Le rôle stratégique des câbles sous-marins intercontinentaux, 1854-1945
p. 59-72
Texte intégral
Introduction
1En août 1858, à l’occasion de la pose du premier câble sous-marin transatlantique, le président des États-Unis, James Buchanan, envoya un télégramme à la reine Victoria dans lequel il écrivit :
« Que le télégraphe transatlantique, sous la bénédiction du Ciel, soit une promesse de paix et d’amitié perpétuelles entre les nations de la même famille et un instrument destiné par la Providence Divine à diffuser la religion, la liberté, et le droit dans le monde entier1 ».
2Sur le modèle du message du président, le câble inspira un torrent de discours prétentieux, de sermons sonores, et d’articles exubérants de la part d’Américains extasiés par le nouveau lien avec la vieille Europe. Un exemple suffira. Le journaliste C. T. McClenachan écrivit :
« L’extension des communications télégraphiques à toutes les régions du monde, annulant l’espace et attachant toutes les nations par des liens de fraternité, promettra de hâter le moment où tous les hommes vivront ensemble en paix, et les guerres et rumeurs de guerre cesseront2 ».
3Un siècle et demi plus tard, nous savons pourquoi ce rêve n’a pas été réalisé. Au lieu d’apporter la paix entre les nations, les innovations spectaculaires en télécommunication ont contribué pour leur part à rendre les guerres également spectaculaires.
La création du réseau britannique
de câbles sous-marins, 1858-1898
4Même en 1858, les gens informés auraient dû se rendre compte de la valeur militaire des câbles télégraphiques, car ils avaient joué un rôle en temps de guerre presque dès le début. En 1855, quatre ans après la pose du premier câble sous la Manche, la France et la Grande-Bretagne en posèrent un entre la Roumanie et la Crimée pour soutenir leur expédition contre la Russie. Trois ans après, réagissant à la rébellion indienne de 1857, le gouvernement anglais signa un contrat pour la pose d’un câble vers l’Inde passant par la mer Rouge. Cette pose échoua, et pendant plusieurs années la Grande-Bretagne dût se fier pour communiquer avec l’Inde à des lignes terrestres traversant l’Europe, la Russie, l’Empire ottoman, et la Perse. Ce n’est qu’en 1870 qu’elle acquit un câble direct vers l’Inde3. Pendant ce temps-là, la France, engagée dans des opérations militaires en Algérie, fit poser plusieurs câbles à travers la Méditerranée4. Bien que plusieurs de ces premières lignes échouassent pour des raisons techniques, l’enthousiasme avec lequel ils furent installés prouve que les gouvernements français et britanniques considéraient les câbles sous-marins, dès le début, comme des armes de guerre.
5Pourtant, à l’exception de la guerre franco-prussienne de 1871, les quarante ans entre 1858 et 1898 furent une des plus longues périodes de paix dans toute l’histoire de l’Europe. C’est aussi pendant ces années-là que des entreprises anglaises et françaises posèrent à travers l’océan Atlantique un grand nombre de câbles télégraphiques qui jouèrent un rôle essentiel dans l’essor du commerce transatlantique. C’est donc tout à fait compréhensible que les gens associent les câbles télégraphiques au commerce et en particulier au commerce transatlantique.
6C’est aussi pendant cette période que des compagnies anglaises appartenant au groupe Eastern and Associated Telegraph Company posèrent des câbles autour de l’Afrique et vers l’Amérique du Sud, les Indes, l’Australie et l’Extrême-Orient. En 1892, les Anglais possédaient les deux tiers des câbles du monde. Dix ans après, leurs câbles encerclaient le monde5.
7Les historiens expliquent l’hégémonie britannique en matière de câbles par leur avance industrielle vis-à-vis des autres nations dans les années 1850 et 1860, et par la supériorité de leur commerce maritime grâce à leur marine marchande. Les géographes, par contre, notent un troisième facteur : la position des îles Britanniques dans l’océan Atlantique, position avancée de l’Europe face aux États-Unis. La distance entre l’Irlande et Terre-Neuve, deux possessions britanniques à cette époque, était de plusieurs centaines de kilomètres plus courte qu’entre les États-Unis et les autres pays européens. Un câble court était moins cher qu’un câble long non seulement à cause de sa moindre longueur, mais aussi parce que la vitesse de transmission était inversement proportionnelle à la longueur et proportionnelle au diamètre de son âme en cuivre. Donc, les câbles entre la France et les États-Unis étaient plus coûteux, plus lents, et moins profitables que les câbles anglais. Sur les autres océans, la Grande-Bretagne était aussi mieux servie que les autres pays de l’époque, car elle avait l’avantage de posséder des îles et des colonies éparpillées dans toutes les mers du monde.
Les câbles français avant 1898
8Jusqu’en 1898, la France, préoccupée par la menace allemande, s’intéressa peu aux câbles, sauf ceux vers l’Algérie et l’Amérique du Nord. Après plusieurs essais qui échouèrent entre 1854 et 1864, la France obtint finalement en 1870 un câble fiable entre Marseille et Alger appartenant à une société anglaise, et un second câble, national celui-ci, en 1871. Vers les États-Unis, le câble de la Société du câble transatlantique français posé en 1869 se révéla peu rentable et fut acquis quatre ans plus tard par l’Anglo-American Telegraph Company. Un second câble, posé en 1879 pour la Compagnie française du télégraphe de Paris à New York, dut fusionner en 1895 avec la Société française des télégraphes sous-marins, qui possédait quelques câbles courts dans les Antilles et dans le Pacifique. Pour communiquer avec ses colonies en Afrique et en Indochine, la France devait se fier à une entreprise anglaise, la puissante Eastern and Associated Telegraph Company. En comparaison avec celui de l’Angleterre, le réseau français avait peu de valeur commerciale ou stratégique, car en dehors de la Méditerranée, tous ses télégrammes intercontinentaux passaient par des câbles britanniques. En même temps, la France prit du retard dans la fabrication des câbles. Ce n’est qu’en 1892-1893 que le gouvernement français obtint des câbles fabriqués en France par la Société générale des téléphones et la société Grammont6.
La stratégie anglaise des câbles de 1880 à 1898
9Dans les années 1880, les câbles étaient devenus indispensables, non seulement pour le commerce maritime de toutes les grandes puissances et de leurs colonies, mais aussi pour défendre ce commerce et ces colonies en temps de guerre. L’Amirauté et les ministères britanniques des Affaires étrangères et des Colonies s’inquiétaient pour la défense de l’Empire britannique et de son moyen de communication le plus précieux, le télégraphe. Les Anglais avaient peur qu’en cas de guerre, leurs câbles puissent être tranchés par des navires de guerre ennemis ou rompus dans un des pays étrangers où les compagnies anglaises possédaient des bureaux de câble7.
10Pour résoudre ce problème, ils créèrent une stratégie complexe, mais efficace. Un aspect de cette stratégie fut d’encourager le développement de lignes télégraphiques commerciales qui serviraient en même temps à la défense de l’Empire. La compagnie Eastern and Associated posa des câbles le long des routes maritimes patrouillées par la marine britannique, tout en laissant une distance suffisante entre ces câbles et les bases navales étrangères comme Brest ou Dakar. En même temps, le gouvernement encouragea toutes les compagnies câblières, même étrangères, à faire arriver leurs câbles sur les côtes de la Grande-Bretagne et des colonies britanniques, afin de les rendre accessibles à la surveillance britannique en cas de guerre.
11Pourtant, dès les années 1880, il devint évident que les câbles commerciaux ne suffiraient pas à défendre l’Empire. En 1885, le gouvernement commença à offrir des subventions aux compagnies pour qu’elles posent des câbles vers des endroits où le commerce ne les justifiait pas : par exemple, entre Shanghai et la Corée, entre la Nouvelle-Écosse et les Bermudes et la Jamaïque, et entre Zanzibar, les Seychelles et l’île Maurice. Le but des stratèges britanniques était d’obtenir au moins une ligne télégraphique avec chaque base navale et chaque colonie, et de multiples lignes vers l’Égypte, l’Inde, l’Australie, le Canada et l’Afrique du Sud. En fin de compte, ils espéraient que ces câbles formeraient ce qu’ils appelaient des lignes « toutes rouges », la couleur de l’Empire britannique sur les cartes de l’époque, c’est-à-dire des lignes qui n’émergeraient que sur des possessions britanniques ou, tout au moins, celles d’alliés fiables comme le Portugal. Ils se faisaient même du souci au sujet des États-Unis, si proches des lignes terrestres du Canada.
Les conflits internationaux de 1898 à 1902
12Jusqu’en 1898, la stratégie anglaise était largement défensive, sans faire attention aux câbles des autres pays. Les autres nations qui possédaient des câbles, la France en particulier, s’inquiétaient de la domination commerciale britannique, mais n’avaient pas formulé de stratégie cohérente au regard de la possibilité d’une guerre. Les conflits des années 1898 à 1902 révélèrent les faiblesses de ces pensées stratégiques.
13Le premier conflit fut la guerre hispano-américaine. Dès le premier jour, les gouvernements espagnol et américain imposèrent la censure aux deux bouts du câble reliant la Floride et Cuba. Plusieurs commentateurs s’attendaient à ce que les belligérants respectassent les câbles appartenant à une nation neutre, mais c’était une illusion. Ainsi, le gouvernement des États-Unis saisit un câble français entre New York et Haïti pour empêcher les Espagnols de s’en servir. Ce qui évita à l’Espagne d’être coupée de son armée à Cuba fut l’inefficacité de la marine américaine qui essaya de couper les câbles vers Cuba, mais en manqua plusieurs, car elle n’avait ni grappins convenables ni cartes exactes. Dans les Philippines, une autre colonie espagnole, la flotte américaine essaya de saisir le bout du câble entre Hong Kong et Manille, mais sans succès. Afin de sauvegarder sa neutralité dans ce conflit, la compagnie Eastern interrompit le trafic entre Manille et Hong Kong, ce qui obligea l’amiral américain Dewey à envoyer des bateaux à Hong Kong pour pouvoir communiquer avec Washington8.
14Pendant ce temps-là, les tensions montaient en Afrique du Sud. Les Anglais se rendaient compte que la censure des télégrammes dans les bureaux télégraphiques d’Afrique du Sud ne suffirait pas à intercepter les messages entre les Boers sud-africains et leurs alliés en Europe, car ils pouvaient toujours communiquer par les colonies portugaises avoisinantes. Par conséquent, dès que la guerre commença, le gouvernement britannique imposa la censure à Zanzibar et à Aden et interdit tous les télégrammes en code entre l’Afrique du Sud et l’Europe, même ceux transmis entre les gouvernements français, allemand et portugais avec leurs colonies. Quand ces gouvernements protestèrent, la Grande-Bretagne leva l’interdiction, mais elle avait démontré sa puissance9.
15La leçon était claire : en temps de guerre, la nation qui possédait le plus grand nombre de navires câbliers et la marine la plus puissante, c’est-à-dire la Grande-Bretagne, contrôlait aussi les communications des autres nations. Le droit international, le respect des droits et de la propriété des neutres, les promesses de paix et d’amitié perpétuelle et les liens de fraternité entre les nations ne s’appliquaient plus. Le xxe siècle avait commencé.
La stratégie câblière anglaise
16Entre 1898 et 1914, le Comité de défense coloniale du gouvernement britannique eut plusieurs réunions secrètes afin d’étudier la question des communications par câble en temps de guerre. Quand on lit les comptes rendus de ces réunions, on note un changement très net entre une stratégie défensive avant 1898 et une stratégie plus offensive dans les années qui précédèrent la Première Guerre mondiale. À partir de 1911, la Grande-Bretagne avait complété son réseau « tout rouge » de câbles liant toutes les parties de son empire, y compris le câble le plus long et le plus coûteux du monde, entre le Canada, la Nouvelle-Zélande, et l’Australie. En outre, la Grande-Bretagne détenait des bases navales dans tous les océans et possédait les deux tiers des navires câbliers du monde.
17Après la signature de l’Entente cordiale en 1904, la Grande-Bretagne ne s’inquiéta plus de l’attitude de la France. C’est donc vers l’Allemagne que se tournaient les Anglais avec angoisse. L’Allemagne possédait en effet l’embryon d’un réseau de câbles d’échelle mondiale, mais leurs câbles vers l’Amérique du Nord étaient vulnérables, car ils longeaient le fond de la Manche, et leurs câbles dans l’océan Pacifique étaient sans défense et hors de portée de la marine allemande.
La politique française des câbles
18La montée des tensions internationales à la fin du xixe siècle se répercuta sur la politique câblière de la France. En 1885, le gouvernement français apprit que le Foreign Office avait retardé la nouvelle de la défaite de l’amiral français Courbet à Langson en Indochine avant de la retransmettre à la France. De même, en 1893, un télégramme entre le gouvernement français et l’amiral Humann au Siam fut retardé par la compagnie Eastern afin que le Cabinet britannique puisse le lire avant de le transmettre. Ces incidents provoquèrent l’indignation de la presse coloniale, mais furent reçus avec indifférence dans les milieux politiques français.
19Ce qui changea l’attitude de la France envers les câbles sous-marins fut l’incident de Fachoda de 1898. Lorsque l’expédition française du commandant Marchand rencontra celle du général anglais Kitchener au bord du Nil dans le Soudan, les deux officiers se pressèrent de communiquer avec leurs gouvernements respectifs. Kitchener, qui possédait un câble militaire le long du fleuve, informa son gouvernement de l’incident le 24 septembre. Le Gouvernement français apprit la nouvelle de la part des Anglais, et ne reçut une dépêche de Marchand qu’un mois plus tard quand un de ses associés arriva au Caire et put l’envoyer depuis un bureau de la compagnie Eastern.
20Réagissant à cette humiliation, la Chambre des députés décida que la France avait besoin de son propre réseau télégraphique mondial. Elle autorisa donc l’achat d’un câble de la West African Telegraph Company le long de la côte ouest-africaine et un autre de la South American Telegraph Company vers le Brésil. En outre, la France posa un câble entre Brest et Dakar et un autre entre l’Indochine et le réseau transpacifique américain10.
Les politiques allemande et américaine
21Les Allemands s’indignèrent aussi de l’hégémonie britannique en matière de câbles intercontinentaux. L’Allemagne avait l’avantage d’une puissante industrie câblière et en équipements électriques, mais sa position géographique était très désavantageuse en regard de l’océan Atlantique. Les Anglais, conscients de la menace allemande, empêchèrent l’Allemagne de poser des câbles dans l’océan Indien. L’Allemagne, qui possédait une base navale en Chine et quelques îles dans l’océan Pacifique, put, avec l’aide des Pays-Bas, se relier au câble transpacifique américain. Malgré cela, les communications intercontinentales de l’Allemagne restaient à la merci des Anglais. C’est pour cette raison que les Allemands construisirent de gigantesques émetteurs de radio pour communiquer avec leurs colonies et les États-Unis. Comme les câbles français, ceux de l’Allemagne, en dehors de l’Atlantique nord, se révélèrent sans intérêt commercial ou stratégique11.
22Au début du siècle, les États-Unis devinrent un des participants les plus importants dans le domaine des télécommunications internationales, grâce à la pose d’un câble transpacifique entre San Francisco et Manille en 1903, à l’achat des câbles transatlantiques anglais par les sociétés Western Union et Commercial Cable Company en 1910, et à la pénétration de l’Amérique latine par des câbles vers le Mexique et le long de la côte du Pacifique. Les câbles en question furent fabriqués et posés par des firmes anglaises. Le Gouvernement américain à l’époque n’avait aucune stratégie câblière et n’avait même pas d’autorité sur la pose des câbles sur ses côtes et dans ses eaux territoriales. En outre, le câble transpacifique n’était américain qu’en apparence, car il appartenait en fait à la société anglaise Eastern and Associated Telegraph Company. Mais cela n’avait aucune importance stratégique, car en matière de câbles, les Américains et les Anglais étaient alliés. L’idée d’une guerre entre les deux nations anglo-saxonnes était d’ailleurs impensable.
Les câbles pendant la Première Guerre mondiale
23Tous les plans stratégiques de toutes les grandes puissances avant la guerre de 1914-1918 se révélèrent chimériques, avec une seule exception : le plan stratégique anglais de câbles sous-marins fonctionna sans accroc du début jusqu’à la fin de la guerre.
24Le matin du 5 août 1914, quelques heures seulement après la fin de l’ultimatum anglais, le navire câblier Telconia coupa les cinq câbles qui liaient l’Allemagne au monde extra-européen. Pendant les mois qui suivirent, les forces anglaises, françaises, et japonaises coupèrent les câbles allemands dans l’Atlantique sud et dans le Pacifique et capturèrent les émetteurs de TSF dans les colonies allemandes. À partir de 1915, l’Allemagne ne pouvait communiquer avec le monde extra-européen qu’avec la TSF depuis son territoire ou avec l’aide de pays neutres12.
25La politique anglaise de contrôle des câbles était devenue beaucoup plus subtile depuis 1899. Les Anglais censurèrent les télégrammes privés, commerciaux et de presse, mais n’essayèrent pas d’interrompre les communications des pays neutres comme la Suède, les Pays-Bas, ou les États-Unis. Au lieu d’imposer la censure sur les télégrammes diplomatiques ou d’exiger qu’ils soient rédigés en clair ou dans un code commercial connu, ils laissèrent passer les messages des gouvernements neutres en code, mais les observèrent soigneusement tout en apprenant à les déchiffrer. Afin de mettre à exécution ce plan de captation et de déchiffrement des télégrammes étrangers, ils recrutèrent les employés à la retraite des compagnies de câbles et les envoyèrent dans les stations de câbles autour du monde13.
26En comparaison avec le succès de la politique agressive des Britanniques, les essais allemands d’interrompre les communications entre les membres de l’Entente cordiale furent rares et restèrent sans effet. La ligne terrestre entre la Grande-Bretagne et l’Inde fut coupée, ainsi que les câbles dans la mer Baltique entre la Russie et ses alliés occidentaux. De même, quand l’Empire ottoman se joignit aux puissances centrales en novembre 1914, l’Entente perdit ses câbles dans la mer Noire. Les communications avec la Russie furent temporairement détournées vers la TSF jusqu’en janvier 1915 quand un navire câblier anglais posa un nouveau câble anglo-russe passant au nord de la Norvège.
27Les Allemands n’eurent pas plus de succès dans les autres mers. Des croiseurs allemands attaquèrent les stations de câble anglais de l’île Fanning dans l’océan Pacifique et de l’île Cocos dans l’océan Indien, mais causèrent peu de dégâts et les interruptions de service furent très brèves. À part de rares exceptions, les communications des membres de l’Entente entre eux et avec leurs colonies et le reste du monde restèrent intactes pendant toute la guerre. Bien au contraire, elles furent même améliorées par la saisie des câbles allemands qui furent détournés pour servir aux besoins de l’Entente14.
28Bien entendu, les câbles ne suffirent pas à transmettre tout le trafic commercial et les informations en augmentation à cause de la guerre. C’était surtout le cas dans l’Atlantique nord après l’entrée des États-Unis dans la guerre au début de 1917. Pour suppléer aux câbles, les puissances alliées, et surtout les États-Unis, construisirent de puissants émetteurs de TSF. Mais les messages les plus importants et les plus secrets furent envoyés par câble, et les services de renseignements allemands n’obtinrent aucune information de valeur en interceptant les messages transmis par TSF.
29Pendant ce temps, les services de renseignements de la marine anglaise purent intercepter et déchiffrer les messages allemands transmis par des voies détournées sur les câbles anglais. Le plus célèbre de ces télégrammes fut celui envoyé par le ministre allemand des Affaires étrangères Arthur Zimmermann à son ambassadeur de Mexico Heinrich von Eckhardt, lui ordonnant d’inciter le Mexique à attaquer les États-Unis. Ce télégramme fut envoyé dans le code diplomatique suédois superposé au code diplomatique allemand et passa de Stockholm à Buenos Aires par un câble anglais, et de Buenos Aires à Washington par un câble américain. L’idée saugrenue de Zimmermann fut connue des Américains quand les Anglais déchiffrèrent le message et l’envoyèrent au président Wilson, le persuadant de déclarer la guerre à l’Allemagne15.
L’entre-deux-guerres
30Après quelques querelles au lendemain de la guerre, l’industrie des câbles retourna à son fonctionnement normal en 1922-1923. On répara les vieux câbles, les anciens câbles allemands furent remis en service par leurs nouveaux propriétaires, et la demande en communications outre-mer ne fit qu’augmenter. Dans les années 1920 par conséquent, les compagnies câblières posèrent de nouveaux câbles plus efficaces à travers l’Atlantique nord. Les compagnies de câbles américains dominèrent cette partie du monde, mais elles furent également rejointes par des compagnies anglaises, françaises, allemandes, et même italiennes. Les Anglais posèrent un câble nouveau et bien plus rapide à travers l’océan Pacifique. Dans les autres océans, où la demande était moins intense, les vieux câbles, aidés par de puissants émetteurs de TSF, suffirent à transmettre le trafic16.
31L’introduction de la radio à ondes courtes en 1927, suivie par la dépression économique en 1929, faillit ruiner les compagnies de câbles. Les directeurs de la compagnie anglaise Eastern and Associated, qui dominait l’industrie des câbles dans toutes les mers du monde sauf l’Atlantique nord, comprirent que leur commerce n’avait plus d’avenir. Ils proposèrent de vendre les câbles de leur compagnie, de distribuer ses réserves financières à ses actionnaires, et de clore ainsi ses affaires. Seule l’intervention du gouvernement britannique sauva le réseau de ce sort ignominieux. En fusionnant tous les intérêts de câbles et de radio dans une seule compagnie contrôlée par le gouvernement et appelée Imperial and International Communications Ltd., le gouvernement veilla à ce que les bénéfices obtenus par la radio maintiennent en vie le réseau des câbles17.
32La raison pour laquelle le gouvernement entreprit de sauvegarder une technologie périmée était entièrement stratégique. Les stratèges anglais savaient très bien que le trafic par radio était vulnérable au déchiffrement et, contrairement aux Allemands, ils n’étaient pas convaincus que les machines à chiffrer représentaient une garantie de sécurité. Comme tous les stratèges, ils pensaient à la guerre précédente. Dans leur cas, c’était une bonne attitude à prendre.
Les câbles pendant la Seconde Guerre mondiale
33À partir de la Première Guerre mondiale, l’histoire des télécommunications militaires se concentre presque exclusivement sur les communications par radio. La technologie de la radio fit un bond en avant avec l’introduction des émetteurs à ondes courtes qu’on pouvait installer dans n’importe quel véhicule, et même cacher dans une valise, et qui pouvaient pourtant transmettre à longue distance. À partir de ce moment-là, la radio devint indispensable aux opérations des forces mobiles sur terre, en mer, et dans les airs. Mais les transmissions par radio avaient un gros défaut : on pouvait les intercepter. Pour pallier ce défaut, les inventeurs s’efforcèrent de construire des machines à chiffrer comme l’Enigma des Allemands, la machine Typex britannique, et la M-109 américaine. Les renseignements militaires, l’issue des batailles, et peut-être la guerre elle-même dépendirent alors de la capacité des belligérants à intercepter, situer et déchiffrer les messages de leurs ennemis transmis par radio. Comme l’histoire de la radio et des codes secrets est parmi les plus passionnantes de la Seconde Guerre mondiale, les historiens ont plus ou moins ignoré le rôle des câbles. Pourtant les câbles jouèrent un rôle tout aussi crucial que la radio pendant ce conflit18.
34Quand la Seconde Guerre mondiale commença en septembre 1939, les Anglais avaient bien préparé leurs communications télégraphiques. Afin de protéger leurs câbles, ils avaient placé la plupart de leurs stations de câbles dans des abris antiaériens. Ils avaient aussi remplacé tous les employés étrangers des compagnies de câbles par des sujets britanniques et avaient équipé toutes les stations de câbles avec des émetteurs à ondes courtes en cas de panne.
35Du côté offensif, ils étaient prêts, comme pendant la première guerre, à couper tous les câbles ennemis. Les télégraphistes en retraite ou sans emploi furent recrutés pour censurer tous les messages privés et commerciaux entre les diverses possessions britanniques. Les messages entre pays neutres passant par les possessions britanniques furent examinés, mais pas censurés. Les communications avec les ambassades de pays neutres en Irlande, maintenant un pays indépendant, mais lié au reste du monde par des câbles anglais, furent retardées d’un jour. En prenant ces mesures, les Anglais s’assurèrent qu’un nombre maximum de messages passeraient par radio. Pour les capter, la marine anglaise construisit des stations d’interception en Grande-Bretagne, en Méditerranée, et en Extrême-Orient. Ils étaient encore loin de pouvoir déchiffrer les messages ennemis, mais ces efforts, entrepris dès le début de la guerre, furent couronnés de succès pendant les batailles aériennes au-dessus de l’Angleterre et pendant la guerre sous-marine dans l’océan Atlantique.
36Dès que la guerre commença, des navires câbliers britanniques coupèrent les câbles allemands dans la Manche, comme ils l’avaient fait vingt-cinq ans avant. Cela ne gêna pas les Allemands, qui avaient d’excellentes communications par radio avec le monde. Un an plus tard, quand l’Italie entra en guerre, les navires anglais coupèrent aussi les câbles italiens. En revanche, les Italiens coupèrent tous les câbles entre Gibraltar et Malte et deux des câbles reliant Malte à Alexandrie, mais ils en manquèrent trois autres. Ainsi, les Anglais restèrent en communication avec Malte par les câbles qui contournaient l’Afrique, ce qui leur donnèrent un avantage important dans les batailles en Afrique du Nord.
37En dehors de la Méditerranée, les seules pertes importantes de câbles alliés se produisirent dans le Pacifique occidental, où les Japonais s’emparèrent des stations de câbles et coupèrent les câbles à Hong Kong, Shanghai et Singapour et en Indochine et dans les Indes orientales néerlandaises. Bien qu’ils eussent saisi presque trente mille kilomètres de câbles et onze stations, ils ne les utilisèrent pas. Au début de 1942, un navire de guerre japonais bombarda la station de câbles de l’île Cocos dans l’océan Indien, un nœud important dans le réseau de câbles entre la Grande-Bretagne, l’Inde, et l’Australie, mais causa peu de dommages. Le câble résista et continua à transmettre pendant toute la guerre, à l’insu des Japonais dont les photos aériennes montraient des bâtiments endommagés et qui pensaient que la station avait été abandonnée.
38À part dans l’océan Pacifique occidental, les Alliés gardèrent l’usage de leurs câbles et les employèrent efficacement pendant toute la guerre. Dans certaines circonstances, leur emploi fut décisif. En mai 1942, le service de renseignements de la marine américaine envoya un message par câble à la garnison de l’île Midway, leur ordonnant d’envoyer un message en clair par radio disant que leur installation à distiller l’eau était en panne. Le jour suivant, la marine japonaise, ayant intercepté le message, informa ses navires que l’endroit qu’ils étaient sur le point d’attaquer et qu’ils appelaient « AF » manquait d’eau. Grâce à ce stratagème, la marine américaine savait vers où se dirigeait la flotte japonaise, et put la surprendre à la bataille de Midway19.
39Pendant la campagne nord-africaine de 1942, la Grande-Bretagne avait toujours l’avantage des communications secrètes avec l’Égypte et Malte. Pendant plusieurs mois, le général Rommel obtint d’excellents renseignements sur la disposition des forces britanniques grâce aux dépêches que l’attaché militaire américain en Égypte envoyait tous les soirs à Washington. Quand les Anglais découvrirent la fuite, l’avantage des renseignements passa de leur côté, car les forces allemandes et italiennes en Afrique du Nord ne possédaient pas de câbles et se fiaient entièrement à leurs messages chiffrés envoyés par radio que les Anglais apprirent à déchiffrer. Les batailles dans le désert libyen se gagnèrent autant sur les renseignements qu’avaient les Anglais et les Allemands que sur les armes ou la qualité des généraux20.
40Alors que les Allemands et les Japonais n’avaient que la radio comme moyen de communiquer, les États-Unis et la Grande-Bretagne envoyaient la plupart de leurs messages secrets par câble. Pour s’assurer que leurs communications resteraient secrètes, ils posèrent des câbles nouveaux à chaque débarquement en territoire ennemi : en Afrique du Nord en 1942, en Sicile et en Italie en 1943, et en Normandie en 1944. L’avantage des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale ne reposait pas seulement sur le fait qu’ils avaient déchiffré les codes ennemis, comme l’ont affirmé beaucoup de livres récents, mais aussi parce qu’ils avaient réussi à maintenir des communications plus sûres que les puissances de l’Axe.
Conclusion
41J’ai commencé ce papier avec des citations sur la paix et la fraternité. Ce n’est que quand une technologie est neuve et pas encore largement utilisée que l’on peut se faire naïvement des illusions à son sujet. Une fois qu’une technologie est disponible, les gens s’en servent pour atteindre leurs buts, quels qu’ils soient. Les câbles sous-marins pouvaient certainement être employés pour communiquer et se lier avec les nations amies, mais ils ont pu tout aussi bien être utilisés pour priver les ennemis de renseignements, pour les espionner et pour les vaincre.
Notes de bas de page
1 P. M. Kennedy, “Imperial Cable Communications and Strategy, 1870-1914”, English Historical Review 86, 1971, p. 730.
2 C. T. McClenachan, Detailed Report of the Proceedings Held in Commemoration of the Successful Laying of the Atlantic Cable, New York J. Jones & Co., 1863, p. 3.
3 H. L. Hoskins, British Routes to India, Londres, Cass, 1928, p. 374-378.
4 Exposé du développement des services postaux, télégraphiques et téléphoniques en Algérie depuis la conquête, Alger, Carbonel, 1930, 85 p., p. 49-50.
5 D. Headrick, The Invisible Weapon : Telecommunications and International Politics, 1851-1945, New York, Oxford University Press, 1991, ch. 3 ; D. Headrick et P. Griset, “Submarine Telegraph Cables : Business and Politics, 1838-1939”, Business History Review, automne 2001, p. 543-578.
6 Pascal Griset, Entreprise, Technologie et souveraineté : Les télécommunications transatlantiques de la France (xixe-xxe siècles), Éditions Rive Droite, Paris, 1996, 735 p.
7 M. de Margerie, Le réseau anglais de câbles sous-marins, Paris, Pedone, 1909, p. 105-106 ; T. Lenschau, Das Weltkabelnetz, Francfort, Halle A. S., 1908, 72 p., p. 9 ; J. Depelley, « Les câbles télégraphiques en temps de guerre », Revue des deux mondes, 1er janvier 1900, p. 181 ; J. Anderson, Cables in Time of War, Londres, G. Tucker, 1886, 44 p.
8 J. A. Scrymser, Personal Reminiscences of James A. Scrymser, in Times of Peace and War, Easton, Pennsylvanie, 1915, p. 92-97 ; G. O. Squier, “The Influence of Submarine Cables upon Military and Naval Supremacy”, National Geographic Magazine, janvier 1901, p. 8 ; G. G. Wilson, Submarine Telegraphic Cables in their International Relations : Lecture Delivered at the Naval War College, August 1901, Washington, 1901, p. 156-161.
9 Great Britain, War Office, Intelligence Department, “Telegraphic Censorship during the South African War, 1899-1902. Secret”, juin 1903, Public Record Office WO 33/280, et “Memorandum on the Censorship of Telegrams to and from South Africa on the Outbreak of Hostilities with the Transvaal and Orange Free State”, novembre 1900, Public Record Office, FO 83/2196.
10 M. de Margerie, Le réseau anglais… op. cit., p. 179-81 et 189-95 ; J. Depelley, Les câbles sous-marins et la défense de nos colonies. Conférence faite sous le patronage de l’Union coloniale française, Paris, 1896 ; C. Lemire, La défense nationale. La France et les câbles sous-marins avec nos possessions et les pays étrangers, Paris, 1900 ; A. Berbain, inspecteur des Postes et Télégraphes, Note sur le service postal, télégraphique et téléphonique de l’Indochine, Hanoï-Haïphong, 1923.
11 C. Lesage, La rivalité anglo-germanique. Les câbles sous-marins allemands, Paris, Plon, 1915 ; A. Kunert, Geschichte der deutschen Fernmeldekabel. II. Telegraphen-Seekabel, Cologne-Mühlheim, Karl Glitscher, 1962, p. 318-325 ; H. Thurn, Die Seekabel unter besonderer Berücksichtigung der deutschen Seekabeltelegraphie, Leipzig, 1909, 288 p. ; A. Röper, Die Unterseekabel, Leipzig, Deichert, 1910.
12 P. Beesley, Room 40 : British Naval Intelligence, 1914-18, Londres, Harcourt, 1982, p. 338 ; B. Tuchman, The Zimmermann Telegram, New York, 1958, p. 14-15.
13 N. West, GCHQ : The Secret Wireless War 1900-1986, Londres, Weidenfeld and Nicolson 1986 ; A. Browne, Report on Cable Censorship During the Great War (1914-1919), Public Record Office, DEFE 1/130 ; P. Griset, Les télécommunications transatlantiques… op. cit., chapitres XI et XII.
14 G. R. M. Garratt, One Hundred Years of Submarine Cables, Londres, 1950, p. 59, p. 33-40 ; R. M. Grant, U-Boat Intelligence 1914-1918, Londres, Shoe String Pr Inc, 1969, p. 151-152.
15 A. Santoni, Il primo Ultra Secret : L’influenza delle decrittazioni britanniche sulle operazioni navali della Guerra 1914-1918, Milan, Mursia, 1985, 396 p. ; H. Bonatz, Die deutsche Funkaufklärung, 1914-1945, Darmstadt, Wehr und Wissen Verlagsgesellschaft, 1970, 174 p.
16 H. Barty-King, Girdle Round the Earth : The Story of Cable and Wireless and its Predecessors to Mark the Group’s Jubilee, 1929-1979, Londres, Heinemann 1979, p. 200-202 ; S. A. Garnham et R. Hadfield, The Submarine Cable : The Story of the Submarine Cable from its Inception down to Modern Times, Londres, 1934, p. 166-67 ; G. A. Schriner, Cables and Wireless and their Role in the Foreign Relations of the United States, Boston, 1924, p. 64 et p. 216-219.
17 P. Griset, « De la concurrence à la complémentarité : Câbles et radio dans les télécommunications internationales pendant l’entre-deux-guerres », Recherches sur l’histoire des télécommunications, n° 2, décembre 1988, p. 55-71, et Les télécommunications transatlantiques…, op. cit., chapitres XII et XIII.
18 D. Kahn, The Codebreakers : The Story of Secret Writing, New York, Macmillan, 1967, p. 436-450 ; G. Garratt, One Hundred Years…, op. cit., p. 44 ; C. Graves, The Thin Red Lines, Londres, Standard Art Book Co., 1945, 183 p.
19 R. Lewin, American Magic : Codes, Ciphers, and the Defeat of Japan, New York, Book Club Edition, 1982, p. 88-109 ; D. Kahn, Codebreakers…, op. cit., p. 568-586.
20 J. Piekalkiewicz, Rommel und die Geheimdienste in Nordafrika 1941-1943, Munich et Berlin, Herbig, 1984, 240 p. ; R. Lewin, Ultra Goes to War, New York, McGraw-Hill, 1978, 397 p. ; P. Beesley, Very Special Intelligence : The Story of the Admiralty’s Operational Intelligence Centre, 1939-1945, Garden City, N. Y., Sphere, 1978, 352 p.
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Les ingénieurs des Télécommunications dans la France contemporaine
Ce livre est cité par
- Thierry, Benjamin. (2015) De l’abonné au minitéliste. Communication. DOI: 10.4000/communication.6079
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