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De l’après-guerre aux années 1970

p. 145-147


Texte intégral

1Merci, je vais vous faire un aveu. J’ai moi-même passé cinq années à la Datar, qui est un lieu très formateur… J’y ai gagné le goût de l’aménagement du territoire. Je vais essayer, à la lumière de mes expériences passées, de tirer quelques enseignements sur l’avenir à la fois en ce qui concerne le positionnement des Télécoms au sein de l’État et le positionnement de notre corps. Ceci autour de trois thèmes : le premier, le rôle de l’État, le rôle du corps, le rôle des Télécoms dans l’État et le rôle de l’État dans le secteur des Télécoms ; le deuxième : le rôle des TIC et de l’aménagement du territoire ; et le troisième : la place de la France dans le monde autour de ce qui a été dit par Michel Guillou et par Charles Rozmaryn sur les grandes réussites françaises industrielles dans le monde.

2On voit effectivement dans tout ce qui a été dit aujourd’hui qu’on a assisté à un bouleversement en profondeur du paysage des télécoms au cours des quinze dernières années. Les Télécoms étaient jusqu’il y a peu très intégrées à l’État, à travers la DGT, qui était l’investisseur et l’exploitant unique sur les territoires mais qui avait aussi en charge toutes les grandes fonctions régaliennes du secteur y compris la politique industrielle et de R&D, contribuant d’ailleurs ainsi au financement d’autres filières annexes, comme l’électronique et l’espace.

3Dès lors, l’histoire de ces dernières années est celle pour la DGT d’une évolution drastique, et même de ce que j’appellerais de petites morts successives : d’abord l’acceptation d’une répartition des capacités de R&D entre le CNET de France Télécom et d’autres centres en France, soit le CNRS, soit d’autres industriels ; deuxièmement la fin du rôle d’exploitant unique avec l’ouverture du secteur à la concurrence dans le mobile et dans le fixe. Et surtout l’arrivée depuis peu d’autres acteurs, ceux qu’on qualifie aujourd’hui d’over the top (OTT), qui font partie des Télécoms de demain et donc qui viennent bouleverser ce modèle intégré.

4Dans le domaine de la formation également, le découpage en 1996 fut difficile et il a fallu redéfinir le rôle de l’État, distinct de celui de l’exploitant France Télécom, quand on a séparé les écoles de France Télécom et de la DGT. Il s’agit là certainement d’une mission essentielle, car elle touche aux générations à venir, avec l’obligation de préparer les jeunes aux métiers de demain, qui ne seront plus uniquement les métiers de Télécoms, mais ceux de l’Internet, et qui impacteront de nombreux autres secteurs, comme la santé, les transports, l’énergie, les smart grids, etc. D’où l’importance pour l’État d’anticiper les besoins de la société dans ces secteurs et de veiller à ce que notre pays se dote des compétences nécessaires, et ceci en quantité suffisante. C’est un challenge, à une époque où les métiers techniques n’attirent plus autant notre jeunesse qu’auparavant, et pas autant que dans d’autres zones du monde. Notre pays va devoir, toutes les statistiques le prouvent, importer des ingénieurs de zones géographiques où ils sont formés en plus grand nombre comme l’Asie…

5Deuxième sujet : la R&D, qui est un facteur clé de la valeur ajoutée et de la compétitivité d’un territoire, à une époque où notre pays souffre de délocalisations industrielles ; il s’agit de R&D à la fois publique, privée, réalisée aussi au sein des pôles de compétitivité, etc. Il est désormais essentiel que l’État ait au minimum une vision des compétences industrielles et de R&D qu’il souhaite garder sur son territoire.

6On peut toutefois s’interroger sur les moyens dont dispose aujourd’hui l’État pour maintenir sur le territoire national une capacité industrielle et de recherche. À cet égard, le crédit d’impôt recherche est un outil vital pour la compétitivité de la France en Europe et dans le monde.

7Troisième rôle de l’État, être le garant de l’intégrité des infrastructures critiques sur le territoire. C’est-à-dire son système nerveux. J’entendais ce que disait Patrice Carré sur le rôle des Télécommunications en période de guerre, où il y a une sensibilité croissante des États sur le rôle crucial que représentent les Télécoms à la fois pour la sécurité des communications gouvernementales et pour l’État. Toutefois, au-delà des besoins propres de l’État, son rôle est absolument crucial dans la protection contre les cyber-attaques, afin de garantir la résilience des réseaux sur l’ensemble du territoire national. C’est un des sujets désormais les plus sensibles pour de nombreux États, y compris aujourd’hui en Europe, alors que les pays européens n’étaient pas jusqu’ici aussi sensibilisés que les Américains qui avaient vécu septembre 2001.

8Il convient également de signaler le rôle croissant des États dans la couverture numérique du territoire. On constate en effet partout dans le monde un retour de l’initiative publique avec, bien sûr, des modèles différents entre ce qui se passe en Europe, aux USA, en Australie et dans les pays émergents. Mais la plupart des pays se posent la même question : « Comment combiner action publique et concurrence ? » Le rôle des États est de faire en sorte qu’il y ait la meilleure organisation possible de l’investissement, avec peut-être un bouleversement des business models d’investissements traditionnels. Le bien commun n’est pas la somme des intérêts individuels de chaque opérateur, et peut-être faut-il, en période de crise où les opérateurs ne font plus les bénéfices qu’ils faisaient et où on a un besoin énorme d’investissement, favoriser des modèles de co-opérations, de co-investissements dans ce qui n’est pas discriminant et dans ce qui est une infrastructure essentielle, par exemple la fibre noire. Partout dans le monde, on voit les États revenir dans le jeu en étant plus prescriptifs dans leur vision de l’investissement, notamment parce qu’il apparaît désormais clairement que le passage au très haut débit ne se fera pas de façon optimale avec la seule initiative privée. Il convient également de signaler le rôle des États et de la régulation dans le rééquilibrage de la chaîne de la valeur entre les OTT, acteurs mondiaux d’origine américaine, et les opérateurs qui sont encore des acteurs locaux. On est là dans le cœur du débat sur la Net neutralité.

9Enfin, un mot sur la place de la France dans le monde, en particulier celle de son industrie où j’ai l’honneur de servir aujourd’hui. Alcatel-Lucent, présent aujourd’hui dans 130 pays, fut le creuset des communications par satellite, et demeure un fleuron des câbles sous-marins qui indéniablement sont un élément de souveraineté nationale. Toutefois, soyons lucides, j’ai parfois le sentiment d’assister en Europe au déclin de l’empire romain. En démantelant ses barrières intérieures, l’Europe a aussi démantelé ses barrières extérieures et aujourd’hui effectivement notre industrie est à la merci de concurrents qui ne respectent pas toujours les règles d’aide d’État de l’OCDE ni nos règles sociales. L’Europe commence à s’en rendre compte… espérons que ce n’est pas trop tard et qu’elle trouvera les bons moyens de sa politique.

10En guise de conclusion : quelle est la place de l’État ? Quelle est la place du corps ? Je pense que pendant longtemps il y a eu une certaine arrogance de notre corps qui fait que nous avons négligé un peu le « politique », et nous avons vécu comme un secteur encapsulé, protégé, en ayant le sentiment que nous étions les « sachants », sans voir l’utilité de rayonner au-delà de nos institutions et de notre secteur. Le rôle des ingénieurs est aujourd’hui aussi d’essaimer au sein des arcanes de décision publique. Nos décideurs politiques ont besoin de s’appuyer sur de solides connaissances techniques. De bonnes décisions politiques naîtront d’une connaissance éclairée, que ce soit pour le maintien des fonctions essentielles de recherche et développement, pour la définition des politiques adéquates de formation et pour les décisions éclairées et courageuses en matière de régulation, mais également pour les initiatives publiques non seulement dans notre secteur, mais dans le développement des autres secteurs, puisque notre secteur a vocation à irriguer de grandes infrastructures structurantes de notre territoire de demain (les transports, l’énergie, les smart grids, etc.).

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