Chapitre IV. Les dépenses
p. 175-223
Texte intégral
1Les généraux ne commandent sans doute pas avec en permanence une feuille de calcul dans la tête : ils raisonnent plutôt en « moyens », moyens en hommes ou en matériel. Mais cela revient au même : chaque « moyen » a son coût, plus ou moins connu ou maîtrisé. Les civils, eux, dans les directions ou cabinets ministériels, dans les enceintes parlementaires ou les salles de rédaction, voient défiler les chiffres : la France débourse pour l’Indochine plus d’un milliard de francs par jour dans les dernières années de la guerre, celle-ci finissant par coûter chaque année entre 500 et 600 milliards de francs. À quoi donc était employé l’argent, et d’où venait-il ?
2L’évaluation des dépenses est rendue difficile par la complexité de celles-ci. Les moyens en hommes déployés en Indochine étaient déjà très divers : un corps expéditionnaire recruté aux quatre coins de l’Union française, essentiellement constitué de troupes terrestres auxquelles étaient adjointes des unités de la Marine et de l’armée de l’Air ; des « armées nationales » aussi, vietnamienne, cambodgienne et laotienne, constituées de toutes pièces pendant le conflit et rattachées au commandement français - et, en face, une armée populaire de la RDV se consolidant chaque année un peu plus sous la direction de Vo Nguyen Giap. Les moyens matériels étaient plus disparates encore : un armement essentiellement anglo-saxon, britannique d’abord puis américain à partir de 1950 - y compris du côté des maquis, partiellement du moins, grâce à de multiples récupérations. Quant aux opérations, qui allaient de l’ingrate pacification en plaine au « coup » aéroporté en haute région, en passant par le déploiement des « dinassauts »1, elles s’avéraient très inégalement dispendieuses.
3D’autres guerres, à l’époque ou depuis, paraissent inséparables du matériel mis sur pied pour les mener : sans les flottes maritimes et aériennes reconstituées à grand frais après Pearl Harbour, sans l’arme nucléaire non plus et le lourd investissement du projet Manhattan, les États-Unis n’auraient pas gagné la guerre du Pacifique comme ils l’ont gagné. Plus près de nous, en 1991, la guerre du Golfe ne se serait pas déroulée comme elle s’est déroulée sans la débauche de technologie à laquelle le monde entier a été convié à assister, comme dans un wargame, jusqu’à ce que ses concepteurs suggèrent même l’émergence d’un nouveau type de guerre, dite propre. La guerre d’Indochine - la « sale guerre » justement - n’a pas eu ce caractère : sans matériel, sans doute, les hommes n’auraient pas pu combattre, mais c’étaient eux qui surtout comptaient.
I. LES HOMMES
4À la fin du conflit, de 500 000 à 600 000 hommes en armes affrontent en Indochine l’armée populaire, : 553 425 exactement au 30 avril 1954, dont 46 % pour le corps expéditionnaire (tout compris) et le reste pour les forces armées des États associés2. Du côté Viet Minh, mais les estimations restent incertaines, l’armée populaire aurait alors regroupé quelque 400 000 hommes. Cela représente donc environ un million de combattants sur le sol Indochinois, principalement vietnamiens : ces combattants représentent l’élément le plus précieux et le plus onéreux du rapport des forces. Comment cette donnée a-t-elle pesé sur l’évolution du conflit ?
A. L’ENTRETIEN DU CORPS EXPÉDITIONNAIRE
5Dans l’engagement militaire de la France en Indochine, les hommes constituent donc la principale dépense, au-dessus de ce que coûte le matériel qu’ils utilisent. Le fait est souligné dès le budget de 1948, par exemple, dans une note préliminaire au chapitre des dépenses du ministère de la France d’outre-mer, de qui relève alors la plus grande part du corps expéditionnaire : il faut y voir « essentiellement un budget d’entretien d’effectifs »3. Le volume des charges budgétaires, y est-il précisé, apparaît « étroitement et quasi exclusivement lié à l’importance des effectifs stationnés outre-mer, dont la majeure partie (73,4 %) est actuellement en opérations en Indochine et à Madagascar ».
6D’année en année, pour la France, l’augmentation des dépenses militaires suivra donc celle des effectifs dépêchés ou levés sur place. En 1953, 61,5 % des 305 milliards de francs affectés aux Forces terrestres d’Extrême-Orient passent ainsi en dépenses de personnel : traitements, alimentation, habillement et campement - le reste allant au matériel et aux travaux4. Vue autrement, la part du budget militaire français consacrée à la guerre d’Indochine correspond à peu près à celle des hommes qui y sont envoyés : sur l’ensemble de la période, le corps expéditionnaire consomme en moyenne 26 % des crédits militaires totaux5, comme il retient entre 20 et 25 % des effectifs budgétaires.
7Il n’est cependant pas toujours très simple de suivre avec précision la croissance du corps expéditionnaire et des forces armées qui y sont liées. La question est certes assez souvent inscrite à l’ordre du jour des Comités de défense nationale, qui statuent sur l’envoi de renforts, et, en Indochine, l’état-major établit régulièrement des états de situation très précis. Mais, dans le premier cas, les responsables gouvernementaux réunis en Comités de défense nationale travaillent sur des « effectifs moyens » et décident d’effectifs budgétaires ; dans le second les officiers d’état-major prennent plutôt en compte les effectifs constatés - et même, selon une jolie formule, les « effectifs probables » à la date considérée6- ce qui ne donne pas exactement les mêmes chiffres.
8Les effectifs constatés paraissent en général supérieurs d’environ 20 % aux effectifs budgétaires, entraînant périodiquement la réévaluation de ces derniers, elle-même presque immédiatement dépassée. Ainsi, fin 1951 par exemple, alors que les « effectifs moyens » fixés pour 1952 étaient passés le 15 octobre de 144 000 à 173 300 hommes7, le président du Conseil René Pleven dut attirer l’attention du général de Lattre, haut-commissaire et commandant en chef, « sur la nécessité de ne pas les dépasser, en moyenne [souligné], en 1952 » ; en effet, précise-t-il en forme de rappel à l’ordre, « il m’est signalé que les effectifs présents atteignent actuellement 190 000, y compris, il est vrai, l’encadrement détaché aux armées nationales »8.
9En dehors de l’écart entre « effectifs budgétaires » et « effectifs constatés », la difficulté à connaître avec précision les effectifs militaires présents en Indochine est également liée, à la fois, à un problème de sources et à la diversité des forces engagées. Comme le précise un expert9, « les évaluations d’effectifs posent toujours de difficiles problèmes, il n’existe pas en général de séries continues et les modes de calcul varient parfois au cours de l’année, selon que l’on y comprend ou non certaines catégories de militaires ». Les officiers détachés auprès des armées nationales, quelques milliers d’hommes, ont connu par exemple un sort statistique incertain. Les supplétifs du corps expéditionnaire par contre - quelque 60 000 hommes recrutés localement et affectés à des tâches diverses - ont toujours été mis à part dans les comptes officiels. Les effectifs de l’armée de l’Air et de la Marine détachés en Indochine, enfin, une dizaine de milliers d’hommes au point de départ et environ le double en fin de période, n’étaient en général pas compris dans les effectifs du corps expéditionnaire.
10Quoi qu’il en soit, la croissance des effectifs est bien visible. Présents sur le terrain de 1945 à 1955, les militaires de l’Union française ont vu leur nombre plus que doubler entre 1946 et 1954 : les effectifs budgétaires passent progressivement de 82 000 hommes pour 1947 à 178 900 pour 1954, chaque décision d’augmentation relevant du compromis entre la prudence budgétaire et les demandes des militaires ou du haut-commissaire. Quelque 100 000 militaires étaient présents sur le terrain en 1947. De 1948 à 1954, environ 400 000 hommes y furent expédiés au titre de la relève ou en renfort10. La durée de séjour théorique étant de deux ans, cela porte l’effectif moyen annuel, pendant toute la durée de la guerre, autour de 125 000 hommes, indépendamment des supplétifs, des marins et des aviateurs - environ 200 000 hommes avec eux.
11Combien coûte un homme, avec son armement et tous les services que sa présence entraîne ? Cette manière d’appréhender le problème a été notamment explorée par les parlementaires de la commission des Finances de l’Assemblée, en particulier dans le rapport Pineau de janvier 195211. Le calcul consiste, en quelque sorte, à ramener l’ensemble des dépenses militaires à leur prix de revient : constatant que les crédits affectés aux FTEO en 1951 se sont élevés à 230 milliards de francs et que, sur cette somme, 229 000 hommes ont été entretenus12, il établit donc à 1 million de francs les dépenses relatives à l’entretien de chaque combattant - en divisant le premier chiffre par le second. Tout est compris dans ce chiffre : la solde (40 % ) , l’alimentation et l’habillement (20 % ) , l’armement (12 % ) , l’acheminement sur place (4 % ) , etc.
12Le poids des soldes et traitements dans l’engagement français en Indochine - 40 %, donc, des crédits militaires - est tel que ce chapitre est surveillé de très près par la rue de Rivoli et, en particulier, par la direction du Budget. En 1950, cette dernière tente de bloquer un projet jugé excessif de revalorisation des traitements des fonctionnaires civils en Indochine, en raison notamment de l’alignement prévisible que ne manqueraient pas d’imposer les militaires : sous la menace d’une grève, le haut-commissaire Pignon avait déjà accordé un mois supplémentaire de salaire aux fonctionnaires et le commandant en chef Carpentier avait déjà, en effet, demandé l’extension de cet avantage à ses troupes, « en invoquant le moral de l’armée ». Il est « impossible à ma direction, écrit Roger Goetze, d’admettre les prétentions formulées à cet égard par la commission paritaire locale [...]. Leur adoption entraînerait des dépenses d’un volume tel que ni le budget de 1949, ni a fortiori celui de 1950 ne seraient en mesure de les supporter ». Déjà, affirme-t-il, le régime des soldes est faussé et les rémunérations portées à « des niveaux incompatibles avec une saine gestion financière »13.
13Le problème se pose à nouveau en mai 1953, après la dévaluation de la piastre14. Cette fois, le directeur du Budget s’oppose au secrétariat d’État aux États associés et au ministère de la Défense nationale, qui réclament notamment, « pour tout le monde, le maintien intégral des paiements en francs effectués à l’heure actuelle », alors que la piastre vient d’être ramenée de 17 à 10 francs15. Roger Goetze argumente au niveau des principes, sur les plans budgétaire et social : il prévient notamment du risque « d’accroître, de manière excessive, l’écart qui existe déjà entre les expatriés et les autochtones » - de 290 à 170, cet écart passerait de 290 à 100. D’ailleurs, même si les conditions sont difficiles pour eux, ajoute-t-il en substance, les militaires sont dans leur obligation de service. « S’il est normal que leur soient maintenus certains avantages, il serait excessif de leur conserver ce qui a pu être considéré comme un abus, et je ne rappellerai jamais assez qu’à plusieurs reprises déjà, le Budget avait demandé aux militaires que soit révisé le régime des soldes en Indochine, afin que soit mis fin précisément à ces abus. La dévaluation y a mis un terme brutal, sans doute, [mais] on ne saurait accepter qu’elle serve de prétexte à une consolidation que rien ne justifie ». Finalement, on le sait, une indemnité compensatrice de 7/10 fut quand même accordée aux militaires, mais sous la forme d’un « pécule » bloqué en France jusqu’à leur retour d’Indochine16.
14Les difficultés de recrutement - car l’autorité militaire éprouvait de réelles difficultés à trouver des hommes pour l’Indochine - sont-elles liées à cette question des soldes ? Cette pénurie touchait les cadres : selon le ministre Letourneau, 26 % du corps des officiers et 37 % de celui des sous-officiers se trouvent déjà en Indochine en 195217. Mais «dans de nombreuses compagnies, il manquait plus de la moitié de l’encadrement théorique, note Michel Bodin18. Existait alors une surcharge de travail pour les présents, ce qui accentuait encore plus l’usure physique et érodait le moral par surmenage ». Sur le terrain, de plus, et malgré les appréciations de la direction du Budget, les militaires ne paraissent pas avoir vraiment vécu dans le luxe : « les soldes ne satisfaisaient guère ; les revalorisations donnaient l’impression qu’on faisait l’aumône au corps expéditionnaire »19. Ces augmentations de soldes, en fait, se faisaient attendre : un colonel affecté à Saigon aurait perçu, fin 1951, un traitement inférieur de 22 % à son homologue en poste en Somalie, un capitaine de 18 % à son homologue envoyé en A E F20- alors q u ’ à la différence des autres, ils devaient entretenir leurs familles en métropole, le séjour de ces dernières étant interdit en Indochine. Pourtant, si les décrets déjà pris à cette époque avaient été appliqués, les traitements de l’encadrement militaire auraient été revalorisés de 20 %.
15Ces problèmes de recrutement confortaient sans doute les politiques dans leurs hésitations. Mais il fallait en même temps y faire face. Parmi les mesures mises en œuvre, certaines étaient financières, autant qu’il fut possible : le Comité de défense nationale du 12 juillet 1948 prévoit ainsi d’augmenter la prime d’engagement et de réengagement, et d’octroyer aux militaires volontaires, en fin de séjour, une prime correspondant à un aller et retour en France. Les séjours, fixés à deux ans, sont en général prolongés de six mois - ce qui les porte au total à trente mois. Dans ces conditions, le risque était évidemment de faire feu de tout bois en matière de recrutement. Le général Navarre s’en plaindra en 1953 après avoir pris son commandement: « Dès mes premiers contacts avec les corps de troupes en Indochine, écrit-il au gouvernement, j’ai constaté la présence néfaste, déjà signalée par mes prédécesseurs, d’un trop grand nombre de personnels de tous grades incapables ou même nettement indésirables. Considérant l’effort de la métropole pour entretenir par tous les moyens mes effectifs, je sais qu’il serait vain de vous demander d’améliorer la qualité des personnels que vous m’envoyez. Mais, préférant délibérément et catégoriquement la qualité à la quantité, j’ai décidé de poursuivre énergiquement l’élimination de tous les incapables qui détériorent le corps expéditionnaire et grèvent inutilement son budget »21.
16Pour la troupe proprement dite, le recours à des soldats recrutés hors métropole s’est progressivement imposé, en dépit de la volonté d’origine de n’envoyer en Indochine que des unités « blanches ». Les premiers contingents d’Afrique du Nord - les Tabors marocains joueront un rôle important sur le terrain - et du Sénégal, respectivement 6 172 et 615 hommes, rejoignent le corps expéditionnaire en avril 194722. Dès lors, leur poids ne cessera de croître, passant en cinq ans, entre 1949 et 1954, de 18 % à 31 % du corps expéditionnaire, ce qui ajoute à sa diversité. Visitant la cuvette de Dien Bien Phu un mois avant le déclenchement de la bataille, Robert Guillain, envoyé spécial du Monde, rapporte son étonnement devant « le plus extraordinaire mélange de couleurs et de races » qui campent dans la place forte : « Marocains, Annamites, Algériens, Sénégalais, légionnaires, Méos, Tonkinois, Thaïs, Muong. [...] Rares sont d’ailleurs les Français restés simples troupiers, observe-t-il, ils forment pour la plupart les cadres d’officiers et sous-officiers »23.
17Vers la fin du conflit, d’autres considérations font obstacle à l’envoi de renforts : toute unité envoyée en Indochine, de quelque taille qu’elle fut, dégarnissait d’autant le théâtre Europe-Afrique du Nord, ce qui était devenu incompatible avec les engagements souscrits par la France pour la défense atlantique et européenne. Dans les Comités de défense nationale, la question de l’envoi du contingent commence alors d’être posée, mais sans qu’on ne dépasse en la matière le stade de l’hypothèse.
18Ces difficultés n’échappaient évidemment pas à l’adversaire, comme en témoigne le général Giap dans son ouvrage sur Dien Bien Phu : « L’insuffisance des effectifs, reconnaît-il, a toujours constitué pour les colonialistes français un point faible d’une gravité indéniable, dès le début de la guerre d’agression au Vietnam »24. En tout cas, cette double situation de cherté et de rareté des militaires engagés contre l’armée populaire allait rapidement déboucher sur la mise en œuvre de solutions locales : c’est ainsi qu’il faut comprendre le recours croissant à des contingents vietnamiens, cambodgiens ou laotiens, organisés en armées nationales même s’ils conservaient, dans un premier temps, un encadrement français. Le soldat Indochinois reviendrait en effet moins cher que son homologue expatrié, et il pouvait sembler d’un recrutement plus facile.
B. LA VIETNAMISATION DES EFFECTIFS
19La question des effectifs du corps expéditionnaire, notamment au niveau de l’encadrement, se pose jusqu’en 1954, mais elle se déplace en même temps vers le développement des armées nationales : la grande idée qui s’impose au fil des ans s’appelle, selon un mot qui porte la marque de l’époque, le « jaunissement » des troupes. Ce terme désigne d’une part les « autochtones » enrégimentés dans le corps expéditionnaire : dès le début des opérations ont en effet été levés sur place des contingents, parmi les Vietnamiens mais aussi et peut-être surtout dans certaines minorités nationales et chez les peuples voisins, comme les Cambodgiens : ils entrent pour un tiers dans la composition du corps expéditionnaire en 1949, un peu moins (30 %) ensuite. Mais il s’agit aussi, d’autre part, des armées nouvelles prévues ou officialisées par les accords de 1949, par lesquels la France reconnaissait trois États associés en Indochine : une armée vietnamienne et une armée cambodgienne ont été alors, en particulier, explicitement prévues25.
20Le côté financier de la question a bien sûr retenu l’attention. Dans le premier cas, celui des autochtones engagés dans les Forces terrestres d’Extrême-Orient, le coût comparé des Européens et des Asiatiques « fait ressortir l’intérêt financier du jaunissement », indique par exemple en 1953 un rapport parlementaire26, qui s’est livré à des calculs significatifs. 11 montre que leur entretien revient globalement 37 % moins cher que celui des Européens : 1 000 Européens et ressortissants des territoires d’outremer27coûtent, hors armement, 713 millions de francs, et 1 000 autochtones dans la même situation seulement 450 millions. Les frais d’habillement et de santé apparaissent identiques. L’économie porte sur l’alimentation, qu’il n’est évidemment pas utile d’importer, sur le transport, puisqu’ils sont déjà sur place, mais surtout sur les soldes : les autochtones sont rétribués presque moitié moins que les autres.
21Le développement des armées nationales relève de la même logique financière que celui des unités autochtones du corps expéditionnaire. Elles coûtent d’autant moins cher que leurs budgets sont, plus encore que ceux de ce dernier, des budgets d’entretien d’effectifs. En 1953, les charges de personnel (traitements, alimentation, etc.) représentent 75,6 % de leurs dépenses contre, comme indiqué précédemment, 61,5 % pour le corps expéditionnaire28. Les soldes, principalement, font la différence: en 1953 toujours, pour un nombre presque équivalent d’hommes, 305 milliards de francs ont été dépensés pour les FTEO et seulement - si l’on peut dire - 142 milliards pour les armées nationales. Les armées nationales n’étaient certes pas gratuites pour la France, qui assure leur développement par une subvention annuelle couvrant une bonne partie de leurs dépenses (31 milliards de francs en 1951, 68 en 1952, autant en 1953). Mais l’affaire pouvait sembler rentable à terme.
22Les armées nationales se sont organisées en dehors du corps expéditionnaire par impulsions successives : les accords de 1949 d’abord; puis les initiatives parallèles à la conférence de Pau, comme l’entrevue Bao Dai- Letourneau de Dalat en novembre 1950 ; la mobilisation générale du Vietnam associé ensuite, obtenue par de Lattre en 1951 ; l’effort considérable décidé en 1953 enfin... Les programmes de conscription ont été longs à devenir opérationnels et leur rentabilité s’est parfois, on le sait, avérée discutable. Mais, numériquement du moins, le développement de ces armées apparaît réel : elles passent d’environ 55 000 hommes fin 1949, à 143 000 fin 1951 et, au 30 avril 1954, au moment de Dien Bien Phu, peuvent aligner quelque 292 000 hommes29. Le Vietnam associé entre pour 85 % dans la composition de cette masse combattante et il s’agit pour l’essentiel de forces terrestres, encore qu’en 1954 une petite Marine (1 500 hommes) et une petite armée de l’Air (2 329 hommes) ont pu être mises sur pied au Vietnam.
23Afin de prévenir tout dérapage financier, comme on sait, les experts français suivaient tout particulièrement la question des soldes, qui représentaient, pour les armées nationales comme pour le corps expéditionnaire, environ 40 % des dépenses. Une question relative aux troupes levées localement revient d’ailleurs à plusieurs reprises dans les rapports de la commission des Finances, celle de l’alignement des traitements : les Indochinois engagés dans les troupes de l’Union française et leurs compatriotes servant sous drapeau national devaient-ils avoir le même - les seconds étant moins bien rémunérés ? Le principe opératoire était celui du parallélisme des rémunérations, plutôt que l’égalité de traitement. Il est ainsi admis que si les rémunérations sont moins fortes dans les armées nationales, les possibilités de « carrière » y sont par contre meilleures : comme l’écrit le rapport Devinat30, « l’avancement sera pendant de longues années nécessairement plus rapide dans les armées nationales » qui, si elles n’ont pas trop de difficultés à trouver des hommes, souffrent d’une pénurie criante d’officiers, d’autant plus forte que l’on monte en grade. Accessoirement, l’emploi des dites forces va dans le même sens : le seul fait, indique la même source, qu’elles ont « vocation à servir avant tout dans leur pays d’origine [...] justifierait une inégalité de traitement ».
24Le développement des armées nationales aidant, et malgré cette pression sur les soldes, leur coût a cependant vite pris à son tour d’inquiétantes proportions. Le seul budget militaire du Vietnam associé, c’est-à-dire son plan de campagne, bondit entre 1952 et 1954 de 91 à 167 milliards de francs (respectivement 17 % et 25 % des dépenses militaires de l’année en Indochine). Tout compris, il est prévu que les armées nationales dépenseront en 1954 environ 195 milliards de francs, l’équivalent du coût total de la guerre d’Indochine en 1949. Une telle charge serait peut-être supportable si la déflation du corps expéditionnaire, annoncée pour 1953, pouvait connaître un début de réalisation. Mais ce n’est pas le cas, comme si la mise sur pied des armées nationales, ou du moins leur « mise en efficacité », si l’on peut dire, s’avérait plus lente que prévue - à moins que, plus simplement, la montée en puissance du Viet Minh n’ait gêné le dispositif.
25Le bilan dressé par le maréchal Juin, Inspecteur général des Forces armées françaises, après sa mission de février-mars 1953 en Indochine, illustre le décalage qui s’opère31. Dans le rapport de sa précédente mission en Indochine, consécutive à Cao Bang, il avait lui-même plaidé pour un développement des armées nationales : « L’effort de guerre en Indochine, écrivait-il fin 1950, soutenu dans le cadre de l’Union française, peut être couronné de succès si l’expérience de l’armée vietnamienne réussit et à cette seule condition : c’est un risque à courir ». En 1953, il ne regrette pas que ce risque ait été pris : « Au cours de mon inspection, les unités vietnamiennes avec lesquelles j’ai pu prendre contact m’ont fait la meilleure impression et le général Hinh, qui a pris en main l’état-major, me paraît avoir l’étoffe et la foi nécessaire pour conduire à bien le développement de l’armée vietnamienne, dont les conséquences doivent être un allégement de nos charges ». Mais il reste prudent sur le moment auquel cet allégement pourra commencer d’être perceptible : on ne peut imaginer, précise-t-il, la « déflation de notre corps expéditionnaire avant le second semestre de l’année 1954». Le général Navarre, nouveau commandant en chef en mai 1953, va d’ailleurs lui-même demander - et partiellement obtenir - d’ultimes renforts pour le corps expéditionnaire avant que le relais puisse être véritablement passé aux armées nationales.
26En attendant, pour tenter de limiter le coût des armées nationales, on sombre parfois dans le dérisoire. A la veille de la dévaluation de la piastre, dont il ne soupçonne pas l’existence, et alors que sa propre position est déjà sérieusement compromise, Letourneau tente, dans le cadre de la préparation du budget 1954, un ultime effort pour « aboutir à une réduction sensible des frais d’entretien des armées nationales », dont le montant « est absolument incompatible avec les ressources prévisibles »32. Ses suggestions pour y parvenir paraissent trahir un certain désarroi. Il n’est pas question, bien sûr, d’aligner le traitement des troupes autochtones sur « celui des troupes venues de l’extérieur ». Mais il va aussi, lui ministre d’État, jusqu’à suggérer des mesures presque mesquines, comme la diminution des rations de cigarettes, ou à constater, par exemple, que « les dotations en machine à écrire sont exagérées ; dans de nombreux cas, précise-t-il même, elles doivent être remplacées par des carnets duplicateurs ».
27Le coût atteint par la guerre appelle bien sûr des mesures plus hardies : les armées nationales et les dépenses qui sont liées à leur développement constituent le principal enjeu des négociations franco-américaines sur toute cette période, et ce n’est sûrement pas le volume des rations de cigarettes que René Mayer négocie alors avec les Américains. L’impossible calendrier de la relève du corps expéditionnaire par les Armées nationales a incontestablement facilité la « reprise » des armées nationales par les États-Unis, auquel se résout le gouvernement français dans l’été 1953. En attendant, la solution - ou le « risque », pour reprendre le terme de Juin - des armées nationales poussait le Vietnam dans la voie de la guerre civile, même si les unités du corps expéditionnaire restaient en première ligne face aux formations régulières de l’armée populaire.
28Du côté Viet Minh, l’entretien des combattants posait des problèmes différents. Depuis que la mobilisation générale des hommes et des femmes au-dessus de 18 ans a été décrétée, le 4 novembre 1949, depuis aussi qu’elle a pu pleinement bénéficier de l’arrière chinois, à partir de la même époque, l’armée populaire est devenue un outil puissant, partiellement sous-estimé, d’ailleurs, par le haut commandement français. Le nombre des hommes en armes n’est cependant pas connu avec précision, en raison de la pratique systématique du secret entretenue par la RDV, mais aussi du fait de l’organisation même de ses forces armées : un système pyramidal entretenait localement des guérilleros potentiels ou actifs, et au-dessus d’eux des forces régionales et des unités régulières. En mai 1953, l’ensemble de ces forces était estimé par les Français entre 350 000 et 400 000 hommes, avec une sous-estimation vraisemblable et avouée des forces régionales et locales33.
29Il ne semble pas y avoir eu de problèmes de mobilisation du côté Viet Minh, en raison d’un strict système d’encadrement social et de la forte motivation nationale. Par une sorte de perversion de l’art de la guerre d’ailleurs, le haut commandement français, peut-être contrarié de ne pas disposer de la même facilité de recrutement, sembla finalement se satisfaire des batailles coûteuses en hommes pour l’adversaire. A l’époque de Salan surtout, commandant en chef entre de Lattre et Navarre34, qui semblait conduire la guerre comme une partie d’échecs chinois, « saigner » le Viet Minh paraissait constituer une victoire en soi. L’évacuation de Hoa Binh, début 1952, menée certes de main de maître, mais qui restait un abandon, a ainsi pu être présentée comme un succès en raison des pertes infligées à l’ennemi - il faudra de fait plusieurs mois aux divisions engagées par le général Giap pour s’en remettre35. Dans une moindre mesure, puisque Salan y remporta une « victoire défensive », la bataille de Na San, fin novembre-début décembre 1952, joua un rôle un peu comparable36. Ce penchant pour une stratégie de destruction massive des « moyens humains » de l’adversaire soulignait l’importance de ceux-ci. Il ne tenait cependant pas compte de l’état d’esprit du dit adversaire, précisément peu soucieux d’économiser les hommes.
30Dans l’armée populaire, l’entretien des troupes semble avoir été résolu par un montage qui n’était qu’indirectement financier. Le « boudin de riz » que les soldats gardaient volontiers autour du cou en était un exemple : Bernard Fall, se fondant sur des décrets promulgués par la RDV en 1950, précise que la ration quotidienne de base - 1,2 kg de riz par soldat - ne constituait pas seulement la nourriture de la troupe, mais également une partie de la solde, partiellement reversable aux familles37. Le traitement des officiers aurait ainsi pu atteindre, pour un général, l’équivalent de 25 kg de riz par jour. L’appréciation du maréchal Juin, à l’occasion de sa mission de 1953, sur le système d’organisation Viet Minh et, notamment, son enracinement régional, n’en paraît que plus fondée : « Le Viet Minh tire l’essentiel de sa force de cette organisation régionale politico-militaire, qui lui permet de puiser à pleines mains dans les régions riches et peuplées où il opère »38.
C. LES EFFECTIFS HORS COMBAT
31Militaires étrangers retenus en Indochine, prisonniers de guerre, pertes humaines... L’inventaire des dépenses militaires doit enfin considérer ces effectifs « hors combat », même si leur incidence budgétaire n’est pas de même niveau que les autres. Tout d’abord les militaires étrangers - asiatiques - qui ont été désarmés en Indochine à différents moments de la guerre relevaient bien sûr, pendant la durée de leur « séjour », de crédits français. Le coût de l’entretien et du rapatriement des prisonniers japonais faits en 1945 n’est pas connu avec précision. Par contre, celui de l’entretien des troupes chinoises de Tchiang Kai Chek, qui avaient été autorisées en décembre 1949 à franchir la frontière, mais sans armes, a été budgétisé : quelque 30 000 hommes qui n’ont été totalement rapatriés sur Formose (Taiwan) que courant 1953 et qu’il a bien fallu nourrir et surveiller entre-temps. Pour en alléger la charge, il a été un moment envisagé d’en employer une partie dans les mines de charbon de la région de Hong Gay, mais sans suite significative semble-t-il. Concentrée finalement sur l’île lointaine de Phu Quoc, à l’extrême sud du Vietnam, cette troupe chinoise abandonnée coûtait encore annuellement, en 1952 et 1953, 1,4 milliard de francs39.
32Les prisonniers de guerre fait par les forces françaises coûtaient pour leur part de plus en plus cher, au fur et à mesure que le conflit se durcissait : 1,1 milliard en 1951 pour 30 000 prisonniers; 2 milliards en 1952 pour 50 000 prisonniers ; 3,5 milliards en 1953... Les chiffres ne sont pas connus pour l’autre camp. Notons cependant que, de 1946 à 1954, environ 30 000 hommes, dont 55 % issus du corps expéditionnaire, ont été faits prisonniers par le Viet Minh ou ont été portés disparus : les soldes - et même, pour un temps, les primes d’alimentation - continuaient de leur être versées. Tout compris, l’entretien des « militaires étrangers internés » et celui des « prisonniers des troupes rebelles » coûtaient en 1953 à la France environ 5 milliards de francs40- 1,1 % des dépenses globales.
33Reste, bien sûr, le « coût humain » de la guerre, qui comporte aussi une dimension financière. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, les chiffres varient selon les sources. Le journal Le Monde avançait en 1954 un chiffre de pertes de 94 581, dont 80 % pour le corps expéditionnaire41. Un « état des pertes en Indochine », établi par l’administration en 1961, six ans après la fin du conflit42, recense-lui un total de 64 150 « tués, décédés ou disparus » entre 1945 à 1954, dont 52 700 pour le corps expéditionnaire - 82 % - et le reste pour les armées nationales.
Tableau 4. État des pertes en Indochine (1961)
Source : SHAT.
34Comme le montre le graphique suivant, retraçant l’évolution des morts au combat de militaires du corps expéditionnaire, la guerre a surtout été meurtrière dans ses premières années (l’année 1946 figure aussi les tués de la fin de 1945) et ses dernières années :
35Sur ces 21 200 tués du corps expéditionnaire (à l’exclusion des « disparitions » et autres causes de décès), 12 550 étaient Français, 3 650 Nord- Africains, 1 250 Africains et 3 750 étrangers (légionnaires).
36Ces pertes, qui sont autant de drames humains - 12 550 morts français, donc, soit près de 20 % du total - , sont d’autant plus onéreuses pour la France qu’il s’agit pour l’essentiel de l’encadrement militaire. Paul Reynaud le soulignait en décembre 1952 dans une polémique avec l’ex-ministre de la Défense anglais Shinwell : « En ce qui concerne l’effort militaire fait outremer par la France, écrivait-il au Times, qu’il me soit permis de rappeler que la guerre d’Indochine nous coûte la perte d’un officier par jour »43. Le coût d’un décès au combat s’étend aussi à la famille de l’intéressé : un compte du budget prévoit ainsi en 1953 des versements pour un montant de 1,5 milliard environ aux « ayant-causes des militaires décédés en Indochine »44.
37Mais il faut croire que ce genre de comptabilité n’est pas très facile à établir et que les montants en jeu, parallèlement, ne sont pas négligeables. Dans son rapport de 1953, le maréchal Juin le souligne à propos de la contribution financière de la France à la guerre d’Indochine : « Cette contribution est certainement supérieure aux chiffres officiels de budget du ministère des États associés et, partiellement, dans les budgets de la Marine et de l’Air, car bien d’autres éléments entrent en ligne de compte : pensions payées aux veuves et aux mutilés, dont le nombre s’accroît quotidiennement, etc. » Elles s’ajoutent donc aux dépenses de personnel et renforcent leur primauté. Ces dernières ne sont pas pour autant les seules à grever les budgets.
II. LE MATÉRIEL
38« En face d’un ennemi dont l’ingéniosité fait notre admiration, et qui utilise sous forme de pièges et de ruses toutes les ressources de la subtilité asiatique, on constate dans le corps expéditionnaire une sorte de passivité relative dans le domaine de l’invention et en tout cas un emploi fort peu développé des procédés techniques modernes »45. Ce diagnostic de l’état-major de l’Armée, fin 1953, illustre un rapport au matériel bien différent dans les deux camps en présence. Le contraste est en effet saisissant entre les troupes de l’Union française, très moyennement équipées pendant des années, mais sûrement plus au départ que leur adversaire, et ce dernier qui, parti de rien, a finalement su s’imposer grâce à un matériel supérieur ou mieux utilisé - chacun des belligérants ayant bénéficié, bien sûr, d’une importante aide extérieure. Armement, véhicules, navires, avions... Un bon matériel ne suffit certainement pas à gagner une guerre et, a contrario, son insuffisance est pénalisante. Mais c’est l’homme qui le conçoit, l’achemine, l’adapte et l’utilise, et sa motivation paraît fondamentale. Comment les dépenses en matériel ont-elles pesé sur le coût de la guerre et quelle image en donnent-elles ?
A. LA CONSOMMATION D’ARMEMENT
39Bon an mal an, les dépenses d’armement entrent pour environ un tiers dans les dépenses effectuées pour la guerre d’Indochine. Avant 1950, l’évaluation est relativement simple, les acquisitions d’armement et leur entretien ressortant du budget français, encore que les présentations budgétaires aient varié. Dans le budget de la France d’outre-mer de 1948, par exemple, où sont encore inscrits les principaux crédits militaires pour l’Indochine, la ventilation générale distingue 40,67 % pour les soldes et indemnités du personnel et 58,61 % pour le matériel, le fonctionnement des services et les travaux ; mais une partie de l’entretien du personnel militaire s’est fondu dans le fonctionnement des services, qu’il faut de toute façon déduire, ainsi que les travaux, pour faire apparaître le matériel proprement dit. Il reste moins du tiers des crédits militaires pour ce dernier46.
40Après 1950, l’évaluation des dépenses d’armement doit prendre en compte les fournitures américaines, avec cette difficulté - on y reviendra - que les valeurs de ces dernières restent mal connues. Pour 1952, la somme des dépenses en matériel des FTEO, de celles de l’armée de l’Air et de la Marine, nettement moindres, et de la valeur présumée des livraisons américaines (à peu près équivalente aux dépenses en matériel des troupes terrestres), atteint environ 180 milliards de francs, un petit tiers - 32 à 33 % - de ce qu’a coûté la guerre cette année-là47. En 1953, le même calcul produit une somme d’environ 220 milliards de dollars, répartie quasiment par moitié entre les dépenses françaises et les fournitures américaines, ce qui représente cette fois 37 % de l’ensemble des dépenses considérées, en sensible augmentation, donc, sur l’année précédente48.
41Les munitions paraissent avoir constitué le premier poste de dépenses en matériel pour le corps expéditionnaire. Il est vrai que la vocation des armements modernes est de tirer des munitions : 37,5 % du budget français en matériel pour l’année 1953 leur sont consacrés49. A considérer deux années bien distinctes, 1946 et 1951, la consommation semble avoir été dans ce domaine à la fois forte et stable. Durant le second semestre 1946, le corps expéditionnaire a tiré en moyenne 3 cartouches à la seconde et lancé 1,6 engin explosif à la minute - de la grenade à l’obus de tout calibre50. Durant toute l’année 1951, c’est également au rythme de 4 cartouches à la seconde - du simple fusil à la mitrailleuse - et de 3,3 engins explosifs à la minute que le corps expéditionnaire a vécu51.
42La relative stabilité de la consommation de cartouches illustre sans doute une meilleure maîtrise des armes individuelles, en particulier du nouveau pistolet-mitrailleur, le personnel militaire ayant environ doublé entre les deux dates considérées, mais elle met aussi indirectement l’accent sur les événements qui se sont déroulés fin 1946. Elle rappelle en effet, par la très forte consommation du moment, que le retour des Français en Indochine, au Vietnam-Nord en particulier, ne fut pas une simple partie de campagne : « l’incident » de Haiphong, le 23 novembre, et les combats de Hanoi, à partir du 19 décembre, principaux responsables, sans doute, du niveau de consommation du semestre, ont visiblement été des moments de très haute intensité militaire. Quant au doublement en moyenne des tirs d’engins explosifs entre 1946 et 1951 - grenades à mains, à fusil, obus de mortier, obus de 105, etc. - il accompagne à la fois le doublement en nombre du corps expéditionnaire et la modernisation de son matériel.
43Pour le reste, les officiers du corps expéditionnaire se sont longtemps plaints de l’état médiocre de leur équipement, suggérant au passage, au-delà des difficultés que connaissait la France de l’après-guerre, le peu de cas que l’on faisait à Paris de cette guerre du bout du monde. Dans les premières années du conflit, les infrastructures du service du matériel sont jugées très insuffisantes. L’armement utilisé est pour sa part d’une très grande diversité : dans un inventaire de février 1947, la direction du matériel ne distingue pas moins de vingt-cinq références de fusils utilisés dans le corps expéditionnaire - indépendamment des fusils-mitrailleurs - et recense, en outre, un armement largement anglo-saxon52: essentiellement britannique (à 49,4 % ) , principalement pour les armes de première ligne et l’artillerie lourde, dans une moindre mesure américain (à 24,4 %), surtout pour les armes de poing et l’artillerie légère, un tel matériel ne pouvait que souffrir de problèmes de maintenance.
44Cette contrainte extérieure est plus forte encore pour les véhicules, pour lesquels les militaires français n’ont pas toujours l’accès aux pièces de détachées : les 12 432 véhicules recensés en février 1947 en Indochine sont à 95 % britanniques et américains53. S’adressant en octobre 1947 au chef du gouvernement, le commandant supérieur des TFEO peut ainsi observer : « Notre parc est immobilisé dans une proportion qui varie de 30 à 50 % selon les matériels et cette situation catastrophique ira en s’aggravant. On "bricole" pour "rafistoler". Mais l’échéance obligatoire de la réforme arrivera et la moitié du parc sera réformé parce que nous avons manqué en temps voulu des pièces et des véhicules nécessaires à l’entretien normal »54.
45En 1949, dans le rapport devenu célèbre pour la fuite auquel il a donné lieu, le général Revers, chef de l’état-major général, donne une image comparable du matériel utilisé en Indochine par le corps expéditionnaire, en y ajoutant un nouvel élément d’appréciation55. Il observe d’abord que « le reliquat de ce qui avait été importé en 1945-1946 est un matériel disparate, souvent désuet et, en tout cas, totalement usé » : les lacunes principales, précise-t-il, concernent les pistolets-mitrailleurs, les grenades et munitions de mortiers, et sur un autre plan les matériels automobiles et de télécommunications. Mais en pointant la « lenteur » et « l’invraisemblable retard » apportés à l’envoi de matériel de rechange, le général Revers dénonce également l’existence de « sabotages systématiques au départ ». En annexe de son rapport, il cite en particulier ceux qui ont été repérés dans les usines Hotschkiss, en l’occurrence du sable fin jeté dans les moteurs - il est vraisemblable que cet état de fait a poussé plus encore les responsables militaires français à recourir à du matériel américain qui, lui, ne présentait pas ce type d’inconvénient.
46Après 1950 en effet, à partir de novembre 1951 surtout, les choses changent, avec l’introduction en Indochine de matériel d’origine américaine. Placées littéralement « sous perfusion » jusqu’en 1954, les forces de l’Union française se rééquipent au rythme mensuel des 8 000 tonnes que les cargos américains leur livrent en moyenne. Quand, fin juin 1953, le 300e bateau touchera le port de commerce de Saigon, quelque 300 000 tonnes de matériel de guerre y auront été livrées depuis août 1950. Tous les types de matériel militaire sont concernés : pour l’année fiscale américaine 1952, par exemple, ces livraisons comprennent pour l’armée de Terre 115 obusiers de 105 mm, 60 chars M. 24, 2 544 mitrailleuses, 24 millions de cartouches de petit calibre, etc.56. Dans ces conditions, comme le précise alors une note du Quai d’Orsay, «l’aide militaire américaine a permis [...] une rénovation presque complète » du matériel57. Une note du commandement en chef le confirme l’année suivante : l’objectif des listes de matériels transmises aux États-Unis, car ces derniers livraient en quelque sorte sur commandes, revenait à une « revalorisation totale du matériel et, en particulier, à son homogénéisation »58. Même si l’armée américaine profite parfois de ce programme pour se débarrasser de matériels vieillis, il y a là tout de même de quoi équiper fort correctement une armée en campagne.
47Au demeurant, il ne faut pas penser que le matériel américain lui-même laissait le commandement français en Indochine à l’abri de tout souci. On sait que le général de Lattre s’est déplacé en personne aux États-Unis en 1951 pour faire accélérer les cadences de livraisons. Le problème demeure ou réapparaît en 1954, dans le contexte plus dramatique de Dien Bien Phu. Trois semaines après la chute du camp retranché, évoquant dans un télégramme de 1954 ses multiples démarches « auprès du MAAG Saigon pour obtenir l’accélération des livraisons de matériel US accordées sur les plans », le général Navarre, alors commandant en chef, se plaint des retards, d’autant plus amèrement qu’ils concernent surtout l’armement : « Les USA, écrit-il, ont fait ces mois derniers un effort exceptionnel pour nous approvisionner à partir du Japon mais ces livraisons concernent surtout [des] véhicules de combat et d’usage général. Par contre [un] retard important a été pris dans le domaine des armements et des transmissions où les livraisons n’atteignent actuellement que 20 à 30 % des programmes 54, alors que les livraisons des programmes 54 auraient dû commencer en principe dès le milieu de 53, soit un retard de près de neuf mois »59.
48L’évolution du rapport des forces en Asie, qui permet au Viet Minh de s’appuyer sur la Chine populaire, et la possibilité pour la France d’utiliser les fournitures américaines expliquent que les dépenses en matériel connaissent une forte croissance à partir de 1950. En 1951, 1952 et 1953, la progression du matériel paraît d’ailleurs plus rapide que celle des hommes60: le nombre de pièces d’artillerie se multiplie par 5, celui des mortiers par 2,7, etc. La montée en puissance du rapport des forces est alors le fait des deux camps.
49Du côté du Viet Minh et de l’armée populaire, la situation est sans doute différente, puisqu’elle doit notamment affronter un corps expéditionnaire qui s’appuie sur une marine et une aviation modernes. Mais alors qu’elle n’est pratiquement partie de rien, sinon de la récupération d’armes françaises, japonaises ou chinoises en 1945, l’armée populaire réussit elle-même à progressivement « alourdir » son armement, surtout à partir de 1949 et plus encore de 1953, après la fin de la guerre de Corée. L’armée populaire ne dispose pas de forces aériennes mais, ceci compensant cela, d’une efficace DCA, semble-t-il dès 1949, et d’une artillerie lourde. En 1954, indépendamment de la mobilisation humaine et de la souplesse tactique, la DCA et l’artillerie lourde, habilement camouflées sur les pentes entourant la cuvette de Dien Bien Phu, y créeront les conditions de la victoire.
50Sur l’ensemble de la période, la guerre s’est ainsi faite progressivement plus « technique », les dépenses en matériel progressant donc plus rapidement que les dépenses en personnel. Du pistolet au canon, les troupes de l’Union française disposent en 1947 de 160 000 armes environ sur le terrain61; en 1954, celles-ci sont environ 870 00062, ce qui fait 5,4 fois plus alors que les effectifs totaux, eux, se sont multipliés par 4,6 - y compris les supplétifs et les armées nationales. Seuls les fusils, qui passent de 138 000 à 590 000 unités environ, suivent logiquement la croissance des effectifs. Le parc de véhicules, automobiles et blindés, connaît bien sûr une progression du même ordre, encore que, sur ce point, les séries soient incomplètes et les chiffres variables, l’inventaire des véhicules en service ne suivant pas toujours les mêmes critères. Mais les données disponibles confirment la tendance: le parc, qui passe de 12 432 véhicules début 1947 à 40 870 début 1953, dont 2 900 blindés, s’est déjà multiplié par 3,3 en six ans63. Cette évolution vers une guerre ayant de plus en plus recours aux moyens techniques est également illustrée par la part prise dans les combats par l’armée de l’Air et la Marine.
Β. DE LA MARINE À L’ARMÉE DE L’AIR
51Budgétairement autonomes mais indispensables au fonctionnement du corps expéditionnaire, les forces navales et aériennes ont d’autant plus contribué aux dépenses en matériel qu’elles en sont plus dépendantes : on n’imagine pas, bien sûr, ces forces sans aéronefs ni navires, avec tout le soutien logistique qui s’y attache. Chacune intervient cependant avec sa propre culture. La Marine, qui a fait la conquête de l’Indochine au xixe siècle et vient encore de fournir deux amiraux à la tête du Gouvernement général - Decoux et d’Argenlieu, contradictoirement il est vrai - , joue un rôle important dans le retour de la France en 1946 : c’est par la mer que les forces françaises reprennent pied au Nord au lendemain du 6 mars64. Cette année-là, la Marine entre pour 16 % dans les dépenses militaires françaises en Indochine, une part qu’elle n’occupera jamais plus. L’armée de l’Air de son côté, beaucoup plus récente et cantonnée en métropole dans un rôle secondaire, n’existait au départ que symboliquement en Indochine - elle n’y figure d’ailleurs pas dans les dépenses militaires pour l’année 194665. Mais elle va voir son rôle s’accroître.
52Au milieu du conflit, en 1951, la Marine entretient en Indochine environ un quart du tonnage armé total de la flotte française66, soit 73 000 tonnes. Assurant d’une part le lien permanent entre le sud et le nord de la péninsule - le Viet Minh ayant gardé pendant toute la guerre le contrôle d’une partie du centre du pays, interdisant toutes liaisons terrestres - et d’autre part entre l’Indochine et la métropole, la Marine surveille également les côtes et peut intervenir directement lors d’opérations combinées. L’essentiel de sa puissance - et 65 % de son tonnage67- sont constitués par la Division navale d’Extrême-Orient (DNEO), qui a notamment pu entretenir presqu’en permanence un porte-avion au large des côtes indochinoises, le plus souvent L’Arromanches, unité de 14 000 tonnes fournie par le Royaume-Uni68. Le nombre des bâtiments de combats en mer de la DNEO, petits et grands, semble avoir triplé entre le début et la fin du conflit, pour se situer finalement autour d’environ 80 unités.
53Distincte de la DNEO - la Marine « blanche » - , une Brigade marine d’Extrême-Orient avait été créée en 1945 - la Marine « kakie » - , répartissant des fusiliers-marins en forces amphibies susceptibles d’intervenir dans les régions semi-aquatiques des deltas du Mékong et du fleuve Rouge. C’est ainsi que furent constituées à partir de 1947 neuf divisions navales d’assaut (« dinassauts »), 5 au sud et 4 au nord, basées, outre Saigon et Hanoi, au cœur même des deltas. Pour les équiper, il a fallu acquérir des navires spéciaux, venant en complément des bâtiments de transport de troupes en mer LST (Landing Ship Tank) : quelque 218 bâtiments fluviaux équipèrent finalement ces dinassauts, portant tous leurs initiales anglaises, LSSL, LSIL, LSM (LS pour Landing Ship), et LCU, LCM ou LCVP (LC pour Landing Craft)69. Ces unités opéraient conjointement avec celles du corps expéditionnaire.
54Une petite aéronautique navale fut enfin développée en Indochine, constituée d’une, puis deux, puis quatre flottilles, dont deux embarquées. Mais ce n’est qu’au début de 1954, peu après l’entrée en service d’un nouveau porte-avions venu des États-Unis, le Bois-Belleau, que l’aéronautique navale renforce vraiment sa participation à la guerre d’Indochine, intervenant en particulier dans la bataille de Dien Bien Phu70. Une soixantaine d’appareils supplémentaires, de fabrication américaine, furent armés dans les derniers mois de la guerre, alors que deux porte-avions croisaient au large, L’Arro-manches demeurant sur place après l’arrivée du Bois Belleau.
55Les dépenses connues de la Marine au titre de l’Indochine n’apparaissent finalement pas considérables : 168,3 milliards en francs constants sur toute la période, soit entre 5,5 et 6 % du coût total de la guerre71. Sur ce chiffre, moins de 40 % ont apparemment été consacrés au matériel - évaluation faite sur l’année 195172- , mais il faut y ajouter les livraisons américaines reçues au titre du PAM. Quoi qu’il en soit, la croissance des dépenses de la Marine en Indochine apparaît assez faible : passé le « coup de feu » de 1946 (19,4 milliards de francs 54), elles évoluent au fil des ans entre 15 à 23 milliards de francs. Et, globalement, la part de la Marine dans les dépenses militaires de la France en Indochine diminue : relativement élevée en début de conflit (9 à 11 %) elle descend autour de 5 % au début des années cinquante, pour se redresser un peu en 1954 (6,9 %). L’aéronavale, sans doute... Les forces aériennes, justement, semblent s’être par contre progressivement imposées.
56L’armée de l’Air, qui a fait une entrée discrète et presque tardive sur le théâtre d’opération, y jouait par contre un rôle de premier plan à la fin du conflit. Le nombre d’appareils a sextuplé entre 1945 et 1954 : de quelques dizaines au départ, la flotte est passée à près de 700 avions en 1954, avec une spectaculaire progression de 50 % dans les cinq premiers mois de cette dernière année73. Les dépenses militaires de l’armée de l’Air en Indochine sont globalement équivalentes à celles de la Marine : 168 milliards en francs constants74, soit également entre 5,5 et 6 % des dépenses totales. Mais elles ont connu une croissance annuelle plus vigoureuse, partant de presque rien pour arriver à 28 milliards de francs. Encore ces chiffres ne tiennent pas compte non plus des livraisons américaines au titre du PAM, qui l’ont équipé des deux tiers de ses avions, en particulier des plus performants : la totalité des avions de chasse et de bombardement a été fournie par les États- Unis75. Cette circonstance particulière explique pourquoi le poids relatif de l’armée de l’Air dans l’ensemble des dépenses militaires françaises est resté modeste, et qu’il recule même après 1950 - moment où l’aide américaine entre en vigueur - après une première phase de croissance, et avant de se redresser en 1954.
57L’utilisation du matériel aérien s’est cependant développée dans un contexte spécifique. L’armée de l’Air n’avait pas d’adversaire dans le ciel Indochinois : ses missions étaient la reconnaissance, la chasse, le bombardement et le transport. Celles-ci correspondent d’ailleurs très précisément au rôle dans lequel l’armée de l’Air est alors cantonnée en France même. La doctrine en a été fixée en mai 1946 par le général Juin, alors chef d’état-major de la Défense nationale, dans une lettre au général Bouscat, chef d’état-major de l’Air, après que les deux hommes se soient opposés sur la question de la supériorité aérienne : « La principale mission des Forces aériennes doit porter sur l’appui tactique, adapté aux unités terrestres d’intervention, stationnées sur le continent et outre-mer », écrivait Juin76. Des questions budgétaires, tranchées par le général Juin en sa faveur, pourraient avoir été à l’origine du choix de cette option : l’onéreux développement des forces aériennes réduisait en effet d’autant les crédits de l’armée de Terre77. Cette sujétion budgétaire sera durable : au début des années 1950, dans le cadre de l’OTAN, la France renoncera également « à posséder une aviation stratégique nationale pour diverses raisons dont la principale était le coût très élevé des appareils » nécessaires - en l’occurrence plus d’un milliard l’unité78.
58Sur le théâtre, deux époques se sont succédé. Les premières années sont le temps des « vaches maigres » et des vols archaïques : en dehors de quelques appareils français utilisés pour la reconnaissance et la liaison79, l’Air emploie 24 chasseurs britanniques Spitfire et à peu près autant d’avions à tout faire, principalement du transport80, auxquels s’ajoutent quelques appareils japonais récupérés et trois Catalina de l’aéronavale. Le général Salan utilisa l’un de ses derniers comme PC volant lors de l’attaque du «réduit tonkinois » en 194781. Mais l’ère britannique du Spitfire prend fin en 1949 : dès l’année suivante commence l’ère américaine, plus généreuse en matériel. Des appareils fabriqués aux États-Unis commencent à être transférés par dizaines en Indochine, soit à partir de la France, prélevés sur les lots que celle-ci recevait elle-même d’outre-Atlantique, soit - et surtout - à partir du sol américain, au titre de l’aide en matériel82.
59Cette seconde époque est en fait elle-même marquée par un double changement. D’une part, comme l’indique une fiche d’état-major, « l’évolution de la bataille sur le théâtre d’Extrême-Orient a conduit à augmenter sensiblement l’importance des Forces aériennes de chasse et de transport »83: quatre groupes de chasse comprenant 120 appareils environ ont donc été organisés, avec des appareils essentiellement américains. D’autre part, ajoute la même source, « il est apparu que l’accroissement de l’importance des moyens logistiques du Viet Minh les rendait justiciables de feux aériens plus lointains et plus denses » : il s’agissait en clair de mettre sur pied en Indochine des formations de bombardement. Quatre groupes d’une vingtaine de bombardiers Β 26 chacun ont donc aussi été fournies par les États- Unis. Évidemment, bombes et munitions faisaient partie des lots : le napalm apparaît ainsi tragiquement en Indochine en 1951, à l’époque du général de Lattre, semble-t-il pour la bataille de Vinh Yen. Au 1er janvier 1952, 7 520 bombes au napalm ont déjà été livrées84.
60Cette évolution a entraîné des difficultés spécifiques, pour la formation des hommes, la maintenance du matériel et le suivi logistique. Pour les hommes, il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’un problème de formation : victimes sans doute du statut de l’armée de l’Air, les aviateurs semblent être restés les parents pauvres du corps expéditionnaire. Leurs logements - en particulier ceux des officiers - sont en fort mauvais état, constate un rapport parlementaire en 195285, et nécessitent des « réparations très importantes qui grèvent lourdement le chapitre des crédits d’entretien ». Quand ils montent dans leurs avions, plus ou moins adaptés aux conditions du combat, ce n’est pas forcément mieux : sans maîtrise de la chaîne technique, notamment pour les appareils américains, il n’est pas aisé de maintenir une telle flotte en parfait état de fonctionnement. Les problèmes de pièces de rechange, de munitions, de pneus et autres font souvent plus de dégâts que la DCA adverse : « Chaque mois, note Philippe Gras86, l’armée de l’Air perd un avion victime du manque de pièces, alors que six autres sont en permanence en attente de révision ».
61Équipements et infrastructures ont par ailleurs du mal à suivre l’accroissement du parc aérien. Si neuf bases aériennes87sont recensées en Indochine en 1952, peu sont utilisables « tout temps » comme celle de Tan Son Nhut. Et il ne suffit pas que des moyens financiers soient dégagés : alors qu’un programme d’infrastructure de 25,5 milliards de francs avait été prévu en 1951 et 1952, seuls 17 milliards étaient engagés en 1953. En effet, indique une note d’état-major88, « le potentiel industriel de l’Indochine (extraction de pierres, cimenteries, outillage de travaux publics), ne peut absorber plus de 4 milliards par an. Ce n’est pas l’insuffisance de crédits qui a freiné la construction mais la saturation des moyens de réalisation ». En attendant, à partir de 1953, plus de 400 000 grilles d’aérodromes sont livrées par les Etats-Unis, complétés d’engins divers et de groupes électrogènes.
62Les forces aériennes imposent progressivement leur marque aux troupes terrestres, sinon aux formes de combat. En 1952 et 1953, la Direction du matériel apprend à faire transporter, selon les besoins, artillerie lourde et engins blindés par voie aérienne, en particulier vers les confins du pays thaï et le Laos. Elle n’est d’ailleurs pas peu fière de ses performances, comme lorsqu’elle achemina, dès novembre 1953, des canons de 105, de 155 et des chars d’assaut dans la cuvette de Dien Bien Phu. Les chars avaient été démontés en 180 éléments, transportés à Gia Lam pour être embarqués, puis remontés à Dien Bien Phu. 25 hommes ont ainsi remonté sur place 10 chars en moins d’un mois89.
63L’armée de l’Air et les troupes terrestres ont surtout combiné leurs forces lors des opérations aéroportées, pour lesquelles la guerre d’Indochine a un peu servi de banc d’essai à l’armée française - plus de 220 de ces opérations ont été montées. Mais divers problèmes restèrent mal résolus. La capacité de transport, qui permet de parachuter 600 hommes d’un coup, soit un bataillon, apparaît insuffisante à l’état-major et aux parlementaires de la commission des Finances : le double aurait été nécessaire90. Pour la bataille de Nghia Lo, en 1951, et malgré la volonté du général de Lattre, il faudra 1 000 sorties, 2 000 heures de vol et 10 jours d’appui aérien pour parachuter 2 000 hommes et en déposer 1 000 autres. Le recours au parachute demeure également assez cher, « extrêmement dispendieux » même pour certains91. La question, que soulève déjà le rapport Pineau en 1952, tourne autour du coût du parachute et, surtout, de son espérance de vie : au lieu de rester exceptionnelle, comme ce fut le cas lors de la seconde guerre mondiale, l’opération parachutée tend en effet à se généraliser en Indochine et, si la voilure est abandonnée sur place, comme cela semble être souvent le cas, la perte est considérable - un ramassage par hélicoptère a été étudié mais posait d’autres problèmes. Le renouvellement des parachutes « mange » près d’un milliard de francs en 1952, il est vrai aux frais de l’armée de Terre92.
64La guerre a duré huit à neuf ans. En octobre 1945, les troupes de la 2e DB avaient débarqué à Saigon des croiseurs Gloire et Suffren ; peu après, les représentants de la France avaient rencontré Ho Chi Minh puis Bao Dai en baie de Ha Long, sur l’Emile Bertin d’abord, le Duguay Trouin ensuite. En 1954, c’est autour de la piste d’aviation de Dien Bien Phu, rendue d’ailleurs inutilisable dès les premiers jours de la bataille par l’artillerie Viet Minh, que s’est joué le destin de l’Union française. Les dinassauts furent surtout importantes dans les premières années de la guerre, les opérations aéroportées dominèrent les dernières. Comme un symbole, d’ailleurs, le chef d’état-major de la toute jeune armée nationale du Vietnam, Nguyen Van Hinh, avait gagné ses galons dans l’armée de l’Air. Mais cette coûteuse évolution technologique et tactique, à supposer qu’elle fût en mesure de répondre aux défis posés par la nouvelle Indochine, resta inachevée.
C. LES DÉPENSES VIETNAMIENNES D’ARMEMENT
65Il n’est pas très facile d’isoler les dépenses d’armement des armées, principalement vietnamiennes, qui, hors du corps expéditionnaire, cohabitent en Indochine dans les dernières années de la guerre. La difficulté, du côté de l’armée nationale vietnamienne (Bao Dai), est de faire ressortir son matériel, d’une part de la subvention accordée par la France et, d’autre part, de l’aide américaine. Du côté de l’armée populaire du Vietnam (RDV), la question des sources - ou plutôt leur accessibilité - est bien sûr plus contraignante.
66Les dépenses en matériel des armées nationales sont d’abord des dépenses d’équipement, puisqu’elles ont été créées de toutes pièces ou presque. Les conditions de leur dotation en armement ont cependant évolué avec le temps. Les accords de 1949, avec le Vietnam et avec le Cambodge surtout, prévoyaient que leurs gouvernements pourraient faire des commandes de matériel au gouvernement français93. Fin décembre 1950, les trois États associés sont ensuite partie prenante à l’accord conclu avec les États-Unis sur l’aide militaire en matériel : au terme de ce « pacte à cinq »94, le Vietnam, le Cambodge et le Laos en étaient également bénéficiaires à travers la France.
67Globalement, les armées nationales paraissent dépenser plutôt moins que le corps expéditionnaire pour leur équipement. Indépendamment des livraisons américaines, la part du matériel dans les dépenses militaires des trois États associés, ressort en effet à un niveau un peu inférieur aux dépenses comparables du corps expéditionnaire : en 1953, 22, 9 % de leurs budgets militaires sont affectés au matériel - contre 25,4 % pour les FTEO95. Sans doute les tâches de pacification auxquelles elles étaient surtout cantonnées étaient moins gourmandes en armes que les combats livrés en haute région.
68L’équipement des nouvelles unités vietnamiennes est en effet léger, à la mesure de leur mission sur le terrain. Un bataillon de 828 hommes, dont 22 officiers, répartis en quatre compagnies et une cinquième de commandement, reçoit à peine plus d’armes que d’hommes - 879 exactement, et il s’agit d’armes individuelles: 84 pistolets, 127 pistolets mitrailleurs, 2 mortiers de 81,4 mortiers de 60, 8 mitrailleuses légères, 28 fusils mitrailleurs, 580 fusils ou carabines, 36 fusils avec manchons lance-grenades...96 Ce n’est que pour 1954 qu’un «plan Hinh supplémentaire» prévoira au Vietnam la création de batteries de position, d’unités blindées, de transport de génie et de transmissions97. De petites forces aériennes et maritimes compléteront le dispositif, mais à titre encore symbolique : la France destine ainsi neuf appareils légers à l’aviation vietnamienne en fin de conflit98.
III. LES OPÉRATIONS
69Le caractère atypique de la guerre d’Indochine, en particulier pour les forces françaises, réside largement dans sa double nature : un conflit à la fois politique et militaire qui, sur ce second plan, oppose des unités constituées à un adversaire qui se cache ou n’accepte le combat que lorsqu’il est sûr de marquer des points, mais qui se développe finalement assez pour faire à son tour manœuvrer des unités régulières. Dans un tel contexte, l’activité militaire est à inventer et à réinventer périodiquement, mais le choix des opérations est aussi financier.
70L’unité de production de la guerre, si l’on peut dire, est l’opération. Trois cent soixante-treize ont été répertoriées, soit en moyenne une par semaine pendant toute la durée du conflit. Chacune dure quelques heures ou plusieurs semaines, selon les cas, et est désignée par un nom de code, de l’opération Léa en 1947 (attaque contre le réduit Viet Minh du Tonkin) à l’opération Castor en 1953 (occupation de la cuvette de Dien Bien Phu). Il s’agit là de l’emploi normal des hommes et du matériel : certaines opérations permettent simplement de consolider un contrôle territorial, comme l’opération Canigou au Cambodge entre le 5 et le 10 avril 1950, dans la région de Kompong Chhnang ; d’autres ont pour objectif de s’attaquer aux zones Viet Minh, comme l’opération combinée Camargue (avec Marine et forces aériennes) dans le secteur de la « rue sans joie », dans le Centre Vietnam, en août-septembre 1952. À partir de 1950 cependant, de grandes batailles s’y ajoutent, attestant de l’évolution du rapport des forces : sept ont fait date, de Cao Bang en 1950 à Dien Bien Phu en 1954 en passant par Vinh Yen ( 1951 ), Mao Khé - Dong Trieu ( 1951 ), le Day ( 1951 ), Hoa Binh ( 1951 - 1952) et Na San (1952).
71S’il est difficile de dresser point par point la facture de tous ces combats, petits et grands, il est cependant possible de distinguer ce qui ressort de l’occupation du territoire, qui traverse toute la guerre, de l’évolution de la stratégie, qui s’exprime notamment par les grandes batailles des dernières années. Les implications financières ne sont en effet pas les mêmes.
A. L’OCCUPATION DU TERRITOIRE
72Les forces françaises se sont vite rendues compte qu’il ne suffirait pas de reconquérir le territoire perdu en 1945, mais qu’il faudrait encore le tenir. Pendant toute la durée de la guerre, la « pacification » constitue ainsi l’une des deux grandes missions des troupes terrestres en Indochine, l’autre étant le combat. Par le terme de pacification, précise une fiche d’état-major en 195099, « il faut entendre le retour, puis le maintien de l’ordre et de la sécurité dans une zone insoumise et petit à petit réduite ». Ce travail à la fois de police et de proximité, combinant la protection des activités, le contact avec la population et la surveillance de celle-ci, la recherche de renseignement et, plus généralement, l’action militaire, politique et économique, se montre assez exigeant en effectifs et retient par conséquent une part importante des dépenses militaires. Il faut y ajouter la protection des biens français, en particulier des plantations d’hévéas au Sud et des mines de charbon au Nord.
73Étant donné le flou entourant les buts de guerre français en Indochine, l’occupation de territoire constitue finalement une sorte d’activité par défaut, contenant sa propre finalité. « La grosse difficulté d’action de cette armée, notait le général Revers en 1949 en conclusion de son rapport, c’est que jamais son rôle n’a été défini avec précision, jamais une directive n’est venue réellement orienter le commandant en chef, le commandant supérieur et leurs principaux subordonnés »100. Il y eut bien de grandes opérations contre le cœur du dispositif Viet Minh, d’ailleurs sans suite, ou pour reprendre pied dans le delta du fleuve Rouge, mais l’optimisme militaire restait vacillant. « Une des causes de ce moral en équilibre instable, écrit également Revers, est due en grande partie à ce que personne ne sait pourquoi on se bat ». François Mitterrand, qui avait vainement essayé d’interpeller le gouvernement sur ses buts de guerre, ne dira pas autre chose en 1954 : « Je cherche la raison pour laquelle la France s’est battue » en Indochine, déclare-t-il alors ; il existe bien au départ un projet de fédération indochinoise sous l’égide de la France, rappelle-t-il, mais « cette structure, qui n’apportait pas satisfaction, cela va de soi, aux populations locales ou à leurs représentants en tout cas, [...] était pratiquement le seul thème offert aux exécutants »101.
74Tenir le terrain apparaît vite, sinon comme la première dépense, du moins comme le premier motif de demande d’augmentation des crédits militaires. Présent au Comité de défense nationale du 12 juillet 1948, le haut-commissaire Bollaert en prend par exemple argument pour obtenir - en vain - les renforts qu’il demande : « il attire l’attention du Conseil, note le procès-verbal de la séance, sur le fait que nos seules charges d’occupation sont augmentées du fait du succès des opérations du Tonkin fin 47, qui, en nous assurant la maîtrise de la frontière chinoise jusqu’à Cao Bang, nous en impose par contre le contrôle»102. Pour lui, cette «mission statique [...] Justine à elle seule une augmentation du corps expéditionnaire ». En 1950, constatant que l’infanterie « est l’exécutante normale de cette mission », une fiche d’état-major précise que les 2/3 des forces régulières lui sont alors consacrés - et plus encore si l’on tient compte de l’incorporation des supplétifs à cette tâche103. Mission en effet très « statique » : pour la remplir, « l’infanterie est contrainte d’établir des postes extrêmement nombreux, allant de la simple tour au poste de compagnie, dans les villes, auprès des points sensibles, le long des voies de communications routières ou ferrées et devient irrécupérable pour mener le combat contre les bases ou les forces régulières de l’ennemi ».
75Cet aspect des choses faisait évidemment l’affaire du Viet Minh. Le général Giap note ainsi combien « la poursuite de la guerre d’agression a été un processus continu de dispersion des forces. Plus ces forces sont dispersées et vulnérables, plus les conditions sont favorables pour nos troupes, qui peuvent les anéantir par petits groupes »104.
76Indépendamment des effectifs déployés pour la faire, une telle guerre « à l’aveugle » a son coût spécifique : celui des moyens radios de communication, indispensables d’un côté comme de l’autre, car le Viet Minh ne pourrait pas non plus entretenir sans eux guérilla et insécurité sur la totalité du territoire, ni surtout manœuvrer discrètement ses unités régulières. « La dilution exagérée de la troupe », pour reprendre les mots du général Babet, constitue donc une contrainte particulière : « Examiné sous l’angle des liaisons, un tel dispositif invertébré fait apparaître le besoin de moyens radioélectriques ruineux », note-t-il surtout105. Sans compter que chacun des belligérants a besoin d’équipements spéciaux pour capter les communications de l’adversaire. Les conditions techniques des guerres sans front que le monde a connu depuis la fin de la seconde guerre mondiale, singulièrement au Vietnam, se mettent ainsi en place : malgré leur caractère parfois archaïque, ces guérillas se situent en tout cas pleinement dans l’ère de la communication instantanée.
77Les moyens de transmission ont constamment retenu l’attention de la hiérarchie militaire. Dans les premières années du conflit, ils ont eu du mal à suivre l’éparpillement des hommes : « dès qu’il est apparu que le prix à payer serait plus élevé que prévu, précise l’analyse du général Babet, on tomba dans la pénurie »106. Mais, après 1950, l’aide américaine permit de faire face. Le nombre de postes radio-électriques passe de 6 000 début 1951 à plus de 30 000 en 1954 : le matériel de transmission est celui qui a connu la plus forte croissance durant ces trois années - il a été multiplié par 5,4, plus encore que les pièces d’artillerie, qui se déversent alors en masse sur le corps expéditionnaire107.
78Une autre donnée, bien différente, joue aussi sur le coût de l’occupation du territoire : la différence entre régions, inégalement « chères ». Au Vietnam, à proportions égales d’hommes et de matériels, les dépenses sont les plus élevées au Nord, sans doute en raison du caractère plus précaire qu’y a pris la réinstallation française. « Un homme au Tonkin, note dès 1947 le rapport Gayet, même en garnison stable, revient deux à trois fois plus cher que dans le Sud »108. Par une sorte d’effet pervers, d’ailleurs, une situation de sureffectif a pu être constatée en Cochinchine. « On peut dire sans crainte de se tromper, observe ainsi Revers en 1949, que si à Saigon on ne trouve pas, et de loin, le quart de l’armée d’Indochine, comme l’a écrit l’inspecteur général Gayet dans un rapport, il semble néanmoins que l’on puisse avantageusement réduire ce volume. »109 Le volume en question diminuera dans les années suivantes, mais le « surcoût » du Nord vers où les effectifs seront progressivement déplacés en raison de l’évolution du rapport des forces, perdurera. Son effet sur les dépenses militaires sera d’autant plus sensible.
79Le maître mot du contrôle territorial est donc la « pacification », mais celle-ci connaît un succès si divers selon les régions que l’on peut se demander, en particulier au Nord, si la guerre ne se déroule pas à fonds perdus. Les militaires semblent s’être habitués à une situation confuse, qui leur donne apparemment le contrôle du terrain - on n’ose dire de la population - mais seulement jusqu’à la tombée de la nuit ou jusqu’à leur propre départ. Le delta du fleuve Rouge est à cet égard un piège redoutable. Le Viet Minh s’acharne à y détériorer les routes - en « touches de piano » - encore et toujours après qu’elles aient été réparées ; chaque village, chaque moment de la journée ou plutôt de la nuit est âprement disputé. La carte que l’état-major entretient à Hanoi sur la « rougeole » du delta - les officiers préfèrent parler de « vérole » - est significative. Bien sûr, la question est aussi politique : pour le général Juin, on le sait, la puissance du Viet Minh repose largement sur son implantation et son organisation locale ; « c’est pourquoi il faut voir en elle l’ennemi n° 1, résume-t-il en 1953, ce qu’il faut d’abord faire disparaître si l’on veut atteindre le Viet Minh au vif »110. Il faut donc substituer une autre organisation régionale à la sienne, après l’avoir refoulé dans les confins du pays. Faute de pouvoir être totalement mise en œuvre par les forces françaises, une telle perspective renvoie au développement des États associés.
80Depuis qu’elles existent, justement, la France a de préférence affecté les armées nationales à des tâches de pacification et commence, dans les dernières années de la guerre, à leur transférer localement la totalité de cette tâche : l’enjeu financier de l’opération est à la mesure du poids pris par l’occupation du territoire dans les dépenses militaires. Le plan suivi, conforme à celui qui avait été présenté par Letourneau aux Américains à leur demande, lors du voyage de Mayer à Washington au printemps 1953, permet dès l’année suivante de laisser à l’administration civile et militaire de Bao Dai plusieurs provinces du delta du Mékong. Des tentatives du même ordre sont en cours dans celui du fleuve Rouge. L’opération Atlante, qui se déroule en même temps que le siège de Dien Bien Phu, a également pour ambition de libérer une partie du Centre Vietnam de l’emprise du Viet Minh, afin de pouvoir la transférer à l’Armée nationale. Le plan Navarre apparaît d’ailleurs lui-même tout entier tourné vers cette perspective, y compris à Dien Bien Phu, où le haut commandement escomptait voir venir se briser les unités régulières de l’ennemi, ce qui aurait soulagé la menace pesant sur les armées nationales. Mais, comme il a déjà été indiqué, et indépendamment du revers stratégique subi dans la célèbre cuvette, la lenteur de la mise en place de cette alternative à la forte présence du corps expéditionnaire empêchait d’en espérer à court terme une réelle économie en effectifs.
B. L’ÉVOLUTION DE LA STRATÉGIE
81La « menace communiste », représentation résumant à partir de 1949 la proximité de la Chine populaire et la montée en puissance du Viet Minh, paraît - enfin ! - avoir donné une raison d’être à la présence militaire de la France en Indochine et y justifier ses dépenses, à défaut de les financer. Jusqu’en 1949, on le sait, personne ne pouvait vraiment dire pourquoi on s’y battait ; cette fois, l’affaire est entendue, comme de Lattre le résume en septembre 1951 à la télévision américaine, en réponse à une question relative à la Corée où la guerre se déroule depuis plus d’un an111: « Je crois qu’il n’y a pas seulement un parallèle à faire entre la Corée et l’Indochine, affirme-t-il. C’est exactement la même chose. En Corée, vous vous battez contre des communistes. En Indochine, nous nous battons contre des communistes. La guerre d’Indochine, la guerre de Corée, c’est la même guerre, la guerre d’Asie... », ajoute-t-il avant de faire un parallèle avec l’Europe.
82Outre la révolution chinoise, la nouvelle situation est marquée en Indochine par l’émergence des États associés, la combinaison des deux y entraînant une réorientation des dépenses militaires françaises. On ne se bat désormais plus vraiment - on ne le disait pas - pour maintenir sur place une certaine souveraineté, on doit faire face à un conflit plus sérieux, qui ne nous appartient même plus totalement. Une fiche d’état-major, relative aux ouvrages du Génie en Indochine, en donne l’illustration sur un point apparemment annexe mais significatif, celui de la garnison aéroterrestre de Saigon-Tan Son Nhut, l’une des plus grandes que la France entretient sur place : « les travaux entrepris jusqu’en 1950 à Tan Son Nhut, indique-t-elle, ont été réalisés avec le souci d’affirmer la permanence de la présence française - leur prix de revient est élevé. A partir de 1951, la priorité est donnée aux travaux de caractère opérationnel : les dépenses d’équipement dépassent progressivement les dépenses de casernement pour devenir six fois supérieures en 1953 »112. La précarité du statut des installations françaises suivait la montée des tensions.
83Dans ce contexte il est vrai un peu contradictoire, et alors que d’une certaine manière elle se désengage, la France s’enracine en 1951 dans une attitude à la fois défensive et assez onéreuse : de Lattre fait en effet construire plus de mille fortifications en béton à la périphérie du delta du fleuve Rouge. À Vinh Yen, il avait été semble-t-il assez impressionné par le déferlement des unités régulières Viet Minh, même s’il avait pu leur bloquer la route du delta et, partant, de Hano113. Sans doute aussi souhaitait-il prémunir les installations militaires françaises contre les canons de gros calibre - on parlait de 155 - dont commençait à s’équiper l’ennemi. Dans un premier temps, les travaux portèrent sur la protection de la grande base de Haiphong, qui comprenait le port, deux terrains d’aviation, des installations de stockage et des hôpitaux : dans les trois premiers mois de 1951, une double ceinture fortifiée fut édifiée à 30 et à 35 kilomètres de la ville, développant un arc de 50 kilomètres. Dans un second temps, entre mars et septembre 1951, la périphérie du delta était à son tour fortifiée sur environ 100 kilomètres, avec 1 200 ouvrages et 250 points d’appui.
84En équipant ainsi le champ de bataille du Tonkin, le Génie trouvait une nouvelle vocation114. Jusqu’en 1950, ses 10 000 hommes s’étaient surtout préoccupés des voies de communication. Les routes avaient d’abord dû être ouvertes - et réouvertes périodiquement - sur le modèle de l’opération menée début 1946 pour dégager les 400 kilomètres de l’axe Saigon-Nha Trang : il avait alors fallu une semaine à un bataillon pour faire sauter la vingtaine de brèches qui y obstruait la circulation. La difficulté résidait cependant dans le fait que l’usure des routes était plus rapide que leur entretien, surtout quand le Viet Minh y contribuait. Dans une contrée où ensuite, comme disent les militaires, les « coupures liquides » sont larges et nombreuses, quelque 10 000 mètres de ponts avaient parallèlement été lancés ou remis en place. Le Génie avait enfin dû construire les trois bases aéroterrestres de Tan Son Nhut, Tourane (Danang) et Hanoi-Bach Mai. Avec le bétonnage du Tonkin, ainsi, la réorientation de l’activité du Génie n’alla pas sans quelques difficultés : la « demande » était telle que la production, si l’on peut dire, avait du mal à suivre : comme pour le développement des bases aériennes, des goulots d’étranglement, au niveau de l’élaboration du béton, du transport, et de la mise en œuvre des chantiers, ne facilitaient pas la réalisation des programmes.
85Le coût des fortifications « de Lattre » a contribué à la forte augmentation des dépenses militaires de la France en Indochine que l’on constate alors - de l’ordre de 47 % entre 1950 et 1951115. Sans doute ne sont-elles pas seules en cause, les travaux ne représentant que 10 à 15 % des dépenses militaires en Indochine. Mais elles firent tout de même passer le programme d’implantation et d’investissement, évalué en 1950 entre 75 et 95 milliards de francs, à 120 milliards de francs - sur cinq ans, soit environ 24 milliards par an116. La courbe des dépenses en travaux, qui grimpait de plus en plus vite depuis 1948, affiche en 1951 une croissance quasi verticale, pour régresser un peu après 1952117. Dans la lettre d’arbitrage qu’il adresse à de Lattre pour la préparation du budget de 1952, le président du Conseil René Pleven se verra contraint de demander au haut-commissaire et commandant en chef de surseoir à un nouveau programme de 1 600 ouvrages - d’autant que si un millier de ces nouvelles constructions étaient prévues au Tonkin, 400 devaient l’être en Cochinchine et 200 en Annam, ce qui « ne présentait pas un caractère de nécessité aussi urgente » qu ’ au Nord118.
86Le général de Lattre, dans le discours qu’il a prononcé à Vinh Yen le 19 avril 1951, a justifié cette attitude défensive et s’est défendu de toute nouvelle visée coloniale119. Pour lui, «Les fortifications qui s’élèvent renforceront, bien sûr, la défense ; mais elles doivent également permettre, par l’économie des effectifs, de reprendre la pacification à l’intérieur du Delta et d’y faire régner, la nuit comme le jour, sur tous les villages, la paix, la sécurité, la loi vietnamienne ». S’adressant à Tran Van Huu, chef du gouvernement de Bao Dai, il balaie ensuite l’autre accusation d’un revers de main : « L’on me dit, Monsieur le Président, que certains de vos compatriotes, abusés ou désabusés, aperçoivent une arrière-pensée politique dangereuse dans ce qui n’est que l’expression d’une idée stratégique singulièrement utile : ces blockhaus seraient à leurs yeux le signe matériel de la permanence indéfinie de l’implantation militaire française au Vietnam. Non, Monsieur le Président, je suis venu ici pour accomplir votre indépendance, non pour la limiter. [...] Dès maintenant, à l’abri de ces remparts, votre souveraineté s’édifie chaque jour ».
87Les choix coûteux du général de Lattre relevaient-ils d’une bonne analyse stratégique ? Les députés de la commission des Finances, qui séjournent en Indochine en janvier 1952 sous la conduite de Christian Pineau, semblent avoir des doutes : « La Mission doit dire, précise son rapport, qu’elle n’a pas toujours été convaincue de la nécessité et de l’urgence de certains travaux spectaculaires »120. En effet, la stratégie en question paraît fondée sur l’idée que le Viet Minh constitue pour l’essentiel une menace extérieure. Sans doute, les unités régulières que celui-ci peut commencer à aligner campent-elles en moyenne et haute région, si elles ne se refont pas tout simplement une santé de l’autre côté de la frontière chinoise. Mais l’ancrage et la légitimité de son action au sein de la société vietnamienne, en particulier de la dense paysannerie du Nord, paraissent largement sous-estimés. Il reste que, le Viet Minh ayant fait la démonstration qu’il était capable de manœuvrer des unités régulières au cœur même du delta, les fortifications « de Lattre » lui auront causé, de l’aveu même du général Giap, une gêne certaine121.
88Après de Lattre, le général Salan prolonge cette stratégie défensive en la rendant plus itinérante, ce qui ne la rend pas moins coûteuse. Faute de pouvoir regagner le terrain perdu au profit du Viet Minh, comme dans le pays thaï, au nord-ouest du Vietnam, et pour obliger celui-ci à se battre, le haut commandement français développe à partir de la fin 1951 une nouvelle méthode : celle des camps retranchés, ou « hérissons ». Na San fut le prototype de ces centres de résistance « offrant à l’ennemi, précise le général Gras, des positions assez faibles pour le tenter, mais suffisamment fortes pour résister à ses assauts », avec au final la possibilité de « l’écraser sous les feux de l’artillerie et de l’aviation »122. Pratiquement, cela revenait à verrouiller par une série dense de points d’appui un site organisé autour d’une petite piste d’aviation - 1 100 mètres - qui assurait le lien avec l’extérieur : « Na San était la transposition asiatique et moderne des camps retranchés que Vauban improvisait en 1706 à Dunkerque et Wellington à Torrès Vedras », écrit encore l’historien de la guerre.
89Mais Na San fut l’occasion d’une crise entre les armées françaises de Terre et de l’Air en Indochine, précisément centré sur le coût de l’opération. Pendant plus d’un mois, un pont aérien allait fonctionner au rythme de 50 rotations de Dakota par jour - soit un atterrissage de jour toutes les dix minutes - et même parfois 100, pendant que d’autres appareils parachutaient directement leur matériel. Engins divers, barbelés, mines, armes, munitions et troupes, tout arrivait du ciel par milliers de tonnes et d’hommes. « Na San était devenue une ruche, note le général Gras. [...] En moins d’un mois, une véritable forteresse avait surgi de la brousse », avec transmissions par fil entre tous les points d’appui. Mais une telle performance supposait de l’aviation un effort démesuré, qui poussait les hommes et le matériel au-delà des réglementations et de leur fonctionnement normal. Seule, semble-t-il, l’arrivée à Hanoi du secrétaire d’Etat à l’Air permit d’arbitrer la querelle qui se développait entre Salan et le général Chassin, responsable de l’armée de l’Air en Indochine. La bataille de Na San, qui se déroule dans les premiers jours de décembre 1952, fut gagnée par Salan. Mais il ne s’agissait que d’une « victoire défensive » - la France ne semblait plus pouvoir prétendre à autre chose en Indochine - , qui de plus avait absorbé, en un mois et demi et sur un seul point du territoire, « le quart des crédits aériens en heures de vol »123.
90Cette stratégie sera remise en cause par le gouvernement Mayer, lors d’une réunion interministérielle tenue le 27 avril 1953 et alors que se préparait la dévaluation de la piastre. Une note préparatoire stigmatise cette « attitude constamment défensive, fondée sur de solides hérissons, placés sur des terrains choisis à l’avance. Cette méthode rappelle un peu 1870 et ses belles positions permettant des champs de tirs efficaces. Mais attaque-t-on le terrain ou l’ennemi ? » Une telle attitude « peut s’expliquer par deux raisons, poursuit la note. La première se justifie par la modicité de nos moyens. On peut rencontrer la seconde dans l’absence de direction précise provenant de l’échelon responsable de la conduite de la guerre, c’est-à-dire le ministre et, derrière lui, le gouvernement »124.
91Cette réunion « consacrée à l’examen de la situation militaire en Indochine », que Mayer organise donc à Matigon le 27 avril 1953, devait statuer sur la « demande de moyens aériens supplémentaires formulés par le général Salan »125. Elle débouche sur un examen de « toute notre conception de la défense de l’Indochine ». Mayer et Pleven, en particulier, sont opposés à la multiplication des « hérissons ». Pleven et Juin dénoncent la conception statique qui les inspire et réclament d’être plus offensif. Le général Lechères, chef d’état-major de l’armée de l’Air, est finalement expédié en mission en Indochine, afin d’y étudier les moyens d’obtenir « un meilleur rendement des unités aériennes ». Il ramènera de son voyage la confirmation de l’idée que la tactique des « camps retranchés » du type Na San est « onéreuse en forces terrestres comme en heures de vol et de transport, et pas très au point ». Le général Salan, commandant en chef en Indochine, est alors virtuellement sur le départ...
92Sur tous les plans se retrouve l’évolution technologique derrière le conflit, soit l’importance progressive prise par l’aviation au détriment de la Marine. Les tâches successives assurées par le Génie en sont une nouvelle illustration : ses unités avaient commencé à se battre autour des routes ; elles s’étaient transformées ensuite en bétonneur du delta ; elles organisent finalement la défense des pistes d’aviation. Mais il y a une différence en terme de coût : les « gouffres à tonnage » que sont les camps retranchés en haute région ne sont pas imaginables sans un important soutien matériel et, surtout, financier, à un moment où les budgétaires font la chasse aux économies, particulièrement sur le chapitre indo-chinois.
93Signalons pour mémoire que, dans les régions qu’il contrôle, le Viet Minh se réapproprie pour sa part les routes, que dans un premier temps il obstruait ou détruisait systématiquement : l’acheminement des hommes, du matériel et du ravitaillement autour des camps retranchés français, tout particulièrement de Dien Bien Phu, qui ressemble assez à un « super-Na San », oblige à ouvrir de nouveaux axes et à en réhabiliter d’autres. Celui qui relie Tuan Giao à Dien Bien Phu, qui n’était plus qu’une sorte de chemin muletier abandonné par tous depuis longtemps, fut réhabilitée par l’armée populaire à l’occasion de la bataille - elle permet aujourd’hui d’accéder par la route à la célèbre cuvette126. La mobilisation qui entoure la réforme agraire a sans doute rendu possible ces grands travaux : 2 millions de journées de travail ont permis l’ouverture de la route reliant Yen Bai, au fond du delta, à Son La, en haute région ; 2,6 millions de journées ont également permis de joindre par voie terrestre les zones militaires II et III de la Résistance, soit la moyenne et haute région d’une part, et la province de Thanh Hoa d’autre part, bastion inexpugnable depuis 1945 et qui commande le Centre Vietnam127.
94Les dépenses militaires reflétant les « moyens » que se donnent les armées, il apparaît ainsi, en dernière analyse, que les moyens d’une politique dépendent largement des objectifs de cette dernière : tout se passe comme si, de ce point de vue, la France n’avait pas eu les moyens de sa politique et que - ou parce que - elle n’avait jamais vraiment eu de politique indochinoise autre que conservatoire.
IV. LA RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES DÉPENSES
95La diversité des monnaies en jeu donnait un caractère particulier aux dépenses militaires de la France pour la guerre d’Indochine. Une part de ces dépenses s’effectuait en francs, une autre en piastres, et certains achats étaient réalisés en devises, en particulier dans la zone dollar. Pour l’année 1953, par exemple, 41,6 % des dépenses ont été réalisées en métropole, donc en francs, 55,8 % en Indochine, c’est-à-dire en piastres, et le reste - soit 2,6 % - en devises128.
96Les fortes dépenses liées à la guerre d’Indochine n’étaient donc pas indifférentes aux équilibres économiques et financiers existants, en particulier en termes de change. La question est ici de savoir par quels canaux ont circulé ces dépenses militaires et si, éventuellement, les flux ainsi générés n’entraînaient pas des coûts supplémentaires, en particulier pour la défense de la monnaie indochinoise.
A. LES DÉPENSES EN DEVISES
97Dès le début de la guerre, une part des dépenses militaires de la France est réalisée en devises, ce qui profite au passage à quelques places extérieures : des crédits en dollars américains ont été ouverts par le ministère des Finances pour des achats à Manille ou aux États-Unis, en livres sterling pour des acquisitions à Londres et en roupies pour divers achats aux Indes ; accessoirement dans d’autres monnaies, le « strait dollar » de Singapour par exemple - à nouveau la zone britannique - ou encore le franc belge, comme pour l’achat en 1947 de pièces de chars américains et de casques en liège129.
98D’une manière générale, ces achats en devises portent soit sur des produits que l’éloignement de la métropole rend nécessaire d’acquérir à l’étranger, soit sur des matériels dont les militaires ont besoin et que la France ne produit pas. Y figurent donc des vivres, farine américaine ou rations conditionnées en Inde, tout autant que des navires et des munitions. En 1947, 4,6 millions de cartouches de 7,7 mm et 5 000 bombes spéciales, seules adaptées aux appareils britanniques utilisés en Indochine, ont dû ainsi être achetées en devises130. Autre exemple, pour équiper les forces fluviales et amphibies, et les rendre aptes à patrouiller ou à intervenir dans les régions deltaïques, deux LCT à 83 000 dollars l’unité et douze LCA ou LCVP à 20 000 dollars pièce ont dû également être acquis pratiquement sur place131. «Aucun de ces bâtiments ni des rechanges (achetés avec), précise la communication ministérielle sur ce point, ne peut être trouvé dans les surplus en France ou acquis autrement que sur les stocks américains ou britanniques en Extrême-Orient ».
99Ces achats pèsent bien sûr sur les paiements français, quoique les montants en j eu ne soient pas très considérables : l’équivalent d’environ 50 milliards en francs constants (1953) entre 1946 et 1949, soit 8 à 9 % des dépenses militaires engagées sur cette période. La situation de 1946 était un peu particulière, car il a fallu pratiquement équiper de toutes pièces le corps expéditionnaire : les dépenses en devises comptent sans doute alors pour 10 à 15 % de l’ensemble des dépenses engagées, environ 4 milliards de francs courants132. Une proportion plus modeste s’établit par la suite : 7,5 % des dépenses militaires en 1947, pour près de 4 milliards de francs courants à nouveau133; environ 7 % pour 1948, pour 5 à 6 milliards134; et si l’on conserve, par hypothèse, cette proportion de 7 % pour l’année 1949, faute de sources suffisantes pour préciser davantage, les dépenses en devises se situeraient alors entre 9 et 10 milliards de francs courants.
100Au-delà de 1949, les fournitures américaines reçues au titre de l’aide se substituent largement aux achats en devises, sauf pour des produits comme les carburants. Le directeur des Finances extérieures, Guillaume Guindey, s’est d’ailleurs, on le sait, dès 1950 efforcé d’orienter dans ce sens l’aide américaine qui s’annonçait : « la tendance naturelle du ministère de la Défense, prévint-il alors, sera de demander uniquement du matériel militaire supplémentaire. [...] Il semble que nous devions nous opposer à cette tendance » et tout faire, poursuit-il en substance, pour alléger les crédits en matériel inscrits au budget, et dont un bon nombre ne peut être dépensé qu’en devises135. De fait, une partie des dépenses précédemment effectuées en devises se fit ensuite aux États-Unis sur le compte de l’aide américaine.
B. LES DÉPENSES EN FRANCS
101Une bien plus grande part des dépenses militaires est cependant effectué dans la zone franc, et d’abord en France même. Une petite moitié des dépenses militaires, entre 40 et 50 % selon les années, est réalisée en métropole. Les dépenses les plus importantes concernent l’entretien et l’équipement du corps expéditionnaire, ainsi que des armées nationales. Dans ce second cas, en 1951 par exemple, 36 % de l’aide militaire française aux États associés, soit 11,3 milliards de francs sur un total de 31 milliards fournis cette année-là, ont été dépensés en France.
102Les dépenses réalisées en métropole relèvent de toutes les catégories. Il s’agit surtout d’achats de matériel : sur 250 000 tonnes de matériel reçues au port de Saigon en 1951, 175 000 tonnes venaient de France, soit 70 %, 50 000 autres tonnes arrivant des États-Unis136- les frais de transport étant payés directement en métropole. Les traitements quant à eux ne sont pas concernés, à l’exception d’éventuelles délégations de solde. Avec les mesures accompagnant la dévaluation de la piastre en 1953, une partie des rémunérations sera aussi bloquée en francs : l’indemnité compensatrice résultant de la perte de change était affectée à la constitution d’un pécule rendu seulement disponible au retour des militaires en métropole137.
103Dans ces matériels acheminés en Indochine par bateau figurent à la fois des équipements militaires et des produits d’intendance, car tout dans ce domaine ne vient tout de même pas du monde anglo-saxon. Des armements et du matériel d’optique ont été produits ou achetés en France. L’industrie métropolitaine parvient en effet ponctuellement à satisfaire la demande militaire, comme dans l’exemple apparemment anodin des piles électriques, indispensables au fonctionnement des appareils de transmission dont on a dit l’importance sur le terrain : le général Babet, qui se plaignait de la qualité des livraisons américaines, citant volontiers l’arrivée à Saigon de deux cargos pleins de piles à la limite de la conservation, se félicite du fait que « l’industrie française des piles, lente à démarrer, finit par couvrir nos besoins »138. L’intendance, quant à elle, se fournit largement en France même : l’habillement des troupes en vient presque en totalité ainsi qu’une bonne partie des vivres ; et, par exemple, 44 000 tonnes de produits alimentaires ont été livrées en 1951 au port de Saigon, soit le quart de ce que ce port recevait alors de France139.
104La question des vivres, liée à la fois aux habitudes alimentaires et aux possibilités locales de production, est un indicateur utile du fonctionnement du corps expéditionnaire. L’intendance s’efforce d’entretenir sur place six mois de stocks. Pour la viande par exemple, les besoins s’élevaient en 1951 à 23 000 tonnes et les ressources locales à seulement 18 000 : 5 000 tonnes étaient donc demandées à la métropole. Outre 3 600 moutons vivants nécessaires au bon déroulement des fêtes musulmanes, pour environ 100 tonnes, l’approvisionnement se répartit entre 1 700 tonnes de viande en conserve et de 3 200 tonnes de viande congelée et désossée. La question de la chaîne du froid est ici centrale : deux bateaux frigorifiques, le Jamaïque et le Campana, de 1 100 et 1 200 tonnes chacun, faisaient périodiquement le voyage entre les ports de Marseille et de Saigon, avec relais vers le Nord. Sur place, 24 camions isothermes - dont 23 au Tonkin... - assuraient la distribution140. On comprend, dans ces conditions, et indépendamment du surcoût du Nord, l’avantage qu’il y avait à manœuvrer des troupes recrutées localement.
C. LES DÉPENSES EN PIASTRES
105C’est néanmoins sur l’Indochine - donc en piastres - que se déversait la majeure partie des dépenses militaires, ce qui est assez logique. Globalement, indique-t-on au Trésor, « on peut estimer à 50 % de ces dépenses globales le montant des dépenses effectuées en piastres en Indochine»141. Une évaluation réalisée à partir d’autres documents du Trésor, portant sur les années 1946 à 1951, donne pratiquement le même résultat142: durant ces six années, 49,4 % des dépenses militaires totales ont été effectuées sur place. Dans les dernières années de la guerre, les dépenses militaires sont nettement plus fortes en Indochine qu’en France. En 1953, elles se situent à 55 % du total ; en 1954 elles dépassent 60 %, 272 milliards de dépenses ayant été réalisées en Indochine contre 169 milliards en France143. Dans cette dernière année de la guerre, qui s’achève au milieu de 1954, les dépenses du corps expéditionnaire avaient il est vrai diminué, alors q u ’ à l’inverse celles des armées nationales, qui s’approvisionnaient plutôt moins en France, avaient continué d’augmenter.
106Dans les dépenses militaires effectuées localement, tous les chapitres sont cette fois représentés. Comme le résume une étude réalisée à la fin du conflit, mais reflétant une donnée qui lui a été permanente, « le gouvernement français doit faire face en Indochine au paiement de la solde des militaires, à l’achat des produits du cru, au règlement des dépenses de travaux, logements ou transports »144- tous domaines qui ont connu un fort accroissement tout au long de la guerre. Conformément à ce qui a déjà été indiqué, le poste essentiel de ces dépenses est constitué par les traitements et soldes : « on considère que bon an mal an, précise Dominique Boyer, sous-directeur du Trésor, les dépenses de personnel représentent la moitié des dépenses de la France en Indochine »145. Les « produits du cru », pour reprendre cette expression, complètent quant à eux les importations de vivres : 50 000 tonnes de riz en 1951, du bétail sur pied, dont 35 000 bœufs la même année, du poisson sec et divers autres produits. Pour le fonctionnement des services, l’ameublement est pour l’essentiel fabriqué avec du bois acquis en Indochine : au rythme de 10 m 3de bois traité par jour, 50 000 meubles ont ainsi été réalisés dans cette même année 1951146. Quand aux travaux du Génie, et en particulier aux fortifications décidées par de Lattre, ils étaient évidemment effectués avec des matériaux locaux, ce qui, comme il a déjà également été indiqué, n’allait pas sans poser divers problèmes.
107Les ressources et services locaux, en général acquis à faible coût, ont-ils été suffisamment utilisés ? Dans le domaine de l’habillement, l’intendance ne s’appuie que très peu sur les industries indochinoises. Les tissages du Tonkin et les tanneries locales, complétés par les ateliers du corps expéditionnaire, ont certes produit de dizaines de milliers de paires de brodequins et des centaines de milliers de vêtements de toile et de chaussures légères, à un prix évidement inférieur à leurs équivalents français. Mais la capacité de production restait modeste, et le rythme trop lent pour les besoins militaires147. En règle générale, les parlementaires chargés de contrôler l’utilisation des fonds publics étaient cependant très attentifs à la valorisation des possibilités locales, y compris de celles relevant du corps expéditionnaire. La rénovation d’un GMC par exemple, note le rapport Pineau à propos de ce camion militaire tous usages, pour la troupe ou le matériel, coûte en France 1,25 million et nécessite un délai de deux ans, alors que le même travail effectué sur place revient presque deux fois moins cher - 700 000 francs - et ne prend que deux ou trois mois. Une gestion insuffisamment pensée de la maintenance a bien sûr son propre coût...
108Ces dépenses militaires réalisées en Indochine n’allaient pas cependant sans poser de sérieux problèmes : augmentant plus vite que leur financement budgétaire, elles entraînaient sur place le recours à l’inflation, ce qui générait en retour des transferts financiers vers la France. Nous reviendrons sur cette importante question. Notons en attendant que la charge de couvrir les transferts d’Indochine vers la France retombait à Paris sur le Trésor. Tant que ces « retours » ne dépassaient pas les crédits votés pour être dépensés en Indochine, un équilibre s’établissait. Sinon, le Trésor devait payer, comme cela s’est produit en 1949 et 1950. En 1949, les dépenses en Indochine se sont en effet élevées à 116 milliards de francs, une petite part étant couverte localement. Les charges supportées par le Trésor au titre des transferts s’élevaient de leur côté à 105 milliards de francs. Mais la part du budget français prévue pour financer les dépenses militaires en Indochine n’en représentait que la moitié : comme le précise une des notes-clés de cette période, « le Trésor aura dû en 1949 financer par ses propres moyens des dépenses s’élevant à plus de 55 milliards de francs... »148. Mais ce coût caché ne semble pas avoir été durable.
109La direction du Trésor en a cependant profité pour développer une réflexion sur les flux financiers entre l’Indochine et la France générés par la guerre. Une note de cette époque s’intéresse justement aux « Incidences sur la trésorerie des dépenses inflationnistes faites en Indochine »149. Constatant l’existence d’un « point de saturation monétaire » dans les Territoires d’outre-mer de la zone franc, au-delà duquel « toutes les dépenses inflationnistes se traduisent automatiquement par des transferts de fonds vers la France », et que ce point de saturation monétaire était dépassé en Indochine, la note constate que ces dépenses inflationnistes « concernent en premier lieu l’entretien du corps expéditionnaire ». Les ressources locales suffisant « à peine à couvrir les besoins de la population civile », la consommation des troupes ne peut être satisfaite que par des importations « qu’il faut bien payer en francs ». S’y ajoutent d’autres modes de transfert : « Qu’elles concernent des travaux ou l’entretien des services administratifs, ces dépenses entraînent, par le canal des achats de matériaux, de la consommation ou de l’envoi des économies de fonctionnaires, des transferts sur la France d’un montant presque équivalent ».
110Globalement, sur l’ensemble de la période allant de 1946 à 1953, les deux grands flux financiers - dépenses militaires de la France en Indochine et transferts piastres-francs - semblent à peu près s’équilibrer, nous y reviendrons également. Il reste que le Trésor a dû un temps financer discrètement certaines dépenses et qu’il devait en permanence veiller à l’équilibre de paiements, qui garantissaient la position de la piastre. Toute la question des dépenses militaires, bien sûr, est en effet de leur faire correspondre des ressources équivalentes.
Notes de bas de page
1 Divisions navales d’assaut, unités spécialement conçues pour intervenir à l’intérieur des régions deltaïques du Mékong et du fleuve Rouge.
2 Fiche sur la « situation des forces armées en Extrême-Orient au 30 avril 1954 », SHAT, 1 R 239.
3 Projet de loi du 29 avril 1948 fixant les dépenses militaires pour l’exercice en cours, n° 4059. Archives de l’Assemblée nationale.
4 Projet de budget 1954, Forces terrestres d’Extrême-Orient (ministère de la Défense nationale et des Forces armées) n° 7 352. Archives de l’Assemblée nationale et SHAT, 2 R 63.
5 Rapport Bousch sur les crédits 1954 du ministère de la Défense nationale et des Forces armées. Conseil de la République, n° 165.Voir annexe 24.
6 Dans les « situation d’ensemble des effectifs », tableaux régulièrement tenus à jour par le commandement en chef des forces armées en Extrême-Orient, les « effectifs probables » pondèrent les « effectifs mécanographiques » par la prise en compte mensuelle de l’arrivée de renforts, des rapatriements et des pertes. Une partie de ces tableaux figure dans les papiers du Trésor. AEF, Fonds Trésor, Β 43924.
7 Comité de défense nationale du 15 octobre 1951.
8 Lettre d’arbitrage du président du Conseil René Pleven au général de Lattre, sur le budget des dépenses militaires pour 1952, annexée au rapport parlementaire Pineau de janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale et SHAT, 2 R 64.
9 Le colonel Gilbert Bodinier, du SHAT, dans Indochine 1947, règlement politique ou solution militaire, Paris, 1989.
10 Relevé annuel totalisant la relève et les renforts envoyés en Indochine. SHAT, 1 R 239.
11 Rapport Pineau sur l’emploi des crédits militaires en Indochine, janvier 1952.
12 FTEO en moyenne annuelle, 165 000 hommes; supplétifs, 46 000 hommes; personnel civil permanent, 18 000 hommes.
13 Note pour le ministre, préparatoire à une réunion interministérielle sur le sujet, 1949, AEF, Fonds Trésor, Β 43918.
14 Note pour le ministre, 19 mai 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919.
15 Les militaires présents en Indochine étaient payés en piastres.
16 Décrets du 25 juin 1953 et circulaire d’application du ministre des Finances du 13 août 1953. Décret complémentaire du 17 août 1953.
17 Propos rapportés par Le Monde, 18 décembre 1952.
18 Michel Bodin, «Le moral des militaires français du corps expéditionnaire en Extrême- Orient, 1945-1954». Les guerres d’Indochine de 1945 à 1975. Les Cahiers de l’IHTP n° 34, juin 1996.
19 Michel Bodin, « Le moral des militaires français... », op. cit.
20 Selon Le Monde du 29 décembre 1951. Un colonel 2 e échelon touchait 201 876 F à Saigon et 246 440 F en Somalie ; un capitaine célibataire 3 e échelon 142 500 F à Saigon et 168 292 F en AEF.
21 Lettre du général Navarre au secrétaire d’État à la Guerre, 3 novembre 1953, sur les « personnels inutilisables en Indochine ». SHAT, 2 R 96.
22 Gilbert Bodinier, Indochine 1947, op. cit.
23 « Week-end à Dien Bien Phu », Le Monde, 14-45 février 1954.
24 Général Vo Nguyen Giap, Dien Bien Phu, 5e édition, Hanoi, 1994.
25 Accord du 8 mars 1949 avec le Vietnam (Bao Dai) et traité du 8 novembre 1949 avec le Cambodge.
26 Assemblée nationale, rapport Devinat du 15 avril 1953 sur la mission d’information en Indochine exécutée du 19 janvier au 20 février. Archives de l’Assemblée nationale et SHAT, 2 R64.
27 Dits « à solde progressive » (caporaux et soldats).
28 AEF, Fonds Trésor, Β 43906.
29 Fiches sur l’évolution de l’armée nationale vietnamienne, de l’armée royale khmère et de l’armée nationale laotienne. SHAT, 14 H 72 et Fiche sur la situation des forces armées en Extrême- Orient au 30 avril 1954. SHAT, 1 R 239.
30 Assemblée nationale, rapport Devinat du 15 avril 1953, op. cit.
31 Rapport Juin de 1953, faisant suite à sa mission du 13 février au 7 mars 1953 en Corée et en Indochine. Il s’agissait de sa troisième mission, et de son troisième rapport sur la question depuis le début de la guerre. SHAT, 1 Κ 238 et Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24.
32 Titre d’une note adressée au commandant en chef en Indochine, alors Salan, qu’il signe le 30 avril 1953. SHAT, 14 H 72.
33 Henri Navarre, Agonie de l’Indochine, Paris 1956. Ce dernier fait en particulier état des renseignements français en mai 1953: 125 000 réguliers (ils étaient 80 000 en 1949), 75 000 régionaux et 150 000 guérilleros.
34 Salan — le « mandarin » — assure l’intérim de De Lattre après la mort de ce dernier, comme il l’avait fait en 1948 après le départ de Valluy, mais il est cette fois lui-même nommé commandant en chef en avril 1952 et le reste un an, jusqu’à la nomination de Navarre, en mai 1953.
35 Général Navarre, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979. Il cite la conférence de presse de Salan du 24 février 1952, développant cet argument. Les pertes Viet Minh à Hoa Binh ont été estimées à 3 500 tués, 7 000 blessés et 307 prisonniers.
36 Les pertes Viet Minh ont été estimées pour Na San à 3 000 tués et blessés. Général Navarre, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit.
37 Bernard Fall, Le Viet Minh, Cahiers de la FNSP, Paris, 1960.
38 Rapport Juin de 1953, op. cit.
39 Crédits militaires dans les budgets des années considérées. Archives de l’Assemblée nationale.
40 4 898 millions de francs exactement. Chapitres 37-84 et 37-85 du budget. Archives de l’Assemblée nationale.
41 Le Monde, 21 novembre 1966.
42 État des pertes en Indochine, de 1945 à 1954, établi au 11 décembre 1961. SHAT, 1 R239.
43 Le Monde, 18 décembre 1952.
44 1 456 millions de francs exactement. Compte 46-11 du budget. Archives de l’Assemblée nationale.
45 Rapport de mission de l’état-major de l’Armée en Indochine, 21 décembre 1953. SHAT, 2 R64.
46 Budget militaire du ministère de la France d’outre-mer, n° 4 059, Archives de l’Assemblée nationale.
47 Entre 547 et 568 milliards de francs selon les sources. Documents budgétaires. Archives de l’Assemblée nationale.
48 586 à 589 milliards de francs selon les sources. Documents budgétaires. Archives de l’Assemblée nationale.
49 Projet de loi relatif aux crédits des FTEO pour 1954. Archives de l’Assemblée nationale.
50 Évaluation réalisée à partir d’une fiche de l’état-major des TFEO du 17 février 1947 : « Consommations de munitions des TFEO pendant le 2e semestre 1946 ». SHAT, 4 Q 113.
51 Évaluation à partir des données fournies par le rapport Pineau de janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale.
52 Direction du matériel des TFEO, fiche n° 9 sur « l’armement français existant au 17 février 1947 ». SHAT, 4 Q 113.
53 Lesquels 95 % sont à 51,7 % britanniques et à 43,3 % américains. Direction du matériel des TFEO, fiche n° 8 sur « l’état des véhicules automobiles existant actuellement dans les TFEO », 17 février 1947. SHAT, 4 Q 113.
54 Lettre du 17 octobre 1947 adressée par le vice-amiral Battet, commandant supérieur p. i. des TFEO, au président du Conseil des ministres. SHAT, 4 Q 114.
55 Conclusions de la mission exécutée en Indochine par le général d’armée Revers, chef d’état-major général des armées, du 11 mai au21 juin 1949. SHAT, Fonds Revers, 1 K 331.
56 Note de l’état-major du Commandement en chef des forces terrestres, op. cit.
57 Note du 22 avril 1952. Archives du ministère des Affaires étrangères, AO/IC/264.
58 Note de l’état-major du Commandement en chef des forces terrestres, aériennes et navales en Indochine, 5 mars 1953, SHAT, 10 H 154.
59 Télégramme « réservé absolu » du 30 mai 1954. SHAT, 10 H 155.
60 Pour 1951 et 1952 surtout, note de la DAM au ministre à propos du budget 1953, 4 décembre 1952. SHAT, 2 R 65. Pour 1953, il s’agit partiellement de projections, mais que les sources ultérieures n’infirment pas.
61 157 932 sauf erreur. D’après la fiche n° 9 de la direction du Matériel des TFEO sur « l’armement français existant au 17 février 1947 ». SHAT, 4 Q 113.
62 870 807 exactement. Rapport de mission du général Pommeret, directeur central du matériel, en Indochine du 9 au 25 mars 1954. SHAT, 2 R 64.
63 Note de la direction des Affaires militaires au ministre à propos du budget 1953, 4 décembre 1952. SHAT, 2 R 65.
64 C’est également un marin, Henri Martin, qui incarnera peu après, en pleine guerre d’Indochine, la résistance communiste à l’engagement français.
65 Tableau des dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine, ministère de la Défense, mai 1954. SHAT, 1 R 239.
66 24 % exactement. Rapport Pineau de janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale.
67 47 135 tonnes. Rapport Pineau, op. cit.
68 Indépendamment de l’aviation embarquée, le coût de l’Arromanches en personnel et combustible revient sur une année à environ 600 millions de francs. Note sur les demandes de renforts de De Lattre du 13 février 1951. Archives nationales, Fonds Pleven, 560 AP 43.
69 Ministère de la Défense nationale — secrétariat d’État à la Marine/cabinet militaire. Fiche n° 26 du 17 mai 1954 : « renforts envoyés en Indochine depuis six ans (mai 1948-mai 1954) et depuis le plan Navarre (octobre 1953) ». SHAT, 1 R 239.
70 Ministère de la Défense nationale - secrétariat d’État à la Marine/cabinet militaire. Fiche n° 26 du 17 mai 1954, op. cit.
71 Tableau des dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine, ministère de la Défense, mai 1954. Voir annexe 22.
72 Rapport Pineau, op. cit.
73 Les chiffres de 1954 ont été fournis par le ministre de la défense René Pleven lors de son intervention du 8 juin 1954 à l’Assemblée nationale. Il indique en particulier que le nombre des appareils militaires en service en Extrême-Orient est passé de 441 au 1erjanvier à 661 au 1erjuin 1954. Il englobait dans ce chiffre les appareils de l’aéronavale mais pas les avions de transport civil ni les nouveaux avions prêtés par les Américains avant Dien Bien Phu. SHAT, 1 R 239 et Journal officiel.
74 Francs 1954. Tableau des dépenses militaires, op. cit.
75 Fiche sur le matériel aérien utilisé en Indochine, SHAT, 1 R 239.
76 SHAA, Ε 1419. Cité par Philippe Gras, « L’adaptation tactique de l’armée de l’Air et la guerre d’Indochine (1945-1954)», Matériaux pour l’histoire de notre temps n° 29, octobre-novembre 1992.
77 Philippe Gras, « L’adaptation tactique de l’armée de l’Air... », op. cit.
78 Fiche sur le matériel aérien, op. cit.
79 Des Martinet et Morane 500.
80 16 Junjer 52 et de 9 C 47 Dakota.
81 Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979.
82 50 P53 Kingcobra, remplacés en 1952 par des F8F Bearcat, des Dakota, 60 bombardiers B26 Invader, sans compter les appareils de l’aéronavale, Privateer, Hellcat et Helldriver.
83 Fiche sur le matériel aérien, op. cit.
84 Rapport Pineau, op. cit.
85 Rapport Pineau, op. cit.
86 Philippe Gras, « L’adaptation tactique de l’armée de l’Air... », op. cit.
87 Deux au Vietnam Sud (Tan Son Nhut-Saigon et Bien Hoa), deux au Centre (Tourane et Nha Trang), quatre au Nord (Bach Mai, Cat Bi — Haiphong, Gia Lam — Hanoi et Do Son), une enfin au Laos (Seno). Rapport Pineau, op. cit.
88 Notes d’information. SHAT, 1 R 239.
89 Philippe Héduy, La guerre d’Indochine 1945-1954, SPL, Paris, 1981
90 Rapport Pineau, op. cit. Les C l19 américains, de plus forte capacité, seront utilisés en 1953, mais dans des circonstances particulières.
91 Note de 1954 du général Jousse. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 31.
92 700 millions de francs en 1951 et 800 en 1952. Rapport Pineau, op. cit.
93 Accord du 8 mars 1949 avec le Vietnam et du 8 novembre 1949 avec le Cambodge.
94 Signé le 20 décembre 1950.
95 Évaluation à partir d’un tableau des dépenses militaires pour l’année 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43906.
96 Télégramme de Pignon à la mission des États associés aux États-Unis, 19 octobre 1950. Duplicata Archives des Affaires étrangères, AO/IC/263.
97 Note sur les dépenses en 1953 et les prévisions pour 1954. SHAT, 2 R 65.
98 Des MD 315. Fiche sur le matériel aérien, op. cit.
99 Fiche datée de Saigon, le 10 mars 1950, précisant le « genre de mission accomplie par chaque force ». SHAT, 10 H 154.
100 Conclusions de la mission exécutée en Indochine par le général d’armée Revers, chef d’état-major général des Forces armées, du 11 mai au 21, juin 1949. SHAT, Fonds Revers, 1 Κ 331.
101 Intervention de François Mitterrand au Centre d’études de politique étrangère, le 9 avril 1954. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 31.
102 Procès-verbal de la réunion du Comité de défense nationale du 12 juillet 1948. SHAT, 2 R 63.
103 Fiche datée de Saigon, le 10 mars 1950, précisant le « genre de mission accomplie par chaque force », op. cit.
104 Général Vo Nguyen Giap, Dien Bien Phu, Hanoi, 1994.
105 Commandant des transmissions interarmées et des Forces terrestres en Indochine, le général Babet est l’auteur d’un article sur les transmissions dans la guerre d’Indochine, dans la Revue historique des armées n° 1, 1967, partiellement repris dans Ph. Héduy, La guerre d’Indochine 1945-1954, SPL, Paris, 1981.
106 Article sur les transmissions en Indochine, dans la Revue historique des armées n° 1, 1967, op. cit.
107 Nombre de postes radio-électriques (au 1erjanvier de chaque année): 6 000 en 1951, 12 000 en 1952, 24 500 en 1953, 32 500 en 1954. Pour ce dernier chiffre, il s’agit dans la source utilisée de prévisions. Note du directeur des Affaires militaires au ministre des États associés, préparatoire à la discussion budgétaire. SHAT, 2 R 65.
108 Rapport de la Mission de contrôle de l’exécution du budget en Indochine, dirigée par l’Inspecteur général Gayet, 6 janvier 1947. CAOM, FM, Indo/NF/1368.
109 Conclusions de la mission exécutée en Indochine par le général d’armée Revers, op. cit.
110 Rapport Juin de 1953 (mission en Corée et Indochine). SHAT, 1 Κ 238 et Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24.
111 « Meet the Press », émission du 16 septembre 1951 de la NBC. Maréchal Jean de Lattre, La ferveur et le sacrifice, Indochine 1951, Paris, 1988.
112 Fiche du 19 mai 1954 du secrétaire d’État à la Guerre, émanant de son état-major particulier. SHAT, 2 R 230.
113 Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979.
114 Général Gazin, études parues dans la Revue historique des armées, 1955-4 et 1966-1. Extraits sous le titre « Logistique et stratégie », dans Philippe Héduy, La guerre d’Indochine, 1945-1954, SPL, Paris, 1981.
115 Elles passent de 233 à 341,6 milliards de francs (constants). Tableau des dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine, mai 1954. Voir annexe 22.
116 Rapport particulier sur les investissements relatifs aux travaux du Génie en Indochine, 31 mars 1954. SHAT, 2 R 230.
117 Le carton dans lequel figure ce graphique ayant été autorisé à la consultation sans possibilité de photocopie, il n’a pu être reproduit ; les données à partir desquelles il a été construit n’étaient par ailleurs pratiquement pas fournies. Rapport particulier sur les investissements relatifs aux travaux du génie en Indochine, 31 mars 1954. SHAT, 2 R 230.
118 Lettre du président du Conseil au haut-commissaire de France en Indochine et commandant en chef en Extrême-Orient, annexée au rapport Pineau de janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale et SHAT, 2 R 64.
119 Maréchal Jean de Lattre, La ferveur et le sacrifice, Indochine 1951, op. cit.
120 Rapport Pineau, janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale.
121 Général Vo Nguyen Giap, Dien Bien Phu, 5e édition, Hanoi, 1994.
122 Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit.
123 Général Lechères, chef d’état-major général de l’armée de l’Air, lors de la réunion interministérielle du 27 avril 1953. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24.
124 Note sur l’Indochine du 25 avril 1953, sept pages non signées. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24.
125 Autour de Mayer étaient présents Bidault, Letourneau, Dupraz, Pleven, Mons, le maréchal Juin, les généraux Lechères et de Beaufort, Donnedieu de Vabres, le commandant Callet. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24.
126 Général Vo Nguyen Giap, Dien Bien Phu, 5e édition, Hanoi, 1994.
127 Nguyen Khac Vien, Le Vietnam contemporain, Hanoi, 1981.
128 Réponse à un questionnaire américain de 1953. Archives MAE, AO/IC/265.
129 Lettre du ministre des Finances au président du Conseil, 21 avril 1947, sur les crédits en devise pour le CEFEO - 1ersemestre. SHAT, 4 Q 114.
130 Lettre du ministre de l’Air au président du Conseil, 11 mars 1947. SHAT, 4 Q 114.
131 Lettre du ministre de la Marine au ministre des Finances, 25 février 1947. SHAT, 4 Q 114.
132 État-major de la Défense nationale, 9 mars 1946, Fiche sur les crédits en devises étrangères à la disposition du corps expéditionnaire d’Indochine. SHAT, 4 Q 114. Les sources consultées ne sont cependant pas continues pour l’année 1946.
133 Lettres d’attribution de crédits en devises, du ministre des Finances, du 21 avril 1947 pour le premier semestre et du 21 octobre 1947 pour le second. SHAT, 4 Q 114.
134 Évaluation à partir d’un «tableau récapitulatif des crédits devises» pour le 2e semestre 1948.
135 Note pour le ministre, 23 février 1950. AEF, Fonds Trésor, Β 43906.
136 Rapport Pineau, janvier 1952. Archives de l’Assemblée nationale.
137 Télégramme des États associés du 22 mai 1953, AEF, Fonds Trésor, Β 43919 et Décret n° 53-588 du 25 juin 1953. JO du 27 juin 1953.
138 Revue historique des armées, n° 1, 1967. Extrait dans Ph. Héduy, La guerre d’Indochine 1945-1954, SPL, Paris, 1981.
139 Rapport Pineau, op. cit.
140 Rapport Pineau, op. cit.
141 Note de 1953 sur le problème des transferts de l’Indochine vers la France — « à titre personnel pour M. Mondon ». AEF, Fonds Trésor, Β 43917.
142 Calculs effectués à partir d’un tableau synthétique des « Opérations du Trésor en Indochine », figurant dans plusieurs cartons du Fonds du Trésor, notamment Β 33539.
143 Selon un tableau portant sur les dépenses de guerre comparées en 1953 et 1954, signé de l’intendant Lavergne. AEF, Fonds Trésor, Β 33 541.
144 « Structure économique et monétaire des États associés d’Indochine », 26 février 1954. Voir annexe 21.
145 Dans une discussion devant la commission d’enquête sur le trafic des piastres, où il accompagnait le directeur du Trésor Schweitzer, le 27 octobre 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919.
146 Rapport Pineau, op. cit.
147 Rapport Pineau, op. cit.
148 Note du 21 novembre 1949, reprise notamment le 24 juillet 1950 avec de nouveaux chiffres. AEF, Fonds Trésor, Β 43925 et 33539.
149 Note « Incidences sur la trésorerie des dépenses inflationnistes faites en Indochine » du 24 juillet 1950. AEF, Fonds Trésor, Β 33539. Voir annexe 3.
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