Chapitre IX. Une politique de crédit malthusienne
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Texte intégral
1« Le crédit à la consommation affaiblit les forces morales de la nation, entretient la malhonnêteté et le goût de vivre de façon extravagante et crée une nouvelle catégorie de criminels ». Paru en avril 1925, ce jugement sévère de la revue financière américaine The Banker évolue au sortir de la guerre. En 1949, celle-ci exprime, en effet, un avis sensiblement différent : « Le crédit à la consommation est sans aucun doute un élément de justice et de progrès social »1.
2Rappelés par un journaliste au lendemain de l’adoption de la réglementation du crédit à la consommation en France, ces propos montrent que l’acclimatation au crédit à la consommation ne va pas de soi y compris dans le pays pionnier en la matière, les États-Unis. Précisément, la réglementation française instaurée dans la lignée du plan Buron en faveur du développement du crédit à la consommation traduit-elle la conversion des autorités financières ? Autrement dit, les mesures réglementaires adoptées en France depuis 1954 ont-elles favorisé l’essor de ce crédit en relation avec l’expansion économique ?
3L’observation de l’évolution de l’encours de ces crédits montre une progression continue2. En francs constants, ce dernier est en effet multiplié par cinq entre 1954 et 1965. Mais cette progression est à relativiser. Si l’on compare la situation française avec celle des autres pays européens, l’on mesure la faiblesse relative des chiffres nationaux. Comme pour l’endettement par habitant évoqué précédemment, la France est en queue de peloton pour le pourcentage des encours de crédit par rapport au PNB. En 1965, les crédits à la consommation y représentent 1,6 % du PNB contre 1,7 % en Allemagne de l’Ouest et 2,4 % au Royaume-Uni3.
4Il convient dès lors de s’interroger sur les limites de cette expansion. Régulièrement invoqué, le prix du crédit, qui demeure plus élevé en France qu’à l’étranger en dépit des mesures prises par le Conseil national du crédit, représente-t-il un frein réel à l’endettement pour le consommateur ? D’autre part, la réglementation mise en place répond-elle aux besoins de crédit des consommateurs ou bien se contente-t-elle, dans une perspective de régulation conjoncturelle, de soutenir les ventes dans les secteurs où celles-ci faiblissent ou sont menacées par la concurrence ?
I. Le prix du crédit : préoccupation ou indifférence du consommateur ?
5« Le crédit est trop cher ! » Cette objection est souvent la première et la plus couramment invoquée que ce soit dans les scenarii types diffusés par les prêteurs à destination des vendeurs, pour mieux la prévenir, ou dans les rapports des associations et organismes chargés d’études sur le crédit à la consommation4. Pourtant, lorsque le point de vue du consommateur est recueilli directement, notamment par le biais d’enquêtes, il semblerait que ce dernier ne fasse pas grand cas du prix du crédit. Pour quelles raisons ?
A. Le taux d’intérêt : une notion étrangère au consommateur
« Une jeune femme rentre le soir à la maison en annonçant joyeusement à son mari :
– Chéri, j’ai fait une merveilleuse affaire. Je viens d’acheter un réfrigérateur pour 10 000 francs (100 NF) par mois seulement !
– Mais pendant combien de mois ? questionne l’époux.
– Oh ! C’est bête, j’ai oublié de le demander. »
6Cette anecdote imaginée par des chansonniers au milieu des années 1950 illustre la méconnaissance des modalités du crédit en général et de son prix en particulier5. En effet, si le consommateur invoque régulièrement la cherté du crédit parmi les principaux motifs pour refuser ce dernier, force est de constater qu’il en ignore pourtant le prix réel. Ce problème de la connaissance du taux d’intérêt est appréhendé grâce aux enquêtes par sondage. Deux enquêtes réalisées à quinze ans d’intervalle permettent d’approcher cette réalité.
7La première, réalisée en 1955 par l’Institut Dourdin pour le Cetelem, est « indirecte » dans la mesure où elle interroge des commerçants détaillants sur la position des consommateurs6. Trois questions sont posées : la première porte sur la réaction des consommateurs à l’égard des ventes à crédit, la deuxième sur les motifs invoqués le plus souvent pour refuser le crédit, enfin la troisième évoque la clientèle et le taux du crédit.
8La seconde enquête est réalisée en 1970 par des étudiantes d’HEC Jeunes filles de deuxième année. Intitulée « Le crédit dans la vie des Français », elle est effectuée par sondage directement auprès de 737 consommateurs7. Comme pour l’enquête précédente, des questions sont posées aux consommateurs sur les raisons qui ont motivé l’achat à crédit, ou au contraire conduit à ne pas l’utiliser, et sur la connaissance de son coût.
9Les résultats montrent une remarquable continuité quant à l’assertion « le crédit coûte cher » et à l’ignorance réelle du taux d’intérêt pratiqué. En 1955, d’après les commerçants détaillants, les clients ne recourent pas au crédit principalement pour trois raisons : la crainte de ne pouvoir faire face aux charges de remboursement en cas de ce que l’on appelle aujourd’hui les « accidents de la vie » (maladie, chômage, etc.), la cherté du crédit et l’indiscrétion des renseignements demandés. En 1970, pour les 41 % d’enquêtés qui n’utilisent pas le crédit, les principaux motifs invoqués sont : des achats pas suffisamment importants pour justifier le crédit (10,4 % des réponses), un revenu et une épargne suffisants pour acheter au comptant (8,2 %), le refus de dépenser l’argent avant de l’avoir gagné (7,6 %), la crainte de ne pouvoir faire face aux charges de remboursement (6,3 %), enfin « le crédit coûte cher » (6 %)8. Dans l’une comme dans l’autre enquête, même si ce motif est en régression dans l’ordre de classement, la cherté du crédit demeure donc une des principales raisons évoquées pour ne pas y avoir recours. Mais son coût réel est largement ignoré. En 1970, 40,3 % des consommateurs ne peuvent ainsi préciser le taux d’intérêt payé, 22,7 % évaluent ce taux entre 5 et 10 % et 7,1 % croient n’avoir payé aucun intérêt ( !).
10Cet apparent paradoxe, le crédit est cher, mais en fait je ne sais pas combien il coûte, tient à la fois à des raisons « culturelles » et à des préoccupations autres. Tenu dans l’opprobre jusqu’à sa « réhabilitation » gouvernementale en 1953, le crédit à la consommation, largement clandestin, était pratiqué à des conditions élevées, voire usuraires. Cette « réputation » a perduré au-delà de son institutionnalisation et de l’assainissement des prêteurs. En second lieu, l’ensemble des enquêtes ou témoignages collectés à ce sujet montre que ce qui compte pour le consommateur, c’est le montant du versement comptant et le montant des mensualités. La notion de taux d’intérêt lui reste ainsi très majoritairement étrangère.
11Ce constat de la primauté, pour le consommateur, du montant des mensualités sur le taux d’intérêt n’est pas propre à la France. En Grande-Bretagne, la même observation est faite à travers l’exemple d’une société financière pratiquant la vente à l’abonnement, The Provident, et plus encore à travers celui des prêteurs informels9. Pour The Provident, en dépit de taux atteignant plus de 60 % son activité s’accroît après la Seconde Guerre mondiale, car « les emprunteurs mesuraient le coût du crédit à l’aune de leur capacité à honorer les remboursements plutôt qu’en se référant à un taux d’intérêt abstrait10 ». Concernant les prêteurs informels, dont les taux sont alors sans commune mesure puisque atteignant régulièrement 100 voire 200 %, le même constat est fait quant à l’indifférence des consommateurs qui n’ont en tête que le montant du remboursement hebdomadaire. Cela se vérifie plus particulièrement pour les emprunteurs modestes. Pour ces derniers, ce qui compte avant tout c’est l’accès au crédit et peu importe son prix. Une enquête réalisée à Liverpool dans les années 1950 révèle ainsi que les prêteurs informels n’étaient pas « considérés comme des exploiteurs mais plutôt comme des sauveurs11 ».
12Cette faible sensibilité des consommateurs pour le coût du crédit est largement entretenue par les établissements prêteurs. En France, le Cetelem, comme ses concurrents, insiste davantage sur le montant des mensualités que sur le taux du crédit dont tout bon vendeur ne parle pas12. Lorsqu’ils évoquent ce dernier, compte tenu des obligations légales de mise à disposition des barèmes, ils s’emploient alors à présenter le crédit à la consommation, moins comme un prêt d’argent, que comme une « prestation de service » selon l’expression consacrée par le Cetelem pour justifier le coût13. Dans tous ses argumentaires, que ce soit à destination des vendeurs agréés ou dans les organes d’information dont il est proche comme le Centre d’information et d’étude sur le crédit (CIEC), ce dernier insiste sur la souplesse, les garanties des crédits qu’il octroie (carnet de mandats, assurance-vie, report possible d’échéance impayée, etc.) et surtout la possibilité de jouir rapidement du bien désiré14.
13Suivant ce parti-pris qui lui est évidemment favorable, le Cetelem met en avant auprès du client uniquement la différence entre le montant total du crédit (comptant + montant total des mensualités) et le prix du bien comptant, qu’il rapporte ensuite au montant total du crédit octroyé. Autrement dit, il ne présente au client que le taux d’intérêt apparent qui ne tient pas compte du fait que ce dernier rembourse aussi chaque mois une partie de la somme prêtée. Dénonçant la méthode de l’échéance moyenne qui, elle, tient compte de cet amortissement, mais ne traduit pas selon lui les services rendus (frais liés au recouvrement, assurance-vie, impôts, etc.), il occulte, sous le prétexte de la « complexité du calcul », le taux d’intérêt réel15.
14Dans un sketch mis au point pour les vendeurs de matériel Schneider, l’argumentaire mis au point illustre cette pratique16 :
« V– Dring !... M. Dupont ? La Maison Télé Sanfil. Bonjour Monsieur. Je voudrais savoir si vous êtes toujours satisfait de votre poste à modulation de fréquence.
A – Mais bien sûr ! […]
V – Eh bien, refaites l’opération à crédit. Vous m’avez dit que vous en étiez satisfait.
A – C’est sûr, mais, entre nous, ils sont un peu chers, car vous savez j’ai fait mes petites opérations et je me suis aperçu que ce n’était pas du tout 8 % puisque tous les mois je rembourse une partie du capital.
V– Ah, on reconnaît tout de suite les mathématiciens, mais si vous aviez bien calculé vous auriez vu que ce n’est pas du 8 %, mais du 8,586 % de frais de crédit.
A – Vous êtes bigrement précis, n’empêche qu’en réalité, cette opération à crédit me revient à 16 % minimum.
V – Permettez-moi, M. Dupont, de vous expliquer ceci. Si vous voulez emprunter 1 000 NF à un notaire, remboursable en un an il vous prendra en effet que du 10 ou 12 %, mais il laissera tranquillement pendant toute une année votre reconnaissance de dette au fond de son tiroir et ne vous la présentera que le jour de l’échéance et ce jour-là il vous faudra sortir d’un seul coup 1 120 NF. Au fond, ce n’est que reculer pour mieux sauter, alors qu’avec mon système, pas de traites et le remboursement est divisé en 18 mensualités.
A – C’est vrai ce que vous dites, mais quand même ils exagèrent.
V – Je ne suis pas tellement de votre avis. Vous comprendrez aisément qu’en plus de l’étude de votre dossier, le Cetelem doit s’occuper tous les mois de faire rentrer ses échéances et vous savez aussi bien que moi ce que sont les frais de comptabilité sans oublier les frais de gestion, les taxes, les frais d’enregistrement et j’en passe. »
15Cette façon de présenter le coût du crédit, en faisant fi de l’amortissement des sommes prêtées et de la réglementation en vigueur, occasionne d’ailleurs un rappel à l’ordre du Cetelem par la Banque de France. Mais au-delà de la surveillance des prêteurs, c’est la nécessité d’informer et davantage encore celle d’éduquer les consommateurs qui apparaît.
B. Information et éducation du consommateur : comment calculer le taux d’intérêt ?
« Il est devenu banal de dire des Français que leur information économique est généralement insuffisante. Mais que dire de leur information en matière financière, sinon qu’elle présente, dans la plupart des cas, des lacunes tout aussi graves, les laissant souvent désarmés face aux pratiques parfois condamnables utilisées pour les attirer et les séduire17 ».
16Cette observation faite par le Conseil économique et social en 1973 ne fait que reprendre celle qu’il avait formulée vingt ans plus tôt, en 1954, lors de la réflexion engagée sur la réglementation du crédit à la consommation. Il s’agissait alors de préconiser des mesures afin de « faire réfléchir les acheteurs avant de s’engager18 ».
17Pour réfléchir, en l’occurrence savoir s’il est préférable d’épargner pour acheter au comptant ou de souscrire un crédit, il faut pouvoir disposer d’information sur le coût du crédit. C’est cette nécessité d’informer qui a guidé la réglementation édictée par le Conseil national du crédit. Trois dispositions sont ainsi prises entre juillet 1954 et novembre 1961. En juillet 1954, les autorités obligent les établissements prêteurs à publier et à communiquer aux emprunteurs avant signature d’une demande de crédit des barèmes standardisés. En mai 1958, le Conseil national du crédit peut faire opposition à des barèmes jugés trop élevés sans toutefois que des normes précises soient définies. Enfin, en novembre 1961, à la suite d’une comparaison européenne, les tarifs sont plafonnés puisque les frais et agios perçus ne peuvent excéder la somme obtenue en appliquant au montant du crédit une majoration de 0,75 % par mois, des frais supplémentaires pouvant être perçus pour des crédits inférieurs à 1 500 francs19.
18Dès 1954, les mesures prises ont donc pour but d’informer l’emprunteur sur le coût du crédit afin qu’il puisse faire jouer la concurrence. Le barème « en poche », à lui de comparer. Mais cet objectif est loin d’être atteint une décennie, voire deux, après les premières dispositions réglementaires. Pourquoi ? D’une part, parce qu’au moins jusqu’au milieu des années 1960, le circuit de distribution des biens de consommation fait que les commerçants détaillants travaillent majoritairement avec un seul organisme de crédit. Choisir un organisme moins cher signifie donc changer de commerçant et recommencer les discussions dans le meilleur des cas, et dans les petites localités où l’offre commerciale est moindre, ne pas avoir cette possibilité. D’autre part, lorsque le crédit direct apparaît au début des années 1960, se pose également le problème du faible nombre d’organismes prêteurs en France, le secteur étant particulièrement concentré comme il sera vu infra. Dans ces conditions, la concurrence ne joue pas véritablement ce qui explique en partie les mesures réglementaires de limitation des taux adoptées in fine fin 1961.
19Ainsi, malgré l’information mise en place par le Conseil national du crédit à travers les barèmes, celle-ci ne sert guère les intérêts des emprunteurs qui font peu jouer la concurrence pour au moins deux raisons. Aux obstacles matériels cités supra, circuits de distribution captifs d’un établissement prêteur et faible nombre de prêteurs légaux, s’ajoute également le manque de connaissance pour interpréter ces barèmes. Car il ne suffit pas au consommateur d’avoir l’information, encore faut-il que celle-ci lui « parle ».
20Ce problème est notamment évoqué lors des travaux préparatoires de la sous-commission « Consommation » du Ve Plan de modernisation et d’équipement : « Le concept d’amortissement est étranger à la pratique économique courante des ménages. […] Si tel foyer est écrasé de dettes, cela est dû, bien sûr, en partie aux sollicitations extérieures. C’est surtout dû à un manque de moyens intellectuels qui permettent de faire ce calcul.20 »
21Plus que le « manque de moyens intellectuels », il semble que c’est surtout un défaut d’éducation du consommateur qui est responsable de cette relative insensibilité à la notion de taux d’intérêt. Incapable de calculer le coût du crédit, celui-ci ne se préoccupe que du montant des mensualités à régler qu’il peut intégrer immédiatement dans son budget. Aussi, plusieurs associations ou guides pratiques rédigés à l’intention des consommateurs se préoccupent-ils de présenter des « astuces » pour calculer le coût réel du crédit21. Pour cela, ils distinguent le taux d’intérêt apparent (« paravent » des prêteurs) et le taux d’intérêt réel (exigé par les autorités financières dans les barèmes).
22Le taux d’intérêt apparent (de la somme empruntée) s’obtient en rapportant la différence entre le coût total du crédit (acompte plus la totalité des versements) et le prix comptant, au montant total du crédit octroyé (total des mensualités payées). Par exemple, un consommateur achète à crédit un réfrigérateur dont le prix comptant est 1 516 francs. Il paie 500 francs d’acompte et règle 12 mensualités de 94 F. Le total du crédit consenti est de 94 francs fois 12, soit 1 128 francs. Le coût total de l’achat à crédit est de 500 francs plus 1 128 francs, soit 1 628 francs. La majoration sur l’achat au comptant est de 1 628 francs moins 1 516 francs, soit 112 francs. Le taux d’intérêt apparent est alors de 112 divisé par 1 128 (la somme empruntée) multiplié par 100, soit 9,93 %.
23Mais ce taux ne tient pas compte de la diminution progressive de la dette à mesure des remboursements. Chaque mois, en effet, l’emprunteur paie non seulement les intérêts, mais rembourse aussi une partie du capital. Aussi, les guides pratiques donnent-ils une formule mathématique, dite du « ratio constant », pour calculer ce taux d’intérêt réel :
24Avec i = taux d’intérêt réel ; m = nombre de mensualités ; C = différence entre le prix total du crédit et le prix comptant (coût du crédit) ; S = la somme empruntée et n = durée du prêt en mois.
25Dans l’exemple cité ci-dessus, le taux d’intérêt réel est alors de 18,33 %, soit presque le double du taux d’intérêt apparent. C’est l’ordre de grandeur que les guides ou brochures pratiques donnent au consommateur : multipliez par deux le taux que les prêteurs vous communiquent pour avoir une idée du coût réel du crédit.
26Si ces astuces donnent aux consommateurs les moyens « intellectuels » de comparer les taux pratiqués, encore faut-il qu’ils puissent faire jouer la concurrence. Or, le marché du crédit à la consommation, tel qu’il est alors organisé en France, tend plutôt à limiter le nombre de prêteurs et à favoriser des techniques de crédit, comme la vente à tempérament, plus à même de satisfaire la politique de régulation conjoncturelle que les besoins des consommateurs.
II. La réglementation : un instrument de la politique de régulation conjoncturelle
27Si le premier objectif de la réglementation instaurée en 1954 impose la publicité des tarifs afin que les emprunteurs s’engagent en connaissance de cause et ne s’endettent que dans « des limites raisonnables », le second objectif vise à relancer la conjoncture industrielle et commerciale tout en prévenant les risques inflationnistes. À cette fin, les autorités se sont donné les moyens en établissant des règles de quotité, de durée et de potentiel de crédit, d’adapter le développement du crédit à la consommation en fonction de la conjoncture. Dans quelle mesure les variations de ces conditions de crédit ont-elles permis d’atteindre cet objectif ? Ces conditions, ainsi que la chronologie des mesures adoptées, diffèrent-elles des autres pays européens ? Enfin, quelles ont été les conséquences de cette réglementation sur l’organisation du marché du crédit à la consommation et sur les modalités de l’offre de crédit ?
A. Un développement fonction des impératifs monétaires et des besoins industriels
28Pour la période considérée (1954-1965), l’encours des crédits à la consommation progresse de manière irrégulière. Les quatre phases repérées sur le graphique 3 correspondent chacune à un « moment » économique précis. « L’expansion dans la stabilité », qui caractérise les années 1954-1956, inaugure l’essor du crédit à la consommation. La crise économique et financière de 1957-1958 entraîne une légère diminution puis une stagnation de ces crédits. Le redressement économique et financier opéré par le plan Pinay-Rueff de décembre 1958 ouvre une période de croissance forte de l’encours. Enfin, le plan de stabilisation de septembre 1963 mis en place par Valéry Giscard d’Estaing ralentit modérément la progression lors des années 1964-1965.
29Ces variations résultent directement de l’intervention du Conseil national du crédit dans les modalités d’octroi du crédit que constituent la quotité, la durée et le potentiel de financement des établissements spécialisés, comme le montre le tableau ci-dessous.
Tableau 13. Synthèse des variations des conditions de crédit (quotité, durée, potentiel), 1954-1965
1954-1956 | 1957-1958 | 1959-1963 | 1964-1965 | |
Développement rapide | Légère diminution | Forte hausse | Progression modérée | |
Potentiel de financement | 10 (28/07/1954) | 8 (15/04/1957) | 9 (19/11/1959) 10 (24/06/1960) | 9 (31/03/1964) 8 (30/11/1964) 9 (24/06/1965) |
Quotité de crédit | 80 % 75 % (19/07/1956) | Variable entre 75 et 65 % | Variable entre 75 et 80 % | Variable entre 70 et 80 % |
Durée | 18 mois | 18 à 15 mois ou 18 à 12 mois selon les biens | 15 à 24 mois puis de 12 ou 15 à 18 ou 21 mois | 18 à 21 mois |
Encours en fin de période (millions de francs constants) | 8 245 | 7 261 | 23 004 | 25 179 |
Source : Banque de France, « Le crédit à la consommation et son financement bancaire ».
30Toutefois, au sein de ces interventions générales destinées à freiner les effets inflationnistes d’un développement trop important de crédit, s’ajoutent des mesures contracycliques dans les secteurs où l’offre excède la demande. Ainsi, lors de périodes de restriction générale de crédit, certains biens bénéficient de mesures avantageuses. C’est le cas, par exemple, en décembre 1956 où, à la demande du ministre des Finances Paul Ramadier, la Banque de France accepte, pour « éviter un trop fort ralentissement de cette industrie », d’étendre la durée des crédits pour les voitures neuves de 18 à 21 mois alors que le régime général est à 18 mois22. De même en décembre 1958, le secteur des deux-roues et celui de l’électroménager au sens large (appareils ménagers, radio, télévision), qui connaissent tous deux des difficultés, bénéficient d’une quotité fixée à 75 % contre 65 % pour les autres biens de consommation y compris l’automobile23. Enfin, en septembre 1963, lors de l’instauration du plan de stabilisation, les conditions de crédit consenties pour l’achat d’électroménager ne sont pas revues à la baisse, à la demande expresse du ministre des Finances pour qui cette industrie « s’adresse souvent à une clientèle modeste et fait face, en outre, à des problèmes de concurrence étrangère difficile24 ».
31Cette concurrence étrangère, qui renvoie à la libéralisation des échanges prévue dans le cadre de la construction du Marché commun, soulève la question de la comparaison des réglementations française et européenne. Les pays européens, dans ou en dehors du Marché commun comme l’Angleterre, se sont-ils tous dotés d’instruments de régulation conjoncturelle en matière de crédit à la consommation ? La chronologie des mesures prises est-elle semblable à celle observée en France ?
B. Des modalités de crédit plus strictes que dans les autres pays européens
32Comme le souligne une étude réalisée par la Société de banque suisse en 1965 sur le développement du crédit à la consommation en Europe et aux États-Unis, la majeure partie des pays européens a adopté une réglementation visant à agir sur le volume des crédits en fonction de la conjoncture25. Deux instruments ont été retenus : la fixation du taux de versement minimum et la durée maximale du crédit. Dans la lignée de la réglementation américaine dite W, la Grande-Bretagne ouvre la voie en Europe avec l’adoption du Hire Purchase Credit Control Order en février 195226. La France suit en juillet 1954, puis les Pays-Bas en juin 1956 et la Belgique en juillet 195727. La seule exception notable dans le paysage européen, puis dans le Marché commun, est l’Allemagne de l’Ouest qui n’a institué aucune mesure de régulation, les prêteurs suivant les « recommandations » du ministère de l’Économie28.
33Aussi la chronologie européenne d’encouragement ou de frein au développement du crédit à la consommation épouse-t-elle l’évolution de la conjoncture économique générale. La fin de la guerre de Corée inaugure une expansion de ce crédit, que ce soit en France ou en Allemagne avec le Wirtschaftwunder29. A contrario, les dérives inflationnistes et les difficultés économiques à la suite de la crise de Suez incitent la Grande-Bretagne et la France à restreindre ce crédit. La construction du Marché commun ouvre, quant à elle, une nouvelle phase d’expansion avec notamment l’entrée des banques – anglaises, allemandes, et néerlandaises – comme nouveaux prêteurs. En Allemagne, cette arrivée sur le marché du crédit à la consommation se fait sous les auspices du ministère de l’Économie, le ministre en charge, Ludwig Erhard, appelant dès 1958 les institutions financières à offrir des prêts à la consommation pour stimuler la croissance économique30. Pourtant, si cette chronologie est commune, le niveau d’endettement français demeure, malgré le rattrapage de la période 1959-1963, en deçà de celui de ses homologues européens. La réglementation en termes de quotité et de durée du crédit est-elle plus stricte en France qu’à l’étranger ?
34Le tableau de synthèse, établi pour la situation en janvier 1965, permet une comparaison. Il faut y ajouter qu’en ce qui concerne l’Allemagne, premier pays du Marché commun pour son niveau d’endettement et seul pays d’Europe à ne pas avoir réglementé les conditions de crédit à la consommation, les études disponibles montrent que la durée moyenne des prêts y est de deux ans et le versement comptant de 20 à 30 %31. À cette aune, il apparaît que le montant du versement initial exigé en France pour les différents biens financés est relativement comparable à ceux exigés dans les autres pays (Allemagne, Belgique, Pays-Bas), à l’exception de la Grande-Bretagne qui s’illustre par des montants nettement inférieurs (20 % pour les voitures et 10 % pour les autres biens).
35Les conditions de crédit de celle-ci, particulièrement libérales, sont ainsi plus proches de celles observées aux États-Unis que de celles de l’Europe continentale du Marché commun32.
nd : données non disponibles.
Source : ABDF 1357200901/68, note du 21 janvier 1965 « Ventes à tempérament à l’étranger ».
36En revanche, en ce qui concerne la durée des crédits accordés, la différence est sensible, la France se distinguant par des durées de prêts plus courtes. La norme est ainsi de trois ans en Grande-Bretagne, de deux ans dans les autres pays, contre 18 ou 21 mois dans l’Hexagone. Ces délais plus courts, qui accroissent d’autant le montant des mensualités et pèsent sur le budget des ménages, illustrent la volonté des autorités monétaires de pouvoir freiner rapidement la progression de ces crédits en cas de reprise inflationniste.
37Enfin, si la comparaison européenne peut se faire concernant le versement initial exigé et la durée, montrant une politique hexagonale restrictive quant à ce dernier facteur, il faut évoquer les effets d’une spécificité réglementaire française, le « ratio » ou potentiel de financement, sur le développement du crédit à la consommation. En liant l’augmentation de l’activité des prêteurs à celle des fonds propres, et en ajoutant à cette contrainte la nécessité d’un capital minimum élevé, les autorités limitent en effet le nombre d’établissements financiers. Par cette limitation, l’offre de crédit apparaît ainsi, en France plus qu’ailleurs, particulièrement « sous contrôle ».
C. Une offre sous contrôle : limitation des prêteurs et primauté des crédits affectés
38À l’action sur les conditions d’octroi du crédit pour les acheteurs (versement comptant, durée), commune à l’ensemble des pays européens à l’exception de l’Allemagne, la réglementation française ajoute une spécificité : l’action sur les conditions d’exploitation des prêteurs. Cette action a un double objectif : en limiter le nombre et privilégier « les gros aux dépens des petits »33. À cette fin, deux mesures sont adoptées : l’instauration, à la demande du ministère des Finances, d’un capital minimum pour les établissements financiers spécialisés dans le financement des ventes à tempérament et l’institution, à la demande de la Banque de France, du « potentiel de financement » défini par un rapport maximum entre le total des encours financés et le montant des fonds propres34. Les conséquences de ces règles contribuent à façonner le marché français du crédit à la consommation.
39Premièrement, le nombre de prêteurs enregistrés ne cesse de diminuer. Après avoir atteint son maximum en 1956 avec 174 établissements, il passe à 134 en 1963 et à 132 en 1967. En 1961, la Banque de France préconise même une « suspension » des enregistrements face à l’afflux des demandes alimentées notamment par le rapatriement des capitaux d’Algérie. Pour l’Institut d’émission, il ne saurait être question que le secteur du crédit à la consommation, alors en plein essor, serve de « refuge » à des capitaux en quête d’emplois. Pourtant, le nombre d’organismes de crédit apparaît très faible comparé à l’étranger. En 1963, alors qu’on n’en compte que 134 en France, il y en a 300 en Belgique et 1 500 en Grande-Bretagne35.
40Deuxièmement, à cette limitation numérique s’ajoute la primauté, voire le quasi-monopole, des établissements de crédit spécialisés. Ces derniers distribuent 82 % des crédits à la consommation recensés en 1959 et 89 % en 1965 contre respectivement 18 % et 11 % pour les banques36. Ce choix des autorités françaises du crédit de freiner, jusqu’en 1966, les grandes banques de dépôt dans le financement direct des achats à crédit limite d’autant la concurrence.
41La situation est très différente en Belgique et en Allemagne, pour s’en tenir aux pays du Marché commun, où le rôle direct des banques est nettement plus important. En Belgique, les banques financent environ 50 % des crédits à la consommation, les organismes financiers 36 % et les vendeurs (grands magasins et commerçants) 14 %37. Aussi une véritable concurrence s’exerce-t-elle entre ces différents prêteurs.
42De même, en Allemagne, un acteur majeur du marché est à prendre en compte : les Caisses d’épargne. Acteurs historiques dans le crédit à la consommation dans la mesure où elles accordent des prêts personnels depuis le début du xixe siècle afin d’éviter les dangers de l’usure, les Sparkassen développent leur activité dans le crédit à la consommation après la réforme monétaire de 1948 qui met à mal l’épargne des Allemands38. En 1952, elles introduisent ainsi le Kaufkredit, crédit affecté destiné à financer des biens de consommation durables pour lequel elles exigent un versement comptant de 20 à 30 % selon les biens. En 1956, leur part de marché dans la distribution du crédit à la consommation s’élève à un peu plus de 20 %. Toutefois, c’est surtout au début des années 1960 qu’elles renforcent leur activité dans ce domaine, stimulé à la fois par les recommandations du ministère des Finances et par la concurrence des grandes banques commerciales.
43En effet, celles-ci se lancent à partir de 1959 dans les prêts personnels (Persönlicher Kleinkredit) à la faveur de la mensualisation des salaires qui intervient dix ans plus tôt qu’en France39. Pour contrer cette concurrence, les Caisses d’épargne inaugurent en 1961 un nouveau prêt aux conditions d’utilisation plus souples (absence de limitation de montant et durée de remboursement variable), le Anschaffungsdarlehen. Particulièrement flexible et adapté aux besoins des consommateurs, ce nouveau prêt est un succès et le moteur de leur progression sur le marché du crédit à la consommation. Elles distribuent ainsi près de 45 % des crédits contre 38 % pour les banques et 17 % pour les établissements spécialisés40.
44Troisièmement, il faut ajouter que le marché français est, non seulement dominé par les établissements de crédit spécialisés, mais surtout par les plus importants d’entre eux. En effet, la règle du potentiel de financement fait que seuls les plus rentables et ceux adossés à de puissants groupes financiers, comme le Cetelem avec la Compagnie bancaire ou la Sofinco avec Suez, peuvent injecter des capitaux propres supplémentaires nécessaires au développement de leur activité41. Cette règle encourage la concentration du secteur au profit d’une poignée d’établissements. En 1961, 64 % des crédits automobiles sont distribués par 5 établissements, 73 % des crédits à l’achat de télévisions par 4 établissements et 65 % du financement des appareils ménagers et des meubles par 2 établissements42. En 1967, 6 établissements sur 132 enregistrés portent 41 % des risques.
45Enfin, sans revenir sur les effets de ce circuit long et de l’autofinancement sur le coût du crédit, plus élevé en France qu’à l’étranger et in fine réglé par les ménages, le choix de privilégier les établissements de crédit est lié à celui d’une formule de crédit, la vente à tempérament. Pour les autorités financières françaises, celle-ci présente un double avantage. Crédit affecté à un bien particulier, elle permet de moduler les conditions de financement en fonction des besoins industriels. En cela, elles diffèrent des prêts personnels davantage en prise avec les besoins des consommateurs. D’autre part, par le versement initial exigé, elle oblige le consommateur à épargner préalablement à l’achat et a donc une « vertu éducative ». Ce choix de la vente à tempérament tend à imposer des normes de consommation qui ne seraient sans doute pas spontanément celles des ménages. Ainsi, dans l’enquête sur les désirs d’achat des salariés urbains réalisée en 1954 pour le Commissariat général au Plan, la privation majoritairement ressentie concerne les vêtements43. Or, ce que privilégie la réglementation est le crédit automobile ou le crédit pour l’achat d’appareils électroménagers soit un crédit à la consommation qui sert la production d’industries incarnant la « modernisation ».
46Cette vision restrictive, monolithique, du crédit à la consommation, qui privilégie la vente à tempérament, n’est pas sans conséquence sur la modération de son essor en France. Car, tant en Grande-Bretagne qu’en Allemagne, pays où les niveaux d’endettement sont plus élevés qu’en France, les ventes à tempérament sont loin d’être les seuls crédits à la consommation proposés aux consommateurs. La location-vente (hire-purchase) est très répandue en Grande-Bretagne. En Allemagne, les prêts personnels constituent le véritable moteur du crédit à la consommation où, dès juin 1960, ils représentent une part plus importante que les prêts classiques pour acquisition (crédits affectés)44. C’est d’ailleurs en diversifiant leur offre de prêts à la consommation que les Caisses d’épargne allemandes voient leur part de marché progresser dans ce secteur, les consommateurs plébiscitant des modalités de crédit plus souples correspondant davantage à leurs besoins45.
47Ainsi, la majorité des marchés européens du crédit à la consommation (Allemagne, Belgique, Grande-Bretagne) se caractérise par la pluralité des prêteurs, la diversité de l’offre de crédit et une concurrence réelle. A contrario, le marché français se singularise par le nombre restreint d’établissements de crédit, la prépondérance de la vente à tempérament et la faiblesse de la concurrence due au rôle quasi exclusif de refinancement attribué aux banques. Conséquence de la réglementation, cette organisation limite incontestablement le développement du crédit à la consommation en France.
48Compte tenu de l’inélasticité apparente de la demande de crédit au regard de son prix, le maintien de taux plus élevés en France ne semble pas déterminant dans cette expansion modérée46. En revanche, les durées plus courtes de remboursement et l’usage prépondérant de la vente à tempérament jouent. Ce dernier facteur mérite d’être souligné dans la mesure où, comme en Allemagne au début des années 1960, les prêts personnels constituent en France, après la réforme du système bancaire de 1966-1967, l’instrument privilégié de l’essor du crédit à la consommation. Mais avant cette réforme, les prêts personnels vont à l’encontre de la seule finalité pertinente du crédit à la consommation pour les autorités financières : un instrument de régulation conjoncturelle sélectif au profit des industries concernées. Or, seule la réglementation de la vente à tempérament le permet. De ce point de vue, la différence avec la situation allemande est grande. Outre une situation monétaire stable, l’économie allemande bénéficie d’une industrie exportatrice dans les deux secteurs que sont l’automobile et l’électroménager. Ce n’est pas le cas pour l’industrie française davantage dépendante de son marché intérieur et dont les représentants n’ont de cesse, en cas de difficultés, de solliciter un assouplissement des conditions de crédit.
49Aussi est-ce moins une conversion qu’une acclimatation guidée par « l’impératif industriel » qu’effectuent les acteurs de la régulation du crédit au cours de la décennie 1953-1965. Élément de la politique dirigée du crédit, cette réglementation s’avère-t-elle pertinente et efficace ? D’aucuns en doute compte tenu du fait que le crédit à la consommation représente relativement peu de choses à la fois sur le plan économique, moins de 2 % de l’ensemble des crédits à l’économie, et sur le plan patrimonial, moins de 1/10 de l’endettement des ménages47. L’ensemble des mesures prises paraît ainsi disproportionné eu égard au rôle joué alors par le crédit à la consommation dans l’économie du pays. D’autre part, dès 1959-1960, la direction du Trésor note que la règle liée au versement initial exigé est contournée : soit le vendeur majore le prix, soit, pour ce qui concerne le crédit automobile, la reprise de l’ancien véhicule sert d’apport comptant. Pour autant, la réglementation des ventes à tempérament n’est ni amendée, ni abrogée48. Car les variations des conditions de crédit servent autant à limiter la quantité de crédit que de « signal » envers les prêteurs et les consommateurs. Accepté, l’usage du crédit à la consommation n’est pas encore tout à fait légitimé par les autorités financières. L’idée que le crédit à la consommation est « un mal nécessaire qu’il convient de restreindre au maximum » perdure49.
50Cette politique malthusienne ne suscite guère de critiques. Concernant les établissements financiers, si le Cetelem émet des réserves sur le potentiel de crédit, il dresse néanmoins un bilan « très largement favorable » de cette politique de réglementation qu’il qualifie d’« équilibrée et de raisonnable50 ». Pour ce dernier, elle constitue même un exemple de « l’importance et de la qualité des résultats qui peuvent être obtenus par l’initiative privée agissant dans un cadre, même strict, arrêté par les autorités ». Si cet éloge peut sembler curieux, il faut rappeler que la limitation du nombre et de la qualité des prêteurs fait la part belle aux grands établissements de crédit qui jouissent d’une situation d’oligopole particulièrement confortable. Quant aux organismes représentant les consommateurs, il apparaît qu’ils recommandent un usage « modéré et raisonnable » du crédit à la consommation auquel on doit recourir uniquement par « nécessité ». Ce point de vue prescripteur n’est pas sans rejoindre celui des acteurs de la régulation. Dans un schéma de financement de l’économie hérité de la Libération, la perspective que les ménages puissent s’endetter au même titre que l’État et les entreprises demeure lointaine.
Notes de bas de page
1 Cité dans P. Casassus, Le crédit à la consommation en France. Nouveaux aspects et perspectives, thèse d’inspection de la Banque de France, mars 1952 et rapport du Conseil économique et social de M. Allègre, mars 1954.
2 Cf. graphique 3 infra.
3 Ce pourcentage est de 6,1 % aux États-Unis, rapport annuel du Conseil national du crédit pour l’année 1965.
4 Cf. chapitre V supra sur la formation des vendeurs du Cetelem à ce sujet.
5 L’anecdote est rapportée par M. Drancourt dans son ouvrage, Une force inconnue. Le crédit, op. cit., p. 105.
6 Institut Dourdin, Étude du marché du crédit pour l’équipement ménager spécialement réalisée pour le Cetelem, février 1956, citée (cf. chapitre VI supra). 598 commerçants sont interrogés.
7 Archives Cetelem, Chambre de commerce et d’industrie de Paris, École de haut enseignement commercial pour les jeunes filles, « Le crédit dans la vie des Français », rapport rédigé par Françoise Dupic, promotion 1971, 171 p. Cette enquête englobe à la fois le crédit immobilier et le crédit à la consommation.
8 Loin derrière, les autres motifs invoqués sont : le manque d’information sur les possibilités offertes par le crédit (0,2 % des réponses) et le refus de réduire les dépenses courantes (0,1 %) ; enfin, 2,2 % des sondés ne se prononcent pas.
9 S. O’Connell, Credit and Community : Working-Class Debt in the UK since 1880, op. cit. ainsi que « Speculations on Working Class Debt : Credit and Paternalism in France, Germany and the UK », Entreprises et histoire, n° 59, juin 2010, p. 80-91 et « Épopée d’un crédit populaire », dans Consommer, Les grands dossiers de Sciences humaines, n° 22, p. 40-43.
10 S. O’Connell, « Épopée d’un crédit populaire », dans Consommer, Les grands dossiers de Sciences humaines, art. cité, p. 42.
11 Ibid.
12 Cf. chapitre VI supra.
13 Sur les mesures prises par le Conseil national du crédit concernant la publicité des barèmes et la limitation du coût du crédit cf. chapitre VII supra.
14 Bulletin du CIEC, n° 3, octobre 1962, « À propos… Des tarifs pratiqués dans la vente à crédit des biens de consommation durables » dans ABDF 1427200301/111.
15 Pour le Cetelem, « tout autre présentation est pour lui [le client] abstraite et risque de le tromper sur le vrai poids de ses charges », dans Bulletin du CIEC n° 3, oct. 1962 cité. Sur le choix de la Banque de France de retenir la méthode de l’échéance moyenne pour la détermination du taux d’intérêt, cf. chapitre V supra.
16 Archives Cetelem, Sketch Schneider n° 2, bobine A, piste 1, 1962.
17 Conseil économique et social, rapport d’A. Ohl sur l’information et la protection du consommateur en matière de crédit, 19 décembre 1973, p. 2, dans CAEF B 0068657/1.
18 Cf. chapitre V supra.
19 Cf. chapitre VII supra.
20 Interview de M. Cuisenier (chargé de recherches au CNRS), « Quelques aspects psychosociologiques du crédit à la consommation », IAE, Le crédit à la consommation, n° 28, 1966, revue citée, dans ABDF 1357200901/78.
21 Guide de l’acheteur à crédit, brochure réalisée par l’Association professionnelle des établissements financiers, 1967.
22 Archives W. Baumgartner, 2 BA 27 dossier 3, séance plénière du CNC du 20 décembre 1956.
23 Cf. chapitre VI supra et archives W. Baumgartner, 2 BA 45 dossier 4, sous-dossier A, procès-verbal du Conseil général de la Banque de France du 31 juillet 1958.
24 ABDF 13972006/04/189, Bulletin du CIEC n° 8 de février 1964 sur « Les ventes à crédit devant le plan de stabilisation » et « Le crédit à la consommation (ventes à tempérament) – Historique », note documentaire du ministère de l’Économie et des Finances, 8 mai 1969, p. 4. A contrario, le plan de stabilisation entérine un relèvement du versement comptant exigé pour l’achat de voitures et d’appareils de radio et de télévision : de 25 à 30 % pour les premiers et de 20 à 25 % pour les seconds.
25 ABDF 1357200901/68, note de la Société de banque suisse du 1er mars 1966.
26 Cf. chapitre V supra. De 1952 à 1965, il n’y a eu suspension de tout contrôle en Grande-Bretagne que pendant deux ans seulement : de juillet 1954 à février 1955 et de novembre 1958 à avril 1960, cf. ABDF 1427200301/318, note sur l’organisation du crédit à la consommation en Grande-Bretagne, 26 septembre 1968.
27 ABDF 1427200301/373 et 314. En Belgique, la loi du 9 juillet 1957 réglemente les ventes à tempérament et leur financement pour les prêts d’un montant supérieur ou égal à 2 000 FB.
28 B. Stücker, « Konsum auf Kredit in der Bundesrepublik », art. cité et R. Belvederesi-Kochs, « Moral or Modern Marketing ? Sparkassen and Consumer Credit in West Germany », art. cité.
29 Ibid.
30 R. Belvederesi-Kochs, « Moral or Modern Marketing ? Sparkassen and Consumer Credit in West Germany », art. cité.
31 R. Belvederesi-Kochs, art. cité et ABDF 1357200901/68, note citée du 21 janvier 1965 sur « Les ventes à tempérament à l’étranger ».
32 J. Logemann, « Different Paths to Mass Consumption : Consumer Credit in the United States and West Germany during the 1950s and ‘60s », art. cité.
33 Sur ces objectifs de la réglementation instaurée en 1954, cf. chapitres I et V supra.
34 Le montant minimum retenu est de 75 millions de F pour les sociétés de capitaux et les SARL et de 35 millions pour les sociétés de personnes et les entreprises personnelles.
35 Rapport annuel Cetelem pour 1963.
36 ABDF, « Le crédit à la consommation et son financement bancaire », 1970, art. cité.
37 ABDF 1427200301/314.
38 R. Belvederesi-Kochs, art. cité.
39 Cf. chapitre VII supra.
40 Notons qu’en France, les Caisses d’épargne ne sont autorisées à accorder des prêts personnels à leurs clients qu’à partir de janvier 1971. Ces prêts sont accordés comme financement complémentaire du logement. Lorsque ce n’est pas le cas, les Caisses françaises accordent alors ce qui est appelé des « prêts familiaux », ABDF 1370198301/5.
41 Cf. chapitre VII supra.
42 ABDF 1357200901/78.
43 IFOP, « Enquête sur les tendances de la consommation des salariés urbains. Vous gagnez 20 % de plus, qu’en faites-vous ? », citée.
44 R. Belvederesi-Kochs, art. cité.
45 Comparaison sur les conditions de crédit à la consommation en France, Allemagne de l’Ouest, Grande-Bretagne, Suisse, Pays-Bas, Belgique, Suède et États-Unis en 1965, extrait de l’étude menée par La Société de banque suisse dans ABDF 1427200301/129.
46 Même si, lors de la crise financière de 1957, la Banque de France et le Trésor se rejoignent sur l’idée que si les taux demeurent élevés, le crédit à la consommation connaît un développement limité, CAEF, direction du Trésor, B 0052453/4, note pour la direction générale des Prix.
47 Autre élément de comparaison : en 1969, les encours de crédit à la consommation s’élèvent à 7 milliards de F contre 100 milliards pour les avoirs sur les livrets de Caisses d’épargne, cf. enquête de l’INSEE sur l’épargne et le patrimoine des ménages 1969, ABDF 1404200701/1.
48 Elle ne l’est que vingt ans plus tard, en 1979.
49 ABDF 1357200901/79, note de G. Ardant du 24 mars 1955.
50 Archives Cetelem, J.-P. Krafft, « Bilan d’une politique de réglementation des ventes à crédit : l’exemple français », 24 novembre 1966, p. 12.
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