiffre ne permet sans doute pas de parler de militarisation de la société : il représente environ 2 % de la population, évaluée en 1953 à quelque 30 millions d’habitants ; parmi les gens en armes, il faudrait cependant ajouter les sectes du Sud, Hoa Hao et Cao Dai, voire les milices catholiques du Nord. Mais il reste que ces 600 000 Vietnamiens ne font pas seulement la guerre, ils se la font entre eux, et c’est ce qui donne au conflit sa dimension de guerre civile. « Je dois rappeler que je suis rentré au Vietnam pour tenter d’y rétablir la paix », soulignait encore Bao Dai dans une interview donnée au Monde en octobre 195339. Le croyait-il vraiment lui-même ?
34L’impôt allait pouvoir à son tour distiller la guerre civile au Vietnam, car il ne suffisait pas de mobiliser des troupes : les deux camps vietnamiens désormais en présence devaient aussi les entretenir – c’est-à-dire trouver le financement pour le faire. Pour l’armée populaire, depuis 1946, le système était rodé : la RDV fonctionne on le sait comme un véritable État qui, pour n’être pas très riche, s’appuie cependant sur un appareil fiscal qui a fait ses preuves. Pour l’État vietnamien de Bao Dai, la question est plus neuve. Il reçoit certes d’importants concours financiers français, et de plus en plus américains. Mais la France lui a transféré, ainsi qu’au Cambodge et au Laos, l’essentiel de son budget local, et il est entendu depuis Pau que, fort de ces nouvelles ressources, l’État vietnamien doit apporter une contribution visible à l’effort de guerre. C’est ce qu’il fait, même si la gestion des finances vietnamiennes apparaît assez opaque aux experts français : la participation vietnamienne, partant de 1,4 % du coût total de la guerre en 1950, s’élève à environ 6 % en 1952 et 1953, et grimpe à 8,7 % en 195440. Ces dépenses exigent nécessairement des recettes correspondantes.
35Autant que la conscription, le prélèvement fiscal nécessaire à l’effort de guerre engage donc le pays dans un face à face à la fois sourd et violent, qui met en particulier les collecteurs des deux camps au contact les uns des autres. Ceux de Bao Dai ne s’aventurent sans doute pas en zone Viet Minh, à la différence de ceux du Viet Minh, qui peuvent opérer au cœur même de Saigon. À nouveau, le journaliste caractérise assez bien l’ambiance qui prévalait sur place, disant en substance la même chose que les renseignements collectés alors par les Français41. « Les percepteurs (Viet Minh) sont des messieurs en complet-veston, qui vont et viennent avec des serviettes de cuir sous le bras, l’air d’employés, raconte Lucien Bodard. Tout se fait très régulièrement. Chaque chef de famille est averti du montant des taxes qu’il doit – elles sont au moins aussi élevées que celles du gouvernement. Lors du versement, on lui donne un reçu à l’en tête de la République rouge. Rien qu’à Saigon, les sommes collectées se montent à des millions de piastres par mois. Tous les Vietnamiens et Chinois paient, quelques Français aussi. Qui oserait refuser ? La feuille d’avertissement, c’est la grenade ; après, c’est la mort. »42
36Mais dans les zones contrôlées par les Français comme dans les secteurs disputés, il est clair que la même population ne peut longtemps contribuer, à un niveau identique, à l’effort de guerre des deux camps. La poursuite des opérations exige donc de perturber le plus possible la perception de l’impôt par l’adversaire. C’est à ce propos qu’un rapport Viet Minh saisi début 1954 au Sud évoque la méthode utilisée, forcément expéditive, comme s’il s’en excusait44 : « De toute façon, on ne saurait nier l’influence heureuse exercée sur la population quant à l’extermination des traîtres et des notables qui, sans aucun doute, a gêné considérablement l’ennemi. L’extermination des traîtres et des notables, entreprise depuis un certain temps, nous a apporté des résultats heureux. Avant de passer aux actes, nous avons toujours eu soin d’appeler à la raison les coupables. Seuls les réfractaires sont punis ».
37La politique agraire définie par le Viet Minh en avril 1953 donna une perspective de lutte de classes à l’affrontement entre les deux camps. L’orientation définie par décret le 12 avril 1953, centrée sur la réduction des taux de fermage, s’appliquait en effet à l’ensemble du territoire45. Son caractère politique ressortait en outre d’un second décret portant création de « tribunaux populaires extraordinaires dans les régions où se déclenche le mouvement populaire pour la mise en exécution de la politique agraire »46. La « mobilisation des masses », qui semblait s’inspirer de la récente expérience chinoise, accompagnait en effet les mesures proprement techniques de la réforme. En tout état de cause, la volonté de saper dans les campagnes tout ce qui pourrait servir de base sociale au régime de Bao Dai – et de limiter ainsi ses possibilités de reconquête territoriale – paraît sous-jacente au programme.
38L’État associé de Bao Dai ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Moins de deux mois plus tard, le 4 juin 1953, alors que le président du Conseil Nguyen Van Tam, encore sous le coup de la dévaluation de la piastre, réclame pour le Vietnam une pleine souveraineté, Bao Dai signe quatre ordonnances lançant un programme de réforme agraire, qui aurait été à l’étude, précise-t-on, depuis un an47. L’objectif annoncé « est de faciliter l’accès des paysans à la petite propriété, de mettre à la disposition des petits propriétaires les crédits leur permettant d’améliorer leurs terres, de réglementer les contrats de fermage sur des bases équitables fixant les droits des propriétaires et ceux des fermiers »48. Les dispositions arrêtées ne sont pas toujours comparables à ceux de la réforme concurrente du Viet Minh, même si elles portent sur le même objet : ainsi, en matière de taux de fermage, la RDV fixe un pourcentage de réduction des taux existants, de 25 % au minimum49, alors que l’État associé institue un plafond à ne pas dépasser – de 15 % au maximum de la récolte de l’année50. Mais cette différence est en pratique sans conséquence immédiate : la tentative de Bao Dai, qui sera reprise après 1954 par le régime de Ngo Dinh Diem, est pour l’heure restée lettre morte.
39Réforme agraire du 19 décembre 1953 : successivement adoptée en novembre par une conférence nationale du parti et, début décembre, par l’Assemblée nationale convoquée quelque part au Nord, pour la troisième fois depuis sa formation en 1946, cette politique agraire s’est entourée de toutes les garanties institutionnelles possibles. Il est cependant malaisé, au-delà des textes, de savoir ce qui a vraiment été réalisé avant le cessez-le-feu de 1954 : l’implantation déjeunes cadres parmi les paysans pauvres, pratiquant les « trois avec » (travailler avec, dormir avec, manger avec) pour susciter l’émergence d’une conscience de classe, voire d’une haine de classe, les séances publiques d’accusation pour les propriétaires, les exécutions même. Il semble que cette politique ait surtout pris les proportions qu’on lui connaît après la fin de la guerre et la partition du Vietnam, jusqu’au coup d’arrêt de 1956.
40En dépit des imbrications sur le terrain, l’écart s’est ainsi considérablement creusé entre les espaces adverses qui se partagent le Vietnam. Bao Dai contre Ho Chi Minh, c’est à la fois le Sud contre le Nord et la ville contre la campagne. Le territoire du Viet Minh, nettement plus étendu au Nord, s’identifie également, par la force des choses, au Vietnam rural, et même au Vietnam des régions reculées, où la vie est rythmée par le pas lent des buffles ou le glissement des sampans. De ce côté, comme le constate en 1953 un observateur français, « le village reste la cellule vitale et c’est à sa permanence que l’on peut attribuer la solidité de l’économie vietminh »51. L’espace français, ou franco-vietnamien, par contre, est structuré par les villes, qui attirent au-delà du raisonnable une paysannerie fragilisée par la guerre. « Ce phénomène est particulièrement remarquable au Sud-Vietnam, note le conseiller financier français de Saigon : la population de l’agglomération Saigon-Cholon a ainsi progressé de 256 000 âmes en 1936-1939 à 492 000 en 1946 pour atteindre environ 1 600 000 en 1952, tandis qu’au cours de la même période les surfaces des rizières cultivées diminuaient de près de la moitié, rétrogradant de 2 300 000 ha (moyenne des années d’avant-guerre) à 1 287 000 ha (évaluation de l’année 1951) »52. Ainsi la population de Saigon-Cholon a-t-elle fait plus que tripler en six ans.
41Des comportements économiques diamétralement opposés se sont également développés dans les deux zones, où chacune dispose de sa propre monnaie. Accessoirement, cette guerre monétaire prendra des allures de guerre civile monétaire lorsque, dans les deux dernières années de la guerre, les billets « Bao Dai » de l’Institut d’émission se substitueront progressivement à ceux de la Banque de l’Indochine.
42Victimes de blocus économique ou de harcèlement militaire, à l’écart d’une manière générale des réseaux modernes de communication, les régions sous juridiction Viet Minh ne peuvent bien souvent que compter sur elles-mêmes. Depuis la fin des années 1940, elles fondent en particulier sur l’autarcie la perspective d’une guerre de longue durée. Si les responsables de la Résistance déploient des trésors d’ingéniosité pour maintenir ouvertes des voies commerciales qui lui soient propres, l’économie paraît fermée à tous les niveaux : même les unités militaires sont invitées à pourvoir à leur ravitaillement en entreprenant les cultures vivrières nécessaires53. La préoccupation est constante : tout au long de la guerre, quantité de notes et documents saisis par les services français, au Sud en particulier, portent sur ce thème. Les récoltes doivent être protégées, leur produit dispersé, camouflé, et la ration alimentaire, si le riz manque, doit savoir composer avec les aliments secondaires. L’économie est centrée sur la production vivrière, et les échanges, toujours périlleux, n’interviennent qu’en cas d’extrême nécessité54.
43Dans la zone franco-vietnamienne, ou « provisoirement contrôlée par l’ennemi » selon la terminologie Viet Minh, la monnaie est au contraire au cœur de nouveaux comportements économiques : la surévaluation de la monnaie indochinoise génère, on le sait, en particulier à Saigon, une forte dérive spéculative. Ce qui sera dénoncé comme « trafic des piastres » paraît être un véritable mode de fonctionnement. Faire de l’argent, traquer l’argent, chacun ne paraît plus savoir faire que cela. En 1953, le conseiller financier français de Saigon note prosaïquement : « Les échanges se sont multipliés, source de profits pour les intermédiaires et les spéculateurs. Une prospérité apparente règne dans les villes ». La dévaluation de la piastre, en mai 1953, arrivera trop tard pour contrarier le phénomène.
44Finalement, la division du Vietnam, imposée par la conférence de Genève de 1954 s’inscrit presque logiquement dans cette situation, même si les parties vietnamiennes au conflit furent les dernières à en accepter le principe. La guerre civile méthodiquement construite pendant les années de guerre avait fait son œuvre, aidée il est vrai par la configuration du pays : depuis longtemps, par exemple, il n’était plus possible de se rendre directement de Saigon à Hanoi, sinon par avion ou par bateau, tout le centre Vietnam septentrional, la région de Vinh en particulier, étant resté de 1945 à 1954 – et bien sûr au delà – sous l’autorité de la RDV... La division du Vietnam n’a pas été une solution à la guerre, mais bien un produit de la guerre.
B. DESTRUCTIONS ET DÉSTRUCTURATION
45D’importantes destructions humaines et économiques figurent au bilan de la guerre mais, pour bien en mesurer les conséquences, il faut les situer dans leur environnement, lui-même en plein bouleversement. Les pertes humaines pour les pays d’Indochine ne sont ainsi guère faciles à établir. Du côté des Forces armées de l’Union française – corps expéditionnaire et armées nationales – qui regroupaient plus de 500 000 hommes en 1954, l’estimation est faite : selon le dernier état des pertes établi par le ministère français de la Défense, l’ensemble formé par les autochtones du corps expéditionnaire et les troupes des États associés aurait compté au total 23 700 morts, moins que le corps expéditionnaire proprement dit, autochtones exclus – 40 450 morts55. Du côté du Viet Minh, par contre, le flou l’emporte : la RDV n’a pas fourni de données et la notion même de militaire, dans son camp, est toute relative ; n’a-t-elle pas, le 4 novembre 1949, décrétée la mobilisation générale des hommes et des femmes au-dessus de 18 ans, répartis ensuite, plus ou moins à temps complet, entre les forces locales, régionales et régulières56 ?
46On pourrait admettre par hypothèse que les pertes du Viet Minh ont été du même niveau que celle du corps expéditionnaire, soit environ 53 000 hommes morts ou disparus, et au moins autant de blessés : certes, le Viet Minh refusant la plupart du temps le combat, ses pertes pourraient être minorées, mais dans les batailles rangées du début des années 1950, à Hoa Binh par exemple, la tactique française consistait au contraire à détruire le corps de bataille adverse en neutralisant le plus possible de ses combattants. Un certain équilibre statistique pourrait donc s’établir. Cependant, même si l’on devait considérer les pertes Viet Minh à un niveau très supérieur, il faudrait en relativiser l’impact en raison de la forte croissance démographique des pays d’Indochine.
47Les destructions matérielles ne sont pas plus simples à évaluer. Faute d’estimations préalables ou d’inventaire de la valeur des biens détruits, il est par exemple impossible d’évaluer le coût de la politique de « terre brûlée » pratiquée en début de période par le Viet Minh, qui raya de la carte plusieurs petites villes du nord du pays, pour ne pas avoir à les offrir aux nouveaux conquérants, noya quelques mines et envoya ses commandos saboter les hévéas du Sud. On ignore également combien de buffles ont été mitraillés par les aviateurs français, puisque telle semble avoir été la consigne pour affaiblir le potentiel agricole de l’adversaire. D’une manière générale d’ailleurs, les opérations militaires se sont plutôt déroulées dans les campagnes, voire dans des régions montagneuses ou de confins : c’est donc surtout en termes de production agricole que leur impact pourrait être mesuré.
48La situation de la production agricole n’apparaît peut-être pas aussi dramatique que ces chiffres le suggèrent, en particulier au Sud-Vietnam. Au Nord, le partage de la récolte entre les deux camps, eux-mêmes très étroitement imbriqués dans le delta du fleuve Rouge, autorise-t-elle d’ailleurs des statistiques réalistes ? Au Sud, selon les services du haut-commissariat, la superficie des rizières exploitées a certes diminué de 44 % entre 1946 et 1951, passant de 2 300 à 1 288 milliers d’hectares, et la production de paddy d’environ 40 % par rapport à son niveau d’avant-guerre, diminuant de 3 à 1,8 million de tonnes57. Mais un rapport ultérieur signé Paul Bernard indique, sur la base de sources vietnamiennes, qu’avec les progrès de la pacification cette superficie est remontée à 2 016 milliers d’hectares, permettant une production de 2,8 millions de tonnes en 1953, peut-être de 3,3 millions de tonnes en 1954, autorisant alors un surplus exportable de 400 000 à 450 000 tonnes58. Le rapport Bernard que d’ailleurs le Conseil économique n’adoptera pas, incitait d’une manière générale à l’optimisme : « Malgré la guerre, titrait Le Monde en en rendant compte, la production industrielle et agricole se développe en Indochine »59.
49Certaines orientations économiques, de plus en plus tournées vers la consommation, sont également à mettre au compte de la guerre, en particulier en matière industrielle. On a dit les difficultés qu’éprouvaient les productions de base comme l’anthracite ou le caoutchouc à retrouver en fin de période ne serait-ce qu’un niveau d’avant-guerre. Le problème est plus général, comme l’analyse André Valls. « Alors que les activités agricoles et industrielles traditionnelles ont perdu de leur importance, écrit-il pour l’année 1953, la production de biens de consommation et certaines industries de transformation ont pris depuis 1945 un essor exceptionnel : l’extraction du charbon n’atteint encore que 35 % et la production de riz environ 60 % du niveau d’avant-guerre, mais la fabrication du tabac manufacturé est à l’indice 200 (base 100 en 1938), la production de bière est 5 fois 1/2 plus forte, la consommation des produits pétroliers et de l’électricité a triplé depuis 1939. » L’évolution de la structure des importations, évaluée fin 1952 par rapport à une base 100 en 1938, va dans un sens identique : la progression des produits pharmaceutiques (700), des cycles et véhicules automobiles (400 et 450), des produits laitiers aussi (295) relativisent celle du papier et de la farine (180), des filés de coton (175) et, surtout, des produits d’équipement – parachimiques et fers-aciers (110 et 120 seulement)60.
50« Sans doute cette modification dans l’importance relative des secteurs économiques est-elle due pour une large part à la présence d’un corps expéditionnaire important, suggère André Valls. Mais il est incontestable que les habitudes de consommation de la population autochtone ont été profondément changées à la faveur de la guerre. » Pour lui, la question est de savoir ce qui se passera à la fin du conflit : « La guerre a tellement bouleversé l’économie des États que l’on ne peut manquer de se préoccuper dès maintenant des conditions dans lesquelles pourrait s’effectuer la reconversion au cas où cesseraient les hostilités ». Les retrouvailles annoncées entre populations appauvries ou enrichies, selon qu’elles viendraient des zones Viet Minh ou franco-vietnamiennes, introduiraient un déséquilibre générateur de tous les troubles sociaux. « Une aide massive s’imposera à court terme si l’on veut éviter que le chaos ne succède à la guerre ».
51Au-delà de ces bouleversements, les englobant en quelque sorte, le morcellement économique et financier de l’Indochine, c’est-à-dire l’inverse du but recherché par les Français, apparaît peut-être comme la conséquence la plus lourde de la guerre. Ce morcellement affecte d’abord, et pratiquement depuis le début du conflit, les moyens de communication. Le réseau routier était l’un des orgueils de la colonie. « Les voies de communication étaient pratiquement inexistantes en Indochine lors de notre installation, notait en 1931 un zélateur de l’empire. [...] L’Indochine est aujourd’hui dotée d’environ 30 000 kilomètres d’artères accessibles aux automobiles, comprenant plus de 13 000 kilomètres empierrés comme les meilleures chaussées européennes. »61 La construction de ces voies avait absorbé le quart des dépenses d’équipement de 1899 à 192362.
52Le réseau apparaît en 1954 largement déstructuré. Ses grands axes fonctionnent à peu près au Sud mais, au Nord, la route Haiphong-Hanoi semble être la seule route vraiment praticable ; et la route coloniale n° 1, reliant Hanoi à Saigon, est pratiquement coupée depuis le début des hostilités – et sans entretien – entre Thanh Hoa et Hué au moins. Pour les paysans vietnamiens, ce spectacle de désolation n’est pas nécessairement contrariant : « la route au Vietnam, écrivait Paul Mus, était d’abord la route française, un monde étranger qui ne les concernait pas, juste bonne à utiliser comme aire de séchage pour le grain ou à tailler en pièces pour le compte du Viet Minh »63. Pour le fonctionnement fédéral, par contre, la chose était plus ennuyeuse : les axes reliant le Vietnam et le Laos, par exemple, à travers la Cordillère annamitique, restaient à l’abandon faute d’avoir été utilisés : 15 ans après, dans le sud du Laos, sur la route déserte reliant la base française de Seno à Saigon, via le Cambodge et les plantations d’hévéas, les restes rouilles d’un convoi militaire français tombé dans une embuscade gisaient toujours en bordure de la chaussée64...
53Le chemin de fer n’est pas en meilleur état, et de lui aussi les Français étaient fiers. Œuvre de longue haleine, ponctuée de mille difficultés et de moments de découragement, le Transindochinois avait été inauguré en 1936 et mettait Saigon à moins de deux jours de Hanoi, rapprochant le Tonkin et la Cochinchine. Mais la ligne n’est plus assurée depuis 1945 : comment les trains auraient-ils pu traverser impunément des zones pour l’essentiel contrôlées par le Viet Minh ? Au Nord, dans le Centre Nord plutôt, ce dernier utilisa quelques tronçons pour transporter ses propres troupes ou marchandises, notamment autour de Vinh65 ; au Sud, la liaison Saigon-Nha Trang – « la rafale » – put pour l’essentiel être maintenue, au prix d’une coûteuse militarisation. Quelques liaisons plus courtes ou dessertes locales continuèrent également à fonctionner.
C. L’ÉCLATEMENT DE LA FÉDÉRATION
54L’Union monétaire et douanière entre les États associés connaît la même évolution. Le système mis en place par les conventions de Pau en 1950 n’avait en fait jamais très bien fonctionné : l’Institut d’émission avait été, on le sait, la seule institution prévue par ces conventions à avoir été réellement constituée ; le nationalisme douanier prit vite le dessus, en particulier au Vietnam, il est vrai peu avantagé par le système ; les conférences intergouvernementales réunies en 1952 et 1953 glissèrent progressivement vers le blocage. Les relations entre Vietnam et Cambodge, en particulier, s’aigrissaient à vue d’œil : les conventions sur la navigation sur le Mékong et l’utilisation du port de Saigon tardaient à entrer en application et le ton déjà peu amène de certains échanges entendus à Pau faisaient désormais figure de propos de salon.
55Rendant compte de l’atmosphère de la conférence inter-gouvernementale de Phnom Penh en mars 1953, le conseiller André Valls paraît découragé : « Vietnamiens et Cambodgiens ne s’entendent sur rien. Ils sont aussi entêtés et de mauvaise foi les uns que les autres. [...] Au cours de deux entretiens que j’ai eu avec le président du gouvernement vietnamien, S. E. Tarn m’a dit en propres termes : Je me fous de l’Union douanière. Le Vietnam n’a pas besoin du Cambodge. On nous force à vivre ensemble alors que le Cambodge est un pauvre peuple. Je sais comment il faut traiter ses habitants. Uniquement par la force. Toutes ces questions seront réglées quand je pourrai envoyer à la frontière quelques bataillons vietnamiens ! Inversement, les Cambodgiens accusent leurs voisins de vouloir tirer la couverture à eux et de méconnaître les droits du Cambodge à l’existence : ce sont les propres expressions de S. E. Pen Nouth, président du Conseil du Cambodge. Les relations entre les États ne sont donc pas très cordiales »66.
56Les négociations de l’année 1954, censées destinées à appliquer la déclaration gouvernementale française du juillet 1953 en faveur de l’indépendance des États associés, furent placées sous le signe de la liquidation. Le coup de tonnerre de Dien Bien Phu éclate alors qu’est réunie à Paris une conférence franco-vietnamienne (État associé) occupée à aménager le système de Pau et à négocier un traité d’indépendance et d’association... Celui-ci sera signé on le sait le 4 juin mais assez discrètement, alors qu’une autre conférence, celle de Genève, tient la vedette.
57Avec les États associés, ou qui l’étaient encore, la question monétaire restait également à résoudre. Elle fut l’un des principaux objets de la conférence quadripartite réunie à la fin de l’été à Paris par Guy La Chambre, ministre des Relations avec les États associés. En conviant ses collègues du gouvernement à y assister ou à s’y faire représenter, il en avait donné l’ordre du jour : les « modalités de dissolution de l’Union monétaire et de l’Union douanière indochinoise », la « liquidation des organismes quadripartites », comme l’Institut d’émission, et le « régime du port de Saigon »67.
58La conférence de Paris, inaugurée le 20 août 1954, dura quatre mois : le quadripartisme de Pau s’avéra aussi complexe à liquider qu’à construire68. La liquidation du Trésor Indochinois, qui avait pourtant cessé d’exister en 1951, s’ajoutait au transfert des prérogatives de l’Institut d’émission aux institutions monétaires des trois pays Indochinois, à la répartition du bilan de clôture de la Caisse autonome de gestion et d’amortissement de la dette, à l’abrogation de l’Union douanière, à la liquidation de l’Office des changes ou au régime de navigation maritime et fluviale sur le Mékong... Sur tous ces points, les États continuaient à s’opposer entr eux et la France cherchait à préserver ses intérêts.
59Le plus important des onze accords, presque tous signés le 30 décembre 1954, était d’ordre monétaire au 1er janvier 1955, chacun des trois pays recouvrerait son indépendance financière et l’Office des changes, maintenu jusqu’alors entre des mains françaises, disparaîtrait. Le chef de la délégation vietnamienne, Nguyen Van Thoai, lors de la signature d’une convention bilatérale complémentaire, put se féliciter de signer « le premier acte qui définit à neuf les rapports économiques et financiers entre l’ancienne colonie devenue indépendante et l’ex-tuteur resté ami et allié ».
60Mais tous les malentendus n’étaient pas dissipés, loin s’en faut. Dans les discours, tout allait bien : quelques jours plus tard, le 6 janvier 1955, Ngo Dinh Diem, premier ministre vietnamien depuis juin, souhaita ainsi rappeler qu’« indépendance ne veut pas dire xénophobie [...]. Nous désirons renforcer nos relations avec les pays amis, ajouta-t-il, et d’abord avec notre ancien partenaire, la France, et nos deux voisins, le Cambodge et le Laos ». Il précisa, à propos de la convention bilatérale signée avec la France, que « la signification générale de cet accord, librement souscrit entre nos deux pays, réside dans l’aide financière que la France concède au soutien de notre monnaie, aide compensée par des avantages économiques qui seront accordés, en retour, au commerce français »69. Mais les faits ne concordaient pas toujours avec les mots : depuis le 1er janvier 1955 également, les États-Unis pouvaient attribuer directement leur aide au Sud-Vietnam et à ses voisins ; et si la conférence de Paris s’achevait sur le maintien de ces derniers dans la zone franc, le Sud-Vietnam en sortira un an plus tard, dès le 1er janvier 1956. L’échec français est alors à peu près complet et sur tous les plans.
61Que chaque pays d’Indochine recouvre sa souveraineté monétaire, avec trésors nationaux et banques centrales, émettant des monnaies qui s’appelleront bientôt dông pour le Vietnam, riel pour le Cambodge et kip pour le Laos, tout cela s’inscrit sans doute dans la logique de la décolonisation. Mais il faut préciser qu’il n’y a pas seulement, dans l’Indochine de la fin 1954, trois zones monétaires mais quatre, puisque la conférence de Genève, le 21 juillet, avait entretemps assorti le cessez-le-feu au Vietnam d’une partition territoriale. Cette partition est certes conçue comme provisoire, et il n’est question dans l’accord de Genève ni de situations économiques ni de souverainetés monétaires : « En attendant les élections générales qui réaliseront l’unité du Vietnam, précise seulement le texte de l’accord l’administration civile dans chaque zone de regroupement est assurée par la partie dont les forces doivent y être regroupées aux termes du présent accord »70. Mais, on le sait, la zone Nord a déjà sa propre monnaie et les élections générales n’auront pas lieu : la décolonisation s’accompagne d’un émiettement monétaire.
62Avec cette décolonisation un peu particulière sont enfin revenus sur le devant de la scène les vieux rapports de force que la France pouvait avoir l’impression d’avoir étouffé, ou du moins contenu. L’idée de protéger le Cambodge et la Laos des ambitions vietnamiennes – les royaumes khmer et lao avaient au départ été pratiquement recréés par la France – était contenue dans le projet fédéral. Dans un rapport de la rue de Rivoli rédigé au lendemain de l’accord du 8 mars 1949 avec Bao Dai, qui oblige à restructurer la fédération, ce point figure dans l’énumération des « intérêts propres » que la France se doit de défendre : il s’agit en l’occurrence « de conserver la perception d’un certain nombre de recettes fiscales pour éviter que le Vietnam n’écrase le Cambodge et le Laos »71. Ce souci était aussi en filigrane des conventions de Pau, fiscalement désavantageuses pour le Vietnam, comme on peut le voir sur le tableau suivant. Par contre, en 1954, les clés de répartition de ce qui reste à se partager – dettes et créances, actif et passif –, et qui firent l’objet de longues négociations, paraissaient plus conformes au déséquilibre traditionnel entre les trois États Indochinois, comme dans le cas du « partage des dépouilles » de l’ancien Trésor Indochinois, gérées par l’Institut d’émission sous la forme d’une Caisse autonome de gestion et d’amortissement de la dette72.
63La fin de la guerre d’Indochine et la décolonisation s’accompagnent ainsi en Indochine d’une véritable balkanisation de la péninsule, en particulier sur les plans économique et financier. Quatre entités succèdent à cette Union qui n’avait jamais pu être durablement construite. À l’intérieur de ces entités, l’émiettement avait été lui-même favorisé par les conditions mêmes de la guerre : l’imbrication des zones, Viet Minh et gouvernementales, mais aussi Caodaïstes ou Binh Xuyen, chacune levant des taxes à qui franchissait ses limites, faisait de la carte réelle un puzzle de féodalités à l’emprise durable. Quant aux quatre États, ou bientôt reconnus comme tels, ils apparaissent solidement verrouillés : à l’image du chemin de fer, toutes les relations seront rapidement suspendues entre le Nord et le Sud du 17e parallèle ; le Cambodge et le Sud-Vietnam, qui ont entre eux les frontières les plus ouvertes, sont en même temps ceux des trois ex-États associés qui s’entendent le moins ; le Laos, enfin, n’a de frontières terrestres vraiment utilisables ni avec le Sud-Vietnam ni avec le Cambodge. Bientôt, la « piste Ho Chi Minh », faisant se rejoindre secrètement Nord et Sud-Vietnam, via Laos et Cambodge, inaugurera une nouvelle perspective de réunion indochinoise...
III. UN NOUVEL ÉTAT DES LIEUX
64L’Indochine de la fin 1954, rendue à la paix mais partagée entre vainqueurs et anciens partenaires de la France, se décline donc désormais en quatre sous-ensembles : deux moitiés de pays – le Vietnam – aux statuts incertains, puisque les accords de Genève en ont formellement prévu la réunification après des élections générales à tenir en 1956 ; et deux pays, Cambodge et Laos, retrouvant à première vue leurs frontières nationales, mais n’ayant en fait jamais fonctionné dans ces dimensions en dehors du Protectorat. Décolonisation et guerre froide se combinent pour donner aux lieux leur nouvelle configuration : celle-ci est déjà, on le sait, l’une des principales conséquences de la guerre.
65Comment chaque entité – on n’ose dire chaque pays – s’y retrouve-t-elle ? La situation nouvelle, sans doute, c’est d’abord ce « chacun chez soi » et ce chacun pour soi – pour des raisons qui tiennent, ici, aux vieux antagonismes nationaux (Cambodge et Vietnam) et, là, aux conflits idéologiques du moment (Nord et Sud-Vietnam). Le capitalisme français, pour reprendre la formule d’André Valls, ne contrôle plus la situation, sinon localement par le biais d’investissements résiduels. Pour la France, les résultats obtenus se situent aux antipodes de ce à quoi elle aspirait dans la région. Pour les pays d’Indochine vient le temps de l’incertitude et de la division.
66Mais le ton est donné. Le 1er janvier 1955, le jour même où l’État associé du Vietnam, confiné au Sud, célèbre à Saigon l’indépendance retrouvée sous les auspices américains, la RDV manifeste en grande pompe son retour à Hanoi, par un meeting monstre suivi d’un défilé de plus de cinq heures sur lequel flottent les portraits géants des héros – de Marx à Mao – du monde communiste73.
A. LE NORD-VIETNAM
67En principe provisoire, l’administration qui s’installe après le cessez-le-feu au nord du 17e parallèle a toutes les antériorités – presque toutes les légitimités. Cet État n’est-il pas centré sur le delta du fleuve Rouge, le berceau du Vietnam, qui fut durant des siècles son unique territoire, avant que la pression des paysans viet et les défaites militaires des pays voisins (Champa et empire khmer) ne lui ouvrent la direction du Sud ? Le gouvernement qui entre à Hanoi en octobre 1954, par ailleurs, ne fait pas qu’y entrer : il y revient, après l’avoir quitté huit ans plus tôt et survécu aux offensives du corps expéditionnaire. À l’automne 1954, selon la terminologie en vigueur, la République démocratique du Vietnam prend donc en charge les « régions nouvellement libérées » où bientôt, on le sait, comme un symbole, « seul le papier-monnaie émis par la Banque d’État du Vietnam – le dông – a cours légal »74.
68Le pays apparaît cependant petit, meurtri. Environ 160 000 km2 et 13 millions d’habitants, dont près de la moitié entassés dans le delta du fleuve Rouge à raison de plus de 800 par kilomètre carré dans certaines provinces, comme Thai Binh ou Nam Dinh. Le Nord porte partout les stigmates de la guerre dont, il faut le rappeler, il a été le théâtre principal : Hoa Binh, Vinh Yen, Dien Bien Phu bien sûr, mais aussi et peut-être surtout ce delta, « pourri » par une frontière invisible traversant chaque village, différente le jour et la nuit. Quelle famille n’a eu un enfant dans l’armée populaire ou l’armée nationale ? Les premiers reviennent avec le cessez-le-feu, les seconds doivent partir vers le Sud avec leurs unités ; quelque 800 000 catholiques leur emboîtent le pas derrière leurs curés. Le 2 septembre 1954, dans un discours commémorant la déclaration d’indépendance de 1945 et alors que les forces françaises sont toujours présentes à Hanoi et Haiphong, Ho Chi Minh reste discret au chapitre économique. Il s’en tient à quelques formules générales, conciliantes : il faudra « accélérer l’émulation dans la production et mettre à exécution la décision de respecter les intérêts publics aussi bien que les intérêts privés [...]. La ville et la campagne s’aideront mutuellement. Le libre trafic des denrées à l’intérieur et à l’extérieur du pays sera garanti pour remettre sur pied et augmenter la production de façon à contribuer à la prospérité économique et à améliorer les conditions de vie du peuple »75.
69La nouvelle situation du Nord comporte deux aspects, l’un intérieur, l’autre international. Le premier paraît reléguer aux oubliettes le second – c’est-à-dire notamment les investissements français encore présents sur place : la RDV entre en effet dans une « période de transition ». Pour ses économistes, il s’agit « d’une région d’économie agricole reposant essentiellement sur la petite production individuelle, avec des îlots d’économie capitaliste. L’industrie y est à l’état embryonnaire. La superficie moyenne des terres cultivables ne dépasse pas 1/10 d’hectare par tête d’habitant. L’excédent de main d’œuvre dans le delta est énorme, le niveau culturel de la population encore bas, le potentiel technique légué par l’ancien régime insignifiant [...]. Les destructions de guerre sont importantes. D’où une productivité très faible, un niveau de vie très bas. Cet état de choses dresse évidemment de nombreux obstacles sur la voie du socialisme »76...
70Les investissements français présents au Nord au moment du cessez-le-feu sont tout de même un sujet de préoccupation. En marge de la négociation de Genève, dans une lettre adressée au président du Conseil Mendès France, Pham Van Dong donne une série de garanties de principe au maintien des activités françaises au Nord : « Les installations nécessaires au fonctionnement des services publics industriels seront maintenues. La propriété des biens et des entreprises sera sauvegardée et respectée. Les entreprises commerciales et industrielles [...] pourront choisir librement leurs collaborateurs, acquérir et utiliser sans entraves les biens meubles et immeubles qui seront nécessaires à leurs activités et ne devront faire l’objet d’aucune mesure discriminatoire en matière législative, administrative, fiscale et juridictionnelle. En cas de réquisition, d’expropriation et de retrait de concessions, les intérêts légitimes des ressortissants français seront pris en considération »77.
71Les entreprises françaises restent dans l’expectative. Le 22 juillet 1954, au lendemain de la lettre de Pham Van Dong, mais ses termes ne semblent pas lui être encore connus, le directeur des Finances extérieures Sadrin réunit rue de Rivoli les représentants des sociétés concernées, pour connaître à la fois leurs préoccupations et leurs situations réelles – activité, actifs, stocks... Vingt-cinq personnes sont présentes, de Paul Bernard – toujours là – à Lebée, président des Charbonnages du Tonkin, de Bousquet pour la Banque de l’Indochine à Cusin pour l’Institut d’émission78. La plupart des entreprises, Charbonnages, Cimenteries, Société indochinoise d’électricité, indiquent n’avoir aucun problème de stock ni d’approvisionnement. Quelles garanties souhaitent-ils pour pouvoir continuer à exercer leur activité ? L’expérience récente – à peine cinq ans – de la révolution communiste à Shanghai amène certaines entreprises à ne pas trop se fonder sur les garanties que le type de régime qui s’annonce au Nord pourrait leur fournir : pour l’Air liquide, il est facile d’étouffer les compagnies étrangères sans même avoir besoin de les nationaliser et la Société indochinoise d’électricité, qui a en mémoire une histoire d’otages arrêtés à Shanghai en garantie du paiement de certaines indemnités, se trouve en position d’autant plus vulnérable qu’elle ne peut interrompre son activité.
72Les sociétés présentes au Nord paraissent en fait se préparer au pire. Pratiquement toutes les grandes entreprises ont déjà leurs sièges sociaux à Saigon ou en France. « Si le Viet Minh ne souhaite pas que les entreprises françaises poursuivent leur activité, il n’y a qu’à partir, souligne Maxime-Robert pour la Banque de l’Indochine ; s’il souhaite qu’elles continuent, dans ce cas quelles garanties leur offre-t-il ? Il ne faudrait pas du reste s’illusionner sur la durée de ces garanties. » Le rachat des entreprises pose un double problème d’évaluation des affaires et de liquidités : dans quelle monnaie pourrait-il se faire. Avec les 3,5 milliards de piastres de l’Institut d’émission qui circulent au Nord, les nouvelles autorités auront plutôt à cœur d’acquérir des denrées de première nécessité et les médicaments dont elles ont besoin. La question est donc à la fois politique et financière : dans la négociation d’ensemble que chacun semble appeler de ses vœux, la question des paiements et donc de la monnaie sera centrale79.
73Une idée s’ébauche en attendant que les grandes lignes du régime monétaire du Nord-Vietnam soient esquissées, une idée favorablement examinée à la fois au commissariat général de France à Saigon, où le général Ély vient de remplacer en même temps Dejean et Navarre, à la Délégation de France à Hanoi, où Jean Sainteny revient dans l’été, et au ministère des Finances, en particulier à la direction du Trésor. « La tendance générale de cette maison-ci, ministre compris, écrit le sous-directeur du Trésor Dominique Boyer à propos de la rue de Rivoli, est a priori favorable au maintien des entreprises françaises en zone Nord et à l’établissement de relations commerciales avec la zone Viet Minh. À supposer que les autorités de la zone Nord soient dans les mêmes dispositions et que nos amis américains l’admettent, le problème revient à fournir des moyens d’achat à la zone Nord. »80 L’idée consiste à ouvrir un crédit à la RDV, par accord entre les deux gouvernements, permettant à cette dernière de financer le déséquilibre annoncé de ses échanges et, indirectement, de garantir sa monnaie – ce qui permettrait aux entreprises françaises qui se maintiendraient dans la zone Viet Minh « d’échanger des piastres Viet Minh qu’elles retireront de leurs activités à des conditions qui ne soient pas trop désavantageuses, contre des piastres de l’Institut d’émission qui leur permettront d’effectuer des transferts sur la zone franc »81.
74Croit-on vraiment à la tenue d’élections générales en 1956 et à la réunification du Vietnam qui s’en suivrait, quelle que soit la couleur politique de son gouvernement ? Lors de la réunion aux Finances extérieures du 22 juillet 1954, personne ne semble avoir évoqué cette perspective, qui aurait été pourtant de nature à relativiser les problèmes des entreprises françaises au Nord. Elle paraît cependant présente chez le général Ely, dernier commissaire général et commandant en chef français en Indochine. Imaginant que la RDV pourrait laisser sa monnaie cohabiter avec celle de l’Institut d’émission, il évoque cette perspective au lendemain du cessez-le-feu : « cette coexistence de fait des deux monnaies faciliterait le maintien de liens entre le Nord et le Sud et matérialiserait l’unité du Vietnam. Elle serait en revanche difficilement admissible par le Laos et le Cambodge, si une telle situation devait se prolonger dans le cadre monétaire défini par les accords de Pau. Une telle solution implique la mise en place dans un délai très rapide d’instituts d’émission analogues »82. On sait ce qu’il advint : l’éclatement de l’Indochine était pratiquement déjà écrit et nul ne semblait vraiment soucieux de maintenir l’unité du Vietnam, au moins de cette manière.
75À Hanoi même, d’où la France doit évacuer ses derniers soldats le 10 octobre 1954 et où la colonie française regroupe encore en septembre quelque 3 500 personnes, l’ambiance n’est pas à l’optimisme. Les entreprises commerciales se replient sur leur siège de Haiphong, qui ne doit être évacuée que fin mai 1955 ; les banques attendent d’hypothétiques accords monétaires entre les deux gouvernements ; les commerçants de détail liquident leurs stocks et un store sur trois reste baissé dans les rues commerçantes ; les petites industries tentent de s’accrocher, comme les Cycles d’Indochine, avec sa centaine d’ouvriers ; quant à la masse des petites affaires, souvent montées par des militaires démobilisés, elles semblent partagées entre le caractère impensable d’un départ et l’angoisse de devoir pourtant décrocher83. Un mois après la prise en main de la ville par les autorités populaires, des techniciens français demeurés volontairement sur place continuent cependant de faire tourner les usines de distribution d’eau et d’électricité, tout en commençant à former ceux qui, nul ne semble en douter, seront bientôt appelés à les remplacer.
76Deux mois après le départ officiel des Français de Hanoi, les relations se réchauffent. Un accord est trouvé le 10 décembre 1954 à l’issu d’une visite au Nord de chefs d’entreprises français, en particulier de Lefaucheux, directeur général de la Régie Renault – qui envisage d’installer au Vietnam une chaîne de montage de la « 4 ch ». L’accord porte sur les conditions dans lesquelles les entreprises françaises pourront continuer à exercer leur activité au nord du 17e parallèle : elles auront en particulier le choix entre conserver leur statut ou se transformer en société mixte, avec des capitaux vietnamiens. Le maintien d’un petit courant de coopération culturelle avec la France est parallèlement négocié. Air France met à l’étude une liaison aérienne Paris-Hanoi via Calcutta. Dans la région de Haiphong, qui ne doit donc être évacuée qu’à la mi-mai 1955, on envisage même la création d’une zone franche – à Haiphong ou dans la région côtière des Charbonnages84.
77Mais il ne se passera rien, trop de mauvaises fées s’étant penchées sur le berceau de ces nouvelles activités. Abstraction faite des vrais sentiments de la RDV sur le sujet, il paraît clair que la méfiance, voire la mauvaise volonté, dominent du côté français, ainsi que le peu d’attrait à rester travailler dans une situation désormais fort peu « coloniale » : « Quelle valeur représentent les garanties du Viet Minh aux entreprises françaises ? » s’interroge en titre le Journal d’Extrême-Orient de Saigon, le jour même de la publication du communiqué annonçant l’accord franco-vietnamien du 10 décembre. L’idée est la suivante : « La plupart des garanties offertes sont disposées de telle sorte que le gouvernement vietminh aurait les plus grandes facilités pour les tourner »85. S’ajoute à cet état d’esprit la pression américaine : certaines entreprises françaises concernées ont trop de liens financiers avec les États-Unis, ou commerciaux avec la zone dollar, pour rester insensible à l’accusation possible de trahison, ou à la perspective de voir brandir contre elles la législation qui interdit tout commerce avec les pays communistes. À Paris, d’ailleurs, le gouvernement ne se donnait pas beaucoup de mal : la RDV ne fut même pas reconnue et, faute de réciprocité, la Délégation de France, installée dans les locaux mêmes où de Lattre avait établi son état-major, entrera dans une longue somnolence.
78Les sociétés françaises finirent donc par renoncer, à l’instar des Charbonnages du Tonkin : après plusieurs mois de négociations, qui apparaissaient à tous comme un test, le fleuron des investissements français au Nord jette l’éponge, un peu plus d’un mois avant l’évacuation totale de Haiphong. Dès le 18 mars 1955, une opération de démontage du matériel de provenance américaine avait commencé à Cam Pha et Hong Gay, sous la protection d’importantes forces militaires et même d’une « dinassaut », pour surveiller les entourages. L’accord intervient avant que tout ne soit évacué : signé le 9 avril 1955, il prévoit le rachat par la RDV des installations, du matériel et des approvisionnements de la société française, dont l’ensemble a été estimé à 5 milliards de francs. Les versements s’effectueront en livraisons de charbon, directement exportées et commercialisés par la SFTC, à hauteur de l’estimation effectuée : 1 million de tonnes livrables pendant 15 ans86.
79Livré à lui-même, le Nord a déjà entrepris sa reconstruction, une reconstruction tournée vers de nouveaux alliés. L’heure est à la relance de la production agricole, « clé de la restauration économique » du pays, plutôt qu’à un approfondissement de la réforme agraire lancée en 1953 – mais celle-ci n’est bien sûr pas abandonnée87. L’agriculture n’est pas la seule priorité : les infrastructures de transport, routes et voies ferrées, ponts et barrages, doivent être réparées d’urgence, en particulier la voie ferrée qui relie Hanoi à Lang Son, par où doit être acheminée l’aide chinoise à la RDV : paysans, militaires et manœuvres travaillent jour et nuit avec des techniciens chinois pour remettre sur pied le ballast, les rails, et remplacer les ouvrages d’art détruits. L’inauguration de la liaison est fêtée à Lang Son en mars 1955, environ deux mois avant que les Français n’évacuent complètement Haiphong. Pour le reste, l’URSS et les pays d’Europe de l’Est envoient du matériel de travaux publics et de génie rural par bateau, sans pour autant empêcher les paysans mobilisés de déplacer au panier des mètres cubes de terre88.
80Peu après l’ultime départ des Français de Haiphong, en juin et juillet 1955, Ho Chi Minh fait la tournée de ses nouveaux alliés. De Pékin, il ramène un don de 800 millions de yuan – environ 120 milliards de francs. De Moscou une aide également non remboursable de 400 millions de roubles – l’équivalent de 34 milliards de francs – assortie d’autres accords, sur les échanges et la formation des techniciens et des cadres. L’enveloppe financière n’est pas négligeable : elle est supérieure à l’aide attribuée par les États-Unis, via la France, au financement des plans de campagne des États associés pour 1954 : 154 milliards de francs contre 135. Ingénieurs et techniciens soviétiques ou chinois croisent déjà aux frontières du Vietnam étudiants ou ouvriers partant en formation. Mais bien sûr, aux yeux du nouveau régime, il n’est pas question de placer tous les types d’aide sur le même plan : « Cette aide altruiste et inconditionnelle au bénéfice du peuple est complètement différente de l’aide telle que la conçoivent les impérialistes, croit devoir expliquer Ho Chi Minh. À travers leur aide, les impérialistes visent toujours à l’exploitation et à l’esclavage des peuples. Le Plan Marshall, qui a graduellement empiété sur la souveraineté des pays bénéficiaires, en est une preuve éloquente »89. Aucun doute, donc : le Nord-Vietnam s’est bien branché sur le bloc socialiste.
B. LE SUD-VIETNAM
81La décolonisation était radicale au Nord ; elle fut plus évolutive au Sud mais guère plus glorieuse pour la France, en dépit des discours amicaux. Si la France conserve en effet de réelles positions au sud du 17e parallèle, l’évolution sur place ne lui est pas pour autant favorable. Au Nord la France s’était retrouvée face à son vainqueur et n’avait pas fait – ou pas pu faire – grand-chose pour le dissuader de se tourner quasi exclusivement vers le bloc communiste. Au Sud où elle replie ses forces, elle doit compter avec un « associé » auprès duquel elle a perdu l’essentiel de son prestige et dont le nouveau premier ministre, Ngo Dinh Diem, regarde clairement vers Washington90. Mais, à la différence de l’impression qu’elle donne au Nord, celle d’une absence de politique, la France y organise pratiquement elle-même le passage de relais aux États-Unis, leader incontesté du bloc occidental. Sans doute faudrait-il distinguer ce qui se passe au niveau local, à Saigon en particulier, où l’ambiance paraît très tendue entre Français et Américains, et ce qui se passe au niveau international, où le ton des relations bilatérales est nécessairement plus « diplomatique ». Le transfert d’autorité, si l’on peut dire, s’effectue à l’automne : l’essentiel semble en effet décidé à Washington lors des entretiens de la fin septembre 1954, trois semaines après que la France eut signé le traité de Manille, le 8 septembre, et donc avalisé le nouveau système américain de sécurité en Asie du Sud-Est.
82Politiquement, la France s’efface au Sud parce qu’elle n’a pas d’autre choix, notamment sur le plan budgétaire. Du 27 au 29 septembre 1954, Guy La Chambre, ministre des États associés, et Edgar Faure, ministre des Finances, ont plaidé les intérêts financiers de leur gouvernement devant une délégation américaine dirigée par le secrétaire d’État par intérim Bedell Smith. Edgar Faure a expliqué la nécessaire réduction des dépenses dans son prochain budget qui, bien sûr, ne peut porter « sur les dépenses en Europe, qui sont indispensables au maintien du programme de défense dans le cadre de l’OTAN : il faut donc inéluctablement qu’elles portent sur les dépenses d’Indochine »91. Indochine encore à vendre... Le communiqué final donne satisfaction à la délégation française : « les États-Unis considéreront la question d’une contribution financière au corps expéditionnaire, s’ajoutant à l’aide accordée à chacun des trois États associés pour ses forces armées ». En échange, le gouvernement français se rallie à un octroi direct de l’aide américaine à chacun des trois États92. Le général Ély, qui participait aux entretiens, peut en informer Bao Dai sur la route qui le ramène à Saigon : la politique française est désormais de ne pas contrecarrer les États-Unis au Vietnam, au nom de la solidarité occidentale...
83C’est dans ce contexte de démission, et par ailleurs au seul Sud, que la France a rendu au Vietnam les derniers attributs de sa souveraineté. Que restait-il d’ailleurs à négocier ? Le 20 août 1954, un peu plus d’un mois avant les entretiens de Washington, avait été convoquée on le sait la conférence quadripartite chargée d’en finir avec les accords de Pau93. Dans les principaux accords qui seront signés le 30 décembre 1954, transférant au Vietnam à compter du 1er janvier 1955 le privilège d’émission et le contrôle des changes, apparaît le nom de la Banque nationale du Vietnam – qui en comporte désormais deux94. Le ton reste amical mais la réalité est plus abrupte : la consolidation politique du gouvernement Diem, restée très incertaine pendant les premiers mois de 1955, ne pouvait s’effectuer sans l’appui de conseillers américains, à coups de batailles rangées dans les rues de Saigon avec les sectes et de campagnes de presse anti-françaises.
84Le Sud-Vietnam passe complètement en 1955 dans l’orbite des États-Unis. Alors que le corps expéditionnaire français va recevoir 100 millions de dollars (35 milliards de francs) pour son stationnement et son rapatriement progressif, l’armée nationale – désormais sud-vietnamienne – va bénéficier du double : 200 millions de dollars (70 milliards de francs). Cette somme est certes bien inférieure aux 385 millions attribués aux États associés pour l’année 1954, mais on est alors en temps de paix. L’aide économique aux États associés passe de 25 à 100 millions de dollars et une aide directe de 300 millions de dollars est demandée pour le Sud-Vietnam95. Cela représente une enveloppe globale de 120 à 130 milliards de francs, d’un montant à peu près équivalent à ce que le Nord obtient cette même année de ses alliés chinois et soviétiques. Le gouvernement de Saigon annonce également sa décision de sortir de la zone franc à compter du 1er janvier 1956. Le général Navarre, qui va bientôt publier l’ouvrage retraçant sa malheureuse expérience en Indochine, ne masque pas son amertume : « On prend notre place, mais sous une forme presque invisible et que permet seule la puissance du dollar. Il n’y a pas de gouverneur, de résident ou de haut-commissaire américain, mais il y a un ambassadeur des USA, sans la permission duquel rien ne se fait. Les peuples se croient libres parce que gouvernés par des politiciens de leur race, sans voir que ceux-ci, impitoyablement tenus par l’argent, ne sont que des marionnettes américaines »96.
85Qu’en est-il des investissements français ? Au moment de l’armistice, toutes les entreprises un tant soit peu importantes au Sud sont françaises, en particulier tous les services publics – transports, électricité, eau. Les investissements privés vont, approximativement, pour 50 % dans l’industrie – mais il s’agit surtout d’industries légères, comme les Brasseries et Glacières de l’Indochine –, pour 35 % dans les plantations d’hévéas, pour 10 % dans les entreprises commerciales et pour 5 % dans les transports. Curieusement, alors que le contexte politique est tout de même bien différent de celui du Nord les dirigeants d’entreprises paraissent très inquiets. « Sceptiques quant aux possibilités de rétablir des courants économiques au Nord-Vietnam, les milieux d’affaires français n’espèrent pas davantage maintenir leurs positions au Sud, note Max Clos dans un reportage. Faisant preuve d’un net pessimisme, industriels et commerçants ne s’entretiennent à Saigon que des possibilités de la vente de leurs installations et du réinvestissement de leurs capitaux ailleurs, parfois au Cambodge, plus souvent en France ou en Afrique »97. Deux raisons au moins expliquent cette attitude : d’une part le fait que la France ait dû abandonner le contrôle de l’Office des changes et, d’autre part, la conviction de tous que la RDV remporterait les élections toujours prévues pour juillet 1956...
86La France maintient pourtant au Sud une forte présence économique, malgré les occasions offertes à de nouveaux désinvestissements. Après Dien Bien Phu, alors que la France détenait encore l’Office Indochinois des changes pour quelques mois, la rue de Rivoli n’a en effet pas vraiment cherché à retenir sur place les capitaux « coloniaux ». Le régime des transferts financiers fut assoupli par une nouvelle instruction dans l’été 1954 : « Les entreprises sous contrôle français exerçant leur activité en Indochine peuvent désormais, quel que soit le lieu de leur siège social, procéder au transfert sur le reste de la zone franc de leurs bénéfices, même non distribués », ce qui n’était pas le cas auparavant. Les transferts en francs de sommes provenant de la réalisation d’actifs sont également autorisés et « les Français qui ont manifesté le désir de rentrer définitivement peuvent enfin transférer immédiatement une partie au moins de leurs avoirs »98. Un certain emballement des transferts financiers de l’Indochine vers la France s’est tout naturellement manifesté mais les grands du capitalisme colonial – Banque de l’Indochine en tête – avaient on le sait déjà transféré l’essentiel.
87Dans le même temps, depuis la métropole cette fois, certains grands patrons français regardent l’Indochine avec des yeux neufs. Pierre Lefaucheux, directeur-général de la Régie Renault, dont on a déjà signalé le séjour à Hanoi, indique à son retour dans une conférence de presse, début janvier 1955, toutes les raisons qui, selon lui, militent en faveur d’une présence active de la France au Vietnam : l’immensité du marché asiatique, le rôle de « plaque tournante » de l’Indochine, les atouts dont la France dispose sur place, la nécessité d’accompagner le redressement économique du pays... La Régie, annonce-t-il, va installer une chaîne de montage à Saigon, avec des capitaux et un personnel vietnamiens, et redémarrer les services de réparations qu’elle possède au Nord, mais dont l’exploitation a cessé. Le risque de 1956, pour lui, doit être ramené à ses justes proportions. Attention d’ailleurs, prévient-il, si la France ne court pas ce risque, ses concurrents sont prêts à le faire99.
88En attendant, le Sud-Vietnam apparaît pour ce qu’il est : un petit pays, lui aussi, de 170 000 km2 et 12 millions d’habitants environ. Aucun des nouveaux dirigeants de Saigon n’a accueilli avec satisfaction la partition du pays mais, à considérer l’histoire, un Sud séparé peut toujours être viable : ne s’est-il pas d’une certaine manière construit sans lien avec le Nord, depuis Hué, aux xviie et xviiie siècles, alors que le Vietnam était déjà divisé ? Les ressources minières du pays se trouvent certes au Nord, un peu comme en Corée, elle aussi divisée, mais en revanche le potentiel agricole est appréciable : c’est le Sud qui fournit au pays l’essentiel de ses exportations de riz et toutes ses ventes de caoutchouc. L’application de l’accord de Genève perturbe sans doute un peu les campagnes : dans les régions qui avaient vécu sous contrôle Viet Minh, les retrouvailles avec les anciens propriétaires fonciers, lorsque ceux-ci s’étaient repliés sur la ville, ne pouvaient toujours être faciles. Mais la réforme agraire inaugurée en 1953, parallèlement à celle de la RDV, est relancée dès janvier 1955 par une ordonnance fixant le statut du fermage100.
89Sur le plan agricole, le Sud redémarre à un niveau modeste, comme l’indiquent les données disponibles, comparant la situation de 1955 à celle d’avant-guerre. La question du riz a été évoquée plus haut ; celle du caoutchouc apparaît également significative.
90Apparemment, un certain niveau de production a été retrouvé, mais il faut le relativiser : comme l’indique le tableau suivant, le Sud-Vietnam fait assez pâle figure à côté des grands producteurs d’Asie du Sud-Est et de la progression qu’ils affichent101.
91Pour le Sud-Vietnam, l’héritage de la guerre d’Indochine est cependant plus lourd et complexe que ces retards de production. En 1954, les dépenses militaires françaises alimentaient encore à Saigon cette « prospérité artificielle » dénoncée plus haut102. Sans doute ce caractère favorise-t-il l’insertion de tout ce que le Nord compte de bourgeoisie et de notables anticommunistes, dont la métropole du Sud devient le point de ralliement. Mais dans le même temps, le Sud doit assumer la charge des centaines de milliers de réfugiés venus du Nord, eux-mêmes essentiellement catholiques et dirigés vers la région saigonnaise – même si le gouvernement peut compter dans ce domaine sur un financement américain. En tout état de cause, il n’est pas sûr que le Sud, désormais directement alimenté en dollars, retrouve si facilement le chemin d’une saine production économique, que la gangrène spéculative de l’époque de la guerre avait à Saigon largement ébranlé.
C. LE CAMBODGE
92A première vue, le Cambodge n’est pas en 1954 en mauvaise posture. Le pays ne compte qu’à peine plus de 4 millions d’habitants, trois fois moins que le Sud-Vietnam, mais il s’étale sur 180 000 km2, soit légèrement plus que chacune des deux moitiés du Vietnam : la partition de ce dernier limite ainsi, pour l’heure, la menace qu’il fait traditionnellement peser sur le royaume. Cette configuration du territoire laisse pourtant aux Khmers un souvenir mélangé, l’impression que la tenaille disposée autour de leur pays par la Thaïlande et le Vietnam peut encore se refermer : sans doute la France avait-elle obtenu de la Thaïlande, par le traité de Washington de novembre 1946, la restitution au Cambodge (comme au Laos) de ses territoires de l’Ouest, sorte d’« Alsace-Lorraine » ballottée depuis longtemps entre les deux pays et qui avaient été (re)pris par Bangkok en 1941, à la faveur de son alliance avec Tokyo ; mais, côté Est, l’abandon au Vietnam de Bao Dai, en 1949, de la souveraineté française sur la Cochinchine – terre anciennement khmère – avait été particulièrement mal ressentie au Cambodge, où elle avait réveillé les vieux démons nationaux.
93Des trois États associés, le Cambodge apparaît en 1954 comme celui qui dispose déjà de la plus large indépendance : n’a-t-elle pas d’ailleurs déjà été célébrée en grande cérémonie le 9 novembre 1953, à Phnom Penh, au lendemain du retour de Norodom Sihanouk dans son Palais ? Sa « croisade pour l’indépendance » avait été couronnée de succès : en exil volontaire depuis juin 1952, dans l’ouest du pays et autour du monde, il avait mobilisé tout ce qui pouvait l’être pour cet objectif et assez largement réussi, comme en témoignent les papiers Mayer, dans lesquels le dossier Cambodge figure en assez bonne place au moment où ce dernier est président du Conseil, début 1953103. La déclaration du gouvernement français du 3 juillet 1953, en faveur de l’indépendance des États associés, avait très directement concerné le Cambodge : dans les trois mois qui ont suivi, des accords avaient pu être trouvés pour transférer à Phnom Penh les services de justice et de police, ainsi que les pouvoirs militaires104. Depuis 1949 d’ailleurs, et le Cambodge se distinguait sur ce plan, l’armée royale assurait seule la sécurité des provinces occidentales de Siem Reap, Khompong Thom et, deux ans plus tard de Battambang.
94L’obstination mise par Sihanouk à lancer puis à faire aboutir sa « croisade pour l’indépendance » répondait en partie pour lui à une nécessité de politique intérieure : à la fois soucieux de peser sur les destinées de son pays et de le faire fonctionner selon des règles démocratiques, Norodom Sihanouk, placé sur le trône en 1941 par un conseil de régence au sein duquel la France exerçait le rôle prédominant, ne voulait laisser à personne d’autre que lui le monopole du nationalisme105. Sans vraiment respecter les résultats des élections de septembre 1951, remportées par le parti démocrate, le lancement de sa « croisade » ressemblait aussi, quelques mois plus tard, à une manière de coup d’État. Commentant la situation en mai 1953, le commissaire de la République Risterucci en donne à sa manière la signification : « Toute la vie politique cambodgienne, au cours du mois d’avril, a été dominée par l’explosion de nationalisme suscitée par l’interview donnée à New York par le Souverain. Si c’est pour acquérir auprès de l’intelligentsia cambodgienne une popularité supérieure à celle de Son Ngoc Thanh que le roi a voulu prendre publiquement une position aussi extrême, il a certainement réussi, du moins dans l’immédiat. [...] Cette partie du monde vit l’ère du nationalisme intégral »106. Il n’en reste pas moins que la surenchère nationaliste traduisait une aspiration nationale.
95L’indépendance militaire, en particulier, répond à une volonté ancienne, qui s’exprime notamment sur le plan budgétaire. L’armée khmère, en 1949, c’est-à-dire à l’époque du traité faisant du Cambodge un État associé107 regroupait un effectif d’environ 5 000 hommes. Mais selon une étude gouvernementale sur le sujet, il s’agissait déjà d’un « noyau solide ». Comparé à ceux des autres États associés, « le soldat khmer est certainement le plus courageux, précise-t-elle, [...] il est robuste et a peu d’exigences » ; ses officiers sont « d’excellents conducteurs d’hommes », encore que « le problème des cadres supérieurs reste posé ». L’armée royale constitue une troupe ethniquement homogène et fidèle, à cette particularité près que c’est « la haine du Vietnam (qui) est à la base de son dynamisme guerrier ». Sur le plan financier, le Cambodge est ainsi celui des trois États « qui contribue pour la plus grande part à l’entretien de son armée »108. En octobre 1952, on le sait, la France finançait 40 % des dépenses de l’armée cambodgienne, contre 60 % des dépenses de l’armée vietnamienne109.
96Le paradoxe était que la France, puissance « protectrice » du Cambodge depuis 1863 et garante de son territoire retrouvé, qui avait pu aussi mesurer le réveil national khmer lors de la conférence de Pau, paraissait l’avoir encouragé et ne résister que mollement à ses extravagances : mais si la France avait cédé sur la forme elle ne l’avait jamais fait sur le fond. C’est ainsi que le Cambodge, qui célébrait son indépendance en novembre 1953, n’avait pas pour autant recouvré la souveraineté monétaire : jusqu’à l’accord de Paris du 30 décembre 1954, qui met fin à la conférence quadripartite destinée à dissoudre l’Union monétaire et douanière, la monnaie cambodgienne reste la piastre de l’Institut d’émission des États associés présidé par Gaston Cusin. À l’instar de celles du Vietnam (Saigon) et du Laos, la Banque nationale du Cambodge, rapidement complétée par un Office national des changes, n’est créée que fin décembre 1954110.
97La question du siège de l’Institut d’émission, officiellement installé à Phnom Penh, illustre assez bien les relations entre la France, le Cambodge et le Vietnam. Les Cambodgiens n’étaient pas dupes d’une décision qui revenait à renforcer le Cambodge surtout symboliquement : « Sa Majesté le Roi, écrit en février Son Sann à son ministre des Finances, a daigné appuyer fortement la réclamation du Cambodge, qui a finalement obtenu satisfaction sur la question du siège à Phnom Penh. [...] Il n’en reste pas moins vrai que la direction de l’Institut, comme l’a signalé son Excellence Sam Sary, a agi de telle façon que tous les services sont concentrés à Saigon. En réponse aux protestations et aux attaques des administrateurs et censeur cambodgiens, on a pris comme prétexte l’impossibilité de trouver un terrain disponible »111.
98D’une manière générale, l’Union monétaire semblait convenir d’autant moins aux Cambodgiens qu’ils avaient le sentiment d’en faire les frais. Pour eux, la base cambodgienne de la monnaie indochinoise – si cette expression a un sens – est de bien meilleure qualité que celle de leurs voisins vietnamiens, compte tenu du solde positif de leurs exportations de riz et de caoutchouc. Le Cambodge estimait début 1953 « que si la piastre courante valait 17 francs, une éventuelle piastre cambodgienne vaudrait 22 francs ». La dévaluation de la piastre, le 11 mai 1953, intervenant en pleine « croisade pour l’indépendance », a bousculé cette estimation mais suscité plus encore le désir d’indépendance monétaire. Pour autant, l’indépendance formelle obtenue, et sans attendre la définition d’une monnaie nationale, le baromètre politique franco-khmer est vite revenu au beau fixe. Frappart, directeur général de l’Institut d’émission, rendait compte ainsi d’une mission qu’il effectua à Phnom Penh fin décembre 1953 : « L’impression générale et surprenante qui se dégage de ce bref séjour est celle d’une détente totale : depuis un an que j’ai pris mes fonctions, je n’ai jamais connu un pareil climat de cordialité au Cambodge. Les Cambodgiens ne craignent plus maintenant de s’afficher en présence de Français. [...] La tension avait atteint un tel degré d’acuité qu’il fallait que se produisit soit la rupture totale soit l’apaisement »112.
99Quant aux investissements et aux flux financiers générés par les activités françaises sur place, ils restaient modestes. Les capitaux étaient pour l’essentiel placés dans l’hévéaculture, dont les plantations formaient un prolongement géographique naturel de celles du Sud-Vietnam113. Mis à part le conditionnement du latex, les rares industries du Cambodge, de taille très modeste, transformaient des produits agricoles (distilleries, huileries, rizeries) et fabriquaient des matériaux de construction (briqueteries). Le Cambodge ne causait d’ailleurs aucun souci aux députés français lors des votes budgétaires, parce qu’il ne « coûtait » pas très cher : si l’insécurité régnait dans plusieurs provinces du royaume, cette guerre n’était pas vraiment la sienne. Phnom Penh ne s’est pas non plus distinguée comme place forte du trafic des piastres.
100Il n’en reste pas moins que le nouveau Cambodge, dans lequel Sihanouk consolide son pouvoir en 1955 en renonçant au trône au profit de son père114, pour mieux se consacrer à la gestion de l’État, doit faire face aux problèmes que pose l’indépendance. Ces problèmes sont les mêmes que ceux de ses voisins : l’aide étrangère reste indispensable. Elle demeurera française et américaine – l’USAID crée un bureau à Phnom Penh en novembre 1954115 ; mais le temps viendra vite d’une neutralité active, qui verra Sihanouk demander et obtenir l’aide de tous les camps ou presque, avant il est vrai se sombrer à son tour, emporté par la nouvelle guerre du Vietnam.
101Un important problème reste néanmoins à résoudre pour mieux asseoir cette indépendance : celui de l’accès du royaume à la mer. L’affaire a déjà été longuement débattue à la conférence de Pau, mais la convention sur le port de Saigon et la navigation sur le Mékong n’a jamais été vraiment appliquée. Phnom Penh, considéré depuis 1953 comme un port de mer, est accessible aux navires ayant un tirant d’eau de 4,5 à 5 mètres : mais il leur faut 15 à 20 heures pour parcourir, sur le Mékong, les 350 kilomètres qui le sépare la ville de la mer. Une nouvelle convention fut signée le 29 décembre 1954 à Paris, à l’issue de la conférence quadripartite qui mit également fin à l’Institut d’émission. L’internationalisation et le libre usage du port de Saigon pour les trois États concernés y étaient réaffirmés. Mais les relations entre le Cambodge et le Sud-Vietnam avaient pris une telle tournure que le royaume s’engagea, avec l’aide de la France, dans une autre direction : une mission hydrographique française entreprit dès 1954-1955 l’étude systématique du littoral, pour déterminer le meilleur emplacement pour un port en eaux profondes : un emplacement fut identifié dans la baie de Kompong Som, où les travaux destinés à donner au Cambodge un accès direct à la mer commencèrent l’année suivante116. Ainsi, compte tenu de sa propre histoire, le Cambodge négociait-il au fond assez bien sa sortie de guerre.
D. LE LAOS
102Le Laos existe-t-il, se demandait en substance Georges Chaffard en faisant le point après dix ans d’indépendance117 ? Il est vrai que ce territoire d’environ 237 000 km2, le plus grand désormais des États d’Indochine, mais seulement peuplé d’environ 1 million d’habitant – à peine plus de 4 au km2 – apparaît depuis longtemps comme le maillon faible de l’ensemble. Encore cette population relève-t-elle pour environ 40 % de diverses minorités nationales, dont les fameux Hmong (Méos) déjà évoqués pour leur production d’opium. Les multiples questions que soulève l’existence du Laos resurgissent dans le contexte de 1954.
103À la différence de celle du Cambodge, la monarchie du Laos exerce un pouvoir incertain et doit l’essentiel de son autorité au fait qu’elle est reconnue par la France : celle-ci a en effet recomposé dans le Protectorat un Laos divisé entre les familles princières de Luang Prabang au nord – le roi Sisavang Vong y réside – de Vientiane au centre, capitale administrative où Souvanna Phouma dirige le gouvernement, et de Paksé au sud, où le prince Boun Oum a son Palais – sans compter un autre prince, Souphanouvong, à la tête d’un Pathet Lao s’appuyant sur le Viet Minh118.
104Comme au Cambodge, par contre, la France a transféré une large partie de ses pouvoirs à Vientiane en signant un traité d’amitié et d’association le 22 octobre 1953 – à l’exception notable, à nouveau, du privilège d’émission monétaire et du contrôle des changes, détenu jusqu’à la fin 1954 par l’Institut d’émission : la « piastre Cusin » règne également ici en maître, dans la mesure où le Laos dispose vraiment d’une économie monétaire. Les fonctionnaires français, qui ne se sont pas privés de dénoncer la corruption ambiante, semblent avoir toujours eu du mal à s’y retrouver dans un budget national assez opaque – une sorte d’économie parallèle fonctionnant dans le pays, dans laquelle l’opium à sa part119. On le sait, d’ailleurs, le « pays du million d’éléphants et du parasol blanc » n’était pas un État associé comme les autres : lorsque le ministère chargé des Relations avec les États associés fut constitué, en 1950, le Laos fut maintenu dans le budget du département de la France d’outre-mer. Par ailleurs, ceci expliquant sans doute cela, la France finançait à 100 % l’armée nationale du Laos : à la différence du Vietnam et du Cambodge, aucune contribution ne lui était demandée dans le cadre du conflit – il est vrai que l’entretien de ses quelque 15 000 hommes en 1954 ne constituait pas un gros boulet budgétaire120.
105Le Laos était pourtant devenu en 1953 un champ de bataille pour le Viet Minh et son allié du Pathet Lao – le site de Dien Bien Phu étant censé couvrir le royaume – et il dut en subir les conséquences à Genève : deux provinces, Phong Saly et Sam Neua, situées au nord et au nord-est du pays, furent désignées pour servir de « secteurs de stationnement provisoire » aux forces du Pathet Lao ; l’accord de Genève précise que ces dernières forces « auront toute liberté de circulation entre ces deux provinces dans un couloir le long de la frontière lao-vietnamienne »121.
106Quelles auront été les conséquences de la guerre pour le Laos ? À lire certaines sources françaises, une sorte de cataclysme se serait abattue sur le royaume : « Neuf années de guerre ont durement touché une économie nationale au canevas encore fragile, note un responsable de l’aide française au Laos. L’invasion et l’occupation d’une partie du territoire, la mobilisation des hommes, la subordination de toutes les activités à la lutte contre l’envahisseur, des destructions considérables, ont retardé l’effort d’équipement et les travaux indispensables à l’unification économique »122. Ces « destructions considérables », pour importantes qu’elles aient pu être, sont cependant à relativiser par l’état modeste d’équipement et de développement du royaume, seul des trois pays d’Indochine où, par exemple, la France n’a jugé bon d’imaginer un tracé de chemin de fer. À bien des égards, le Laos correspondait à l’idée que l’on peut se faire d’une réserve coloniale : les richesses y étaient peut-être importantes, mais elles n’étaient même pas entièrement connues. « Quant au domaine minier, écrit justement notre auteur dans le même article, il offre une grande variété de produits, mais reste encore incomplètement catalogué. Il n’existe qu’une exploitation d’une certaine importance, celle du gisement d’étain de Phon Tiou, qui produit actuellement quelque 700 tonnes de concentré par an et donnera prochainement un millier de tonnes. »123
107La plus importante conséquence de la guerre pour le Laos, pays enclavé dépendant du bon vouloir de ses voisins et de l’aide extérieure, paraît précisément se situer à ce niveau : l’arrivée de l’aide américaine et la réorientation, conforme à la géographie, du pays vers la Thaïlande. Un bureau de l’USOM (US Operations Mission) s’installe à Vientiane le 1er janvier 1955, le jour même à partir duquel, l’Union monétaire ayant pris fin, le Laos, comme les deux autres ex-Etats associés, peut directement recevoir une aide multiforme des États-Unis et se dote de sa propre banque nationale. « Des bureaux correspondants aux services du gouvernement lao commencent à aligner des projets, souligne un expert. Peu à peu, cette organisation deviendra un quasi gouvernement parallèle, traitant directement avec ses homologues lao. »124 Un an après la signature des accords de Genève, les États-Unis prendront également la relève militaire de la France au Laos125. Et le pavot y pousse toujours.
108Ainsi, dans la nouvelle Indochine balkanisée et ouverte aux aides américaines et soviéto-chinoises, les acteurs de ce qui deviendra le second conflit vietnamien se mettent rapidement en place.
Notes de bas de page
1 Archives nationales, 80 AJ 12.
2 Le président de la section industrialisation était Paul Bernard, qui faisait autorité sur l’économie coloniale depuis ses deux ouvrages, dont Le problème économique Indochinois, publié en 1934. Par ailleurs, la question de l’industrialisation a fait entre 1945 et 1947 l’objet de plusieurs rapports préalables : Note au sujet de l’industrialisation de l’Indochine, Hanoi, 16 septembre 1945, 20 p. ; Plan d’équipement industriel de l’Indochine, Paris, 3 octobre 1945, 18 p. ; Plan d’industrialisation de l’Indochine, Saigon, janvier 1946, 20 p. ; Rapport général de la section industrialisation, novembre 1947, 53 p.
3 Daniel Hémery, « Asie du Sud-Est, 1945 : vers un nouvel impérialisme colonial ? Le projet Indochinois de la France au lendemain de la seconde guerre mondiale », communication au Colloque international sur les décolonisations comparées d’Aix-en-Provence, 1993.
4 Le rapport de la sous-commission comporte deux parties : la première, sous le titre « Équipement de l’Indochine » apparaît comme une sorte de bilan ; la seconde décrit le « Plan de modernisation et d’équipement » proprement dit.
5 Rapport de la sous-commission de modernisation de l’Indochine.
6 Nouveaux aspects du problème économique indochinois, Paris, 1937.
7 Le chiffre de 760 milliards de francs a été obtenu en suivant les indices de conversion proposés par la commission du plan : une piastre vaut 10 francs en 1939 ; 1 franc 1945 vaut 3,4 francs 1939 ; 1 franc 1954-1955 vaut 7 francs 1945.
8 Décret du 20 avril 1947, modifié et complété par un décret du 28 décembre 1949.
9 Selon un article intitulé « La restauration de l’économie de l’Indochine » figurant dans la documentation de la direction du Trésor, sans indication de date ni de provenance mais qui semble dater de l’été 1948.
10 Le compte rendu de cette réunion figure dans une note du 4 septembre 1948 « sur le financement du Plan d’équipement de l’Indochine ». AEF, Fonds Trésor, Β 33540.
11 Outre Bloch-Lainé étaient présents Gregh, prédécesseur de Goetze à la direction du Budget, Bourgoin et Joubert, respectivement conseiller au Plan en Indochine et président de la sous-commission de l’Indochine au commissariat général au Plan, ainsi que Torel, sous-directeur du Plan au ministère de la France d’outre-mer.
12 Il s’agit du FIDIC, analogue au FIDES. Mais déjà le ministère de la France d’outre-mer, précise la note en question, « est devenu moins favorable à l’extension en Indochine de l’activité de la Caisse centrale ».
13 L’organisme indochinois de crédit en question, dans l’esprit de Pleven, aurait dû être créé avec le concours du Crédit national, de la Banque de l’Indochine, de la Banque franco-chinoise, des quatre banques nationalisées et de la Caisse centrale de la France d’outre-mer.
14 Tableau dans AEF, Fonds Trésor, Β 43540. Un budget spécial avait été institué dans un premier temps, par décret du 16 octobre 1946, pour accueillir les premières imputations budgétaires dans le domaine de la reconstruction, et a coexisté quelque temps avec le budget extraordinaire.
15 Il faut la multiplier par 4,3 pour obtenir 124,5 milliards de francs (1953), montant du coût de la guerre en 1948 selon les données du ministère de la Défense.
16 Le conseiller financier auprès du haut-commissaire, note sur le budget extraordinaire de l’exercice 1949-1950, septembre 1949. AEF, Fonds Trésor, Β 33538.
17 Tableau récapitulatif du budget extraordinaire 1949-1950. AEF, Fonds Trésor, Β 33538.
18 Lettre du ministre de la France d’outre-mer au ministre des Finances, 2 février 1950, courrier faisant suite à un échange de correspondance entre Letourneau et Pignon. AEF, Fonds Trésor, Β 33538.
19 Tableau récapitulatif du budget extraordinaire 1949-1950.
20 Lettre du 30 octobre 1949 du haut-commissaire, signée Torel, au ministre de la France d’outre-mer. AEF, Fonds Trésor, Β 33538.
21 Rapport Valls 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43930.
22 Notice sur les dépenses de reconstruction et d’équipement. Document de travail, 1952. AEF, Fonds Trésor, Β 43926.
23 Décret du 5 août 1951 et arrêté du 26 décembre 1951. AEF, Fonds Trésor, Β 43909.
24 Lettre du 12 mai 1953, signée Dupraz. AEF, Fonds Trésor, Β 33538.
25 Rapport du 8 janvier 1947. SHAT, Fonds Leclerc. Texte également publié en annexe des actes du colloque Leclerc – Leclerc et l’Indochine, Paris 1992.
26 Mémorandum d’Argenlieu du 14 janvier 1947. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 31.
27 La formule est du général Valluy, alors haut-commissaire par intérim. G. Bodinier, Indochine 1947, SHAT, op. cit.
28 Gaston Taboulet, La geste française en Indochine, Paris 1955.
29 Le Monde 13-14 mars 1949.
30 Conclusions de la mission Revers, SHAT, Fonds Revers.
31 Lucien Bodard, La guerre d’Indochine. L’enlisement, Paris, 1963.
32 Selon les termes du général de Lattre à Vinh Yen, le 19 avril 1951. Maréchal de Lattre, La ferveur et le sacrifice, Paris, 1987.
33 Général Gras, op. cit.
34 « Évolution de l’armée nationale vietnamienne », SHAT, 14 H 72.
35 Rapport Valls 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43930.
36 170 000 réguliers et 60 000 supplétifs.
37 Dont 151 000 réguliers et 48 000 supplétifs.
38 125 000 réguliers, 75 000 régionaux et 150 000 guérilleros des forces populaires, qui ne portent peut-être pas d’ailleurs eux-mêmes les armes à plein temps. Chiffres du général Gras, op. cit.
39 Le Monde, 15 octobre 1953.
40 Sur toute la période, l’État associé aura contribué pour 5 % au coût total de la guerre. D’après le rapport Bousch, Conseil de la République, 23 février 1954. Voir annexe 24.
41 SHAT, 10 H 3991.
42 Lucien Bodard, La guerre d’Indochine. L’enlisement, Paris, 1963.
43 560 AP 55. Tableau sur « les possibilités démographiques de l’Indochine », destiné à appuyer la réflexion sur le développement des armées nationales.
44 Lettre de Dan, commissaire au Comité de résistance économique de Ba Cho, à Pham Hung, président du Comité de résistance économique, saisie vers An Loc le 23 avril 1954. SHAT, 10 H 3991.
45 Décret n° 149-SL du 12 avril 1953, portant la signature de Ho Chi Minh. SHAT, 10 H 3996. 11 subsiste cependant une petite incertitude chronologique : d’autres sources éditées donnent pour ce décret la date du 20 avril. Quoi qu’il en soit, il n’aurait été publié au « JO » de la RDV qu’en mai.
46 Décret n° 150-SL portant la même date du 12 avril 1953. SHAT, 10 H 3996.
47 Ordonnances n° 19, 20, 21 et 22. Nguyen Van Vinh, Les réformes agraires au Vietnam, Louvain, 1961.
48 Le Monde, du 10 juin 1953, reprenant une dépêche de l’AFP.
49 Politique économique et guerre de libération nationale, Études vietnamiennes n° 44. Hanoi, 1976.
50 Nguyen Van Vinh, Les réformes agraires au Vietnam, op. cit.
51 Correspondance économique, 5 août 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 33551.
52 Rapport Valls, op. cit.
53 Étude sur l’économie vietminh, 2e Bureau français, 1948. SHAT, 10 H 3990.
54 Voir P. Brocheux, « L’économie de la résistance vietnamienne », Les guerres d’Indochine, de 1945 à 1975, Cahier de l’IΗΤΡ n° 34, juin 1996.
55 État des pertes en Indochine de 1945 à 1954, établi au 11 décembre 1961. SHAT, 1 R 239.
56 Bernard Fall, Le Viet Minh. La République démocratique du Vietnam 1945-1960. Paris, 1967.
57 Rapport Valls 1953.
58 Rapport de Paul Bernard au Conseil économique sur la « Conjoncture des États associés », daté du 3 mars 1954.
59 Le Monde, 6-7 juin 1954.
60 Rapport Valls 1953.
61 René Théry, L’Indochine française, Paris, 1931.
62 Bulletin économique de l’Indochine, cité par Pierre Brocheux et Daniel Hémery, Indochine, la colonisation ambiguë, Paris, 1995.
63 Paul Mus, Vietnam, sociologie d’une guerre, Paris, 1952.
64 Souvenir de voyage personnel.
65 Selon les services de renseignements français.
66 Extrait d’une lettre de A. Valls en date du 20 mars 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43930. Voir annexe 12.
67 Lettre du 18 août 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43911.
68 AEF, Fonds Trésor, Β 33551, Β 43 910 et Β 43911.
69 AEF, Fonds Trésor, Β 43911.
70 Accord sur la cessation des hostilités en Indochine, Notes et Études documentaires, 18 août 1954, La documentation française.
71 Rapport de Margerie concernant les questions financières en Indochine, mai 1949. AEF, Fonds Trésor, Β 43918.
72 Documents divers et notamment « répartition par État des éléments du bilan de clôture de la Caisse autonome ». AEF, Fonds Trésor, Β 43927 et Β 43928.
73 Georges Chaffard, Indochine, dix ans d’indépendance, Paris, 1964.
74 Vo Nhan Tri, Croissance économique de la République démocratique du Vietnam, Hanoi, 1967. La piastre de la Banque de l’Indochine ou de l’Institut d’émission a été échangée en octobre à une contre trente.
75 Ho Chi Minh, De la révolution, 1920-1966, Paris, 1968.
76 Vo Nhan Tri, Croissance économique de la République démocratique du Vietnam, op. cit.
77 Lettre adressée par Pham Van Dong à Mendès France le 21 juillet 1954. Archives MAE et AEF, Fonds Trésor, Β 33551.
78 Étaient présents les représentants des sociétés ou services suivants : SOFFO, Société Bunge, Compagnie franco-indochinoise, Chambre syndicale d’Indochine, Chambre syndicale d’importation, Ciments d’Indochine, Charbonnages du Tonkin, Électricité d’Indochine, Air liquide, Indochinoise d’électricité, BGI, Banque de France, Institut d’émission, Banque de l’Indochine, Banque franco-chinoise, Trésor, DREE et Finances extérieures.
79 Compte rendu de la réunion tenue au ministère des Finances, le 22 juillet 1954 à 17 heures, sous la présidence de M. Sadrin, directeur des Finances extérieures. AEF, Fonds Trésor, Β 43912. Voir annexe 23.
80 Lettre de Boyer à Valls, 11 août 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 33551.
81 Télégramme du général Ély du 24 juillet 1954. AEF, Fonds Cusin, 5 A 82.
82 Télégramme Ély du 24 juillet 1954, op. cit.
83 « Les chances de la France au Nord-Vietnam », Le Monde 17 et 18 septembre 1954.
84 Georges Chaffard, Indochine, dix ans d’indépendance, op. cit.
85 Cité par Max Clos, Le Monde de 4 janvier 1955.
86 Le Monde, 19 mars, 10 au 10 avril et 24 au 24 avril 1955.
87 Bertrand de Hartingh, « D’un but et de moyens : la réforme agraire au Nord-Vietnam », communication au colloque EUROVIET d’Amsterdam, juillet 1997.
88 Georges Chaffard, Indochine, dix ans d’indépendance, op. cit.
89 Ho Chi Minh, discours prononcé en septembre 1955 pour le dixième anniversaire de la RDV Dans Ho Chi Minh, De la révolution, (1920-1966), op. cit.
90 Nommé premier ministre par Bao Dai, qui séjourne alors en France, entre la chute de Dien Bien Phu et l’accord de Genève, il rentre à Saigon le 25 juin 1954 pour y prendre ses fonctions.
91 Télégramme de Bonnet rendant compte de l’évolution des pourparlers, 29 septembre 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43906.
92 Communiqué final des entretiens de Washington. AEF, Fonds Trésor, Β 43906.
93 Lettre de Guy La Chambre aux chefs des délégations des États associés, 18 août 1954.
94 Convention particulière entre la France et le Vietnam sur les achats de piastres correspondant aux dépenses militaires au Vietnam. AEF, Fonds Trésor, Β 43910.
95 Philippe Devillers et Jean Lacouture, Vietnam, de la guerre française à la guerre américaine, Paris, 1969.
96 Henri Navarre, Agonie de l’Indochine, Paris, 1956.
97 Le Monde, 5 janvier 1955.
98 Note sur les transferts d’Indochine, 26 août 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43917.
99 Le Monde, 14 janvier 1955. Les projets de la Régie n’aboutiront pas.
100 Ordonnance n° 2 du 8 janvier 1955. Nguyen Van Vinh, Les réformes agraires au Vietnam, Louvain, 1961.
101 Jean-Marcel Jeanneney, Tableaux statistiques relatifs à l’économie française et l’économie mondiale, Paris, 1957.
102 Rapport Valls 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43930.
103 Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24.
104 Accord du 29 août 1953 sur le transfert des services de justice et de police et accord du 17 octobre 1953 relatif au transfert militaire.
105 La constitution promulguée le 6 mai 1947 faisait du régime cambodgien une monarchie parlementaire.
106 Note Risterucci du 10 mai 1953. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24.
107 Traité signé à Paris le 8 novembre 1949.
108 Etude non datée et non signée sur l’armée royale khmère, figurant dans les papiers Mayer. Archives nationales, 363 AP 24.
109 Note d’André Valls pour le ministre des États associés sur le financement des armées nationales, 10 octobre 1952. AEF, Fonds Trésor, Β 43924.
110 Le 23 décembre 1954 pour la Banque et le 31 pour l’Office des changes. Cambodge, ouvrage général de présentation du pays et publié à Phnom Penh dans les années 1960.
111 Courrier « intercepté » du 10 février 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 33541.
112 Institut d’émission, compte rendu du 5 janvier 1954 d’une mission à Phnom Penh en date des 29 et 30 décembre 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 33551.
113 Environ 30 000 hectares étaient plantés au Cambodge, soit 30 % de l’ensemble de l’Indochine. En 1955, la production était de l’ordre de 25 500 tonnes.
114 Le 3 mars 1955, un mois après le référendum du 7 février par lequel le peuple khmer avait été appelé à approuver l’action de la monarchie en faveur de l’indépendance.
115 Cambodge, ouvrage général déjà cité.
116 Le port de Sihanouk-ville sera inauguré le 2 avril 1960.
117 Georges Chaffard, Indochine dix ans d’indépendance, op. cit.
118 Souvanna Phouma dirige le gouvernement laotien de novembre 1951 à la fin 1954, Katay Sasorith lui succédant alors jusqu’en février 1956.
119 AEF, Fonds Trésor, Β 33539 et Β 43929.
120 Note pour le ministre des États associés sur le financement des armées nationales, 10 octobre 1952. AEF, Fonds Trésor, Β 43924.
121 Article 14 de l’accord sur la cessation des hostilités en Indochine concernant le Laos. Notes et études documentaires du 18 août 1954, La Documentation française.
122 Bernard Bochet, chef de la mission française d’aide économique et technique au Laos, « L’aide économique et technique française au Laos », France-Asie, numéro spécial n° 118-119, mars-avril 1956 (Présence du royaume lao).
123 Bernard Bochet, op. cit.
124 Jean Deuve, Le royaume du Laos 1949-1965, Paris, 1984.
125 Paul Lévy, Histoire du Laos, Paris, 1974.
Notes de fin
1 Nord et Sud Vietnam seulement (en 1942, le chiffre de production du Centre s’élevait à 983,7)
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