Chapitre II. L’inflation des coûts et la redistribution des cartes (1949-1951)
p. 69-117
Texte intégral
1Après trois années de relative stabilité, ou du moins de croissance contenue, les dépenses militaires en Indochine s’envolent entre 1949 et 1951 : 138,4 milliards de francs en 1949, 182 milliards en 1950, 322,3 milliards en 1951 — compte non tenu, pour cette dernière année, des premières livraisons de l’aide américaine... En francs constants, la « courbe plate » des premiers temps n’est plus qu’un souvenir : avec une poussée de 57 % en 1949 par rapport à l’année précédente, de 20 % en 1950 et, à nouveau, de 47 % en 1951, le coût de la guerre fait entrer celle-ci dans une nouvelle époque1. L’âpreté de la lutte sur le terrain, la modification de la situation internationale, la montée en puissance progressive du rapport des forces, tous ces facteurs se combinent pour remettre en cause les habitudes acquises.
2Les premiers revers militaires propulsent les questions financières sur le devant de la scène. Après le désastre de Cao Bang, en octobre 1950, faisant écho au commandant en chef en Indochine, le député Frédéric-Dupont suggère en séance que « des chipotages entre services financiers et services dépensiers » auraient pu en être partiellement responsables2. Le président du Conseil Pleven lui répliquera par une vigoureuse mise au point sur laquelle nous reviendrons. Montant à la tribune dans la même séance du 19 octobre 1950, Pierre Mendès France situera également le problème à ce niveau, présentant au passage une analyse que l’histoire ne démentira pas. Il n’y a, proclame-t-il, que deux solutions au drame indochinois. « La première consiste à réaliser nos objectifs en Indochine au moyen de la force militaire. Si nous la choisissons, évitons enfin les illusions et les mensonges pieux. Il nous faut pour obtenir rapidement des succès décisifs trois fois plus d’effectifs sur place et trois fois plus de crédits et il nous les faut très vite ». Mais, bien sûr, il y a l’énorme déficit budgétaire, « de 800 à 1 000 milliards de francs ». Alors il y a l’autre solution, qui « consiste à rechercher un accord politique, un accord, évidemment, avec ceux qui nous combattent »3.
3Mais aucune des deux solutions énoncées par Pierre Mendès France n’est en fait mise en œuvre. Face à l’accroissement des charges de la guerre, le gouvernement français s’engage dans une troisième voie, plus diplomatique, destiné à lui assurer le concours de nouveaux partenaires. Dans quelles conditions ce nouveau montage se met-il en place ?
I. UNE SITUATION NOUVELLE
4À partir de 1949, le conflit se durcit à différentes échelles. En Indochine même, sans parler du grave revers militaire de Cao Bang en 1950, la lutte se fait tenace, en particulier sur le plan économique. L’environnement régional est pour sa part en plein bouleversement, et avec lui les relations extérieures du Viet Minh : au sud de l’Indochine, l’indépendance est acquise pour l’Indonésie de Sukarno4, après plusieurs années d’affrontement armé avec les Pays-Bas, et la Chine bascule au nord dans le monde communiste. La France, qui signe le pacte Atlantique en avril 1949 et prend à ce titre de nouveaux engagements militaires, commence à se demander sérieusement comment elle va pouvoir continuer à financer cette guerre du bout du monde.
A. LA GUERRE ÉCONOMIQUE
5Les dirigeants du Viet Minh en étaient convaincus dès le départ, ceux de la France y viennent à leur tour : après quatre années d’insuccès et d’illusions, l’idée d’une guerre longue s’est imposée à tous, renforçant l’importance du front économique et financier. Un Comité de défense de l’économie indochinoise aurait été secrètement créé en décembre 1948 par le haut-commissaire Pignon afin de penser et d’encadrer les actions menées contre l’économie Viet Minh5. D’une manière générale, les vieilles pratiques demeurent, comme les destructions et sabotages divers dans les plantations d’hévéas6, mais le rapport des forces parait progressivement évoluer en faveur des Français : « la situation financière empire, surtout à partir de 1949 », précise l’historiographie de la Résistance7. Elle en rend responsable une occupation plus efficace du Vietnam par le corps expéditionnaire, au Nord comme au Sud, restreignant « les limites de la mise en circulation du dông, qui était refoulé vers les centres dirigeants de la Résistance du Viet Bac, de l’interzone V et de l’ouest du Nam Bo, et subissait une forte dévalorisation par suite du déséquilibre des échanges entre les deux zones [...]. S’ajoutaient à cela les faux billets introduits par l’ennemi pour désorganiser l’économie du pays ».
6La guerre monétaire s’était en effet enrichi de nouvelles pratiques : la fabrication de faux billets « Ho Chi Minh » par les Français et leur diffusion dans les zones contrôlées par le Viet Minh. L’impression de billets aurait été réalisée à Dalat et ceux-ci, partagés entre divers services « clients » (les principaux services de renseignements français d’Indochine) auraient été vendus aux intermédiaires chinois circulant entre deux zones8. Sans que l’on sache d’ailleurs vraiment quel service en était responsable - le général Revers stigmatisera la trop grande prolifération des services spéciaux français en Indochine9 —, cette initiative semble avoir quelque peu déstabilisé la monnaie adverse. Les autorités du Nam Bo, sur lesquelles les renseignements sont les plus nombreux, paraissent même franchement embarrassées. Dès le mois de mai 1949, les faux billets sont décrits par le président régional, Phan Van Bach, comme « une question très importante pour la Résistance [...], une question de vie ou de mort »10. Les mises en garde se succèdent les unes aux autres et de multiples communiqués expliquent comment distinguer la vraie monnaie de la fausse, appelant à la vigilance.
7Une certaine confusion s’en est suivie dans les zones Viet Minh, où la circulation monétaire n’était déjà pas simple. La pénurie de signes monétaires se fit sentir, entraînant parfois l’autorisation d’utiliser certaines coupures de la Banque de l’Indochine, comme les billets de 20, 10, 5 et 1 piastres en décembre 1949, au Nam Bo11. Dans la pratique, en vertu d’une décision plus ancienne, les coupures en question étaient revêtues d’un cachet officiel et coupées en deux. « Pour pouvoir répondre aux exigences de la population dans la zone indépendante », plusieurs provinces furent également autorisées à émettre de la monnaie ou, quand il n’y avait pas d’autres solutions, des « bons de Résistance » ou des « bons de confiance »12, en lieu et place du papier monnaie. Mais, officiellement, le Viet Minh continuait de faire belle figure. Une publication circulant dans le Nam Bo claironne début 1950 que « l’ennemi français craint la monnaie-papier du Vietnam » - c’est le titre d’un article consacré au sujet13. « Depuis quatre ans, peut-on y lire notamment, l’ennemi français a subi des revers politiques, militaires et économiques. Maintenant, au point de vue financier, il essuie également un échec. Il pousse de grands cris qui ne sont que les plaintes d’un agonisant ».
8En 1949 et 1950, parallèlement, une véritable « guerre du riz » déchire le delta du Mékong et, dans un second temps, celui du fleuve Rouge. Dans le Sud, systématiquement quadrillé par des centaines de postes militaires, eux-mêmes fortifiés et dominés par des tours de guet à l’ombre desquelles la paysannerie vietnamienne vaque à ses occupations, la pacification marquait le pas. En janvier 1949, le général Boyer de Latour décide le blocus économique des zones Viet Minh, et notamment de la grande région rizicole du Transbassac14.
9Ce blocus répondait certes à celui que le Viet Minh imposait aux « zones provisoirement contrôlées par l’ennemi » mais, à la différence de ce dernier, il dépassait le stade de la rhétorique. La libre circulation des jonques était interdite sur les voies fluviales et le long du littoral, placés sous une surveillance renforcée de la Marine ; une partie de la batellerie fut détruite et des salines furent rendues inutilisables15.
10Au-delà du bouclage de ce grenier à riz du Viet Minh, certains théoriciens français de la guerre économique imaginent bientôt de s’attaquer directement à la production de la céréale. Suivant un calcul simple, une étude de 1950 préconise ainsi de viser les buffles des zones rebelles : « toute paire de buffles abattue prive de paddy 13 personnes » dans les provinces de l’Est, y lit-on, et « plus de 80 dans le Transbassac, où le labour est plus facile »16. « Si nous entretenions une insécurité permanente du cheptel bovin, note l’étude, le potentiel et le moral Viet Minh en seraient efficacement touchés ». Cette stratégie du buffle a-t-elle été mise en œuvre ? Certaines sources Viet Minh se plaignent de mitraillages aériens qui y ressemblent mais, du moins dans son caractère systématique, elle paraît être restée dans les cartons.
11La guerre du riz entraîna pour le Viet Minh, au Nam Bo, des difficultés de tous ordres. Le blocus du Transbassac apparaît efficace et représente un défi qu’il n’est guère facile de surmonter, compte tenu de la discontinuité territoriale des zones de résistance : « En 1949, admet un document saisi17, le paddy des régions de l’ouest s’accumulait et le prix baissait jusqu’à 3 piastres le gia. C’était leur blocus qui avait empêché le ravitaillement de la 8e zone, où le paddy coûtait 35 à 40 piastres le gia, et encore on n’en trouvait pas »18. Les problèmes alimentaires, d’une part, s’accumulaient : les deux années 1950 et 1951 apparaissent particulièrement difficiles. Paddy et sel circulant moins, d’autre part, les collecteurs que l’autorité clandestine a dispersé sur tout le territoire rentrent moins de taxes : les recettes du Nambo diminuent de plus d’un tiers entre 1949 et 195019. Le cloisonnement territorial imposé par le contre-blocus français amène donc le Viet Minh à assouplir son propre dispositif. « La région de l’Ouest a du riz en excédent mais manque de tissus et de sucre. La région de l’Est a en excédent du tabac, du sucre, mais manque de riz. Les deux régions encerclées ne peuvent échanger leur production ». Chaque région est en conséquence autorisée à vendre à l’ennemi l’excédent de sa production pour acheter ce qui lui manque. Mais attention : « les colonialistes français forment une bande des plus renommées par ses cruautés », lit-on dans les premières lignes du même document, et « ces cruautés se révèlent dans la guerre économique plus que partout ailleurs ».
12Blocus et contre-blocus ne sont évidemment pas sans conséquences militaires. Les exportations clandestines du Viet Minh, en particulier vers la Malaisie, d’où peuvent par exemple être ramenées armes et munitions, se ressentent de cette situation. La RDV conserve néanmoins quelques atouts : une étude du 2e Bureau datée de 1950 considère même que plus de 80 % du produit exportable des provinces du Transbassac reste encore entre ses mains20. Mais la partie n’est pas gagnée : « 5 millions de nos compatriotes, peut-on lire dans un document circulant dans les maquis du Sud début 195121, apporteront aux Français, annuellement, 1 350 millions de piastres. Imaginons-nous la quantité d’armes et de munitions qu’ils peuvent acheter avec cet argent ? »
13En tout cas, la culture du paddy est devenue pour le Viet Minh un nouveau front. « Comment militariser la récolte de cette année ? », s’interroge par exemple en octobre 1949 un article de Cuu Quoc, publication diffusée dans le delta du Mékong22. Face aux initiatives de l’ennemi, protéger les récoltes - mais aussi les travaux de battage, de séchage ainsi que le transport - est devenu un impératif stratégique. Parallèlement, l’accent est mis sur l’autosuffisance de chaque région et, en attendant une hypothétique aisance, des conseils sont donnés pour mélanger, dans la ration alimentaire, le riz à divers aliments secondaires. Incontestablement, comme l’analyse le 2e Bureau dès mai 1950, « le problème économique est [désormais] une des préoccupations essentielles du commandement rebelle du Nam Bo ; il cherche à le résoudre par tous les moyens »23.
14Durant le premier semestre 1950, les Français passent également à l’offensive dans le delta du fleuve Rouge, encore pour l’essentiel aux mains de l’ennemi. Dans ce Tonkin rebelle où le corps expéditionnaire, qui n’a pas réussi à investir le « réduit » Viet Minh, ne contrôle que quelques axes routiers et centres urbains, le général Alessandri a en effet décidé de reprendre « le delta morceau par morceau »24, plus ou moins d’ailleurs contre l’avis de ses chefs : il est ajuste titre convaincu que cette large plaine, intensément cultivée sous la protection d’un réseau de digues ancestral, est économiquement indispensable à qui veut exercer l’autorité au Vietnam. Mais tenir l’endroit est une autre affaire ; et il n’est pas sûr que la transposition au Nord des mesures appliquées au Sud - émission de fausses coupures et blocus du Transbassac25 — soit suffisante. Le général Gras estime d’ailleurs que cette reconquête vient trop tard, ou du moins qu’elle aurait été d’une beaucoup plus terrible efficacité quelques années plus tôt : en 1950, le Viet Minh s’est en effet déjà adossé à la Chine de Mao.
B. L’IRRUPTION CHINOISE
15La révolution chinoise de 1949 constitue bien sûr le grand événement qui bouleverse le rapport des forces en Asie, dont les conséquences sur la guerre d’Indochine apparaissent les plus durables, sur tous les plans y compris financier. Il aura fallu environ un an aux forces communistes pour contrôler l’ensemble de la Chine, entre la prise de Pékin le 22 janvier 1949 et leur arrivée début décembre à la frontière indochinoise, « branchant » ainsi la RDV sur le reste du « camp » : reconnue le 18 janvier 1950 par la Chine, le 30 du même mois par l’URSS, puis en février par les autres « démocraties populaires », la république de Ho Chi Minh en est alors devenue le poste avancé en Asie. « Nous nous sommes donc définitivement placés dans le camp démocratique, peut-il annoncer lui-même quelques mois plus tard et nous nous sommes joints au bloc des 800 millions d’hommes qui luttent contre l’impérialisme »26.
16La menace chinoise, prise au sérieux à Paris comme à Saigon, est d’abord apparue comme la crainte d’un débordement de la guerre civile qui s’achève dans le pays du Milieu : que les troupes du Guomindang en retraite dans le Sud viennent à franchir la frontière de l’Indochine, où certaines stationnaient encore trois ans plus tôt, c’est leur poursuite assurée par l’armée de libération et, dans tous les cas de figure, la plus grande confusion au Tonkin. Il fallait donc qu’une partie des troupes françaises - voire de nouveaux renforts - se consacre à la défense de la frontière. Les dernières unités encore opérationnelles de Tchiang Kai Chek y arrivent en décembre 1949. « Poursuivis et poursuivants, les vaincus précédant de peu les vainqueurs, je les avais vus près de Canton, raconte Lucien Bodard, qui comme beaucoup d’autres journalistes s’est porté à leur rencontre27. Quelles files immenses de soldats ! Tous marchaient comme des hallucinés, de jour, de nuit, sans arrêt, les communistes courant à la curée, les derniers nationalistes essayant toujours d’échapper. Maintenant, un mois plus tard, mille kilomètres plus bas, je vais tous les retrouver. Car les uns comme les autres vont buter sur l’Indochine. Et je ne cesse de me demander : que va-t-il se passer ? » Finalement, il ne se passe rien, sinon la prise en charge d’un lourd et coûteux fardeau : les dernières troupes du Guomindang se voient refuser le passage au poste de Chi Ma, à la mi-décembre 1949, et acceptent après 24 heures de négociation de déposer les armes28 ; elles prennent alors la direction de centres d’internement, en particulier sur l’île de Phu Quoc, ce que l’autorité militaire avait trouvé de plus éloigné de la frontière chinoise.
17Mais la Chine populaire inquiétait surtout pour sa capacité d’aide au Viet Minh. Sur ce plan, la France avait été prévenue : l’attaché militaire près l’ambassade de France à Nankin, le colonel Guillermaz, avait avisé dès mars 1948 le haut-commissaire Bollaert de l’avance prévisible des troupes communistes29 ; et l’ambassadeur de France à Nankin avait averti à la mi-décembre 1948 : les communistes chinois allaient bientôt puissamment aider le Viet Minh30. Cette perspective, qui se concrétisait, impliquait à coup sûr, elle aussi, de nouveaux renforts : qui croyait encore à un quelconque réflexe d’union nationale au Vietnam face à l’ennemi héréditaire venu du Nord ?
18Autant que l’on sache, les principaux éléments de l’aide chinoise à la RDV se mettent en place en 1950. Le premier accord militaire aurait été conclu dès sa reconnaissance par Pékin, en janvier 1950 : un tel geste valait sans doute promesse d’aide31. Celle-ci s’organisera bientôt à l’échelle du monde socialiste tout entier : en décembre 1950, une conférence réunira à Nanning d’importants représentants soviétiques, chinois, dont le vice-président du gouvernement Liu Shaoqi, et vietnamiens, parmi lesquels Ho Chi Minh et Giap en personne. Pour l’essentiel cependant, par une sorte de division géopolitique du travail, la Chine paraît avoir la charge d’organiser l’aide au Viet Minh.
19Il ne faut évidemment pas s’imaginer que, du jour au lendemain, les maquis du Viet Minh et les régions qu’il contrôle basculent dans l’abondance. Au Nam Bo par exemple, loin de la frontière il est vrai, l’aide chinoise est d’ailleurs sur le moment à peine perceptible, du moins à travers les papiers saisis par les services de renseignements. Tout indique au contraire qu’il s’agit d’années noires. Il est en fait difficile, dans cette période, de distinguer ce qui ressort des échanges traditionnels entre le Viet Minh et la Chine et ce qui serait lié à une aide nouvelle, d’autant que celle-ci n’est pas forcément gratuite. « Il ne fait aucun doute que les Chinois ne livrent pas d’armes et de matériel au Viet Minh sans contrepartie, indique une analyse française de 1950. Or le moyen d’échange le plus demandé est le riz. Le gouvernement populaire chinois aurait engagé des pourparlers semi-officiels par le truchement de la mission soviétique à Bangkok et par l’intermédiaire du Parti communiste chinois au Vietnam, pour obtenir des livraisons de riz d’Indochine »32. Les communistes chinois ne sont d’ailleurs pas les seuls à rechercher du riz indochinois : trois groupes du Guomindang, la partie adverse donc, se sont également tournés vers le Viet Minh en 1950, après que les bureaux français leur aient opposés un refus de vente33. L’idée d’un troc avec la Chine populaire, en tout cas, ressortira également de l’accord signé lors de conférence de Nanning évoquée plus haut : armes, véhicules et matériel radio contre bois et riz d’Indochine34.
20En tout état de cause, l’aide chinoise intervient alors que l’armée populaire vietnamienne accède à une certaine maturité. Dès 1949, le Viet Minh opère en unités constituées de plus en plus grandes : il « fait apparaître devant nous des unités de l’ordre du bataillon », note le général Revers dans les conclusions de sa mission35. Sans doute l’aide chinoise n’y est-elle pas pour rien : en décembre 1949 est constituée sous le commandement de Vuong Thua Vu la Brigade (dai doi) 308, première grande unité de l’armée populaire. D’une manière générale, la fourniture d’armement et de munitions, la mise à disposition de camps d’entraînement de l’autre côté de la frontière, au Guangxi et au Yunnan, permettent au Viet Minh de gagner en puissance : désormais, « des régiments entièrement nouveaux [...] retournaient au Tonkin, munis d’un armement équivalent à celui des formations du corps expéditionnaire français », note le général Gras36.
21Dans les maquis vietnamiens, une telle évolution donne raison à une conception de la guerre dont Truong Chinh s’était fait le théoricien en 1947, prévoyant « trois phases de la résistance de longue durée »37 : après une première « étape de la défensive », venait en effet celle « de l’équilibre des forces », annonçant elle-même le moment final « de la contre-offensive générale ». Ho Chi Minh en reprendra les termes en février 195138 : pour lui, cette seconde phase de la guerre « a commencé après la campagne du Viet Bac (1947) et continue à l’heure actuelle ». Il faut « préparer la contre-offensive générale » : quand ce mot d’ordre a-t-il été lancé ? Début 1949 selon certains auteurs39, début 1950 selon Ho Chi Minh lui-même, dans le rapport déjà cité40. Quoi qu’il en soit, il figure ensuite partout dans les documents du Viet Minh : « Salut pour la préparation à la contre-offensive générale » en devient même une sorte de formule de politesse au sein de la Résistance41.
C. LA DÉRIVE FINANCIÈRE
22La croissance subite des coûts de la guerre, qui traduit l’évolution du rapport des forces, ne parait pas avoir été parfaitement maîtrisée du côté français, du moins dans un premier temps. Entre 1949 et 1951, la dérive des finances sur le chapitre indochinois est en particulier perceptible sur deux plans : dans le domaine budgétaire et dans celui des relations financières entre la France et l’Indochine. Les origines du mal sont vite connues, mais lui trouver un remède approprié n’est pas aussi simple.
23La dégradation de la situation en Indochine tombait en fait très mal pour les finances publiques, ou du moins pour la satisfaction affichée rue de Rivoli quant aux succès obtenus dans le redressement du pays. Dans la présentation du budget de 195042, la France se targue en effet d’être en bien meilleure posture qu’à la fin des années trente, période de référence. Les dépenses militaires ont diminué et les priorités sont toutes autres : « Tel quel, comparé à celui de 1938, le budget de 1950 apparaît essentiellement comme un budget d’équipement et de reconstruction », peut-on y lire. Et il y a la méthode : « Tout l’effort d’assainissement accompli au cours des dernières années a consisté à éliminer l’inflation comme procédé de financement des dépenses publiques ».
24Le poids financier pris soudain par la guerre d’Indochine ne colle pas avec ce tableau d’ensemble et, dans un premier temps du moins, semble minimisé. Dans le même document de présentation budgétaire pour 1950, il faut aller en fin de brochure pour se faire une idée, et encore bien vague, du prix de l’effort militaire sur place. Les chapitres ministériels concernés - c’est alors la règle - ne sont pas regroupés, et l’on apprend presque incidemment que, « du fait des opérations en Indochine, le budget de l’Air, comme celui de la Marine, supporte directement des charges qui intéressent la défense des États associés » d’Indochine. Les dépenses militaires de la France d’outre-mer sont cependant chiffrées à quelque 149 milliards de francs - plus de sept fois plus qu’en 1938 - mais sans qu’on y insiste trop : cette augmentation, tout de même très importante, « s’explique sans doute, pour la plus grande part, par la charge des opérations d’Indochine ». Alors que les dépenses militaires d’Indochine représenteront en 1950 environ 8,5 % du budget national, cette phrase est, sur les 63 pages du document, la seule évocation directe de l’engagement français en Asie du Sud-Est.
25La nécessité d’envoyer de nouveaux renforts s’était imposée en mars 1949, alors que le pouvoir français s’employait à mettre sur pied le plus rapidement possible un gouvernement Bao Dai. Or depuis le début des opérations, la tendance générale était de comprimer les effectifs des plans d’opérations. Au Comité de défense nationale du 31 décembre 1948 encore, qui avait accédé à la demande de Pignon d’envoyer 5 500 hommes en renfort, le président Auriol avait réclamé en fin de séance de revenir au plus tôt au plan de 90 000 hommes43. Début 1949, on n’en est manifestement plus là, d’autant qu’un incident survenu à Moncay montrait le 27 mars la vulnérabilité de la frontière entre l’Indochine et la Chine44. Le Comité de défense nationale du 29 mars puis le Conseil des ministres du lendemain (30 mars 1949) décidèrent l’envoi supplémentaire de 13 bataillons et de deux groupes de chasse45.
26L’embarras budgétaire lié à l’envoi de troupes supplémentaires se traduit par de multiples signes, alors que les communistes font campagne autour du slogan : « Plus un sou pour l’Indochine ». La loi fixant les dépenses militaires pour l’exercice 1949 est ainsi à peine votée, le 23 juillet 1949, et après un long débat46, qu’un collectif ouvrant de nouveaux crédits militaires pour le même exercice passe devant les députés - le 8 août, quinze jours plus tard seulement47. Encore l’envoi des nouveaux renforts n’est-il pas encore totalement couvert. Une réunion, qui illustre bien les problèmes nouveaux posés par l’Indochine en 1949, se déroule au ministère des Finances trois jours plus tard, le 11 août 194948. Les participants y constatent que le premier collectif de la France d’outre-mer portait sur un renfort de 8 000 hommes, soit 4,5 milliards de francs, alors que l’on parle déjà de 16 000 hommes, ce qui représente 4 milliards de francs supplémentaires ; et personne, parmi les représentants des ministères dépensiers présents (France d’outre-mer, Défense nationale) ne se dit en mesure de pouvoir les trouver. « En résumé, indique en conclusion la fiche consacrée à cette réunion, la question actuellement posée est de savoir comment présenter 4 milliards de dépenses 1949 Indochine non encore avoués officiellement. » Les choses ne s’arrangent pas en 1950 et au début de 1951.
27Quelques dispositions avaient pourtant été prises pour financer ces renforts, en particulier l’ouverture de comptes spéciaux en Indochine. En accord avec une instruction interministérielle du 4 avril 1949, un premier compte, dit « compte spécial n° 1 », est ouvert avec une ligne de 20 milliards de francs49 ; il s’agissait de « recevoir l’imputation provisoire des sommes payées au titre des dépenses du corps expéditionnaire en complément des crédits inscrits au budget métropolitain »50. Parallèlement, un « compte spécial n° 1 bis » recevait l’imputation provisoire d’une partie des dépenses des flottilles amphibies rattachées à la Marine nationale. Ces procédures privilégiaient les solutions locales : certaines dépenses militaires, concernant les chemins de fer et les autres voies de circulation, furent même imputées, en 1949, au Budget extraordinaire de reconstruction et d’équipement de l’Indochine. Bientôt sera mis en place un « compte spécial n° 2 ».
28La montée des menaces et l’accroissement des dépenses militaires généraient par ailleurs sur place des déséquilibres économiques et une dérive spéculative que rien ne semblait devoir arrêter. La balance commerciale se détériorait à vue d’œil : de plus en plus nombreux, le corps expéditionnaire disposait globalement d’un pouvoir d’achat croissant — « le milliard quotidien du corps expéditionnaire »51 ; la parité de la piastre, très avantageuse par rapport au franc, encourageait pour sa part les importations au-delà du raisonnable. Sur la foi des statistiques douanières, les experts de la rue de Rivoli observent justement un « brusque et constant accroissement des exportations françaises vers l’Indochine à compter de l’année 1949 » : cette année-là, elles faisaient en effet un bond de 145 %, passant de 22,3 à 42,3 milliards de francs52.
29Si la balance commerciale de l’Indochine se détériore gravement, celle des transferts connaît au contraire de dangereux excédents, d’un niveau de beaucoup supérieur. L’excédent des transferts financiers entre l’Indochine et la France, qui s’accroissait rapidement depuis 1946, atteint lui aussi des niveaux records : de 44 milliards de francs en 1948, il passe à environ 90 milliards en 1949 - plus 195 % - et à 115 milliards en 1950. À Paris, la direction du Trésor suit de prés cette évolution, parce qu’il lui appartient en dernière analyse de colmater la brèche qui s’élargit dans les relations financières entre la France et l’Indochine, et que cela peut coûter cher. Dès 1949, d’ailleurs, le gouvernement s’emploie à freiner les transferts, mais avec un succès inégal.
30Le ministre de la France d’outre-mer Coste-Floret en avertit le haut-commissaire Pignon par télégramme, dès avril 1949 : « Gouvernement en présence importance croissante mouvements de fonds en provenance d’Indochine, a décidé procéder réduction massive des transferts »53. L’arsenal des mesures comporte un abaissement des plafonds des montants automatiquement autorisés : de 50 000 à 25 000 francs pour la poste militaire en particulier. Pour le Trésor indochinois, ce type de transfert est en effet « le moyen préféré des fraudeurs » et donne « manifestement lieu à des abus »54. S’y ajoutera notamment la suspension, en décembre 1949, des achats de rentes et de valeurs par les trésoriers d’Indochine : même la Banque de l’Indochine se verra refuser une opération d’achat de 20 millions de francs de rente perpétuelle 5 % 194955.
31Fallait-il aller plus loin et dévaluer la piastre, afin d’assainir la situation et de réduire d’autant le coût devenu inquiétant de la guerre ? Dès le printemps 1949, une réflexion fut engagée à l’initiative de la direction du Trésor : une telle opération pouvait notamment permettre, d’une part, une réduction de la facture des dépenses militaires libellées en piastres, c’est-à-dire exécutées sur place, et d’autre part de limiter les transferts financiers vers la France. Mais, dans son rapport, l’inspecteur des Finances envoyé sur place, de Margerie, estima qu’une telle mesure n’apporterait sans doute « pas de solution réelle aux problèmes qui préoccupent le ministère des Finances »56. C’est aussi l’opinion, à Saigon, du haut-commissaire Pignon.
32La dévaluation de la piastre fut cependant à deux doigts d’être décidée en septembre 1949, quand justement le haut-commissaire Pignon vient de faire ouvrir le « compte spécial n° 2 ». Alors qu’il venait d’être informé par le ministre de la France d’outre-mer Coste-Floret, aux fins de consultation, d’un nouveau taux de la piastre - 10 francs au lieu de 17 - Pignon le contra avec une rare vigueur, rédigeant un télégramme de cinq pages le 20 septembre 1949 et expédiant à Paris deux de ses collaborateurs. « Vous avez évité la catastrophe », déclara-t-il à Coste-Floret lorsque la décision fut rapportée. Pour autant, la question du financement de la guerre n’était pas résolue ainsi que le ministre le précisait dans un ultime télégramme au haut-commissaire, daté du 13 octobre 1949 : « Le gouvernement établissant le budget militaire se trouve devant [les] mêmes difficultés que l’an dernier encore accrues. Stop. Envisage de mettre une large part de ces dépenses à la charge non pas du Trésor indochinois comme l’an passé mais du budget de l’Indochine et du budget de l’État associé du Vietnam. Stop. Étudiez de près cette question... »57. En tout état de cause, de l’avis de Perron, directeur du Trésor indochinois à Saigon, « ce n’est pas une manipulation monétaire qui changera le poids de la guerre en Indochine »58.
33Un irrépressible sentiment de fin d’empire, la crainte pour les Français, en particulier, de devoir quitter l’Indochine, jouait un rôle important dans la fièvre spéculative qui agitait les villes, surtout Saigon - une ambiance de « sauve-qui-peut » monétaire même, si l’on en juge par l’impression conservée par Mariani de la tournée d’inspection qu’il fit en Indochine pour l’Office des changes, au début de 1950 : « faire argent de tout », selon l’expression du conseiller financier français, qu’il rapporte, résume l’attitude générale59. Lucien Bodard, évoquant cette même période, va plus loin60 : « l’acharnement à faire de la piastre [...] est de loin dépassé par un autre acharnement, écrit-il : celui du transfert. C’est là le maître mot de l’Indochine. On le trouve partout, dans tous les cœurs, toutes les pensées, toutes les conversations. C’est de l’idée fixe. Les gens arrivent à se saluer en se disant : avez-vous eu votre transfert ? » Le transfert, c’est-à-dire l’envoi en France d’une quelconque somme d’argent, est automatiquement valorisé, compte tenu du taux de change, d’environ 70 %.
34Accessoirement, bien sûr, une telle ambiance produit ses scandales. Il y a d’un côté les représentants de l’État, comme Rivet, le directeur de l’Office indochinois des changes, de l’autre les fraudeurs, qui sont légion et ne manquent pas de moyens financiers, et entre eux, à l’occasion, quelque journaliste entreprenant. François-Jean Armorin, reporter de 27 ans venu enquêter en Indochine pour Franc-Tireur, figure ainsi parmi les victimes de la catastrophe du DC 4 Saigon-Paris, le 15 juin 1950. Il n’en fallut pas plus pour déclencher la rumeur, d’autant qu’il n’était, si l’on peut dire, pas seul à bord. Aujourd’hui encore, l’un de ses anciens confrères s’interroge : « Sa disparition est troublante : au cours de son enquête sur certains trafiquants de Saigon, il avait été frappé et menacé de mort. Or il devait publier, dès son retour à Paris, une série d’articles sur le trafic des piastres, promettant au journal la révélation d’un énorme scandale mettant en cause de hautes personnalités civiles et militaires. Dans le DC 4 se trouvait M. Rivet, directeur de l’Office des changes de Saigon, qui apportait en France un dossier complet sur l’organisation clandestine des licences d’importation et d’exportation »61.
35Pour toutes ces raisons, cette période de 1949 à 1951 est enfin une période de prise de conscience des coûts de la guerre et d’introspection, au ministère des Finances en particulier, sur la question des relations financières entre la France et l’Indochine. Rapports et missions se succèdent pour tenter d’y voir clair. Perron, directeur du Trésor indochinois, rédige en avril 1949 une « Note sur les transferts » qui se présente à la fois comme une étude statistique des mouvements de capitaux, une recherche de leurs causes et un examen de leurs conséquences62. De Margerie, inspecteur des finances déjà cité, se rend sur place dans la même période pour étudier « diverses questions financières en Indochine » - parité de la piastre, transferts, exportations, trafic d’or et de dollars... - dans le cadre de la préparation de la négociation avec l’État associé de Bao Dai63. Mariani, également évoqué plus haut, est dépêché à Saigon par l’Office des changes au début de 1950 pour enquêter sur « l’exode des capitaux » d’Indochine et le fonctionnement de l’Office indochinois des changes, soupçonné d’étranges pratiques par un rapport au haut-commissaire du Bureau technique de liaison et de coordination de Saigon64.
36Cet effort d’analyse produit au ministère des Finances une intense réflexion, à la fois comptable et théorique, sur les mouvements de fonds entre la France et l’Indochine. Le lien est clairement établi par la direction du Trésor entre crédits militaires et transferts financiers, grâce aux rapports précités et à de multiples tableaux - les premiers apparaissent précisément en 1949 - dressant le bilan annuel de l’utilisation des crédits budgétaires, également des relations financières entre la France et l’Indochine, distinguant par exemple dépenses budgétaires et décaissements effectifs. Projets de notes et notes se succèdent, dont l’une des plus importantes parait être celle par laquelle François Bloch-Lainé, directeur du Trésor, saisit le 13 mai 1950 le ministre des Finances, alors Maurice Petsche, des problèmes qu’il a découvert. Cette note sur « Les relations financières entre la France et l’Indochine » fera date, malgré le ton à la fois prudent et préoccupé que le directeur du Trésor prend dans les premières lignes : « Mes services, y écrit-il, cherchent depuis un certain temps, non sans éprouver de grandes difficultés, à présenter sous une forme simplifiée un bilan des relations financières entre la France et l’Indochine... »65.
37François Bloch-Lainé montre en particulier que si, jusqu’en 1948 compris, la guerre d’Indochine n’était pas très onéreuse en termes de trésorerie, en bonne partie grâce à l’émission locale, il n’en va plus de même en 1949, année qui a vu le montant des transferts vers la France excéder largement celui des crédits militaires délégués à l’Indochine, obligeant le Trésor à faire le nécessaire pour assurer la couverture de la piastre. Nous reviendrons sur ce mécanisme qui, pour l’instant, se traduit pour la direction du Trésor en termes de « débit » et de « crédit » : « Si, au cours de l’année dernière, la métropole se trouvait encore débitrice vis-à-vis de l’Indochine [...], cette situation s’est inversée au 31 décembre 1949. » En 1948 encore, Paris accusait un « débit » de 48 milliards de francs envers Saigon. En 1949, on n’en est plus là : le Trésor métropolitain doit débourser pour couvrir l’excédent des transferts, disposant pour la première fois sur l’Indochine d’un « crédit », évalué à quelque 55 milliards, qui pourrait ressembler à s’y méprendre à une dépense militaire inavouée.
II. QUE FAIRE ?
38Avec « l’arrivée des communistes chinois à la frontière indochinoise en novembre 1949, insiste une note de 195066, et la reconnaissance de Ho Chi Minh par le gouvernement de Pékin [...], les opérations militaires tendaient à revêtir une ampleur telle que leur charge devenait impossible à supporter par la France seule ». Il ne fut semble-t-il jamais question de remettre « les pendules à l’heure », comme le suggéra Pierre Mendès France au lendemain du désastre de Cao Bang. Le gouvernement français allait s’efforcer au contraire d’utiliser les cartes qu’il détenait, ou croyait pouvoir détenir : la mise en place des États associés et le recours à l’aide américaine.
39La notion même d’État associé ne répond pas d’abord, on le sait, à une quelconque préoccupation économique ou financière. Il s’agit de la formule trouvée par les constituants de la IVe République pour servir de cadre aux relations avec les anciens pays membres de l’Union indochinoise. Au Cambodge et au Laos, d’ailleurs, cette nouvelle formule ne posa guère problème. Au Vietnam, par contre, le cadre nouveau des États associés était officiellement apparu au moment de la rupture du 19 décembre 1946 avec Ho Chi Minh : alors convaincus de pouvoir substituer facilement un autre nationalisme à celui du leader Viet Minh, les chefs militaires de la France libre allaient en utiliser l’idée pour propulser Bao Dai sur le devant de la scène67.
40L’intervention progressive des États-Unis dans le conflit indochinois s’inscrit quant à elle dans la logique des blocs : c’est en tout cas l’état d’esprit qui prévaut à Paris, dans les cabinets ministériels. « La reconnaissance de Ho Chi Minh par Moscou [...], précise trois mois plus tard une note du Quai d’Orsay68, a donné soudain au conflit d’Indochine un aspect qui, aux yeux du gouvernement français, justifiait un appui public et efficace des États-Unis... » Mais, entre Français et Américains, les États associés en quête d’indépendance allaient représenter un enjeu essentiel, en particulier quand il faudrait les armer.
A. LE FINANCEMENT DES ARMÉES NATIONALES
41Les accords signés avec la France et consacrant l’existence des États associés d’Indochine datent de l’année 1949, alors que Forage communiste gronde en Chine et que la dérive financière commence pour la France69. Aux termes de l’échange de lettres du 8 mars entre Vincent Auriol et Bao Dai, de la Convention générale du 19 juillet avec le Laos et du Traité du 8 novembre entre la France et le Cambodge, les trois États sont formellement reconnus, à la fois indépendants et membres de l’Union française. S’agissant du Vietnam, dont l’unité n’est plus contestée, le président de la République et de l’Union française Vincent Auriol ne veut d’abord voir que la dimension politique de l’accord : ce dernier « satisfait entièrement aux revendications nationales du peuple vietnamien, telles qu’elles furent énoncées dès 1945 par Votre Majesté et telles qu’elles avaient été précisées à l’époque par le gouvernement de fait Ho Chi Minh [...] Ainsi le conflit armé, prétendument déclenché pour la réalisation de ces revendications nationales, n’a plus d’objet »70. Mais la France parait encore hésiter : les textes régissant désormais les rapports qu’elle entretient avec les États associés ne furent pas publiés au Journal officiel, du moins pas tout de suite.
42La France ne transfère d’ailleurs pas tous ses pouvoirs aux États associés. Il est certes entendu que « le gouvernement du Vietnam (comme celui du Cambodge) administrera souverainement ses finances » et « établira et gérera son budget ». Mais l’essentiel, c’est-à-dire la monnaie, demeure entre ses mains71 : « Le Vietnam sera en union monétaire avec les autres États indochinois, précise par exemple l’accord franco-vietnamien du 8 mars 1949. La seule monnaie ayant cours sur le territoire de cette union monétaire sera la piastre émise par l’Institut d’émission d’Indochine. » Certes, « L’Institut d’émission pourra émettre des vignettes différentes pour le Vietnam, le Cambodge et le Laos. » Mais « la piastre indochinoise fera partie de la zone franc. » La France entend accessoirement, selon les termes du même accord « maintenir une certaine harmonie fiscale entre le Vietnam et les autres États indochinois ».
43Alors que prend fin la crise de Berlin et que, sur place, l’incertitude règne, le général Revers, chef d’état-major général des Forces années, est envoyé en mission d’inspection en Indochine pour faire le point. Il y séjourne du 16 mai au 17 juin 1949, attentif bien sûr à la solution Bao Dai : de politique qu’elle était au départ, celle-ci est en effet déjà devenue militaire. Son évaluation de la situation n’est que modérément optimiste72. « À la veille de l’installation du gouvernement Bao Dai, note-t-il, le Vietnam est profondément troublé. Nous ne contrôlons qu’une partie du territoire, et moins de la moitié de la population. Dans les territoires que nous tenons, le terrorisme sévit. Dans les zones qui nous échappent, le Viet Minh a installé un gouvernement et une administration qui fonctionnent régulièrement, il dispose de forces armées... » L’objectif serait le suivant : l’ex-Empereur doit dans un premier temps s’imposer sur le territoire contrôle par les Français, progressivement reconquis sur le Viet Minh depuis 1946 - avant d’élargir sa zone et de rallier, éventuellement, les non-communistes du camp adverse. Mais, à supposer que ce schéma soit le bon, il mettra du temps à se concrétiser « et ce n’est pas immédiatement, précise le général Revers, que de l’installation de Bao Dai nous pourrons profiter pour alléger notre dispositif et nos charges ».
44Les « armées nationales », car tel est désormais leur nom, sont encore, il est vrai, embryonnaires73 : environ 16 000 hommes au Vietnam au ler janvier 1949, autour d’un noyau fort venu de l’ancienne garde indochinoise, transformée dans l’intervalle en garde du Vietnam-Sud ; moins de 5 000 hommes au Cambodge à la même date. Quant au Laos, les premières statistiques ne font apparaître que 1 200 hommes un an plus tard, au 31 décembre 1949. Quel rempart ces hommes peuvent-ils fournir face au Viet Minh ? Mais, au Vietnam, un « premier plan de valorisation de 50 000 hommes » est tout de suite lancé, dès 1949, et la responsabilité financière des États associés engagée : au Vietnam et au Cambodge, les accords prévoient que leurs armées seront à la charge des budgets nationaux, les commandes de matériel étant transmises au gouvernement français74 ; dans le cas du Laos cependant, le moins bien loti des trois, « la République française s’engage [...] à fournir, pendant une période donnée et dans des conditions à déterminer, une aide financière... ».
45D’abord politique, puis militaire, la solution Bao Dai pose donc très vite des problèmes financiers. Comment assurer le développement de cette nouvelle « armée nationale vietnamienne » ? Les responsables français en Indochine sont en effet sur la corde raide, pris entre les recommandations de Paris et les réalités locales. En septembre 1949, Max Deville, conseiller financier auprès du haut-commissaire, manifeste son inquiétude à propos « des dépenses militaires, que nous ne parvenons à assumer en ce moment qu’en faisant appel au Trésor indochinois. Si, comme le marque un récent télégramme venu de la FOM et dont le haut-commissaire m’a donné confidentiellement communication, il nous est prescrit, à partir du ler janvier 1950, d’éviter tout recours aux moyens locaux de trésorerie et de demander aux États nationaux "une large contribution" aux dites charges, je ne vois absolument pas comment nous pourrons nous en tirer, et je suis fort inquiet en ce qui concerne la continuation de l’effort militaire entrepris »75.
46La solution passera donc par l’ouverture déjà évoquée, le 13 septembre 1949, d’un « compte spécial n° 2 » chargé de « recevoir l’imputation provisoire des dépenses militaires propres à l’Indochine, dont le financement ne pouvait être assuré par la voie budgétaire normale »76. Ce nouveau compte avait en effet pour fonction de couvrir le financement des Armées nationales, en particulier celle de Bao Dai, et, accessoirement, de dégager le Budget extraordinaire des « dépenses de travaux publics d’intérêt militaire » qui lui avaient été imputés en 1949. A la différence du « compte n° 1 », qui périclite, le « compte n° 2 » triple pratiquement de volume entre 1949 et 1950, passant de 9,5 milliards à 30 milliards de francs.
47La logique coloniale s’est-elle complètement effacée derrière l’émergence des États associés ? Certains pensent en effet en Indochine que le gouvernement français a été trop loin. Le général Revers s’en fait l’écho dans les conclusions de son rapport77 : « en général, indique-t-il, les Français estiment que l’on a beaucoup abandonné sans recevoir une garantie sérieuse quelconque ». Bourgoin, importante personnalité du monde de l’économie indochinoise, s’en inquiète lui-même dans un courrier au gouvernement78. Mais ce dernier ne semble pourtant jamais avoir perdu de vue les intérêts français, comme le suggère le rapport de Margerie résumant « l’attitude à prendre pendant les négociations » avec l’État associé du Vietnam79. « Si nous souhaitons nous maintenir en Indochine, écrit-il notamment, c’est que nous espérons tirer de notre présence dans ce pays non seulement des avantages politiques et stratégiques, mais encore un profit économique : celui-ci consiste essentiellement dans la possibilité de nous procurer contre des francs un certain nombre de produits nécessaires tant à la métropole qu’aux autres territoires de l’Union française - caoutchouc et riz ». Dans cette perspective, les intérêts français et américains n’ont guère de chance de coïncider.
B. LES DÉBUTS DE L’AIDE MILITAIRE AMÉRICAINE
48En février 1950, la reconnaissance de Bao Dai par les États-Unis et les autres pays occidentaux, venant après celle de Ho Chi Minh par Pékin et Moscou, a constitué un moment fort de l’internationalisation du conflit, mais l’aide américaine à l’Indochine n’a pas pour autant été immédiatement décrétée. A partir du moment où elle est imaginée, il faudra presque trois ans aux États-Unis pour qu’elle prenne toute son ampleur, tant les freins paraissent avoir été aussi puissants que les motivations. Le terrain aussi, d’une certaine manière, était « miné » : comment la puissante Amérique, parée de toutes les vertus décolonisatrices, pouvait-elle soutenir une France qui, même si elle s’en défendait, demeurait impériale et fière de son héritage colonial ? La lutte anticommuniste, bien sûr, allait tout primer. Mais lequel des deux pays est allé chercher l’autre ?
49Nécessité oblige, la France paraît s’être manifestée la première. Selon les sources américaines, les premières traces de demande d’aide remontent au printemps 1949, au lendemain de l’accord du 8 mars avec Bao Dai80. Les archives du Quai d’Orsay sur le sujet ne commencent, elles, qu’en décembre 1949, mais la démarche est du même ordre : un courrier diplomatique venu de Washington fait alors état d’une occasion « à saisir », en quelque sorte, une enveloppe de 75 millions de dollars votée par le Congrès pour la lutte anticommuniste en Asie81. Mais la décision officielle est prise à Paris en février 1950. Le 3 février, on le sait, peu après que Pékin et Moscou aient annoncé reconnaître Ho Chi Minh, Washington reconnaissait pour sa part les États associés d’Indochine : Vietnam (Bao Dai), Cambodge et Laos82. Une semaine après, le Comité de défense nationale met la question de l’aide américaine à son ordre du jour, pour finalement statuer à nouveau huit jours plus tard : le 17 février 1950, il soulignait « la nécessité d’une aide militaire alliée en faveur de l’Indochine » et donnait mandat au ministère de la Défense d’arrêter les demandes de matériels et de crédits à présenter aux Américains83. Un aide-mémoire sur le sujet avait d’ailleurs été transmis au département d’État la veille, le 16 février, par l’ambassade de France à Washington84.
50La France était donc « demandeur », mais les États-Unis avaient également fait de leur côté une partie de la route. Depuis la signature, le 28 juin 1948, de l’accord de coopération franco-américain lançant le plan Marshall, les deux pays étaient formellement alliés et, au Quai d’Orsay, on avait cru percevoir outre-atlantique une évolution favorable aux territoires d’outre-mer de l’Union française85 : dans le discours du 20 janvier inaugurant son second mandat, le président Truman n’avait-il pas mis l’accent sur « le développement des territoires sous-développés » - relevant du plan Marshall dès lors qu’ils relevaient eux-mêmes de pays européens ? Depuis le basculement de la Chine dans le camp communiste, d’ailleurs, Washington suivait de près l’évolution du conflit dans la péninsule indochinoise : Philip Jessup, ambassadeur extraordinaire des États-Unis, y séjourne à la fin de janvier 195086. Ainsi, quand quelques jours plus tard, l’Amérique effectue la démarche de reconnaître Bao Dai, il ne peut s’agir d’un geste seulement diplomatique : compte tenu du niveau de développement de l’endroit et de la ligne tracée par Truman, la reconnaissance vaut aussi offre d’aide économique.
51Pour les Français, la question essentielle était de soulager le coût de la guerre d’Indochine, même si l’accord n’était pas parfait entre ministères concernés sur les priorités à donner et les procédures à appliquer. Aux Finances, Guillaume Guindey estime ainsi qu’il faut se concentrer sur le matériel militaire proprement dit et étendre les demandes aux fournitures payables en dollars ; mais il suggère de demander le matériel déjà inscrit au budget, plutôt que du matériel militaire supplémentaire, « étant donné que le fardeau actuel de la guerre en Indochine est insupportable pour le budget, et que l’effort américain doit, dans une certaine mesure, relayer l’effort français »87.
52Il était cependant apparu, avant même que la France ne prenne la décision officielle de demander l’aide de Washington, que celle-ci n’irait pas sans préalables d’ordre politique. Le secrétaire d’État Dean Acheson et son ambassadeur à Paris, David Bruce, en étaient convenus en décembre 194988 et Vincent Auriol en avait été informé en janvier 1950 : le vœu américain, note ce dernier, était que la ratification des accords passés avec les États associés « soit accompagnée d’une déclaration de moi, président de la République, précisant le caractère évolutif des accords franco-vietnamiens... [et] le rattachement des questions indochinoises au Quai d’Orsay et non à la rue Oudinot »89. Washington demandait tout simplement à Paris, en transférant les États associés du ministère de la France d’outre-mer à celui des Affaires étrangères, de les considérer comme potentiellement indépendants. Auriol avait une autre idée : rattacher à la présidence du Conseil « tous les services qui ont trait à la liaison avec ces nouveaux États associés dans l’Union française ».
53À propos de l’Indochine, les États-Unis et la France ne pouvaient pas non plus passer si facilement de l’hostilité des premiers temps à une collaboration étroite : les premiers mois de 1950, comme un moment d’adaptation nécessaire, donne à cet égard le ton, celui d’un premier « bras de fer » entre les deux pays. La revue Time, américaine, avait révélé début janvier l’affaire Revers-Mast, que le gouvernement français avait jusque-là réussi à étouffer90 : la fuite du rapport Revers, en direction notamment du Viet Minh, ne mettait pas seulement en cause la hiérarchie militaire mais aussi - par le contenu du rapport - l’action de la France en Indochine. « L’affaire des généraux » allait entraîner une déclaration du président du Conseil Georges Bidault à la Chambre, la réunion d’une commission d’enquête, qui évoqua d’ailleurs pour la première fois officiellement le trafic des piastres, et alimenter la chronique pendant plusieurs semaines. La France, en particulier la France en Indochine, n’en sortait pas valorisée.
54La mission américaine Griffin, qui vient évaluer en mars 1950 les besoins des États associés et trouva la France trop gourmande91, semble être au point de départ des hostilités. Le 21 mars 1950, dans une longue note adressée de Saigon au ministre des Affaires étrangères92, le haut-commissaire Pignon stigmatise « l’offensive combinée, économique et culturelle » à laquelle se livrent les Américains sur place. La mission Griffin y a montré leur popularité et encouragé les États associés à établir des liens directs avec eux, sans passer par les Français. Au total, note Pignon, « il semble bien que la défrancisation des États associés soit effectivement l’objectif de beaucoup d’Américains influents ». Le haut-commissaire de France en Indochine en appelle « à une explication nette, tant avec les États associés qu’avec nos Alliés occidentaux ». Faisant chorus le lendemain 22 mars à Washington, à la veille de transmettre au gouvernement fédéral une première liste « urgence immédiate » de matériels militaires pour l’Indochine, l’ambassadeur Henri Bonnet signale également dans un télégramme la vitalité de « l’anticolonialisme américain »93.
55En attendant, les négociations destinées à mettre sur pied les États associés sont bloquées : Léon Pignon ajourne sine die la conférence inter-États qui devait justement être organisée fin mars 1950 à Dalat, en application des accords signés en 1949. Une réunion tenue le 22 mars à Saigon, sous sa présidence, constate en effet que « la Mission Griffin a aggravé les tendances des gouvernements des États associés à affaiblir la portée des Accords du 8 mars 1949 et à faire échouer la création d’organismes communs », prévus dans les domaines du Plan, du Trésor, des douanes comme du commerce extérieur94. Les Américains et les États associés imaginent-ils pouvoir se passer si facilement de la France ? Les membres de la Mission « n’ont manifesté à aucun moment le souhait que l’aide économique fut gérée sur une base quadripartite », soulignent les responsables économiques et financiers français. La conclusion s’impose donc : « il est inutile, dans ces conditions, de réunir la Conférence inter-États avant que la position du Gouvernement américain sur le problème de l’aide économique n’ait été précisée d’une façon extrêmement nette ».
56Les responsables français de l’Indochine ont alors d’autant moins de complexes vis-à-vis des États-Unis que, comme l’écrivait Pignon dans la note déjà citée95, « l’échec de la politique américaine en Chine est encore proche » et que l’incapacité de Washington à soutenir Tchiang Kai Chek n’est sans doute pas pour rien dans l’aggravation des difficultés françaises en Indochine. D’aucuns voient même dans cette donnée une bonne raison pour faire prendre en charge par les États-Unis l’entretien des troupes envoyées en renfort pour couvrir la frontière, au nord de l’Indochine. Quant à l’aide économique, note-t-on au haut-commissariat, « la seule façon de [la] rendre vraiment utile et de diminuer les risques de gaspillage et de corruption est de faire participer la France à sa gestion ; le précédent chinois ne doit pas être oublié »96. En Amérique même, pour reprendre les termes de l’ambassadeur Bonnet97, règne également un « climat [...] dominé par l’admission de l’incapacité où se sont trouvés les États-Unis de s’opposer au déferlement de la marée communiste en Chine ». Échaudés dans le pays du Milieu, les Américains y regardent à deux fois avant de s’engager à nouveau. Finalement, conclut l’ambassadeur de France à Washington, « c’est dans la mesure où nous réussirons à les persuader que la "guerre chaude" que nous sommes contraints de mener en Indochine s’intègre dans la guerre froide que les États-Unis mènent contre le communisme que nous pourrons compter sur leur aide dans l’affaire indo-chinoise ».
57La négociation franco-américaine engagée à Washington le 27 février débouche en effet : d’une part le 8 mai 1950, date anniversaire symbolique, par la conclusion d’un accord de principe sur l’aide militaire des États-Unis en Indochine, entre le ministre français des Affaires étrangères Schuman et le secrétaire d’État Acheson ; d’autre part le 24 mai 1950, par l’annonce officielle de la mise en œuvre d’une aide économique américaine aux États associés d’Indochine98. Différents organismes furent installés pour l’exécution de ces accords : un comité français de liaison pour l’aide américaine (CLA) d’une part, dont seuls les huit officiers auraient mandat pour entrer en relation avec leurs interlocuteurs99 ; une mission économique spéciale auprès de la nouvelle mission diplomatique américaine à Saigon d’autre part, sous la direction de Robert Blum. Ajournée en mars, la conférence inter-États, quant à elle, fut enfin réunie... à Pau, pratiquement sur les terres d’Albert Sarrault, le président de l’Assemblée de l’Union française, loin en tout cas des États associés, loin aussi des diplomates et experts américains, si nombreux alors à Paris...
58Le déclenchement de la guerre de Corée, en juin 1950, pratiquement le jour où la conférence de Pau inaugure ses travaux, allait bousculer ces précautions et accroître à la fois l’aide et l’influence américaine en Indo-chine. La décision du président américain d’élargir la doctrine du containment à l’ensemble de l’Asie pacifique concernait en effet aussi l’Indochine. Dans sa déclaration du 27 juin 1950, après avoir annoncé le recours au Conseil de sécurité des Nations Unies et l’intervention militaire en Corée, puis le renforcement de la protection de Formose et des Philippines, Truman indiquait en effet sans ambiguïtés : « J’ai aussi donné l’ordre que la fourniture d’aide militaire aux forces françaises et aux États associés soit accélérée, et qu’une mission militaire soit envoyée dans cette région afin de travailler étroitement avec ces forces »100.
59Le matériel américain fit alors son apparition. Le 29 juin 1950, deux jours après la déclaration de Truman, 8 C 47 (Dakota) destinées aux forces françaises atterrissaient à Tan Son Nhut. À la mi-juillet, une nouvelle mission américaine d’évaluation des besoins, dite Melby-Erskine du nom de ses chefs civil et militaire, arrivait à son tour pour trois semaines - elle reçut notamment une nouvelle demande d’aide militaire, la première après les listes transmises en mars-avril. Le 10 août 1950, un navire battant pavillon des États-Unis effectuait au port de commerce de Saigon la première vraie livraison de matériel militaire américain à l’Indochine, essentiellement des munitions et des pièces de rechange. L’ambassadeur de Washington auprès des États associés, Donald R. Heath, arrivé en Indochine environ un mois plus tôt, et le général Carpentier, commandant en chef des forces de l’Union française, assistaient à la cérémonie officielle de réception. À plus de 10 000 kilomètres de là, la conférence de Pau poursuivait ses travaux.
C. LA CONFÉRENCE DE PAU
60Réunissant les États associés et la France, la conférence inter-États qui se tient à Pau en 1950, sous la présidence d’Albert Sarraut101, s’inscrit dans la suite annoncée des accords de 1949. Elle se donnait précisément pour objectif « de régler les problèmes laissés en suspens dans les négociations bilatérales qui ont eu lieu préalablement entre la France, le Cambodge, le Laos et le Vietnam »102. Il n’est pas à proprement parler question du financement de la guerre, mais de points plus techniques et touchant au fonctionnement même des États, tels qu’ils figuraient d’ailleurs déjà dans les trois textes bilatéraux103 : le service des transmissions, le contrôle de l’immigration, le commerce extérieur et les douanes, le Trésor, le plan d’équipement. Le contexte de guerre est cependant en filigrane de la conférence : l’importance des dépenses militaires effectuées par la France complique en particulier la négociation sur le Trésor ; et la mise sur pied d’armées nationales, même si la France y contribue largement, renforce l’intérêt pour l’organisation fiscale, en particulier sur le plan douanier.
61La forte présence métropolitaine à la conférence n’empêcha pas les revendications nationales de s’exprimer pleinement et, finalement, tout fut mis sur la table, au prix d’oppositions parfois vives. Sur la cinquantaine de participants, répartis en quatre délégations104, il devait en effet y avoir environ une moitié de Français : les plus nombreux, bien sûr, figuraient dans la délégation de la République, les autres étaient inscrits comme experts dans celles des États indochinois, en particulier du Cambodge et du Laos. Mais dès la seconde séance et le discours d’Albert Sarraut, le 30 juin 1950, les querelles d’ordre du jour manifestèrent les différences, voire les incompatibilités d’approche entre les délégations105. Le Vietnam contesta les priorités de celui que la France avait proposé : dans sa propre version, le plan d’équipement se trouvait relégué en fin de liste, au profit des attributs de la souveraineté, douanes et questions financières106. Un peu plus tard, lors de la 7e séance, le 24 juillet 1950, on achoppa sur le problème du Mékong et du port de Saigon. Faisaient-ils partie de la conférence inter-États ? Non pour le Vietnam, où se situe Saigon, oui pour le Cambodge, qui ne disposait pas encore de port en eau profonde... Dans un article consacré au bilan de la conférence, Paul Bernard citera une formule utilisée selon lui par plusieurs délégués : « Notre amour propre national est plus important que le progrès économique »107.
62Pendant que la conférence de Pau s’éternisait en débats de procédure et en querelles nationales - elle restera réunie de juin à novembre 1950 -, le gouvernement français s’efforçait de clarifier le statut international des États associés. Après la démission de Bidault, sous l’autorité duquel avaient été conduites les premières négociations avec les États-Unis, le très éphémère cabinet Queuille prit en juillet 1950 une décision qui offrait une perspective à la conférence inter-États : la création d’un ministère d’État chargé des Relations avec les États associés, dont le principal titulaire allait être le MRP Jean Letourneau. Accessoirement, cette initiative ne cédait rien aux Américains, qui auraient voulu on le sait voir les États associés transférés au Quai d’Orsay, mais leur donnait quand même satisfaction en les retirant de la France d’outre-mer.
63La question de la parité de la piastre ne fut pas inscrite à l’ordre du jour de la conférence de Pau mais, pendant que celle-ci se déroulait à l’autre bout de la France, le nouveau cabinet Pleven, investi le 11 juillet 1950, allait s’efforcer de remettre les choses à plat. Un important conseil restreint réuni à Matignon le 26 août 1950 autour du président du Conseil, pour « faire le point des dépenses militaires d’Indochine pour 1950 et 1951 »108 reprit le dossier du financement de la guerre - la parité de la piastre, l’aide américaine, le compte n° 2... La dévaluation de la monnaie indochinoise fut envisagée, mais son étude finalement confiée à un comité ad hoc109. Six semaines plus tard environ, le 12 octobre 1950, après cinq réunions et de multiples notes et rapports, le rapport final de ce comité mettait en balance les avantages - provisoires selon lui - et les inconvénients d’une modification de la parité de la piastre, insistant sur ces derniers et concluant sur « les conséquences d’ordre politique [...] qu’entraînerait une dévaluation immédiate de la monnaie indochinoise » - la conférence de Pau n’avait en effet pas encore abouti110. Il n’y aura donc pas, cette fois encore, de dévaluation de la piastre. Sur l’aide américaine, René Pleven put par contre apparaître plus audacieux, en préconisant de demander aux États-Unis une aide financière, ce qui était encore une nouveauté. L’idée sera soutenue en septembre par le Quai d’Orsay111, à condition que celle-ci ne dépasse pas 50 milliards de francs : les dépenses concernées, présentées par la Défense nationale, étaient en fait déjà pour la plupart imputées au compte spécial n° 2.
64La question du compte spécial n° 2, déjà examiné par le Comité de défense nationale du 22 juin 1950 comme mode de financement des Armées nationales, fut bien sûr également étudiée lors du conseil restreint du 26 août 1950112 : pour René Pleven, il s’agissait d’une bonne formule, « parce que la Métropole pourrait obtenir le remboursement de ces dépenses sur le produit d’une aide extérieure » - il pense bien sûr aux États-Unis. Mais le ministre des Finances Maurice Petsche n’en obtiendra pas moins la fermeture du compte en question, au profit d’une régularisation parlementaire.
65Le compte n° 2 ne survécut pas, en effet, à ce conseil restreint. On sait que le directeur du Trésor, François Bloch-Lainé, avait montré dans son rapport du 13 mai 1950 - mais sans nommer le compte spécial - que le recours à l’émission locale qu’il supposait retombait sur le Trésor métropolitain par le jeu des transferts financiers : c’est ce qu’il appelait, en termes plus comptables, la situation créditrice de la métropole sur l’Indochine, qui revenait en fait à faire financer indirectement par Paris la création des armées des États associés. Il s’agit autant d’une question de forme que d’un problème de fond : « Si les errements actuels sont poursuivis, écrivait-il, la métropole va consentir en 1950 aux États associés une aide de l’ordre de 50 milliards qui, dans les conditions où elle est octroyée, est irrégulière et dont il n’est tiré par ailleurs aucun avantage politique, puisque son mécanisme en cache la signification et l’importance aux yeux des bénéficiaires ». Il suggérait donc, comme son ministre en reprendra l’idée, une régularisation par le Parlement : à partir de 1951, le financement des Armées nationales fera l’objet d’une subvention inscrite au budget des Forces terrestres d’Extrême-Orient.
66En attendant, on s’en souvient, l’affaire revint devant le Parlement sous une autre forme, à propos de Cao Bang. Cette petite ville proche de la frontière chinoise avait été reprise en 1947 au Viet Minh mais aurait dû être évacuée depuis des mois, en raison notamment du coût élevé du maintien d’une garnison sur place - Revers lui-même l’avait envisagé en 1949 dans son rapport. Elle fut finalement abandonnée en octobre 1950 dans les pires conditions : pour la première fois, des unités militaires de l’Union française étaient mises en déroute et laissaient sur le terrain des milliers de morts. Or le général Carpentier, commandant en chef, attribuera notamment le désastre militaire à la fermeture du compte spécial n° 2, et donc au ministre des Finances, ce qui entraîna la question de Frédéric-Dupont lors du débat parlementaire du 19 octobre 1950.
67Interpellé, le président du conseil René Pleven mit un terme à la polémique dans une longue intervention à la tribune. « Nous n’avons jamais, rétorqua-t-il à Frédéric-Dupont, à aucun moment, laissé les préoccupations financières l’emporter sur les nécessités du corps expéditionnaire en Indochine »113. Il rappela au passage que le budget prévu de 120 milliards de francs, « correspondant à des effectifs budgétaires moyens au cours de 1950 de 125 000 hommes », avait été dépassé avec le plein accord du ministre des Finances : portées à 143 milliards de francs, les dépenses prévues ont ainsi « permis de maintenir les effectifs terrestres à 151 600 hommes contre 125 500 » initialement.
68Malgré la défaite de Cao Bang et la diatribe de Mendès France, nul ne parait pour autant songer sérieusement à remettre en cause la guerre elle-même, ni à revenir sur la politique compliquée de mise sur pied des États associés et d’alliance avec les États-Unis. Évidemment, comme l’avait déclare Mendès France lors du débat du 19 octobre en suggérant une négociation « avec ceux qui nous combattent », ce ne serait « pas facile, puisque nous ne parvenons pas, si j’en juge par les péripéties de la conférence de Pau, à réaliser un accord avec ceux qui ne nous combattent pas ! » Mais le gouvernement continue de préférer s’entendre - si l’on peut dire - avec les États associés plutôt qu’avec la RDV.
69Les conventions signées à Pau en décembre 1950 assuraient aux États associés, qui disposaient déjà d’une indépendance de principe, un large transfert de pouvoirs. Le Trésor indochinois, qui avait été pourtant conçu à l’origine comme un garde-fou à leurs prétentions, est supprimé. Trois Trésors nationaux et une Caisse autonome de gestion et d’amortissement de la dette, chargée d’assurer l’exécution de ses propres engagements, lui succèdent. En matière douanière, fortement poussés dans ce sens par la délégation française, les trois États « ont convenu de former entre eux une union douanière », tout en conservant chacun la perception des droits et taxes, ainsi que la gestion générale de la question114. Comme par ailleurs les trois pays ne disposent pas du même accès à la mer, donc des mêmes potentialités en matière de commerce extérieur, une convention relative au port de Saigon et à la navigation sur le Mékong a été mise au point, prévoyant la libre circulation et une commission consultative siégeant à Phnom Penh. La philosophie générale des accords de Pau est ainsi celle d’une indépendance octroyée dans certaines limites économiques, celle qu’impliquent le lien fédéral et le rattachement à l’Union française : c’est le règne de l’Union économique et du quadripartisme, la France n’étant jamais très loin des dispositifs élaborés.
70La clé de voûte du système est d’ordre monétaire, sous la forme de l’institut d’émission des États associés du Cambodge, du Laos et du Vietnam, dont la convention fut signée le 23 décembre 1950115. Le schéma théorique d’un Institut d’émission se substituant à la Banque de l’Indochine était prêt, on le sait, depuis 1948. Le principe d’une union monétaire rattachée à la zone franc avait également été posé dans les accords bilatéraux signés en 1949 entre la France et les États associés. Avec la convention signée à Pau, les parties contractantes entrent cette fois vraiment dans la phase de mise en œuvre, qui annonce le désengagement de la Banque de l’Indochine. Dans l’immédiat, cela ne change pas grand-chose, d’autant que les délégués ne savent toujours pas où fixer le siège de l’Institut -Saigon, Phnom Penh ou Vientiane - et que la Banque de l’Indochine continue d’assurer la continuité monétaire : mais, à terme, la piastre « Bao Dai » se substituera bien à la piastre BIC. Qu’en sera-t-il de l’Office indochinois des changes ? La réponse à cette question reste indécise : un département des changes est cependant créé à l’Institut d’émission, pour veiller à ce que « For et les devises provenant des exportations des trois États soient cédés au Fonds de stabilisation des changes de la zone franc », avant que celui-ci les rétrocède aux États pour leurs propres besoins commerciaux et financiers116.
71Ces dispositions changent-elles quelque chose au coût de la guerre ? Sans doute non : au lieu de s’entendre avec la Banque de l’Indochine, le Trésor achètera à l’Institut d’émission les piastres nécessaires aux dépenses militaires de la France en Indochine. Parallèlement, un « compte d’opérations monétaires et de règlement avec les États associés d’Indochine », dont la direction du Trésor prépare le projet de loi, prendra la suite du compte spécial n° 2 - on prévoit d’y autoriser un découvert d’environ 20 milliards de francs. Globalement, l’idée est que les versements du Trésor en Indochine, dont on suppose qu’ils seront d’un montant supérieur à celui des transferts financiers en retour, permettront de constituer les « avoirs francs » garantissant la circulation de la piastre nouvelle. Nous reviendrons également sur ce mécanisme, mais il apparaît pour l’heure que la couverture en francs de l’institut d’émission sera pour l’essentiel assuré par « les dépenses faites localement par la métropole », c’est-à-dire les dépenses militaires. Certes, le Trésor devra assurer l’équilibre dans le cas prévisible d’un excédent de transferts financiers de l’Indochine vers la France, mais c’est ce qu’il fait déjà depuis plusieurs années : comme l’indique une note de la rue de Rivoli, « la couverture de la piastre ne constituera pas pour la France une charge nouvelle »117.
72De sévères critiques, venues de ce que l’on pourrait appeler le lobby colonial, ont cependant salué l’achèvement de la conférence de Pau. Elles émanent en particulier de Paul Bernard, représentant les milieux d’affaires intéressés à l’Indochine : Pau a été pour lui un échec et un abandon118. Déploram à la fois l’absence de curiosité des députés et l’absence d’explications du gouvernement lors du vote de confiance qui a suivi la signature des conventions, il se demande simplement si la France a encore en Indochine la « place privilégiée », pour reprendre l’expression du ministre Letourneau, qui y justifie ses engagements : « au moment où l’on demandait au pays de consentir un nouvel effort militaire et financier pour renforcer le corps expéditionnaire, précise-t-il, le gouvernement se devait d’indiquer dans quelle mesure se justifiaient ces sacrifices supplémentaires et, par suite, de préciser sans équivoque pourquoi nous nous battions en Indochine ». Bien sûr, des dizaines de milliers de Français vivent toujours sur place, pour ne pas parler du corps expéditionnaire, et la France à travers eux y exerce toujours un réel pouvoir. Mais Paul Bernard s’inquiète de voir les États associés, désormais dotés d’armées nationales et d’une relative autonomie diplomatique, tentés de se comporter comme si l’Union française n’existait plus, ou de faire comme si Paris, dont ils dépendent pourtant encore largement, ne conservait pas également une prééminence de droit. Concrètement, affirme-t-il, « le gouvernement de la République n’a plus la charge d’assurer la direction de la politique comme l’a voulu la constitution ».
73Si les États associés, de leur côté, ne manquent pas de motifs de satisfaction, il reste bien sûr à la France, pour utiliser une expression qui circule de plus en plus, à les faire entrer « dans la guerre », en particulier le Vietnam de Bao Dai : le gouvernement s’y emploie sans tarder. En novembre 1950, alors que la conférence de Pau s’achève et que le souvenir du désastre de Cao Bang est encore frais dans les mémoires, le ministre des États associés Letourneau rencontre Bao Dai à Dalat. L’objet de l’entrevue est de mettre au point un programme de développement de la toute jeune Armée nationale vietnamienne, la faisant passer de 63 000 hommes, chiffre de fin 1950, à 165 000 hommes un an plus tard - pas moins119. Ce chiffre ne sera pas tout à fait atteint, des problèmes d’encadrement s’ajoutant aux difficultés de recrutement. Mais fin 1951, l’armée vietnamienne alignera néanmoins 122 800 hommes, soit une progression, en un an, de 162 %.
74Parallèlement à cette mise en place - et en guerre - des États associés, le climat s’est aussi amélioré avec les États-Unis : les modalités relatives à leur aide militaire se précisent à la fin de l’année 1950. Après de nouvelles négociations menées en octobre à Washington, alors que s’achève la conférence de Pau120, l’ambassadeur Henri Bonnet estime que « l’administration américaine est maintenant engagée dans l’accélération de l’aide militaire à l’Indochine »121. On s’organise : un MAAG - groupe consultatif d’assistance militaire - s’installe à Saigon sous la direction d’une « grosse pointure », ou perçue comme telle, le général Brinck ; et la France est bientôt avisée, le 16 novembre 1950, que la structure qu’il dirige est désormais la seule « autorité américaine désignée pour recevoir, étudier et transmettre les demandes d’assistance militaire américaine présentées par les forces françaises en Indochine »122. Le 20 décembre enfin, la conférence de Pau ayant finalement abouti, un « pacte à cinq » relatif à la défense mutuelle en Indochine est signé à Saigon par les représentants des États-Unis, de la France et des trois États associés123. Il aura fallu presqu’un an pour établir un processus régulier d’aide militaire - encore cet accord ne fixe-t-il que des modalités : aucun engagement n’est pris quant au montant et à la durée de l’aide. Tous les problèmes, loin s’en faut, ne sont pas encore réglés.
III. L’ANNÉE DES AMBIGUÏTÉS
75L’année 1951 voit se mettre en place le mécanisme élaboré, non sans difficultés, durant les deux années précédentes. Mais ce mécanisme apparaît encore imparfait, inachevé, ambigu même. Trop d’intérêts contradictoires, sans doute, étaient en jeu.
76L’aggravation de la situation internationale inquiète parallèlement le gouvernement français, bien au-delà de l’Indochine. En juin 1950, la guerre de Corée a pris le relais de la révolution chinoise : tout le bloc communiste semble être entré dans une phase d’expansion armée. L’Europe occidentale elle-même se sent menacée : le grand dessein de la France est dès lors, tout à la fois, de se réarmer et de redevenir la première puissance militaire en Europe. René Pleven a placé le réarmement en tête de ses objectifs en entrant à Matignon en juillet 1950. Le plan qui porte son nom, lançant la Communauté Européenne de Défense (CED), est formulé le 24 octobre 1950 et le budget de réarmement finalement adopté par l’Assemblée nationale le 8 janvier 1951 : la part des dépenses militaires, qui représentait en 1950 environ 18 % des dépenses du pays, passe à près de 28 % pour 1951124. Les crédits militaires de la France font entre 1950 et 1951 un bond de 47 %125.
77En France, l’opinion est divisée, la contestation du réarmement et de l’engagement en Indochine restant une spécialité du parti communiste, qui conteste ensemble tous les efforts militaires occidentaux : « En cette période de rentrée des classes, peut-on par exemple lire en octobre dans L’Humanité126, devant les nombreuses écoles qui attendent des réparations urgentes ou en pensant à celles qui sont à construire, on songe [notamment] à tout ce qui aurait pu être fait [...] avec le milliard que notre gouvernement dépense journellement pour la guerre du Vietnam ». Mais la guerre d’Indochine semblait pourtant avoir pris une physionomie nouvelle.
A. L’EFFET DE LATTRE
78Dans l’historiographie de la guerre d’Indochine, l’arrivée du général de Lattre de Tassigny en Indochine, en décembre 1950, marque un tournant majeur, mais il reste à en apprécier le prix, et comment le nouveau responsable de la mise en œuvre de la politique indochinoise de la France s’accommode des problèmes financiers qui grèvent de plus en plus le conflit. Ce qui frappe le plus chez ce Mac Arthur français127 est le caractère tragique de son proconsulat : muni de tous les pouvoirs civils et militaires, pour la première fois depuis d’Argenlieu, ce chef charismatique impose d’emblée un nouveau dynamisme au corps expéditionnaire et donne au gouvernement français de nouvelles raisons d’espérer ; mais il rencontrera très vite la mort, celle au combat - au Vietnam même de son fils unique, et la sienne propre en janvier 1952.
79La volonté de rupture du nouveau chef s’exprimait à tous les niveaux. Haut-commissaire de France et commandant en chef, il succède à la fois à Léon Pignon et au général Carpentier, ne relevant que du ministre d’État Letourneau, chargé des Relations avec les États associés - en principe du moins si l’on en juge par l’impression laissée sur Perron, directeur du Trésor en Indochine, par l’arrivée de De Lattre128 : « Transfert de pouvoirs à mon avis assez pénible, écrit-il, Pignon paraissait fatigué et assez aigri, le successeur relevant le menton, le ministre trottinant derrière ». Avec de Lattre, la guerre, que la recherche d’un aménagement politique avait un peu relégué au second plan, revenait sur le devant de la scène. Mais tout était remis à plat, revu, relancé - ou du moins censé l’être, comme avec cette note du 28 mai 1951 adressée par le haut-commissaire à la direction du Trésor, rue de Rivoli129 : rassemblant en un dossier des données nombreuses et détaillées, sur la circulation fiduciaire, les relations entre la Banque de l’Indochine et le Trésor, ou les transferts financiers avec la France, elle ne fait pas oublier l’impression de complexité et ne propose aucune solution nouvelle. Mais sans doute était-il nécessaire de faire vraiment le point.
80Au passage, le général de Lattre s’entend si bien avec le directeur de la succursale de la Banque de l’Indochine à Saigon, Paul Gannay, également Inspecteur général de la Banque, qu’il exige - et obtient - son départ d’Indochine130. Tout autant que l’institution financière qu’il dirigeait, Gannay, établit sur place depuis les années 1920, symbolisait il est vrai l’époque coloniale à lui seul. Mais peut-être aussi l’Indochine ne pouvait-elle avoir deux « patrons » en même temps...
81Une telle tornade a son prix : de Lattre était cher, mais relativement suivi par le gouvernement. Les dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine, déjà réputées trop élevées, bondissent en 1951 de 182 à 322,3 milliards de francs131. Même si le nouveau commandant en chef n’est pas le seul responsable de l’intensification des combats, il ne se bat pas non plus toujours à l’économie. Le moral des troupes d’Indochine, d’abord, n’est pas gratuit : de Lattre s’efforce de relever leur « standing » et obtient des crédits pour le faire. Le président du Conseil Pleven lui rendra hommage sur ce point, en imposant néanmoins quelques coupes à son projet de budget pour l’année suivante132 : « de grandes améliorations ont été apportées sous votre impulsion, reconnaît-il alors, à l’habillement et à l’alimentation de la troupe ». Quand, ensuite, de Lattre a l’intention de gagner une bataille, et il le montre dans les semaines qui suivent son arrivée, il ne parait lésiner sur aucun moyen. En janvier 1951, pour la bataille de Vinh Yen, c’est-à-dire pour bloquer au nord-ouest la route de Hanoi, menacée par des unités régulières de l’armée populaire, il réquisitionne tous les transports disponibles, y compris les avions civils : un pont aérien assuré par Air France pendant trois jours permet notamment d’amener à Hanoi les unités parachutistes jugées indispensables133.
82De Lattre demande des renforts et, en général, les obtient, même si ce n’est pas sans difficultés. Après trois Comités de Défense nationale partiellement consacrés à la question134, la « décision Queuille » donne ainsi satisfaction le 17 mars 1951 aux « demandes de relève, de maintenance et de renforts formulées par le haut-commissaire commandant en chef » : prélevés en Afrique135, 15 000 hommes sur les 20 000 demandés sont accordés à l’Indochine. Après que de Lattre en ait fait la demande le 25 juin, le Comité de défense nationale du 15 octobre 1951 fixe finalement à 173 300 hommes et 60 000 supplétifs les effectifs moyens du corps expéditionnaire136. Cette fois, cependant, Pleven avertit de « la nécessité de ne pas les dépasser, en moyenne, en 1952 ».
83Reste le programme de fortifications imaginé par de Lattre après la bataille de Vinh Yen : un millier d’ouvrages environ, en béton, destiné à « barricader » le delta tonkinois contre les unités régulières de l’armée populaire, voire contre une éventuelle menace chinoise. Outre que le principe en était discutable, car la pratique militaire du Viet Minh se jouait assez facilement des places fortes, il était franchement onéreux : environ 7 % des dépenses militaires pour l’Indochine sont consacrées à ce programme en 1951 - soit entre 20 et 25 milliards de francs.
Carte 4. Les fortifications de Lattre autour du delta du Tonkin
84Pour la première année, le gouvernement a suivi : « toute l’aide possible vous a été donnée, en cours d’année, pour cette magnifique réalisation », écrit notamment Pleven à de Lattre137. Mais quand ce dernier réclame une rallonge pour étendre son programme en 1952, l’idée de transformer non seulement le delta du fleuve Rouge mais tout le Vietnam en camp retranché passe nettement moins bien138 : « Je vous demande, poursuit Pleven dans la même lettre d’arbitrage, - au prix d’un risque dont le Gouvernement prend la responsabilité - de limiter ce programme » au strict nécessaire : le parachèvement du système des fortifications existant au Tonkin, soit tout de même quelque 24,5 milliards de francs.
85Onéreux, de Lattre n’en est pas moins, si l’on peut dire, adapté aux exigences politiques et financières de l’heure. Mieux que tout autre, il s’attache à « mettre le Vietnam dans la guerre ». « Soyez des hommes, lance-t-il aux jeunes Vietnamiens lors de la distribution des prix du lycée Chasse-loup-Laubat, c’est-à-dire : si vous êtes communistes, rejoignez le Viet Minh ; il a là-bas des individus qui se battent bien pour une cause mauvaise. Mais si vous êtes des patriotes, combattez pour votre patrie, car cette guerre est la vôtre »139. Cinq jours plus tôt, le 6 juillet 1951, le chef du gouvernement Tran Van Huu, finalement convaincu, avait décrété la mobilisation du pays, une mobilisation dont Bao Dai signera l’ordonnance le 15 juillet suivant.
86Mettre le Vietnam dans la guerre, cela impliquait à la fois que l’État associé disposât d’un outil militaire efficace et des moyens de le financer, au moins partiellement. Sur cette nécessité « d’accomplir l’indépendance des États », de Lattre parait être au même diapason que la rue de Rivoli : André Valls, inspecteur des finances envoyé en mission en Indochine en mai-juin 1951, insiste dans son rapport sur l’objectif essentiel de préparer les « États à l’exercice de leur souveraineté économique et financière », ce qui n’est pas toujours facile sur place, compte tenu d’une part de l’existence « des fonctionnaires français habitués à gérer, en toute liberté, les finances indochinoises » et, d’autre part, d’un certain manque de compétences du côté vietnamien140. Or il faut s’y mettre : le gouvernement français prévoit en effet pour bientôt, par exemple, le transfert aux États associés de la charge des « travaux publics d’intérêt militaire » - quitte à solliciter des États-Unis une aide particulière sur ce point141.
87De Lattre éprouve justement le besoin de stimuler l’aide américaine, dont les débuts ont été on le sait laborieux et conflictuels. Les livraisons de matériel militaire ont certes commencé en août 1950, dans le cadre du Mutual Defense Assistance Program (MDAP), mais sans précipitation et de manière inégale selon les armes : les Forces terrestres y ont trouvé de quoi commencer la rénovation de leur matériel ; les Forces aériennes, surtout, de quoi se doter de nouveaux équipements offensifs, un cinquième groupe de chasse et deux groupes de bombardement142 ; la Marine, en revanche, n’obtient guère encore satisfaction. De Lattre décide donc de se rendre sur place, aux États-Unis même, convaincu que les Américains peuvent être mobilisés comme les autres pour la cause qu’il défend. Sans doute connaît-il mieux que quiconque le coût de sa stratégie, mais il paraît également savoir où se trouve l’argent, et son voyage - sa croisade - aux États-Unis, du 13 au 25 septembre 1951, est un succès : conscient du poids de l’opinion outre-atlantique, il multiplie les rencontres publiques et politiques, fait la couverture de Time magazine, est l’invité de « Meet the Press » sur le petit écran. Son message est simple : la France défend en Indochine le monde libre et l’indépendance de jeunes États, une cause qui la dépasse largement ; et elle ne peut le faire seule, l’enjeu dépassant ses moyens propres. De fait, les livraisons américaines vont se trouver accélérées.
B. LA MISE EN PLACE DES ÉTATS ASSOCIÉS
88L’application des conventions de Pau, alors que de Lattre est à la tête de l’Indochine, ouvrait en fait une période très incertaine. Une note de la direction des Finances extérieures le résume à sa manière : « La situation actuelle en Indochine se caractérise essentiellement par sa confusion, écrit Sadrin au printemps 1951143 : confusion qui résulte tant de causes politiques et militaires que de causes administratives ; ces dernières - les seules que nous ayons à examiner - résultent avant tout des transferts des services, en exécution des accords de Pau, et de l’imprécision qui semble régner dans le domaine budgétaire. Cette confusion a ses répercussions financières dans la métropole. Sur le plan budgétaire, il est difficile d’inscrire les dépenses à imputer au budget ; sur le plan de la trésorerie, un risque permanent pèse sur le Trésor... » Sur place, la difficulté du montage des nouveaux États était liée par ailleurs, on le sait, à leur double parrainage, français et américain : entre collaboration et discorde, les États associes représentaient en effet, pour eux, le lieu de tous les malentendus.
89Le financement des Armées nationales reste le premier point. Sans doute la France continue-t-elle à financer leur mise sur pied. Après la fermeture du compte spécial n° 2, elle le fait même très officiellement : les États associes apparaissent pour la première fois en 1951 dans le budget de la métropole - à hauteur de 31 milliards de francs sur un total, en francs courants, de 182 milliards consacrés à l’Indochine144. Mais cela, bien sûr, ne suffit pas : l’objectif de la France étant alors de « faire entrer le Vietnam dans la guerre », il était indispensable d’obtenir sa contribution financière. Ne lui a-t-on pas transfère les principales recettes fiscales du pays et la maîtrise de son propre budget ? En 1950, cette contribution était encore modeste : 4 milliards de francs (1953), soit seulement 1,4 % du coût global de la guerre cette année-là. Mais la progression est sensible en 1951 : elle permet de passer à 16,7 milliards de francs, ce qui représente 4,4 % du total ; et elle se poursuivra les années suivantes145. Il y a encore du travail. Comme l’écrit Gaston Cusin, président du nouvel Institut d’émission, « la remise en ordre des finances publiques est [...] la condition sine qua non de l’effort militaire vietnamien, dont nous attendons un allégement de nos charges militaires dans l’immédiat et, plus tard, la relève des troupes de l’Union française »146.
90La dotation initiale des premières unités des Armées nationales est venue de France. Mais avec l’accord à cinq du 20 décembre 1950, celles-ci purent bénéficier d’une partie de l’aide militaire fournie à titre gratuit par les États-Unis à la France. La question restait épineuse, les Français se méfiant d’un intérêt par trop exclusif des Américains dans cette direction. Mais René Pleven n’avait pas hésité à solliciter directement leur aide - à condition qu’elle passât par la France : les Armées nationales figurent donc expressément dans les demandes françaises. « L’aide que nous sollicitons du gouvernement des États-Unis a essentiellement pour but d’assurer la mise sur pied en 1951 de quatre divisions vietnamiennes », indique à ce sujet une note du Quai d’Orsay147, auxquelles s’ajoute l’équipement de diverses formations vietnamiennes ne relevant pas de l’armée régulière, ainsi que de deux bataillons d’infanterie pour le Cambodge et de deux autres pour le Laos.
91La négociation de l’aide économique s’avéra plus délicate, sinon conflictuelle148. Cette aide aux États associés, en dépit de la relative modestie des sommes concernées, n’était pas en effet sans risques pour la France. L’aide commercialisée, en particulier, pouvait facilement contrarier les circuits commerciaux traditionnels reliant la métropole et l’Indochine : comme l’indique l’inspecteur des finances dépêché à Saigon pour y suivre les négociations américano-vietnamiennes, la France doit donc être à la fois en mesure d’autoriser des importations de la zone dollar et ne pas « compromettre les débouchés de produits français »149. Mais globalement l’enjeu est politique : le ministère de la France d’outre-mer, d’abord en charge du dossier, puis celui des États associés ont la nette impression que l’ECA, administration américaine compétente, établit des programmes peu onéreux mais populaires, par exemple en matière de santé, aux seules fins de jeter le discrédit sur la présence française, en suggérant qu’elle restait inactive dans les domaines visés. Mais on ne refuse pas une aide économique. Alors, dès le début, tout fut question de procédure : ainsi que le précise le ministère des Finances, le combat a consisté à « faire en sorte que cette aide soit, en fait, négociée et gérée par nous »150.
92L’accord, on s’en doute, ne fut pas facile à trouver. Au plus haut niveau, les occasions de discuter ne manquèrent pas, même si cette question ne figurait pas en tête des ordres du jour : le président du Conseil René Pleven vient aux États-Unis en janvier 1951151, le président de la République Vincent Auriol deux mois plus tard. Désireux de rendre possible l’aide économique américaine à l’Indochine tout en en gardant un certain contrôle, Paris affichait même une certaine bonne volonté : les procédures américaines exigeant une sorte de préfinancement de l’aide commercialisée, le ministre français des Finances offrit son concours, en créant un fonds de roulement de 5 millions de dollars à Washington au profit des États associés152. Mais, comme le notera le ministre d’État chargé des Relations avec les États associés Letourneau, les volontés restaient contradictoires153. « Nous devons le constater une fois de plus, écrit-il en effet : l’action de la mission Blum est telle, qu’au moins dans ses effets sinon dans ses buts, elle tend à l’élimination progressive de l’influence française en Indochine. Le gouvernement français ne saurait en aucune façon y consentir. Il entend faire respecter par tous l’œuvre d’un siècle que couronne aujourd’hui l’indépendance reconnue aux États, indépendance dont nous restons encore les seuls garants. »
93Le projet d’accord entre les États-Unis et le Vietnam déplut tant aux services ministériels français que tout le processus fut arrêté. Moins de dix jours avant la cérémonie officielle de signature de l’accord à Saigon, prévue le 30 juin, une réunion ministérielle décida des points dont la France demandait la modification et en donna instruction au haut-commissaire154. La cérémonie dut être reportée, mais l’accord sur l’aide économique américaine aux États associés put finalement être signé à Saigon le 7 septembre 1951, alors que s’ouvrait la conférence de San Francisco - on ne pouvait, du côté américain, choisir moment plus approprié155. A cette date, d’ailleurs, les relations franco-américaines s’améliorent et, peut-être, changent de nature : en même temps ou presque que le général de Lattre, haut-commissaire et commandant en chef en Indochine, venu plaider sa cause, plusieurs membres importants du cabinet — Schuman et Mayer pour les Affaires étrangères et les Finances notamment - ont alors des conversations à Washington. Il est déjà question d’une augmentation de l’aide américaine à l’Indochine, voire directement à la France. C’est à peine si l’on remarquera, en novembre, que Robert Blum est remplacé à la tête de la mission économique américaine de Saigon par un diplomate de carrière, Williamson, réputé plus conciliant.
94Finalement, les nouvelles institutions financières des États associés purent enfin être mises en place au cours du troisième trimestre 1951. Au 1er octobre, les trois Trésors nationaux du Vietnam, du Cambodge et du Laos se substituaient au Trésor indochinois. Il devenait difficile, dans ces conditions, de surseoir encore à la mise en place de l’Institut d’émission. La convention de Paris du 16 décembre 1951 permit de définir les modalités du transfert du privilège d’émission et d’introduire quelques garde-fous jugés nécessaires par la France156 : le siège de l’Institut était fixé à Phnom Penh, capitale du Cambodge, ce qui ne pouvait plaire aux Vietnamiens, et il restait dépendant du Trésor français - par un mécanisme sur lequel nous revien-drons157. L’Institut d’émission des États associés du Cambodge, du Laos et du Vietnam fonctionnera à partir du ler janvier 1952.
95Notons que, sur ce plan, la RDV n’est pas en reste. Bien adossée elle-même au camp communiste, elle ne s’en laisse pas compter. Sur le plan militaire, elle manœuvre désormais de grandes unités régulières, constituées ou formées en Chine. Sur le plan politique, le Viet Minh a formellement disparu, mais cela ne change pas grand-chose : depuis la tenue en février 1951 du IIe congrès du parti communiste vietnamien, c’est ce dernier qui, sous le nom de parti des Travailleurs, a pris officiellement la direction de la Résistance. Sur le plan économique, enfin, la RDV n’a jamais baissé la garde : alors que l’on discutait toujours à Pau, une « semaine de destruction de l’économie ennemie » était organisée au Nam Bo, du 23 au 29 septembre 1950158 ; l’interdiction d’utiliser la monnaie de la Banque de l’Indochine en dehors des autorisations reconnues reste passible de lourdes sanctions -quelques peines de mort semblent même avoir été prononcées en 1951159. Et elle reprend l’initiative en matière monétaire. Une Banque nationale du Vietnam, version RDV de l’Institut d’émission, mais huit mois avant ce dernier, est constituée le 6 mai 1951160, et une nouvelle monnaie est émise, le dong nouveau valant dix dôngs anciens - il s’agit en particulier de faire face à l’arrivée prochaine de la monnaie « Bao Dai ».
C. QUELLE POLITIQUE INDOCHINOISE ?
96On a beaucoup dit que le décès du général de Lattre, en janvier 1952, avait privé la France d’un redressement certain en Indochine : il est cependant permis de se demander, indépendamment des difficultés que lui-même pressentait, s’il ne risquait pas de se « démoder » assez vite. Un nouvel état d’esprit semble en effet régner à Paris au sujet de l’Indochine en 1951 : la hiérarchie militaire d’une part, le ministère des Finances d’autre part, paraissent en effet alors sceptique sur les modalités de son entreprise.
97Le programme de réarmement, centré sur le théâtre Europe et budgétisé en janvier 1951, est-il compatible avec l’engagement français en Indochine ? Les premières demandes de renforts formulées par de Lattre, contemporaines du vote de l’Assemblée, avaient interpellé le pouvoir sur ce point : « L’importance de cette première demande du général de Lattre de Tassigny pose le problème qui a pu longtemps être remis du choix entre l’Indochine et l’Europe », résume le procès-verbal du Comité de défense nationale du 19 janvier 1951161. Peu après, l’avis du comité des chefs d’état-major est que la satisfaction des demandes du haut-commissaire compromettrait « gravement la réalisation du plan de réarmement ». Mais de Lattre ne se laisse pas intimider. Présent au Comité de défense nationale du 17 mars 1951, il conclut son intervention par ces termes : « En définitive, il s’agit de déterminer si l’emploi sur le théâtre actif d’Indochine d’une fraction de nos moyens, en supplément momentané, ne représente pas une meilleure économie de forces et une sécurité actuellement plus réelle que la conservation de cette même fraction pour un théâtre Europe qui ne semble pas devoir être prochainement ouvert. C’est la question qui se pose »162. La « décision Queuille » lui donnera partiellement raison.
98Mais les choses n’en restèrent pas là car, en attendant que soit signé le traité de CED, la France inscrit son effort de réarmement dans le cadre de l’OTAN : elle s’engage en particulier à aligner quatorze « divisions OTAN » entre la France, l’Allemagne et l’Algérie, sur un total de vingt-cinq divisions - plus douze autres mobilisables163. Tout semble se liguer contre l’engagement français en Indochine : l’aggravation des coûts de la guerre, le réarmement du pays, le déficit budgétaire, l’engagement « atlantique ». Sans doute les États-Unis aident-ils la France à se doter en Europe d’un outil militaire à la hauteur des enjeux présumés, d’autant plus que Paris consent un effort budgétaire en proportion. Mais les crédits militaires de la France s’envolent, et ses objectifs apparaissent de plus en plus inconciliables.
99La dérive financière, en tout cas, s’accélère. « Les prévisions budgétaires se trouvent aujourd’hui largement débordées », notait en février 1951 le ministre des États associés, en annonçant le projet de budget de son département au président du Conseil164. « De fait, rappellera Roger Goetze165, le budget [1951], à l’époque où a été définitivement votée la loi de Finances, ne reflétait déjà plus la situation des finances publiques. [...] Le Parlement a rejeté la demande de crédits supplémentaires que lui présentait le gouvernement pour la couverture du renforcement en armes et en matériel du corps expéditionnaire d’Indochine [...]. D’autre part, le gouvernement lui-même n’avait pas jugé opportun de présenter à l’Assemblée nationale, dont le mandat venait à expiration, les conséquences de certains problèmes cependant déjà poses, tels que le coût des renforts en hommes demandés par le général de Lattre... »
100Mais que dire de la préparation du budget 1952 ! « Pour sérieux qu’il soit, ajoute le directeur du Budget en juillet 1951 dans son rapport au ministre, le problème du budget de 1951 apparaît en vérité comme mineur à l’égard de celui que pose celui de 1952 ». Une vue optimiste de la question, précise Roger Goetze, même tenant compte de l’aide américaine, laisse entrevoir qu’il manquera environ 900 milliards de francs pour boucler un budget alors évalué à quelque 3 450 milliards. « Le montant absolu du déficit atteint un ordre de grandeur jamais envisagé jusqu’ici », assure-t-il. Encore ces perspectives restent-elles incertaines, en raison de la difficulté d’estimation des dépenses militaires, particulièrement pour l’Indochine. Budgétairement parlant, pourtant, l’Indochine n’apparaît pas directement - ou pas seule - responsable de cette situation. Pour Roger Goetze, la stabilité financière a surtout été « remise en cause par le lancement d’un programme intensif de réarmement », qui ne lui est pas lié, et qu’il ne conteste d’ailleurs pas sur le fond. II reste pour le directeur du Budget que « cette charge nouvelle [...] a mis en péril le redressement financier et menacé l’existence même de la monnaie »166. Il faut donc trouver des solutions à la même hauteur.
101Si l’Indochine n’apparait pas comme la cause première du déficit budgétaire, elle figure par contre en tête des « décisions de sévérité » qu’impose la situation et que suggère Roger Gœtze, étant donnée « l’insuffisance des solutions traditionnelles ». Les 300 milliards de francs et plus qui vont y être « engloutis » en 1952 représentent pour lui un effort financier « proprement insupportable », qui en outre « compromet les chances de succès d’un rééquipement de l’armée française en Europe ». Il semble qu’en fait l’Indochine soit le seul chapitre budgétaire sur lequel il soit encore possible d’intervenir. La solution ? « Le problème des charges » de la guerre « devrait être porté sur le plan international ». La France risque en effet de se retrouver bien seule en Asie, pronostique-t-il : peut-être y aurait-il donc lieu « d’obtenir de nos Alliés une aide que jusqu’ici ils se sont refusés à envisager autrement que par la fourniture d’ailleurs restreinte de certains matériels ». Différer quelques fabrications d’armement et « partager les dépenses » - c’est-à-dire internationaliser la guerre d’Indochine : « tels sont les seuls allégements qu’on puisse raisonnablement envisager dans le cadre du programme militaire auquel la France a souscrit »167. La gravité de la situation ne le cède qu’à son urgence.
102Le ministre des Finances René Mayer enfonce le clou dans une lettre à René Pleven, nouveau président du Conseil168, à la veille du Comité de défense nationale du 27 août 1951 et du voyage du général de Lattre aux États-Unis : constatant que ce dernier, en effectuant ce déplacement, a « l’intention de réclamer une accélération et une augmentation des fournitures américaines de matériel miliaire » et que cela « est parfaitement normal », Mayer suggère très vite les limites de l’opération : « en agissant ainsi, le général de Lattre, comme il est naturel, se place dans le cadre du maintien de la situation actuelle, en vertu de laquelle la métropole supporte le principal du poids de la guerre d’Indochine ». Or cette « situation actuelle » peut changer : « il n’est pas interdit de penser que le gouvernement, poursuit le document, lorsqu’il examinera, dans les semaines qui viennent, le problème de notre équilibre budgétaire en 1952 et celui du volume de nos dépenses tant en Europe qu’en Asie, arrivera à la conclusion qu’il convient de réexaminer à fond la nature et l’étendue de notre engagement en Indochine... », au regard de nos possibilités financières d’une part et de nos possibilités de constitution d’une armée française en Europe d’autre part169. La note préparatoire à la lettre de Mayer parlait plus simplement de l’hypothèse de « repenser notre politique indochinoise »170.
103Dans le doute, puisque d’autres ministres - et non des moindres171 -doivent se rendre aux États-Unis à l’occasion de la conférence de San Francisco, et que l’avenir de l’Indochine suppose en tout état de cause une négociation franco-américaine, Mayer propose une délibération interministérielle préalable, ainsi qu’une information au général de Lattre, afin d’assurer outre-Atlantique « une unité de langage indispensable ».
104Tout s’est passé comme si l’on voulait dissuader le général de Lattre d’en faire trop en Amérique, comme si l’on souhaitait aussi préserver les chances d’un réel désengagement. Le ministère des Finances semble avoir pesé de tout son poids dans cette affaire, notamment face à celui des États associés, dirigé par l’inamovible ministre d’État Letourneau. Le rapport au ministre de Roger Goetze est daté du 12 juillet 1951, alors que le gouvernement Queuille a démissionné depuis 48 heures. René Mayer revient rue de Rivoli un mois plus tard, le 11 août, dans le nouveau cabinet Pleven. Encore dix jours, le 22 août, et il a sur son bureau une note de son cabinet, consacrée aux « conversations franco-américaines sur l’Indochine ». Deux jours plus tard, cette note devient lettre au président du Conseil, avec quelques menues modifications. L’analyse de la rue de Rivoli rencontre ainsi, d’une certaine manière, celle de la hiérarchie militaire. Le Comité de défense nationale du 27 août, quelques jours après ces différentes notes et lettres, conclut que « Le général de Lattre devra être exactement mis au courant des engagements de la France dans le cadre NATO de manière à ne rien dire qui puisse laisser croire aux Américains qu’un effort accru des États-Unis en faveur de l’Indochine pourrait être fait au détriment de la défense de l’Europe ». Décision est prise de lui donner des instructions « pour lui préciser qu’il est seulement autorisé à prendre des renseignements militaires et à en donner, dans le cadre de ses responsabilités de haut-commissaire et de commandant en chef en Indochine »172.
105Ainsi, à la fin de 1951, après que trois ans d’évolution aient dessiné une nouvelle configuration du conflit, tout est prêt pour une nouvelle période, qui pourrait être en effet celle d’un réel désengagement. Mais l’ambiguïté demeure. Dans les derniers jours de décembre 1951, défendant devant les députés le budget militaire 1952, qui atteint des sommets jamais encore approchés – 1 270 milliards de francs, en hausse de 61 % sur celui de 1951 -, Georges Bidault, ministre de la Défense nationale, paraît ainsi bien embarrassé à propos de l’Indochine : « La procédure suivie pour la présentation des crédits a pour but de nous donner et de donner à nos partenaires deux mois pour réfléchir et pour agir, déclare-t-il notamment. Ce n’est pas la première fois qu’il est demandé à la France de choisir entre le proche et le lointain. [...] La France - ni aucun autre pays - ne peut seule faire face à l’ensemble des charges et des périls qu’exigent le maintien de la paix et la sauvegarde des libertés. [...] C’est l’effort de tous qui pourra sauver les valeurs essentielles qui s’attachent à la présence française et à toute civilisation digne de ce nom. C’est pourquoi le gouvernement ne vous a pas présenté de budget provisionnel pour l’Indochine, car là où est le combat doit être la certitude. [...] Chargé des responsabilités de la défense nationale, je me trouve dans l’impossibilité morale et politique d’accepter aucune dissociation entre des tâches dont le seul but est d’assurer pour une cause unique la défense des territoires français et associés »173.
Notes de bas de page
1 D’après le tableau des « Dépenses militaires supportées par la France au titre de la guerre d’Indochine », établi par la direction des Services financiers et des Programmes du ministère de la Défense, mai 1954. SHAT, 1 R 239. Voir annexe 22.
2 JO du 20 octobre 1950.
3 Pierre Mendès France, Une politique de l’économie. 1943-1954, Œuvres complètes, tome 2, Paris, 1985.
4 Le 2 novembre 1949.
5 R. Claeyssen, « Une opération réussie » dans le Bulletin de l’Association des anciens élèves de l’École navale, n° 31, 1er trimestre 1991. L’auteur indique avoir assuré alors le secrétariat de ce comité.
6 Dans les plantations, les choses semblent évoluer à partir d’août 1950 : un nouveau plan du Viet Minh, transmis par le SDECE, parle d’« abandonner la lutte à caractère spectaculaire et [de] se borner à réclamer des avantages ». SHAT, 10 H 3991.
7 Études vietnamiennes n° 44, Politique économique et guerre de libération nationale, Hanoi, 1976.
8 . R. Claeyssen, « Une opération réussie », op. cit.
9 Rapport Revers, SHAT, fonds Revers, 1 K 331.
10 Note 31/TV-2 du Comité de résistance exécutif du Nam Bo, du 14 mai 1950. SHAT, 10 H 3992.
11 Instruction de Phan Van Bach du 13 décembre 1949. SHAT, 10 H 3992.
12 SHAT, 10 H 3993.
13 Sadec Thong Tin n° 12, 5 mars 1950. SHAT, 10 H 3992.
14 Cette région rassemble toutes les provinces situées au-delà du Bassac, le bras occidental du Mékong, soit l’ouest de la Cochinchine : provinces de Bac Lieu, Can Tho, Chau Doc, Ha Tien, Long Xuyen, Rach Gia et Soc Trang.
15 Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Plon, 1979.
16 2e Bureau, « Le ravitaillement Viet Minh dans les provinces de l’Est », 3 mai 1950. SHAT, 10 H 3995.
17 « Documentation sur l’encerclement de l’économie de l’ennemi », saisi et traduit par le 2e Bureau en février 1951. SHAT, 10 H 3991.
18 1 gia = 40 litres, soit 22,5 à 23 kg de paddy, ou 14 à 14,8 kg de riz, selon « Le ravitaillement Viet Minh dans les provinces de l’Est », op. cit.
19 Elles passent de 170 millions de piastres en 1949 à 125 millions en 1950.
20 Le total exportable entre les mains du Viet Minh s’élevait à 1 404 605 tonnes de paddy, dont 971 300 t pour les provinces du Transbassac, sur un total de 1 193 300 tonnes, et moitié moins pour les autres, dites du Cisbassac. 2e Bureau, « Les possibilités d’exportation de paddy par le Viet Minh en Cochinchine », 23 août 1950. SHAT, 10 H 3995.
21 « Documentation sur l’encerclement de l’économie de l’ennemi », op. cit.
22 Selon un renseignement du 2e Bureau du 13 octobre 1949. SHAT, 10 H 3995.
23 2e Bureau, « Le ravitaillement Viet Minh dans les provinces de l’Est », op. cit.
24 Pour reprendre les termes du général Gras, op. cit.
25 Note sur « L’évolution de la situation économique et financière dans les zones Viet Minh », 10 janvier 1951, direction générale de la Documentation, haut-commissariat, Saigon. SHAT, 10 H 3990.
26 Ho Chi Minh, « À l’occasion du Ve anniversaire de la Révolution d’août et de la fête nationale » (2 septembre 1950), dans Écrits, Hanoi 1971.
27 Lucien Bodard, La guerre d’Indochine. L’humiliation, Paris, 1965.
28 Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979.
29 Cité par François Joyaux, La Chine et le règlement du premier conflit d’Indochine. Genève. 1954, Paris, 1979.
30 Télégramme du 16 décembre 1948, cité par le général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine. Paris, 1979.
31 Il est notamment question de 150 000 fusils négociés en janvier ; 40 000 fusils, 125 mitrailleuses, 75 mortiers, 3 000 caisses de munition et des tonnes d’équipement auraient été reçus entre avril et septembre 1950. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979.
32 Cette information est assez largement reproduite dans les bulletins de renseignement : elle figure au moins dans une étude du BTLC (Bureau technique de liaison et de coordination) datée du 6 juin 1950 - Bilan économique et financier du Viet Minh en mai 1950 - et dans un renseignement du 2e Bureau daté du 12 août, deux mois plus tard... SHAT, 10 H 3991 et 10 H 3995.
33 Outre le PCC, des représentants du gouvernement de Taïwan, un « groupe du Kuangsi » et un « groupe du Kuangtung » étaient acquéreurs de riz. Renseignement SDECE du 2 février 150. SHAT, 10 H 3995.
34 Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit.
35 « Conclusions de la mission exécutée en Indochine par le général d’armée Revers », SHAT, fonds Revers, 1 K 331.
36 Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit.
37 Truong Chinh, La résistance vaincra (1947), Hanoi, 1977.
38 Ho Chi Minh, « Rapport politique au 2e congrès du parti » (février 1951), dans Écrits, Hanoi 1971.
39 Notamment le général Gras.
40 Ho Chi Minh, « Rapport politique au 2e congrès », op. cit.
41 Exemple pris dans la conclusion d’un télégramme du Nam Bo demandant une livraison de paddy au comité économique de Tra Vinh. Document saisi du 18 mars 1951. SHAT, 10 H 3990.
42 Ministère du budget (bureau d’études). Le budget de la France en 1950, Document, Fonds Gœtze, Comité pour l’histoire économique et financière de la France.
43 Historique des renforts envoyés en Indochine, SHAT, 1 R 239, et Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit.
44 Un groupe de l’armée populaire de libération chinoise, venu du Guangdong, avait occupé la ville frontalière pendant 24 heures. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit.
45 Inventaire des séances du Comité de la défense nationale, SHAT ; Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit. ; Archives nationales, F 60 2768.
46 Le projet de loi avait été déposé sur le bureau de l’Assemblée le 30 mars. Source Assemblée nationale.
47 Source Assemblée nationale.
48 Fiche du 13 août 1949 relative à la réunion au ministère des Finances au sujet du collectif Indochine. SHAT, fonds Revers, 1 K 331.
49 Instruction interministérielle (Finances - France d’outre-mer) du 4 avril 1949. AEF, Fonds Trésor, B 43926. Le compte lui-même, numéroté 15-79 et intitulé « Avances pour les dépenses militaires pour l’année 1949 », a été créé par arrêté du haut-commissaire de France en Indochine du 21 novembre 1949.
50 Notice sur les avances pour les dépenses militaires. AEF, Fonds Trésor, B 43926.
51 Lucien Bodard, La guerre d’Indochine, l’humiliation, Paris, 1965.
52 Compte non tenu des réexportations. Note à Mondon. AEF, Fonds Trésor, B 43917.
53 Télégramme du 14 avril 1949. AEF, Fonds Trésor, B 43917.
54 Rapport Perron, avril 1949. AEF, Fonds Trésor, B 43917.
55 AEF, Fonds Trésor, B 43917.
56 Rapport de Margerie, dans la forme transmise à François Bloch-Lainé le 12 mai 1949. AEF, Fonds Trésor, B 43918. Bernard de Margerie était directeur adjoint des Finances extérieures.
57 Cet échange de télégrammes figure notamment dans un dossier des Archives d’outre-mer. CAOM, FM, INDO/NF/1368.
58 Note du 1er février 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43928.
59 Office des changes, Rapport Mariani, 21 février 1950, AEF, Fonds Trésor, B 43917. Mariani était administrateur civil à l’Office des changes.
60 Lucien Bodard, La guerre d’Indochine. L’humiliation, Paris, 1965.
61 Bernard Lefort, Mes carnets secrets de la IVe, Paris, 1996.
62 Note sur les transferts, avril 1949. AEF, Fonds Trésor, B 43917.
63 AEF, Fonds Trésor, B 43918.
64 Double rapport du 21 février 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43917 et B 43918. L’analyse de ces documents sera reprise dans la seconde partie.
65 Direction du Trésor. Rapport au ministre. A/S Relations financières entre la France et l’Indochine. 13 mai 1950. AEF, Fonds Trésor, B 33539. Cet important rapport - une note de 4 pages et des tableaux statistiques - figure aussi dans d’autres cartons. Voir annexe 5.
66 Note de la direction Asie-Océanie, a/s Aide américaine à l’Indochine, 25 janvier 1951. MAE, AO/1C/264.
67 Leclere parlait d’« opposer au nationalisme Viet Minh existant un ou plusieurs autres nationalismes » (Rapport du 8 janvier 1947. SHAT, Fonds Leclere, 1 K 239), d’Argenlieu de « rétablir l’institution monarchique traditionnelle » (Mémorandum du 14 janvier 1947, Archives nationales, 363 AP 31), Valluy de développer « une idée nationale, mais qui accepte la présence française dans son principe » (Intervention du 24 janvier 1947, dans Gilbert Bodinier, Indochine 1947, SHAT, Vincennes 1989).
68 Note du Service de coopération économique, a/s Aide économique américaine à l’Indochine, 13 avril 1950. MAE, AO/IC/262.
69 Actes définissant les rapports des États associés du Vietnam, du Cambodge et du Laos avec la France, publiés après la loi du 2 février 1950 les approuvant. Notes et études documentaires n° 1295, 14 mars 1950, La Documentation française.
70 Lettre de Vincent Auriol à Bao Dai, le 27 juillet 1949. Notes et études documentaires n° 1176 du 4 août 1949. Présidence du Conseil.
71 Actes définissant les rapports des États associés... op. cit.
72 Conclusions de la mission exécutée en Indochine par le général d’armée Revers, chef d’état-major général des Forces armées, du 11 mai au 21 juin 1949. Fonds Revers, SHAT, 1 K 331.
73 Fiches sur l’évolution des Armées nationales vietnamienne, khmère et laotienne. SHAT, 10 H 72.
74 Actes définissant les rapports des États associés... op. cit.
75 Lettre de Deville à Bret, directeur-adjoint du Trésor, du 29 septembre 1949. AEF, Fonds Trésor, B 33538.
76 Notice sur les avances, op. cit. Le compte lui-même, numéroté 15-76, est intitulé : « Dépenses militaires propres à l’Indochine l/c d’avances ».
77 Conclusions de la mission exécutée en Indochine... op. cit.
78 Lettre du 14 décembre 1949. AEF, Fonds Trésor, B 33539.
79 Rapport de Margerie concernant diverses questions financières en Indochine, mai 1949. AEF, Fonds Trésor, b 43918.
80 Les premières demandes - il se serait agi d’une demande d’aide économique - auraient été reçues en mars et avril 1949 à Washington. FRUS, 1949, volume VI, Indochina, March 18 1949.
81 30 décembre 1949 — soit trois mois après la proclamation de la République populaire de Chine. MAE, AO/IC/262.
82 FRUS 1950, volume VI, Indochina, February 3, 1950.
83 Note du Secrétariat général permanent de la Défense nationale, non datée mais sans doute de l’automne 1950. MAE, AO/IC/263.
84 Référence dans le télégramme du 28 avril 1950 de l’ambassade au ministère. MAE, AO/IC/262.
85 Note du 22 août 1951, a.s. L’aide américaine et les territoires français d’outre-mer. MAE, AO/IC/264
86 Arrivé de Manille le 24 janvier 1950, Philip Jessup reste cinq jours en Indochine, à Saigon et Hanoi surtout, s’y entretenant avec les principaux responsables français et vietnamiens.
87 Note pour le ministre, du 23 février 1950, sur l’aide américaine à l’Indochine. Guillaume Guindey est directeur des Finances extérieures. AEF, Fonds Trésor, B 43906.
88 FRUS, 1949, volume VII, Indochina. December 22, 1949.
89 Vincent Auriol, Mon septennat, (1947-1954), Paris 1970.
90 Un premier écho apparaît dans Le Monde du 13 janvier 1950, en p. 5 et sous le titre : « Y a-t-il une affaire Revers-Mast ? »
91 Irwin M. Wall, L’influence américaine sur la politique française. Paris, 1989.
92 Lettre du 21 mars 1950 au Ministre des Affaires étrangères, a.s. L’assistance américaine et les réactions des États associés par rapport à l’Union française. MAE, AO/IC/262.
93 Dépêche n° 1289 du 22 mars 1950, cité dans une lettre de Bonnet à Schuman du 11 avril 1950. MAE, AO/IC/262.
94 Compte rendu de la réunion du 22 mars 1950 sur la question de l’aide économique des États-Unis à l’Indochine. MAE, AO/IC/262.
95 Lettre du 21 mars 1950 au Ministre des Affaires étrangères, op. cit.
96 Compte rendu de la réunion du 22 mars 1950, op. cit.
97 Lettre de Bonnet à Schuman du 11 avril 1950, op. cit.
98 Par lettres adressées d’une part par l’ambassadeur américain à Paris au président de la République française, et d’autre part par le chargé d’affaires des États-Unis à Saigon aux États du Cambodge, du Laos et du Vietnam.
99 Note de service de l’état-major, datée de Saigon, le 22 juin 1950. SHAT, 10 H 154.
100 Texte dans L. Rosenzweig et H. Tertrais, La guerre froide, 1944-1994, Le Monde Éditions, 1994.
101 Ancien gouverneur général de l’Indochine, ancien président du Conseil, Albert Sarraut se trouvait alors être également président de l’Assemblée de l’Union française.
102 Note sur les résultats de la conférence inter-États de Pau. AEF, Fonds Trésor, B 33545.
103 Actes définissant les rapports des États associés du Vietnam, du Cambodge et du Laos avec la France. Notes et études documentaires n° 1295, 14 mars 1950.
104 Les quatre délégations étaient conduites par Albert Sarraut pour la France, Sum Hieng, ancien ministre, pour le Cambodge, Phoui Sananikone, président du Conseil, pour le Laos, et Nguyen Trung Vinh, gouverneur du Sud-Vietnam, pour le Vietnam. Des personnalités comme Son San pour le Cambodge, Souvanna Phouma pour le Laos ou Tran Van Huu pour le Vietnam, figuraient dans les délégations de leurs pays.
105 De nombreuses données sur la conférence de Pau, avec trois volumes de procès-verbaux, figurent dans le carton B 33545 du Fonds du Trésor des AEF.
106 Le Vietnam, même en guerre, faisait d’autant plus figure de poids lourd que l’Assemblée nationale française venait de lui reconnaître la possession de la Cochinchine, également revendiquée par le Cambodge : en superfície, en nombre d’habitants comme en dynamisme, il en imposait trop à ses deux voisins pour que ceux-ci aient pu se sentir avec lui sur pied d’égalité.
107 Bilan de la conférence de Pau, par Paul Bernard. Documents de France outre-mer - supplément au n° 256 - janvier 1951. AEF Fonds Trésor, B 43918.
108 Réunion à l’hôtel Matignon, 20 août 1950. Compte rendu. AEF, Fonds Trésor, B 43917.
109 Ce comité était composé, lors de sa première réunion du 4 septembre 1950, de deux représentants du ministre des États associés (Tézenas du Montcel et Aubry), d’un représentant du président du Conseil (de Margerie, alors au SGCI), de deux représentants du ministre des Finances (Sergent et Latapie) et de deux représentants du haut-commissaire de France en Indochine (Deville et Perron).
110 Rapport à Monsieur le Président du Conseil, 12 octobre 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43917. Nous reviendrons dans la seconde partie sur les avantages et les inconvénients d’une modification de la parité de la piastre. Voir annexe 6.
111 Note pour le ministre du 7 septembre 1950. MAE, AO/IC/263.
112 Réunion à l’hôtel Matignon, 26 août 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43917.
113 Assemblée nationale, 2e séance du 19 octobre 1950, JO.
114 Note sur les résultats de la conférence inter-États, op. cit.
115 Voir annexe 8.
116 Texte de la Convention sur les changes, annexée à la brochure intitulée L’Institut d’émission des États du Cambodge, du Laos et du Vietnam. AEF, Fonds Trésor, B 33551. Voir annexe 8. Commentaire dans la « Note sur les résultats de la conférence inter-États... », op. cit.
117 Note sur le coût pour la France du fonctionnement des institutions financières des États associés, pour le cabinet du Ministre, a/s Application des conventions avec les États associés d’Indochine, 11 décembre 1950. AEF, Fonds Trésor, B 33545.
118 Bilan de la conférence de Pau, par Paul Bernard. Documents de France outre-mer - supplément au n° 256 - janvier 1951. AEF Fonds Trésor, B 43918. Paul Bernard, alors membre du Conseil économique, est l’une des personnalités les plus influentes en matière économique sur l’Indochine.
119 Fiche sur l’évolution de l’Armée nationale vietnamienne. SHAT, 14 H 72.
120 Négociations militaires au Pentagone (généraux Lemnitzer et Ledoux) le 10 octobre et visite le 15 des ministres de la Défense et des Finances, Moch et Petsche.
121 Télégramme du 10 novembre 1950. MAE, AO/1C/263.
122 Cité dans une lettre du ministre d’État chargé des Relations avec les États associés au ministre des Affaires étrangères, 11 décembre 1950. MAE, AO/IC/263.
123 Texte de l’accord dans les archives de la direction des Affaires militaires (DAM). SHAT, 14 H 93.
124 Jean Doise et Maurice Vaisse, Diplomatie et outil militaire, 1871-1990, 1992.
125 Rapport Bousch au Conseil de la République, 1954.
126 L’Humanité, ler octobre 1951.
127 De Lattre, qui avait participé au débarquement allié de Provence en août 1944 et libéré une partie du pays, avait reçu au nom de la France la capitulation allemande le 8 mai 1945 à Berlin. MacArthur, qui avait reçu la capitulation japonaise le 2 septembre suivant, après avoir libéré une bonne partie du Pacifique, commande les troupes de l’ONU en Corée depuis fin juin 1950.
128 Lettre de Perron à Sergent (direction du Trésor), 21 décembre 1950. AEF, Fonds Trésor, B33545.
129 AEF, Fonds Trésor, B 43924.
130 Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient, Histoire de la Banque de l’Indochine 1875-1975, Paris, 1990.
131 En francs courants. En francs constants 1954, ces dépenses passent de 233 à 341,6 milliards de francs, soit une progression de 47 %. Tableau de la Défense nationale sur les « Dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine », mai 1954. SHAT, 1 R 239. Voir annexe 22.
132 Lettre du président du Conseil des ministres à monsieur le général d’Armée, haut-commissaire et commandant en chef en Extrême-Orient, annexé au rapport parlementaire Pineau de janvier 1952. SHAT, 2 R 64.
133 Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris 1979.
134 Comités de défense nationale des 19 janvier, 20 février et 17 mars 1951. Les demandes de De Lattre dominent suffisamment l’année pour que le Comité de défense nationale suivant, le 24 avril, soit lui-même partiellement consacré à « l’exécution des demandes de renforts terrestres pour l’Indochine ». On y reviendra les 27 et 29 août et, surtout, le 15 octobre 1951.
135 Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit.
136 Lettre du président du Conseil des ministres à Monsieur le général d’Armée, op. cit.
137 Lettre du président du Conseil des ministres à Monsieur le général d’Armée, op. cit.
138 Il était question de 1 000 nouveaux ouvrages au Tonkin, 400 en Cochinchine et 200 au Centre Annam.
139 Maréchal de Lattre, La ferveur et le sacrifice. Paris, 1987.
140 André Valls, « Rapport sur les relations financières entre la France et les États associés », 15 juillet 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43929. André Valls sera bientôt désigné comme conseiller financier auprès du haut-commissariat de France en Indochine.
141 Lettre du président du Conseil des ministres à monsieur le général d’Armée, op. cit.
142 « C’est dans ce domaine que l’aide américaine s’est manifesté avec le plus d’ampleur », constatait la direction Asie-Pacifique début 1951. Note du 25 janvier 1951 sur l’aide américaine à l’Indochine. Archives MAE, AO/IC/264.
143 Sadrin, sous-directeur des Finances extérieures, Note du 13 avril 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43913.
144 Selon le tableau de la direction des Services financiers et des Programmes du ministère de la Défense : « Dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine », mai 1954. SHAT, 1 R 239. Voir annexe 22.
145 Selon les chiffres du Rapport Bousch au Conseil de la République. Rapport n° 165, année 1954. Voir annexe 24.
146 Gaston Cusin, Réflexions sur la situation en Indochine, 20 juillet 1951. AEF, Fonds Cusin, 5 A 78.
147 Note du 25 janvier 1951 de la direction Asie-Océanie, op. cit
148 FRUS 1951, volume VI, Indochina part 1, May 15, 1951, July 12, 13, 18, 20 1951.
149 Note de Ledoux sur l’aide économique américaine aux États associés, 20 septembre 1950. MAE, AO/IC/263.
150 Note au ministre de Guillaume Guindey sur l’aide américaine à l’Indochine, 23 février 1950. AEF, Fonds Trésor, B 43906.
151 FRUS 1951, volume VI, Indochina part I, Éditorial note et January 30 1951.
152 Rapport au ministre du 14 mars 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43906.
153 Lettre du ministre d’État chargé des Relations avec les États associés à son collègue des Affaires étrangères, 3 juillet 1951, op. cit.
154 Chronologie de ces événements dans la lettre du ministre d’État chargé des Relations avec les États associes à son collègue des Affaires étrangères, 3 juillet 1951. MAE, AO/1C/264.
155 « Accord de coopération économique entre le Gouvernement des États-Unis d’Amérique et le Gouvernement du Vietnam. » MAE, AO/IC/264.
156 Annexée à la brochure de présentation de l’Institut d’émission. AEF, Fonds Trésor, B 33551. Voir annexe 8.
157 Le principe en est examiné dans une note de Valls, ayant « pour objet d’analyser les problèmes de politique financière et commerciale que pose la mise en place de l’Institut d’émission des États associés », 28 novembre 1951. AEF, Fonds Trésor, B 43913. En bref, l’aide du Trésor était périodiquement nécessaire et sa négociation devait « permettre à la France d’obtenir des contreparties raisonnables ».
158 SHAT, 10 H 3991.
159 SHAT, 10 H 3992.
160 Politique économique et guerre de libération nationale, Études vietnamiennes n° 44. Hanoi, 1976.
161 Archives nationales, Fonds Pleven, 560 AP 43.
162 Comité de défense nationale du 17 mars 1951, Archives nationales, Fonds Pleven, 560 AP 43.
163 Frédéric Bozo, La France et l’OTAN, Paris, 1991.
164 Note du 14 février 1951. AEF, Fonds Trésor, B 33541.
165 Roger Goetze, Rapport au ministre sur les perspectives budgétaires de l’année 1952, 12 juillet 1951. AEF, Fonds Gœtze, Comité pour l’histoire économique et financière de la France.
166 Rapport au ministre sur les perspectives budgétaires 1952, op. cit.
167 Rapport au ministre sur les perspectives budgétaires 1952, op. cit.
168 Il vient d’être investi le 8 août 1951, après l’intermède d’un cabinet Queuille qui a duré cinq mois.
169 Lettre de René Mayer à René Pleven, 24 août 1951. Archives nationales, Fonds Pleven, 560 AP 43.
170 « Conversations franco-américaines sur l’Indochine. » Note du 22 août 1951, non signée. AEF, Fonds Trésor, B 43913.
171 Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault, ministre de la Défense nationale, et René Mayer, ministre des Finances
172 Procès-verbal du Comité de défense nationale du 27 août 1951. Archives nationales, Fonds Pleven, 560 AP 43.
173 Le Monde, 1er janvier 1952.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances, 1918-1946
Les hommes, le métier, les carrières
Nathalie Carré de Malberg
2011
Le choix de la CEE par la France
L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle (1955-1969)
Laurent Warlouzet
2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006