Chapitre V. Les ressources
p. 225-275
Texte intégral
1Le problème du financement des dépenses militaires s’est posé dès le début du conflit mais, dans un premier temps, on le sait, la France a pu faire face par elle-même au défi que représentait la prolongation de la guerre. Les choses changent à partir de 1949 quand, d’une part la « menace chinoise » ajoute aux tensions et que, d’autre part, la France entreprend un important réarmement dans le cadre européen et atlantique. La guerre d’Indochine devient alors progressivement l’ennemi n°1 des budgets – d’autant plus que nul n’envisage sérieusement qu’elle puisse être gagnée – et son financement s’internationalise.
2Il y a plusieurs manières d’analyser la question des ressources mises en face des dépenses militaires. On distinguera d’abord les ressources budgétaires, celles des belligérants du moins : le contribuable français est sollicité du début à la fin du conflit. Les budgets locaux sont également mis à contribution : ils deviennent autour de 1950 les budgets des États associés. Pour faire face au dérapage des coûts, quelques ressources non-orthodoxes sont utilisées, qui vont de l’émission monétaire à l’opium. Mais ce sont les ressources extérieures qui vont progressivement alimenter la continuation de la guerre, aide chinoise d’un côté, américaine de l’autre. Dans ce dernier cas, il s’agit sans doute aussi de ressources budgétaires mais, pour la commodité de l’analyse, nous les distinguerons des autres.
I. LES RESSOURCES BUDGÉTAIRES
3Les moyens mis en œuvre pour faire la guerre d’Indochine ont d’abord été, et sont essentiellement restés, d’ordre budgétaire. Ressources budgétaires locales dans un premier temps : les forces armées du Viet Minh d’une part, la France et les États associés d’autre part y ont largement puisé mais, compte tenu de l’ampleur prise par les combats, celles-ci ne pouvaient suffire. Pour donner au corps expéditionnaire les moyens de contenir l’influence du Viet Minh, à défaut de pouvoir l’éliminer, le budget français s’est donc trouvé mis à contribution, dans les conditions un peu particulières, il est vrai, de la IVe République.
A. LA CONTRIBUTION DU BUDGET FRANÇAIS
4La France consacre à la guerre d’Indochine une part respectable de son budget, entre 6 et 10 % selon les années, le taux le plus fort ayant été atteint en 1949, avec un peu plus de 10 % de l’ensemble des dépenses françaises. Même si l’on considère que la période proprement dite de reconstruction est alors achevée, cela représente tout de même un sérieux boulet pour les finances publiques.
5La croissance des crédits français employés pour la guerre d’Indochine est spectaculaire, comme le montre le tableau ci-dessus, établi à partir de données parlementaires1 : après avoir connu une augmentation d’abord modeste, dans les premières années du conflit, ils s’envolent littéralement autour de 1950 – l’année de la plus forte croissance des crédits militaires – et jusqu’en 1952, date à laquelle le reflux commence à être constaté. C’est en préparant le budget de cette année 1952 que, rue de Rivoli, Roger Goetze avait considéré l’effort financier consacré à la guerre d’Indochine « proprement insupportable » et suggéré à demi-mots d’en transférer substantiellement la charge sur les États-Unis2. À partir de cette date, l’aide financière des États-Unis vient en atténuation des crédits votés. Précisons que la part des crédits Indochine dans l’ensemble des crédits militaires français, qui s’établit à 26 % sur la période, connaît la même évolution : une très forte augmentation jusqu’en 1949-1950 puis un net repli, lié à la mise en œuvre de l’aide américaine.
6Les conditions dans lesquelles sont votés les crédits militaires ne manifestent pas, cependant, une gestion budgétaire toujours très rigoureuse. Alors que la guerre d’Indochine est déjà commencée quand la IVe République a vu le jour, celle-ci mettra plusieurs années à roder ses propres procédures : chaque budget annuel, qui aurait dû être voté comme un document unique, l’est finalement par chapitres ministériels. Pour le financement de la seule guerre d’Indochine, les députés devaient également se prononcer non pas sur un mais sur plusieurs budgets : celui des Forces terrestres d’Extrême-Orient (FTEO), qui mobilise la plus grande masse de crédits, mais aussi ceux de l’armée de l’Air et de la Marine. S’y ajoute à partir de 1951 une subvention destinée aux États associés, afin qu’ils puissent développer leurs « armées nationales ». Autant de documents volumineux et parfois complexes : le seul budget 1954 des FTEO comporte 46 chapitres et 83 pages3.
7Le calendrier budgétaire prit aussi, en particulier les premiers temps, un caractère quelque peu irréel. Le budget de 1946 n’est adopté que fin 1947. Pour cette dernière année, les dépenses militaires d’Indochine sont votées fin mars, mais la machine parlementaire se grippe en 1948 : il faut attendre la fin du mois d’août pour voir l’adoption des crédits militaires4. Les choses s’améliorent en 1949, grâce à un vote acquis au printemps. Le Parlement a cependant déjà pris l’habitude, en attendant l’adoption d’un texte définitif, de recourir aux « douzièmes provisoires » pour satisfaire les demandes militaires. Les procédures se normalisent dans les années suivantes, avec des lois de finances votées en début d’année. Mais le Parlement avait entre-temps pris une autre habitude : celle de recourir aux « collectifs » budgétaires pour compléter les lignes de crédit déjà acceptées, à charge pour les députés de régulariser l’affaire ultérieurement ; les derniers crédits militaires pour l’année 1950 ont ainsi été adoptés par l’Assemblée nationale en mai 1951.
8Ces modalités annexes – douzièmes provisoires ou provisionnels, collectifs budgétaires... – compliquaient le travail parlementaire : elles ont été périodiquement dénoncées. En 1949, Le Figaro estimait que le régime des douzièmes provisoires, qui donnaient aux militaires les moyens de fonctionner pendant un ou deux mois, mais sans perspective globale, augmentait les dépenses militaires de 20 %5. Dans son étude sur la IVe République, Jacques Julliard dénoncera également cette pratique au chapitre « Indochine ». « De 1947 à 1956, précise-t-il, en l’espace de cent huit mois, on a voté cinquante-six douzièmes militaires, contre vingt-trois douzièmes civils : chiffre considérable, qui montre combien la poursuite de la guerre coloniale a aggravé les conséquences des mauvaises méthodes de travail parlementaire. La pratique des douzièmes provisionnels fut complétée par celle des collectifs budgétaires, poursuit-il, c’est-à-dire l’approbation globale et a posteriori de dépassement des crédits militaires autorisés par décret »6.
9La question de la transparence des budgets militaires se pose d’ailleurs du début à la fin de la période. Avec les armées, « le coût réel n’est jamais avoué », note en 1948 une étude déjà citée sur le coût de la guerre7. En 1954, faisant le point sur le budget, une note de la direction des Affaires militaires (DAM) le rappelle a contrario : « On peut affirmer, peut-on y lire, que le budget des dépenses militaires françaises en Indochine, ainsi établi, est absolument sincère et complet »8 – ce qui laisse au moins supposer que cela n’a pas toujours été le cas...
10Le fonctionnement parlementaire précédemment évoqué ne favorisait pas non plus le débat sur le fond de la question, comme il put y en avoir en 1950 ou en 1954, après Cao Bang et Dien Bien Phu, mais un peu tard. La réflexion sur la guerre d’Indochine semblait aussi fragmentée que l’adoption des crédits votés pour la mener. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il n’y a pas eu, dans l’hémicycle, de problèmes politiques majeurs à son propos : le vote des crédits militaires n’a jamais été vraiment remis en cause par les députés. Les communistes ne les ont certes jamais votés : en mars 1947, on le sait, après avoir annoncé qu’ils s’y opposeraient, ils s’étaient finalement abstenus, évitant à la IVe République sa première crise politique ; ils votèrent systématiquement contre par la suite, après leur départ du gouvernement Ramadier le 5 mai 1947. Mais ils seront les seuls. Il faudra attendre en effet sept ans – mars 1954 – pour qu’un autre groupe parlementaire, celui de la SFIO, émette à son tour un vote hostile : les députés socialistes refusèrent alors les crédits militaires demandés par le gouvernement Laniel – ce qui n’empêcha d’ailleurs pas ces derniers d’être adoptés par 403 voix contre 203.
11À lieu d’en être l’occasion, la discussion budgétaire avait d’une certaine manière tendance à se substituer au débat politique. C’est ainsi qu’en novembre 1952 le socialiste Alain Savary réussit à bloquer la discussion budgétaire relative aux États associés en faisant voter la question préalable, ce qui imposait une discussion générale sur le sujet avant qu’on ne parle chiffres. Partisan d’une « négociation avec l’adversaire », il n’estimait en effet « pas possible d’évoquer des problèmes tels que celui de l’Indochine dans le cadre étroit d’un débat budgétaire »9. Mais, dans la discussion en question, le ministre responsable Jean Letourneau continua d’écarter toute perspective de négociation avec l’adversaire, au motif de ne pas démoraliser le corps expéditionnaire.
12Les services du ministère des États associés n’en préparaient pas moins périodiquement leur ministre à l’exercice particulier de la discussion budgétaire : par une note du 4 décembre 1952, par exemple, le directeur des Affaires militaires lui fournit « les éléments techniques de ses exposés devant les commissions parlementaires ou à la tribune des Assemblées », le préparant notamment à pouvoir répondre « à certaines critiques (Trop chère l’Indochine) »10. Sur ce point précis cependant, l’argumentaire paraît assez faible : le colonel Mazeau, auteur du document, se contente de dénoncer « l’exagération du mal » et de stigmatiser les « soi-disant scandales » – celui de la piastre en particulier. Les derniers mots de cette note d’une vingtaine de pages illustrent bien le niveau auquel se situaient les responsables des États associés. Trop chère l’Indochine ? S’intéressant in fine au prix de la viande congelée, à 380 francs le kilo, le directeur des Affaires militaires estime pouvoir en tirer argument pour faire face à ceux qui trouvent le conflit trop coûteux. « Ce dernier exemple mérite d’être souligné, précise-t-il en effet : compte tenu du transport à partir de la métropole et des frais d’amortissement de la chaîne du froid installée en Indochine, nos troupes, au Tonkin, mangent du bœuf de bonne qualité, à un prix de revient (souligné) comparable à celui payé par le consommateur en France. » La note préparant Letourneau à sa discussion budgétaire s’achève sur cette brillante évocation – et sans autre mot de conclusion.
13Au final, à quelle hauteur le budget français entre-t-il dans le financement de la guerre d’Indochine ? La part du budget dans le financement du conflit a été évaluée par les parlementaires eux-mêmes11.
14Globalement, entre 1945 et 1954, les crédits français auraient ainsi contribué pour 60 % aux dépenses de la guerre d’Indochine. La couverture par le budget des dépenses militaires a en effet évolué, et dans le sens souhaité par Roger Goetze. Dans ses premières années, la guerre apparaît strictement « franco-française », le budget couvrant la totalité des dépenses militaires. Mais alors même que les crédits français continuent d’augmenter, jusqu’en 1952, le budget intervient progressivement moins, jusqu’à ce que sa contribution paraisse secondaire en 195412.
15Alors qu’elle s’achève pour la France, la guerre d’Indochine n’est donc plus vraiment pour elle un problème budgétaire. On ne peut en dire autant des autres parties au conflit.
B. LA MOBILISATION DES BUDGETS LOCAUX
16La guerre d’Indochine aurait-elle pu, au départ du moins, s’appuyer exclusivement sur des financements locaux ? L’Indochine française n’avait pas la réputation d’être pauvre13 et, après tout, pendant les premières années de son combat, le Viet Minh lui-même n’a pu conduire son effort de guerre sans s’appuyer sur une mobilisation des ressources nationales. Mais la question s’est posée autrement pour la France : le coup de force japonais puis la Révolution d’août lui ayant en 1945 retiré tous ses pouvoirs sur place, elle n’y disposait plus d’aucune ressource et devait tout reconstituer, un budget aussi bien qu’une force armée ; alors qu’elle y était installée depuis près de cent ans, la France était d’un coup devenue une sorte de puissance extérieure au théâtre. Par ce fait, même ses ressources locales n’avaient au départ qu’un rôle marginal. Elles retrouveront de l’importance par la suite, suffisamment pour que leur transfert aux États associés permette à ceux-ci de participer à leur tour au financement de la guerre.
17En 1945, les deux pouvoirs en concurrence pour le contrôle de l’Indochine avaient vite été confrontés aux réalités fiscales. À Hanoi, le gouvernement d’Ho Chi Minh taille à la hache dans l’organisation héritée du protectorat : l’impôt personnel, l’impôt sur les patentes et l’impôt foncier pour les petits propriétaires sont abolis en septembre. Une telle situation, pour satisfaisante qu’elle fut pour les contribuables, n’était bien sûr pas durable : une « semaine de l’or » est organisée le mois suivant « pour payer les frais d’armement de l’armée populaire », et les impôts bientôt invités à rentrer d’une manière ou d’une autre – ces impôts colonialistes ne sont-ils pas cette fois destinés à alimenter le Trésor de la patrie ? Une taxe de défense nationale est au passage instituée sur les transactions courantes14. Pendant ce temps, à Saigon, l’équipe de d’Argenlieu – c’est plus précisément la tâche de François Bloch-Lainé – s’emploie de son côté à reconstituer des budgets. L’affaire ne fut pas simple non plus : « La situation des recettes et des dépenses, lors de notre arrivée, était extrêmement confuse. Elle n’a pu être éclaircie qu’en partie à ce jour », note-t-il dans son rapport de fin mission15. François Bloch-Lainé n’a certes pas eu à créer ex nihilo une fiscalité indochinoise. Comme il l’indique à propos des recettes, « les opérations d’assiette et de recouvrement ont été reprises sur les bases établies à l’époque du 9 mars 1945 ». Mais du côté français de l’Indochine soufflait aussi une sorte de vent modernisateur : l’époque coloniale proprement dite était révolue et une réforme s’imposait.
18La physionomie des budgets français d’Indochine est ainsi, à partir de 1946, un compromis entre héritage et innovation. À côté du budget fédéral, restauré dans ses attributs essentiels, une certaine décentralisation fut instituée par le conseiller financier. Des cinq « États »16 qui constituaient encore l’Indochine française, le Cambodge et le Laos en tiraient plus particulièrement avantage, surtout le premier, même si le nouveau système comportait sa part de contraintes. « Je me suis engagé dans la voie d’une décentralisation des régies, précise Bloch-Lainé, en proposant d’accorder au Cambodge la gestion et le bénéfice de la régie des alcools indigènes et de la régie du sel, qui exigent beaucoup de personnel et sont impopulaires ».
19Le résultat est inégal. Certes, « l’expérience cambodgienne, la plus facile, n’a pas été, à mon avis, pleinement réussie », constate-t-il à la fin de sa mission, en raison notamment du penchant de l’administration française à continuer localement de « limiter les pouvoirs du gouvernement cambodgien ». Mais une dynamique a été lancée, qui permettra au gouvernement du royaume d’asseoir sa quête d’indépendance sur une réelle continuité budgétaire17. On ne pourra en dire autant du Laos : son budget présentera au fil des années, outre un niveau plus modeste des recettes, un inquiétant excédent des dépenses et, surtout, une opacité décourageante. Dans leurs diagnostics, confusion et corruption se disputent à ce sujet la faveur des experts français en poste ou de passage à Vientiane18.
20Quant au Vietnam, où deux pouvoirs se partagent, on le sait, les faveurs des contribuables, la complexité budgétaire est la règle, d’abord dans le camp français : des budgets régionaux (Cochinchine, Centre Vietnam...), locaux (région de Saigon-Cholon, Sud-Annam...) et spécialisés (chemins de fer, port de commerce de Saigon...)19 se juxtaposent au budget fédéral. La reconnaissance de l’unité du pays entraînera à partir de l’exercice 1948 l’apparition d’un « budget national du Vietnam » dans la nomenclature de la Trésorerie générale de l’Indochine, mais voisinant encore avec des budgets régionaux, locaux20 et spécialisés. Les rentrées fiscales se font cependant parfois attendre et chaque exercice est marqué par de sévères déficits21. Pendant ce temps, la RDV entretient elle-même, non seulement au niveau national mais aussi au niveau des régions et des provinces, même si celles-ci sont « provisoirement contrôlées par l’ennemi », des budgets qui s’efforcent de mettre en regard des dépenses des recettes suffisantes22.
21La France a enfin institué au niveau fédéral, un peu comme une annexe au budget général, un budget extraordinaire pour l’équipement et la reconstruction de l’Indochine. Créé par décret du 30 avril 1947, il est cependant alimenté en recettes – théoriquement du moins – par « des indemnités allouées à l’Indochine en paiement des dommages subis par son domaine public pendant la guerre »23, par des subventions diverses, et financé en attendant par des avances du Trésor. Destiné à la réalisation d’un programme d’équipement économique et social, ce « budget extraordinaire » utilisera pour 83 milliards de francs environ de crédits entre 1946 et 1950, dont 59 % pour la reconstruction et le reste pour l’équipement24. Il fut supprimé en 1950 en application des conventions de Pau et ses fonctions réparties entre les nouveaux budgets nationaux.
22Il était cependant entendu dès le début du conflit que les budgets indochinois, quoique complexes et difficiles à reconstituer, devaient à leur niveau contribuer au financement de la guerre. Dans un courrier au chef d’état-major général de la Défense nationale, en mars 1947, l’amiral d’Argenlieu assurait ainsi ce dernier de sa « volonté d’associer aussi largement que possible la Fédération indochinoise à l’effort financier que l’accroissement des effectifs » imposait déjà. Son programme comportait essentiellement l’entretien de partisans, soldats recrutés localement et venant en appoint du corps expéditionnaire, et accessoirement les dépenses du Groupement des contrôles radioélectriques. Pour autant, les imputations consacrées à l’entretien des partisans ne sont pas simples à déterminer : dans le programme de l’amiral haut-commissaire, une petite partie seulement – 12 % – relevait du budget fédéral, l’essentiel étant à la charge des États. Mais ces derniers ont été semble-t-il sollicités à un niveau plus élevé.
23Dans la pratique, les budgets d’Indochine ont été amenés à éponger une part de l’accroissement du coût de la guerre mais, lorsqu’il fut question de constituer des « armées nationales », ils ont vite été dépassés. Dans les premières années de la guerre, on le sait, les dépenses imputées au budget de la métropole connaissaient une augmentation relativement modeste. Par contre, selon les sources du Trésor, les dépenses militaires locales se sont pratiquement multipliées par quatre entre 1947 et 1948, représentant près de 10 % d’un budget qui avait lui même plus que doublé25. Mais ce n’est encore rien : la dérive des coûts qui commence l’année suivante fait littéralement « tourner la tête » du budget indochinois, à la faveur il est vrai de l’ouverture des deux comptes spéciaux n°1 et n°2 : les dépenses militaires à la charge de l’Indochine se situaient en 1949 autour de 2 300 millions de piastres, soit treize fois plus que l’année précédente... Dans ce qui peut apparaître comme une sorte d’affolement budgétaire, le haut-commissariat utilisa même les ressources du « budget extraordinaire pour la reconstruction et l’équipement de l’Indochine » pour financer l’exécution de « travaux publics d’intérêts militaires »26 : environ 200 millions de piastres vinrent couvrir des dépenses exceptionnelles en matière de communication (ferroviaire, routière, fluviale et aéronautique), dans un contexte dans lequel la frontière entre le civil et le militaire devenait, il est vrai, un peu flou.
24Étant donné cette évolution, la dimension financière des transferts de compétence aux États associés, à partir de 1949, était nettement dominante : mettre les États dans la guerre ne consistait pas en effet seulement à leur faire lever des armées moins onéreuses que les unités du corps expéditionnaire, mais également à leur en faire assumer, autant que possible, la charge budgétaire. En lui-même, le principe était simple, résultant des pactes d’assistance militaire franco-vietnamien et franco-khmer : le commandement français établissait le programme militaire, la contribution des États était fixée à un certain pourcentage de leurs recettes budgétaires et la France fournissait la différence. En transférant aux États les budgets nationaux, et tout en les laissant libres en principe du montant de leur participation aux dépenses militaires, la France les orientait presque exclusivement vers la guerre. Pas entièrement, sans doute : le budget français continuait de jouer le premier rôle par ses subventions annuelles ; mais en amenant, par exemple, le budget national du Vietnam à participer pour 40 % de son montant aux dépenses militaires, il en faisait un véritable budget de guerre. Il était également entendu que le Cambodge engagerait 30 % de ses dépenses dans la même direction – quant à l’armée laotienne, « il est admis une fois pour toutes que la France prend en charge la totalité de son financement »27.
25Mais la réalité était plus complexe. Faute d’un véritable budget, la fixation de la participation vietnamienne aux dépenses militaires résultait d’une évaluation sommaire des recettes, telle que l’expérience en suggérait les montants. On pensait ainsi pouvoir compter en 1951 sur quelque 2 milliards de piastres, venant principalement des douanes (39 %), des recettes des budgets régionaux (28 %) et des régies transférées (21 %)28. Encore ces recettes étaient-elles largement liées à la présence française. Quand le sentiment indépendantiste se fera un peu trop fort au gré des Français, ceux-ci ne se priveront pas de rappeler au gouvernement de Bao Dai la « valeur » de leur présence sur place. Comme le précise une note de décembre 195129, « les Européens sont presque seuls atteints par les impôts sur le revenu », indépendamment du fait qu’une bonne partie du mouvement commercial générant les si précieuses taxes douanières était liée à leur activité. Au demeurant, cet état de fait n’empêche pas les experts français de rechercher de nouvelles recettes dans leur direction. Une taxe d’armement a ainsi été imaginée, sans véritable suite. Quant au rapport Pineau de 1952 il suggère « d’étudier dans quelles conditions les bénéfices réalisés par les Français en Indochine, du fait des circonstances, pourraient concourir au financement de nos dépenses militaires »30 – sans suite également.
26Les conditions de la guerre, si elles sont à l’origine de l’idée même de transférer leurs budgets aux États associés, compliquent également la question. Qui, in fine, doit assumer la responsabilité des principales dépenses, en particulier de celles qui ont un caractère mixte ? La question s’est notamment posée à propos du port de Haiphong, essentiel pour le ravitaillement du corps expéditionnaire au Nord mais qui s’envase régulièrement, ce qui impose de périodiques et coûteux travaux de dragage. Le rapport Pineau décrit le problème début 1952 : « Normalement, les services du port auraient dû être transférés au gouvernement vietnamien. Mais celui-ci avait déjà fait valoir que les bateaux nécessaires au service local n’exigeaient pas plus de quatre mètres de tirant d’eau, et qu’il était donc inutile de poursuivre à leur profit les travaux d’aménagement du chenal. Le haut commandement français, devant une telle position, a préféré ne pas transférer le port de Haiphong aux autorités locales ; mais, de ce fait, tous les travaux sont restés à sa charge, le gouvernement vietnamien ne voulant pas assumer les frais de travaux effectués pour et par des services non transférés. On remarquera seulement, à ce sujet comme à bien d’autres, ajoute non sans quelque perfidie le rapport parlementaire, que tout se passe comme si le gouvernement actuel considérait que la guerre en cours ne le concerne en rien »31.
27Il était en tout cas difficile de mettre en place une indépendance partielle dans une telle situation. Pour la réaliser, la France dépêche sur place des experts de haut niveau, en particulier Valls et Feuché. Le premier, inspecteur des finances venu de la direction des Finances extérieures, se situe clairement dans la perspective d’une indépendance qui ne soit pas de façade, et résume ainsi sa position dans une note de 1952 : « si l’on veut assurer désormais une certaine relève financière de la France par les États, il semble nécessaire d’organiser une véritable collaboration financière entre la France » et eux32. D’autres notes rédigées à l’époque sur le sujet vont dans le même sens et suggèrent de mettre les États, en particulier le Vietnam, en face de leurs responsabilités financières. Même si ce dernier avait quelque difficulté à produire un budget vraiment fiable, il fallait dans la mesure du possible le placer en position de demandeur et non plus d’assisté.
28Le second, Feuché, administrateur du budget, analyse cependant l’année suivante les contradictions du système33 : « pour éviter que les fonds budgétaires français votés pour l’assistance militaire aux États soient détournés de leur objet, et en raison de la méfiance qu’inspiraient les administrations locales, on s’est efforcé de confier la gestion de la plus grande partie des crédits français d’assistance à des autorités françaises. Les États ont été habitués à se désintéresser du problème du financement de leurs armées. Ils considèrent que cette question doit être réglée par la France et que, pour leur part, il leur suffit de fournir les hommes ». Ce n’était pas, en effet, le seul but recherché. En conclusion de cette note, il attire l’attention sur l’organisation des services financiers des États et sur leur politique économique et financière : « Ces deux questions n’ont pas été sérieusement abordées jusqu’à ce jour, précise-t-il fin 1953. Pour en rappeler l’ampleur et l’importance, on rappellera seulement que les États sont dotés, sur le plan militaire, d’armées modernes, comprenant plusieurs centaines de milliers d’hommes, alors que leur structure économique et sociale les a contraints, sur le plan des ressources et de l’organisation financière, à rester dans les limites d’un système colonial. Il en résulte que les recettes ordinaires représentent un tiers environ des charges publiques qui, pour la plus grande partie, sont couvertes par la France et les États-Unis »34.
29Il n’en reste pas moins que les États associés contribuent de plus en plus au financement de la guerre, et en particulier le Vietnam, qui des trois États a les charges les plus lourdes – le Laos est en effet dispensé de contribution et le Cambodge, en fin de conflit, couvre lui-même l’intégralité de ses dépenses militaires. La contribution du Vietnam, modeste au départ, croît même de façon spectaculaire :
30Certes, entretemps, la détérioration du système de Pau avait amené le Vietnam a s’attribuer l’essentiel des droits de douane de l’Indochine, au lieu de redistribuer leur part aux deux autres États – les taxes en question constituant le premier poste de ses recettes fiscales. Et la proportion de 40 % du budget consacrés aux dépenses militaires, initialement prévue, n’est plus guère respectée : elle dépasse 60 % du budget en 1953 et même 70 % en 1954. Difficile alors, pour un gouvernement, d’être plus « dans la guerre ».
31Ainsi le système mis en place par la France en 1950 pour valoriser les ressources locales et les orienter vers la guerre aura partiellement fait, si l’on ose dire, long feu : la solidarité financière établie entre les États associés par les conventions de Pau ne résista pas deux ans au réveil des tensions entre Cambodge et Vietnam. Sans doute leurs gouvernements se sont-ils appropriés leur part de guerre mais, en même temps, la France a progressivement perdu les leviers dont elle disposait sur place. D’ailleurs, la montée continuelle du coût des armées nationales devenait à son tour, on le sait, difficile à supporter par le budget français lui-même, et le relais fut passé en 1953 aux États-Unis.
32Du côté du Viet Minh, également, les quelques données disponibles suggèrent à la fois l’importance et l’aggravation progressive du poids du conflit sur les finances publiques, comme si le Vietnam s’enfonçait chaque année et dans les deux camps davantage dans la guerre. Dès le départ, le budget de la RDV apparaît tout autant tourné vers les dépenses militaires que ne le sera celui de l’État associé, et curieusement dans les mêmes proportions : « en règle générale, note une étude française de 1948 sur L’économie vietminh, 40 % des recettes vont aux besoins militaires »36. Mais les recettes ne rentrent pas toujours facilement, en particulier là où « l’ennemi » contrôle une large partie du territoire.
33En 1950, le budget régional du Nam Bo prévoyait ainsi 281 millions de dôngs en recettes37 : de l’impôt sur les rizières aux bons de Résistance, en passant par un impôt sur les barques, les patentes ou les droits d’enregistrement et timbres, toute la gamme d’une fiscalité directe et indirecte devait fournir aux combattants du Sud de quoi poursuivre la guerre. Mais voilà : sur 281 millions de recettes prévues, 126 millions – 45 % environ – sont seulement rentrés ; et encore cette somme est-elle elle-même inférieure de 25 % aux recettes réalisées l’année précédente, en 1949. Pour tout commentaire, le document note : « parmi les recettes, les recettes indirectes occupent encore la majeure partie, bien qu’elles soient inférieures à celles de 1949. La diminution des recettes est due aux causes suivantes : rétrécissement de notre zone d’action, stocks de paddy en décroissement, ventes à perte malgré les cours élevés ». À cette date, qu’elle qu’en fut la forme, nul doute que l’aide chinoise allait être la bienvenue.
34D’autres sources suggèrent que les dépenses militaires pouvaient représenter jusqu’à 70 à 75 % des budgets locaux au début des années 1950. Par exemple, les données budgétaires de la province méridionale de Long Chau Sa38 donnent la répartition suivante : 25 % du budget de 1952 pour les services et 75 %, pas moins, pour les troupes. Dans cette province du delta où, en 1952, aucune grande opération militaire n’est signalée, les trois quarts des recettes locales du Viet Minh – et tout indique que le régime de l’autosuffisance y est la règle – vont à la guerre. Pour lui comme pour ses adversaires, en tout cas, les ressources budgétaires nationales ne pouvaient plus suffire.
II. LES RESSOURCES NON ORTHODOXES
35Il n’est « pas d’exemple qu’un État alimente financièrement une guerre par des procédés orthodoxes », reconnaît en 1951 un courrier du haut-commissariat au Trésor39. Il n’y a pas non plus « d’exemple qu’une guerre à l’époque moderne ait pu être financée sans recours à l’Institut d’émission », rappelle une note de 1954 à propos de l’Indochine40. Procédés ou ressources, il s’agit de la même chose : les moyens non orthodoxes qui ont été périodiquement utilisés pour couvrir certaines dépenses militaires ne mettent sans doute pas en œuvre de grosses masses de capitaux, en particulier au regard des crédits budgétaires, mais, intervenant à des moments-clés, ils ont joué un rôle important, qui dépasse le niveau des montants engagés, eux-mêmes par ailleurs assez difficile à connaître avec précision. Figurent dans cette catégorie les comptes spéciaux et la « planche à billets », la spéculation monétaire, l’opium aussi : tout indique que sur ces différents chapitres, même si le flou l’emporte sur les certitudes, les belligérants utilisaient quand il le fallait des méthodes comparables.
A. LES COMPTES SPÉCIAUX
36Dans la tradition française des finances publiques, le recours aux comptes spéciaux du Trésor apparaît en lui-même comme un mode presque ordinaire de financement, d’ailleurs périodiquement avalisé par la loi. Dans le cas de l’Indochine, cependant, ce recours a pris un caractère particulier, à la fois massif et presque « sauvage » ; il est d’ailleurs resté ponctuel, lié aux années 1949 et 1950. Les comptes spéciaux n° 1 et n° 2 – leur dénomination ajoute encore au mystère – ont alors défrayé la chronique.
37L’affaire commence en 1949 quand l’augmentation des coûts prend une allure vertigineuse, dépassant les limites de la procédure budgétaire à la fois en métropole et en Indochine. Au moment où le haut-commissaire Pignon demande à Paris l’ouverture de deux comptes spéciaux pour y faire face, en mars 194941, les dépenses militaires à la charge de l’Indochine sont, on le sait, en train de passer de 173 millions, en 1948, à 2 308 millions de piastres pour 1949, soit 13 fois plus42... Aux avances nécessaires pour faire face à l’urgence, notamment du côté de la frontière chinoise, s’ajoutent en effet les dépenses du corps expéditionnaire excédant les crédits déjà alloués, et surtout le coût de la création des armées nationales.
38Le problème est que, si les deux comptes spéciaux demandés par Pignon furent bien ouverts, ils ne le seront pas dans les mêmes conditions. L’instruction interministérielle du 4 avril 1949, qui répond à sa demande et précise « les conditions dans lesquelles l’Indochine participera, au cours de l’exercice 1949, aux dépenses d’entretien des Forces armées d’Extrême-Orient » fixe cette participation à 20 milliards de francs mais ne prévoit qu’un seul compte spécial43. Ce compte spécial de trésorerie, numéroté 15-79 et intitulé « Avances de la participation de l’Indochine aux dépenses militaires de l’année 1949 », dit « compte spécial n° 1 », sera formellement créé par arrêté du haut-commissaire le 21 novembre 1949. Entre-temps, ce dernier avait contraint son conseiller financier, Max Deville, à créer un autre compte spécial, par arrêté du 13 septembre 1949 : numéroté 15-76 et intitulé « Dépenses militaires propres à l’Indochine l/c d’avances », ce « compte spécial n° 2 » prenait également en charge des financements que la voie budgétaire normale ne pouvait assurer, mais il restait d’initiative locale.
39Deux autres comptes spéciaux, véhiculant des flux financiers plus modestes, viendront s’y ajouter. Le premier, presque anecdotique au regard des autres, numéroté 15-80 et créé fin 1949, couvrait les « frais d’entretien des éléments militaires étrangers internés », autrement dit les unités de l’armée chinoise nationaliste qui venaient de se réfugier en Indochine. Le second, numéroté 15-81 et connu sous le nom de « compte spécial n° 1 bis », fut institué le 28 janvier 1950 en application d’une Instruction interministérielle Finances-Marine : il couvrait une partie des dépenses des flottilles amphibies rattachées à la Marine nationale44.
40Ainsi que le montre le tableau suivant, 74 milliards de francs de dépenses militaires ont été au total imputés à ces comptes spéciaux, répartis pour moitié ou presque entre les comptes n° 1 et n° 2. On observe cependant une sorte d’effet de vase communicant entre les deux : le premier – officiel – joue surtout un rôle important en 1949, le second – d’initiative locale – semble prendre le relais en 1950.
41Cette évolution des comptes spéciaux ouverts en Indochine est à la mesure de leur caractère particulier. Les services de la rue de Rivoli les ont d’ailleurs fait rapidement fermer : l’arrivée d’une part de Roger Goetze à la direction du Budget, dans l’été 1949, c’est-à-dire plusieurs mois après l’Instruction interministérielle autorisant le compte spécial n° 1, la vigilance de François Bloch-Lainé d’autre part à la direction du Trésor, ont semble-t-il convaincu le ministre des Finances et le reste du gouvernement de mettre fin à des errements de ce type. Avant même la fin de 1949, le haut-commissaire Pignon recevait de la France d’outre-mer un télégramme lui prescrivant, « à partir du 1er janvier 1950, d’éviter tout recours aux moyens locaux de trésorerie », ce qui nécessitait au passage de demander aux États une plus « large contribution » aux charges militaires45 ; et, on le sait, Maurice Petsche fera fermer ces comptes spéciaux, le n° 2 en particulier, devenu le plus important, à la fin de l’été 1950.
42Il reste que d’après les estimations des services de De Lattre, les avances du Trésor indochinois auront entretemps couvert les dépenses militaires effectuées en Indochine à hauteur de 42 % en 1949 et de 24 % en 195046. Mais il était entendu que le retour à la normale devait intervenir l’année suivante : « la totalité des dépenses militaires en Indochine au titre de 1951, précisent les mêmes sources, doit être payée sur des crédits du budget français ». Orthodoxie financière oblige...
43Cette intervention presque ponctuelle des comptes spéciaux dans le financement des dépenses militaires d’Indochine a cependant laissé des traces. Après 1951, lorsqu’il fallut liquider le Trésor indochinois et en répartir les attributs entre la France et les trois Trésors nationaux, chacun se repassa « l’ardoise » – toujours inscrite dans les comptes – comme une « patate chaude »47. Mais le débat était devenu quasiment théorique : si quelques membres du gouvernement comme René Pleven avaient pu à l’époque penser que les dépenses inscrites au compte spécial n° 2 auraient pu être prises en charge par les États-Unis, ce qui ne s’est pas produit, il y avait longtemps que les dites dépenses, imputées aux comptes spéciaux, avaient en fait été couvertes par l’inflation. Les comptes spéciaux auront ainsi permis, comme c’est finalement une de leurs fonctions, de recourir à l’émission – sous forme d’avances du Trésor indochinois – pour couvrir une part des dépenses militaires.
B. L’INFLATION
44« Au titre des affaires courantes, une question me paraît très préoccupante, écrit le conseiller financier Deville au directeur du Trésor en 1951 : c’est celle des ressources extra-budgétaires à trouver d’urgence pour permettre de compléter l’effort militaire et de constituer les armées nationales »48. La tentation du procédé inflationniste traverse toute la guerre, sa mise en œuvre étant d’autant plus simple en Indochine que celle-ci disposait de son propre Institut d’émission : la Banque de l’Indochine, puis l’Institut d’émission des États associés. Les Japonais déjà, durant les quelques mois de 1945 pendant lesquels ils se substituèrent aux Français, avaient largement profité de cette possibilité, contribuant à placer le retour de ces derniers sous le signe d’une inflation incontrôlée : François Bloch-Lainé n’avait-il pas, dans un souci à la fois d’assainissement et de « désarmement » financier de l’adversaire, choisi de démonétiser les billets de 500 piastres ?
45La circulation fiduciaire a pratiquement quintuplé en Indochine entre 1945 et 1954, passant de 2 à 11 milliards de piastres environ, selon une croissance moyenne annuelle de 18 %, et avec trois moments forts, comme l’indique le graphique suivant : 1945-1946, 1950-1951 et, dans une moindre mesure, 1953 – soit le début, le tournant principal et la fin de la guerre49.
46Sans doute faudrait-il distinguer un recours « normal » à l’émission de ses abus. Le premier emballement de la circulation fiduciaire, en 1945-1946, lié on vient de le voir aux conditions particulières de la fin de la seconde guerre mondiale en Indochine, relève de la seconde catégorie. Pour autant, afin de financer les dépenses militaires locales, le Trésor indochinois ne renonce pas à se procurer « des fonds par le moyen d’avances qui lui sont consenties localement par la Banque de l’Indochine » – il s’agit bien, précise la même note, d’« émissions supplémentaires de piastres »50. L’ennui est que l’on retomba vite dans l’abus : « depuis deux ans, poursuit ce document, les dépenses militaires s’étant gonflées [...] ont dû être financées en quasi totalité par les avances de la Banque de l’Indochine. Cette inflation a provoqué un mouvement de transferts vers la métropole que le solde créditeur en francs de la succursale de Saigon dans les écritures de la Banque de l’Indochine ne suffisait plus à couvrir ». On est alors en 1949.
47C’est en effet entre 1949 et 1951 que le recours à l’émission apparaît le plus net en Indochine, plaçant la naissance des États associés eux-mêmes sous le signe de l’inflation. Les documents de cette période sont très explicites. Un tableau du haut-commissariat résumant par exemple « les besoins du Trésor pour l’année 1949 » indique que les « sorties de fonds non compensées par des rentrées de fonds », c’est-à-dire relevant du procédé inflationniste, s’élèvent déjà à 6,2 milliards de piastres (environ 105 milliards de francs)51. Les budgets locaux sont pour leur part déficitaires et dans la colonne « couverture » de ces déficits figurent ces simples mots : « recours à l’émission ». Les budgets « nationaux » seront également bouclés par cette méthode, y compris après le 1er octobre 1951, quand les Trésors nationaux prendront la relève du Trésor indochinois.
48Les dépenses militaires réglées par des avances du Trésor indochinois en 1949 et 1950, et inscrites dans les registres des comptes spéciaux n° 1 et n° 2, ont donc été financées de cette manière. Dans les discussions accompagnant la liquidation du Trésor indochinois, précédemment évoquées, le Vietnam associé en tirera d’ailleurs argument pour demander un dédommagement à la France. Il restait à la fin du conflit, on le sait, à liquider 3 872 millions de piastres (66 milliards de francs) d’avances remontant à cette époque. Le négociateur vietnamien opposa non sans raison au représentant du Trésor, qui voulait lui faire prendre en charge les dites dépenses, l’idée que celles-ci ayant été « financées par l’inflation, cause de détérioration de l’économie des États », c’était à la France de leur verser maintenant la contre-valeur de 40 milliards de francs... Dominique Boyer, sous-directeur du Trésor, eut également beau jeu de lui rétorquer que le Trésor français en avait déjà, comme on le verra, supporté lui-même la charge52.
49Il est en tout cas intéressant de constater que le montant des avances en question – environ 3,8 milliards de piastres – correspond à l’accroissement de la masse monétaire en circulation sur les trois années 1949, 1950 et 1951... Cependant, le mécanisme apparaît plus complexe, sinon plus masqué. « Le recours continu à l’Institut d’émission pour le financement des dépenses locales ne mesure pas exactement l’évolution de l’inflation en Indochine, précise une note de 1950 : l’augmentation de la circulation monétaire, pour sensible qu’elle soit, reste inférieure au montant cumulé des avances consenties au Trésor indochinois par l’Institut d’émission »53.
50Une spectaculaire poussée inflationniste reprend en 1953. S’inquiétant en octobre de l’augmentation de la contribution du Vietnam associé aux dépenses militaires, son ministre des Finances analyse les ressources dont son pays dispose pour supporter cette augmentation, et ne peut éviter d’y revenir. « Il est certain que le moyen le plus pratique est de recourir directement ou indirectement à l’Institut d’émission », note-t-il, avant d’ajouter : « ce mode de financement [...] ne peut être évité en temps de guerre parce que les besoins de la Défense nationale sont trop importants »54. André Valls, conseiller financier du haut-commissariat, lui fait écho dans son rapport annuel pour l’année 1953 : « La majoration de la contribution des États, qui passera en principe de 35 milliards à 65 milliards, ne pourra être obtenue que par un recours massif à l’Institut d’émission »55. Les besoins étaient donc de 30 milliards de francs, soit 3 milliards de piastres : on observe à nouveau que cela correspond à l’accroissement de la circulation entre le 31 décembre 1952 et juillet 1954...
51L’inflation en Indochine, qui est donc liée à la guerre et à l’accroissement des dépenses militaires, n’est pas sans répercussion sur la France elle-même. En effet, comme plusieurs notes du Trésor l’observent dès la fin des années 1940, « la quasi-totalité des dépenses faites en Indochine reflue sur la métropole par la voie des transferts »56, sous la forme d’achats de produits importés, de transferts d’économies ou autres. Les liens unissant la piastre et le franc font le reste, comme le précise la rue de Rivoli : « C’est grâce au mécanisme assurant la convertibilité de la piastre en francs que la charge de l’inflation locale se répartit entre l’Indochine et la France. Pratiquement, le Trésor métropolitain couvre le solde de la balance générale des comptes entre l’Indochine et la France [...] en versant en francs à Paris à l’Intitut d’émission l’équivalent de ce solde »57. Ainsi, ajoute une note de la France d’outre-mer sur la situation financière de l’Indochine, la « disproportion entre la masse des dépenses et les ressources propres du Territoire entraîne une inflation dangereuse qui n’est pas sans avoir d’effet dans la métropole elle-même »58 : autrement dit, lorsque le montant des transferts Indochine-France excède celui des crédits délégués à l’Indochine, qui empruntent le chemin inverse, ce qui ne manque pas de se produire en cas de recours massif à l’émission locale, le Trésor français doit régler la différence, comme il a dû le faire sans régularisation parlementaire en 1949 et 1950, au temps des comptes spéciaux.
52Le fait que la France ait eu à supporter les conséquences de l’inflation indochinoise, autour de 1949-1950 en particulier, tombait particulièrement mal pour la rue de Rivoli : cette dernière estimait en effet, en présentant le budget de l’exercice 1950, avoir eu raison du vieux démon que représentait le procédé inflationniste59. On comprend dès lors que la guerre d’Indochine n’y ait pas été très populaire, et que l’on y ait été en particulier attentif – sans toujours y parvenir avec l’efficacité désirable – à un strict contrôle des changes sur place : seul ce contrôle des changes pouvait en effet contenir l’inflation en Indochine même.
53Quoi qu’il en soit, la tentation est restée persistante : en 1953, à propos de l’Indochine justement, elle fit même l’objet d’un débat dans les coulisses du pouvoir français : l’inflation ou l’aide américaine, tels semblaient être les termes de l’alternative. Au début de l’année, une note préparatoire au voyage de Mayer aux États-Unis, pendant lequel, on le sait, l’Indochine fut placée en tête des entretiens, suggère de tirer argument du déficit budgétaire, « qui doit être couvert pour une très large part par des procédés inflationnistes », mettant en péril l’économie et la monnaie françaises60. Quelques mois plus tard, Marc Jacquet, secrétaire d’État aux États associés, en désaccord avec son collègue du Budget, suggérait la direction inverse : après tout, demandait-il en substance, quelle serait la gravité d’un « pronostic inflationniste » de 150 milliards sur deux ans ? La « planche à billets » était pour lui préférable à l’aide américaine61. Mais sa position resta isolée au sein du gouvernement.
54Il n’est évidemment pas aisé d’évaluer la part du recours à l’émission dans le financement de la guerre d’Indochine. Faut-il compter en francs - ou en piastres -, étant entendu que la multiplication des signes monétaires entraîne elle-même leur dépréciation, ou plutôt en « points » d’inflation ? En combinant les deux approches, en s’en tenant à la monnaie indochinoise et en n’oubliant pas son changement de parité en fin de période, il est permis de situer autour de 4 à 5 % la contribution de l’émission au coût total de la guerre. Compte tenu des sommes engagées, ce n’est pas négligeable.
55Le Viet Minh, dans ce domaine comme dans les autres, ne semble pas avoir été en reste. Il est vrai qu’entre la pratique consistant à couper en deux certains billets de la Banque d’Indochine, avant de les laisser circuler en « zone libre », et celle autorisant certaines provinces à émettre elle-même du papier-monnaie, le pas de l’inflation était sans doute facile à franchir. Avant 1951, le Viet Minh émet pratiquement sans compter : « Par le biais du dông, indique une étude de Hanoi sur le sujet, l’État mobilisait les ressources du pays pour satisfaire les besoins de la guerre, en particulier ceux de l’armée. Cependant, cette émission, nécessaire mais régie par des facteurs extra-économiques et déterminée essentiellement par les dépenses de l’État, ne pouvait pas ne pas conduire à une forte inflation, concentrée dans quelques régions »62. Sur la base d’un indice 100 en 1946, l’émission atteint l’indice 1 914 en 1950, soit une inflation au moins dix fois supérieure à celle alimentée par la Banque de l’Indochine (indice 149 en 1950).
56Les documents saisis confirment cette attitude. L’un d’entre eux, portant sur « la situation financière au Nam Bo en 1950 », se conclut par exemple sur le rôle de « l’imprimerie spéciale » pour équilibrer le budget : celle-ci répartit son activité en huit « organes » différents, dont les deux principaux n’ont pas de localisation géographique précise (ils sont connus comme « section du comité A » et « section du comité B ») et les six autres se dispersent entre plusieurs provinces du delta, de Gia Dinh à Sa Dec63 ; l’ensemble produit en 1950 un total 380 millions de dôngs. Or sur ces 380 millions de dôngs émis au Sud, 275 millions étaient destinés à financer des recettes insuffisantes64.
57La création de la Banque nationale du Vietnam en 1951, la réforme monétaire qui suivit et la rationalisation des finances publiques permirent d’assainir la situation, mais pas complètement. En 1952, dans un rapport sur la situation économique et financière du Nord et du Centre, la « nécessité d’émettre une somme importante » vient à nouveau en conclusion du constat que le recouvrement des impôts sera inférieur aux prévisions65. Pour autant, ces comportements inflationnistes, dans une économie restée assez peu monétaire, ne pouvaient sans doute déboucher sur un phénomène de même nature que celui constaté dans la zone « provisoirement contrôlée par l’ennemi ».
C. LA SPÉCULATION MONÉTAIRE
58Compte tenu de la surestimation de la piastre, la spéculation était si tentante que l’on se demande bien quelle raison auraient eu les belligérants de ne pas y recourir. Mais aucun document ne le suggère vraiment. Du côté français, seule l’affaire Bollaert, alors haut-commissaire en Indochine, laisse penser à une utilisation du trafic à des fins de financement – mais de quoi ? Vraie ou fausse justification, Bollaert argua, on le sait, d’une opération de ses services secrets pour expliquer le flagrant délit dans lequel se trouva impliquée sa propre fille, à l’aéroport de Tan Son Nhut. En fait, comme nous le verrons plus loin, tout dépend de quoi l’on parle. Si l’on s’en tient à des trafics frauduleux et clandestins, il est dans l’état des sources impossible de prouver, voire d’imaginer, quoi que ce soit. Par contre, si l’on considère que le trafic se confond avec les transferts Indochine-France, l’appréciation est bien différente.
59Le Trésor gère une situation qui sans doute l’arrange mais, éventuellement, lui coûte. De son point de vue, les transferts en question, rendu possibles et juteux grâce à un taux de change très avantageux (la piastre à 17 francs), sont d’ailleurs considérés comme des ressources locales. En effet, quand un importateur veut régler une opération avec la France, ou qu’un officier souhaite envoyer quelque économie en métropole, ou encore qu’un spéculateur sans scrupule fasse circuler l’argent, il dépose à la Banque de l’Indochine, ou dans toute autre banque agréée, les piastres qui lui permettent d’acheter des francs. Mais ces piastres, bien sûr, demeurent sur place, pendant qu’à Paris le Trésor alimente les comptes de la succursale de la Banque de l’Indochine pour que celle-ci puisse assurer ses règlements en francs. Cette ressource locale, dont le Trésor dispose en Indochine, apparaît cependant plus comme un élément comptable que comme une véritable ressource : à l’autre bout de la chaîne, à Paris, il doit payer, et souvent plus qu’il ne doit, pour la couverture des excédents de transferts et, partant, de la monnaie indochinoise.
60Du côté Viet Minh, les choses ne sont pas plus simples. Jacques Despuech, dans son brûlot sur Le trafic des piastres, parle d’un réseau sino-vietnamien gravitant autour de la Bank of Communications, qui dispose de succursales à Saigon comme dans d’autres villes du Vietnam, et qui via Hong Kong pratiquerait la spéculation à grande échelle : comme dans un roman policier, tout y est, la Bank of Communications bien sûr, la Banque commerciale pour l’Europe du Nord à Paris, réputée liée à l’URSS, la plaque tournante de New York, un Chinois de nationalité portugaise, circulant entre l’Angleterre et la Suisse, en contact avec des Arméniens, le retour par Hong Kong, Bangkok ou Manille66...
61Les sources françaises restent discrètes sur une éventuelle utilisation du trafic des piastres par le Viet Minh. À la question d’un des membres de la commission d’enquête – « Pensez-vous que le Viet Minh ait pu acheter des devises grâce au trafic des piastres ? » – le ministre d’État et haut-commissaire Jean Letourneau répondit en ces termes : « C’était l’une des grandes préoccupations du haut-commissariat et j’ai fait faire sur ce point de nombreuses études par mes services de sécurité, [mais] ils n’ont jamais pu découvrir une filière et pu démontrer que le Viet Minh profitait effectivement du trafic des piastres. Il est probable qu’il en profitait mais il en avait la possibilité par ailleurs puisqu’il prélevait des piastres de la Banque de l’Indochine ou maintenant de l’Institut d’émission des États associés dans la zone qui est officiellement entre les mains de S. M. Bao Dai. Il a donc pu se procurer des piastres pour les échanger, puisqu’elles ont cours sur le marché de Hong Kong, contre des devises. Il n’avait pas besoin de trafiquer pour se les procurer, puisqu’il s’agissait d’emprunts forcés »67.
62Les services du haut-commissariat ont-ils analysé les budgets saisis ? Il ne s’agit peut-être pas de spéculation sur les monnaies, mais il est tout de même étrange que, par exemple au Nam Bo, caractérisé par la proximité de Saigon, environ 60 % des recettes n’aient pas d’affectation précise : 59 % des recettes effectivement rentrées en 1950 figurent sans autre précision à la rubrique « recettes indirectes et diverses », quand plus d’une douzaine d’autres recettes, directes ou indirectes, font l’objet d’indications très détaillées68. Dans la liste des recettes de l’exercice 1951 de la province Baria-Cholon, la seule des sept rubriques à rester imprécise – « autres recettes » – est celle qui en fourni le plus : 66 % du total69... Il est vrai qu’au chapitre des ressources non orthodoxes ne figure pas que la spéculation monétaire.
D. L’OPIUM
63Une fois transformé, le suc des fleurs de pavot, qui pousse sur les hauteurs du nord de l’Indochine, est sous le nom d’opium une marchandise presque comparable à l’or : faible encombrement et forte valeur. La différence vient bien sûr du fait que l’opium est consommable – et renouvelable – et que sa consommation abêtissante est rejetée par la morale. L’opium ne pouvait ainsi manquer d’être utilisé pendant la guerre d’Indochine, pour la valeur que son commerce dégage, et de l’être le plus discrètement possible, pour ce que la morale réprouve. Il n’est donc pas très simple, là non plus, de déterminer qui se servait vraiment de l’opium et dans quelles proportions.
64Principale recette, traditionnellement, du budget de l’Indochine, qui s’en gardait le monopole, l’opium n’est pas absent de la réinstallation des Français à Saigon en 1945 et 1946. La denrée précieuse et dangereuse paraissait d’autant plus incontournable que, pendant la seconde guerre mondiale, du fait de la rupture des circuits commerciaux habituels, le Gouvernement général avait encouragé la production locale : les Hmong (Méos) du Laos et du pays Thaï au Tonkin, dont c’était la spécialité, avaient donc relancé la culture du pavot, que jusqu’alors l’autorité coloniale avait plutôt eu tendance à décourager70. En 1945, la question de l’opium resta donc d’abord « réservée », pour reprendre l’expression de François Bloch-Lainé, alors conseiller financier du haut-commissaire d’Argenlieu71. Lui-même se veut sur le moment pragmatique, tout en regrettant d’être « obligé d’agir avec une certaine mauvaise foi » : « j’estime pour ma part, précise-t-il, qu’il serait absurde de désorganiser immédiatement le monopole pour obéir à des injonctions puritaines qu’aucun peuple d’Extrême-Orient ne suivra en pratique ». Mais, dans le même temps, « nous pouvons nous engager à restreindre progressivement la consommation en agissant sur la production et en luttant contre la contrebande ».
65Le monopole est démantelé à partir de 1946, quand l’ordonnance fédérale du 12 juin supprime la vente libre de l’opium. Le produit conserve cependant, provisoirement, un certain rôle. L’administration des douanes et régies continue son écoulement à usage médical ou pharmaceutique, ainsi que pour assurer le traitement progressif des toxicomanes : les fumeries laissent la place à des « cliniques de désintoxication ».
66Arguant chiffres à l’appui que « l’action des autorités françaises a toujours été orientée dans le sens d’une lutte contre l’opiomanie », Gonon, successeur de Bloch-Lainé comme conseiller financier à Saigon, explique cette politique de poursuite des ventes par trois séries de raisons72. Les premières sont des raisons « de salubrité publique et de nécessité politique » : une interdiction pure et simple empêcherait de contrôler les désintoxications et générerait un climat malsain ; la destruction des champs de pavot, détruirait pour sa part l’économie de certaines populations montagnardes, ce qui n’est pas plus souhaitable.
67Le Laos est plus particulièrement visé par cette dernière assertion. La stabilité politique du royaume, très peu densément peuplé mais où le poids relatif des minorités est important, est liée aux relations du pouvoir avec ces dernières, éparpillées dans les montagnes boisées du Nord ou fixés autour de la plaine des Jarres. Le Laos vit-il de l’opium ? « Le gouvernement laotien compte sur la vente de l’opium produit dans ces régions pour en tirer la plus grande partie de ses recettes budgétaires », précise Gonon. D’ailleurs, indique-t-il, « lors de la conclusion de la Convention provisoire franco-laotienne73, les autorités françaises ont dû s’engager, à l’égard du gouvernement laotien, à acheter la totalité de l’opium brut produit au Laos ». Cette valeur particulière de l’opium en Indochine avait déjà amené Bloch-Lainé, « d’accord avec le Cambodge » mais semble-t-il sans suite, à envisager de « subventionner le budget royal en nature plutôt qu’en argent, en lui remettant de l’opium »74.
68Une seconde série de raisons expliquant la poursuite de la vente d’opium par les autorités françaises est à la fois d’ordre monétaire et budgétaire. D’une part, dans le contexte inflationniste du moment, il ne faut aux yeux du conseiller financier Gonon « négliger aucun moyen de pratiquer des ponctions importantes sur ces disponibilités fiduciaires » : aussi la vente de l’opium dans les lieux de « désintoxication » se fait-elle « à un prix extrêmement élevé » – 10 500 à 18 300 piastres le kilo en 1946, soit cinq fois plus au moins que l’année précédente, en 1945. La vente de l’opium peut ainsi « opérer sur la circulation fiduciaire une ponction de 150 à 200 millions de piastres en 1947 », précise-t-il. D’autre part, l’opium reste avec les jeux une recette appréciable, un peu comme sous le Gouvernement général ou l’autorité japonaise75 : « Il paraît impossible, écrit encore Gonon, de renoncer aux ressources, sans doute contestables du point de vue de l’orthodoxie financière, mais nécessaires dans les circonstances extrêmement difficiles de la période actuelle, qu’apportent l’opium et les jeux. Si elles devaient disparaître, c’est de 150 à 100 millions de piastres que serait privé le budget fédéral et de 27 millions de piastres le budget cochinchinois »76.
69La France renonce cependant progressivement, à la fin des années 1940, à l’usage budgétaire qu’elle faisait de l’opium, mais une sorte de transfert s’opère au profit de ses services secrets : comme l’indique Alfred McCoy, à qui la suite des événements donnera raison, « dès que l’administration civile supprimait une branche de son commerce, les services de renseignements français s’en emparaient » – sans d’ailleurs que la dite administration civile en fut toujours informée. Les principaux intéressés seront les hommes du GCMA, le Groupement des commandos mixtes aéroportés, lié au SDECE et dépendant directement du commandant en chef, qui, sous l’impulsion de quelques jeunes officiers comme le commandant Trinquier et le capitaine Savani, voient dans l’appui des minorités une possibilité de lutter efficacement contre le Viet Minh et organisent la contre-guérilla après 195077.
70Ainsi, « le monopole passa à la clandestinité sous le nom d’Opération X », écrit également McCoy, ce qui permit d’assurer le financement des opérations de contre-guérilla. La mise sur pied des équipes du GCMA était en effet fort onéreuse et ne correspondait à aucune ligne budgétaire : formation de centaines de cadres au Cap Saint-Jacques, équipement et traitement de départ, parachutages et entretien des hommes, à coup de tonnes de matériel également parachuté... Trinquier revendiquera le recrutement de 40 000hommes dans les minorités, répartis en trois maquis principaux. Or la hiérarchie militaire française en Indochine, sauf peut-être de Lattre et sans doute Salan, n’était pas passionnée par la méthode, pas au point en tout cas de distraire à son profit certains des moyens déjà trop modestes qui étaient mis à sa disposition. L’opium s’imposait donc, d’autant plus d’ailleurs qu’il était souvent produit par les minorités dont la collaboration était recherchée.
71L’affaire fit discrètement scandale début 1953, quand un lieutenant chargé de la trésorerie du GCMA refusa d’avaliser une comptabilité qu’il jugeait douteuse et s’en ouvrit à une mission parlementaire de passage78. Letourneau, informé, fit faire une enquête. Il apparut vite que, début 1953, pour implanter ses antennes dans le nord du pays, le GCMA avait obtenu l’appui du principal chef méo du Laos, Touby Lyfoung, contre l’achat de sa récolte d’opium : transporté par avion à Saigon ou au Cap Saint-Jacques, puis traité, celui-ci devait être ensuite écoulé par Bay Vien et à ses Binh Xuyen – une manière, accessoirement, de rétribuer également les services de ces derniers79. Mais il ne pouvait s’agir d’un incident isolé. Letourneau comprit vite que « les détournements et les gestions occultes postulaient la mise en œuvre de moyens financiers considérablement supérieurs » aux bizarreries constatées, et que « l’ensemble de cette affaire se caractérisait par l’existence d’un trafic d’opium justifié par des impératifs militaires », au demeurant admissibles. Face aux officiers du corps expéditionnaire, Letourneau prit des mesures discrètes et, finalement, symboliques : le commandant Trinquier prit la place du lieutenant-colonel Grall à la tête du GCMA et seuls, assura-t-il, les actes antérieurs de courage de ce dernier « lui évitaient de faire les 60 jours d’arrêt de forteresse que tout autre, moins héroïque, aurait subi »80. Salan, mais sans doute pas pour cette seule raison, fut lui-même remplacé par Navarre quelques semaines plus tard – Letourneau quittant également la scène, il est vrai, dans la tornade de la dévaluation de la piastre.
72La Résistance Viet Minh s’alimentait-elle également à la source généreuse de l’opium ? Les Français en étaient pour leur part convaincus. « Tout le monde sait, déclarait Letourneau en septembre 1953, qu’une des ressources alimentant le budget de guerre du Viet Minh est l’opium et que les grandes opérations montées à certains moments dans le Nord-Laos ou dans le pays thaï sont essentiellement des opérations pour rafler la récolte d’opium en vue de la liquider sur les marchés internationaux »81. Il n’en apportait pour autant aucune preuve. Salan voyait là également une justification de son propre trafic, comme il l’avait précisé à Letourneau dans le « rapport verbal » qu’il lui avait présenté fin février 1953 : le GCMA avait acheté la production d’opium à des chefs de maquis montagnards « à la fois pour que cet opium ne passe pas chez les Viet Minh, qui en tirent de larges bénéfices pour leur économie de guerre, et pour que nos maquisards ne nous abandonnent pas »82.
73Les documents disponibles ne démentent pas l’utilisation de l’opium par le Viet Minh, pour le financement de ses propres dépenses militaires, sans pour autant l’établir avec certitude. Les zones de production lui étaient accessibles grâce à la dissidence d’une partie des Méos eux-mêmes : les uns, au Laos, relevaient du clan de Lo Faydang, grand rival de Touby Lyfoung ; les autres, dans le pays thaï du nord-ouest du Vietnam, n’appréciaient pas les méthodes de Déo Van Long, le chef thaï de la région à qui les Français avaient délégué leurs pouvoirs, y compris celui d’acheter leur récolte d’opium83. La complicité des Méos de la région de Dien Bien Phu, en 1954, sera semble-t-il l’une des conditions de la victoire du général Giap. Bien sûr, les sources de la RDV, ou celles qui lui sont attribuées, sont très discrètes sur la question. Dans un rapport de 1952, Pham Van Dong l’aurait évoqué au chapitre de la « lutte économique contre l’ennemi » : « nous possédons quelques marchandises qui se vendent bien, aurait-il précisé, telles que l’opium, les buffles... », mais sans autre précision84.
74À travers les sources françaises de renseignement, il n’y a aucun doute quant à l’utilisation de l’opium et à l’enjeu qu’il représentait. « C’est l’opium qui constitue certainement l’objet de vente ou de troc le plus profitable » pour le Viet Minh, note une étude dès 194885. Les directions de ce trafic semblent avoir toujours été les mêmes : « Le trafic (sans qu’il soit possible de donner un chiffre), indique la même étude, s’effectue principalement vers la Chine ou le Siam par voies terrestres, à partir des régions de production (Tonkin occidental et Laos), et par voie maritime (Nghe An) ». Un rapport du BTLC, service de documentation du haut-commissariat, parle également de la Chine et du Siam en 195086. Un renseignement vietnamien (État associé) de 1953, signalant l’arrivée au Sud d’une cargaison de plusieurs caisses d’opium – ainsi que de faux billets BIC – précise que son écoulement est prévu en « zone contrôlée »87. Dans ces conditions, le contrôle de l’opium à la production attisait forcément les convoitises : comme il a déjà été suggéré, les responsables militaires français ont toujours considéré que certaines des offensives Viet Minh dans la région de Lao Cay, en 1949 et 1950 notamment, avaient pour finalité de s’assurer la récolte d’opium de cette partie du pays thaï88. Importante source de financement, sans doute pour les deux parties, enjeu de la guerre, l’opium en est aussi resté la face cachée.
III. LES RESSOURCES EXTÉRIEURES
75L’aide aux belligérants de puissances non impliquées au départ dans le conflit, ou très peu, transforme profondément la guerre d’Indochine à partir de 1950. En quoi ont consisté vraiment ces ressources extérieures ? Il s’agit bien sûr ici des ressources extérieures au conflit proprement dit, qui oppose la France au Viet Minh depuis 1945, mais pas extérieures au théâtre d’opérations, sans quoi il faudrait y inclure les ressources françaises, en particulier les crédits votés à plus de 10 000 kilomètres de l’Indochine pour entretenir sur place un coûteux appareil militaire. Les ressources extérieures dont il est question ici, et qui donnent au conflit sa dimension Est-Ouest, sont pour l’essentiel celles qui ont été levées aux États-Unis et en Chine. Mais elles sont inégalement repérables.
76L’aide américaine aux forces « franco-vietnamiennes », elle-même budgétisée dans le cadre de différentes lois sur l’aide et la sécurité votées par le Congrès, est relativement facile à suivre, encore qu’elle ait pris au fil des années des aspects complexes. Elle revêt trois formes principales : une aide militaire consistant en livraisons gratuites de matériels aux forces armées ; une aide économique aux États associés d’Indochine ; une aide financière enfin, plus tardive et ne concernant que la France. L’aide chinoise à la RDV, pour n’être pas moins décisive, s’est pour sa part faite beaucoup plus discrète et n’est en général connue, dans la mesure où elle peut l’être vraiment, que de manière indirecte. Des deux côtés en tout cas, la guerre d’Indochine s’est bel et bien inscrite par ce biais dans l’affrontement des blocs. Au-delà de l’inventaire de ces ressources extérieures, la question est de savoir dans quelle mesure leur poids toujours accru a pu les rendre finalement dominantes.
A. L’AIDE AMÉRICAINE EN MATÉRIEL
77La première ressource que les États-Unis ont mise à la disposition de la France en Indochine consistait en livraisons gratuites de matériels militaires, dont on sait que le corps expéditionnaire avait grand besoin et les nouvelles armées nationales plus encore. Décidée quelques mois après la signature du pacte Atlantique, cette aide militaire s’inscrivait dans le cadre du Mutual Defense Assistance Pact (MDAP), plus connu en France sous le sigle PAM, dont le Congrès avait adopté le programme en octobre 1949 à la demande du président Truman, et dont l’objectif était de renforcer la capacité défensive de l’alliance atlantique89.
78L’Indochine n’était donc pas seule concernée par ce renforcement en moyens militaires : la nouvelle politique américaine décidée en octobre 1949, qui allait entraîner la mise en œuvre de moyens considérables, avait une double dimension européenne et asiatique, quoique dans un premier temps surtout européenne. L’accord bilatéral du 27 janvier 1950, signé à Paris par René Pleven et David Bruce, respectivement ministre de la Défense nationale et ambassadeur des États-Unis, faisait d’ailleurs de la France une pièce essentielle au dispositif occidental de défense : avec 600 millions de dollars sur les 1 450 votés par le Congrès (41 % des fonds), elle était en effet la principale bénéficiaire du programme et allait par exemple recevoir à ce titre, dès 1950, quelque 1 250 chars américains M 4 pour sa propre défense.
79La France pouvait-elle puiser dans cette ressource pour l’Indochine ? Le groupe des conseillers du PAM était à peine installé à Paris qu’il recevait une demande pressante de cartouches, qui faisaient là-bas tellement défaut que la poursuite de la guerre y semblait compromise – le premier cargo américain livrant armes et munitions était attendu à Cherbourg le 13 avril 195090. Mais les Américains souhaitaient distinguer l’Indochine de l’Europe et la négociation sur celle-ci ne faisait que commencer : les premiers crédits utilisés spécifiquement pour la guerre d’Indochine relevaient d’une enveloppe de 75 millions de dollars prévus pour le périmètre chinois ; et, après l’accord de principe Acheson-Schuman du 8 mai 1950 et la signature du « Pacte à cinq » le 20 décembre de la même année, l’Indochine allait plutôt relever de fonds alloués pour l’Asie91 : d’autres navires allaient assurer directement leurs livraisons sur place.
80À ces matériels de guerre livrés dans le cadre du PAM s’ajoutèrent en 1953 d’autres matériels, non directement militaires mais néanmoins utilisés par les armées, comme les carburants. Le dispositif relevait cette fois du Mutual Security Pact (MSP)92, dont la mise sur pied fin 1951 par les États-Unis, alors que le plan Marshall prenait fin, traduisait leurs préoccupations de plus en plus sécuritaires. Mais ces livraisons, dites STEM93, ne représenteront en 1953, dans leur première année d’existence, pas plus de 10 % de la valeur de l’ensemble des matériels débarqués à Saigon par les navires américains.
81Les matériels militaires mis à la disposition des forces françaises arrivaient des États-Unis, parfois de France, ou avaient été prélevés dans les surplus américains du Pacifique, en particulier à Manille. Tous les types d’armements, ou de matériels nécessaires aux armements, étaient représentés, depuis les piles électriques et les munitions pour carabines jusqu’aux navires de guerre et même à un porte-avion : des centaines de chars et de véhicules blindés, autant de pièces d’artillerie lourde et légère, des milliers de véhicules, de mitrailleuses et de fusils mitrailleurs, d’appareils de transmission, des dizaines d’avions de chasse, de bombardiers, de petits navires aptes à se faufiler dans les arroyos, des millions de cartouches de tout calibre, des tonnes de napalm aussi...
82Les livraisons ont cependant mis du temps à trouver leur rythme. Dans la première année d’application du système, en 1950-1951, les rotations étaient lentes et se voulaient spectaculaires. Le porte-avion américain Windham Bay, escorté de patrouilleurs français, s’est ainsi offert une remontée de la rivière de Saigon le 1er février 1951, essuyant chemin faisant quelques tirs de mortiers adverses, avec le plus important lot de matériel jamais encore livré : 44 chasseurs Grumman « Bearcat », qui gagneront leur base après un survol de la métropole du Sud, et tout un stock de pièces détachées94. Mais après le voyage de De Lattre aux États-Unis, plus précisément à partir de novembre 1951, le mouvement s’accélère et se banalise : plusieurs centaines de navires américains – deux à quatre par semaines – débarqueront dès lors à Saigon le matériel militaire au rythme moyen mensuel déjà évoqué de 8 000 tonnes, avec des pointes allant jusqu’à 17 000 tonnes.
83La principale conséquence de ces livraisons fut de remettre « à niveau » les forces françaises. Alors qu’en 1950, le corps expéditionnaire ne pouvait compter que sur « un matériel désuet et insuffisant », comme précise en 1952 une note du Quai d’Orsay, « l’aide américaine a permis, (en) un an, une rénovation presque complète de son matériel »95. Le commandement en chef ne dit pas autre chose l’année suivante : cette aide vise à « une revalorisation totale du matériel et, en particulier, à son homogénéisation »96. Toutes les formations du corps expéditionnaire et des armées nationales en ont donc bénéficié. En tonnage, dans une moindre mesure en valeur, ces matériels étaient surtout destinés à l’armée de Terre97, conformément au poids de cette dernière dans le conflit ; le reste allait presque pour moitié à l’Air et la Marine, mais avec un rapport inverse entre le tonnage du matériel livré, plus faible, et sa valeur, plus élevée. Quant à la répartition entre corps expéditionnaire et armées nationales, elle reste à l’avantage du premier, même si la part des secondes augmente progressivement – elle passe de 11,7 % de la valeur des livraisons en 1952 à 16,8 % en 1953 : si les armées nationales s’équipent de toutes pièces, elles le font, on le sait, avec un matériel moins lourd et sophistiqué que celui livré au corps expéditionnaire.
84À la faveur des deux programmes complémentaires s’inscrivant dans les cadres précités, MDAP et MSP98, les États-Unis fournissent ainsi une aide militaire dont la valeur se stabilise autour de 300 millions de dollars annuels à partir de 1952 – soit environ 100 milliards de francs, comme l’indique le tableau suivant99.
85La charge n’est cependant pas ressentie comme exceptionnellement lourde à Washington. Aux dires du secrétaire à la Défense Charles Wilson en 1954, qui donne cet exemple, l’expédition de munitions en Indochine n’a jamais, à aucun moment, représenté « plus de 10 % de ce qui était autrefois expédié en Corée au cours de la campagne »100.
86La valeur de cette aide militaire repose cependant sur des estimations. Les crédits d’aide votés par le Congrès sont certes connus, mais les fournisseurs n’ont jamais donné de détails sur la, valeur des livraisons : « l’aide américaine, précise-t-on au ministère des États associés, ne peut être que très difficilement chiffrée, les Américains s’étant toujours refusé à nous en communiquer le montant et le prix des matériels différant très sensiblement selon qu’il s’agit de matériels neufs, de matériels rénovés, de matériels réalisés en Amérique, de matériels réalisés en France ». L’habitude est prise de se baser « sur un prix moyen de 1 million de francs la tonne »101. D’autres documents, émanant en particulier du commandement en chef en Indochine, considèrent plutôt « la valeur de remplacement des matériels fournis par l’aide américaine », en précisant également qu’il s’agit d’estimations102. Mais les livraisons effectuées à la France métropolitaine étaient entourées du même mystère, comme l’explique Irwin M. Wall à propos des 1 250 chars acheminés en France. « D’après les instructions de Washington, le montant de ces livraisons ne devait pas être rendu public : il s’agissait de matériel datant de 1945 et remis en état, si bien que son prix ne correspondait pas à ce qu’aurait été sa valeur à l’état neuf, vu sa qualité. »103
87Cette ressource en matériel déversée sur l’Indochine était-elle par ailleurs vraiment fiable ? Elle était adaptée au théâtre : chaque année, le commandement des forces françaises dresse lui-même les listes des armements dont il a besoin et les fait parvenir à Washington, via le MAAG Saigon104 ; et d’une manière générale il obtient satisfaction, quoique pas sur tous les points. Pour le programme FY 53105, par exemple, qui avait été scindé en deux listes – une « 75 % List » en urgence et une « 25 % List » moins pressée –, la seconde liste a été retournée pratiquement inchangée : « dans l’ensemble, précise en effet le document concerné, les matériels accordés correspondent à ceux qui ont été demandés ». Mais la première a été retournée modifiée par Washington : « certains matériels n’ont pas été retenus par les Américains ou les quantités en ont été réduites », note le commandement en Indochine106. Les avions gros porteurs C-119, sur lesquels le commandement en chef comptait, se sont ainsi transformés en plus modestes C-47. Tout se passait comme si les États-Unis s’interdisaient de dépasser un certain niveau d’équipement dans leur aide à la France.
88Les difficultés, car elles n’ont pas manqué, tenaient à plusieurs causes. Si la livraison de matériels lourds ne semble pas avoir présenté de difficultés, la question des pièces détachées a par contre, on le sait, suscité de multiples doléances, du début à la fin de la période d’application de cette aide militaire : leur insuffisance ou leur inadaptation a parfois limité l’effet de certaines livraisons, comme dans le cas des avions. D’autres matériels étaient livrés à la limite de la réforme, comme le suggère cet exemple pris dans une note de renseignement de septembre 1952 : « Parlant des bâtiments qui ont été livrés dernièrement à l’Indochine, l’officier de Marine américain chargé de les convoyer a ironisé sur la vétusté de ce matériel, assez bon pour les Français et dont les Américains sont tout heureux de se débarrasser »107.
89Mais le problème le plus complexe à gérer tenait semble-t-il aux retards de livraisons : le programme FY 51, couvrant donc la période 1950-1951, n’a été entièrement livré que fin 1952 ; le suivant, FY 52, n’a commencé à être réalisé qu’en juin 1952, au moment où se terminait l’année fiscale correspondante... Le retard accumulé au départ, lié au remodelage constant des listes, ainsi qu’aux délais nécessaires pour trouver le matériel ad hoc et l’acheminer, n’a jamais été vraiment rattrapé. D’autres problèmes encore accompagnaient les autres formes d’assistance complétant cette aide en matériel.
B. L’AIDE ÉCONOMIQUE AUX ÉTATS ASSOCIÉS
90Nettement plus faible en valeur que l’aide militaire, dont elle ne représente environ que le quart – entre 1 et 4 % du coût total de la guerre selon les années –, l’aide économique n’en est pas moins stratégiquement importante : elle contribue au financement de la guerre, même indirectement, et est surtout l’un des lieux où s’exerce l’influence américaine auprès des États associés. Pour les États-Unis, qui ont proposé une aide économique en même temps que l’aide militaire, le couplage est voulu, indispensable même à « l’endiguement » du communisme en Asie : la victoire de Mao en Chine n’a-t-elle pas montré que l’aide militaire seule restait insuffisante ? Le problème s’est depuis déplacé vers les pays d’Asie du Sud-Est. Pour la France, qui trouve d’abord désobligeant qu’une aide économique extérieure apparaisse nécessaire à des gouvernements qui lui sont associés, cette stratégie globale est finalement acceptée : « le gouvernement américain s’est rendu compte, entérine une note des États associés, que ces pays ne pouvaient résister efficacement au communisme qu’à la condition de se constituer en unités politiques et économiques solides, capables d’apporter à leur population une amélioration de niveau de vie sensible et durable »108.
91Un discret « bras de fer » oppose cependant Français et Américains dans la mise en place de cette aide économique, derrière laquelle se profilent justement le statut des États associés, et celui de la France elle-même en Indochine. Il faut d’ailleurs un an et demi pour lui trouver un cadre juridique. La Mission spéciale des États-Unis, installée à Saigon sous la direction de Robert Blum, au titre de l’ECA, démarre ses programmes le 5 juin 1950. Un an plus tard, quand les parties intéressées songent à signer un traité, de Lattre, alors haut-commissaire et commandant en chef, s’interpose : le 30 juin 1951, il empêche, on le sait, le gouvernement de Bao Dai de signer avec Washington, au motif qu’un délai insuffisant avait été laissé à Paris pour donner son accord. Pour les Américains, cette mauvaise humeur est liée au fait qu’il s’agissait du « premier traité séparé négocié et signé par le Vietnam » et que les Français avaient un peu de mal à s’y faire109. Les accords bilatéraux entre États-Unis d’une part et États associés d’autre part seront tout de même signés deux mois plus tard environ, le 7 septembre 1951. Du côté français, on souligna que « la conclusion de ces accords a donné lieu à de nombreuses difficultés, les Américains marquant une réticence très nette à laisser apparaître dans leurs textes les liens qui unissent les États associés à l’Union française »110.
92Une première divergence était apparue quant à la finalité même de l’aide économique américaine : cette aide venant à un moment où les errements du « compte spécial n° 2 » attiraient l’attention sur les dérives du financement de la guerre d’Indochine, l’aide économique apparaissait pour les Français comme une ressource nouvelle, dont il fallait savoir tirer parti. Une analyse rédigée à Saigon en mai 1950, alors que la négociation globale avec les États-Unis est déjà bien avancée, le suggère sans détour111. Considérant que « l’aide américaine sera plus nuisible qu’utile si elle n’est pas, au départ, convenablement cadrée », prenant bonne note que les Américains « estiment qu’une aide politico-militaire est le complément nécessaire de l’aide militaire », ce document précise : « la contre-valeur de l’aide économique est destinée dans notre esprit à financer pour la plus grande part les dépenses des armées nationales. Le programme 50/51 représente une contre-valeur d’au moins 400 millions de piastres, soit plus de la moitié du programme militaire vietnamien de 1950. L’appel à la trésorerie, qui retombe sur le Trésor français, en sera diminué d’autant ». Alors, aide économique ou aide militaire déguisée ? Mais les programmes américains établissent une claire distinction entre le militaire et l’économique, du moins dans les premiers temps, et tiennent expressément à leur dimension économique.
93Une seconde difficulté est liée au contenu même des programmes d’aide : les Français auraient-ils voix au chapitre ? Tout dépend en fait du type d’aide considéré, les Américains distinguant d’une part une « aide directe » et d’autre part une « aide commercialisée ». L’aide économique directe, comme son nom l’indique, consiste en fournitures gratuites directement livrées aux administrations ou à des entreprises locales, sans intervention ni droit de regard français. Pour l’aide commercialisée, par contre, la procédure est plus complexe : un crédit est ouvert aux États-Unis pour les importateurs indochinois mais ceux-ci règlent leurs factures, non pas auprès de leurs fournisseurs mais sur place, à une caisse centrale qui en tient ensuite le montant à la disposition des États associés. L’aide indirecte constituée par cette « contre-valeur » n’échappe pas cette fois à la vigilance des Français : ils ont obtenu de siéger dans une Commission provisoire d’importation de l’aide américaine, qui se réunit pour la première fois à Saigon le 4 décembre 1950. Le représentant de la France y veille notamment à faire en sorte que l’aide soit essentiellement consacrée à l’importation de produits de base, à éviter toutes mesures discriminatoires à l’égard d’entreprises françaises exerçant sur place et à empêcher l’achat de produits qui pourraient l’être dans l’Union française112.
94Concrètement, l’aide directe et l’aide commercialisée ne rendaient pas exactement les mêmes services. Il apparaît à la lecture des programmes que l’aide économique directe était d’abord ciblée sur la santé publique et, dans une moindre mesure, les infrastructures (transports, énergie, divers services publics) et les activités de base (agriculture, forêts, pêche). L’aide commercialisée porte plutôt sur des produits, accessoirement des services : produits pétroliers, coton brut, fret maritime, équipement pour mines et construction... L’aide directe paraît ainsi plutôt centrée sur le fonctionnement social, administratif et économique ; l’aide commercialisée sur la production de « contre-valeur » à partir de biens qu’il aurait de toute façon fallu importer113.
95Considérés dans leur ensemble, les programmes d’aide économique connaissent une progression régulière, plus particulièrement forte dans l’année fiscale 1952-1953, avec la fin du plan Marshall et le remplacement de l’ECA par la Mutual Security Agency. La nouvelle aide, dite STEM et qui a déjà été évoquée comme complément de l’aide militaire, s’inscrit directement dans un objectif de défense (Defense Support Program).
96La répartition de l’aide économique américaine entre aide directe et aide commercialisée illustre-t-elle la lutte d’influence franco-américaine ? Entre le premier et le second exercice fiscal, soit entre 1950 et 1952, la part de l’aide commercialisée réalisée, à la gestion de laquelle participe la France, s’accroît un peu, passant de 52 à 61 % du total114. Mais la balance va pencher à nouveau vers les États-Unis, et de manière beaucoup plus forte, durant l’exercice suivant, 1952-1953, avec le nouveau type de programme mis alors sur pied, qui reprend presque exclusivement les modalités de l’aide directe. Avec la fin du plan Marshall et le remplacement de l’ECA par la MSA, la France se retrouve ainsi partiellement hors-jeu des nouveaux programmes.
97La France n’aurait-elle donc que des raisons de se plaindre de ces 100 millions de dollars – environ 35 milliards de francs ? Il ressort certes des données précédentes qu’en deux ans et demi de programmes, malgré l’évolution d’abord constatée et à la faveur du changement d’organisation, 62 % de l’aide économique américaine aux États associés aura finalement échappé au contrôle français. Mais cette aide était loin d’être inutile : les États associés, consacrant à la demande de la France 40 % et plus de leurs budgets à la guerre, avaient quelques difficultés à dégager les ressources suffisantes au financement du reste. En 1953 enfin, l’aide économique a pris une vocation indirectement militaire, ce que les Français souhaitaient au départ, même s’ils n’en ont plus vraiment le contrôle, l’accent étant plus que jamais mis sur l’aide directe. En tout état de cause, l’assistance américaine, si elle crée les conditions d’une montée de l’influence des États-Unis en Asie du Sud-Est, permet également à la France d’éviter d’importants décaissements en dollars, lui apportant ainsi une aide, indirecte certes, mais non négligeable.
C. L’AIDE FINANCIÈRE DES ÉTATS-UNIS
98La guerre d’Indochine était-elle devenue, comme l’affirme la revue Esprit à la fin du conflit, « d’un bon rapport financier »115 ? L’aide financière, bien au-delà de l’aide en matériel militaire et de l’aide économique aux États associés, constitue sans doute l’apport le plus déterminant, le plus stratégique, des États-Unis à la France dans la guerre d’Indochine. Imaginée dès qu’il fut question d’un soutien américain, cette aide financière ne fut mise en œuvre qu’en 1952, mais c’est par ce biais que Washington « racheta » presque littéralement la guerre aux Français. Cette aide financière freinait-elle la recherche d’une solution véritable au conflit ?
99Dès le mois de février 1950, l’aide américaine qui se profile aurait pu, aux yeux de certains dirigeants français, comporter un volet financier. Le directeur des Finances extérieures, Guillaume Guindey, n’en fait pas mystère dans une note de cadrage sur le sujet : « M. Pleven est personnellement attaché à l’idée de demander également, au titre de l’aide américaine, une contribution en argent », destinée en l’occurrence à l’entretien des nouveaux bataillons vietnamiens116. Dans une note annexe, il précisait d’ailleurs que « dans la situation actuelle, l’aide américaine n’est utile qu’en tant qu’elle allège les charges imposées au Trésor ou aux États associés pour l’action poursuivie en Indochine. [...] Le problème essentiel est un problème de financement. L’intérêt principal de l’aide américaine réside donc dans sa consistance matérielle ou dans sa contrepartie financière ». Mais on n’alla pas plus loin, les Américains manifestant quelque réserve à financer le déficit budgétaire de leurs alliés, car cela y revenait.
100L’aide financière à la France pour la guerre d’Indochine est décidée deux ans plus tard lors de la conférence de Lisbonne de février 1952 et sur fond de réarmement général117. Alors que la guerre de Corée se poursuit, cette neuvième session du Conseil atlantique concrétise en effet l’évolution de l’aide américaine, qui voit l’aide militaire prendre le relais de l’aide Marshall. L’Indochine n’est, on le sait, pas seule en cause : les 500 millions de dollars obtenus à Lisbonne ne lui sont pas totalement destinés – 330 millions le sont tout de même ; et cette aide financière est attribuée en échange d’un effort militaire considérable en Europe même. La France, soucieuse de tenir son rang sur le vieux continent, ne s’est pas fait prier : alors que le coût de la guerre d’Indochine avait augmenté de 33 % entre 1950 et 1951, le plan Pleven lançant la Communauté européenne de défense (CED) avait déjà fait faire un bond de 47 % aux crédits militaires, puisqu’il était entendu que la France devait y jouer le premier rôle. À Lisbonne, en souscrivant un objectif de vingt « divisions OTAN », alors que l’objectif précédent de quatorze divisions paraissait déjà difficile à atteindre118, la France ne pouvait aller davantage dans le sens des États-Unis, qui réclamaient une augmentation spectaculaire des crédits militaires pour contrer une éventuelle menace soviétique : alors que le coût de la guerre d’Indochine augmente de 50 % entre 1951 et 1952, les crédits militaires de la France font dans le même temps un bond de 61 %119.
101Volontaire ou contrainte, la France est ainsi entraînée dans une spirale de dépenses militaires d’un niveau sans précédent, qui implique nécessairement une nouvelle aide américaine. Le comité des Sages, où se côtoient Edwin Powell, Averell Harriman et Jean Monnet, n’a-t-il pas recommandé à la France, en préparant la conférence de Lisbonne, de porter son budget militaire de 1952 à 1 400 milliards de francs, soit près du double de celui de 1951 ? « Aides toi le ciel t’aidera », paraissent dire les États-Unis, eux-mêmes dans le rôle du ciel. Mais à ce stade, comme le précisera Edgar Faure à Lisbonne, « la France n’est pas en mesure de faire face à la fois aux charges que lui imposent la guerre d’Indochine et sa contribution à la défense européenne »120.
102Les 330 millions de dollars (115 milliards de francs) obtenus pour l’Indochine à Lisbonne, se décomposent comme suit :
200 millions de dollars en commandes off shore ;
100 millions de dollars de supplément à l’aide économique ;
30 millions de dollars en commandes à passer aux États-Unis.
103Dans le premier cas, les commandes off shore permettent de faire payer par les États-Unis des matériels fabriqués en France et destinés à l’Indochine. La seconde rubrique permet d’utiliser pour l’Indochine la contrevaleur de l’aide économique en question. Quant aux 30 derniers millions de dollars, ils correspondent à des commandes qui devaient être passées aux États-Unis par la direction des Affaires militaires (DAM) – 23 millions de dollars supplémentaires seront d’ailleurs ensuite distraits de l’off shore pour compléter ces achats. Sur les 177 millions de dollars restant à l’off shore (200 moins 23), 97 millions (55 %) iront aux forces terrestres de la France et des États associés, 60 millions (34 %) à l’armée de l’Air et 20 millions (11 %) à la Marine121.
104Le président Edgar Faure n’est d’ailleurs pas peu fier de la technique financière de l’off shore, mise au point à Lisbonne : « Mes collaborateurs, en liaison avec des experts américains désireux de nous aider, indique-t-il dans ses Mémoires, étaient parvenus à mettre au point une formule subtile, qui permettait de dépasser nos plafonds et nos pourcentages ; il s’agissait, pour les USA, de nous passer, à nous Français, des commandes d’un certain type appelées off shore. [...] Ces commandes nous seraient payées en bel et bon argent américain. Nous avions, en contrepartie, à livrer le matériel correspondant. Voici cependant qu’intervenait un mécanisme original. Ce matériel, on nous en faisait cadeau, on nous le rétrocédait à titre gratuit ! »122. Se faire payer ses propres fournitures et se les faire payer en dollars : telle était la grande idée de l’off shore.
105L’aide financière pour la première fois obtenue à Lisbonne au titre de l’année fiscale 1951-1952 augmenta les années suivantes. Pour l’année fiscale 1952-1953, elle ne s’accrut certes pas autant que ne l’aurait voulu le ministre des États associés Jean Letourneau : en visite à Washington en juin 1952, et muni de toutes sortes de bons arguments concoctés par ses services pour demander aux États-Unis une augmentation de leur aide financière, il se fit promettre une rallonge de 100 à 150 millions de dollars mais, lors du vote du Congrès, il n’en resta plus que 25. Ajoutés à la reconduction de ce qui avait été obtenu à Lisbonne, ces 25 millions portaient l’aide financière à 355 millions de dollars (330 + 25), soit environ 125 milliards de francs.
106L’année fiscale 1953-1954 fut plus décisive : après la visite de Mayer aux États-Unis, en mars, le mémorandum d’avril 1953 accordait à la France une aide de 460 millions de dollars, dont 60 à titre d’avance, et d’ailleurs imputée à l’année budgétaire précédente – ce qui portait l’aide pour 1952-1953 à 410 millions (355 + 60), environ 145 milliards de francs. Le 29 septembre 1953 enfin, face à une impasse budgétaire de 150 milliards de francs, le gouvernement obtenait une nouvelle aide de 385 millions de dollars pour les États associés, dont la subvention put être ainsi sortie du budget123 : la procédure des off shore était supprimée mais le total pour l’année passait à 785 millions de dollars (400 + 385), soit environ 275 milliards de francs124.
107L’évolution de l’aide financière pour l’Indochine des États-Unis à la France connaît ainsi une évolution significative : progressivement, et cette tendance est particulièrement nette pour 1953, l’aide américaine à la France est presque totalement orientée – détournée – vers l’Indochine, où elle joue donc un rôle croissant.
108Cette évolution a été manifestement voulue par les États-Unis. Sans doute l’intégralité de l’aide « ciblée » Indochine ne parvient pas toujours à destination, pour des raisons financières ou tout simplement comptable : une part sensible des off shore Lisbonne attribués à l’armée de l’Air est ainsi réputée avoir été utilisée sans relation avec la campagne d’Indochine. Les 60 millions de dollars obtenus à titre d’avance en avril 1953 et budgétisés sur l’année fiscale 1952-1953, auraient été utilisés par le Trésor pour régler les échéances françaises de l’Union européenne des paiements (UEP)125. Pour autant, les États-Unis paraissent avoir périodiquement insisté pour orienter leur aide, de manière privilégiée, en direction de l’Indochine. C’est ainsi que, dans la négociation qui s’est tenue en coulisse de la conférence de Lisbonne, l’attribution supplémentaire de 100 millions de dollars d’aide économique n’était envisagée que, d’une part, si la contrevaleur de cette somme était consacrée à l’Indochine et si, d’autre part, les crédits militaires français, totaux, étaient portés de 1 190 à 1 225 milliards de francs126 : la différence (1 225-1 190), c’est-à-dire 35 milliards de francs, correspond précisément à 100 millions de dollars... Ainsi, au lieu que la France ait la capacité de dégager pour l’Indochine 35 milliards de francs, ou 100 millions de dollars, c’est un peu comme si les Américains disaient : vous consacrez cette somme à la défense européenne et nous nous occupons de l’Indochine pour un montant identique.
109Cette orientation privilégiée de l’aide financière américaine en direction de l’Indochine relevait d’une tendance lourde, et sans doute d’un choix d’une partie des décideurs français, du moins d’un choix par défaut : il fallait que la France joue le premier rôle en Europe et que, pour ce faire, elle ne paraisse pas le devoir à l’assistance américaine ; le risque était évidemment grand de perdre le contrôle de la situation indochinoise, par perte de crédit auprès des États associés comme par impuissance à résister aux pressions américaines mais, en tout état de cause, la place de la France en Europe était prioritaire. Accessoirement, mais cet aspect des choses n’était pas si accessoire, l’aide américaine en dollar aidait puissamment la France à résoudre les problèmes de sa balance des paiements – on y reviendra.
D. L’AIDE CHINOISE AU VIET MINH
110Les sources accessibles ne permettent pas de faire, à propos de l’aide apportée par la Chine populaire à la RDV, un inventaire comparable à celui à celui qui vient d’être effectué pour l’aide américaine à la France et aux États associés. L’existence même de cette aide n’a d’ailleurs été reconnue que tardivement à Hanoi. Trente-cinq ans après la bataille de Dien Bien Phu, dans un texte écrit en 1989 et devenu chapitre préliminaire de son ouvrage sur le sujet, le général Giap parle pour la première fois des « experts militaires amis » venus de Chine et de leurs « précieux conseils »127. Il faut pourtant tenter d’évaluer cette aide, à la fois qualitativement et quantitativement. Sans doute faudrait-il d’ailleurs considérer non pas seulement la Chine mais l’ensemble du camp communiste : certains armements livrés dans les maquis de la haute région venaient directement d’Europe de l’Est, de Tchécoslovaquie notamment ; et les sabotages ou retards divers apportés par des militants communistes français aux livraisons de matériels français en Indochine pourraient être également pris en considération128.
111L’aide chinoise ne semble pas non plus commencer en 1949. Une aide communiste chinoise, et plus généralement du « camp », était perceptible dès le début du conflit129. D’une part, le Viet Minh pouvait passer par les communistes actifs dans les frontières limitrophes de l’Indochine, Guang dong, Guangxi et Yunnan, presque tolérés d’ailleurs dans cette dernière province par le général Lu Han, celui-là même qui dirigeait les troupes chinoises d’occupation du Vietnam-Nord en 1945-1946. « Je vous demande de tout faire pour éviter que le Viet Minh puisse avoir le contact avec les unités de Mao », avait demandé en vain le ministre de la France d’outre-mer Marius Moutet au général Salan dès 1947130. D’autre part, la RDV entretenait jusqu’en 1950 une mission à Bangkok, d’où le PCC ne semblait pas absent et où existait surtout une ambassade soviétique. Par ce biais, un lot d’équipement évalué à environ 200 millions de francs fut par exemple livré au Viet Minh à l’automne 1947, par voie maritime131. Mais une telle assistance paraît modeste au regard de ce qui s’est passé à partir de 1950.
112À partir du moment où le nouveau pouvoir chinois contrôle l’intégralité ou presque du pays du Milieu, l’aide de la Chine prend une forme difficile à comptabiliser mais visiblement plus importante : le territoire des provinces limitrophes constitue un arrière sûr où les premières grandes unités régulières du Viet Minh ont pu se constituer, recevoir la formation nécessaire et s’équiper ; à Kunming et à Nanning, et entre ces deux capitales provinciales et la frontière vietnamienne, des centres d’instruction forgeaient la nouvelle armée populaire. Les services de renseignements français, qui identifiaient ces unités lorqu’elles étaient réintroduites au Vietnam, souvent dotées de vêtements et d’armements nouveaux, ne pouvaient que constater la transformation. Des spécialistes chinois, au nombre de quelques milliers peut-être, franchissaient également la frontière dans ce sens.
113L’aide chinoise la plus importante consistait en livraisons de matériels, militaires ou autres. Cette aide, qui a également mis quelque temps à se roder mais paraît particulièrement forte à partir de 1952, était gérée par un bureau central de liaison sino-vietnamien installé à Nanning, et acheminée par toutes les voies disponibles : le chemin de fer en particulier, jusqu’à proximité de la frontière, où des camions également fournis par la Chine – mais aussi tout un peuple de porteurs – pouvaient prendre en charge les livraisons, se montant à des centaines, et bientôt à des milliers de tonnes chaque mois. Il s’agissait de matériel japonais et américain, récupéré en 1945 ou en 1949 sur les troupes de Tchiang Kai Chek, également en Corée, ou bien d’armements fabriqués en Chine ou en Europe. Une synthèse de renseignements français donne la répartition suivante pour le second semestre 1951 : 1 900 tonnes d’armement, 900 d’explosifs, 700 d’habillement, 500 de vivres, 130 de matériel de transmission, 20 de médicaments, 1 400 de pièces de rechange et de carburant, et plusieurs centaines non identifiées – plus de 6 000 tonnes connues au total. L’aide chinoise couvrait ainsi aussi bien l’entretien que l’équipement des forces armées de la RDV132.
114Peut-on mettre en parallèle les aides chinoise et américaine aux belligérants ? Les indications de l’époque et les statistiques disponibles laissent penser que la seconde a été sur l’ensemble de la période nettement plus importante que la première. Pour la période 1951-1954, François Joyaux évalue « très grossièrement » à 50 000 tonnes les fournitures reçues par le Viet Minh à partir de la Chine, « et en tout état de cause à moins de 100 000 tonnes ». C’est évidemment moins que les 300 000 tonnes déjà livrées au port de commerce de Saigon à la mi-juin 1953... Il est vrai que la fourniture de nombreux avions et bateaux devait, si l’on peut dire, peser sur les chiffres. Alors que Washington livrait en moyenne, à partir de novembre 1951, quelque 8 000 tonnes par mois, Pékin semble avoir donné un rythme plus variable à ses fournitures – à moins que les difficultés de comptage n’expliquent cette impression : 6 000 tonnes par mois en 1952, mais d’autres indications parlent de 700 tonnes par mois pendant l’été, 1 000 tonnes par mois en 1953, à nouveau 4 000 à 6 000 tonnes par mois début 1954 – abstraction faite de la qualité du matériel fourni. Les États-Unis s’inquiètent en tout cas périodiquement de cette évolution, à laquelle ils lient leur aide à la France133.
115Si l’évaluation de l’aide militaire chinoise est délicate à effectuer, on peut croiser différentes données. Il apparaît ainsi, d’une part, que ces livraisons ont amené le corps de bataille Viet Minh à un niveau pratiquement équivalent à celui des forces franco-vietnamiennes : sans doute ne dispose-t-il ni d’aviation ni de marine de guerre digne de ce nom, ni des nombreux véhicules blindés dont dispose le corps expéditionnaire. Mais la RDV entretient en revanche des unités de DCA dont les Français, eux, n’ont pas besoin, un parc d’artillerie de haut niveau – d’artillerie lourde les dernières années, singulièrement à Dien Bien Phu – et sa consommation de munitions est à la mesure de la montée en puissance des combats : d’août à novembre 1952, la Chine lui aurait notamment expédié 2 300 000 cartouches, 30 000 obus de mortiers, 128 000 grenades...134
116Une estimation personnelle reposant sur de multiples paramètres, et qui reste grossière, permet de penser que, par son aide militaire, la Chine couvre progressivement entre 20 et 50 % des dépenses militaires du Viet Minh. Pour parvenir à cette fourchette très lâche, on a évalué l’aide chinoise en fonction des chiffres disponibles pour l’aide américaine, puisque chacune des deux amène les belligérants à un niveau quasiment équivalent – tout en tenant compte du tonnage effectivement livré, qui apparaît très inférieur pour la Chine, ne comprenant en particulier ni avions ni navires. On a croisé ensuite ces données avec le montant supposé du budget de la RDV dans cette période, et de la part qui est justement destinée aux forces armées : montant estimé en fonction des chiffres connus pour les années suivantes – la RDV ne fournissant pas de statistiques, notamment pour ces années de Résistance – et par comparaison avec le budget de l’État associé du Vietnam, plus élevé en principe car disposant de plus abondantes ressources fiscales. Mais les deux en consacrent un pourcentage équivalent à la guerre.
117Il resterait à considérer une éventuelle aide financière de la Chine à la RDV Deux moyens en particulier pourraient être explorés. Les troupes françaises réfugiées au Yunnan en 1945 et les forces chinoises de Lu Han – présentes en 1945-1946 – ont sorti du Vietnam de gros paquets de piastres et ne les y ont pas toujours rapatriés135 : il est tentant d’imaginer ce matelas de « devises » récupéré par l’autorité chinoise en 1949 et, totalement ou partiellement, mis à la disposition de la RDV.
118Une autre forme d’aide, plus subtile sinon plus moderne, semble avoir plutôt concerné le Sud, par le jeu de transferts financiers des Chinois du Vietnam en direction de la mère patrie. Ces transferts connaissent des hauts et des bas. Un jour ils sont suspendus, comme avec cette instruction de janvier 1952 : « Le comité exécutif du Nam Bo à l’honneur de retourner les demandes d’envoi d’argent en Chine, en priant les provinces de les remettre aux intéressés qui ont demandé à faire le transfert d’argent en Chine, en leur expliquant que la situation a beaucoup changé par rapport à la situation antérieure et qu’elle rend la liaison peu favorable, les conditions techniques ne permettant d’ailleurs pas un transit »136. Six mois plus tard, elles sont au contraire vivement encouragées. Le président du Font Lien Viet de Tra Vinh demande en juin aux Chinois du Vietnam d’accélérer les mouvements de transferts de fonds vers la Chine137 : c’est une « faveur spéciale que le gouvernement leur réserve pour resserrer l’amitié entre les deux peuples du Vietnam et de la Chine ». Le ton suggère qu’un mode nouveau de transfert a peut-être été mis sur pied.
119Sachant qu’un accord global « d’échange de marchandises » a été conclu entre la Chine et le Viet Minh le 7 avril 1952138, c’est-à-dire dans l’intervalle des deux précédentes instructions, et sur la base d’une analyse du 2e Bureau français datant de septembre139, il est possible d’imaginer un montage judicieux, qui ferait partie de l’accord et serait destiné à faire bénéficier le Nam Bo, situé loin de la frontière commune, d’une aide financière chinoise. L’analyse française fait état d’un mécanisme bancaire, conçu en accord avec la Chine, par lequel les Chinois du Vietnam, plus ou moins exonérés de taxes pour l’occasion par l’autorité Viet Minh, pouvaient envoyer de l’argent à leur famille en Chine : il suffit à l’individu intéressé de verser une somme – en piastre BIC – à un interlocuteur Viet Minh patenté (si l’on peut dire) et d’adresser une lettre authentifiée à sa famille en Chine, l’informant du transfert ; sur la base de ce document, celle-ci peut retirer l’argent auprès de l’autorité bancaire locale. Il n’est pas interdit de penser que la Chine, elle-même à cours de devises, puisse en récupérer par ce biais. Mais il est également tentant d’imaginer que l’argent déposé au Vietnam, dont au demeurant aucune comptabilité n’atteste le volume, y soit tout simplement resté, les remboursements effectués de l’autre côté de la frontière représentant l’équivalent de l’aide financière apportée par la Chine au Viet Minh.
120On ne prête qu’aux riches... Quelle que soit la réalité de ces mécanismes, la Chine populaire et le Viet Minh ont dans les dernières années de la guerre de plus en plus partie liée. Et même si plusieurs sources suggèrent, en début plutôt qu’en fin de période d’ailleurs, que le Viet Minh réglait par ses propres livraisons une partie des fournitures chinoises, il ne pouvait le faire longtemps à cette hauteur : le poids financier de la Chine dans le conflit, aux côtés de la RDV, paraît du même ordre que celui pris par les États-Unis dans le camp adverse.
Notes de bas de page
1 Rapport Bousch, de la commission des Finances du Conseil de la République, n° 165, du 25 mars 1965. Archives de l’Assemblée nationale et AEF, Fonds Trésor, B 33540. Voir annexe 24
2 Rapport au ministre sur les perspectives budgétaires de l’année 1952, 12 juillet 1951. Fonds Goetze, Comité pour l’histoire économique et financière de la France
3 Projet de loi n° 7532, annexe V Archives de l’Assemblée nationale et SHAT, 2 R 63.
4 Les Tables générales des documents et débats parlementaires, pour la première législature (1946-1951) comme pour la seconde (1951-1956), constituent la source principale concernant les décisions parlementaires. Archives de l’Assemblée nationale.
5 Le Figaro, article du 10 juin 1949.
6 Jacques Julliard, La IVe République, Calmann-Lévy, Paris, 1968.
7 Note sur le coût de la guerre. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 10.
8 Note de la DAM du 17 mars 1954. SHAT, 14 H 72.
9 Le Monde du 21 novembre 1952.
10 Directeur des Affaires militaires, note pour le ministre chargé des Relations avec les États associés, 4 décembre 1952, SHAT, 2 R 65. Il faisait ici référence à un article de La vie française du 31 octobre 1952, titré précisément : « Trop chère l’Indochine ! ».
11 Rapport Bousch, op. cit.
12 Le chiffre donné par le Conseil de la République n’est pas le chiffre voté par le Parlement mais ce qui en reste après soustraction de l’aide américaine cette année-là.
13 Elle dispose d’un budget général principalement alimenté par la fiscalité indirecte et de budgets locaux, surtout financés par la fiscalité directe.
14 1 % sur toutes les transactions supérieures à 20 piastres. Philippe Devillers, Histoire du Vietnam, de 1940 à 1952, Seuil, Paris, 1952.
15 Rapport de mission du conseiller financier du gouvernement fédéral, 1er mars 1946, op. cit.
16 Annam, Cambodge, Cochinchine, Laos, Tonkin.
17 Le budget cambodgien, relevant d’abord de la France puis de la souveraineté nationale, garde ses contours entre le début et la fin de la période, se multipliant environ par 20 : il passe, en francs constants (1953), de 2,6 milliards en 1946 à 19-20 milliards en 1953. Note d’information sur le budget national du royaume du Cambodge, 1953. AEF, Fonds Trésor, B 33551.
18 Opérations budgétaires au Laos, de 1946 à 1949, et correspondances administratives de Vientiane à Paris, en 1949 et 1955. AEF, Fonds Trésor, B 33539 et B 43929
19 Tableau établi par la Trésorerie générale de l’Indochine pour 1946. AEF, Fonds Trésor, B 43924.
20 En particulier le budget local des PMSI – populations montagnardes du sud-indochinois –, ainsi théoriquement soustrait à l’influence du Vietnam.
21 Tableaux de situation de la Trésorerie générale de l’Indochine pour 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43924
22 Plusieurs budgets ont été saisis par les services français de renseignements, disponibles dans les archives du SHAT
23 Décret 47-369 du 30 avril 1947, portant création d’un budget extraordinaire pour la reconstruction et l’équipement de l’Indochine.
24 Situation des budgets extraordinaires de l’Indochine, AEF, Fonds Trésor, B 33538.
25 Les dépenses militaires passent de 44 à 173 millions de piastres, occupant 9,7 % du budget général, qui passe lui-même de 730 à 1 785 millions de piastres.
26 Les dépenses en question seront prises en charge en 1950 par le compte spécial n° 2. « Dépenses militaires propres à l’Indochine, compte spécial n° 2 (tranche 1950) ». AEF, Fonds Trésor, B 43924
27 Note du conseiller financier au ministre d’État chargé des Relations avec les États associés, sur le financement des armées nationales, 10 octobre 1952. AEF, Fonds Trésor, B 43924.
28 Rapport Pineau, janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale.
29 Note du 4 décembre 1951 sur la « contribution fiscale [des Français) et ses rapports avec les autres catégories d’assujettis », annexé au rapport Pineau, op. cit.
30 Note de M. Feuché du 10 novembre 1953, sur le « Financement des armées nationales des États associés en 1954 ». AEF, Fonds Cusin, 5 A 79.
31 Rapport Pineau, op. cit.
32 Note du conseiller financier au ministre d’État chargé des Relations avec les États associés, 10 octobre 1952. AEF, Fonds Trésor, B 43924.
33 Note de M. Feuché du 10 novembre 1953, sur le « Financement des armées nationales », AEF, Fonds Trésor.
34 Note de M. Feuché du 10 novembre 1953, sur le Financement des armées nationales, op. cit.
35 Rapport Bousch du Conseil de la République, 1954. Archives du Sénat.
36 CFTEO, 2e bureau, Étude sur l’économie vietminh, 11 décembre 1948. 72 pages. SHAT, 10 H 3990
37 RDV Comité du Nam Bo, Situation financière de 1950. Document saisi. SHAT, 10 H 3992.
38 Rassemblement de Long Xuyen, Chau Doc et Sa Dec. Document saisi le 6 mai 1952 : budget provincial de Long Chau Sa. 10 H 3992
39 Note n° 4 sur les « déficits budgétaires des États associés », rattachée à la lettre n° 1465 du haut-commissaire au directeur du Trésor, datée du 28 mai 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43924.
40 Note du 16 septembre 1954, remise à Guy La Chambre, secrétaire d’État aux États associés de Pierre Mendès France. AEF, Fonds Trésor, B 43926.
41 Lettre Haussaire à FOM n° 518-S du 14 mars 1949.
42 Près de 40 milliards de francs. Les dépenses militaires de 1948 à la charge de l’Indochine étaient déjà quatre fois plus élevées qu’en 1947. L’exercice 1949 prend en compte d’une part des « dépenses militaires propres à l’Indochine » et d’autre part, des « dépenses militaires transférées à l’Indochine ». Budgets ordinaires des services communs. AEF, Fonds Trésor, B 33539
43 Instruction interministérielle (Finances – France d’outre-mer) du 4 avril 1949 « relative à la participation de l’Indochine aux dépenses d’entretien des Forces terrestres d’Extrême-Orient au cours de l’exercice 1949 ». AEF, Fonds Trésor, B 43926.
44 Note d’information sur la position de la France au regard de la liquidation du Trésor indochinois. AEF, Fonds Trésor, B 43926.
45 Lettre de Max Deville, conseiller financier à Saigon, au directeur-adjoint du Trésor Bret, 29 septembre 1949. AEF, Fonds Trésor, B 33538.
46 D’après la note n° 3 sur les dépenses militaires, rattachée à la lettre n° 1465 du haut-commissaire à la direction du Trésor, du 28 mai 1951.
47 On reviendra un peu plus loin sur ce point. L’héritage du Trésor indochinois était géré par la Caisse autonome de gestion et d’amortissement de la dette.
48 Correspondance de Max Deville à François Bloch-Lainé, 5 janvier 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43924
49 Graphique élaboré à partir des données partielles figurant dans le Fonds du Trésor.
50 Note du 15 avril 1949 : « Approvisionnement des caisses du Trésor en Indochine et modes de couverture des transferts de l’Indochine sur la France ». AEF, Fonds Trésor, B 43924.
51 70 % de cette somme étant censée devoir être ultérieurement couverte par le Trésor français. Tableau accompagnant une note sur les prévisions de trésorerie du haut-commissaire de France en Indochine, du 11 août 1949. AEF. Fonds Trésor, B 33539.
52 Le problème des dépenses militaires de 1949 et 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43926.
53 Exposé des motifs du projet de loi sur le Compte d’opérations monétaires et de règlement avec les États associés d’Indochine. AEF, Fonds Trésor, B 43917.
54 Le financement des dépenses de la Défense nationale et les Finances extérieures, 9 octobre 1953. AEF, Fonds Cusin, 5 A 79.
55 Rapport Valls pour 1953, au chapitre « Perspectives 1954 ». AEF, Fonds Trésor, B 43930.
56 Approvisionnement des caisses du Trésor en Indochine et modes de couverture des transferts de l’Indochine vers la France. AEF, Fonds Trésor, B 43924.
57 Exposé des motifs du projet de loi sur le Compte d’opérations monétaires et de règlement avec les États associés d’Indochine. AEF, Fonds Trésor, B 43917.
58 Note pour le ministre et le secrétaire d’État du 11 juin 1949 sur la situation financière de l’Indochine, signée par le directeur des Affaires économiques et du Plan, G. Peter. AEF, Fonds Trésor, B 33539.
59 Ministère des Finances, Le budget de 1950. CHEFF.
60 Note préparatoire aux conversations franco-américaines. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 22.
61 Lettre du 17 août 1953 au président du Conseil Laniel. Archives diplomatiques, AO/IC/265.
62 Politique économique et guerre de libération nationale, Études vietnamiennes, n° 44, Hanoi, 1976.
63 Giadinh, Cholon, Mytho, Vinh Long, Bentre, Sadec.
64 Comité du Nam Bo, « Situation financière de 1950 », document signé Pham Van Bach en juin 1951. SHAT, 10 H 3992.
65 « Rapport sur la situation économique et financière de mai 1952, pour le Nord et le Centre », signé Pham Van Dong. 10 H 3990.
66 Jacques Despuech, Le trafic de piastres, Paris 1953.
67 La question était posée par M. Fonlupt-Esperaber. Rapport Mondon n° 8681, juin 1954. Archives de l’Assemblée nationale.
68 Comité du Nam Bo, « Situation financière de 1950 », op. cit.
69 Compte-rendu des résultats de l’emploi du budget de l’exercice 1951 de la province Barai-Cholon. 28 juillet 1952. SHAT, 10 H 3992.
70 Alfred McCoy, La politique de l’héroïne en Asie du Sud-Est, Paris, 1980.
71 Rapport de fin de mission du conseiller financier, 1er mars 1946. op. cit.
72 Pour lui, l’Indochine elle-même n’est que faiblement productrice, à la différence de pratiquement tous ses voisins : il n’est donc pas imaginable qu’elle reste « un îlot non consommateur au milieu d’un monde d’intoxiqués ». Par ailleurs, suggère-t-il, la France n’a pas à rougir de son action : de 200 à 300 tonnes annuelles à l’arrivée des Français en Cochinchine, la consommation a été progressivement ramenée à 40 ou 50 tonnes à la fin des années 1930. Note de Gonon, conseiller financier à Saigon après Bloch-Lainé, « sur l’opium médicinal et la ferme des jeux en Indochine », non datée mais sans doute rédigée fin 1946. AEF, Fonds Trésor, B 33540.
73 Il veut sans doute parler du modus vivendi signé à Vientiane le 27 août 1946 avec le roi du Laos, quatre mois après le retour des Français et le départ en exil à Bangkok du gouvernement Lao Isara de Pethsarat, qui se faisait depuis l’année précédente le champion de l’indépendance nationale.
74 Rapport de fin de mission du conseiller financier, 1er mars 1946, op. cit.
75 L’établissement d’un budget indochinois par les autorités japonaises, en 1945, prévoyait 65 millions de piastres de rentrée des impôts tirés du monopole de la vente de l’opium, selon une information parvenue à Berne après un détour compliqué. Lettre de l’ambassadeur de France en Suisse au ministre des Affaires étrangères, 20 juin 1945. CAOM. Indo/NF/1282.
76 Note de Gonon, op. cit.
77 Alfred McCoy, La politique de l’héroïne en Asie du Sud-Est, op. cit.
78 La mission Devinat. Le général Gras, dans son Histoire de la guerre d’Indochine, est très discret sur le sujet, amplement développé par contre dans l’ouvrage de McCoy précédemment cité. Une note confidentielle du ministre des États associés Letourneau au président du Conseil Mayer, datée du 9 avril 1953, permet en tout cas de lever le doute sur cette affaire. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24.
79 Les Binh Xuyen, secte ou plutôt bande inféodée à Bay Vien, vivant des revenus illicites des jeux ou de la drogue, avaient collaboré avec le Viet Minh en 1945 et mirent ensuite leurs compétences au service des Français, assurant en particulier une certaine sécurité dans plusieurs quartiers de Saigon.
80 Devenu une sorte de théoricien de la contre-insurrection, Trinquier fit ensuite parler de lui en Algérie, du côté de l’OAS, avant d’offrir ses services aux « Affreux » du Katanga.
81 Déposition devant la commission d’enquête sur le trafic des piastres, 27 septembre 1953. Rapport Mondon, n° 8681, juin 1954. Archives de l’Assemblée nationale.
82 Note de Letourneau à Mayer du 9 avril 1953, op. cit.
83 Une principauté thaïe avait été déclarée autonome en 1946, avec un budget essentiellement alimenté, comme celui du Laos voisin, par les ventes d’opium. Mais cette entité se trouvait ainsi dominée par une minorité thaïe de laquelle les Méos ne demandaient pas mieux que de se soustraire.
84 « Rapport sur la situation économique et financière du mois de mai 1952 pour le Nord et le Centre Vietnam », du Conseil économique du gouvernement central, signé Pham Van Dong, 5 juin 1952. saisi en juillet 1953 lors de l’opération Périgord. SHAT, 10 H 3990. Cet indice vient cependant après le scandale du printemps dans les rangs français.
85 Étude sur l’économie Viet Minh, 1948. 2e Bureau. SHAT, 10 H 3990.
86 Bilan économique et financier du Viet Minh, 6 juin 1950,49p. SHAT, 10 H 3991.
87 Renseignement du 17 février 1953. SHAT, 10 H 3992.
88 Le général Gras, dans son Histoire de la guerre d’Indochine, s’en fait l’écho.
89 Truman avait déjà demandé au début de l’été 1949 au Congrès 1 450 millions de dollars pour les principaux alliés des États-Unis.
90 Irwin M. Wall, L’influence américaine sur la politique française, 1945-1954, Paris, 1989.
91 Le Pacte de défense mutuelle a été signé le 20 décembre 1950 par les États-Unis, la France et les trois États associés du Vietnam, du Cambodge et du Laos.
92 Pacte de sécurité mutuelle. L’ECA, administration du plan Marshall, cède ainsi la place, le 1er janvier 1952, à la MSA (Mutual Security Agency).
93 Du nom de la Special Technical and Economic Mission (STEM), installée à Saigon par la MSA pour faire bénéficier le Vietnam, comme d’autres pays de ce que l’on appellera bientôt le « tiers-monde », de crédits américains.
94 Le Monde, 2 février 1951.
95 Note du 22 avril 1952. Archives MAE, AO/IC/264.
96 Note de l’état-major du commandement en chef des Forces terrestres, aériennes et navales en Indochine, 5 mars 1953. SHAT, 10 H 154
97 78 % du tonnage et 60 % de la valeur des livraisons vont à l’armée de Terre, selon des statistiques partielles (1950-1953). SHAT, 10 H 1585 et 2 R 65
98 Mutual Defense Assistance Program(relevant du Mutual Defense Assistance Pact, à partir de 1950) et Military Support Program(relevant du Mutual Security Pact, à partir de 1953). On parlera également, pour ce dernier, de Defense Support program (DSP).
99 Tableau résumant la « Contribution des États-Unis à la campagne d’Indochine ». SHAT, 2 R 65.
100 Le Monde, 16 avril 1954.
101 Ministère des Relations avec les États associés-Secrétariat permanent de la Défense nationale. Fiche du 10 juin 1952 sur l’aide américaine à l’Indochine. SHAT, 10 H 154.
102 Par exemple la note au ministre du commandement en chef des forces terrestres, aériennes et navales en Indochine (EMIFT), du 5 mars 1953. SHAT, 10 H 154.
103 Irwin M. Wall, L’influence américaine sur la politique française, op. cit.
104 Military Advisory Assistance Group.
105 Fiscal year 1953, qui va du 1er juillet 1952 et 30 juin 1953.
106 Note de l’état-major du commandement en chef des Forces terrestres, aériennes et navales en Indochine, 5 mars 1953. SHAT, 10 H 154.
107 Note du 4 septembre 1952 de la direction des Services de renseignement du haut-commissariat au ministère des États associés. Archives MAE, AO/IC/265.
108 Note au sujet de l’aide économique américaine aux États associés d’Indochine du 28 janvier 1953. AEF, Fonds Trésor, B 43906.
109 FRUS 1951, volume VI, Indochina part 1, June 29, 30 1951.
110 Note au sujet de l’aide économique américaine aux États associés d’Indochine, du 28 janvier 1953. AEF, Fonds Trésor, B 43906.
111 Haut-commissariat de France en Indochine, 10 mai 1950. Note sur l’aide économique américaine pour la direction Asie-Océanie, ministère des Affaires étrangères, signée Robert Davée. Archives MAE, AO/IC/262.
112 Note au sujet de l’aide américaine aux États associés, AEF, Fonds Trésor, B 43906.
113 Note au sujet de l’aide américaine aux États associés, op. cit.
114 Fiche sur l’aide américaine à l’Indochine du 10 juin 1952, SHAT, 10 H 154 et Note au sujet de l’aide américaine aux États associés, AEF, Fonds Trésor, B 43906.
115 Esprit, mai 1954, cité par Dalloz, La guerre d’Indochine, Paris, 1987.
116 René Pleven est alors ministre de la Défense nationale. Guillaume Guindey, note pour le ministre du 23 février 1950 sur l’aide américaine à l’Indochine. AEF, Fonds Trésor, B 43906.
117 La délégation française à la conférence de Lisbonne était conduite par le ministre des Affaires étrangères Robert Schuman et comprenait Edgar Faure, alors éphémère président du Conseil, le ministre de la Défense nationale Georges Bidault, mais qui, malade, ne participa pas aux travaux, et le ministre de l’Armement Maurice Bourgès-Maunoury.
118 Frédéric Bozo, La France et l’OTAN, Paris, 1991.
119 Évaluations d’après les données fournies par le rapport Bousch au Conseil de la République, 1954.
120 Note de la direction Asie-Océanie du 22 avril 1952. Archives MAE, AO/IC/264.
121 Note du 31 janvier 1953, Archives MAE, AO/IC/265. Tableau de la contribution américaine à la campagne d’Indochine, SHAT, 2 R 65. Fiche du 10 juin 1952, SHAT, 10 H 154.
122 Edgar Faure, Mémoires I, Paris, 1982.
123 Voir annexes 17 et 20
124 Rapprochement des chiffres recueillis dans diverses sources d’archives.
125 Correspondance économique, 11 septembre 1953. AEF, Fonds Trésor, B 33550.
126 Télégramme de Bonnet du 5 février 1952. Archives MAE, AO/IC/264.
127 Général Vo Nguyen Giap, Dien Bien Phu, 5e édition. Hanoi, 1994.
128 Rapport Revers et Alain Ruscio, Les communistes français et la guerre d’Indochine, 1945-1954, Paris, 1985. Ce dernier donne de multiples exemples d’actions menées par des ouvriers, dockers et autres militants contre la fabrication, l’entretien ou le transport de matériel à destination de l’Indochine mais indique que ce mouvement a surtout été important en 1950 et, sur la durée, plutôt le fait des dockers employés dans les ports où du matériel militaire était chargé vers l’Indochine.
129 François Joyaux, La Chine et le règlement du premier conflit d’Indochine, Paris ; 1979, et Michel Bodin, « L’aide de la Chine au Viet Minh (1947-1954) : un aspect des relations franco-chinoises », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 187, 1997.
130 Raoul Salan, Mémoires, et François Joyaux, op. cit.
131 François Joyaux, op. cit.
132 Sources SHAT, citées par Michel Bodin, « L’aide de la Chine au Viet Minh... », op. cit.
133 François Joyaux, La Chine et le règlement du premier conflit d’Indochine, Genève, 1954, Paris, 1979 et Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979.
134 Sources SHAT, citées par Michel Bodin, « L’aide de la Chine au Viet Minh... », op. cit.
135 François Bloch-Lainé, Rapport n°2 au ministre des Finances, Chandernagor. 24 octobre 1945. CAOM/INDO/NF/1368.
136 Instruction n° 17/NB du 18 janvier 1952, signée Pham Hung. SHAT, 10 H 3990.
137 25 juin 1952. SHAT, 10 H 3992.
138 François Joyaux, op. cit.
139 Bulletin de renseignement du 25 septembre 1952. SHAT, 10 H 3992.
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