Chapitre I. Une guerre coloniale aux moindres frais (1945-1948)
p. 25-67
Texte intégral
1Durant les trois années qui suivent les capitulations allemande et japonaise, un état de guerre dispendieux s’installe donc en Indochine. Les raisons de cette situation ne sont qu’indirectement économiques, tenant plutôt aux modalités de la libération en Asie et en Europe : au Vietnam, secoué du nord au sud par la Révolution d’août 1945, qui ne déplaît successivement ni aux Japonais ni aux Américains, la France évincée conserve une attitude impériale. Elle-même est occupée à reconstruire son propre territoire, partiellement en ruine, son économie, son régime politique aussi. Mais elle a également des intérêts en Indochine, des investissements qu’elle n’envisage pas plus d’abandonner que l’idée qu’elle se fait de sa grandeur et de sa « mission civilisatrice ». Les rêves de la France sont-ils alors conciliables avec ceux du Vietnam où, des trois pays d’Indochine, la situation est la plus embrouillée ?
2L’homogénéité de cette première période réside dans l’incertitude et le niveau de l’engagement français, sur le plan budgétaire comme sur celui des effectifs : important certes, toujours trop aux yeux des politiques, toujours pas assez aux yeux des militaires, cet engagement reste pratiquement constant jusqu’en 1948. L’élément financier n’est pas encore le plus déterminant. L’intérêt de cette première période est de permettre l’inventaire des différents niveaux auxquels ce dernier intervient, de situer où le coût de la guerre d’Indochine peut être évalué : en France, à travers le financement du corps expéditionnaire et la gestion à distance des finances locales ; en Indochine, à travers la bataille livrée sur tous les plans, y compris monétaire. Il faut aussi, pour cette première période, tenter d’évaluer, d’une part, le poids des contraintes financières et économiques dans la gestion du conflit et, d’autre part, le poids de la guerre d’Indochine pour la France de l’immédiat après-guerre.
I. LE COÛT DE LA GUERRE AVANT LA GUERRE
3La guerre d’Indochine est officiellement déclenchée, si l’on peut dire, le 19 décembre 1946, date à laquelle le gouvernement vietnamien dirigé par Ho Chi Minh doit abandonner Hanoi pour le « maquis » tonkinois. Depuis environ un an et demi, cependant, l’état de guerre prévaut partiellement sur le terrain et dans les services qui, de Paris à Saigon, ont à connaître de l’Indochine. De ce côté, déjà, les dépenses militaires priment sur toutes les autres : la rupture de 1945 a été telle que, si la France voulait revenir en Indochine - et c’était bien l’intention de ses responsables - elle devait créer de toutes pièces un corps expéditionnaire, et y reconstituer ses instruments de souveraineté, en particulier monétaire. La discussion avec le nouveau maître des lieux, Ho Chi Minh, viendrait ensuite. Vu sous l’angle économique et financier, le 19 décembre 1946 n’est pas un tournant tel que l’on ne puisse se poser la question : quand commence vraiment la guerre d’Indochine ?
A. INDOCHINE ANNÉE ZÉRO
4En France, on le sait, à la fin de la seconde guerre mondiale, « tout était à refaire »1. En Indochine aussi : après avoir relativement échappé à la guerre du Pacifique, du fait de la politique conciliante à l’égard du Japon du gouverneur général Decoux, l’Indochine française avait été balayée durant six mois, en 1945, par un violent cyclone d’ordre politico-militaire, entraînant une rupture historique qui la rendait presque méconnaissable.
5Les circonstances de l’arrestation de Decoux par l’autorité japonaise, qui inaugure le coup de force du 9 mars 1945, sont caractéristiques de la collaboration entretenue jusque-là entre l’Indochine et le Japon, presque prémonitoires aussi des difficultés dans lesquelles allait bientôt s’embourber le conflit colonial : le rendez-vous fatal, le 9 mars au soir, au Palais du Gouvernement général de Saigon, au terme duquel Decoux allait perdre sa liberté de mouvement, avait en effet été pris par l’ambassadeur Yatsumoto pour conclure un accord sur les livraisons de riz pour 1945 ; il y avait ajouté une demande d’entretien privé, « pour reparler de la question des dépenses militaires »2. Il n’en fut pas longtemps question... Le coup de force japonais ruinait, outre cinq années de patients efforts de l’amiral-gouverneur pour maintenir le drapeau tricolore en Indochine, tout ce que le pouvoir français avait édifié sur place en l’espace de trois à quatre générations.
6Tous les responsables français furent pratiquement arrêtés en même temps, ou du moins empêchés d’exercer un quelconque pouvoir. Paul Gannay, inspecteur général de la Banque de l’Indochine, directeur de la succursale de Saigon, et « numéro 2 » de facto de la colonie, fut lui-même interpellé dans la soirée sur le trajet entre Hanoi et Saigon, non d’ailleurs sans quelque violence - il fut assommé après qu’il eut giflé la sentinelle japonaise censée s’assurer de sa personne, puis emprisonné à Saigon avec ses principaux collaborateurs3. Maîtres de la Banque, et donc de l’Institut d’émission, dont ils confièrent le contrôle à la Yokohama Specie Bank, les Japonais purent ainsi se servir généreusement : dans les semaines qui précédèrent leur effondrement en août 1945, ils procédèrent à l’émission - l’affaire fera grand bruit plus tard - de plusieurs centaines de millions en coupures de 500 piastres4.
7Au passage, l’outil militaire français en Indochine se trouvait totalement dispersé : les troupes coloniales n’avaient pas résisté au coup de force japonais. Certaines unités se sont battues, notamment dans le Nord, d’autres ont pu s’échapper, mais la plupart se sont retrouvées prises au piège des citadelles depuis lesquelles elles quadrillaient le territoire, immédiatement investies par les forces japonaises. Elles purent d’autant moins faire face que leur expérience du feu était lointaine et leur armement ancien. Vaincues, retenues prisonnières, ces troupes coloniales ont également fondu comme neige au soleil, rien ne retenant plus désormais leur personnel autochtone, de loin le plus nombreux5. Mis à part quelques groupes ayant entrepris de tenir le maquis, seuls 5 000 hommes réussirent à passer en Chine, avec les généraux Sabattier et Alessandri. Par la suite, à Saigon, le 11e régiment d’infanterie coloniale sera réarmé par les premiers détachements anglais arrivés sur place et reprendra les bâtiments publics de la ville au lendemain de la Révolution d’août, le 23 septembre. Mais l’essentiel des troupes coloniales était stationné au Nord et les troupes d’occupation chinoises étaient moins complaisantes.
8Les événements s’étaient en effet précipités. Au début du mois d’août 1945, la conférence de Potsdam avait écarté la France du règlement du conflit en Indochine, Chinois et Anglais y étant chargés de désarmer les troupes japonaises, au nord du 16e parallèle pour les premiers et au sud pour les seconds. Peu après, la Révolution d’août lancée par le Viet Minh, suivie le 2 septembre 1945 par la proclamation de l’indépendance à Hanoi par Ho Chi Minh, tournait vraiment aux yeux des Vietnamiens la page de la colonisation. Et lorsque la France libre réussit à introduire de nouveaux commissaires de la République au Nord et au Sud, Pierre Messmer et Jean Cédille, puis désigna un nouveau haut-commissaire en la personne de Thierry d’Argenlieu, ce fut pour ajouter à la confusion une autre rupture, franco-française celle-là : le gouverneur général sortant, convaincu de vichysme et toujours entre les mains de l’armée japonaise, était rapatrié manu militari avec ses collaborateurs.
9Alors que la France, partiellement détruite, vivait elle-même à l’heure du rationnement alimentaire et des slogans appelant le peuple travailleur à « retrousser ses manches », l’Indochine, singulièrement le Vietnam, se débattait au milieu d’une situation économique plus préoccupante encore. Le nouveau pouvoir vietnamien déployait ses principaux efforts pour faire face à la famine, liée à de fortes crues et aux désordres du moment, et causant déjà des centaines de milliers de morts6. Ho Chi Minh, dans la déclaration d’indépendance du 2 septembre, voulut y voir le résultat de l’abaissement en 1940 des « impérialistes français » face aux « fascistes japonais » : « Depuis, notre peuple, sous le double joug japonais et français, a été saigné littéralement. Le résultat a été terrifiant. Dans les derniers mois de l’année passée et le début de cette année, du Quang Tri au Nord Vietnam, plus de deux millions de nos compatriotes sont morts de faim »7.
10Les fleurons de l’économie coloniale apparaissent eux aussi plutôt mal en point. Au Sud, la production de caoutchouc est en chute libre : 12 000 tonnes en 1945, à peine 20 % du résultat de l’année précédente8. L’explication de cette contre-performance est connue : « La main d’œuvre originaire du Tonkin, précise une note officielle, s’est trouvée réduite du fait des réquisitions effectuées par les Japonais et en raison de la dispersion de ces travailleurs après le coup de force japonais »9. Les installations minières du Nord souffrent également. À l’instar de la Société des Charbonnages du Dong Trieu, qui abandonne en juillet 1945 ses mines, livrées au pillage, après que cinq Européens y aient été assassinés10, plusieurs sociétés minières cessent toute activité dans le courant de l’année 1945, pour ne jamais les reprendre. La production de la plus importante d’entre elles, la Société française des Charbonnages du Tonkin, qui baissait régulièrement depuis 1941, atteint son plus bas niveau de production en 1945 : 188 000 tonnes, environ 10 % du niveau du début des années quarante11.
11Les désordres financiers ajoutent à cette situation, en particulier la forte progression de la circulation fiduciaire, plus spectaculaire qu’en France même. Entre 1938 et la fin 1945, selon un calcul de la rue de Rivoli, la circulation s’est multipliée par quinze en Indochine, alors qu’elle ne se multipliait seulement - si l’on peut dire - que par cinq en France même12 : avant l’explosion monétaire de 1945, due à la multiplication des coupures de 500 piastres, l’inflation s’était nourrie, en 1943 et 1944, d’une émission croissante de billets destinés aux troupes nippones. Le retour progressif des Français, à partir de l’automne 1945, n’a cependant pas tout de suite freiné le mouvement. Les troupes chinoises se montraient en effet très gourmandes : près de 400 millions de piastres leur ont été consenties en « avances », autrement dit en frais d’occupation, auxquels s’ajoute la valeur du riz versé à l’intendance chinoise, environ 25 millions de piastres. Selon des sources concordantes, les huit mois d’occupation chinoise au Nord ont coûté, au minimum, entre 425 et 427 millions de piastres (4,25 à 4,27 milliards de francs), soit plus de deux fois les recettes fiscales ordinaires de l’Indochine toute entière sur une période équivalente13.
12Le principal élément de continuité dans cette violente bourrasque, mais il était de taille, était représenté par la Banque de l’Indochine, même si elle fut privée de ses dirigeants pendant plusieurs mois. Continuité d’abord au niveau des hommes : à la différence du gouverneur général Decoux, le patron de la Banque à Saigon, Paul Gannay, ne fut pas déplacé après la capitulation japonaise et sa propre libération. Peut-être n’était-ce d’ailleurs pas ce que la vieille institution financière avait fait de mieux, à en croire la rumeur : pour Lucien Bodard, qui la rapporte14, ce bâtisseur de l’Indochine française, qui se trouvait à la tête de la succursale depuis 1920, n’était alors plus « dans le coup ». Mais la continuité est aussi celle des établissements : à Hanoi, où la situation était beaucoup moins bien contrôlée par les Français, le maintien de l’agence relevait d’une certaine manière de l’exploit. Sur les conseils de Jean Laurent, nouveau directeur-général de la Banque de l’Indochine, présent à Hanoi fin 1945, la mission française à Hanoi accepta en novembre de verser aux troupes chinoises les importants frais d’occupation que réclamaient ses chefs, achetant par là même leur protection : comme il l’écrivait alors à Paris, « si la Banque de l’Indochine Hanoi et les agences du Nord passent sous contrôle annamite, cela coûtera plus cher à l’économie française que toutes les concessions sur les frais d’occupation »15.
13Cette absence de « contrôle annamite » sur la Banque est précisément ce que regrette le nouveau pouvoir vietnamien, installé par la Révolution d’août 1945. Un an plus tard, l’un de ses théoriciens, Truong Chinh, considère comme l’une de ses quatre grandes faiblesses le fait que « les forces insurrectionnelles n’ont pu s’emparer de la Banque de l’Indochine et annihiler les privilèges des magnats de la finance » sur place16. Établissant le parallèle avec la Commune de Paris, qui s’était elle-même « heurtée à bien des obstacles pour n’avoir pas mis la main sur la Banque de France », Truong Chinh donne ainsi la mesure de l’échec : « Cette lacune n’est pas due à notre ignorance de l’importance des finances pour le pouvoir nouveau. Mais dans un organisme financier comme la Banque de l’Indochine, ce ne sont pas seulement les intérêts français et japonais qui sont en jeu, mais encore ceux de bien d’autres pays. L’attaque manquée contre la troupe japonaise qui gardait la Banque de l’Indochine nous a coûté une partie de nos forces assaillantes ».
14Dans ces passations de pouvoir plus ou moins improvisées, les enjeux n’étaient manifestement pas les mêmes pour tous. Passons sur le Japon, qui ne voulait pas quitter la scène sans y laisser une marque durable, en donnant par exemple une vive impulsion aux nationalismes anti-blancs. Passons aussi sur les États-Unis, débarqués dans la région à la poursuite des troupes japonaises et qui, fidèles en cela à leurs origines, applaudissent aussi à la déstabilisation du pouvoir colonial français. Ces deux puissances du Pacifique, l’ancienne et la nouvelle, ne sont impliquées qu’indirectement. La Chine également, d’ailleurs, qui sait sa présence provisoire et pouvait avoir quelque intérêt à ménager la France17. Quant au Royaume-Uni, la conscience de ses propres difficultés impériales l’oblige à une solidarité de fait avec son voisin européen.
15Pour la France et le Vietnam18, ce qui va déterminer l’ampleur des moyens à mobiliser n’est pas aussi clair dans les deux cas. Du côté vietnamien, l’enjeu est à lire entre les lignes de la déclaration du 2 septembre 1945 : « Le Vietnam a le droit d’être libre et indépendant et, en fait, est devenu libre et indépendant, concluait Ho Chi Minh. Tout le peuple du Vietnam est décidé à mobiliser toutes ses forces morales et matérielles, à sacrifier sa vie et ses biens pour garder son droit à la liberté et à l’indépendance »19. Cette déclaration ne retient pas l’attention de la presse française du moment. La France en reste pour sa part à la déclaration du 24 mars 1945, par laquelle de Gaulle avait énoncé le projet d’une « fédération indochinoise » dans le cadre de l’Union française20. Allait-elle vraiment, comme le Vietnam, mobiliser toutes les « forces morales et matérielles » du pays pour la réalisation d’un tel objectif ?
B. LE FINANCEMENT DU CORPS EXPÉDITIONNAIRE
16Les autorités de la France libre n’ont pas attendu la déroute des troupes coloniales pour envisager la création d’un nouvel outil militaire, le corps expéditionnaire des Forces d’Extrême-Orient (CEFEO) : la décision d’en créer les premières unités remonte au Comité de défense nationale du 4 octobre 1943, qui désigna également le général Blaizot à sa tête et l’expédia en Inde pour ce faire. Mais le manque de moyens, la difficulté à respecter les délais impartis, les problèmes de transport, l’improvisation aussi en ont fait beaucoup évoluer la configuration entre 1943 et 1945. Finalement, après que le Comité de l’Indochine, crée en février 1945, lui ait trouvé des structures stables et un nouveau commandant en chef, le général Leclerc, le Comité de défense nationale du 17 août 1945 fixa les effectifs du CEFEO à 55 000 hommes, auxquels s’ajoutaient quelques unités et les 5 000 hommes présents en Chine. La veille, un groupement de la 2e DB, d’environ 2 000 hommes commandés par le lieutenant-colonel Massu, avait été constitué pour lui servir d’avant-garde.
17Le financement de ces préparatifs est suivi depuis Paris avec un soin attentif, en particulier au ministère des Finances, où un « Compte spécial Indochine » est géré par le jeune inspecteur des finances François Bloch-Lainé, sous-directeur du Trésor. Les premiers déblocages des fonds ne paraissent pas poser de problèmes : une ordonnance du 28 avril, signée par le général de Gaulle, ouvre un crédit d’un milliard de francs à l’autorité interministérielle compétente, le Comité de l’Indochine21. Quelques jours plus tard, le 14 mai, un accord entre le gouvernement provisoire et la Banque de l’Indochine prévoit le versement au Trésor des liquidités en question22.
18Le premier problème pour la constitution de ce corps expéditionnaire est d’en trouver les hommes. Ce sera fait de préférence en France : la confiance ne règne pas, en particulier rue de Rivoli, à l’égard des 5 000 hommes des troupes coloniales qui avaient rallié la Chine après le coup de force japonais. François Bloch-Lainé freine d’ailleurs consciencieusement à Paris leurs demandes de crédits, au point que le général Juin tenta de contourner sa tutelle, en proposant le 11 juillet 1945 de « faire prendre en charge par le budget de la Guerre l’entretien des troupes d’Indochine qui sont repliées en Chine du Sud »23. Devenu conseiller financier du haut-commissaire et attaché financier en Chine, François Bloch-Lainé donnera quelques mois plus tard son sentiment sur ces 5 000 hommes égarés dans le pays du Milieu24 : « C’est assurément l’armée la plus chère du monde, écrit-il, c’est aussi une des plus lamentables ». Le temps a passé, rappelle-t-il aussi, où ses chefs faisaient croire qu’ils allaient reconquérir l’Indochine et poussaient ainsi leurs demandes de crédit. Pour lui, la cause est entendue : quand le centre de commandement de Kunming sera réduit à sa plus simple expression, « il laissera derrière lui des investissements absurdes25. [...] Parmi les Alliés, les troupes Sabattier-Alessandri laisseront en outre le souvenir de militaires qui ont fait, collectivement ou individuellement, un abus manifeste de marché noir et de trafic de devises ». Déjà...
19La difficulté financière à monter le corps expéditionnaire pour l’Indochine tient également à son entretien et à son équipement. Il faut évidemment nourrir les troupes : sur ce point, Leclerc se tourne vers les Anglais, qui peuvent fournir des rations alimentaires dans la zone à 1 dollar l’unité. Un premier accord permet au corps expéditionnaire de fonctionner ainsi jusqu’au 1er avril 1946. Quant au matériel, tout est à faire : celui d’Indochine, déjà vétusté, a pratiquement changé de main à la faveur des troubles de 1945 ; et, depuis la libération du territoire national, les unités de la France libre elles-mêmes sont équipées aux normes anglaises ou américaines. Le détachement Massu, par exemple, est « équipé à l’américaine »26. Il faut donc également se fournir auprès des Anglais et, surtout, des Américains. Paris ralentit de son mieux l’hémorragie en devises qui accompagne les achats nécessaires à l’étranger. Opportunément, un accord signé le 28 mai 1945 entre les gouvernements américains et français avait donné à ce dernier la propriété de tous les surplus américains existant en France et en Afrique. Mais il faut rester vigilant : une réunion tenue à la direction du Trésor le 11 juin 1945 attire l’attention des intéressés sur la nécessité « d’éviter l’achat de matériels qui seraient déjà à notre disposition »27. Les surplus américains à l’étranger, en effet, sont « payables par nous dans les conditions générales de crédit offertes par les États-Unis pour la liquidation des comptes de guerre »28.
20Il faut donc pratiquement tout acquérir, des brodequins de marche aux chars d’assaut, des munitions pour fusils aux avions Dakota. La création du Centre des approvisionnements de l’Indochine (CAIC)29, le 31 août 1945, permet de rationaliser certains achats. Mais avec ses agences de Calcutta, Londres, Manille et des États-Unis, faisant converger vers l’Indochine des navires entiers d’un peu partout dans le monde, il a plutôt une vocation commerciale. Les militaires ont donc ouvert leur propre mission d’achat à Manille, de l’autre côté de la mer de Chine méridionale par rapport à l’Indochine. Cette mission est importante parce que les Américains ont fait de la capitale des Philippines leur plus gros centre de matériel dans la région, peut-être même dans le Pacifique. Au total cependant, les dépenses de la France en Extrême-Orient se situent encore à un niveau modeste, même à l’automne 1945, lorsque les premiers détachements du corps expéditionnaire commencent à toucher l’Indochine.
C. LA PIASTRE EN PREMIÈRE LIGNE
21Les troupes ne suffisent pas. Très tôt, la monnaie constitue également un objet de litige, un élément essentiel dans la reprise en main du territoire. Le Vietnam est alors entre les mains d’un pouvoir à têtes multiples, établi sur une base quasi géopolitique. À Hanoi, un gouvernement provisoire présidé par Ho Chi Minh a pris le pouvoir le 29 août 1945, dans lequel Pham Van Dong, qui occupe le portefeuille des Finances, compte sans doute sur le « matelas » de piastres en billets de 500 récupérés après le 9 mars. Mais au Nord où par ailleurs Jean Sainteny dirige une mission française, l’autorité chinoise du général Lu Han garde encore le dernier mot. A Saigon, un nouveau haut-commissaire français pour l’Indochine, l’amiral Thierry d’Argenlieu, officiellement désigné deux mois et demi plus tôt avec tous les pouvoirs, civils et militaires, entre en fonction le 30 octobre 1945. Son conseiller financier, venu de la direction du Trésor et dont les compétences s’étendent à la Chine, s’appelle donc François Bloch-Lainé. La seule institution française réellement présente à la fois au Nord et au Sud est la Banque de l’Indochine : l’affaire des billets de 500 piastres et la fixation du taux de la monnaie indochinoise seront les éléments principaux de l’affrontement qui se prépare.
22La réorganisation financière de l’Indochine française est amorcée par François Bloch-Lainé à partir d’une situation jugée confuse au moment de son arrivée et qui, à l’en croire, l’est partiellement restée30. Proposant divers aménagements au système fiscal antérieur, il s’attache à mettre sur pied un budget fédéral pour 1946, à partir de l’exemple duquel Saigon devra « exiger des Gouvernements Fédérés qu’ils mettent rapidement de l’ordre en produisant des budgets » eux-mêmes. Il esquisse au passage une certaine décentralisation, en particulier en direction du Cambodge - du gouvernement cambodgien, non pas des services français locaux. En matière de trésorerie, la confusion perdure cependant : « Nous n’avons récupéré qu’un petit nombre de caisses publiques et de postes comptables, explique-t-il ; d’autre part, les archives de la Trésorerie générale de l’Indochine sont toutes à Hanoi, entre les mains du Viet Minh ». La politique monétaire et la défense de la piastre retiennent particulièrement ses efforts, étant donné la situation sévèrement inflationniste du moment. Mais à l’arrière-plan se profile en particulier la question de la Banque de l’Indochine, « qui bénéficie d’un monopole de fait » : il préconise à la fois d’en éviter la nationalisation, pour lui permettre de préserver sa position dans les pays d’Extrême-Orient, mais de lui retirer la gestion des changes et le privilège d’émission.
23C’est dans ce contexte que se situe l’affaire des billets de 500 piastres : le 17 novembre 1945, sur l’initiative de François Bloch-Lainé, la plus grosse coupure en circulation en Indochine est partiellement démonétisée, ce qui déclenche sur place un assez joli scandale. Cet « exercice du pouvoir monétaire » est à mettre en relation avec l’émission « sauvage » de piastres effectuée par les Japonais après le 9 mars31 : « Au moment de la reddition, précise-t-il, beaucoup de Japonais étaient partis avec des caisses de billets de banque neufs. Les Chinois en avaient capté un grand nombre et le Viet Minh en détenait aussi. Si nous n’y prenions garde, ce numéraire allait rentrer dans notre circulation, à travers les canaux insaisissables du système international qu’anime toujours la diaspora chinoise dans cette partie du monde. »
24En retirant de la circulation tous les billets de 500 piastres et en annulant tous ceux qui avaient été émis après le coup de force japonais, l’autorité française réalisait d’abord une opération technique, qui lui permettait de s’attaquer à l’inflation galopante de cette fin d’année 1945. L’enjeu était bien sûr aussi une question de souveraineté : il s’agissait de « démontrer unilatéralement notre autorité monétaire, comme si elle eût été vraiment fédérale » - une sorte de reconquête de l’Indochine par la piastre plutôt que par le fusil, à un moment où, par ailleurs, les Chinois cherchent à imposer au Nord leur propre unité monétaire, le Gold Unit32. Le but était enfin directement politique, comme François Bloch-Lainé le précisait déjà dans son rapport de fin de mission : « Cette opération aura surtout permis d’assécher les caisses japonaises et Viet Minh. C’était là son but essentiel ; il a été atteint »33. Le conseiller financier affichait cependant, sur ce point, une confiance que ne confirmera pas la suite des événements : « La décomposition présente de ce dernier, croyait-il en effet pouvoir ajouter à propos du Viet Minh, est due principalement à ses difficultés financières ».
25La gestion de cette mesure s’est en fait avérée extrêmement délicate, en particulier au Nord. Les chefs militaires chinois y disposaient en effet de gros « paquets » de piastres et en demandaient plus encore comme frais d’occupation. Parmi les rares personnes dans la confidence de la préparation de la mesure, Jean Laurent, le directeur-général de la Banque de l’Indochine présent à Hanoi, tenta pour sa part de s’y opposer en tenant compte des réactions vietnamiennes possibles. Quand François Bloch-Lainé lui apprit, le 10 novembre 1945, son projet de retirer de la circulation une part importante des billets de 500, mais aussi de 100 piastres, Jean Laurent estima qu’il y avait là de quoi « mettre le feu au plus petit village annamite et dresser contre nous le dernier des nha-qués » ; il réussit « à sauver le billet de 100 piastres en développant les dangers d’une pareille mesure »34.
26Effectivement, quelques jours après la démonétisation du billet de 500 piastres, la tension est vive à Hanoi. Le 26 novembre en particulier, dans l’après-midi, une manifestation de Vietnamiens venant « échanger leurs billets de 500 piastres à la Banque de l’Indochine », comme la radio le leur a suggéré à midi, se rassemble devant la Banque35. Sainteny paraît convaincu que la « spontanéité » de cette manifestation porte la marque de l’autorité chinoise. De fait, les troupes d’occupation laissent face à face Vietnamiens et Français, du moins jusqu’en fin d’après-midi, lorsqu’après que des tirs aient été entendus, qu’il y ait eu des blessés et peut-être des morts, l’état de siège fut décrété. D’autres incidents, entre responsables chinois et français, imposèrent la négociation.
27L’armée chinoise obtient un aménagement de la mesure en sa faveur le 10 décembre 1945, au cours d’une négociation réunie dans la maison dite du Petit Lac, qui abrite la Mission américaine : l’échange de ses billets de 500 au pair. Sous la présidence du général Gallagher, qui commande la Mission, les représentants de toutes les parties ont palabré pendant près de dix heures : des généraux chinois, des représentants du gouvernement de Tchong King, le chef de la mission française à Hanoi Jean Sainteny, avec Léon Pignon et Pierre Ledoux, ses conseillers politique et financier, l’indispensable François Bloch-Lainé et Achille Clarac, conseiller diplomatique de d’Argenlieu, tous deux venus de Saigon, et même Jean Laurent, le directeur général de la Banque présent à Hanoi, accompagnant Baylin, le directeur de l’agence de Hanoi36.
28Pour François Bloch-Lainé, le bilan reste positif : « Nous leur échangions une somme fixe de billets, pour tenir compte de leurs frais d’occupation. Nous acceptions de couvrir ces frais en partie [...]. C’est ainsi qu’ils ont été amenés à reconnaître notre souveraineté, moyennant un débours qui n’était, pour nous, qu’un manque à gagner. D’Argenlieu et Leclerc ont été ravis du gain diplomatique qui résultait de cette perte financière »37. La concession, en tout état de cause, ne remettait pas en question « le désarmement financier des Japonais et du Viet Minh », cher au projet de Bloch-Lainé38. Dans le rapport de forces qui se nouait au Vietnam, l’incident n’était pas clos pour autant : dans les premiers jours de janvier 194639, comme s’il s’agissait de prendre date, le directeur de l’agence de la Banque de l’Indochine, Baylin, était assassiné sur le trajet conduisant de la Banque à son domicile.
29Venant un peu plus d’un mois après la démonétisation des billets de 500 piastres, la fixation de la parité de la piastre à 17 francs, le 25 décembre 1945, semblait participer de la même stratégie, s’inscrire dans le même rapport de force. L’importance de ce taux de change pour la suite des événements mérite en tout cas de s’arrêter sur ses origines. A nouveau, François Bloch-Lainé paraît jouer le rôle principal, encore que son évaluation de sa propre responsabilité ait varié selon les époques. Sur le moment, il s’attribue la paternité du nouveau taux de change sans autre précaution littéraire, parlant de « la solution d’attente que j’ai fait adopter le 25 décembre »40. Dans une note à René Pleven postérieure de plusieurs années41, il décrit son rôle plus modestement, comme celui d’un conseiller dont l’avis était sollicité par la direction des Finances extérieures - il se trouvait justement à Paris à ce moment. En tout état de cause, la responsabilité politique de l’opération ne lui appartenait pas : le 25 décembre 1945, donc, une ordonnance fédérale du haut-commissaire de France pour l’Indochine, d’une part, et un décret portant à Paris la signature du général de Gaulle42, président du gouvernement provisoire, d’autre part, officialisèrent le nouveau taux de conversion de la piastre en francs.
30Pourquoi une piastre à 17 francs, alors que sa parité était traditionnellement établie à 10 ? Sur le moment, en 1945, personne ne semble très bien savoir ce que vaut la monnaie indochinoise. Paul Gannay, directeur de la succursale de Saigon de la Banque de l’Indochine, l’évalue au tiers de sa valeur de 193943. Les Britanniques, dont les troupes occupaient le Sud, estiment pour leur part - mais ils étaient intéressés à un taux de change avantageux - que « la piastre valait six fois moins en 1945 qu’en 1939 »44. Bloch-Lainé sera plus net encore quelques années plus tard45 : « En vérité, la piastre n’avait pas de valeur à cette époque [...]. La piastre, techniquement parlant, ne vaut rien ». Sollicité pour donner un avis en novembre et en décembre 1945 par son administration de tutelle, on conçoit qu’il ait été quelque peu embarrassé pour répondre. Qui peut prétendre alors à un contrôle quelconque de l’économie indochinoise ? « Les services français étaient encore enfermés dans le périmètre de sécurité de Saigon, précise-t-il dans la même note, et n’en étaient guère sortis », pour ne pas parler de Hanoi... « Techniquement », donc, en attendant, la parité de la piastre fut établie en parallèle à celle du franc CFA utilisé en Afrique française46.
31Mais derrière cette assimilation au franc d’Afrique se profilent des raisons très locales, que Bloch-Lainé expose dans sa note à Pleven47. Il faut y voir d’abord une prime à ceux qui disposent officiellement de piastre et donc -mais il ne le dit pas - une pénalité pour ceux qui en détenaient non officiellement, c’est-à-dire en particulier le Viet Minh : « la réduction de la circulation qui vient d’être opérée par voie d’autorité en Indochine justifie une semblable faveur ; elle fera mieux comprendre à ceux qui l’ont subie les avantages de l’assainissement qu’elle a permis de réaliser ». Accessoirement, l’Indochine étant alors dans une situation économique très précaire, il n’est pas injuste de faire « que ses approvisionnements ne soient pas trop coûteux pendant un certain temps ». Ainsi, le passage de la piastre de 10 à 17 francs apparaît fin 1945 comme une mesure de circonstance, et une mesure provisoire : « Dans trois ou quatre mois, il faudra d’abord estimer la piastre par rapport à la roupie et à l’US $, puis en tirer les conséquences par rapport au franc »48. Mais ces conséquences ne seront pas tirées avant longtemps...
D. UNE LOGIQUE DE RECONQUÊTE
32Un accord est obtenu le 6 mars 1946 entre Sainteny et Ho Chi Minh à Hanoi, reconnaissant le Vietnam comme un État libre au sein de l’Union française, et prévoyant notamment une relève au Nord des troupes chinoises par celles du général Leclerc. Mais cet accord obtenu « à l’arraché », et qui fera date, ne semble pas modifier la logique militaire en cours en Indochine, qui est une logique de reconquête. D’ailleurs, si l’on en croit Leclerc, accord ou pas accord, les troupes françaises avaient vocation à se réinstaller au Nord : « il importe en effet de ne pas oublier, précisa-t-il, que, si les forces françaises ne sont pas arrivées avant le mois de mars au Tonkin, ce n’est nullement pour une question d’accords non signés, mais pour des raisons techniques : elles ont embarqué dès que les bateaux nécessaires ont pu être rassemblés, et si les accords du 6 mars n’avaient pas été signés, elles avaient l’ordre de s’emparer de Haiphong et de Hanoi... »49.
33Les effectifs du corps expéditionnaire continuent en effet à grossir en Indochine : 46 513 hommes se trouvaient sur place au 31 décembre 1945 ; près du double - 81 383 - au 31 mars 1946 ; et le chiffre atteindra 96 644 au 31 décembre 194650 - à peu près autant, alors, que dans le camp vietnamien. Cette situation impose déjà des économies : le coût de la prolongation jusqu’au 30 juin des services d’intendance négociés avec les Anglais, évalué d’abord à 10 millions de dollars, est ramené à 4 millions à l’initiative du général Juin - désormais, les rations britanniques seraient réservées aux troupes opérant au Nord, plus exposées, celles fixées au Sud allant être ravitaillées depuis la France51.
34À titre anecdotique, le recrutement métropolitain du corps expéditionnaire pose bientôt à son ravitaillement un problème très français : celui du vin. Le général Juin en personne, chef d’état-major général de la Défense nationale, se fend ainsi d’un très sérieux courrier adressé le 13 juillet 1946 au ministre de l’Économie nationale, car ce ravitaillement en vin « se heurte à de très grandes difficultés ». Évaluant à 6 000 hectolitres par mois « les besoins correspondant à un effectif moyen de 75 000 hommes », il observe que, depuis 6 mois, à peine un mois de consommation a pu être assuré : « il est inutile d’insister sur les répercussions d’ordre moral entraînées par cette situation pour des hommes soumis à des fatigues physiques considérables dans des conditions climatiques très éprouvantes »52. « Une étude approfondie du problème » ayant révélé qu’il s’agissait essentiellement d’une question de prix, il sollicite le soutien, précisément, de la direction des Prix. Ce difficile problème sera, semble-t-il, résolu.
35L’équipement de ces troupes n’apparaît pas non plus freiné par l’accord du 6 mars. Il se poursuit, notamment à partir de la « caverne d’Ali Baba » qu’est la ville de Manille. À en croire l’un des rapports du chef de la Mission d’achat française sur place, les réserves y sont « considérables », même si « dans certains dépôts règne un désordre extraordinaire »53. Les Français n’y trouvent donc pas tout ce qu’ils cherchent et restent prudents sur les expéditions. Sur un total de crédits de 17,2 millions de dollars, le total des achats signés se monte à environ 6,9 millions de dollars à fin avril 1946. Parmi ces acquisitions, 800 Jeeps, 25 ambulances, 415 GMC, des pièces de rechange multiples pour autos, bateaux, avions, de gros moteurs marins à essence et des bulldozers... La liste des achats est longue et détaillée. Il est cependant parfois difficile d’acquérir officiellement du matériel américain, ce qui est en général le cas à Manille, et plus encore d’acheter directement aux États-Unis, en raison de l’attitude résolument anti-coloniale qui prévaut à Washington, selon, comme l’écrit l’ambassadeur de France Henri Bonnet, une sorte de principe tacite prévalant depuis la capitulation japonaise54. Selon lui, le gouvernement des États-Unis est décidé à ne rien faire « qui fut de nature à aider [les anciennes puissances coloniales] dans la reconquête de [leurs] territoires si les populations indigènes tentaient de mettre obstacle à la réinstallation de leur souveraineté » ; en conséquence, « le gouvernement de Washington a interdit la cession de matériel de combat, à quelque titre que ce soit, aux États possessionnés dans le Sud-Est de l’Asie pour l’utiliser dans cette partie du monde. »
36À cette logique de reconquête, qui se nourrit des approvisionnements en question, s’ajoute une autre logique, vite à l’œuvre dans le conflit naissant en Indochine : la logique coloniale. Les productions des sociétés françaises y ont un caractère stratégique. Non pas tant l’anthracite, étant donné le bas niveau de production de la Société des Charbonnages du Tonkin dans ces années. Par contre, l’administration Decoux avait constitué des stocks de caoutchouc, un produit qui avait attiré de nombreux investissements depuis le début du siècle. Bloch-Lainé, qui n’est pas l’archétype du colonialiste et se trouvait donc à Saigon comme conseiller financier, raconte cette anecdote. « Je demande un jour au Général [Leclerc] de faire une percée rapide vers les stocks de latex, sur les plantations d’hévéas. Le caoutchouc est rare et la France a grand besoin de celui-là [...]. Leclerc me répond, bourru : “nous ne sommes pas venus ici pour le caoutchouc”. Je ne me retiens pas de lui répliquer : “alors, pourquoi êtes-vous venu ?”. Il rougit, bougonne et s’en va. » Le conseiller financier aura les « moyens » nécessaires quelques jours plus tard55 ; et la protection des plantations sera bientôt à l’ordre du jour.
37Le coût de cette reconquête n’emporte pourtant pas l’adhésion de tous au sein même du dispositif français en Indochine, notamment du côté des « civils ». Alors que d’Argenlieu est encore haut-commissaire, une violente querelle oppose ainsi le général Valluy, commandant en chef après Leclerc et directement responsable des opérations de novembre et décembre 1946 au Nord à l’Inspecteur général de la France d’outre-mer Gayet, qui dirige sur place la Mission de contrôle de l’exécution du budget en Indochine. Créée par décret le 5 septembre 1946, la mission confiée à l’Inspecteur Gayet a un double « objet essentiel : examiner les dépenses de la Métropole en Indochine ; rechercher les économies, compressions et réformes à réaliser immédiatement ou à prévoir sur le budget de 1947 »56.
38L’intérêt de la controverse est que l’examen des dépenses militaires, en particulier, pose la question de la stratégie même suivie en Indochine. Dans un premier rapport, daté du 10 octobre 1946, après un petit mois sur place, la Mission préconise un certain nombre de mesures qui lui mettent à dos les plus hautes autorités militaires de France et d’Indochine : « diminution des effectifs stationnés au Tonkin, compression massive des effectifs européens, aménagement des soldes et primes d’alimentation, décongestion de la région Saigon-Cholon »57. Les appréciations des militaires ne furent pas tendres. Comme l’écrit pudiquement une note du Comité de l’Indochine, « ces observations, parfois acides, étaient l’expression d’un désaccord certain, particulièrement vif, entre la Mission de contrôle et le général Commandant supérieur »58. Ce dernier finit par donner l’ordre à ses subordonnés « de ne correspondre avec la Mission de contrôle que par écrit et refusa à l’Inspecteur général Gayet l’autorisation de se rendre au Cambodge ».
39Accessoirement, Gayet s’intéresse aussi à la monnaie, plus précisément à la parité de la piastre, mais il n’est pas beaucoup plus écouté dans ce domaine que dans les autres. Le nouveau conseiller financier Gonon ironise même sur son « idée mirifique de dévaluer la piastre pour réduire les charges militaires du budget français »59.
40Quelques mois plus tard, en juin 1947, Valluy tentera en vain d’empêcher son retour en Indochine, stigmatisant sa « méconnaissance des problèmes d’ensemble », ses « bavardages », son « manque d’objectivité bien connu de tous ». « Mon sentiment, conclura Valluy dans un ultime télégramme à Paris, est qu’en dépit de notre extrême bonne volonté, Monsieur Gayet fera du mal à l’Indochine »60. Mais Valluy devra rentrer à Paris en octobre de la même année et Gayet, nullement découragé, poursuivra sa mission jusqu’en 1949.
41Les « incidents » du 24 novembre à Haiphong et le « clash » de Hanoi le 19 décembre 1946 s’inscrivent parfaitement dans la logique militaire dénoncée par Gayet, même si le coup de force de Hanoi a été plutôt déclenché par les Vietnamiens. Après le 19 décembre 1946, en tout cas, la logique de reconquête imprime plus que jamais sa marque sur la politique à suivre. Car il ne faut pas se représenter le territoire vietnamien de la fin 1946 comme progressivement dissident et gangrené par une rébellion nouvelle. C’est tout le contraire. Au sud du 16e parallèle, l’autorité française a sans doute réussi à dominer le pays - le pays théorique du moins. Mais, depuis 1945, c’est le gouvernement vietnamien qui conserve le contrôle du territoire au nord du 16e parallèle. La France y disposa certes de quelques garnisons après l’accord du 6 mars 1946, mais ce n’est bien sûr plus le cas après le coup de force du 19 décembre. À cette date, le Nord est entièrement à reconquérir, à moins de trouver un accord politique avec l’adversaire. Hanoi n’est vraiment dégagée que le 18 janvier 1947, pas en très bon état d’ailleurs ; et chaque déplacement des troupes françaises, de timides excursions d’abord dans sa périphérie, est une « opération ».
42Au total, le coût de la reconquête de l’Indochine, entre le 15 août 1945 et le 31 décembre 1946 - reconquête encore très partielle - est évalué dans un document sans autre référence, datant sans doute du début de l’année 1947, à environ 75 milliards de francs - soit l’équivalent de plus de 10 % du budget de 194661. Les dépenses militaires sont les plus importantes : une trentaine de milliards. Il faut peut-être y ajouter une partie de la somme imputée aux dépenses civiles : réapprovisionnement de l’Indochine en vivres, vêtements et matériels divers urgents... Le reste concerne des dépenses « occasionnées par le Chinois », ainsi que l’entretien et le rapatriement des 70 000 prisonniers japonais. Avant même le « clash » du 19 décembre, date à laquelle les ponts sont définitivement coupés entre Vietnamiens et Français, la facture de la réoccupation du territoire est donc déjà lourde. Par la nature même des dépenses, elle suggère que le conflit a bel et bien commencé dès l’été 1945.
II. LES MOYENS DE LA RÉSISTANCE
43Les Vietnamiens - on dira bientôt le Viet Minh - ne vivent pas le conflit dans le même « temps » que les Français : c’est une guerre de longue durée qu’ils mènent contre la France, et sa première phase, celle de la défensive, a commencé dès le 23 septembre 1945, date de la reprise du contrôle de Saigon par les Français. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la dimension économique et financière de la guerre apparaît pour eux très forte, plus forte peut-être que pour la France. Sentiment de fragilité ? Volonté de tout mettre en œuvre pour affronter l’adversaire ? Les deux en même temps, sans doute, sur fond idéologique de lutte contre le colonialisme, ce dernier étant réputé fondé sur des motivations économiques - et le colonialisme français ayant chez les insurgés vietnamiens une image particulièrement carnassière. Pour le reste, la résistance au retour des Français n’est vraiment importante qu’au Vietnam. Au Laos et au Cambodge, des régimes de monarchie constitutionnelle alliés à la France se mettront en place en 1947. Les mouvements nationalistes qui avaient émergé en 1945 - Lao Isara, Khmer Issarak - survivent en exil à Bangkok ou retirés dans les confins frontaliers, s’appuyant sur la Thaïlande ou le Viet Minh. Il ne faut sans doute pas sous-estimer leur existence ou leur capacité de déstabilisation pour les régimes en place, mais ils ont présentement perdu la partie et n’entretiennent qu’une insécurité résiduelle.
A. LE TEMPS DE L’AUTOSUFFISANCE
44Les documents du Viet Minh ne sont pas innombrables - ceux que nous avons pu consulter, apparemment authentiques, ont été le plus souvent saisis par les Français - mais ils donnent tous la même impression : le « Viet Minh » n’est pas un mouvement mais un État, ou s’il n’est pas un État au sens complet du terme, il s’efforce de fonctionner comme tel. En 1947 par exemple, replié loin au nord de la capitale, hors d’atteinte des troupes françaises, un gouvernement central existe bien, réunissant plus de vingt ministres et secrétaires d’État : six notamment en matière financière et économique (Finances, Économie, Agriculture)62, indépendamment des fabrications d’armement, rattachées à la Défense nationale ; le ministère de l’Économie nationale serait lui-même installé au village de Tan Tien63. Cela signifie d’une part de nombreux services en aval, handicapés sans doute par l’insécurité et la précarité des installations, mais n’en produisant pas moins autant de rapports annuels, de projets de budgets et de notes multiples. L’administration Viet Minh s’appuie d’autre part sur une organisation territoriale décentralisée, six interzones (lien khu) en particulier, après la réorganisation de mars 194864. Des comités économiques fonctionnent à ce niveau régional - le Comité de résistance économique du Nam Bo par exemple - ainsi que des comités économiques et financiers au niveau des provinces comme à celui des villages. Ces services locaux « produisent » à leur tour, outre les mêmes rapports, notes et projets, et à côté du matériel traditionnel de propagande, toutes sortes de laissez-passer, récépissés et autres éléments de littérature administrative.
45Cet État vietnamien dispose d’une armée, une armée jeune et sans doute pas encore très onéreuse, mais qu’il faut former, nourrir et équiper. Elle regrouperait, en 1946, 80 000 à 100 000 hommes, dont 60 000 réguliers65, soit pratiquement l’équivalent numérique des ex-forces françaises d’Indochine en état de mobilisation66. Recrutées sur une base provinciale, les nouvelles recrues s’y mêlent aux anciens tirailleurs et gardes Indochinois, rappelés d’autorité par le gouvernement de Hanoi. L’armement demeure cependant léger et hétéroclite, acheté sur place ou plus souvent récupéré d’une manière ou d’une autre. Les munitions restent rares.
46La République démocratique du Vietnam (RDV) dispose enfin d’un territoire. Un territoire certes évolutif et, dans l’ensemble, du moins pour la période considérée, en diminution progressive. Mais une bonne partie du Nord, notamment dans le delta, administré par la RDV dès 1945, demeure sous sa juridiction longtemps après le « clash » de décembre 1946. La province de Thai Binh par exemple, très densément peuplée et située au sud du delta du fleuve Rouge, reste sous administration Viet Minh pendant quatre ans avant d’être reprise par les Français en 1949. Certaines régions, comme le Thanh Hoa, dans le « Nord-Annam », échapperont à la France et à ses alliés vietnamiens pendant toute la guerre. Ailleurs, et en particulier dans le Sud, les zones sont beaucoup plus imbriquées et les « régions provisoirement occupées » par les Français, selon la terminologie Viet Minh, sont plus larges, sinon dominantes, quadrillés de postes militaires eux-mêmes surmontés de tours de guet. A la différence du Nord, la « zone libre » est au Sud discontinue - quelques groupes de villages ici et là, la forêt de Camau, à la pointe sud du delta, la plaine des Joncs surtout, où se cachent, du moins pendant un temps, les comités dirigeants du Nam Bo, son service du Trésor en particulier67. Mais l’administration Viet Minh, clandestinement, couvre l’ensemble du territoire du Sud, la région de Saigon-Cholon notamment.
47La RDV et son territoire, enfin, ont bientôt leur propre monnaie. Selon l’historiographie officielle68, quelques essais avaient été tentés courant 1946 dans le Centre, en zone Viet Minh, puis plus généralement au nord du 16e parallèle, avant que, le 31 novembre 1946, l’Assemblée nationale n’adopte le dông pour l’ensemble du pays. Selon la même source, les premières coupures ont vu le jour en mai 1947 : 1, 5, 10, 20, 50, 100 dông, puis des coupures de 200 et de 500 dông. De fait, selon cette fois un renseignement français69, les « billets Ho Chi Minh », en coupures de 1 à 100 dôngs, commencent à circuler parmi la population de Cochinchine quatre mois plus tard. Officiellement, le nouveau signe monétaire est défini par sa valeur en métal précieux : « L’unité monétaire du Vietnam est la piastre vietnamienne, titrée à 0,375 gramme d’or »70. En réalité, sa solidité, théoriquement garantie par les richesses nationales, repose surtout sur le soutien populaire71. Les difficultés ne manquent d’ailleurs pas, pour la fabrication et la diffusion du nouveau dông, et il est bientôt question d’émissions monétaires régionales.
48Pour survivre, c’est-à-dire pour faire la guerre, le régime vietnamien doit bien sûr rassembler d’importants moyens financiers. Il ne peut plus compter sur les grosses coupures de 500 piastres - de la Banque de l’Indochine (BIC) - qu’il possédait semble-t-il en grand nombre en 1945 et qui ont été vite, à son grand dam, démonétisées. Il remplace cependant progressivement cette cagnotte en échangeant dans les zones qu’il contrôle les piastres BIC contre les nouvelles « piastres Ho Chi Minh ». Forte d’une doctrine dans laquelle se mêlent dirigisme, autarcie et collectivisme, la RDV s’est également donné un système fiscal assez complet. Les principaux impôts directs sont perçus sur les revenus, les produits forestiers, les rizières et autres terrains productifs, les habitations et terrains à bâtir, etc. Mais les taxes diverses, en particulier sur les transports, fournissent comme il est de règle l’essentiel - peut-être les deux tiers72 - des ressources ordinaires du Viet Minh.
49La Résistance utilise enfin pour ses besoins financiers des moyens plus à la mesure de ses objectifs. Des bons de Défense ou de Résistance sont périodiquement placés auprès de la population, comme à la mi-1947 dans les plantations d’hévéas de Loc Ninh : « Pour prouver votre bonne foi, indique une lettre remise aux "cadres indigènes" de l’endroit, inscrivez-vous au parti ; achetez au prix de 25 $ des bons de la Défense qui permettront d’acheter des armes. La victoire acquise, vous serez remboursés et comblés d’honneur »73. Sur les gros « contribuables », principalement à Saigon-Cholon, la pression se fait plus directe, quoique toujours clandestine. Une attestation, dont le modèle a été fourni par Nguyen Binh, est ainsi remise en 1947 aux rizeries de la métropole du Sud qui peuvent se prévaloir d’activités « patriotiques », dans le louable sentiment d’« éviter les malentendus pendant les opérations de destruction des organismes des capitalistes »74.
50Toute cette mobilisation financière a donc pour but d’équiper et d’armer les troupes du Viet Minh et, accessoirement, de les nourrir - la solde paraît un luxe. La RDV, comme on sait, bénéficie au départ d’un certain stock d’armement : parachutages alliés au profit des « troupes de libération », armements français livrés par les Japonais immédiatement après leur capitulation, cessions effectuées par les Japonais ou ventes réalisées par les Chinois. L’économie Viet Minh n’est pas non plus sans ressources propres : un service central d’études de l’armement fonctionne au Nord dans la province de Tuyen Quang75, des « usines », plus vraisemblablement des ateliers, fabriquent dans plusieurs interzones des armes individuelles. Mais l’économie n’apparaît pas suffisante pour soutenir un véritable effort d’armement. Il faut donc partout récupérer et, plus encore, acheter des armes et surtout des munitions. Les récupérations prennent des formes multiples : vols, prises de guerre mais aussi recherche de matières premières - par dizaines de tonnes, par exemple, les douilles font entre Saigon et le Cambodge l’objet d’un véritable commerce, impliquant des négociants chinois et même français, alors « qu’il est à peu près certain qu’une partie de ces stocks passe ou va passer aux rebelles et peut être utilisé contre nous », indique une fiche du commandement français76. Les achats, pour leur part, se font pour l’essentiel dans les pays voisins : en Thaïlande, en Chine méridionale - le plus simple sans doute -, en Malaisie et peut-être aussi aux Philippines, où les stocks sont abondants et la surveillance contournable.
51Le Viet Minh fonctionne ainsi à son propre rythme : la pratique autarcique va de pair avec l’idée de résistance de longue durée. Pour leur part, les Français sont confiants dans leur supériorité, paraissent convaincus de trouver une issue rapide et considèrent que l’économie de guerre Viet Minh connaît un état permanent de crise, que « se suffire à soi-même », en tout cas, ne pourra lui suffire longtemps77. Mais le Viet Minh joue sur la durée : dans la plupart des missions qui impliquent un passage à travers les « zones provisoirement contrôlées par l’ennemi », la consigne est de privilégier le temps, c’est-à-dire la sécurité, sur toute autre considération. Pour autant, le Viet Minh ne reste pas passif à attendre l’occasion d’un bon « coup » militaire : au quotidien, la lutte est aussi pour lui économique et monétaire.
B. LA LUTTE ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE
52« Objectif essentiel » pour le Viet Minh, la lutte économique apparaît comme un complément - ou comme un substitut - à une lutte militaire qui, compte tenu du rapport des forces, est toujours difficile. C’est aussi, selon une formule du 2e Bureau français, la « meilleure forme de résistance à employer pour durer le plus longtemps possible tout en maintenant le fait Viet Minh »78. Vue à travers les services de renseignement français, cette lutte a connu deux étapes et des formes diverses.
53La première étape fut celle de la « terre brûlée », pratiquée au Sud à partir de 1945 comme au Nord après 1946. Contrainte d’abandonner des territoires aux Français, l’autorité Viet Minh ne « livre » ces derniers qu’après une destruction méthodique de ce qui s’y trouve. L’effet n’apparaît pas toujours déterminant ni durable, compte tenu de la valeur modeste des dites destructions. Mais il s’y mêle, surtout au Nord, une volonté d’effacer tout ce qui rappelle la domination française, villes comprises - le débat sur l’impact modernisateur de la colonisation n’est pas encore de mise. Dans leur lente et difficile reconquête du Tonkin, les forces françaises reprendront ainsi maintes cités dont il ne reste rien. Le 10 septembre 1947 par exemple, à 10 kilomètres à peine au sud-ouest de Hanoi, le haut-commissaire Bollaert prononce son fameux discours - qui ne fut qu’un « pétard mouillé » - non pas tant à Ha Dong que sur l’emplacement de la ville, qui n’est plus qu’un souvenir. Le général Gras cite aussi le cas, un peu plus d’un an après, en novembre 1948, du site également rasé de Viet Tri, en amont de Hanoi sur le fleuve Rouge, occupé lors de l’offensive française d’automne, plus précisément de l’opération Ondine79.
54Dans une seconde étape, la lutte économique menée par le Viet Minh prend une forme plus diversifiée, plus offensive aussi, avec pour double objectif de protéger la fragile économie de la RDV, d’une part, et d’« aboutir à la ruine de l’économie française » d’autre part80. La protection de l’économie vietnamienne ressort plus généralement de la défense du territoire, avec ce que cela suppose de mise à l’abri et de dispersion des stocks de grains, voire éventuellement des troupeaux. L’assaut contre l’économie française relève, pour sa part, à la fois d’un plan global, dont les services français de renseignement estiment qu’il est établi en août 1948, et d’objectifs précis de sabotages. Les routes, en particulier, offraient la double particularité de symboliser la colonisation française et de permettre au corps expéditionnaire de se déplacer rapidement : elles sont souvent, en particulier au Nord, découpées méthodiquement en « touches de piano » afin de gêner, voire d’interdire toute circulation digne de ce nom.
55Les plantations d’hévéas, situées au Sud, constituaient plus encore une cible de choix : symboles forts de la présence française, voire du profit colonial, elles pouvaient apparaître comme une sérieuse raison à la guerre. La littérature Viet Minh locale, du moins celle qui est disponible, en paraît en tout cas convaincue. « Tant que les plantations d’hévéas existeront la guerre se poursuivra ; aussi nous faut-il les détruire », indique sobrement un tract déjà cité, saisi dans une plantation de Loc Ninh à la mi-juin 194781. Le 2e Bureau prend la menace au sérieux : « Les procédés ont été “modernisés” en appliquant aux hévéas les méthodes de la guerre microbiologique, précise l’étude sur l’économie Viet Minh de 194882 : dans les provinces de Baria, Bien Hoa, Thu Dau Mot, Tay Ninh et Gia Dinh, l’envoyé spécial du gouvernement a ordonné de répandre des maladies contagieuses [...] » dans les hévéas, pour saboter les plantations avec le minimum de risques. Quelle que soit la réalité de cette « guerre microbiologique », on comprend que les autorités françaises aient fini par considérer, comme le réclamaient les professionnels du caoutchouc, qu’il fallait assurer la sécurité des plantations.
56Le plan de lutte économique contre les Français se présente aussi comme un blocus de la « zone ralliée ». Le plan apparaît à la fois simple et ambitieux dans son objectif : interdire « tout commerce et toute liaison avec l’ennemi », sous la direction d’un comité mis en place en juillet 1948 et relevant du Conseil supérieur de la Défense nationale83. Ce blocus prévoit quelques aménagements dans la circulation de marchandises de première nécessité, civiles ou militaires, moyennant force passeports spéciaux ou taxes de circulation selon les cas. Mais le passage à la pratique est plus délicat car, note le 2e Bureau, « la majeure partie des grandes zones de production vivrière [...] sont entre nos mains ». La capacité d’asphyxier les villes tenues par les Français diminue de fait avec la reconquête progressive des territoires par ces derniers. Pour les analystes français, il s’agit finalement d’un « projet d’une portée très limitée pour nous, et qui risque d’avoir pour la Résistance des conséquences funestes le jour où, justement, toutes transactions seraient rigoureusement impossibles entre la zone ralliée et les rebelles ».
57L’aspect le plus visible de cette lutte économique et financière concerne la monnaie, véritable « cheval de bataille » du Viet Minh pour des raisons qui touchent à la fois à la propagande et au financement de l’effort militaire. La diffusion de la monnaie « Ho Chi Minh » dans les zones de résistance, en 1947 et 1948, s’accompagne d’une propagande qui tourne toujours autour de la même idée : « Soutenir les billets vietnamiens, c’est aussi participer à la lutte pour l’indépendance du pays ; les détruire ou ne pas les utiliser, c’est faire preuve de traîtrise »84. L’échange contre les piastres BIC ne se fait pas d’un coup, toutes les coupures n’étant pas disponibles. L’émission prend d’ailleurs vite un caractère régional qui n’est pas sans poser la question de la garantie de la nouvelle monnaie : en janvier 1948, le Nam Bo est ainsi autorisé à émettre, pour 300 millions de piastres, une série de six coupures représentant des valeurs échelonnées entre 1 et 100 piastres. Mais au bout du compte, le cours du dông est un bon indicateur de l’implantation du Viet Minh : échangé à 120 contre 100 piastres BIC à Vinh, entre 150 et 200 dans plusieurs régions du delta tonkinois, il descend à 400 dông pour 100 piastres à Hué, et se négocie entre 300 et 350 en Cochinchine.
58Propagande et répression se combinent pour imposer la monnaie « Ho Chi Minh ». Une « semaine de Résistance patriotique », comme en 1947 au Nam Bo85, ne saurait se terminer sans une « offensive monétaire », dont les slogans sont à développer les 7e et 8e jours : « Offensive monétaire : attention aux piastres françaises ! Attention aux billets de la Banque de l’Indochine ! N’échangez que très peu d’objets contre ces piastres fantômes : il vaut mieux conserver nos produits que d’avoir ces piastres. » Dans un premier temps, la population est seulement « invitée » à ne pas utiliser les billets BIC, ceux-ci sont ensuite interdits et, le cas échéant, il faut sévir : un commerçant de Can Tho, arrêté par la police Viet Minh alors qu’il utilisait deux billets de 10 piastres BIC dans une transaction avec des villageois, se vit infliger une amende d’un montant vingt fois supérieur, et les deux billets litigieux furent affichés pendant trois jours à la Maison commune de l’endroit86.
59La démonétisation des billets de 500 piastres, en novembre 1945, est d’autant moins oubliée qu’elle visait en particulier, on s’en souvient, à assécher les caisses Viet Minh. Un attendu d’un arrêté du Comité du Nam Bo interdisant la circulation de la monnaie BIC, sur fond d’évocation de la « décadence de l’économie française », entretient le mauvais souvenir87 : « les colonialistes français, rappelle-t-il, ont une fois déjà volé nos ressources en supprimant les billets de 500 piastres... » Trois mois plus tard, toujours en 1947, le retrait des billets de 100 piastres - dits Idéo, réputés falsifiables - est l’occasion d’y revenir. Un petit tract Viet Minh, format billet de banque, justement, est ainsi titré : « Annulation des anciens billets de 100 piastres, ou manière de pirates utilisée par les Français ». On peut y lire peu après : « La suppression des billets de 500 piastres l’année dernière reste encore imprégnée dans notre mémoire et ne fait que remuer la haine des Viets »88.
60L’objectif Viet Minh en développant cette propagande monétaire est sans doute politique, mais il a également une forte dimension financière. La dimension politique n’échappe pas aux Français qui savent, en particulier en Indochine depuis François Bloch-Lainé, que la monnaie c’est le pouvoir. Le 2e Bureau français se lamente d’ailleurs un peu du fait que le Viet Minh soit le seul à « attacher une grande importance » à cette question89. Mais la dimension financière est sans doute la plus déterminante. En interdisant à son tour la monnaie de la Banque de l’Indochine et en lui substituant le dông, le Viet Minh récupère ainsi, par le seul échange de billets, une importante masse d’argent, dans une monnaie qu’il assimile à une devise et qui lui permet de procéder à ses propres achats, d’armement en particulier. Un billet de banque est alors au Vietnam la plus précieuse des munitions.
III. UN CONFLIT MAL MAÎTRISÉ (1947-1948)
61Si l’état de guerre remonte à 1945, les événements de la fin de l’année 1946 font évidemment passer celui-ci à un cran supérieur. Comme le constate le Trésor, « les frais d’entretien du corps expéditionnaire augmentèrent considérablement après décembre 1946 »90 Alors que les dépenses trimestrielles qui lui sont consacrées tournaient fin 1946 autour de 6 milliards de francs, elles bondissent à environ 10 milliards pour le premier trimestre de 194791.
62Pourtant, une fois la guerre véritablement engagée, avec un adversaire qui estime avoir le temps pour lui, la France hésite dans sa stratégie. À Paris, après deux ans de régime provisoire, l’heure est à la mise en place des institutions de la IVe République, mais en Indochine le mal est fait. Dès lors, la France ne semble être en mesure de faire vraiment ni la guerre ni la paix : les militaires ont des plans pour neutraliser Ho Chi Minh dans le « réduit » tonkinois, mais jamais complètement les moyens de leurs ambitions ; le gouvernement pour sa part se rallie progressivement à l’alternative Bao Dai, comme s’il était convaincu que cela suffirait à régler le problème. Comment les aspects financiers de la question ont-ils joué dans ces atermoiements ?
A. UNE PÉRIODE INCERTAINE
63Les dépenses militaires de la France en Indochine gardent un niveau à peu près constant entre 1946 et 1948, ce qui contribue à faire l’unité de la période. Traditionnellement, le budget fédéral de l’Indochine règle une petite partie de la facture, en prenant en charge les partisans recrutés sur place, en marge du corps expéditionnaire. Mais l’essentiel passe par la loi de finances et ses compléments, votés à Paris par les parlementaires. Là, dans les principales institutions concernées, les bilans disponibles ne concordent pas totalement, mais la tendance est partout la même. En francs courants, les « dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine » passent certes, selon la Défense, de 30 à 80 milliards de francs environ de 1946 à 194892 ; mais cela donne, en francs constants calculés en 1954, une courbe plate93. La commission des Finances du Conseil de la République fournit pour sa part des chiffres en hausse, passant de 108 à 130 milliards de francs sur la période94, mais l’augmentation reste comprise entre 8 et 11 %, ce qui demeure modeste au regard de ce qui se passera par la suite.
64Ces dépenses militaires à peu près stables correspondent à un corps expéditionnaire de niveau, également, à peu près constant : il évolue entre 90 000 et 120 000 hommes, au gré du bras de fer opposant le commandement militaire français en Indochine et l’autorité politique à Paris. Fin 1946, le CEFEO comprenait environ 96 000 hommes95. Leclerc, puis Valluy, qui se succèdent au commandement en chef début 1947, réclament 115 000 hommes, chiffre qui sera atteint, et même légèrement dépassé au milieu de l’année 194796. Mais pour diminuer ensuite : les effectifs budgétaires pour 1948 sont ramenés à 92 000 hommes, dont 70 000 Européens environ. Portés à un niveau néanmoins plus élevé au début de cette nouvelle année - 108 600 hommes - ils n’en bougent pas lors d’un important Comité de défense nationale, le 12 juillet 1948, alors que le haut-commissaire Bollaert réclame environ 22 000 hommes de plus, faisant valoir en particulier que les charges ont augmenté sur le terrain.
65Il faut préciser que la question des effectifs se double alors d’un autre problème, devenu crucial : celui de la relève, dont les données font aussi l’unité de la période. La question est posée dès 1947, quand il s’avéra nécessaire de remplacer les soldats morts ou blessés au combat. Mais il fallut vite se rendre à l’évidence : le recrutement était de plus en plus difficile, les Français manquant à l’appel. L’état-major commence alors, à contre-cœur car ce n’est pas l’idéal pour la « pacification », à expédier en Indochine des unités « non blanches » - d’Afrique du Nord et d’Afrique noire. D’anciens soldats allemands viennent également grossir les rangs de la Légion étrangère, bien que l’on veille en haut lieu à ce que leur proportion ne soit pas trop élevée. Enfin, la durée de service en Indochine, en principe de 24 mois, est de plus en plus souvent poussée à 30 mois : après deux ans de conflit, le problème devient ainsi aigu à la fin de 1948.
66Indépendamment de cet aspect technique de la relève, la monotonie des chiffres traduit pour cette période une grande incertitude. Sur place, le Viet Minh est partout et l’on ne circule, même au Sud qu’en convoi, et à ses risques et périls. En juillet 1947, le train Saigon-Phan Thiet tombe dans une embuscade après quelques dizaines de kilomètres de trajet : « La locomotive de ce train ayant sauté sur une mine à une soixantaine de kilomètres de Saigon, rapporta la presse, un grand nombre de Vietnamiens surgirent des deux côtés de la voie et, après avoir anéanti la petite escorte militaire qui accompagnait le train, se livrèrent à un massacre systématique des voyageurs ». Une quarantaine de personnes, au total, ont été tuées97. Moins d’un an plus tard, le 1er mars 1948, une embuscade surprend le convoi routier Saigon-Dalat, fort de 70 véhicules et de leur escorte - il y aura cette fois 82 tués.
67Du côté français, la mésentente paraît l’emporter. Ce n’est sans doute pas ici le lieu de dresser l’inventaire des conflits qui opposèrent civils et militaires en Indochine dans les premières années de la guerre, mais ils n’étaient pas sans arrière-plan ni conséquences financières. Le général Gras en a décrit les principaux épisodes98. Le général Valluy, qui peut certes s’appuyer sur Bidault, alors ministre des Affaires étrangères, sabote délibérément l’offre de cessez-le-feu du nouveau haut-commissaire Bollaert à Ho Chi Minh, qui devait être annoncée le 15 août 1947, le jour même de l’indépendance de l’Inde. Il lui préfère une opération militaire contre le « réduit tonkinois », à l’automne, qui sera conduite par Salan : cette opération Léa, qui devait en finir avec la tête du Viet Minh, n’aura d’autre résultat que de « durement éprouver dans son industrie et ses stocks de guerre » le potentiel de l’adversaire99. Salan sera à son tour « débarqué » en mai 1948, au profit du général Blaizot, qui avait monté le CEFEO en 1945 avant que le commandement de ce dernier ne soit confié à Leclerc. Mais quand Pignon succédera à Bollaert comme haut-commissaire, en octobre 1948, ce sera également pour se heurter à son tour au général Blaizot. Fallait-il mettre la priorité sur le Nord ou bien sur le Sud, attaquer le Viet Minh à la tête ou pacifier le delta tonkinois ?... Blaizot ne s’entendra pas davantage avec son adjoint commandant les forces terrestres depuis le 12 juin 1948, le général Alessandri - replié en 1945 en Chine, il est vrai, pendant que Blaizot tentait de réunir le corps expéditionnaire depuis Ceylan...
68S’installe-t-on malgré tout dans cette « guerre heureuse » que Lucien Bodard se souvient avoir trouvée en 1948, en débarquant à Saigon avec son bloc-notes de journaliste ? « Tout est figé, raconta-t-il plus tard. Le corps expéditionnaire a renoncé aux grandes courses [...], c’est l’enlisement. Ce n’est que sur la frontière de Chine, dans les montagnes du nord du Tonkin, que se poursuit la vraie guerre contre les réguliers de Ho Chi Minh. Elle est loin de tout et on n’en parle pas. Partout ailleurs, on fait la guerre heureuse contre la Résistance. Ces guérillas, ces contre-guérillas sont atroces [...], mais en même temps c’est la bonne vie et la prospérité pour tout le monde »100.
69Le président de la République, Vincent Auriol, les membres concernés du gouvernement et, derrière eux, le haut-commissaire, recherchent une solution politique, quelqu’en fut, semble-t-il, l’interlocuteur : il s’agit aussi, pour ces « civils », mais ils n’en parlent pas dans ces termes, de la solution la moins onéreuse. C’est ainsi que l’on vit le haut-commissaire Bollaert jouer en quelques mois plusieurs rôles successifs et apparemment contradictoires. Il prépara d’abord la grande initiative historique déjà citée, et qui l’aurait été si elle avait abouti, en direction du gouvernement Ho Chi Minh - cessez-le-feu et offre de négociation - avec un discours prévu pour le 15 août 1947 et jamais prononcé, mais bel et bien préparé. Sur ordre du gouvernement, il produisit finalement à Ha Dong, trois semaines plus tard, un autre discours, édulcoré, dans lequel le mot « indépendance » ne figurait même pas en français. Le même homme négocia enfin en décembre avec Bao Dai, en baie de Ha Long, un protocole provisoire sur l’indépendance et l’unité du Vietnam. Cette solution était il est vrai envisagée depuis 1946 et sera ensuite l’objet de tous les soins du haut-commissaire Pignon.
70Les militaires, pour leur part, sont sur le terrain et ne manquent ni d’arguments ni d’ascendant. Toute hésitation les renforce, car pour eux la sécurité n’attend pas. Ils obtiennent ainsi périodiquement la priorité stratégique, comme ce fut le cas en 1947 contre le « réduit tonkinois » de Ho Chi Minh. A l’occasion, ils savent convaincre le haut-commissaire de les soutenir, mais sans jamais obtenir les moyens à leurs yeux nécessaires pour aboutir, dont l’attribution est décidée à Paris et l’addition toujours « salée ». Les renforts ne sont accordés qu’avec parcimonie et leur acheminement prend du temps : d’une manière générale, le niveau atteint par le corps expéditionnaire à un moment donné correspond à ce qui était demandé plusieurs mois auparavant. Quand il faut prendre une décision, par ailleurs, c’est plutôt celle du « juste milieu » qui l’emporte.
71A ce rythme, le retour de la France ne pouvait être très rapide. Les rapports des services remis en route depuis l’automne 1945 le confirment, comme celui, par exemple, du Trésorier principal de l’Indochine, Georges Richard, pour l’année 1948101 : effectuant le point des « postes centralisés » (paieries, perceptions, régies comptables...), il en compte alors 66 au total pour toute l’Indochine, contre 98 avant le 9 mars 1945. « Les 32 postes non occupés sont placés dans des zones non contrôlées ou sont entre les mains du Viet Minh », signale-t-il. Leur répartition régionale confirme d’ailleurs que le Nord est bien pour la France le secteur le plus délicat : si 13 postes relevant de la Trésorerie de Phnom Penh et autant de celle de Vientiane sont ouverts, si 35 postes relevant de la Trésorerie principale de Saigon fonctionnent, un seul - celui de Hanoi - existe encore au Nord, où la France est censée s’être réinstallée depuis environ deux ans. Il y avait tout de même 19 paieries au Tonkin, pour le considérer qu’elles, avant 1945...
B. UN EFFORT MILITAIRE PARCIMONIEUX
72Pour comprendre cette sorte d’impuissance française en Indochine, en particulier sur le plan militaire, il n’est pas inintéressant de suivre le cheminement des décisions la concernant, en 1947 et 1948. Les premières datent de la fin mars 1947.
73A l’occasion du départ pour l’Indochine du haut-commissaire Bollaert, une première instruction de la IVe République est rédigée sur le sujet, le 27 mars 1947, dans le cadre donc de la nouvelle constitution et, bien sûr, après le déclenchement officiel des hostilités. À force d’être consensuelle, puisqu’elle fut cosignée par le socialiste Ramadier, le communiste Thorez et le MRP Teitgen, cette première grande instruction paraissait tout dire et son contraire102. Les pays d’Indochine groupés « en fédération, y lit-on dans un préambule, deviennent au terme de l’article 69 de la constitution, à la fois des États associés de la République française et des territoires qui ne sont pas subordonnés à une Fédération indochinoise. Celle-ci subsiste cependant dans la mesure où il est nécessaire de coordonner les intérêts communs aux divers pays et territoires, d’organiser et d’assurer la gestion des services nécessaires au développement de l’Indochine », etc. La juxtaposition d’autres éléments, parmi les buts proclamés par une France soucieuse de « ne jamais revenir à la situation antérieure au 9 mars 1945 », laisse songeur. Elle « possède en Indochine, est-il écrit d’entrée, des intérêts moraux et matériels sur la défense desquels il ne lui est possible ni de transiger ni de discuter. Elle considère en particulier comme essentiels : a/ le maintien et le libre développement de son influence culturelle et de ses intérêts économiques », etc. Mais elle n’est pas contre « les deux revendications essentielles des Vietnamiens, [qui] sont l’indépendance et l’union des trois pays de langue annamite ». En situation d’urgence, notamment, il y a là matière à interprétations contradictoires.
74Une crise gouvernementale venait en fait d’être évitée de justesse sur la question des crédits militaires à l’Indochine. Au Conseil des ministres du 20 mars 1947, une forte tension avait opposé Thorez, vice-président du Conseil et secrétaire général du PC, au président du Conseil Ramadier et au ministre de la France d’outre-mer Moutet103. La déclaration de Truman du 12 mars, officialisant la « guerre froide », n’avait qu’une semaine et déjà la direction du parti communiste français se raidissait. Après l’exposé de Ramadier en Conseil sur l’Indochine, alors que la Chambre s’apprêtait à discuter des crédits militaires qui devaient y être affectés, Thorez annonça que « le comité central de son parti a ordonné à son groupe à l’Assemblée de refuser les crédits militaires ». Moutet s’insurgea et il fallut une vibrante intervention du président de la République, Vincent Auriol, pour débloquer la situation. « La voix étranglée par une émotion réelle, raconte ce dernier, je demande à Thorez de faire appel au patriotisme de ses amis, de penser aux sacrifices communs pour la libération de la France et aux malheurs qui fondraient encore sur elle ; qu’ils pensent à la France, à la République, à la paix ». Finalement, les députés communistes s’abstinrent lors du vote des crédits militaires, fixés par la loi du 29 mars. La crise gouvernementale était ainsi évitée, et le tripartisme provisoirement sauvé. Mais pas pour longtemps, comme on le sait : à peine plus d’un mois plus tard, les députés communistes ne s’abstiendront pas, cette fois, sur la question des salaires et devront, le 4 mai, quitter le gouvernement.
75Les crédits militaires sont-ils pour autant suffisants sur le terrain ? Les autorités françaises ont bien sûr d’autres priorités dans l’Hexagone, ce qui n’échappe pas aux militaires. En Indochine, le Commandement supérieur en demande plus, comme il est logique, mais s’efforce en même temps de donner l’impression de tenir compte des difficultés générales que doit gérer le gouvernement. Ainsi le général Valluy, demandant de prévoir une maintenance de 23 000 hommes pour le 1er avril 1947, se dit bien conscient de l’effort réclamé à la métropole, notamment sur le plan budgétaire, mais avertit : « J’ai limité ma demande au minimum indispensable au-dessous duquel on ne saurait aller sans danger. Ne pas retenir ma requête reviendrait à compromettre le sort des opérations entreprises »104. En fait, durant ces premières années de guerre, le commandement militaire doit constamment revoir ses objectifs à la baisse105.
76Sur place, les militaires se plaignent vite d’importantes difficultés d’intendance et s’estiment victimes de restrictions budgétaires. « Les FTEO ont vécu en 1947, et plus particulièrement au cours du deuxième semestre, sous le signe d’une sévère compression des dépenses, dont les incidences ont profondément impressionné ces troupes engagées depuis deux ans dans une dure campagne sur un territoire de plus en plus dénué de ressources »106. Est-ce l’effet de la Mission Gayet ? Les efforts entrepris dans le domaine de l’alimentation « ont permis une économie mensuelle de 80 à 100 millions de francs, mais il n’est pas inutile de dire que ces économies se sont traduites par des privations incompatibles avec l’effort physique exigé des troupes ». Quant aux soldes, elles doivent être d’urgence revalorisées car, à lire cette fiche, la situation apparaît en effet tout à fait dramatique : « misère dégradante chez nos sous-officiers, pauvreté angoissante chez nos officiers subalternes, médiocrité humiliante chez nos officiers supérieurs. Quant à nos hommes de troupe, est-il nécessaire de rappeler que leurs ressources sont inférieures à celles d’un manœuvre indochinois ». Même en tenant compte de la part d’exagération de ce type de rapport, il est clair que le corps expéditionnaire ne roulait pas sur l’or.
77La situation n’est guère meilleure en ce qui concerne le matériel. Les besoins en devises sont toujours aussi pressants dans les différentes unités servant en Indochine, d’autant que le matériel acquis en France même se fait désirer. Dans un courrier d’octobre 1947, le vice-amiral Battet, commandant supérieur p. i. des troupes françaises en Extrême-Orient, se plaint directement auprès du président du Conseil des retards de livraisons : « Le matériel que nous attendons a été commandé en 1946. [...] Au 1er octobre [1947], sur 3 600 véhicules attendus, 600 seulement sont arrivés ; sur 90 000 pneus, 40 000 environ, et le reste est à l’avenant. Or, pendant l’année, le matériel a travaillé, des opérations sont déclenchées actuellement au Tonkin et il est absolument certain que la paix n’éclatera pas brusquement au printemps. Il nous faut donc la totalité de notre matériel disponible »107.
78La logique coloniale continue pour sa part d’être à l’œuvre. En avril 1947, décision est ainsi prise de renforcer la protection des plantations, où la vie et le travail sont devenus impossibles pour le personnel français108. Un bataillon recruté en Afrique du Nord et destiné à opérer au Tonkin est prélevé dans cet objectif, mais c’est sans doute encore trop peu. Les planteurs font à nouveau pression : « les opérations militaires à tendance politique projetées au Tonkin passent avant la défense des activités françaises en Cochinchine », se plaint l’Union des planteurs de caoutchouc. Ils obtiennent cette fois l’appui du ministre socialiste de la France d’outre-mer, Marius Moutet, qui, ayant pris acte, dans une lettre du 11 août 1947 au président du Conseil, de l’aggravation de « la situation d’insécurité sur ces plantations », insiste sur l’intérêt économique de la conservation des plantations d’hévéas indochinoises, à la fois pour la France et pour l’Indochine.
79Retour aux décisions budgétaires. En 1948, le haut-commissaire Bollaert s’est rangé à l’avis du général Valluy sur la nécessité de substantiels renforts, et la question en sera posée au Comité de défense nationale déjà cité du 12 juillet 1948. Trois solutions y furent présentées109 : retour à 92 000 hommes, c’est-à-dire aux prévisions budgétaires d’origine pour 1948 ; maintien au niveau en cours de 108 600 hommes ; augmentation à 131 000 hommes « pour satisfaire aux exigences du plan d’opérations du haut-commissaire ». Coste-Floret, le ministre responsable, plaida pour la « stabilisation », solution médiane et véritable « solution de sagesse », nécessitant tout de même « un effort financier de 5 milliards » et un nouveau collectif budgétaire. « De plus grandes ambitions, précise-t-il, ne pourraient être satisfaites que par l’utilisation de militaires du contingent, solution que ses seules incidences politiques doivent faire impérativement écarter ». Bollaert, en désaccord avec son ministre, attira l’attention - nous reviendrons sur ce point -sur l’augmentation des charges d’occupation du territoire due aux succès militaires de la fin 47. Il est soutenu par Teitgen, dont la formule résume la situation : « A une mission donnée, il faut les moyens nécessaires. Si on ne peut pas les donner, il faut ramener la mission à l’échelle des moyens possibles ». Mais la solution adoptée sera le maintien en l’état.
80Est-ce la raison de la prudence gouvernementale ? Depuis la fin juin 1948, dans un contexte général de crise des paiements110, la question des crédits militaires menaçait le gouvernement. L’Indochine n’était pas directement en cause, plutôt les crédits militaires dans leur ensemble. Mais comment ne pas rapprocher les deux quand 32 % de ces derniers sont alors consacrés à l’Indochine ? Une semaine après la décision d’attente prise par le Comité de défense nationale, l’amendement socialiste Cap de ville amputait les crédits militaires de 12 milliards. Cette fois, le gouvernement Schuman, dit de « troisième force », ne s’en relèvera pas. Sa démission, le 19 juillet 1948, inaugurait une crise politique qui allait durer trois mois.
81Cette situation montre en particulier que les décisions concernant l’Indochine sont prises à Paris en fonction des priorités économiques et politiques métropolitaines, ce qui est assez normal, mais sans grande considération pour les réalités locales. Globalement d’ailleurs, même si le coût de la guerre d’Indochine est déjà élevé, il n’apparaît pas pour autant scandaleux. Les crédits militaires dans leur ensemble, par contre, avec le flou qui les entoure, attirent beaucoup plus les foudres des censeurs. En témoigne une courte étude sur « le coût et le rendement des armées françaises en 1948 », figurant dans les papiers Mayer - René Mayer étant alors ministre des Finances du gouvernement Schuman111. Le ton en est donné dès les premières lignes : « La nation française doit avoir une armée. L’appareil militaire actuel n’a cependant aucune valeur internationale ; son prix annuel, qui n’est jamais avoué, est gonflé par l’entretien d’effectifs permanents hors de proportions avec le matériel existant ». Qui connaît d’ailleurs le chiffre exact des effectifs militaires, « généralement ignorés des assemblées et dont les précédents gouvernements n’ont pas toujours été informés » ? Les chiffres globaux fournis lors des discussions budgétaires ne dépassent jamais, par « une série de curieuses équivoques », 700 000 hommes, alors qu’un calcul portant sur tous les départements ministériels concernés aboutit à 720 000 hommes.
82Dans ces conditions, l’Indochine n’est pas en cause. « Certes, reconnaît cette note, la campagne d’Indochine, inévitable, absorbera longtemps encore, quelle que soit la solution diplomatique adoptée, des effectifs considérables ». L’armée a également d’autres tâches ailleurs. « Mais il n’est pas nécessaire d’entretenir à ces fins 720 000 hommes. 650 000 ou 640 000 suffisent certainement. Les effectifs actuels sont des effectifs de réarmement. Le matériel n’existant pas, il est encore possible, pour de longs mois, d’économiser des hommes ». La guerre d’Indochine n’est toujours pas en cause lorsque la note conclut sa première partie sur ces mots : « les budgets militaires restent [...] très lourds et leur réduction provisoire est l’un des éléments essentiels du redressement économique et financier ». La seconde partie de l’étude n’est d’ailleurs sans aucune tendresse à l’égard de la gestion jugée calamiteuse, ou plus précisément impossible, des questions militaires par les pouvoirs publics : il y est question de ministres civils « désarmés », « se heurtant à des refus de communication [...] et à de victorieuses lenteurs d’exécution » ; d’un organe d’information, l’état-major général de la Défense nationale, qui, « malgré son effectif pléthorique -400 officiers en 1947 - n’a jamais pu, ni définir une politique militaire, ni donner au gouvernement d’avis utilisables » ; d’assemblées « hors jeu », peut-être victimes de leurs exigences en matière de « présentation des budgets militaires » et plus ou moins manipulés par les « techniciens » concernés... Nous reviendrons sur ces dysfonctionnements. Retenons en attendant, donc, qu’en matière de gabegie financière, l’Indochine n’est pas encore visée. Mais elle ne doit pas non plus trop attirer l’attention, car d’autres problèmes s’y posent.
C. LA RÉORGANISATION FINANCIÈRE DE L’INDOCHINE, A TOUTES FINS UTILES
83Si, dans les années 1947-1948, les Français contrôlaient beaucoup plus mal les territoires Indochinois qu’avant la seconde guerre mondiale, s’ils n’en importaient plus le caoutchouc - ressource jugée importante - qu’en faible quantité, ils y brassaient par contre beaucoup plus d’argent. Dans son rapport sur l’année 1948, le Trésorier général de l’Indochine indique que ses services ont effectué des paiements 92 fois plus importants en 1948 qu’en 1939 : chaque jour ouvrable, les caisses du Trésor dépensent alors autour de 270 millions de francs. Globalement, les mouvements de fonds ont été en Indochine, en 1948, il est vrai une « année record », environ 300 fois plus importants qu’en 1939112. Parallèlement, les découverts du Trésor à la Banque de l’Indochine s’accroissent rapidement, atteignant 2 milliards de piastres environ (34 milliards de francs) dès avril 1947. La guerre en est partiellement responsable : « La majeure partie de cette somme correspond à des avances consenties par la Banque pour financer des dépenses de caractère métropolitain et notamment les dépenses du corps expéditionnaire », indique une note de la rue de Rivoli113.
84L’inflation reste encore contenue, mais apparemment seulement. La circulation fiduciaire a connu une véritable explosion depuis la fin des années trente, en se multipliant par 34 selon les calculs de la Trésorerie générale de l’Indochine114. Certes, entre fin 1946 et fin 1948, la circulation fiduciaire n’augmente plus que d’environ 9 %, du fait du retrait en 1947 de certains billets, dits « Ideo », qui a sensiblement dégonflé la masse monétaire en circulation. Mais en un an, de la fin 1947 à la fin 1948, elle fait un nouveau bond de plus de 18 %115. Et l’emballement est annoncé : fin 1948, la circulation s’accroît déjà 312 fois plus rapidement qu’en 1938.
85La situation n’apparaît pas en effet très saine. Le budget des services communs, qui est 24 fois supérieur en 1948 à ce qu’il était en 1938, accuse d’une part un déficit de 1 250 millions de francs, alors que celui de 1938 affichait un excédent de 62 millions. La présence du corps expéditionnaire aidant, d’autre part, les importations se sont beaucoup développées alors que les ventes à l’étranger stagnent : dans les conditions de guerre du moment, il n’est pas simple de dégager des surplus en riz ou en caoutchouc pour l’exportation. Le déficit commercial s’aggrave donc. Le taux devenu quelque peu irréel de la piastre encourage le phénomène : échangée officiellement à 17 francs mais au maximum à 10 francs au marché libre - au « marché noir » -, la piastre indochinoise stimule les importations et rend plus difficile encore les exportations. Les premiers trafics financiers ne tardent d’ailleurs pas : tout transfert vers la France est valorisant et peut générer, en revenant vers l’Indochine via une tierce monnaie, des profits aussi lucratifs qu’illicites.
86Ce n’est pas encore le grand moment du « trafic des piastres », mais déjà l’Indochine fait un peu penser - toutes proportions gardées - à l’Amérique des années 1920, celle de la prosperity et d’Al Capone : toutes les spéculations paraissent possibles, toutes les fraudes aussi. Entre autres histoires hors du commun, « l’affaire Bollaert » retient l’attention : Jacques Despuech, dont l’ouvrage sur le sujet fit date et scandale116, épingle le haut-commissaire de France en Indochine du moment117, dont la fille retour de Hong Kong aurait été trouvée, à la douane de Tan Son Nhut, en possession d’un million cinq cent mille piastres - achetées 6,50 francs l’unité à Hong Kong, les piastres pouvaient être revendues 17 francs à Saigon. Selon le rapport de la commission d’enquête sur le trafic des piastres118, l’origine de l’affaire aurait été liée à la saisie de 15 milliards de piastres « Ho Chi Minh » et à leur échange, pour « augmenter la dotation des services de renseignements de la police fédérale ». Pour notre part, nous n’avons rien trouvé dans les archives des services de renseignements qui suggère une telle saisie.
87Les villes vivaient, car les Français ne contrôlaient plus guère les campagnes, au rythme de l’argent facile. L’ethnologue Georges Condominas, qui séjourne à Saigon plusieurs mois en 1947, n’aimant certes ni la ville ni le colonialisme, en porte témoignage119. La métropole du Sud lui sembla étouffante : « À l’impression de vivre dans un territoire surpeuplé s’ajoutait celle d’être bloqué dans un camp retranché, assiégé de toutes parts », note-t-il. Mais « le plus pénible » était de savoir que des « hommes se faisaient tuer à proximité » alors que des « trafics éhontés » irriguaient la cité. Son diagnostic est simple : « Dans toutes les couches de la société, et partant dans tous les groupes ethniques, il semblait qu’il n’y eut plus qu’une raison d’être dans la vie : faire de l’argent. De temps en temps, un scandale éclatait, très vite enterré le plus souvent. [...] Il n’était même plus possible de parler de marché noir, les profits monstrueux pouvant sans vergogne s’abriter derrière le prétexte de l’insécurité ».
88Le pouvoir essaya bien sûr de contrôler ces nouveaux flux et de rationaliser l’effort financier. Le 10 avril 1947, deux semaines environ après les décisions du mois de mars (désignation de Bollaert, nouvelles instructions, vote des crédits militaires), c’est-à-dire le temps qu’il faut pour préparer un décret, un nouvel Office indochinois des changes fut constitué et bientôt installé à Saigon sous la direction de Rivet120. Il est en particulier « chargé, dans la fédération indochinoise, de l’application de la réglementation générale des changes en vigueur dans l’Union française » (article 1). En lui-même, cet organisme n’est pas une nouveauté, mais son statut met un terme à une sorte de valse-hésitation : il se substitue à celui qui fonctionnait depuis le 1er mai 1946 sous l’autorité de la Caisse centrale de la France d’outre-mer, qui avait lui-même succédé à un ancien Office Indochinois des changes géré par la Banque de l’Indochine entre 1940 et 1945. Il est en fait directement pris en charge à Paris par l’Office des changes, c’est-à-dire par le ministère des Finances. À ce titre, Guillaume Guindey, directeur des Finances extérieures, dans une lettre du 30 mai 1947, précise au directeur général de l’Office métropolitain ce qu’il doit savoir de l’organisation, des attributions et du fonctionnement du nouvel organisme121. Ce dernier délivre en particulier « des autorisations de transfert » et « contrôle la régularité des opérations de change ». Tout un programme, en effet, dans l’Indochine de l’époque, quand on sait que le montant total des transferts s’accroît d’environ 100 % entre 1947 et 1948, et qu’ils se font de plus en plus à son détriment122.
89La réglementation des changes et la reconstruction participent du même effort. Trois semaines après la mise en place de l’Office Indochinois des changes en effet, mais sur un autre registre, un décret du 30 avril 1947 institue un « budget extraordinaire pour la reconstruction et l’équipement de l’Indochine »123. En principe alimenté par des indemnités et diverses subventions, plus ou moins conçu pour faciliter la mise en œuvre du plan de reconstruction, de modernisation et d’équipement de l’Indochine, alors en gestation - il sera officiellement présenté en 1948124 -, ce budget se heurtera en fait à des problèmes de financement125.
90Le dispositif est complété l’année suivante, en 1948, par une réforme des services financiers de l’Indochine, touchant en particulier l’Institut d’émission et le Trésor. Il était pratiquement entendu depuis la fin de 1945 - c’était notamment le souhait de François Bloch-Lainé - que la Banque de l’Indochine devait abandonner son privilège d’émission. Un projet de création d’un Institut fédéral d’émission indochinois circulait depuis octobre 1946126. Le pas est franchi le 25 septembre 1948 par le vote d’une loi retirant son privilège à la vieille institution coloniale - la date d’application restant à fixer. Le Trésor indochinois est créé un mois plus tard, par décret du 23 octobre 1948127. Il a les fonctions normalement dévolues à tout Trésor d’État, assurant « l’exécution des budgets des États associés d’Indochine, de leurs collectivités publiques, des services communs à ces États et à leurs opérations de trésorerie. Il assume également la charge, sur le territoire de l’Indochine, des services financiers de l’Union française ».
91Plusieurs raisons militaient en particulier pour une réforme du service du Trésor, si l’on en croit les commentaires adressés au président du Conseil avec le décret à signer par François Bloch-Lainé, devenu directeur du Trésor à Paris128. Il fallait d’abord y voir une sorte de régularisation : « La fiction qui consistait à faire assurer par le seul Trésor français les opérations de trésorerie d’une fédération qui possédait une monnaie différente, un marché financier particulier et une certaine autonomie financière était trop artificielle pour ne pas céder aux réalités. En fait la notion de Trésor indochinois s’était imposée depuis longtemps. »
92Mais il s’agissait aussi de se prémunir contre d’éventuelles ambitions des futurs États associés : situés à l’opposé du Viet Minh sur l’échiquier politique, ils n’en étaient pas moins intéressés à l’indépendance. Leur apparition progressive constitue en effet un élément neuf, d’ordre politique : d’une part, « l’autonomie financière » qui leur est accordée paraît incompatible avec « un retour aux règles anciennes », c’est-à-dire coloniales ; d’autre part, chacun d’eux « marque une tendance à considérer qu’un des attributs essentiels de son autonomie financière est la possession d’un Trésor indépendant ». Mais comment, alors, conduire « une politique financière » et défendre une monnaie qui leur soit commune ? Dans ces conditions, en effet, « la constitution d’un Trésor indochinois commun à tous les États associés mais indépendant du Trésor français est, sans nul doute, une nécessité absolue ».
93Fin 1948, alors que le Parlement français investit Queuille, cinquième président du Conseil de la « troisième force » en moins de deux ans, la France s’est donc installée dans la guerre en Indochine, plus ou moins malgré elle. Avec le haut-commissaire Pignon qui, succédant à Bollaert, arrive à Saigon pour « gérer » la « solution Bao Dai », elle continue de préparer une solution politique et s’en donne les moyens financiers. Mais les Français contrôlent toujours aussi mal le territoire et le Viet Minh fonctionne, pour sa part, dans le cadre d’une guerre « de longue durée ». Le bouleversement de la situation internationale, à partir de 1949, ne va pas modifier ces perspectives. Mais il va les charger jusqu’au chavirage de lourdes contraintes financières.
Notes de bas de page
1 L’expression est de François Bloch-Lainé, dans une émission de France 3 le 28 septembre 1997 — « France année zéro, le grand chantier ». Alors jeune inspecteur des finances à la direction du Trésor, il allait rapidement être appelé à jouer un rôle important en Indochine.
2 Amiral Decoux, À la barre de l’Indochine, Paris, 1950.
3 Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient. Histoire de la Banque de l’Indochine, 1875-1975, Paris, 1990.
4 Jean Sainteny, Histoire d’une paix manquée, 1945-1947, Paris, 1953.
5 Les 32 000 hommes du temps de paix comprenaient 17 500 Indochinois. Les 62 000 soldats recensés dans l’hiver 1944-1945 étaient eux-mêmes à 80 % Indochinois ; et les 25 000 hommes de la Garde indochinoise étaient encadrés par moins de 600 Européens. Évaluation d’après les chiffres fournis par Hesse d’Alzon, La présence militaire française en Indochine, 1940-1945, Paris, 1985.
6 Philippe Devillers, Histoire du Vietnam de 1940 à 1952, Paris, 1952.
7 Ho Chi Minh, Écrits (1920-1969), Hanoi, 1971. Le texte de cette déclaration donné en annexe du livre de Jean Sainteny comporte quelques légères différences (op. cit.)
8 Au début des années quarante, la production dépassait 70 000 tonnes annuelles, avec comme record 76 069 tonnes en 1941. Bulletin statistique de l’Indochine, année 1947. Supplément au Bulletin économique de l’Indochine, février 1948. CAOM. FM. Indo/NF/1962.
9 Procès-verbal de séance de la commission interministérielle réunie le 5 novembre 1949 sur la question de l’hévéaculture en Indochine. AEF, Β 33538.
10 Archives de la Société des Charbonnages du Dong Trieu, CAOM, série 141 AQ.
11 Agence économique et financière, 9 novembre 1954. AEF, Β 43908.
12 La circulation passe alors, respectivement, de 173 à 2 631 millions de piastres et de 111 à 570 milliards de francs. Note du 22 septembre 1949, AEF, Β 43918.
13 Jean Sainteny, op. cit., et Lettre du commissaire fédéral aux Finances au ministre, 18 octobre 1946. AEF, Β 43925. L’évaluation des recettes est celle du budget japonais de juin 1945, obtenu par l’ambassadeur de France en Suisse et transmis le 25 juin au Quai d’Orsay. CAOM, Indo/NF/1282.
14 Lucien Bodard, La guerre d’Indochine — L’humiliation, Paris, 1965.
15 Lettre de Jean Laurent à Étienne Minost, nouveau président de la Banque de l’Indochine, du 8 décembre 1945, citée par Marc Meuleau, op. cit.
16 Truong Chinh, La Révolution d’août, 1946.
17 Lin Hua, Chiang Kai-Chek, de Gaulle contre Ho Chi Minh. Vietnam 1945-1946, Paris, 1994.
18 En 1945 et 1946, pour les autorités comme pour les médias français, le gouvernement Ho Chi Minh est « le gouvernement vietnamien ».
19 Ho Chi Minh, Ecrits (1920-1969), op. cit.
20 Texte dans De Gaulle et l’Indochine, 1940-1946, ouvrage collectif présenté par l’Institut Charles de Gaulle, Paris, 1982.
21 AEF, Fonds Trésor, Β 33539. L’ordonnance confirme un arrêté des ministres des Finances et des Colonies. Le Comité de l’Indochine, pour sa part, a été constitué par décret du 21 février 1945.
22 Article 1 de la convention : « jusqu’à la date de la cessation des hostilités en Indochine, la Banque de l’Indochine remettra en dépôt au Trésor français, sur simple demande de celui-ci, des billets de la Banque de l’Indochine libellés en piastres indochinoises, pour un montant de 100 millions de piastres ». Une piastre vaut alors 10 francs. AEF, Fonds Trésor, Β 43925.
23 Lettre du général Juin, chef d’état-major de la Défense nationale au ministre de la Guerre, le 13 juillet 1945. AEF, Fonds Trésor, Β 33539.
24 Rapport n°2 de François Bloch-Lainé au ministre des Finances, daté le 24 octobre 1945 de Chandernagor. CAOM, Indo/NF/1368.
25 Précisions de F. Bloch-Lainé : « le général Sabattier s’est fait aménager une luxueuse demeure à Kunming et en a fait bâtir, sans autorisation, à Tchongking où il n’avait aucune raison de séjourner. Ces deux immeubles sont abandonnés : bâtis sur des terrains qui ne nous appartiennent pas, ils feront retour aux propriétaires du sol ». Rapport n° 2, op. cit.
26 Dans une note du 7 septembre 1945 datée de Kandy, le généra ! Leclerc, retour de Tokyo où il a participé à la capitulation japonaise avec MacArthur, indique ne pouvoir sur ce plan « absolument pas compter sur les Anglais ». SHAT, 4 Q 113.
27 Compte rendu de la réunion du 11 juin. SHAT, 4 Q 114.
28 Soit un règlement en 25 ans avec intérêt de 2 %. Compte rendu, op. cit.
29 Ordonnance 47.1958. AEF, Fonds Trésor, Β 43933.
30 Cette réorganisation financière est décrite dans le rapport de fin de mission de François Bloch-Lainé (22 p. + annexes, 1er mars 1946). Document transmis par l’auteur.
31 François Bloch-Lainé, Profession : fonctionnaire. Seuil, 1976 ; passage également repris en annexe de Leclerc et l’Indochine 1945-1947. Quand se noua le destin d’un empire, Paris, 1992.
32 Lin Hua, Chiang Kai-Chek, de Gaulle contre Ho Chi Minh, Vietnam 1945-1946, Paris, 1994.
33 François Bloch-Lainé, Rapport de fin de mission, 1er mars 1946, op. cit.
34 Lettre du 8 décembre 1945 de Jean Laurent à Emile Minost (archives de la Banque Indosuez), citée par Marc Meuleau, op. cit.
35 Récit dans Sainteny, op. cit. et Lin Hua, op. cit.
36 Voir la photographie en annexe de l’ouvrage de Jean Sainteny, op. cit.
37 François Bloch-Lainé, Profession, fonctionnaire, op. cit.
38 François Bloch-Lainé, Rapport de fin de mission, op. cit.
39 8 ou 9 janvier selon les sources.
40 François Bloch-Lainé, Rapport de fin de mission, op. cit.
41 Note pour Monsieur René Pleven, non datée mais sans doute de 1950 : alors président du Conseil, Pleven eut en effet alors à prendre une importante décision sur le taux de la piastre, qui ne sera d’ailleurs qu’une solution d’attente. AEF, Β 43919.
42 Décret n° 45-0135 du 25 décembre 1945, portant, outre la signature de De Gaulle, celles de Pleven, ministre des Finances, et de Soustelle, ministre des Colonies. JO du 26 décembre 1945.
43 Cité par Marc Meuleau, op. cit.
44 Indication de François Bloch-Lainé, Rapport de fin de mission, op. cit.
45 Note pour Monsieur René Pleven, op. cit
46 1 franc CFA = 1,70 franc et 1 piastre = 17 francs.
47 Note pour Monsieur René Pleven, op. cit.
48 François Bloch-Lainé, Rapport de fin de mission, op. cit.
49 Rapport du général Leclerc sur sa mission en Indochine, 8 janvier 1947. SHAT, Fonds Leclerc, 1 Κ 239 et Leclerc et l’Indochine, 1945-1946, Paris 1992.
50 Dont 87 % d’Européens fin décembre 1945, 68 % un an plus tard. D’après les chiffres de Gilbert Bodinier, 1945-1946. Le retour de la France en Indochine, op. cit.
51 Fiche de l’état-major de la Défense nationale, 26 janvier 1946. SHAT, 4 Q 113.
52 Lettre du 13 juillet 1946. SHAT, 4Q 113.
53 Commission d’achat à Manille, rapport du chef de mission du 29 avril 1947. SHAT, 4 Q 114.
54 Lettre de Henri Bonnet, ambassadeur de France aux États-Unis à Georges Bidault, président du Gouvernement provisoire et ministre des Affaires étrangères. 6 août 1946. SHAT, 4 Q 113.
55 François Bloch-Lainé, Profession : fonctionnaire, op. cit.
56 Note du Comité de l’Indochine, adressée au président du gouvernement le 10 décembre 1946. CAOM, FM, Indo/NF/1368.
57 Note du Comité de l’Indochine, op. cit. La volonté de diminuer les effectifs stationnés au Tonkin, stationnement il est vrai onéreux, un peu plus de deux mois avant le coup de force de décembre 1946, allait à l’encontre de la politique de forte présence au Nord, suivie par les chefs militaires et qui allait précisément déboucher sur le coup de force adverse en question.
58 Note du Comité de l’Indochine, op. cit.
59 Lettre du 23 octobre 1946. AEF, Fonds Trésor, Β 33541.
60 Télégramme du 16 juin 1947 au Comité de l’Indochine. CAOM. FM. Indo/NF/1368.
61 Estimation provisoire du coût de la réoccupation de l’Indochine du 15 août 1945 au 31 décembre 1946. CAOM, Indo/NF/1281. Voir annexe 1.
62 Gilbert Bodinier, Indochine 1947, règlement politique et solution militaire. Paris, 1989.
63 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie Viet Minh, 72 p. dactylographiées, 1948.
64 Trois au Nord, deux au Centre et une au Sud. Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine. Paris. 1979.
65 Gilbert Bodinier, 1945-1946. Le retour de la France en Indochine, Paris, 1987. Son analyse de « l’organisation politique et militaire du Viet Minh » (chapitre IV) est fondée sur les documents du 2e Bureau.
66 Environ 90 000 en fin de mobilisation, en 1940 — 32 000 hommes en temps de paix. Dans l’hiver 1944-1945, le Gouvernement général pouvait théoriquement aligner 62 000 soldats et 25 000 gardes indochinois. C.Hesse d’Alzon, op. cit.
67 SHAT, 10 H 3993.
68 Politique économique et guerre de libération nationale. Études vietnamiennes n° 44, Hanoi, 1976.
69 Renseignement du 14 octobre 1947. SHAT, 10 H 3991.
70 Décret du gouvernement vietnamien cité par le 2e Bureau, Étude sur l’économie vietminh, op. cit.
71 Ibid.
72 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit.
73 Le symbole $ désigne souvent la piastre dans les papiers de l’époque. Traduction d’une lettre remise aux cadres indigènes de Loc Ninh vers la mi-juin 1947. SHAT, 4 Q 114.
74 SHAT, 10 H 3991.
75 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit.
76 Fiche du Commandement supérieur des TFEO, du 18 octobre 1947, à propos du « Trafic de métaux non ferreux ». SHAT, 4 Q 114.
77 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, 1948, SHAT, 10 H 3990.
78 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit.
79 Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Pion, 1979.
80 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit.
81 Traduction d’une lettre remise aux cadres indigènes de Loc Ninh vers la mi-juin 1947. SHAT, 4 Q 114.
82 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit.
83 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit.
84 Cité par 2e Bureau des FTEO, Étude sur l’économie vietminh, op. cit.
85 Renseignement de juillet 1947. SHAT, 10 H 3991.
86 Renseignement de septembre 1947. SHAT, 10 H 3991.
87 Arrêté n° 152/CT du Comité du Nam Bo, signé par Pham Ngoc Thuan le 2 juillet 1947. L’interdiction est valable à partir du 17 juillet. Renseignement de juillet 1947. SHAT, 10 H 3991.
88 Tract du 9 octobre 1947 émanant du comité de Saigon-Cholon. SHAT, 10 H 3991.
89 Note du 28 novembre 1947. SHAT, 10 H 3991.
90 Note sur la « couverture des dépenses en piastres effectuées en Indochine pour le compte du Trésor français ». AEF, Fonds Trésor, Β 43917.f
91 9,8 milliards de francs exactement. « Coût de la réoccupation de l’Indochine », AEF, Fonds Trésor, Β 43924.
92 30,1 milliards de francs en 1946 ; 51,3 en 1947 ; 79,8 en 1948. « Dépenses militaires supportées par la France au titre de l’Indochine ». SHAT, 1 R 239. Voir annexe 22.
93 121,6 milliards de francs en 1946 ; 132,4 en 1947 ; 124,5 en 1948.
94 108 milliards en 1946 ; 117,3 en 1947 ; 130 en 1948. Calculés en francs 1953. Crédits militaires pour l’Indochine, 1954, rapport de la commission des Finances du Conseil de la République, 25 mars 1954. AEF, Β 33540. Voir annexe 24.
95 96 644 hommes au 31 décembre 1946 pour le corps expéditionnaire proprement dit, plus 11 509 partisans. Gilbert Bodinier, Indochine 1947, op. cit.
96 116 635 hommes au 30 juin 1947 (85 389 Européens et 30 996 autochtones), plus 14 508 partisans. Gilbert Bodinier, Indochine 1947, op. cit.
97 Le Monde, 18 juillet 1947.
98 Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, Paris, 1979.
99 Ibid.
100 Lucien Bodard, La guerre d’Indochine. L’enlisement, Paris, 1963.
101 « Rapport annuel sur le fonctionnement et la marche du Service de la Trésorerie générale de l’Indochine au cours de l’année 1948. » AEF, Fonds Trésor, Β 33539.
102 Texte dans Gilbert Bodinier, Indochine 1947. Règlement politique ou solution militaire. SHAT, 1989. Cette instruction se substituait à celles du 10 décembre 1946, faites sous le gouvernement provisoire, et rendait caduque la déclaration du 24 mars 1945.
103 Vincent Auriol, Mon septennat, Gallimard, 1970.
104 Cité par Gilbert Bodinier, Indochine 1947, op. cit.
105 Général Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, op. cit.
106 Fiche sur le service de l’Intendance, non datée mais sans doute de début 1948. SHAT, 4Q 113.
107 Courrier du 14 octobre 1947. SHAT, 4Q 114.
108 Quelques documents sur la question des plantations accompagnent un courrier sur le sujet de Marius Moutet au président du Conseil, le 11 août 1947. SHAT, 4Q 114. Voir annexe 2.
109 Procès-verbal de la réunion du Comité de défense nationale du 12 juillet 1948. SHAT, 2 R 63.
110 Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne. 1944-1954, Paris, 1997.
111 Note d’information sur le coût et le rendement des armées françaises en 1948, rédigé par une commission d’enquête fonctionnant depuis 1946. Pelure non datée de 18 pages, figurant dans le Fonds Mayer. Archives nationales. 363 AP 10.
112 Rapport annuel sur le fonctionnement et la marche du service de la Trésorerie générale de l’Indochine au cours de l’année 1948, AEF, Fonds Trésor, Β 33539.
113 Note pour le ministre du directeur du Crédit, 24 avril 1947. AEF, Fonds Trésor, Β 43917.
114 Entre le 31 décembre 1938 et le 31 décembre 1948. Rapport annuel, op. cit.
115 Les chiffres de référence sont pris au 31 décembre de chaque année. Statistiques du Fonds du Trésor, AEF Β 43907.
116 Jacques Despuech, Le trafic des piastres. Éditions des deux rives, 1953.
117 Emile Bollaert, entre mars 1947 et octobre 1948.
118 Rapport Mondon, Assemblée nationale, 1954.
119 Georges Condominas, L’exotique est quotidien. Terre humaine, Pion, 1965.
120 Décret n°47-681 du 10 avril 1947 et arrêté du 30 avril portant promulgation en Indochine du dit décret. AEF, Fonds Trésor, Β 43919.
121 Lettre du Ministre des Finances (Finances extérieures) au Directeur général de l’Office des changes, datée du 30 mai 1947, à propos du Rattachement de l’Office Indochinois des changes à l’Office métropolitain des changes. 8 pages. AEF, Fonds Trésor, Β 43923.
122 Le solde négatif passe lui-même de 2,2 milliards de francs en 1947 à 9,8 milliards de francs en 1948. Note n°8 sur les Transferts commerciaux et financiers, rattachée à une lettre du haut-commissaire au directeur du Trésor, du 28 mai 1951. AEF, Fonds Trésor, Β 43924.
123 Décret n° 47-369 du 30 avril 1948. JO du 2 mai 1948.
124 Le plan avait été établi par la sous-commission de l’Indochine, relevant de la commission des territoires d’outre-mer et donc du commissariat général du plan, en exécution du décret du 3 janvier 1948, et approuvé par celui du 18 septembre 1948. Proposition de loi tendant au financement et à l’exécution du plan de reconstruction, d’équipement et de modernisation de l’Indochine. Assemblée nationale n°6834, session de 1949.
125 Situation des budgets extraordinaires de l’Indochine. AEF, Fonds Trésor, Β 33538.
126 Projet Belin, du nom de son concepteur.
127 Décret n°45-1656 du 23 octobre 1948, créant le Trésor indochinois à partir du 1er juillet 1948. JO du 24 octobre 1948.
128 Rapport au président du Conseil des ministres, accompagnant le projet de décret à signer le 23 octobre 1948.
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