Chapitre III. La guerre d’Indochine, ou comment s’en débarrasser (1952-1954)
p. 119-169
Texte intégral
1Durant les dernières années du conflit, la guerre d’Indochine paraît avoir été totalement rattrapée par son coût : en 1952 et 1953 - 1954 étant restée militairement « inachevée » -, celui-ci se situe entre 500 et 600 milliards de francs par an, soit l’équivalent d’environ 15 % du budget français1. Le coût réel pour la France ne s’établit sans doute pour 1952 qu’autour de 330 milliards de francs2, mais ce montant en dépenses militaires est déjà lui-même supérieur de 185 % à ce qu’il était en 1947... La guerre d’Indochine coûte à la France seule, en 1952 et en francs constants, presque trois fois plus que cinq ans plus tôt.
2Autant qu’un conflit lointain, meurtrier et quasi insoluble, la guerre d’Indochine est devenue pour les responsables français - et sans doute pas seulement pour eux - un problème financier également insoluble, un boulet dont il faut se débarrasser. Depuis le début de 1952 cependant, le conflit a pris une nouvelle configuration : Paris commence d’une part à recevoir au titre de l’Indochine une aide financière des États-Unis, qui s’ajoute aux livraisons de matériels et à l’aide économique aux États associés. Sur place, d’autre part, l’Union monétaire issue de la conférence de Pau fait ses premiers pas. Imagine-t-on encore une quelconque issue militaire en Indochine ? Il ne semble pas. Mais la France ne peut se retirer comme cela : dans un jeu complexe, elle traite avec les États associés et bénéficie du soutien des États-Unis. Cette formule est censée lui assurer, à la fois, un retrait en douceur et le maintien de son influence. Elle ne lui permettra, on le sait, ni l’un ni l’autre.
I. L’URGENCE INDOCHINOISE
3Dans le vertige budgétaire qui saisit la France avec l’exercice 1952, la guerre d’Indochine est particulièrement visée. L’affaire du trafic des piastres y ajoute bientôt le scandale et l’absurde. Que recherche finalement la France dans cette guerre du bout du monde ? Formulée ici et là, l’idée de prendre langue avec l’adversaire, qui ne donne lui-même aucun signe de fatigue, se heurte au choix fait dans les années précédentes et dont tout découle : l’aide américaine et la mise sur pied des États associés du Vietnam, du Cambodge et du Laos. Mais entre la résistance de la RDV, l’amitié incertaine des « États » et la pression américaine, la voie est étroite et il y a urgence. « La France, note alors un rapport parlementaire, ne peut se permettre de perdre sans perspective d’avenir des hommes parmi ses meilleurs et des milliards qu’elle consacrerait plus utilement au relèvement de ses ruines et à la défense de la métropole »3.
A. UN ADVERSAIRE ACCROCHEUR
4« C’est au Tonkin que se livre véritablement la guerre », note le rapport parlementaire Pineau au début de 19524. Le temps n’est plus en effet où le haut-commissaire Pignon polémiquait avec ses généraux sur le problème de savoir où, du Nord ou du Sud, il fallait porter l’effort principal. Depuis le début du conflit, le Nord constitue le principal foyer de résistance armée et se trouve maintenant, depuis quelque deux ans, adossé à la Chine communiste. Ne regardant pas à la dépense, de Lattre y avait fortifié le delta, après Cao Bang et l’abandon de plusieurs villes frontalières. Le débat consistant à déterminer les priorités s’était cependant déplacé au Nord, opposant les régions périphériques, montagneuses, au delta, où la foule paysanne se presse depuis des siècles. De gros combats furent livrés en janvier 1952 à la périphérie, autour de Hoa Binh récemment reprise et finalement évacuée. Mais le corps expéditionnaire se battait également tous les jours dans le delta, autour des postes qui le quadrillent.
5La consolidation de la Résistance au Nord doit sans doute beaucoup à l’aide chinoise, dont les services de renseignement français suivent impuissants le va-et-vient frontalier : troupes après instruction, armements lourds et fournitures diverses descendent ainsi vers le Vietnam depuis le Guangxi, via Lang Son ou Cao Bang, et du Yunnan, via Ha Giang ou Lao Cay. « Un régiment d’artillerie revient actuellement du Yunnan, où il a terminé son instruction, il est doté de 20 pièces de canon de 105 », peut par exemple annoncer le général Salan, alors commandant en chef, devant le Haut Comité franco-vietnamien du 24 février 19535. Ces hommes et ces équipements sont dispersés dans le Nord et le Centre nord du Vietnam, quand les voies de communication de la Résistance le permettent, mais ils n’allaient guère au delà.
6Le temps de la contre-offensive générale, troisième phase de la guerre révolutionnaire6, était-il arrivé pour le Viet Minh ? Fortes de l’arrière chinois, ses unités régulières tournent alors régulièrement sur le théâtre d’opération, pas toujours d’ailleurs très économes de leurs hommes, alors qu’unités régionales et locales restent partout actives. Du côté français, on observe surtout une montée progressive du niveau de l’affrontement. Une note du directeur des Affaires militaires, qui souligne fin 1952 « l’énorme augmentation du potentiel militaire de nos forces et de celles des États associés en Indochine », ajoute aussitôt : « celui de nos adversaires subit malheureusement une évolution parallèle. Il en résulte une intensité croissante de la lutte »7.
7Qui, alors, contrôle quoi au Vietnam ? Quatre ans après l’accord entre la France et Bao Dai, « l’adversaire contrôle tout le Nord-Vietnam, à l’exception du delta, indique en 1953 le conseiller financier du haut-commissariat ; le Νord-Annam jusqu’à Dong Hoi ; les secteurs de Quang Ngai et de Qui Nhon dans le Sud-Annam. Au Sud-Vietnam, des zones assez mal délimitées dans les provinces du Transbassac. Les terres contrôlées effectivement par le Viet Minh représentent environ un tiers du territoire vietnamien... Toute l’économie de ces zones est perdue pour le gouvernement national. Elles renferment un potentiel important de rizières (Sud Vietnam) et de mines (Nord Vietnam)... Il convient par ailleurs de souligner qu’à l’intérieur même des zones contrôlées par le gouvernement vietnamien, le Viet Minh parvient à entretenir l’insécurité par le jeu de harcèlements incessants ainsi que par la pratique du sabotage et du terrorisme... La sécurité totale ne règne que dans les zones urbaines »8.
8Dans ces conditions, la guerre conserve pour le Viet Minh les aspects économiques et financiers qu’elle a pris depuis le début du conflit. Du Nord au Sud fonctionnent toujours des organismes locaux « pour l’encerclement de l’économie ennemie » et les organes de propagande de la Résistance se plaisent à saluer les encourageants résultats de leur action9. Mais leur travail, en se rôdant, s’est aussi relativisé : plutôt que d’interdire les relations d’échange avec la zone « provisoirement occupée par l’ennemi », qui s’est tout de même bien étoffée depuis 1946, ils ont préféré libérer le commerce inter-zone et s’entendre pour prélever les taxes générées par ce dernier.
9La guerre monétaire reste également prioritaire. Une instruction Viet Minh d’août 1952 réaffirme, avec ce style inimitable donné par leurs traducteurs vietnamiens à certains documents saisis, à quel point « les finances sont les sources sanguines de la résistance actuelle », et enjoint aux forces armées de se préoccuper de leur protection10. Il faut préciser que les autorités de la RDV n’étaient pas très satisfaites du rendement de l’impôt : « Les affaires économiques et financières rencontrent actuellement beaucoup de difficultés », résume Pham Van Dong dans un rapport mensuel concernant le Nord et le Centre Vietnam11. Le recouvrement des impôts est inférieur aux prévisions, précise-t-il, et les recettes en espèces demeurent minimes - la situation militaire n’y est sans doute pas pour rien. Un document de janvier 1952 avait même évoqué la nécessité de faire face à une possible « catastrophe monétaire »12.
10La création de l’Institut d’émission et l’apparition d’une piastre « Bao Dai » - les nouveaux billets disposent d’une vignette nationale - modifient-elles le caractère de la « lutte monétaire » ? Les « ruses de l’ennemi » n’ont guère changé, estime la Banque nationale du Vietnam (RDV) dans un rapport sur le sujet13 : il « emploie tous les moyens pour inonder le commerce d’argent des fantoches »14. Mais la Banque des maquis reste confiante dans la tenue de la piastre « vietnamienne ». Les billets « Bao Dai » sont d’ailleurs toujours frappés d’interdiction, comme l’étaient avant eux ceux de la Banque de l’Indochine - sauf éventuellement pour régler l’impôt15. Faut-il pour autant donner crédit à cette information selon laquelle, « pour des raisons psychologiques, nos compatriotes, qui n’ont pas confiance dans les fantoches, rabaissent le taux de la piastre des États associés à une valeur inférieure à celle de la piastre BIC » ? En certains lieux, une piastre des États associés équivaudrait au quart d’une piastre BIC16.
11En tout état de cause, malgré la confusion possible sur les parités et alors que les deux types de coupures « fantoches » - BIC et États associés - circulent officiellement, la propagande du Viet Minh s’en tient à une ligne simple : faire front et discréditer la monnaie de l’adversaire. « Défendre la monnaie vietnamienne, c’est défendre la patrie », rappelle un article de Cuu Quoc17. Il met en garde ceux qui, « à courte vue », conservent des coupures de la Banque de l’Indochine : le jour de la contre offensive générale, celles-ci disparaîtront en effet. Ung Van Khiem, l’un des responsables du Nam Bo, tient un discours identique dans un communiqué aux habitants de la zone « libre » : il ne faut pas thésauriser les billets BIC, « car leur valeur diminue chaque jour, et [qu’] un jour les Français se retireront complètement »18.
12La monnaie « Ho Chi Minh » se maintient donc, et avec elle un certain mode de financement de la guerre. Mais il n’est pas simple d’en retrouver le cours : selon les endroits et les périodes, mais sans qu’il soit possible d’être définitif sur le sujet, le cours du dông varie par rapport à la piastre de 20 à 50 contre 1. La RDV alimente la circulation monétaire. De nouveaux billets font leur apparition en 1952, portant les valeurs de 20 et 100 dông19 . Elle paraît également en mesure - mais il est difficile d’aller au-delà des impressions - de réaliser des ponctions sur la monnaie en circulation pour la consolider, comme au Nam Bo au début de 195320. A la fin de cette même année, la « Banque populaire du Nam Bo » aurait même autorisé l’émission de chèques nominaux, avec des carnets de 50 à 100 feuillets numérotés21.
13Les faux-monnayeurs de l’administration française connaissent d’ailleurs quelques difficultés à écouler leur production, si l’on en juge par cette analyse quelque peu ironique du 2e Bureau22 : « L’écoulement des faux billets Ho Chi Minh s’avère presque impossible dans le Sud-Vietnam, précise ainsi une note adressée au commandant en chef. Les imperfections qu’ils présentent (indiquées au crayon rouge sur le billet ci-joint) sont vite décelées par les services rebelles. D’autre part, la méfiance des Viet Minh est immédiatement éveillée dès qu’il s’agit de billets neufs dont beaucoup portent le même numéro ». Mais les services français ne se découragent pas : en effet, poursuite la même note, « si le but recherché est de faire perdre confiance en la monnaie Ho Chi Minh, il semble pleinement atteint, mais s’avère très dangereux pour les agents colporteurs ».
14Une autre tâche stratégique concerne toujours le riz. Au Nord comme au Sud, en particulier dans les plaines deltaïques du fleuve Rouge et du Mékong, les deux principaux « greniers » du Vietnam, la guerre garde principalement pour fonction de s’assurer le contrôle de cette céréale et d’en interdire l’accès à l’adversaire. Cette bataille du riz met d’ailleurs de plus en plus au contact l’administration du Viet Minh, elle-même souvent « souterraine », et la nouvelle administration vietnamienne relevant de Bao Dai, qui tente de s’implanter sous la protection française, soucieuse également de préoccupations fiscales - financement de la guerre oblige. Pour le Viet Minh, en particulier dans les zones qu’il ne domine pas, le riz est d’ailleurs beaucoup plus qu’une céréale de base : il représente aussi un produit d’échange, négociable à l’étranger, et peut à l’occasion servir de monnaie. Ces enjeux motivent les comités de protection des récoltes dont les renseignements français signalent l’existence23. Mais la grande affaire concerne le stockage. Dans la mesure du possible, il est interdit d’évacuer le paddy récolté : il est conservé dans de petits silos à l’écart24, de plus en plus souvent avec l’aide de « professionnels » : une « organisation spécialisée dans le stockage du paddy » voit ainsi le jour au Nam Bo fin 195225.
15La cohabitation avec le Vietnam de Bao Dai et l’imbrication des zones créent en effet des conditions de vie et de lutte très particulières. La circulation des marchandises à l’intérieur de la zone Viet Minh, entre les zones qu’il contrôle, ou encore vers l’étranger relève souvent du « casse-tête ». Des réunions sont organisées pour trouver des solutions, comme celle qui se tient en janvier 1953 dans un hameau du delta du Mékong26 , dans le but d’« élaborer un plan de transport de paddy provenant des provinces de Cantho et Baclieu sur le Siam et sur le Centre-Vietnam ».
16Économiquement parlant, la RDV n’est cependant pas à genoux. S’intéressant à « L’économie de guerre du Viet Minh », un organe français spécialisé27 relève en août 1953 sa relative bonne santé : « La faillite économique de la zone Viet Minh a été maintes fois prédite, rappelle-t-il. [...] Or il semble que depuis 1946 la situation économique du territoire dépendant du gouvernement Ho Chi Minh ne se soit pas aggravée ». L’article y voit quelques raisons simples : le fait que « le Viet Minh ne contrôle pas que des régions déshéritées », qu’il n’a pas non plus « porté atteinte à la structure rurale », qu’il dispose d’une politique financière, délicate certes mais suivie, et qu’il bénéficie enfin de l’aide chinoise, ainsi que de « l’osmose avec la zone franco-vietnamienne ». En conclusion, l’auteur s’interroge pourtant sur cette « perspective de réforme agraire à la chinoise » dont la rumeur court avec insistance : dans ces conditions, estime-t-il, « l’économie Viet Minh [est] à un tournant ». Nous reviendrons sur cette perspective de réforme agraire, qui n’est pas sans lien avec l’état de guerre qui pèse sur la RDV.
B. DES ÉTATS DE MOINS EN MOINS ASSOCIÉS
17De plus en plus appelés à « entrer » dans la guerre, tant au niveau des hommes que de son financement, les États associés ne sont pas non plus pour la France d’un commerce très simple. Certes, le Vietnam de Bao Dai annonce début 1952 un doublement de sa contribution aux dépenses militaires, qui passe à 34 milliards de francs - 5,9 % du coût total de la guerre en 195228. Mais l’entrée en vigueur des accords de Pau, qui prévoyaient plusieurs transferts de souveraineté dans le cadre de l’union économique et monétaire, selon le principe du quadripartisme29, s’avère assez laborieuse. En fait, seule de toutes celles signées en 1950, la convention concernant l’Institut d’émission connaît un début d’application : le nouvel Institut inaugure comme prévu ses fonctions le 1er janvier 1952, peu après la publication du décret « portant retrait du privilège d’émission de la Banque de l’Indochine »30.
18L’Institut d’émission constituait il est vrai la pièce essentielle du dispositif : il s’agissait autour de lui de « maintenir l’unité économique et douanière des Etats du Cambodge, du Laos et du Vietnam, tout en assurant l’indépendance complète de chacun d’eux »31. Mais le nouvel établissement restait indissociable de la guerre : seuls les crédits militaires délégués par la France garantissaient en fait la nouvelle monnaie commune, au demeurant toujours la piastre. Et les débuts de l’Institut furent assez formels : le siège, d’une part, théoriquement fixé à Phnom Penh, n’étant pas encore sorti de terre, la « succursale » de Saigon jouait de fait son rôle, alors que d’autre part le réseau des « agences » ne couvrait même pas encore tous les pays d’Indochine. Pour des raisons pratiques, la Banque de l’Indochine continuait d’émettre la monnaie pour le compte du nouvel Institut d’émission ; et d’ailleurs seul un billet d’« une piastre » vit le jour dans les premiers mois de 1952. L’Institut, qui paraphe ses statuts en avril-mai 1952 sous la présidence de Gaston Cusin, demeure lui-même incomplètement constitué : l’Office Indochinois des changes, qui aurait dû intégrer ses services, était maintenu entre des mains intégralement françaises.
19L’Institut d’émission cependant, au-delà de sa fonction monétaire, devint rapidement l’inverse de ce qu’il aurait dû être. Pour ses promoteurs en effet, en 1952, ce « lieu de rencontre des économies » se devait aussi de devenir « le lieu de rencontre que nous voulons amical de citoyens de quatre États dont le trait commun est l’appartenance à l’Union française »32. Mais il se transforma progressivement, au contraire, en lieu de discorde. Dès le début de 1952, en effet, les États associés du Cambodge et du Vietnam mènent une politique de séparatisme économique très exactement contraire à l’esprit des accords de Pau. La complexité des mécanismes à mettre en place, la rigidité de certaines dispositions, la discrète complicité américaine aussi ont finalement conforté le manque de volonté politique des États sur le sujet.
20La mise sur pied des armées nationales se poursuit sans doute, perspective essentielle pour la France en ce qu’elle permet d’imaginer à terme une relève du corps expéditionnaire. Fin 1952-début 1953, elles regroupaient en principe 174 000 hommes, encore largement encadrés par des officiers français33 : 147 000 hommes pour le Vietnam, dont 50 000 supplétifs ; 13 800 hommes pour le Cambodge et 13 600 hommes pour le Laos. Au regard de ces chiffres déjà élevés, l’effectif moyen du corps expéditionnaire réalisé en 1952 se fixait à 185 000 hommes, plus 60 000 supplétifs, recrutés sur place34. Sans doute ces 419 000 hommes au total étaient-ils de valeur, d’expérience et d’équipement bien différents mais, compte tenu de l’accroissement des armées nationales, les experts escomptaient bien « un allégement progressif des effectifs du corps expéditionnaire » en 195335.
21Le Haut Comité franco-vietnamien réuni à Dalat le 24 février 1953 adopte un plan conçu par le chef d’État-major de l’armée nationale, le général Nguyen Van Hinh, fils du président du Conseil Nguyen Van Tam. Il a lui-même présenté ce plan à Paris en décembre 1952 à la demande de Bao Dai : l’idée en est d’une part de renforcer numériquement les forces armées nationales, de 40 000 hommes par rapport à l’accroissement prévu ; et d’autre part de créer des unités entièrement vietnamiennes36. Concrètement, 54 bataillons légers, dits kinh quan, devaient être formés pour être utilisés à des tâches de pacification. Pour le financement de ce plan est prévue une augmentation de la contribution vietnamienne à l’effort de guerre : d’un montant de 35 milliards de francs pour 1953, elle passera l’année suivante à 60 milliards37 . La France elle-même ne cherche pas à contrecarrer cette aspiration grandissante des États associés à l’indépendance.
22Pour le reste, hormis son aspect monétaire et ses implications militaires, le système de Pau se dégradait au fur et à mesure qu’il se mettait en place38. Une conférence économique et tarifaire réunie à Paris en avril-mai 1952 se sépare sans aucun résultat. Au mois de mai, la montée des prix du riz amène les deux gouvernements du Vietnam et du Cambodge à prohiber toute sortie de cette céréale de leurs territoires respectifs, contrevenant au principe fondamental de libre circulation entre eux, qui était l’un des principes mêmes de l’Union douanière. « Toutes ces difficultés se cristallisèrent à la conférence intergouvernementale » réunie à Saigon de juillet à septembre 1952, qui se solda également par un échec : aucune politique en matière d’exportation de produits d’intérêt commun ne put en particulier être définie. Peu après, à l’automne, le gouvernement vietnamien se distinguait par le non versement aux gouvernements cambodgien et laotien de la part du montant mensuel des recettes douanières qui leur revenait39. Le système de Pau était-il viable ?
23Comme l’écrit André Valls40, le système de Pau « reposait sur un postulat qui se révéla faux à l’expérience : son fonctionnement impliquait nécessairement une volonté de coopération » et celle-ci ne s’est en fait jamais manifestée. Après les tensions de 1952, la conférence intergouvernementale de Phnom Penh, seconde du genre, se termina par un échec plus retentissant que le précédent. Réunie du 12 janvier au 25 mars 1953 dans la capitale cambodgienne, elle ne put en effet que constater le désaccord fondamental séparant le Cambodge et le Vietnam en matière de commerce extérieur et de douanes. Mais il ne s’agissait pas d’une question technique. La délégation cambodgienne représentait un pays en pleine effervescence nationaliste et le gouvernement vietnamien n’avait lui-même pas de mots assez durs pour fustiger son voisin.
24Une sorte de surenchère accompagna l’échec de la conférence de Phnom Penh. Le 25 mars, la délégation cambodgienne imposa finalement la révision de toutes les conventions de Pau avant le 31 décembre 1953. Environ un mois plus tard, le 28 avril 1953, le gouvernement vietnamien de Nguyen Van Tam indiquait quant à lui sa volonté de réviser le tarif douanier avant le 31 mai suivant, afin de pouvoir faire face à l’accroissement de ses charges militaires41. Le gouvernement laotien lui-même, pourtant le plus enclin des trois au compromis, refusa de donner son accord à la répartition du produit des recettes des régies pour les premiers exercices de l’Union douanière, 1950-1951. L’Union douanière paraissait mort-née.
C. UN PARTENAIRE DIFFICILE
25Engager vraiment les Américains dans la guerre d’Indochine, au-delà de l’aide déjà acquise, n’a pas été chose facile. Il a d’abord fallu faire reconnaître par Washington le caractère stratégique de l’endroit. Le Quai d’Orsay se flatte au début de l’année 1952 d’y être parvenu : le tournant a lieu lors de la réunion militaire tripartite tenue à Washington le 11 janvier en présence du général Juin, qui s’est poursuivie dans le cadre d’un comité ad hoc présidé par le général Ely42. Le Comité de défense nationale du 7 avril 1952 prend officiellement acte de cette nouvelle disposition, alors que le cadre juridique de l’aide américaine à l’étranger a évolué : depuis le 1er janvier 1952, la MSA (Mutual Security Agency) a pris la succession de l’ECA (Economie Cooperation Agency), l’organisme du plan Marshall43. Cette reconnaissance par les États-Unis du rôle de la « barricade indochinoise » pour contenir le communisme44 était considérée à Paris comme un préalable indispensable pour obtenir un accroissement de l’aide américaine.
26Dès lors, celle-ci ne s’est plus fait attendre : une aide financière est décidée à la conférence de l’OTAN réunie à Lisbonne en février 1952, parallèlement à la mise sur pied du premier plan concret de réarmement de l’Europe, pour lequel la France souscrit un objectif apparemment démesuré de vingt divisions d’active, et en échange, paradoxalement, d’une augmentation substantielle du budget militaire français45. Il s’agit d’un nouveau type d’aide, qui s’ajoute aux formes déjà rodées de l’aide militaire en matériel et de l’aide économique aux Etats associés, et son montant est appréciable : 500 millions de dollars dont 330 millions pour l’Indochine46. Edgar Faure, éphémère président du Conseil et ministre des Finances47, avait lui-même plaidé la cause française à Lisbonne, et clairement lié les deux problèmes, au prix d’otaniser la guerre d’Indochine : la France n’était « pas en mesure de faire face à la fois aux charges que lui imposent la guerre d’Indochine et sa contribution au défi européen »48 ; si aucun nouveau concours n’avait été décidé, avait-il précisé, la France aurait reconsidéré son attitude en Indochine.
27Après Lisbonne, le gouvernement français réclame insatiablement toujours plus d’aide aux États-Unis pour l’Indochine. Quatre mois plus tard, le ministre chargé des Relations avec les États associés, Jean Letourneau, se rend à Washington pour réclamer une augmentation de la contribution américaine. La conférence de presse qu’il donne la veille de son départ illustre sa confiance : « Nous sommes parvenus, pour la première fois depuis six ans, sur l’autre versant de la montagne, c’est-à-dire en mesure de rappeler d’Indochine plus de soldats que nous n’en enverrons d’ici à la fin de l’année ». Le Monde précise le lendemain en titre que « M. Letourneau va demander les moyens de commencer avant la fin de l’année la relève du corps expéditionnaire par l’armée vietnamienne »49.
28La guerre d’Indochine, dont le coût annuel ressort début 1952 à quelque 500 milliards de francs a-t-elle cependant des chances d’aboutir ? Les dirigeants américains disposent sur le sujet d’échos contradictoires. La CIA ne le croit pas et le nouvel ambassadeur à Paris, Douglas Dillon, transmet un avis comparable de certains Français importants, Jean Monnet et Pierre Uri, qui ont il est vrai une vision assez supranationale des problèmes : le retrait des troupes françaises d’Indochine leur paraît à terme indispensable50. Les promesses de succès rapide formulées par de Lattre à Washington, à l’automne 1951, ne se sont pas concrétisées. Dans un moment de lucidité alors qu’il était en visite aux États-Unis, en juin 1952, le ministre français chargé des Relations avec les États associés, Jean Letourneau, n’a pas caché lui-même son pessimisme, suggérant, avant de se reprendre, qu’une victoire militaire paraissait hors de portée et que la France ne pourrait faire l’économie d’une négociation51. Les événements de l’année, sur le terrain, ne laissaient en effet entrevoir aucune perspective d’ordre strictement militaire.
29Mais chacun des deux gouvernements, pour des raisons différentes, fait preuve de volontarisme. A Washington, même si le Pentagone doute parfois de la compétence et du dynamisme français en Indochine, les dirigeants américains continuent à croire en une victoire possible - en particulier si les Français écoutent leurs conseils expérimentés, quant à la personnalité du commandant en chef ou au contenu de son plan de campagne. Le message transmis par les autorités françaises, passées quelques hésitations officielles, va dans le même sens. Comment, il est vrai, obtenir une aide substantielle pour une guerre sans issue ? Une importante note de juillet 1953 le reconnaîtra volontiers52 : « Il semble bien qu’en France, précise-t-elle, tant dans les milieux militaires que chez les Administrateurs connaissant l’Indochine, personne ne croit plus à une victoire militaire sur le Viet Minh (souligné). Par contre, afin d’intéresser les Américains à nous fournir une aide directe importante, on a accrédité l’idée que des efforts supplémentaires pourraient être déterminants ».
30La question des « armées nationales » reste le point focal des relations franco-américaine sur l’Indochine : les États-Unis et la France ont-ils encore sur ce point des intérêts contradictoires ? L’ambassade de France à Washington rappelait ainsi, peu avant le voyage de Letourneau, l’état d’esprit dans la capitale fédérale : « Les milieux dirigeants américains reconnaissent que le réarmement et la guerre d’Indochine, conduits de front, exigent de notre pays un effort trop considérable [...]. Le développement de l’armée vietnamienne permettrait, à leur avis, de le soulager et, en même temps, de préparer une solution d’avenir comportant le retrait progressif des troupes et des cadres du corps expéditionnaire [...]. Notre ambassadeur estime que la pensée américaine s’oriente vers la prise en charge de l’armée vietnamienne »53. S’agissait-il d’un tournant ? Une note préparatoire au voyage du ministre semblait en partager la perspective54 : « cette orientation est d’autant plus séduisante que, dans notre budget Indochinois, l’élément représenté par notre concours à l’entretien des troupes des États est destiné à s’accroître ». Mais la prise en charge de l’armée vietnamienne, avec ce que cela suppose de financement et de formation, n’est pas encore à l’ordre du jour : le gouvernement français privilégie toujours l’approche globale, et non « ciblée », de l’aide américaine.
31La France pêche finalement par optimisme. A Washington, Letourneau avait demandé à ses interlocuteurs jusqu’où les États-Unis pourraient aller : ils avaient répondu, oralement, qu’un montant de « 100 à 150 millions de dollars » était imaginable. Mais l’opinion publique, certains hauts fonctionnaires et le ministre Letourneau lui-même, convaincu de ramener de Washington 150 millions de dollars supplémentaires au budget français, semblent y avoir cru un peu trop : il s’en suivra une certaine surestimation des promesses américaines. Ces 150 millions de dollars ne représentaient d’abord que l’élément haut de la « fourchette » obtenue de ses interlocuteurs par Letourneau, et encore ces chiffres, qui figuraient dans le projet de communiqué final, en avaient été retirés « pour éviter toute possibilité d’incidents avec le Congrès »55. À l’automne, l’aide promise à Letourneau sera ramenée à 25 millions de dollars... Mais l’illusion avait persisté. Le 25 juillet 1952, par exemple, le président du Conseil Antoine Pinay put recevoir de son cabinet une note énumérant les sommes promises outre-atlantique : « 500 millions de dollars à Lisbonne, 150 millions de dollars à Washington pour l’Indochine et 186 millions de dollars pour les commandes off shore supplémentaires »56 : soit un total présumé de 836 millions de dollars, l’équivalent de près de 300 milliards de francs. En fait, l’aide américaine pour l’année fiscale 1952-1953 ne dépassera pas 425 millions de dollars, soit 150 milliards de francs, environ la moitié de ce qui avait pu être imaginé57.
32L’année 1952 fut finalement marquée par une certaine tension entre Paris et Washington, culminant en octobre avec l’intervention du président de la République, Vincent Auriol, lors de l’inauguration du barrage de Donzère- Mondragon58 : « Sans doute le plan Marshall nous a-t-il aidés, lança-t-il notamment, et nous en avons souvent dit les bienfaits avec gratitude. Mais hélas ! La défense de la liberté en Indochine nous a coûtés matériellement à peu près le double de ce que nous avons reçu à ce titre et au titre du PAM : 1 600 milliards contre 800 milliards ». Le message, semble-t-il, sera entendu. Mais les dirigeants français vivent d’autant plus mal cette situation que, sur place aussi, l’allié d’outre-Atlantique se fait envahissant.
33En tout état de cause, s’il s’était agi d’une affaire commerciale, on aurait pu dire que les États-Unis avaient quand même pris une sérieuse « option » sur la guerre d’Indochine. Comptabilisée pour 1953, l’aide financière qui vient d’être analysée est déjà supérieure de 30 % à celle de l’année précédente, alors que la valeur des livraisons du PAM s’est, elle, accru de 40 %59 : dans ces conditions, Paris peut entamer un réel désengagement financier d’Indochine. La participation américaine à la guerre d’Indochine, qui correspondait en 1952 à 40 % de son coût, frôle les 50 % en 1953.
II. LA DÉVALUATION DE LA PIASTRE
34Compte tenu des espoirs mis par la France dans l’aide américaine, l’arrivée en janvier 1953 du républicain Eisenhower à la Maison Blanche, où il restera huit ans, ne pouvait être prise à la légère. C’est donc sans doute en connaissance de cause que René Mayer, partisan réputé de la CED, est pressenti par Auriol et investi par la Chambre le 6 janvier 1953. Son passage à Matignon va relancer la négociation avec les États-Unis et s’accompagner de mesures radicales concernant l’Indochine, en particulier la dévaluation de la piastre.
35René Mayer, président du Conseil pour quelques mois, entre Pinay et Laniel, ne figure pas parmi les plus grands noms du régime, malgré l’intelligence brillante dont le milieu politique de l’époque le crédite60. L’Humanité le voue aux gémonies, comme « mandataire d’une puissante féodalité cosmopolite », plus précisément comme « cerveau » de la Maison Rothschild et membre de multiples conseils d’administration61. Les États-Unis l’apprécient, comme « un ami véritable » appartenant pratiquement à leur camp, « pleinement d’accord avec la politique américaine en Europe », pas un « agent » certes, mais quelqu’un sur qui ils estiment pouvoir faire efficacement pression62. La principale certitude est son appartenance au parti radical, plutôt sur la droite, et sa vieille pratique des milieux d’affaires63 : il n’est entré en politique qu’avec la France libre à Alger. Mais il a eu à connaître le dossier colonial comme député de Constantine et le dossier indochinois comme ministre des Finances - à deux reprises, en 1947-1948 et en 1951, à des moments où il fallut prendre des décisions dans cette direction - ainsi que plus brièvement, en 1948, comme ministre de la Défense nationale. Avec Boutemy dans son gouvernement, c’est-à-dire avec l’homme considéré comme le plus grand corrupteur du moment, il peut sans doute prêter le flanc au scandale ; mais avec un proche aux Finances, Maurice Bourgès-Maunoury, et un homme de la mouvance Monnet dans son cabinet, Paul Delouvrier, il ne manquait pas de moyens d’efficacité.
A. UNE GUERRE À VENDRE
36En forçant un peu le trait, on pourrait comparer les relations franco-américaines de cette période, à propos de l’Indochine, à une opération commerciale de grande envergure. Dans un budget impossible à boucler, le gouvernement français paraît avoir isolé un « produit », assez onéreux et sans grand rapport financier, la guerre d’Indochine, et identifié un « repreneur » possible, familier mais extrêmement prudent, les États-Unis. Pendant deux ans, mais surtout en 1953, pendant que les troupes crapahutent dans la brousse ou pataugent dans la rizière, tout se passe comme si les deux parties s’attachaient à rapprocher au mieux l’offre et la demande.
37Dans cette perspective, le changement de majorité présidentielle aux élections américaines de novembre 1952 avait forcément constitué un moment important. Quelle allait être la politique du républicain Eisenhower, de son entourage et, notamment, du nouveau secrétaire d’État John Foster Dulles ? Au Quai d’Orsay, comme dans les autres ministères concernés, on n’eut pas à se poser la question très longtemps. La nouvelle administration n’était pas encore en place qu’un signe fort arrivait de l’OTAN : au conseil de l’Atlantique Nord réuni le 17 décembre 1952, quatorze nations se déclarèrent d’accord pour estimer que « la campagne menée en Indochine par les forces de l’Union française mérite de recevoir un soutien sans défaillance de la part des gouvernements atlantiques »64.
38Les Français paraissent dès lors bien décidés eux-mêmes à utiliser au mieux les dispositions de la nouvelle administration américaine dans le sens d’une aide encore accrue. Fin janvier 1953, juste après l’installation du nouveau président et à quelques jours de la visite à Paris du nouveau secrétaire d’État, une étude du secrétariat général permanent de la Défense nationale se livre ainsi à de subtils calculs pour proposer une nouvelle ligne de conduite65. Fondée sur l’estimation d’un montant total de dépenses militaires de 591 milliards de francs pour l’année 1953, cette étude suggère d’une part de rompre avec l’habitude et de solliciter deux aides financières séparées des États-Unis, l’une pour l’Europe et l’autre pour l’Indochine ; et d’autre part, dans ce second cas, de partager par moitié avec notre allié les dépenses militaires - enfin presque : un partage par moitié qui exclurait les livraisons « en nature » du RAM. Au final, cela signifierait de demander aux États-Unis une aide supplémentaire de l’ordre de 105 milliards de francs (300 millions de dollars) ce qui, tout compris, porterait leur participation à 57 % du coût total de la guerre.
39La négociation avec la nouvelle administration américaine commence le 2 février 1953 à Paris, où John Foster Dulles rencontre successivement Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères, et René Mayer, président du Conseil. Certes, comme le notera ce dernier, « le secrétaire d’État américain est venu à Paris pour entendre plutôt que pour répondre »66. Mais ce qu’il entend ne souffre pas d’ambiguïté : les Français veulent « gagner la guerre » et l’Indochine vient en tête de leurs priorités financières. René Mayer, qui engage l’entretien par ce sujet, rappelle le « très gros effort [...] accompli par la France pour bâtir en Europe une armée tout en menant parallèlement une guerre en Indochine », insiste sur la charge fiscale qui pèse sur l’hexagone, évoque la résolution de l’OTAN et conclut : « les charges qui pèsent sur le gouvernement français seraient allégées, en accroissant et en spécifiant l’aide fournie par les États-Unis en ce qui concerne la charge que représente la guerre d’Indochine, de façon à nous permettre de faire face aux engagements que nous avons pris en Europe ». Le ministre français des Finances, Bourgès-Maunoury, qui rencontre parallèlement le directeur de la MSA, Stassen, suggère « d’accorder pour l’Indochine une aide forfaitaire » qui s’inscrirait comme une part importante des 400 à 450 milliards de francs que la métropole y dépense pour la guerre. Les Américains enregistrent, laissant cependant entendre que tout cela dépendra, selon l’expression de Stassen, « des projets d’avenir en Indochine, du programme prévu pour l’instruction des troupes indigènes, des possibilités offertes [...] », mais aussi de « la ratification du traité de la CED ».
40Le gouvernement compte bien par ailleurs profiter du changement politique à Washington pour faire modifier le régime de l’aide. Alors que le nouveau président du Conseil René Mayer prépare son propre voyage aux États-Unis et qu’un Working Group franco-américain « planche » à Paris sur le sujet67, le conseil interministériel du 11 mars 1953 étudie un « projet de note » émanant du SGCI, qui propose une nouvelle orientation de l’aide américaine à la France68. Le principe de base en est simple : la France a d’une manière générale besoin d’une aide financière accrue et c’est au titre de l’Indochine que celle-ci est la plus facile à obtenir ; quoiqu’il arrive, il faut « éviter une réduction importante de l’aide financière, réduction qui serait fatale à l’équilibre tant de nos finances intérieures que de nos finances extérieures ». Mais, cela étant, il ne faut plus accepter, comme cela l’avait été à Lisbonne, de lier un accroissement de l’aide à une « augmentation de nos sacrifices ». Il apparaît parallèlement indispensable d’en aménager les procédures d’attribution, extrêmement tatillonnes : aujourd’hui, précise la note, les Américains font « comme si ces dépenses particulières étaient vraiment des dépenses propres du gouvernement des États-Unis ».
41L’idée proposée, que Bourgès-Maunoury a déjà exprimée, consiste à substituer aux justifications comptables une justification globale, d’ordre politique : un « forfait », en quelque sorte, plutôt qu’une collection infinie de justificatifs. Dans ces conditions, le document évalue les besoins à 395 milliards de francs, sur un budget militaire qui en compterait 1416 : 250 milliards seraient demandés au titre de l’Indochine et 150 au titre de l’Europe.
42Avant que la longue négociation entre Paris et Washington n’aboutisse, ce glissement progressif vers une aide américaine dominante suscite tout de même en France quelques interrogations, en particulier sur les pertes d’influence, voire de contrôle de la situation que cela implique. Plusieurs sensibilités apparaissent d’ailleurs sur le sujet au sein du gouvernement, le Quai d’Orsay semblant occuper une position d’arbitre. Au ministère des Relations avec les États associés, la contradiction grandit entre la nécessité d’une aide américaine accrue pour l’Indochine et la volonté d’y maintenir intacte l’influence française. Résumant dans une courte note, sans autre commentaire, les « Vues de Monsieur Letourneau », la direction d’Asie suggère en effet un sentiment d’impuissance69 . Le 3e point relève du réalisme : « le jour où l’effort financier américain sera supérieur au nôtre, estime le ministre d’État, nous risquons fort de voir la direction des opérations nous échapper ». Mais le 6e point ressemble à un vœu pieux : « personne ne peut se substituer à nous dans l’exercice de nos responsabilités en Indochine ».
43Le risque politique n’échappe pas non plus au SGCI. Il faut craindre en effet, précise son texte, qu’une augmentation de l’aide « ne conduise les États-Unis à réclamer une participation dans la direction des affaires d’Indochine ». Une « franche explication » sera en tout état de cause nécessaire, conclut-il sur ce point, permettant « peut-être d’écarter ou de limiter certaines de ces servitudes »70. Tout cela n’apparaît cependant pas suffisant au ministère des Affaires étrangères qui, tout en manifestant son accord sur l’analyse du SGCI, estime qu’elle « élude pratiquement le problème de l’ingérence américaine », qui elle ne peut qu’augmenter. « En contrepartie d’une aide accrue, précise une nouvelle note, les Américains auront de plus en plus tendance à revendiquer un droit de regard, non seulement sur l’emploi des crédits qui nous sont alloués, mais peut-être même sur l’ensemble de notre gestion de l’affaire d’Indochine. »71
44Peut-on déjà parler d’ingérence ? La négociation franco-américaine se poursuit aux États-Unis, où René Mayer participe à des conversations officielles les 26 et 27 mars 1953. La veille, déjà sur place, il a fait passer un télégramme à Henri Queuille, vice-président du Conseil, pour l’informer de l’état d’esprit qui règne à Washington : « La volonté de nous donner une aide importante pour l’Indochine n’est pas douteuse, précise-t-il ; mais on veut, pour la présentation, pouvoir faire état d’un plan relatif à la mise sur pied des forces vietnamiennes ainsi que d’un plan d’opérations militaires destiné à assurer la pacification et la victoire sur le Viet Minh grâce à des moyens nouveaux dans un certain délai »72.
45Dans son entretien du 26 mars avec Dulles, en présence des ambassadeurs du Vietnam et du Cambodge aux États-Unis, Mayer revient à la charge, lançant à nouveau l’Indochine en tête des discussions : il vante les mérites de la voie choisie par la France, qui passe par le développement des armées nationales : « Plus on avance, plus on voit clair dans la conduite politique à mener en Indochine, affirme-t-il. Il ne faut cependant pas oublier que la France a poursuivi en Indochine depuis plusieurs années une politique constante, en dépit d’une incompréhension assez générale au début ». Situant la question dans le cadre des relations Est-Ouest, Dulles rappelle pour sa part que « le même cerveau politique dirigeait les mêmes forces dans des lieux différents avec des objectifs finaux similaires », et insiste sur « l’idée de l’efficacité des forces indigènes ». Letourneau, présent dans la délégation française, ébauche un plan de transfert progressif de territoires pacifiés à l’administration de Bao Dai, dont le 28 mars Eisenhower trouve l’échelonnement trop lent. Le communiqué final des conversations, placées sous le signe de la « Paix comme principe politique fondamental », fait la part belle à l’Indochine : la menace soviétique demeure et les agressions communistes en Extrême-Orient « procèdent [...] d’un même plan ». Les programmes français pour l’Indochine seront étudiés pour « déterminer les moyens et la mesure de l’appui matériel et financier par lequel les États- Unis pourraient contribuer à leur exécution »73. Mais on en reste là.
46La négociation aboutira un mois plus tard à Paris. Le mémorandum du 26 avril, qui accompagne de nouvelles conversations de Dulles avec Mayer, Bidault et Pleven, porte sur 460 millions de dollars (environ 160 milliards de francs), dont 60 immédiatement disponibles. Était-ce discrètement dans l’accord ? Dans les quinze jours suivants, une série de mesures, prises dans tous les domaines, vont décider pratiquement de la dernière phase de la guerre : nomination d’un nouveau commandant en chef, le général Navarre, en remplacement du général Salan, restructuration des relations politiques avec les États associés, dévaluation de la piastre, départ de Letourneau... Aucun document ne lie explicitement ces mesures à l’octroi de l’aide de Washington, mais leur proximité chronologique oblige à se poser la question. L’opinion semble d’ailleurs en avoir été avertie : « Un accroissement de l’aide américaine, indiquera quelque temps plus tard une dépêche de l’agence Reuter74, fait partie intégrante du plan Navarre dont l’objectif, on le sait, est de mettre un point final à la guerre d’Indochine dans un délai d’un an et demi ».
B. LES RAISONS D’UNE MESURE
47Plutôt retenue d’ordinaire comme une mesure technique75, la dévaluation de la piastre s’inscrit dans un ensemble de décisions importantes prises début 1953 à propos de l’Indochine. Elle est aussi l’occasion d’une nouvelle crise dans les coulisses du pouvoir, en métropole comme sur place. Le changement de parité de la monnaie indochinoise, mesure tout à la fois financière et politique, apparaît finalement comme l’un des principaux tournants - le dernier peut-être - du conflit. Faut-il y voir un sursaut français ou bien, au contraire, un chapitre nouveau de la dérive entraînée par le coût de la guerre ?
48Sans doute y a-t-il le scandale des piastres. Depuis quelques mois, de nouvelles révélations sur le sujet ajoutaient en effet leur parfum de scandale aux difficultés budgétaires. Dans un article publié par Le Monde en novembre 1952, sous le titre « Un scandale qui se prolonge, le trafic des piastres »76, Jacques Despuech avait détaillé tous les types de transfert et de trafic rendus possibles par la surévaluation de la piastre. Ancien employé lui-même de l’Office Indochinois des changes de Saigon77, Despuech présentait l’affaire en technicien et avertissait des multiples dangers qu’encourait la France : l’« hémorragie croissante de devises », l’atteinte portée « au prestige de la piastre », l’« idée fausse de notre pays » donnée sur place et, plus grave encore pour lui, le renforcement du Viet Minn, qui « achète ces devises à n’importe quel prix » pour se procurer des armes. Au fond, note-t-il, « il n’est pas trop fort de comparer le trafic des devises à un trafic d’armes ». Deux livres enfonceront ensuite le clou : Jacques Despuech lui-même publiera un ouvrage en 1953, sous le même titre que son article ; et Arthur Laurent, homme d’affaire quelque peu amer, mêlera pour sa part la Banque de l’Indochine et la piastre dans un livre édité en 195478. De méchantes rumeurs s’y ajouteront79.
49La dévaluation de la piastre n’est-elle que la partie émergée d’un iceberg de sombres et louches affaires ? Le Bund de Berne titrera le jour même de la mesure sur « Les dessous politiques de la dévaluation de la piastre indochinoise »80. Son correspondant à Paris fera état d’un mystérieux rapport d’une commission parlementaire retour d’Indochine et remis au cours de la semaine précédente au président de la République et au président du Conseil : « Il ne fut imprimé qu’en vingt exemplaires et fut considéré comme un secret d’État de première importance. On prétend qu’un chapitre spécial de ce rapport est consacré uniquement au mystère qui plane sur le trafic de la piastre et contiendrait les noms de différentes personnalités... »
50La réalité est plus prosaïque mais, début 1953, des recommandations parlementaires en faveur d’un examen sans complaisance de la question de la piastre se faisaient effectivement pressantes. Le rapport Devinat, puisqu’il s’agit de lui, terminait en effet son examen des problèmes de la piastre par une conclusion assez nette : « Si l’indifférence de la métropole ou de puissantes coalitions d’intérêt ont jusqu’à présent fait différer de revenir sur une mesure prise à l’origine trop légèrement, les scandales quotidiens auxquels donne lieu le trafic de la piastre démontrent qu’il est temps d’en finir avec cette irritante question »81. Le rapport comporte l’ultime mise en garde de ne pas « prendre une décision à l’étourdie », mais il estime impossible que le gouvernement ne prenne pas position, en pleine connaissance de cause, « sur un des aspects les plus redoutables du problème indochinois, et se contente de laisser les choses en l’état ».
51Mais le contexte suggérant la dévaluation est surtout financier. Le débat sur le gain budgétaire d’un changement de parité de la piastre est ancien mais celui-ci, on le sait, a toujours été ajourné. En décembre 1952, une note du Trésor faisait encore les comptes : « Au total, on peut estimer que la dévaluation aurait une influence sur la moitié du montant des dépenses inscrites au budget français. Ainsi, dans l’hypothèse d’une dévaluation de 50 %, le bénéfice théorique serait de l’ordre du quart des crédits budgétaires »82. Il s’agissait certes d’un bénéfice théorique, étant donné la rapide hausse des prix que ne manquerait pas d’entraîner la mesure. Mais le directeur du Budget, Roger Goetze, rappelle tout de même peu après la dévaluation que le ministère des Finances attendait avec elle « une diminution d’au moins 30 milliards des charges de la guerre d’Indochine »83.
52Il faut ajouter à ce débat financier l’élément conjoncturel de la crise de trésorerie du printemps 1953, qui pose notamment la question du poids de la haute fonction publique dans le gouvernement de la IVe république84 . Alors que les principaux responsables politiques et financiers sont absents de Paris, le cabinet de Mayer prend conscience le samedi 21 mars 1953, selon l’expression de Delouvrier, qu’il n’y « a vraiment plus un centime » en caisse : « Nous n’avons jamais compris ce qui s’était passé, ajoute-t-il. Sans doute une erreur de calcul »85. L’Assemblée nationale autorise trois jours plus tard le gouvernement à signer une convention avec la Banque de France, pour que celle-ci puisse consentir une nouvelle avance de 80 milliards. René Mayer est alors déjà en route pour Washington, en quête on le sait d’une aide financière au titre de l’Indochine, mais, lors du vote sur la convention avec la Banque de France, la majorité dont il dispose au Parlement a accusé le coup86. Quel a été le rôle éventuel de cette banque des banques, voire du Trésor dans cette affaire ? Wilfrid Baumgartner, son gouverneur, a-t-il d’une manière ou d’une autre laissé la crise se développer, à la veille d’un voyage décisif, pour faire pression sur le pouvoir politique ? Toujours est-il qu’au niveau gouvernemental cette situation invite à prendre des initiatives d’ordre structurel en matière financière et, sans doute, budgétaire.
53L’évolution de la situation internationale se prête également aux décisions audacieuses. La mort de Staline, le 3 mars 1953, alors que la nouvelle administration Eisenhower est en place depuis à peine plus d’un mois, laisse présager un infléchissement des relations Est-Ouest et, peut-être, une perspective de négociation globale sur l’Indochine. Alors que tout est mis en œuvre du côté français pour convaincre Washington d’en faire plus, les Américains, on l’a vu, inscrivent précisément cette question dans les relations Est-Ouest et lient l’accroissement de leur aide à la présentation par la France d’un plan crédible pour l’Indochine. Ont-ils été plus loin et fait pression en faveur d’une dévaluation de la piastre ? Rien dans les papiers Mayer n’en accrédite l’hypothèse, mais un auteur américain l’affirme explicitement87 : « le pouvoir d’achat des dollars » s’en trouverait augmenté d’autant, ces derniers continuant d’être acheminés à travers la monnaie française. Une telle mesure, par ailleurs, en privant contre leur gré les dirigeants des États associés des avantages de la surévaluation de la piastre, ne pouvait que les éloigner un peu plus de l’influence française.
54L’extension du conflit armé à toute l’Indochine et la surenchère nationaliste qui, sur place, l’accompagne ont peut-être enfin convaincu René Mayer de franchir le pas. Il est d’ailleurs significatif que René Mayer ait conservé dans ses papiers un dossier bien renseigné sur le Cambodge88 . Alors que les forces armées du Viet Minh sont entrées au Laos voisin en avril, le roi Norodom Sihanouk lance aux États-Unis, dans une interview publiée par le New York Times du 19 avril 1953, un avertissement aux accents dramatiques : « à moins que les Français ne donnent à son pays plus d’indépendance dans les prochains mois, il y a un danger réel pour que [le] peuple se soulève contre son régime et rejoigne le mouvement Viet Minh dirigé par les communistes »89. Sihanouk a déjà dissous le 14janvier précédent l’Assemblée nationale de son pays et pris lui-même la présidence du gouvernement : devançant semble-t-il la résurgence d’un ultra-nationalisme khmer, il avait pris la tête en personne d’une « croisade pour l’indépendance » au service de laquelle il pouvait mettre tout son talent de « communicateur » - tout en avertissant discrètement les Français qu’il n’avait pas d’autre choix. L’évolution de la situation dans le royaume du Cambodge militait en effet en faveur de décisions neuves.
55En tout état de cause, la dévaluation de la piastre ne fut pas une mesure isolée. Pour pouvoir peser sur les événements, Mayer l’inscrira dans une vague de réforme destinée à réorganiser en profondeur l’organigramme civil et militaire de la guerre d’Indochine. Il y allait d’abord du statut des États associés. Par un geste d’ordre juridique qui mérite d’être souligné, René Mayer fit d’abord publier au Journal Officiel l’ensemble des documents définissant les relations entre les États associés et la France90 : ces textes vieux de trois ou quatre ans, on le sait, ne l’avaient encore jamais été. René Mayer était d’ailleurs à peine installé à Matignon, en janvier 1953, que le ministre chargé des Relations avec les États associés Jean Letourneau avait annoncé, lors du débat budgétaire sur l’Indochine, une modification de la structure de la représentation de la France sur place91. Le haut-commissariat de France en Indochine allait disparaître au profit d’un commissariat général de France auprès des États associés, comparable à celui que les Britanniques entretenaient à Singapour.
56La réorganisation militaire était plus délicate. Le commandement devait être dynamisé, ce que la nécessaire relève de l’équipe de Lattre, arrivée en décembre 1950, rendait possible. Le diagnostic était en effet sévère : les troupes avaient perdu l’habitude d’être commandées, affirme une note au président du Conseil92, les états-majors de Saigon ou de Hanoi restant « confortablement installés dans la guerre pour la durée d’un séjour ». Il fallait aussi trouver un chef pour remplacer Salan, le « mandarin », qui connaissait pourtant si bien et depuis si longtemps - depuis trop longtemps ? - son sujet. Eisenhower fit discrètement suggérer les noms de quelques généraux - Guillaume ou Valluy93. Mais Mayer préféra le général Navarre, un expert des affaires européennes et du renseignement qui, au contraire de Salan, ignorait tout de l’Indochine. Entretemps, le Comité de défense nationale du 21 avril 1953 approuva le projet de décret fixant les attributions du général commandant en chef : à la différence de De Lattre, il resterait subordonné au ministre des États associés et au commissaire général de France auprès des États associés94.
57Ce train de mesure prenait enfin une dimension financière avec une nouvelle répartition des responsabilités ministérielles : le rattachement au ministère de la Défense nationale de la direction des Affaires militaires (DAM), venue de la France d’outre-mer et relevant des États associés, allait donner à la rue Saint-Dominique la direction et le financement de la guerre, présentement sous la responsabilité de René Pleven.
58Toute modification sensible de la politique indochinoise se heurtait évidemment à la puissance installée rue de Lille, siège du ministère d’État chargé des Relations avec les États associés. Ce ministère d’État, situé au quatrième rang dans l’organigramme gouvernemental, permettait à son titulaire, le MRP Jean Letourneau, d’exercer depuis 1950 un véritable proconsulat sur la guerre d’Indochine : ministre chargé des Relations avec les États associés dans six gouvernements successifs, cumulant cette fonction avec celle de haut-commissaire à Saigon depuis avril 1952, il avait bien sûr fait son affaire de la question indochinoise. Mais, trois ans après sa création par Queuille, cet élément fort de la structure gouvernementale qu’était devenu le « ministère des Relations avec les États associés » était-il encore nécessaire ? On se souvient que l’idée de sa création s’était inscrite en réponse à la pression des États-Unis, qui demandaient en 1950 de transférer les États associés d’Indochine du ministère de la France d’outre-mer à celui des Affaires étrangères. En 1953, on n’en est plus là : la perspective d’un désengagement apparaît même assez clairement en filigrane de l’action de René Mayer.
59Alors, quand début 1953, parallèlement à la préparation en grand secret de la dévaluation de la piastre, le gouvernement se soucie de « supprimer les rouages inutiles »95, l’affaire est à la fois technique et politique : « le rattachement au ministère de la Défense nationale de la direction des Affaires militaires constitue un premier pas dans cette direction. Une seconde étape doit conduire la présidence du Conseil à diriger personnellement les affaires d’Indochine au moyen d’un secrétariat d’Etat sous l’autorité directe du chef de gouvernement ». Il reste à mettre en œuvre cet audacieux programme.
C. MAYER EN ACTION
60La réorganisation Mayer est cadrée fin avril 1953 : sûr d’un financement américain, le gouvernement résout les principaux problèmes organisationnels sur le terrain : le Comité de défense nationale du 24 avril règle la question de l’organisation du commandement en Indochine et un décret, le 27 avril, définit les pouvoirs du nouveau commissaire général de France en Indochine. Entretemps, les 26 et 27 avril, d’ultimes conversations franco-américaines à Paris préparaient l’attribution par Washington d’une aide de 460 millions de dollars96. Le 27 avril enfin, une réunion interministérielle consacrée à l’examen de la situation militaire en Indochine se tient à Matignon, sous la présidence de Mayer et en présence de Letourneau. Sur un autre plan, Mayer doit également faire vite car le mouvement gaulliste, dont les députés soutiennent son gouvernement, connaît alors un grave moment de vérité. Non seulement il a subi un sérieux échec aux élections municipales du 16 avril, mais il est de plus dangereusement montré du doigt par la presse : deux responsables du RPF, le responsable financier Alain Bozel et l’ancien ministre de la guerre André Diethelm sont en effet mis en cause à propos du trafic des piastres97. De Gaulle, le 6 mai 1953, décide la suppression du RPF et rend leur liberté aux parlementaires qui se réclament de lui - et soutiennent encore théoriquement Mayer.
61La suite se réalise en moins d’une semaine, entre le 7 et le 12 mai 1953, un peu à la manière d’un « coup ». Une première réunion est convoquée le 7 mai rue de Rivoli « pour étudier les mesures qu’appellerait une décision de dévaluation de la piastre »98. Le nouveau taux est fixé le lendemain 8 mai, lors d’un second rendez-vous réunissant quelques experts autour du président du Conseil : ce dernier aurait voulu dévaluer de 50 %, portant la piastre à 8,50 francs, mais accepta de s’en tenir à 10 francs, ce qui représente tout de même une dévaluation de 40 %. Bien sûr cette décision fut tenue secrète. Le même 8 mai, un Conseil des ministres tenu en l’absence de Letourneau, reparti en Indochine, procède notamment à la nomination de Navarre, revient sur la transformation du haut-commissariat en commissariat général et décide officiellement le rattachement de la direction des Affaires militaires (DAM) à la Défense nationale. Le reste s’enchaîne : la dévaluation de la piastre est officiellement prononcée le 11 mai 195399et, pour couronner le tout, René Mayer fait déposer le lendemain 12 mai devant l’assemblée les projets fiscaux de son gouvernement et demande les pouvoirs spéciaux100.
62L’affaire comporte cependant un volet franco-français. Avant même d’apprendre la décision monétaire, Letourneau avait déjà dû voir venir l’orage. S’il découvre la nomination du nouveau commandant en chef par la radio, alors qu’il se trouve à Vientiane, le ministre connaissait déjà, semble-t-il, les principales autres dispositions prises par Mayer. Il rédige dès le lendemain du Conseil des ministres, le 9 mai, un long télégramme à ce dernier, lui exprimant son désaccord sur pratiquement tous les points - à l’exception de la nomination de Navarre - mais en même temps fait front101. « En résumé de tout cet ensemble, conclut-il, ressort la nécessité de définir avec netteté qui a la charge des affaires d’Indochine auprès du gouvernement » ; et il ajoute : « Le ministre n’est pas un fonctionnaire que l’on rappelle quand on le croit bon ou pour le compte duquel des décisions sont prises et signifiées sans son plein accord. S’il en était autrement, je serais obligé de me considérer comme démissionnaire de mes fonctions dès le moment où vous m’accuseriez réception de ce télégramme sans me confirmer votre accord de pensée sur tout ce qui précède ». Son télégramme se croise semble-t-il avec celui l’informant de la décision gouvernementale de dévaluer la piastre102.
63Mis devant le fait accompli de la nomination du général Navarre et de la dévaluation de la piastre, apparemment peu soutenu par le MRP, le ministre d’État ne s’incline donc pas. Remerciant le 15 mai le président du Conseil d’un télégramme tout de même amical qu’il avait reçu le 11, jour de la dévaluation, Letourneau contre-attaque : « Aucun ministre responsable de la conduite de la guerre en Indochine ne peut accepter de se voir retirer la gestion des crédits, et tous ceux qui se sont penchés sur le problème reconnaissent [que la] solution logique et efficace [résiderait] au contraire dans l’existence d’un budget unique - terre, marine, air - pour la guerre en Indochine »103. Dans un autre télégramme directement adressé à Mayer, il écrit non sans humour : « Mon cher président et ami, puis-je t’avouer qu’à douze mille kilomètres de distance, je ne comprends pas très bien ce que tu recherches ? Ce qui est certain, c’est que si tes intentions étaient de me fournir toutes occasions de démissionner, tu n’agirais pas autrement »104. Mais c’est le gouvernement Mayer qui démissionnera en bloc moins d’une semaine plus tard, le 21 mai 1953, impuissant à obtenir la confiance de la Chambre sur ses projets financiers. Letourneau ne fera cependant plus partie des gouvernements suivants. Deux décrets, pris sous le gouvernement Laniel, confieront bientôt les États associés au président du Conseil, et par délégation à un secrétaire d’État à la présidence du Conseil - en l’espèce Marc Jacquet105. Un troisième décret rattachera les crédits des Forces terrestres servant en Indochine au ministère de la Défense nationale106 : l’action de Mayer aura ainsi eu une durée inversement proportionnelle à celle de son passage à la tête du gouvernement.
64La dévaluation elle-même fut plutôt mal ressentie dans les États associés, qui ont accusé la France d’avoir agi seule et sans les consultations prévues par les accords de 1949. Il est de fait que la décision a été unilatérale et que les consultations ont été réduites à leur strict minimum, afin d’éviter en particulier les risques de spéculation. Elles ont cependant existé, bien qu’il ne soit pas sûr que toutes les parties prenantes y aient mis la même bonne volonté. Il est aujourd’hui possible de reconstituer le déroulement précis des événements. Le télégramme annonçant la décision monétaire, adressée le samedi 9 mai à 2 heures du matin au ministre à Hanoi, a dû y arriver, compte tenu du décalage horaire, aux premières heures du jour107. Mais, aux dires d’André Valls, il n’y aurait été reçu qu’à 19 heures108. Or il y avait urgence : à son point deux, le télégramme gouvernemental demandait d’engager des consultations avec les États, même si celles-ci étaient « nécessairement tardives »109. Le chef du gouvernement vietnamien, Nguyen Van Tam, n’est informé que le samedi 9 à 22 heures, et les gouvernements du Cambodge et du Laos seulement le dimanche, la date arrêtée pour la dévaluation étant le lundi 11 mai : tous ont bien sûr protesté, mais une journée avait été perdue. Pourtant, selon le rapport du gouverneur Gautier, les réactions du président Tarn et de Bao Dai restèrent d’abord modérées110 : ce n’est qu’ensuite que le temps tourna à l’orage. Tout a-t-il été fait du côté français pour réussir le changement de parité ?
65Il faut comprendre que Letourneau, comme tous ses prédécesseurs au haut-commissariat, était opposé sur le fond à toute dévaluation de la piastre. Dans la circonstance, comme on dit en Indochine, il perdait de plus totalement « la face » : il vient en particulier, retour de France, de rencontrer Bao Dai et ne lui a rien dit, et pour cause ! Si bien qu’il ne peut plus passer aux yeux des dirigeants des États associés que pour un hypocrite ou bien pour un pantin. Comme il l’écrit lui-même à Mayer, « l’ignorance dans laquelle j’ ai été tenu de vos projets et [...] la procédure utilisée [...] me laisse sans grand moyen pour tenter de justifier la mesure auprès des dirigeants des États »111. Dans ces conditions, il n’est pas exclu de penser qu’il a dans un premier temps feint d’ignorer le télégramme officiel, protestant seulement, mais vigoureusement, contre les décisions du Conseil des ministres et mettant sa démission dans la balance112. Mais au fond, reproche-t-il au gouvernement dont il fait partie de ne pas avoir consulté les États associés ou de ne pas l’avoir consulté lui-même ? « Les conséquences redoutables de la mesure monétaire que vous avez dû pouvoir prendre sans me consulter commencent logiquement à se dérouler », annonce-t-il dès le 11 mai113.
66En tout état de cause, les services financiers ont quelque difficulté à imposer une gestion sereine de l’après-dévaluation, avec tout ce que cela comporte de mesures complémentaires, blocage des prix, restrictions commerciales et recensement des stocks. « La réaction des Français ici est l’hébétude, note Valls le 15 mai114. Ils ont le sentiment que cette décision est prise parce qu’on veut en finir avec l’Indochine et que la dévaluation amorce un repli général. » Ont-ils tellement tort ? Le lobby colonial paraît même agressif. Il est vrai, comme l’indique Maxime Robert, directeur général adjoint de la Banque de l’Indochine au conseil d’administration du 20 mai, une semaine après la dévaluation, « que cette mesure (lui) porte un préjudice immédiat en amputant de 41 % les bénéfices réalisés depuis le début de l’année »115. Mais la BIC paraît craindre encore plus le coup de frein porté aux activités commerciales.
67Le suivi de la dévaluation, essentiel pour qu’elle réussisse, se heurte donc rapidement, de manière contradictoire, d’une part à la pression des milieux coloniaux et d’autre part à la défiance de plus en plus grande des États à l’égard de la France. Dans un premier temps, alors que l’Office des changes ferme ses portes pour plusieurs jours, le gouvernement vietnamien joue le jeu des mesures d’accompagnement suggérées par la France : dès le 11 mai, les salaires et les prix d’un certain nombre de produits d’importation sont bloqués, les exportations de riz interdites et, quelques jours plus tard, différentes surtaxes compensatrices instituées sur les autres produits d’importation et d’exportation116. Mais ces mesures commencent à être relâchées dès le 25 mai, lorsqu’un certain nombre d’augmentations de prix sont autorisées. Le conseiller financier André Valls, qui a des idées très précises sur les conditions d’un réel assainissement financier en Indochine, et est censé mettre en œuvre l’après-dévaluation, est vite désabusé.
68Le problème de la rémunération des personnels civils et militaires en Indochine oppose également la rue de Rivoli aux services des États associés et à ceux de la Défense nationale. Le directeur du Budget refuse en particulier, pour les traitements des fonctionnaires et des troupes servant en Indochine, le maintien des paiements en francs au niveau d’avant la dévaluation - sinon on ne voit pas très bien en effet à quoi celle-ci aurait servi117. Finalement, « une indemnité compensatrice égale aux sept-dixièmes des émoluments », est décidée par décret, soit tout de même l’équivalent de la dévaluation, mais affectée « à la constitution d’un pécule » bloqué en France118. Au-delà de cet épisode important, compte tenu de la masse financière engagée, la question des pertes de change et des réclamations qu’elles entraînent alimente un feuilleton qui va occuper la direction du Trésor au moins jusqu’en 1954.
69Sur les plans financier et économique, la dévaluation de la piastre a-t-elle atteint ses objectifs ? Parmi ceux qui étaient annoncés dans les documents entourant la décision119, la réduction du trafic des piastres vient en bonne place : sur ce plan, un coup d’arrêt est bien sûr donné, quoique la spéculation sur la piastre, même si c’est dans une moindre mesure, va semble-t-il rester juteuse. La stimulation des exportations indochinoises est également évoquée : la question demeure complexe, en raison du prix élevé de produits comme le caoutchouc, grevé par des frais de protection ; quoi qu’il en soit, le bénéfice de la mesure, si tant est qu’il y ait suffisamment de produits pour fournir le marché, ne peut être constaté qu’à moyen terme. Vient ensuite la revalorisation des avoirs francs de l’Institut d’émission, pour assurer une meilleure couverture de la monnaie indochinoise : le bénéfice a été sur ce point plutôt faible - « La dévaluation de la piastre n’a pas réglé le problème monétaire Indochinois », affirme même Gaston Cusin, le président de l’Institut d’émission120. Il y a enfin et peut-être surtout l’économie budgétaire, la réduction présumée du montant des dépenses françaises exécutées en piastres. Mais cet objectif essentiel de la dévaluation de la piastre demeure très partiellement atteint.
70« La dévaluation de la piastre n’a-t-elle rapporté que 265 millions au budget français ? » se demande en novembre la Correspondance économique, s’appuyant sur un rapport parlementaire121. Une note de la rue de Rivoli évalue peu avant « l’économie réelle » à 10 milliards de francs, contre une « économie théorique » attendue de 35 milliards122. Dans son audition d’octobre 1953 devant la commission d’enquête sur le trafic des piastres, le directeur du Trésor Schweitzer est lui-même assez mesuré123. « On pouvait penser, indique-t-il, que la dévaluation de mai 1953 amènerait une économie budgétaire importante [...]. Il n’y a [...] pas eu de grand changement de ce côté. En ce qui concerne les soldes, le gouvernement a été obligé de tenir compte de la réaction de nos troupes là-bas [...]. L’économie budgétaire [...] est évaluée, je crois, à une dizaine de milliards sur l’année 1953. D’un autre côté, il faut bien reconnaître que nous avons supporté des pertes car, de manière à assurer sur les bases normales le commerce entre la France et l’Indochine, on avait vendu à terme des francs à prix fixe. » Au total, « L’incidence sur le budget français fut négligeable compte tenu du volume total des charges ».
71Il reste qu’en donnant un violent coup de pied dans la fourmilière indochinoise, René Mayer a fait bouger les choses, pour la première fois peut-être depuis le début de la guerre, créant en particulier les conditions pour un désengagement de la France. Mais, compte tenu de l’évolution de la situation, les conséquences de son action paraissent avoir été surtout importantes sur le plan politique : pour lui-même d’abord, qui a suggéré que le trafic des piastres n’était pas pour rien dans la chute de son gouvernement124 ; pour les États associés d’Indochine ensuite, qui vont dès lors s’éloigner plus vite que jamais de la France.
III. LE DÉSENGAGEMENT ET L’ÉCHEC
72« Une puissance européenne lutte en Asie pour défendre une ancienne colonie orientale dans l’intérêt d’une coalition occidentale conduite par une puissance anti-colonialiste, ironise en octobre 1953 le correspondant du New York Times à Paris. Les États associés d’Indochine dépendent de la France pour leur défense, tandis que la France dépend des États-Unis pour financer cette défense. On espère, en accordant l’indépendance aux États associés, obtenir qu’ils entrent plus activement dans la lutte mais, et c’est un autre paradoxe de cette guerre, on demande aux Français de fournir des officiers et des hommes pour défendre un pays qui est supposé devenir indépendant de la France, ce qui conduit certains d’entre eux à se demander pourquoi, dans ce cas, ils continuent à se battre en Indochine. »125 Alors que l’armistice de juillet 1953 a mis fin à la guerre de Corée, le conflit Indochinois, qui en est à sa huitième année, paraît plus empêtré que jamais dans ses contradictions.
73L’après Mayer voit cependant les choses évoluer rapidement : pendant que le corps expéditionnaire maintient sa présence sur le terrain, les États associés se détachent de plus en plus de la France, qui ne les retient d’ailleurs pas et semble même progressivement en abandonner le parrainage aux États-Unis. La RDV, pour sa part, prend des dispositions en conséquence. Rendez-vous est bientôt pris à Dien Bien Phu.
A. L’APRÈS DÉVALUATION
74La dévaluation de la piastre, le 11 mai 1953, avait ouvert des perspectives nouvelles à toutes les parties en cause et, d’abord, fait basculer le système de Pau, déjà bien mal en point, dans la désagrégation. Moins d’une semaine après l’annonce de la mesure, le 16 mai, le gouvernement vietnamien annonçait son intention de demander la révision des pourcentages de répartition des recettes communes, « dont les taux actuels sont éminemment préjudiciables au Vietnam »126, indiquant au passage sa préférence pour les négociations bilatérales plutôt que quadripartites. Il continue d’ailleurs à ne pas verser aux gouvernements du Cambodge et du Laos le montant mensuel des recettes douanières qui leur reviennent. Au 1er décembre 1953, le montant de la dette vietnamienne à l’égard du Cambodge et du Laos dépasse le milliard de piastres127. Reprenant sa liberté d’action sur le plan intérieur, il fixe aussi, unilatéralement et en violation des accords de Pau, le prix de certains produits d’intérêt commun, comme les hydrocarbures et les médicaments. Le gouvernement cambodgien ne fut pas en reste : un praka128frappe le 5 juin les marchandises « destinées à la zone piastre » d’une taxe de compensation de 20 %, et les autres d’une taxe de 40 %. Fin 1953, pratiquement aucune des dispositions établies par les conventions de Pau ne subsiste encore sinon, mais de manière précaire, celles qui concernent la monnaie.
75L’Institut d’émission résista mieux que l’Union douanière, même si la dévaluation mettait à mal, au moins dans l’esprit, le nouveau système monétaire en place et montrait à quel point le pouvoir restait entre les mains françaises. La première raison de cette résistance tient sans doute au mode de fonctionnement de l’Institut. La gestion des avances aux États était assurée non pas par le conseil d’administration quadripartite, réceptacle de toutes les discordes nationales, mais par des comités restreints bipartites129. La seconde raison est liée aux conditions même du fonctionnement monétaire et budgétaire des États associés : ce sont, on le sait, les dépenses militaires françaises qui, pratiquement, garantissent la piastre ; sur un autre plan, ce sont les entreprises également françaises qui assurent l’essentiel de leurs rentrées fiscales. La tutelle française mérite donc encore quelque considération. Il reste que la dévaluation a libéré les aspirations des États à disposer de leur propre monnaie. Le plus net sur ce point a été le Cambodge, au nom duquel le président du Conseil Sim Var, protestant dans un discours du 17 mai 1953 contre le changement de parité monétaire, revendiqua explicitement pour le royaume, afin de « sortir de cette malheureuse situation », d’avoir « une monnaie nationale »130.
76L’année 1953 est ainsi marquée par un net élan des États associés vers plus d’indépendance, que l’élargissement du conflit à tous les pays d’Indochine encourage. Le Laos, au nord duquel le Viet Minh développe ses opérations militaires dans le courant de l’année, y voit la possibilité d’une meilleure protection internationale131. Le Cambodge, dynamisé par la « croisade pour l’indépendance » de son jeune roi, Norodom Sihanouk, qui s’exile en juin dans la Thaïlande voisine, puis dans la province de Battambang, dans l’ouest du royaume, arrache entre août et novembre 1953 de nouveaux transferts de souveraineté, en matière d’armée, de police et de justice132. Le gouvernement vietnamien de Nguyen Van Tam n’est pas le dernier à prendre date. Dans une déclaration prononcée en juin à l’occasion du premier anniversaire de son gouvernement, dans laquelle il réclame la pleine souveraineté pour le Vietnam, le chef du gouvernement en appelle notamment à une redéfinition des relations avec la France : « La fragilité et l’insuffisance des accords passés en 1949 et en 1950 apparaissent nettement, déclare-t-il. Si le principe de notre appartenance à l’Union française n’est pas remis en cause, il est clair que la constitution établie par la France en 1946 ne répond plus aux nécessités des nations appelées à y adhérer. Il faut reprendre cette question sur d’autres bases avec l’accord de tous les intéressés actuels, en tenant compte des réalités »133.
77La France paraît pour sa part saisie d’une sorte de syndrome indochinois. André Valls, conseiller financier du haut-commissariat de France en Indochine, commence d’ailleurs sur ce point son rapport pour l’année 1953134. Alors qu’auparavant la question indochinoise ne prenait de l’importance qu’à titre épisodique, observe-t-il, elle le fait à l’état permanent en 1953 : « l’importance particulière des débats qui se sont déroulés au Palais Bourbon et au Luxembourg [...], les réunions spéciales des conseils de cabinet ou des ministres [...], la part de plus en plus large faite par la presse à tout ce qui touche les États associés, les missions ou enquêtes des hautes personnalités qui se sont succédées en Indochine [...] trahissent certainement la lassitude et le désarroi de la France devant la complexité du problème indochinois, mais traduisent aussi l’importance primordiale qu’y attache désormais l’opinion publique et les efforts qui sont tentés pour sortir de l’impasse ».
78Le gouvernement français n’est plus hostile à l’évolution des États associés vers une indépendance réelle. Investi le 26 juin après cinq semaines de crise gouvernementale, le gouvernement Laniel se saisit presque immédiatement du dossier. Paul Reynaud, vice-président du Conseil, dispose en particulier depuis quelques jours d’un rapport de Claude Cheysson sur le sujet. Avant de détailler les mesures qu’il préconise, ce dernier en établit ainsi la perspective : « Que nous soyons obligés de continuer le combat ou qu’il soit possible, un jour, de traiter avec le Viet Minh, il convient tout d’abord de donner au Vietnam une indépendance éclatante et les moyens de sa lutte, afin d’alléger notre effort et de rendre apparents aux yeux de tous les nationalistes vietnamiens l’inutilité de la guerre pour l’indépendance, et le caractère communiste du commandement Viet Minh »135. Dès les premières semaines de juillet, la nouvelle équipe gouvernementale arrête son dispositif dans ce sens, qui était d’ailleurs celui préconisé par René Mayer. Par la déclaration gouvernementale du 3 juillet 1953136, la France s’engage à « parfaire l’indépendance » des États associés, et concrétise cette position en désignant un diplomate comme nouveau commissaire général, Maurice Dejean137. Diverses mesures viennent comme prévu simplifier l’organigramme gouvernemental en matière indochinoise, en particulier le rattachement des États associés à la présidence du Conseil et de la direction des Affaires militaires (DAM) au ministère de la Défense nationale et des Forces armées. La doctrine financière est définie en même temps par une note conjointe Cusin-Valls, centrée sur la défense des intérêts français en Indochine.
79Mais cette mise en forme et en décrets de l’héritage Mayer se réalise dans un contexte particulièrement difficile. Nouvelle crise de trésorerie, fort déficit des finances extérieures... Les députés votent les projets financiers du nouveau gouvernement, approuvant aujourd’hui ce qu’ils refusaient hier - « la chambre est folle », note simplement Auriol138. Le Comité de défense nationale du 24 juillet 1953, réuni à Paris pour examiner le plan Navarre, ne peut réunir le financement des demandes du commandant en chef. La situation est aussi fort préoccupante sur le plan social : la France est paralysée en août 1953 par une grève spontanée et générale de plusieurs millions de travailleurs qui, en quelques jours, paralyse tout le pays139. Cette situation inédite, outre qu’elle relativise les problèmes Indochinois, fragilise le pouvoir et impose de nouveaux arbitrages. C’est précisément au mois d’août 1953 que la France relance les pourparlers avec les États-Unis, afin d’obtenir une aide supplémentaire pour l’Indochine.
80Il faut dire qu’en 1953 l’intérêt américain pour l’Indochine était à peu près équivalent à celui de la France : pas moins de 65 missions s’y sont déplacées, en général pour quelques jours, dans les dix premiers mois de l’année, soit entre une et deux par semaine140. À travers elles, 225 personnalités américaines, surtout militaires, s’attacheront à comprendre la situation, à évaluer le rapport des forces, à suggérer aussi la puissance des États- Unis. Depuis les chefs de la flotte du Pacifique ou des troupes de l’ONU en Corée, l’amiral Radford et le général Clark, jusqu’au vice-président Richard Nixon, en passant par de nombreux officiers supérieurs et membres du Congrès, les États-Unis assureront ainsi une présence de plus en plus visible sur le terrain tout en étant sûr de ne pas être à cours d’« expertise » sur la question.
81Les dernières positions françaises dans la négociation franco-américaine - la « chasse gardée » des États associés - tombent en août 1953, après un dernier « bras de fer » au sein même du gouvernement. Le différent portait sur 150 milliards de francs, nécessaires au financement des armées nationales : le secrétaire d’État aux États associés, Marc Jacquet, préférait recourir à l’émission monétaire plutôt que d’en appeler à nouveau aux États- Unis, et suggéra l’ouverture d’un compte spécial dans une lettre au président du Conseil, dont il sollicitait l’arbitrage141 ; le ministre des Finances, Edgar Faure, imposa l’avis inverse. La veille du Conseil des ministres du 19 août 1953, qui devait examiner les crédits des États associés, la France demanda officiellement aux États-Unis « que le gouvernement français soit déchargé en 1954 de toutes ses responsabilités d’aide financière aux États associés »142.
82Cette notification constitue un important tournant, qui entraîne l’aide américaine vers des cimes jamais atteintes. Dès le 10 septembre suivant, le National Security Council autorisait une nouvelle aide à la France, portant sur un montant de 385 millions de dollars143 à l’intention des États associés, qu’un échange de lettres rendra officielle le 29 septembre 1953144. La subvention française aux États associés est ainsi, désormais, entièrement couverte par l’aide américaine ; mais celle-ci continue de transiter par la France, en l’occurrence à travers un « compte d’affectation spéciale » pour l’assistance militaire aux États associés, nouvellement créé. Le coût de la guerre pour la France en diminuait d’autant...
83Avec désormais une aide totale de 785 millions de dollars pour 1954145, soit 275 milliards de francs, les États-Unis se trouvaient potentiellement engagés dans le financement du conflit à hauteur de 78 %, une situation sans précédent. La France réalise bien sûr, pour sa part une économie équivalente, concrétisée par la « débudgétisation » de l’aide aux États associés146, mais trouve aussi dans ce mécanisme un moyen d’équilibrer sa balance des paiements, les dollars en question étant versés à la France avant que celle-ci n’en crédite les États associés. Par contre, contrairement à ce qui avait été espéré, les procédures de vérification de l’emploi de l’aide américaine, négociée dans l’hiver 1953-1954 et consignée dans le mémorandum du 1er mars 1954147, étaient plus contraignantes que jamais. Il ne s’agissait plus en particulier d’avances : toutes les dépenses devaient avoir été réalisées avant d’être remboursées. Les conditions d’exercice du financement de la guerre s’en trouvaient modifiées.
84Dans le camp Viet Minh, le changement de parité de la piastre et le recours croissant à l’aide américaine constituaient autant d’encouragement à rechercher des garanties dans le camp sino-soviétique. La dévaluation de la piastre, tout d’abord, n’avait bien sûr pu faire l’affaire du Trésor de la RDV, dont l’encaisse en billets BIC et de l’Institut d’émission avait fondu du même coup de 40 % - rien n’indique cependant dans les sources consultées que cet aspect des choses ait fait partie du calcul français. Mais le fait est là, d’autant plus inquiétant pour le Viet Minh que le rapport de change entre la piastre et le dông s’était maintenu malgré la dévaluation : la piastre BIC valait encore, dans le Sud, entre 50 et 100 « piastres HCM ». Prenant l’initiative, le Comité exécutif du Nam Bo décida fin juin de réévaluer sa monnaie, portant sa valeur officielle de 50 à 36 pour une piastre de l’Institut d’émission148.
85Le sentiment d’appartenance au camp communiste paraît renforcé. Dans un stage sur la « lutte monétaire » organisée en juillet 1953 près de Can Tho pour environ 200 « élèves », la volonté de se rattacher au « camp » paraît évidente, même s’il faut aussi y voir un travail de propagande destiné, à nouveau, à donner confiance dans la monnaie de la Résistance149. Parmi les cinq points étudiés, deux retiennent l’attention : la « diffusion de la piastre Ho Chi Minh, [qui] a cours dans tous les pays de l’Union communiste mondiale » ; et l’« intervention prochaine de la Russie et de la Chine communiste sur le front du Tonkin [...], ce qui va permettre à la monnaie de la Résitance d’être bien stabilisée, tandis que les coupures BIC n’auront plus cours ».
86En promulguant, le 19 décembre 1953, une loi sur la réforme agraire, la RDV poursuit dans ce sens150. Réforme d’inspiration idéologique ou répondant à des nécessités pratiques ? En pensant à la réforme agraire soviétique, qui avait parmi ses objectifs de financer l’industrialisation, il est tentant d’imaginer une réforme agraire vietnamienne dont la raison aurait été de financer la guerre. Mais rien ne permet vraiment de le dire : un meilleur rendement de l’impôt agricole, une mobilisation des ressources plus efficace, les chefs de guerre du Viet Minh ont bien dû y songer. Mais en tout état de cause, la mise en place de cette politique agraire permet à la RDV de mieux enraciner sa résistance dans la réalité du « camp socialiste », plutôt d’ailleurs du côté chinois que du côté soviétique.
B. ÉCHEC AU PLAN NAVARRE
87La fin de la guerre d’Indochine illustre le décalage qui s’est progressivement installé entre ceux qui gèrent la guerre et ceux qui la conduisent. Budgétaires et militaires français vivaient-ils encore sur la même planète ? Les premiers peuvent se frotter les mains : grâce à la « mise hors-budget » du financement des armées nationales, jusque-là assuré par une subvention très officiellement inscrite dans les comptes de la nation, le poste des Forces terrestres en Indochine accusait un appréciable repli d’environ 17 %. « En définitive, peut-on lire dans une brochure du Budget, c’est la relève d’une partie de l’effort militaire français par une aide accrue des États-Unis qui constitue le trait dominant du budget de 1954. »151En principe adossés à une aide américaine plus importante que jamais, les militaires du corps expéditionnaire doivent quant à eux continuer à jouer leur rôle sur le terrain, avec des moyens mesurés et alors que l’adversaire donne au contraire des signes manifestes de montée en puissance. Le général Navarre, examinant rétrospectivement les conditions dans lesquelles il avait pris son poste en 1953, stigmatisera « la prééminence systématique donnée au côté financier des problèmes, au mépris de considérations plus importantes »152.
88Le plan proposé par le général Navarre en juillet 1953, après quelques semaines passées sur place à évaluer la situation et les besoins, supposait justement un nouvel effort financier du gouvernement français. L’objectif, qui devait être atteint en deux ans, soit pour la fin de 1955, était de faire pencher suffisamment la balance des forces du côté franco-vietnamien pour que, d’une part, le rapatriement du corps expéditionnaire s’amorce et que, d’autre part, le relais puisse être passé durablement aux armées nationales. Pour ce faire, Navarre se proposait en particulier de restructurer le corps expéditionnaire pour qu’il retrouve sa mobilité : en bref, « constituer un corps de bataille rassemblant les éléments mobiles [...] susceptibles de s’attaquer au corps de bataille adverse, tandis que la défense en surface serait confiée en priorité aux forces des États associés »153. L’ensemble des forces engagées - « corps de bataille » et « défense en surface » - devait passer de 465 000 hommes en novembre 1953 à 530 000 hommes en mai 1955 : cet effort reposait essentiellement sur le développement des armées nationales mais, le développement de celles-ci étant trop lent, Navarre avait en attendant besoin de renforts.
89L’été 1953 n’était il est vrai, on l’a vu, pas le meilleur moment pour solliciter du gouvernement de nouveaux engagements financiers. Avant qu’il ne lui fût soumis, le plan Navarre avait d’ailleurs été passé au crible par le comité des chefs d’État-Major, qui avait donné son aval moyennant une réduction des demandes de renforts. Convoqué au Comité de défense nationale du 24 juillet 1953, le commandant en chef demanda une définition des buts français dans le conflit, la « mise dans la guerre » des États associés et avertit que son plan n’était seulement valable que « dans la mesure où l’aide chinoise au Viet Minh restait dans l’ordre de grandeur actuel »154. La discussion, semble-t-il confuse, ne déboucha sur aucune décision précise : « le principe d’envoi de quelques renforts fut admis mais leur volume ne fut pas défini », indique Navarre. Surtout, « le ministre des Finances fit toutes réserves sur les possibilités financières et indiqua que, seul, le recours à l’Amérique permettrait de régler la question. Il me fut demandé de chercher à établir un plan de rechange plus économique en effectifs et en moyens financiers, quitte à consentir certains abandons ». Navarre avait deux à trois semaines pour reprendre son plan, pendant que la nouvelle négociation serait entreprise avec les États-Unis.
90Le ministre des Finances Edgar Faure paraît avoir joué un rôle déterminant lors du Comité de défense nationale du 24 juillet. Intervenant parmi d’autres après l’exposé du général Navarre, il rappelle que le budget de l’Indochine avait été fixé « dans le bleu » à 375 milliards pour 1953 et qu’en tout état de cause, ce chiffre doit être révisé à la baisse. Dans ces conditions, les nouveaux besoins, chiffrés à plus de 100 milliards, ne sauraient être acceptés sans risques : « Il souligne, note le procès-verbal, que dans ces conditions il n’y a pas de possibilité de suivre une politique économique et financière saine ». La solution ne peut passer, pour lui, que par une aide américaine accrue ou une modification de la politique militaire générale. « Nous allons, prévient-il, vers une crise économique, financière et sociale en octobre » - elle viendra en août. Il ne le dit pas dans ces termes mais cela revient au même : il faut se débarrasser de l’Indochine. « Il constate qu’il n’y a pas prise de conscience de la Nation devant le problème Indochinois. Alors comment faire ? Faut-il s’accommoder d’une débâcle économique et financière ? » Il demande donc à Navarre de prévoir un plan de rechange, « moins onéreux ». Soutenu par le ministre de la Défense, René Pleven, convaincu comme lui « que l’on ne peut parler Défense nationale sans parler de finances », il devra cependant intervenir à plusieurs reprises pour imposer son idée de plan de rechange, mais il y arrivera155. Il imposera par la suite un plafond de 242 milliards aux crédits militaires d’Indochine afin d’obliger le gouvernement à demander une aide plus élevée qu’auparavant aux États-Unis.
91La hiérarchie militaire ne vint guère au secours du plan Navarre. Le général soumit au gouvernement, à la fin du mois d’août, dans une « note sur les incidences militaires de la politique de financement de la guerre d’Indochine », un plan retaillé comprenant le chiffrage « des moyens minimums indispensables ». Une longue discussion s’engagea avec le gouvernement sur « la valeur des moyens » en question, pendant que la négociation se poursuivait avec Washington. Finalement, le Comité de défense nationale du 13 novembre 1953 demanda au commandant en chef « d’ajuster ses plans aux moyens mis à sa disposition ». Le Comité considérait en effet « qu’un nouvel accroissement des moyens militaires de l’Union française, mis à la disposition du théâtre d’opération d’Indochine, ne pourrait être obtenu qu’au prix d’un affaiblissement excessif de nos forces en Europe et en Afrique du Nord, et que les inconvénients qui en résulteraient seraient plus graves pour la situation de la France dans le monde que ne seraient avantageux pour elle les résultats à attendre de l’envoi de nouveaux effectifs en Extrême-Orient »156. Mais Navarre ne semble avoir reçu le courrier l’informant de ces dispositions qu’après avoir fait occuper Dien Bien Phu par les parachutistes du général Gilles.
92La contrainte financière était brutale. Ce n’était certes pas la première fois que le gouvernement taillait à la hache dans un plan de campagne mais, cette fois, le contraste entre l’ampleur des coupes et l’importance des enjeux apparaît rétrospectivement saisissant. Les instructions que le secrétaire d’Etat aux États associés était chargé de confirmer au commandant en chef par le même Comité de défense nationale étaient en effet les suivantes : d’une part, « l’objectif de notre action en Indochine est d’amener l’adversaire à reconnaître qu’il est dans l’impossibilité de remporter une décision militaire » ; d’autre part, « il importe de favoriser au maximum le développement des armées nationales ». Mais la mission envoyée en Indochine en novembre et décembre 1953 par l’état-major des armées conclura son rapport par ces termes : « Seules les questions financières, étroitesse du budget, blocage des crédits, incertitudes sur les crédits provisionnels du début d’année et sur le fonctionnement d’un compte spécial pour le budget des États associés, sont des motifs de sérieuses inquiétudes »157.
93Sans doute l’aide américaine était-elle plus forte que jamais, mais ses modalités ne destinaient la nouvelle tranche de 385 millions de dollars qu’aux armées nationales. Il y avait là de quoi retourner le couteau dans la plaie du nouveau commandant en chef, qui considère en effet que « ce fut [...] pour des raisons pécuniaires sordides que le gouvernement français demanda aux USA de prendre complètement en charge l’aide aux armées associées », le privant en outre du principal levier dont il disposait sur place158. Rappelons que la campagne 1953-1954 de Navarre prévoyait deux grandes séries d’opérations, toutes deux centrées sur la protection des États associés et le développement des armées nationales : d’une part la défense du Laos, pour laquelle le choix du commandant en chef s’était donc porté sur Dien Bien Phu, site annoncé d’une bataille entre troupes régulières des deux camps ; d’autre part l’ouverture au Vietnam associé de nouveaux espaces de responsabilités dans le Centre Vietnam méridional, où l’opération Atlante devait refouler les forces Viet Minh de la Ve zone, qui tenaient la région depuis 1945.
94Tout a été dit sur Dien Bien Phu. La confiance des responsables français dans la conception du camp retranché, un « super-Nasan », du nom d’un terrain d’aviation transformé en forteresse l’année précédente, non loin de Son La, selon la formule d’un « hérisson » sur lequel viennent s’écraser les offensives ennemies. La confiance de tous, du soldat au ministre, dans l’issue de l’explication annoncée - « on va leur montrer », pouvait-on entendre un peu partout sur le site du camp retranché159. La discussion sur le site, justement, que pratiquement personne ne remet en cause, étant donné la sous-estimation générale des capacités de l’artillerie adverse. Le caractère de la bataille, qui aurait dû être importante, certes, mais pas à ce point stratégique. Les erreurs du commandement français aussi, qui n’aurait pas su exploiter les quelques moments durant lesquels un repli était encore possible… L’offensive commencée le 13 mars 1954 a détruit en quelques heures toutes les illusions françaises : la piste aérienne neutralisée et les installations françaises à portée des canons Viet Minh, tous les principes sur lesquels reposait la « base aéroterrestre » volaient en éclats. 55 jours et deux offensives plus tard, la place était prise.
95On sait assez bien aujourd’hui pourquoi le rapport des forces n’était pas favorable aux Français. Du côté Viet Minh, dans la perspective de la négociation de Genève, tout avait été mis en œuvre pour l’emporter, pour apporter sur place de quoi soutenir un siège, pour disposer d’une artillerie aussi puissante sinon plus que celle de l’adversaire. Vo Nguyen Giap avait décrété la mobilisation générale ; vélos et camions, en un constant va et vient depuis l’autre bout du Tonkin, créaient une ligne continue de ravitaillement. L’aide chinoise s’y ajoutait, toujours plus forte, selon le constat des services de renseignement français, qui comptaient par dizaines, voire centaines de milliers les obus de tous calibres franchissant la frontière, jusqu’à un régiment entier de DCA à 64 pièces comprenant une forte proportion de servants chinois. On sait aussi le génie du général Giap, qui avait changé in extremis la date de l’attaque sur le camp retranché pour mieux exploiter, en particulier, les possibilités tactiques de son artillerie160.
96Du côté français, 12 000 hommes s’étaient solidement installés dans la cuvette grâce à un véritable pont aérien, avec piste et artillerie lourde mais aussi avec un handicap : ils se trouvaient en pays ennemi, loin de leurs bases, et ne pouvaient compter que sur l’aviation pour tenir. Or précisément celle-ci n’était pas si pléthorique que cela : tous les appareils disponibles devaient être engagés pour le ravitaillement et la défense du site ; opérant loin de leurs bases, ils ne pouvaient intervenir que de brefs instants sur place, et encore seulement si la météo le permettait. L’aide américaine, co-substantielle au corps expéditionnaire, ne fut cependant pas accrue pour l’occasion, au contraire peut-être. Après la bataille, le général Navarre se plaindra d’importants retards de livraisons en matériels militaires161. Pour autant, il ne semble pas que ce soit le matériel qui ait manqué à Dien Bien Phu - les Américains ont par exemple fourni des parachutes lorsque ceux-ci faisaient défaut - mais plutôt les moyens de l’acheminer.
97Les États-Unis pouvaient-ils intervenir ? En 1954, ils fournissent les armes, financent partiellement le corps expéditionnaire et presque totalement les armées nationales. Ils ont obtenu un plan opérationnel pour circonvenir le danger communiste en deux ans - le plan Navarre. Ils exercent sur toutes les dépenses qu’ils financent un contrôle tatillon. Ils tiennent en fait les Français dans leur main. Mais pendant que se joue le sort de Dien Bien Phu, rien ne paraît plus fonctionner entre Paris et Washington. Du côté français, c’est presque naturellement que l’on se tourne vers l’Amérique pour sortir du guêpier, comme on le fait depuis des années : les demandes portent cette fois sur des bombardiers, non sur des millions de dollars, mais il ne peut s’agir que d’une différence de niveau, pas de nature. Du côté américain, par contre, il semble qu’on ne « joue » plus. A-t-on à Washington le sentiment d’avoir été abusé, d’avoir cru à tort que le plan Navarre pouvait réussir, alors que les Français s’embourbaient sur le terrain ? « Nous assistons en ce moment à l’effondrement ou à la disparition de la France en tant que grande puissance », aurait alors dit le secrétaire d’État Dulles162. L’ambassadeur Henri Bonnet observe pour sa part, en juin 1954, un retour dans la presse de Washington d’un anticolonialisme américain « nettement inspiré par le Département d’État »163.
98En elle-même, la non-intervention américaine à Dien Bien Phu a un caractère essentiellement politique. Poussé par plusieurs dirigeants civils et militaires américains, l’amiral Radford en particulier, le vice-président Nixon également, un plan d’intervention, on le sait, existait : l’opération aérienne Vautour, impliquant en particulier une aviation embarquée. Le 5 avril, une demande d’intervention du gouvernement français est transmise à Washington par l’ambassadeur Dillon, dûment chapitré la veille au soir à Matignon, en conseil restreint, sur les « preuves » de l’intervention chinoise dans la bataille164. Dans un télégramme du 7 avril, Dulles répond qu’il n’est pas « possible que les États-Unis commettent des actes de belligérance en Indochine sans une entente politique complète avec la France et d’autres pays »165. Une telle entente étant irréalisable à court terme, cela revenait à un refus. Une seconde démarche est effectuée le 23 avril auprès de Dulles par Bidault, en vain166. La décision des États-Unis revêtait sans nul doute une signification historique plus profonde que l’acceptation ou le refus d’une seule opération militaire, fut-elle complexe, risquée ou hors norme. Pour les dirigeants américains, et en particulier pour le président Eisenhower, qui prit la décision finale, la France impériale pouvait sembler finie.
99Dien Bien Phu ne fut bien sûr pas seulement un tournant pour la perception américaine de la puissance française. Après l’échec militaire et le piétinement de la négociation de Genève, une nouvelle crise politique amena au pouvoir l’homme qui depuis près de quatre ans réclamait un vrai désengagement, et notamment pour des raisons financières : Pierre Mendès France.
C. ÉCHEC AUX ÉTATS ASSOCIÉS
100Pendant que se préparait et se déroulait l’explication de Dien Bien Phu entre le corps expéditionnaire et les troupes régulières du Viet Minh, une autre bataille, diplomatique celle-là, opposait la France aux États associés du Cambodge, du Laos et du Vietnam. Il n’est pas sûr, au point où en étaient les choses, que cette bataille-là fut moins importante que l’autre. Depuis la déclaration du 3 juillet 1953 en effet, par laquelle le gouvernement français s’était engagé à « parfaire l’indépendance des États associés », l’effervescence nationaliste s’était propagée à toute l’Indochine. Ce qui était en cause n’était pas tant l’influence de la métropole - encore que l’incantation anti-française devenait quasiment rituelle au Cambodge et dans le Vietnam associé - que les modalités de celle-ci, en particulier les dispositifs d’union douanière et monétaire relevant du système de Pau.
101Il convient de bien situer la revendication d’indépendance des États associés. Dépendant du corps expéditionnaire pour leur sécurité, voire pour leur existence même, les États ne semblaient pas rechercher la rupture avec la France. A la fin de 1953, 742 Français travaillent d’ailleurs encore pour leur compte, soit qu’ils aient été détachés - environ 36 % - soit qu’ils aient été recrutés localement : 79 % d’entre eux peuplent l’administration du Vietnam associé, surtout des recrutés locaux ; 13 % sont au Cambodge et 8 % au Laos, plutôt des cadres métropolitains dans les deux cas167. Les Etats par contre, tout au moins le Cambodge et le Vietnam, affichaient on le sait l’objectif de couper tout lien fédéral entre eux, en particulier sur les plans économique et monétaire.
Carte 6. L’Indochine en 1954
Source : Le Monde.
102D’importantes négociations bilatérales avaient suivi en 1953 la déclaration de juillet, sans pour autant résoudre le problème monétaire. Le cas le plus simple fut celui du Laos, avec qui fut signé un traité d’amitié et d’association le 22 octobre 1953 : l’article 1 stipulait l’indépendance du royaume, l’article 2 précisait son appartenance à l’Union française, et le président Auriol remit au roi Sisavang Vong un vieux sceau du Laos en or, pesant cinq kilos168. La situation s’avéra plus complexe avec le Cambodge, même si tous les pouvoirs autres que monétaires lui ont été transférés dans le courant de l’année 1953 : la question militaire, dernière pierre d’achoppement, fut résolue par la convention bilatérale du 17 octobre 1953, qui permettait au commandement français de conserver sa liberté de manœuvre à l’est du Mékong. Quant au Vietnam associé, ses relations avec Paris étaient dans l’impasse : en effet, comme le précise une note française, « avec le recul du temps et pour paradoxal que cela puisse paraître, la déclaration du 3 juillet 1953 devait prendre au dépourvu le gouvernement vietnamien et, en particulier, SM Bao Dai »169. Ce dernier parut vite un peu dépassé par les sentiments anti-français que la déclaration gouvernementale avait réveillés, et qui s’exprimèrent avec force au Congrès national vietnamien convoqué en octobre 1953 à Saigon, dont une motion rejeta, avant d’être reprise, la participation du Vietnam à l’Union française170.
103La rupture officielle de l’union monétaire est cependant venue du Cambodge, à l’occasion du Haut Conseil de l’Union française réuni en novembre 1953 autour du président Auriol. Une note préparatoire à la rencontre avait situé la nature très particulière du problème monétaire local et estimé qu’il n’y avait pour les États associés pas d’autre choix qu’entre l’indépendance monétaire totale et l’Union monétaire171. Mais rien n’y fit : le Haut Conseil se sépara sur le constat de « la volonté exprimée par le Cambodge de mettre fin aux Accords sur lesquels était fondée l’Union économique, monétaire et douanière »172. La révision des conventions en vigueur et la convocation d’une nouvelle « conférence économique et financière des quatre États » s’imposaient donc.
104Cambodge, Laos, Vietnam associé... En attendant la réunion d’une nouvelle conférence quadripartite, il restait à ce dernier pays une négociation bilatérale à mener, que le jeu des surenchères nationalistes avait conduit à reporter mais qui serait sans doute la plus importante des trois. Début 1954, nombre de services devaient encore être transférés au Vietnam : la justice, les ports de Saigon et Haiphong, les phares et balises, l’énergie électrique, l’aéronautique civile, le service météorologique... Le 7 février 1954, un éditorial de Radio-Dalat alla plus loin, exprimant le sentiment de l’entourage de Bao Dai173 : saluant d’abord l’importance des problèmes économiques et financiers, il émit l’idée que « dans le monde d’aujourd’hui, la monnaie est essentiellement un fait national », « un instrument de la politique des nations », « un droit régalien ». Dans ces conditions, « la nationalisation de la piastre semble donc devoir constituer une évolution inévitable, sans que cette réforme entraîne une rupture entre la piastre et le franc ».
105La négociation entre la France et le Vietnam associé, officiellement ouverte au Quai d’Orsay le 8 avril 1954, alors que depuis près d’un mois le camp retranché de Dien Bien Phu se défend comme il peut contre l’autre Vietnam, dure environ huit semaines. La chute de Dien Bien Phu, le 7 mai 1954, et l’ouverture de la phase indochinoise de la conférence de Genève, le lendemain 8 mai, éclipsent évidemment quelque peu cette négociation économique et financière, ou du moins la relativisent. Sept séances ont déjà été réunies et le moral ne paraît cependant pas trop atteint : les pourparlers franco-vietnamiens semblent même « en bonne voie », selon une note du 13 mai174. Le texte des principaux traités était en fait pratiquement prêt. Les négociateurs abandonnent toutefois le ministère des Affaires étrangères pour le secrétariat d’État aux États associés et, huit séances plus tard, le 4 juin 1954, deux traités sont paraphés par les chefs de gouvernement, Joseph Laniel et Buu Loc : dans le premier, « la France reconnaît le Vietnam comme un État pleinement indépendant et souverain » ; le second est un traité d’association entre les deux pays175. Mieux vaut tard que jamais ?
106Notons que, même si le statut de la piastre n’est pas encore vraiment déterminé, la France accepte donc finalement, en 1954, cette indépendance dont le refus l’avait en 1946 poussée à la guerre. Elle le fait dans un document, quasiment oublié, qui va beaucoup plus loin que l’accord signé huit ans plus tôt par Ho Chi Minh et Jean Sainteny, pourtant considéré alors comme singulièrement audacieux. Malheureusement pour elle, le désastre militaire de Dien Bien Phu vient de lui signifier qu’elle n’avait pas choisi le bon interlocuteur... Dans la course de vitesse opposant le Vietnam associé à la RDV le premier étant piloté par la France - de plus en plus difficilement -, la seconde a pris une sérieuse option sur l’issue du conflit. Il ne reste plus alors aux Français qu’à « sauver les meubles ».
107La dissolution de l’Union monétaire, nous y reviendrons, sera l’un des principaux objets de la conférence quadripartite réunie à la fin de l’été à Paris, « dans le but de procéder à une révision des accords conclus à Pau en 1950 »176. La conférence de Paris, inaugurée à la fin août 1954, ne s’acheva que dans les derniers jours de décembre, après quatre mois qui n’étaient pas sans rappeler la durée de la conférence de Pau en 1950177. De ces négociations tatillonnes qui avaient en particulier pour fil conducteur, du côté français, le maintien du Vietnam associé dans la zone franc, mais se compliquaient de la perspective d’un lien financier bientôt direct entre Washington et les États, sortiront onze accords tournant le dos au quadripartisme de Pau et, ce faisant, à la prépondérance française en Indochine. Le principal d’entre eux, signé le 30 décembre 1954, mettait fin au privilège de l’Institut d’émission.
D. LA LIQUIDATION
108La guerre était donc finie. Mais on n’entendit guère de commentaire sur la portée de cette décolonisation, il est vrai particulièrement ratée. L’investiture de Pierre Mendès France à la présidence du Conseil, le 19 juin 1954, avait inauguré un dernier acte partiellement provisoire : cessez-le-feu, partition du Vietnam, retrait de la France aussi. Chez les fonctionnaires de la rue de Rivoli, métier oblige, on s’était intéressé aux « conséquences économiques et financières d’un cessez-le-feu en Indochine »178avant même que celui-ci n’intervienne. Devant l’afflux prévisible des transferts, une attitude libérale fut préconisée par le ministre des Finances Edgar Faure179. Mais la question du régime monétaire de l’Indochine, en particulier au Vietnam, où deux monnaies allaient coexister officiellement - la piastre « Ho Chi Minh » et celle de l’Institut d’émission180- posait des problèmes nouveaux, sur lesquels nous reviendrons.
109En France, les milieux intéressés étaient tellement préoccupés par le coût de la guerre que c’est à lui qu’ils semblent penser en priorité. Le cessez-le-feu à peine obtenu, le journal Le Monde n’ose pas trop avancer de chiffres, dans l’ignorance où il se trouve des projets du Viet Minh et de ceux du gouvernement français181. À tout le moins, précise-t-il, « la fin des combats permettra une économie de munitions et d’équipements évaluée dans les milieux autorisés à environ 30 milliards par an ». Cependant, indique le journal, le rapatriement du corps expéditionnaire, dont l’entretien est le plus onéreux, « ne paraît pas envisagé pour l’instant ». La direction du Budget se laisse aller à l’optimiste en préparant l’exercice 1955 : « en ce qui concerne les budgets militaires, écrit son directeur, il me paraît tout d’abord raisonnable d’estimer que la fin des hostilités en Indochine doit apporter au Trésor français un allégement de charges au moins égal à la cessation des dépenses d’ordre purement opérationnel et des dépenses des travaux d’infrastructure, qu’il n’y a aucune raison de ne pas remettre à la charge des États associés. Le montant de telles économies a été chiffré par mes services à 60 milliards »182. Il semble plus généralement que, pour le ministère des Finances, un peu comme en 1952 mais de manière cette fois plus fondée, l’Indochine soit vraiment le seul chapitre budgétaire sur lequel il soit possible de faire des économies.
110Restait aussi la question de l’aide américaine, même si les relations entre Paris et Washington n’étaient plus vraiment ce qu’elles étaient quelques mois plus tôt. On se souvient que cette aide avait été portée au niveau sans précédent de 785 millions de dollars (275 milliards de francs), mais elle n’a pu être totalement consommée en raison du cessez-le-feu : la procédure adoptée prévoyait en effet des versements américains non par avances mais par remboursements, une fois l’aide ou les matériels arrivés à destination. Or, d’une part, la France n’a pas, à la date de l’arrêt des hostilités, épuisé tout son crédit ; tous les remboursements, d’autre part, n’ont pas encore été effectués - accessoirement, des matériels militaires déjà commandés n’ont plus aucune chance d’être acheminés sur place en raison même des conditions du cessez-le-feu, qui interdit aux belligérants d’introduire sur le théâtre de nouveaux équipements militaires. Plusieurs dizaines de milliards de francs étaient en jeu, mais le chiffrage lui-même du montant de l’aide encore à percevoir apparaît délicat. Le bilan du compte d’affectation spéciale « 15-50 », par exemple, destiné à l’assistance militaire aux États associés d’Indochine et alimenté par l’aide américaine de 385 millions de dollars (135 milliards de francs), montre qu’en août 1954, la ligne de crédit a été épuisée à 87 %, mais que 70 % de l’aide a seulement été versée183. Considérée globalement, c’est-à-dire en ajoutant aux 385 millions de dollars les 400 préalablement obtenus, et selon cette fois le cabinet d’Edgar Faure, 540 millions de dollars sur les 785 du total restaient encore à percevoir en octobre 1954, soit près de 70 % du total184. Une autre source suggère qu’en novembre de la même année, quelque 60 % de l’aide américaine restaient à recouvrer185.
111Les négociations franco-américaines ne pouvaient plus porter que sur une liquidation. Alors que les pourparlers de Genève n’avaient pas encore abouti, le 13 juillet 1954, Stassen rencontre Edgar Faure à Paris et évoque devant lui la possibilité d’un « forfait » de 100 millions de dollars - environ 35 milliards de francs, ce que le ministre français trouve très insuffisant. De nouveaux entretiens se déroulent à Washington du 27 au 29 septembre 1954, trois semaines après la signature du pacte de Manille instituant l’OTASE, entre W. Bedell Smith d’une part et Guy La Chambre et Edgar Faure de l’autre, tous deux à la recherche d’une réduction budgétaire ne pouvant « inéluctablement » porter que « sur les dépenses d’Indochine »186- de ce côté-là, rien n’avait changé. Comparant les besoins du corps expéditionnaire et les possibilités françaises, le ministre des Finances demande entre 115 et 140 millions de dollars à ses interlocuteurs.
112Une ultime étape du désengagement français est franchie lors de ces conversations franco-américaines de septembre 1954. Le communiqué final indique que « les Etats-Unis considéreront la question d’une contribution financière au corps expéditionnaire, s’ajoutant à l’aide accordée à chacun des trois États associés pour ses forces armées » ; mais il précise surtout que, désormais, « l’assistance économique, l’aide budgétaire et les autres formes d’aide seront accordées directement par la France et les États-Unis à chacun des États »187. Si cette dernière disposition est ordinaire pour la France, elle l’est beaucoup moins pour les États-Unis : on sait que les 385 millions de dollars obtenus en septembre 1953 pour les États associés transitaient toujours par un compte français. Désormais, l’aide américaine pourra être versée directement par les États-Unis aux États associés. « Le gouvernement français se rallie à l’idée d’un octroi direct à chacun des trois États » de l’aide budgétaire aux armées nationales, a déclaré Edgar Faure au cours des entretiens, soulignant néanmoins « le sacrifice que cette décision représente pour la France, à la fois sur le plan financier, par la perte des rentrées de devises, que sur le plan psychologique »188. Ce nouveau régime, qui prive également désormais la France de tout contrôle sur les États associés, mais s’inscrit dans la logique des accords précédents, devait entrer en vigueur le 1er janvier 1955.
113Jusqu’au dernier moment, le gouvernement français essaie de rentrer dans ses fonds. Avant de rencontrer à nouveau Edgar Faure en décembre à Paris, Stassen fit savoir à l’ambassadeur Bonnet que, finalement, Washington verserait l’intégralité de l’aide prévue, malgré l’armistice, à l’exception des remboursements de matériels non expédiés189. Pour autant, rien ne se produit pendant plusieurs mois. Il faudra attendre que Nacivet, venu à la tête du SGCI, suggère en mars 1955 d’en revenir à la proposition de Stassen de juillet 1954, portant sur 100 millions de dollars190. Le mois suivant, l’échange de lettres du 29 avril 1955 entre le ministre des Finances Pierre Pflimlin et l’ambassadeur Dillon réglait le problème dans ce sens191.
114Les problèmes financiers générés par la guerre d’Indochine auront ainsi eu une durée de vie sensiblement plus longue que la guerre elle-même... Le constat de leur importance progressive, tout au long de neuf ans de conflit, invite maintenant à l’introspection : comment évaluer le coût de la guerre d’Indochine ?
Notes de bas de page
1 513 et 551 milliards de francs pour 1952 et 1953, compte non tenu d'une contribution vietnamienne de quelque 35 milliards. Direction des Services financiers et des Programmes. « Dépenses militaires supportées par la France au titre de l'Indochine », mai 1954. SHAT, 1 R 239. Voir annexe 22.
2 « Les crédits militaires pour l'Indochine » (1954), Rapport Bousch, de la commission des Finances du Conseil de la République, 25 mars 1954. Archives du Sénat et AEF Fonds Trésor, Β 33540. Voir annexe 24.
3 Rapport Pineau de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, janvier 1952. Archives de l'Assemblée nationale.
4 Rapport de la commission des Finances, janvier 1952. op. cit.
5 Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24.
6 Selon la formulation de Truong Chinh et de Ho Chi Minh.
7 Note du directeur des Affaires militaires pour le ministre chargé des Relations avec les États associés, 4 décembre 1952. SHAT, 2 R 65.
8 Rapport Valls 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43930.
9 Par exemple le journal méridional Cuu Quoc du 28 mai 1952. SHAT, 10 H 3997.
10 Document de la province de Gia Dinh, 2e Bureau, 10 août 1952. SHAT, 10 H 3994.
11 « Rapport sur la situation économique et financière du mois de mai 1952 (Nord et Centre Vietnam) », 5 juin 1952. Document saisi en juillet 1953. SHAT, 10 H 3990.
12 Renseignement du 20 janvier 1952. SHAT, 10 H 3992.
13 « Rapport mensuel au sujet de la lutte monétaire », décembre 1952, Banque nationale centrale du Vietnam, saisi à Baria en septembre 1953. SHAT, 10 H 3993.
14 Le mot « fantoche » désigne le régime de Bao Dai.
15 Renseignements de mars et de septembre 1952, pris au Nam Bo. SHAT, 10 H 3992. Instruction relative à la perception de l'impôt à Vinh Tra, 28 mai 1952. SHAT, 10 H 3993.
16 « Instruction relative à la perception de l'impôt à Vinh Tra », 28 mai 1952, op. cit.
17 Livraison du 29 février 1952. SHAT, 10 H 3992.
18 Communiqué du 13 décembre 1952. SHAT, 10 H 3992.
19 Renseignements du 20 mai et du 28 juin 1952. SHAT, 10 H 3992.
20 Renseignement du 23 mars 1953. SHAT, 10 H 3992.
21 Décret 53/NB 53 du 2 novembre 1953, document récupéré le 16 février 1954. SHAT, 10 H 3992.
22 Note du 20 décembre 1952 signée Savani, du 2e Bureau, au commandant en chef. SHAT, 10 H 3993.
23 Renseignement du 3 décembre 1952 concernant la zone Est. SHAT, 10 H 3996.
24 Renseignement du 13 février 1952. SHAT, 10 H 3992.
25 Arrêté du Comité régional de résistance du 17 décembre 1952. SHAT, 10 H 3996.
26 Ap Ngon Dua, près de Long My, les 7, 8 et 9 janvier 1953. SHAT, 10 H 3990.
27 Correspondance économique du 5 août 1953. AEF Fonds Trésor, Β 3355.
28 D'après le rapport Bousch de la commission des Finances du Conseil de la République, 25 mars 1954, consacré aux crédits militaires pour l'Indochine. Voir annexe 24.
29 Association, souvent présentée alors par ordre alphabétique, du Cambodge, de la France, du Laos et du Vietnam.
30 Décret du 28 décembre 1951. Voir aussi annexe 9.
31 Fascicule de présentation de l'Institut. AEF, Fonds Trésor, Β 33551.
32 Fascicule de présentation de l'Institut d'émission. op. cit.
33 Fiches sur l'évolution des armées nationales. SHAT, 14 H 72 et Note sur le budget du directeur des Affaires militaires au ministre chargé des Relations avec les États associés, 4 décembre 1952. SHAT, 2 R 65.
34 Sur le chiffre de 185 000, le nombre de Français proprement dit s'élevait à 50 000, formé essentiellement de personnels d'encadrement. Note sur le budget du directeur des Affaires militaires au ministre, op. cit.
35 Note sur le budget du directeur des Affaires militaires au ministre, op. cit.
36 Général Gras, Histoire de la guerre d'Indochine, Paris, 1979 et Rapport du général Nguyen Van Hinh sur le programme d'accroissement de l'armée nationale en 1953. Saigon, 20 décembre 1952, 15 p. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24.
37 Rapport Bousch du Conseil de la république sur les crédits militaires pour 1954. Voir annexe 24.
38 Rapport 1953 du conseiller financier à Saigon André Valls, AEF, Fonds Trésor, Β 43930.
39 Les pourcentages de répartition avaient été fixés comme suit : Vietnam 71 %, Cambodge 22 %, Laos 7 %.
40 André Valls, Rapport du conseiller financier pour l'année 1953, op. cit.
41 Lettre du gouvernement du Vietnam au haut-commissaire de France, datée du 28 avril 1953. Cité par André Valls, Rapport 1953, op. cit.
42 Note de la direction Asie-Océanie du 22 avril 1952. Archives diplomatiques, AO/IC/264.
43 Le « Mutual Security Act » modifiait lui-même le « Mutual Defense Assistance Act » depuis le 10 octobre. Tout pays désirant être bénéficiaire de l'aide américaine devait y adhérer avant le 8 janvier 1952.
44 L'expression est du journal Le Monde, 15 octobre 1952.
45 Les dirigeants français voulaient garder la suprématie, au sein de la CED projetée, sur l'armée allemande. Frédéric Bozo, La France et l'ΌΤΑΝ. De la guerre froide au nouvel ordre européen, Paris, 1991. André Fontaine, Histoire de la guerre froide II (1950-1963), Paris, 1967. Irwin M. Wall, L'influence américaine sur la politique française, 1945-1954, Paris, 1989.
46 Soit 115,5 milliards de francs.
47 Investi le 20 janvier 1952, après la censure de René Pleven, il cédera Matignon moins de deux mois plus tard, le 8 mars 1952, à Antoine Pinay.
48 Cité par la note de la direction Asie-Océanie du 22 avril 1952, op. cit.
49 Le Monde, 11 juin 1952.
50 Irwin M. Wall, L'influence américaine sur la vie politique française. 1945-1954, Paris 1989.
51 Irwin M. Wall, ibid.
52 « Note générale sur la politique française en Indochine », 21 juillet 1953. Non signée, du moins dans la version rencontrée, cette note figure en particulier, de manière significative, dans les papiers Cusin - AEF, 5 A 79 - et Mayer - 363 AP 31.
53 Télégramme daté de Washington, le 20 mai 1952. Archives diplomatiques, AO/1C/264.
54 « Note sur une aide éventuelle américaine supplémentaire en Indochine », 7 juin 1952. Archives diplomatiques, AO/IC/264.
55 Lettre de Pierre-Paul Schweitzer, conseiller financier à Washington, à Guillaume Guindey, directeur des Finances extérieures. Archives diplomatiques, AO/IC/264.
56 Note signée de Clermont-Tonnerre, citée par une autre note de la direction générale des Affaires économiques, du 28 juillet 1952, la relativisant largement. Les off shore ressortaient du « Plan Pleven », qui prévoyait, précise-t-elle, que les États-Unis s'engageraient à faire passer, en trois ans, des commandes de ce type pour un montant de 625 millions de dollars. Archives diplomatiques, AO/IC/264.
57 Détails de ces 425 millions de dollars : 330 reconduits, de Lisbonne (et non 500), 25 de Washington (au lieu de 150) et 70 de commandes offshore.
58 Le Monde, 26-27 octobre 1952.
59 Le 300e navire américain arrive au port de commerce de Saigon fin juin 1953. A cette date, 300 000 tonnes de matériel américain avaient été livrées depuis août 1950.
60 Georgette Elgey, La République des contradictions, 1951-1954, Paris, 1993.
61 L'Humanité du 22 juillet 1949. Information présente dans les papiers Mayer. Archives nationales, 363 AP 10.
62 Irwin M. Wall, L'influence américaine sur la politique française en Indochine. 1945-1954. op. cit.
63 Philip Williams, La vie politique sous la IVe République. Paris, 1971.
64 Note d'Alphand, du 31 janvier 1953. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 22.
65 Note du Secrétariat général permanent de la Défense nationale sur « L'aide financière des États-Unis à la France », 29 janvier 1953. Archives diplomatiques, AO/IC/265.
66 Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 22.
67 Il se réunit du 9 au 13 mars 1953 au ministère chargé des Relations avec les États associés, autour d'un questionnaire précis et volumineux apporté par la délégation américaine. AEF, Fonds Trésor, Β 43906. Voir aussi annexe 16.
68 « Projet de note sur une nouvelle orientation possible de l'aide américaine à la France », 8 mars 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43906.
69 Asie-Océanie, « Vues de Monsieur Letourneau », 31 janvier 1953. Archives diplomatiques, AO/IC/265.
70 Projet de note sur une nouvelle orientation possible de l'aide américaine, op. cit.
71 Note Asie-Océanie du 11 mars 1953. Archives diplomatiques, AO/IC/265.
72 Télégramme de Bonnet à Queuille de la part de Mayer, 26 mars 1953, Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 22.
73 Communiqué du 28 mars 1953. Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 22.
74 Dépêche du 26 août 1953.
75 Georgette Elgey ne mentionne pas, par exemple, la dévaluation de la piastre dans la seconde partie de son Histoire de la IVe République, La République des contradictions, 1951-1954 (Paris, réédition 1993), ni dans le chapitre concernant Mayer, ni dans celui sur l'Indochine.
76 Le Monde, 20 novembre 1952. Voir annexe 10.
77 Despuech est cité dans le rapport Mariant - administrateur civil de l'Office des changes envoyé en mission d'inspection en Indochine - du 21 février 1950. Dans un autre rapport, local celui-là, du Bureau technique de liaison et de coordination, relevant du haut-commissaire, il avait en effet été nommément accusé de corruption mais à tort selon Mariant. AEF, Fonds Trésor, Β 43917 et Β 43918.
78 Jacques Despuech, Le trafic des piastres, et Arthur Laurent, La Banque de l'Indochine et la piastre, Éd. Deux rives, Paris, 1953 et 1954.
79 Deux des principaux dirigeants de la Banque meurent subitement à l'automne 1952, le directeur général Jean Laurent, le 8 septembre 1952, à l'âge de 52 ans et, moins de deux mois plus tard, Paul Gannay, Inspecteur général de la Banque et ancien directeur de la succursale de Saigon, le 1e r novembre 1952, à 72 ans. Arthur Laurent laisse entendre dans son ouvrage que le premier aurait été assassiné ; Lucien Bodard, dans L'humiliation, se fera l'écho du curieux décès du second, « le crâne fracassé contre une baignoire ».
80 Reproduit par le « Bulletin d'informations économiques et financières » de l'attaché financier près l'ambassade de France en Suisse. AEF, Fonds Trésor, Β 43919.
81 Assemblée nationale, commission des Finances. « Rapport établi au nom de la sous-commission chargée de suivre et de contrôler d'une façon permanente l'emploi des crédits affectés à la Défense nationale sur la Mission d'information exécutée en Indochine du 19 janvier au 20 février ». Archives de l'Assemblée nationale. Archives nationales, Papiers Mayer, 363 AP 24 et SHAT, 2 R 34.
82 Note du 18 décembre 1952. AEF, Fonds Trésor, Β 43918.
83 Note pour le ministre, 19 mai 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919.
84 Olivier Feiertag, Wilfrid Baumgartner, les finances de l'État et l'économie de la nation (1902-1978), un grand commis à la croisée des pouvoirs. En particulier la IIIe partie : « Gouverner la Banque de France ». Thèse, Paris, 1993. A paraître au Comité pour l'histoire économique et financière de la France.
85 Cité par Georgette Elgey, op. cit
86 257 voix contre 221. Les Gaullistes se sont abstenus. Georgette Elgey, op. cit.
87 Irwin M. Wall, L'influence américaine sur la politique française en Indochine, op. cit.
88 Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24.
89 Cité par Norodom Sihanouk, Souvenirs doux et amers, Paris, 1981.
90 Décret du 23 février 1953 pour la publication des actes définissant les relations entre les États associés et la France au Journal Officiel. Ils n'avaient jusqu'alors été publiés que par la Documentation française.
91 Rapport Valls pour 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43930.
92 Note sur la « relève en Indochine » pour la présidence du Conseil, 25 février 1953. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24.
93 Papiers René Mayer, 363 AP 24.
94 Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24.
95 Note préalable au Conseil des ministres du 8 mai 1953 sur « le commandement d'Indochine ». Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24.
96 Mémorandum du 26 avril. Pour la négociation, Dulles et Stassen avaient rencontré Mayer, Bidault, Pleven et Bourgès-Maunoury.
97 Georgette Elgey, op. cit.
98 Procès-verbal de la conférence de Dalat, réunie le 18 mai 1953 et lors de laquelle Valls expose l'historique de la décision.
99 Décret n° 53-399. JO du 11 mai 1953.
100 Georgette Elgey, op. cit.
101 Télégramme du 9 mai 1953. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24.
102 Il est techniquement possible que ce second télégramme soit même arrivé avant le départ du premier. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24.
103 Télégramme du 15 mai à Dupraz. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24.
104 Télégramme du 15 mai à Mayer. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24.
105 Décrets n° 53-597 du 2 juillet et n° 53-618 du 10 juillet 1953. Attributions du président du Conseil et du secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil, chargé des Relations avec les États associés. SHAT, 1 R 239.
106 Décret n° 53-715 du 9 août 1953. Attributions du ministre de la Défense nationale et des Forces armées en ce qui concerne l'Indochine. SHAT, 1 R 239.
107 Voir annexe 13.
108 Procès-verbal de la conférence de Dalat, réunie le 18 mai 1953. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24.
109 Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24.
110 Procès-verbal de la conférence de Dalat, réunie le 18 mai 1953. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24.
111 Télégramme du 11 mai 1953. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24.
112 Son télégramme de protestation n'est parti de Hanoi qu'à 9 h 30 le 9 mai, à un moment où il avait pu avoir connaissance de la décision de dévaluation.
113 Télégramme du 11 mai 1953. Archives nationales, Papiers René Mayer, 363 AP 24. Voir aussi annexe 14.
114 AEF, Fonds Trésor, Β 43919.
115 Procès-verbal du conseil d'administration du 20 mai 1953. Archives de la Banque de l'Indochine et AEF, Fonds Trésor, Β 43919.
116 Journal d'Extrême-Orient du 12 mai 1953 et L'information d'Indochine du 31 décembre 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919.
117 Note de Roger Goetze pour le ministre, 19 mai 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43919.
118 Décret n° 53-588 du 25 juin 1953 portant modification du régime de rémunération des personnels militaires et civils français en service au Cambodge, au Laos et au Vietnam. JO du 27 juin 1953.
119 Le point 3 du télégramme annonçant la décision de dévaluation à Letourneau, daté du 8 mai, les énumère au titre des arguments à faire valoir auprès des États. Une note du 12 mai récapitule aussi « les résultats attendus de la dévaluation de la piastre ». AEF, Fonds Trésor, Β 43919.
120 Note au sujet des conséquences de la dévaluation de la piastre sur les rapports de la France avec les États associés et l'Institut d'émission. 22 mai 1953. AEF, Fonds Cusin, 5 A 79.
121 Extrait de presse du 24 novembre 1953, se référant au rapport Dorey, ce dernier étant membre du comité directeur du MRP. AEF, Fonds Cusin, 5 A 79.
122 Note « Économie budgétaire résultant de la dévaluation de la piastre ». AEF, Fonds Trésor, Β 43919.
123 Séance du mardi 27 octobre 1953. Extrait figurant dans les papiers du Trésor. AEF, Fonds Trésor, Β 43919.
124 Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 24.
125 Traduction ambassade de France à Washington, 22 octobre 1953. Archives MAE, AO/IC/265.
126 Cité par André Valls, Rapport 1953, op. cit.
127 Soit 10 milliards de francs. André Valls, Rapport 1953, op. cit.
128 Décret du gouvernement royal.
129 André Valls, Rapport 1953, op. cit
130 André Valls, Rapport 1953, op. cit.
131 La France évite cependant que le cas du Laos ne fût porté devant l'ONU.
132 André Valls, Rapport 1953, op. cit.
133 Le Monde, 9 juin 1953.
134 Sous le titre « Promotion de l'Indochine au premier rang des préoccupations françaises et internationales ». Rapports Valls pour l'année 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 43930.
135 Rapport confidentiel de Claude Cheysson du 20 juin 1953, cité par Jacques Marseille, reproduit en annexe à'Empire colonial et capitalisme français, Paris, 1986, et se trouvant dans les papiers Paul Reynaud (74 AP 35). Claude Cheysson terminera la période de la guerre détaché auprès de l'État associé du Vietnam.
136 Voir annexe 15.
137 Il était précédemment en poste à Tokyo.
138 Vincent Auriol, Journal du septennat, Paris, 1970.
139 Georgette Elgey, La république des contradictions, 1951-1954, Paris, 1993.
140 Direction des Services français de sécurité en Indochine, Fiches sur les personnalités militaires, les fonctionnaires, les personnalités civiles et les militaires américains de passage en Indochine, du 1e r janvier au 31 octobre 1953. SHAT, 10 H 154.
141 Lettre du 17 août 1953. Archives diplomatiques, AO/IC/265.
142 Mémorandum français du 18 août 1953, repris dans le mémorandum américain du 26 août 1953. SHAT, 2 R 65.
143 385 millions de dollars (135 milliards de francs) ou l'équivalent de cette somme en francs français. Correspondance économique, 11 septembre 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 33550.
144 AEF, Fonds Trésor, Β 33540. Voir annexe 17.
145 785 millions, soit 400 en avril et 385 en septembre.
146 Voir annexe 20.
147 Archives diplomatiques, AO/1C/266.
148 « La piastre Ho Chi Minh est réévaluée dans le Sud-Vietnam ». Bulletin quotidien d'outremer de l'AFP n° 2075, 2 juillet 1953. AEF, Fonds Trésor, Β 33551 et Fonds Cusin, 5 A 79.
149 Renseignement rédigé le 28 juillet 1953 par le Service français de sécurité au Sud-Vietnam, sous le titre « Répercussions de la dévaluation de la piastre. Réactions VM ». SHAT, 10 H 3991.
150 SHAT, 10 H 3996 ; Nguyen Van Vinh, Les réformes agraires au Vietnam, Louvain, 1961 et Politique économique et guerre de libération nationale, Études vietnamiennes, op. cit.
151 Ministère des Finances et des Affaires économiques et secrétariat d'État au Budget, Le budget de 1954, Fonds Goetze, Comité pour l'histoire économique et financière de la France. Note sur la section Forces terrestres d'Extrême-Orient du Budget du ministère de la Défense nationale pour l'exercice 1954. SHAT, 2 R 63 et 14 H 72.
152 Henri Navarre, Agonie de l'Indochine (1953-1954), Paris, 1956.
153 Selon les termes d'une fiche sur le plan Navarre, annexé au rapport de mission EMA en Indochine, 21 décembre 1953. SHAT, 2 R 64.
154 L'essentiel des données et références fournies ici provient du rapport Navarre lui-même, mais elles ne sont pas contredites par les autres sources. Exemplaire figurant dans le Fonds Mayer, Archives nationales, 363 AP 31.
155 Procès-verbal du Comité de défense nationale du 24 juillet 1953. Archives nationales, Fonds Pleven, 560 AP 43.
156 Procès-verbal du Comité de défense nationale du 13 novembre 1953, op. cit.
157 Rapport de mission EMA en Indochine, 21 décembre 1953. SHAT, 2 R 64.
158 Henri Navarre, Agonie de l'Indochine (1953-1954), op. cit.
159 Robert Guillain, Le Monde, 9-10 mai 1954.
160 Général Vo Nguyen Giap, Dien Bien Phu, Hanoi, 1994.
161 Télégramme de Navarre du 30 mai 1954. SHAT, 10 H 155.
162 FRUS 1952-54, volume XIII 1, Indochina, April, 23, 24 1954.
163 Télégramme de l'ambassadeur de France à Washington du 23 juin 1954. Archives diplomatiques, AO/IC/266.
164 Télégramme de Dillon à Dulles sur la demande d'appui aérien à Dien Bien Phu, 5 avril 1954. Les Dossiers du Pentagone, Paris, 1971.
165 Télégramme de Dulles interdisant l'intervention, 7 avril 1954. Les Dossiers du Pentagone, Paris, 1971.
166 Laurent Césari et Jacques de Follin. « Le projet Vautour en France : nécessité militaire, impossibilité politique », dans Denis Artaud et Lawrence Kaplan (éd.), Dien Bien Phu, Paris, 1989.
167 AEF, Fonds Trésor, Β 33550.
168 Ramené à la fin du siècle dernier par Auguste Pavie, il représentait un chameau agenouillé. AEF, Fonds Trésor, Β 33550.
169 Note sur la situation politique au Vietnam, du service des Affaires politiques et culturelles du secrétariat d'État aux États associés, 24 février 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 33550. Bao Dai s'était d'ailleurs ouvert dès le 27 août 1953 à Vincent Auriol de la gêne considérable que lui causait la déclaration française.
170 Le Monde des 17 et 18-19 octobre 1953.
171 Note sur La réalisation de l'indépendance financière des États du 19 novembre 1953, 12 pages. AEF, Fonds Cusin, 5 A 79 et SHAT, 2 R 63.
172 Texte final du 27 novembre 1953. AEF, Fonds Cusin, 5 A 80. Voir annexe 18.
173 « Les problèmes financier et monétaire », éditorial de Radio-Dalat, Vietnam-presse du 7 février 1952. Copie dans AEF, Fonds Trésor, Β 33550.
174 Note de Leduc du 13 mai 1954 « sur l'évolution des négociations franco-vietnamiennes en matière monétaire et commerciale ». Archives nationales, Fonds Mayer, 363 AP 31.
175 Le Monde des 14 mai et 5 juin 1954.
176 Lettre de convocation de Guy La Chambre, ministre des Relations avec les États associés, 18 août 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43911.
177 AEF, Fonds Trésor, Β 33551, Β 43 910 et Β 43911.
178 Note sur les conséquences économiques et financières d'un cessez-le-feu en Indochine, 28 mai 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 33551 et Fonds Cusin, 5 A 82.
179 AEF, Fonds Trésor, Β 33551.
180 Note sur les conséquences économiques et financières d'un cessez-le-feu, op. cit.
181 Le Monde, 22 juillet 1954.
182 AEF, Fonds Cusin, 1 A 389
183 D'après la consultation détaillée des relevés - manuscrits - du compte spécial du Trésor 15-50. AEF. Fonds Trésor, Β 43907.
184 Document préparatoire à une communication d'Edgar Faure à un Conseil des ministres de la fin octobre 1954. AEF, Fonds du cabinet E. Faure, 1 A 389.
185 Note de la direction générale des Affaires économiques et financières du ministère des Affaires étrangères, 6 novembre 1954. Archives diplomatiques, AO/IC/267.
186 Copie du télégramme d'Henri Bonnet du 29 septembre 1954. AEF, Fonds Trésor, Β 43906.
187 Copie du télégramme diplomatique reproduisant le communiqué final. AEF, Fonds Trésor, Β 43906.
188 Copie du télégramme d'Henri Bonnet du 29 septembre 1954, op. cit.
189 Information transmise le 25 novembre 1954. Note de la direction générale des Affaires économiques et financières, 3 décembre 1954. Archives diplomatiques, AO/IC/267.
190 Note de la direction générale des Affaires économiques et financières du ministère des Affaires étrangères, 18 mars 1955. Archives diplomatiques, AO/IC/267.
191 Les 100 millions de dollars se décomposant ainsi : 38 au compte spécial du Crédit national, 40 sous forme de produits agricoles ou agro-alimentaires en surplus et 22 par règlement direct en dollars au Trésor français. Échange de lettres du 29 avril 1955. Archives diplomatiques, AO/IC/267.
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