Préface
p. I-XX
Texte intégral
1Le crédit à la consommation : quel grand sujet ! Un des piliers de la croissance des économies contemporaines, et aussi un de leurs talons d’Achille. Un des moyens qu’ont les femmes et les hommes de réaliser leurs aspirations ou de céder aux tentations des produits et services marchands dans la société des individus contemporaine et un des éléments de leur vulnérabilité. Un terrain d’expansion possible des entreprises et un risque qui leur fait une obligation du quadrillage des réputations. Bref, un des marchés dont dépendent les sociétés urbaines. Voici en tout cas le premier livre de recherche historienne consacré au seul crédit à la consommation en France et en Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale1. Plus précisément à trois questions : pourquoi et comment la France se dote-t-elle d’institutions spécialisées dans ce crédit ? Quelles sont les relations et les tensions entre la politique de régulation de l’État et les usages des citoyens ? Comment la France évolue-t-elle en ce domaine par rapport aux autres pays occidentaux et à la nation où le crédit devient roi : les États-Unis ? L’excellent livre de Sabine Effosse est donc avant tout l’histoire d’un ensemble d’innovations financières, des regards que posent sur elles les différents acteurs – individuels ou collectifs – qui peuvent s’en emparer, et des régulations publiques qui émergent ou sont changées.
2Mais, grâce à l’histoire des sciences et des techniques, les historiens savent aujourd’hui qu’une partie des innovations ne surgissent pas du néant et sont une offre qui peut résulter de la reconfiguration des pratiques et usages dans un contexte jugé porteur.
3C’est bien le cas du crédit à la consommation. Les innovations des années 1947-1965 se frayent un chemin entre les marques persistantes d’une histoire très longue qui porte le sceau du long Moyen Âge2 et les traces des innovations du second xixe siècle et du premier xxe siècle.
4Dans cette période les innovations coexistent, en effet, avec le poids du Moyen Âge et de l’Ancien Régime3. Ce dernier s’exprime dans la réticence à accorder du crédit qui, certes avec des variations, dure au moins jusqu’à 1968. La stigmatisation du prêt à la consommation est difficile à effacer. Le discours officiel connaît, cependant, certaines évolutions avec le passage du crédit à la consommation au crédit d’équipement et surtout avec le passage de la notion de crédit à celle d’épargne. De même, une enquête indique que les artisans refusent le crédit pour ne pas, disent-ils, faire venir une clientèle malhonnête et pour ne pas effaroucher leurs clients en apposant un stigmate sur leur magasin alors qu’ils le pratiquent régulièrement (comme le montrent les chiffres). Ces attitudes contradictoires révèlent combien, aux yeux des artisans et détaillants, le crédit relève toujours des relations personnelles ; ils ne souhaitent toujours pas qu’il devienne une pratique formalisée. Les rapports rédigés en 1948 et 1949 pour la Banque de France s’inscrivent aussi dans les conceptions d’autorité de l’Ancien Régime où le peuple est un groupe collectif dont il faut surveiller les dépenses : c’est un enfant, un mineur ; c’est pourquoi il faut l’éduquer, lui enseigner l’épargne et lui refuser la liberté du choix de ses engagements de crédit. Ces rapports se réfèrent également au contexte de crédit dit informel fait par les vendeurs, qui est incontrôlable et qui renchérit les prix. De fait, il faut attendre 1955 pour que les règles imposées par les pouvoirs publics aux établissements financiers le soient également aux commerçants. Le livre pointe ici les contradictions entre le politique et le moral. De même, un autre rapport reste dans le cadre qui imprègne toute la charité et qui veut que les élites sachent ce que le peuple doit consommer, ce qui est bon pour lui et ce qui est superflu. Le livre montre a contrario qu’il n’y a qu’aux États-Unis que le marché est considéré comme un lieu de liberté : je reviendrai sur ce point en conclusion.
5Plusieurs autres représentations ou pratiques de cette période qu’expose le livre viennent encore du temps long. Ce qui compte pour les catégories populaires, c’est l’accès au crédit et non son prix. Et le prêteur est vu comme un sauveur, ce qu’il a été durant tout l’Ancien Régime. Dans les interactions avec les vendeurs des organismes spécialisés de crédit, il y a également toute une culture économique qui apparaît dont les intermédiaires savent jouer : on ne parle pas de prix ; on ne veut pas donner de renseignements financiers. Cela n’aide pas les Français à acquérir une culture économique réelle, alors que le concept d’amortissement leur permettrait de voir les taux d’intérêt réels qui sont masqués dans les présentations et les calculs des vendeurs. Autre trait venu droit de l’Europe aristocratique : un cadre explique dans une conférence que « personne ne respecte l’échéance. Je dirai même qu’il nous arrive d’envoyer une ou deux lettres de rappel à un débiteur particulièrement difficile de caractère et occupant une situation importante. Il vous écrit avec une très grande sérénité que, dans la vente à crédit, on paye quand on peut, mais l’idée de verser les fonds quarante-huit heures avant la bonne date lui est totalement étrangère ».
6Pour autant, Sabine Effosse montre comment en mêlant différentes initiatives la France du second xixe siècle s’éloigne de deux façons distinctes de cette culture ancienne du crédit.
7L’une n’est pas radicale. On pourrait parler d’une voie française et européenne, qui passe par une partie des grands magasins. Alors que les historiens ont longtemps présenté l’innovation constituée par les grands magasins comme fondée sur la vente à prix fixe et au comptant, donc bouleversant les habitudes commerciales qui reposaient jusqu’alors sur deux principes : négociation du prix de l’article entre le vendeur et l’acheteur, et vente à crédit, de récentes recherches américaines et françaises ont mis en exergue un grand magasin, le Palais de la Nouveauté, fondé à Paris boulevard Barbès en 1856 par Jacques-François Crespin, qui, lui, évite la rupture avec les pratiques antérieures en vendant de tout à crédit. La description donnée par Émile Zola dans L’Assommoir en 1876 est par conséquent fondée :
« La maison créée par M. et Mme Crespin a pour objet principal la vente à crédit de marchandises de toute nature, principalement des objets d’ameublement, de literie, de bijouterie et d’habillement [...] vendus directement ou par l’intermédiaire de ses fournisseurs et des négociants avec lesquels elle est en rapport, payés par des acomptes mensuels ou hebdomadaires, reçus à domicile par les employés de la maison. Pour augmenter les facilités offertes aux clients, la maison accepte même à recevoir des dépôts de petites sommes applicables sur des acquisitions postérieures et proportionne à ces dépôts les ventes à crédit qu’elle consent. Les classes laborieuses sont naturellement celles qui profitent le plus des avantages qu’offrent ces crédits et dépôts. Par suite, le nombre des clients est extrêmement étendu, et les acquisitions faites sont d’importance généralement minime ».
8Ce grand magasin fait des classes populaires sa clientèle privilégiée en leur permettant un accès massif au crédit par la technique de la vente à l’abonnement, l’abonneur se présentant au domicile des clients4. à la construction de cette « économie de la consommation populaire » participent ensuite les filiales de crédit fondées par quelques magasins puis les Unions économiques qui rassemblent les petits commerçants d’une ville ou d’une région pour leur faciliter la vente à crédit - la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont la même technique.
9La seconde voie est américaine et plus radicale. Elle démarre, elle aussi, au milieu du xixe siècle, mais à partir d’innovations de deux entreprises industrielles des États-Unis fabriquant en série, l’une, des machines à coudre (Singer) et l’autre, des pianos (Baldwin) qui introduisent aux États-Unis dans les années 1850 l’acompte et le paiement échelonné perçu par un encaisseur. Cette location-vente est ensuite introduite pour d’autres produits dont les vêtements, les meubles, les vélos ou les encyclopédies. Sa durée est d’un à deux ans pour les machines à coudre, trois ans pour les meubles et les pianos. Singer, qui est un prêteur aux méthodes très créatives et qui cible en particulier les femmes, exporte ses pratiques dans le monde à partir des années 1860, d’abord en Grande-Bretagne puis en France et jusqu’au Japon (1907)5.
10Quand survient la seconde industrialisation deux branches prennent des initiatives : l’automobile et l’électroménager.
11En France, l’automobile combine innovation incrémentale et innovation radicale. Réinterprétation de la tradition du crédit des commerçants d’abord : à partir de l’exemple donné à Londres par un célèbre concessionnaire, Charles Rolls, qui décide de vendre des Panhard à crédit, une poignée de grands agents parisiens introduisent la vente à crédit sur un an. Innovation radicale ensuite : plusieurs petits établissements financiers se créent pour financer l’achat à crédit de voitures, dont le premier est la Banque Automobile. Fondée vers 1906 par un négociant en diamants, Hugues Citroën, frère d’André, et un agent auto, Jacques Bizet, en partenariat avec le constructeur Unic, cet établissement disparaît à la fin de la guerre6. L’innovation que préconise alors dans un livre-programme Georges Cote - directeur général d’un constructeur lyonnais, Pilain - pour booster la vente à crédit après la guerre est la création d’institutions financières spécialisées dans le crédit automobile établies en commun par des banques et des constructeurs automobiles. Celle-ci est réalisée en 1922 par le tandem Citroën-Banque Lazard, mais Renault et Peugeot fondent leurs propres filiales, respectivement en 1924 et 1928. Louis Renault explique sa décision par le besoin de « traiter en son nom propre avec les banques et les compagnies d’assurances pour obtenir des conditions d’escompte et d’assurance moins onéreuses que celles actuellement accordées aux autres sociétés de vente à crédit » et par les réticences des grandes banques à entrer dans ce marché différent7. Dans les années 1930, il s’y ajoute pour Mathis Credima en 1931 et pour Simca, née en 1934, Cavia, en 1938. Par rapport aux États-Unis le décalage chronologique n’est pas très grand, puisque c’est en 1919 que General Motors crée une filiale de crédit, General Motors Acceptance Corporation. Mais on note aussitôt deux différences. L’une est de nature : le leader du marché d’alors, Ford, refuse obstinément de vendre ses voitures à crédit. L’autre est d’échelle : dès 1920, 60 % des véhicules neufs sont achetés à crédit aux États-Unis et le chiffre d’affaires de GMAC passe de 50 000 $ en 1919 à 12 millions en 19388.
12Pour l’électroménager, c’est également dans les années 1920 que l’une des deux plus grandes sociétés françaises de construction électrique, Thomson, non seulement renforce ses capacités de financement (avec la création en 1925 d’une filiale financière, la Société financière électrique, dans un mouvement commun aux grands groupes de l’électricité), mais aussi crée une société de crédit à la consommation, le Crédit électrique, qui devient en 1927 le Crédit électrique et gazier (CREG)9. La Radiotechnique, rachetée en 1933 par la multinationale hollandaise Philips, fonde peu après une filiale, La Radiofiduciaire, qui a pour mission de financer la vente à crédit de récepteurs de radio10. On peut émettre l’hypothèse que les initiatives en la matière intervenues aux États-Unis, notamment celles de General Electric (qui crée GE Capital en 1932), ont donné matière à réflexion aux industriels français.
13Tel est donc, brossé à grands traits, le cadre historique dans lequel s’inscrit la création d’instruments de crédit à la consommation après la Seconde Guerre mondiale qui est l’objet du livre de Sabine Effosse, dans la continuité avec son premier livre, consacré à la création des prêts bonifiés au logement aidé11.
14Quelle est l’originalité de son approche dans les deux livres ? Elle reconstruit les caractères principaux d’un marché à part entière (ici le marché du crédit à la consommation) avec ses producteurs, distributeurs et consommateurs, avec ses consultants – ici la Compagnie française d’organisation –, avec ses syndicats professionnels, chambres de commerce et autres acteurs collectifs, avec ses banques de dépôt et ses banques d’affaires, avec ses règles, et avec la présence complexe de l’État qui, dit le chapitre IX, limite la concurrence sur ce marché. Le crédit lui-même est analysé comme une construction sociale dans laquelle intervient une multiplicité d’acteurs : ici les innovateurs (des porte-parole des industriels comme Henri Aubry et Henry Davezac12, des banquiers dissidents par rapport à la norme comme Jack Francès et Jacques de Fouchier), les entreprises concernées, des associations (utilisateurs, associations familiales), les experts de l’administration et de la finance (la direction du Trésor, la Banque de France, le Conseil national du crédit), le pouvoir politique qui doit conjuguer enjeux nationaux et internationaux, court terme et long terme, et enfin, je n’aurai de cesse d’y insister à la suite d’Albert Hirschman13, les consommateurs eux-mêmes par leurs représentations, leurs décisions et leurs pratiques. Cette approche s’impose d’autant plus que les nouveaux instruments de crédit ne viennent pas du système bancaire en place (trop faible, peu adapté et accaparé par la clientèle de l’État et des firmes), mais d’initiatives extérieures (commerçants, constructeurs, groupes financiers nouveaux). Les quelques explorateurs qui portent ces initiatives sont donc épaulés par deux inspecteurs des Finances, hétérodoxes de la banque, qui parviennent à convaincre leurs camarades au sein des autorités du crédit et mettent sur pied la Sofinco puis le Cetelem, ensuite appuyés sur Suez et la Compagnie bancaire. Ce cheminement permet de vérifier une tendance lourde de l’histoire du crédit en France : d’une part, la difficulté du gouvernement et du Parlement à légiférer pour améliorer le cadre juridique du marché et donc la concurrence entre établissements, d’autre part, la tendance qui en résulte chez les ministères à s’appuyer sur quelques puissantes organisations de crédit facilement contrôlables.
15Si l’approche dans les deux livres est commune, le lecteur ne peut qu’être frappé par un résultat parallèle, à savoir l’importance des décalages observés entre les enjeux sociaux des crédits étudiés et la réalité des facteurs qui déterminent leur évolution après-guerre. De même que la politique publique en matière de logement a été déterminée par des considérations tenant plus au fonctionnement du marché du travail qu’au logement lui-même, de même la politique publique en matière de crédit à la consommation est en partie subordonnée à la politique industrielle. En 1953 comme à la fin des années 1950, les assouplissements que le gouvernement décide d’apporter dans la politique du crédit à la consommation visent d’abord à soutenir les industries concernées et ils vont en priorité à celles qui participent le plus à l’effort de modernisation (comme le secteur électroménager).
16Mais il n’y a évidemment pas identité entre les deux types de crédit, et donc ce livre présente une histoire fort différente de celle analysée dans le livre précédent. Alors que durant la première moitié des Trente Glorieuses, grâce à l’essor des prêts spéciaux et des primes, le logement aidé a connu une réussite immédiate, le crédit à la consommation croît moins vite. Jusqu’en 1965, le développement d’ensemble est modéré et si, de 1966 à 1986, il est plus soutenu, il ne décolle vraiment qu’après le milieu des années 1980. Comment expliquer ce résultat complexe ? Sabine Effosse le fait en deux temps.
17D’une part, elle rend compte de l’extension du crédit à la consommation, tant pour l’occasion que pour le neuf, en analysant ses facteurs de diffusion (urbanisation, hausse des revenus, changement des mentalités), ses vecteurs (en termes de catégories socioprofessionnelles et de produits) et la modification des modes de recouvrement.
18D’autre part, elle hiérarchise les éléments de la demande et de l’offre qui ont freiné cette extension. Du côté de la demande, le retard français en matière de logement et la faiblesse de la consommation électrique des ménages ont pesé sur la croissance. Dès lors, l’automobile a été la principale bénéficiaire de ce type de crédit. Mais le livre de Sabine Effosse démontre que beaucoup de problèmes sont venus du côté de l’offre, ce qui explique que le crédit à la consommation n’ait joué qu’un rôle d’appoint dans l’essor de l’équipement ménager.
19Trois facteurs ont joué, dont le dernier est majeur.
20La prudence des établissements financiers, tout d’abord, que suggèrent les normes d’endettement très basses adoptées (15 % d’endettement) ou encore la méfiance à l’égard d’un système qui fonctionne sans circulation de traites. Cependant, comme le montre le très faible pourcentage d’impayés, l’insuffisance des garanties ne semble pas avoir joué.
21Le coût élevé du crédit, ensuite, lié au mode de financement du crédit à la consommation en France dans cette période (non par les dépôts comme à l’étranger, mais par les capitaux propres des établissements spécialisés et l’escompte des banques), ainsi qu’au caractère très peu concurrentiel du secteur, que j’ai déjà signalé. Compte tenu du bas niveau d’éducation financière des Français, l’influence de ce facteur ne peut être exagérée.
22Et, enfin, ce que Sabine Effosse appelle le « malthusianisme » des autorités financières, visible dans la réglementation très stricte (plus stricte qu’à l’étranger) du secteur par les pouvoirs publics, qui révèle une conception peu dynamique du crédit à la consommation. La Banque de France n’est pas favorable au crédit à la consommation. Pour les autorités, ce crédit est une nécessité imposée par les besoins de l’économie, mais conditionnée à la fois aux impératifs monétaires (d’où les stop and go imposés par la politique du crédit) et aux impératifs industriels (d’où la forme d’un crédit « affecté » à des biens jugés prioritaires par l’État).
23Une telle interprétation pose, à mon avis, trois questions. La première est celle de la nature historique exacte de ces autorités financières. Il s’agit, avant tout, des inspecteurs des Finances à la tête des établissements financiers et des instances de contrôle du crédit, tels Jacques Brunet, Jean Watteau, Wilfrid Baumgartner, bref des hommes qui ont mis en place dès Vichy le système financier segmenté et administré destiné d’abord à relever les secteurs des productions de base. Il y a donc là les traces de la culture du crédit des financiers publics confrontés à la pénurie de l’Occupation. La seconde question renvoie à l’histoire des fonctions changeantes de la Banque de France, de sa nationalisation en 1945 à la fin des années 1960. Le problème de son rôle de supervision du système bancaire court ainsi en filigrane derrière l’histoire des débuts pas toujours faciles des nouvelles pratiques de crédit à la consommation. Cette variable constitue sans doute une des clefs pour rendre compte des freins multiples qui ont longtemps pesé sur ce compartiment de « la politique de crédit », comme on disait dans les années 1950. Sans doute serait-il éclairant de relier, au-delà, cette histoire du contrôle des banques en France à l’obsession des autorités monétaires à l’égard de l’inflation, dont les rythmes dans la période ne semblent pas être sans lien avec les rythmes de la croissance du crédit à la consommation. Cette hantise de l’inflation, nous dit le livre, semble écartée par la suite. D’où la troisième question : peut-on véritablement parler d’un comportement « malthusien » ? N’y a-t-il pas alors des priorités, contraignantes et largement admises par les partenaires sociaux à travers les plans, comme l’équipement des secteurs de base et des infrastructures ? On retrouve ici de nouveau un débat chez les historiens, qui me paraît recouper la différence de leurs spécialisations. Les historiens des finances doutent de l’existence d’une demande véritable pour ces produits de consommation dans les années 1950, compte tenu de la faiblesse du niveau de vie. Les historiens des entreprises ou de la société repèrent différents signes d’une telle demande : par exemple, l’augmentation durable du nombre de visiteurs au Salon de l’auto et au Salon des arts ménagers, ou encore le fait qu’à la fin des années 1950, alors que les deux tiers des foyers sont équipés de postes de radio, le développement des postes à transistors, nomades, est très rapide, leur nombre passant de 150 000 en 1958 à 2,5 millions en 196214. Ils considèrent que la modération du crédit imposée par les autorités financières et les pouvoirs publics a freiné ou différé la satisfaction de la demande.
24Au-delà de ces débats nécessaires et importants, le livre de Sabine Effosse débouche sur des connaissances complémentaires et surtout sur plusieurs remises en cause.
25Les apports complémentaires concernent la montée d’une société de connaissance où une connaissance appliquée est produite et constamment communiquée à l’intention de décideurs soucieux d’améliorer leur information préalable, qu’ils soient dans l’État ou dans les organisations marchandes. Je verse ici une pièce au dossier : la remarquable synthèse (anonyme) que l’INSEE publie en 1954 sur l’évolution du crédit à la consommation aux États-Unis15. On relève que son auteur rend hommage au livre « resté classique » de l’économiste américain Edwin R. A. Seligman sur « la vente à tempérament » paru en 1927 et vite traduit en français16. Cet article prend appui sur les recherches américaines postérieures et cite l’énorme travail d’enquêtes que le crédit à la consommation suscite outre-Atlantique. Ce flux d’informations n’est pas limité aux universités et organismes de recherche publics et privés. Une historienne américaine a récemment montré qu’au sein des entreprises c’est chez General Motors que les recherches pour ne plus faire des consommateurs des « abstractions » prennent la plus grande ampleur entre les deux guerres17. Cet article de l’INSEE est un des indices de la circulation des connaissances et des méthodes relatives au crédit à la consommation entre Europe et Amérique. Celles des missions de productivité françaises aux États-Unis qui portent en partie sur le crédit à la consommation en sont un autre indice. De façon plus générale, le livre de Sabine Effosse montre que les différentes étapes de l’expansion du crédit passent par l’extension des enquêtes statistiques et des travaux qualitatifs dans les années de croissance d’après-guerre. Ici le livre s’inscrit dans la lignée des recherches récentes des historiens et sociologues français qui ont mis en évidence le renouveau des enquêtes et les progrès de la statistique dans l’entre-deux-guerres aussi bien dans les organismes publics (Statistique générale de la France, Conseil économique) que dans les entreprises (études de marché, sondages, tout comme en Allemagne)18 ou dans les associations (X-Crise). Et quand Sabine Effosse présente la variété des enquêtes menées sur la vente à crédit par la Banque de France ou par les nouveaux organismes de crédit spécialisés, son livre est à l’unisson des travaux qui ont souligné pour l’après-guerre les avancées de conception et de méthode réalisées au sein du ministère des Finances ou d’organismes publics nouveaux : le Commissariat général du Plan, l’INSEE, l’INED puis le CREDOC (1952, sur les conditions de vie) ou d’organismes comme la Radio-Télévision française.
26Les remises en cause concernent la société, l’État et l’économie.
27S’agissant de la société française, le livre suggère, à la suite de sociologues comme Jean-Daniel Reynaud et Henri Mendras, qu’en dépit de la croissance économique, les valeurs collectives jugées légitimes par les pouvoirs publics, les Églises, les associations restent dans les années 1950 et 1960 celles d’avant 1945 : « frugalité, endurance, prévoyance », bref celles d’une société fondée sur l’épargne. Certes, un changement dans les représentations s’opère entre 1950 et le milieu des années 1960 : « Le crédit ne sert plus à survivre mais à mieux vivre » ; il n’est plus assimilé à la pénurie, mais à l’abondance et au confort. Avec l’élévation du niveau de vie et la montée du salariat, les jeunes ménages citadins passent des crédits demandés pour gagner sa vie comme les deux-roues ou la machine à coudre aux crédits pour profiter de la vie avec le développement des produits de loisirs. Néanmoins, ce que montre le livre, c’est que cette conception plus positive du crédit ne se situe pas par opposition à l’épargne, elle se place dans la continuité de l’épargne. Chez les jeunes notamment, le crédit devient la forme moderne de l’épargne (« Le crédit, c’est l’épargne de la jeunesse »). Le livre de Sabine Effosse permet de penser que cette évolution a été favorisée par la technique même du crédit (la vente à tempérament accordée par le vendeur du bien avec mise de fonds préalable), technique très différente du crédit sollicité auprès d’un banquier ; la vente à tempérament débouche bien sur un crédit mais peut-être pas sur un sentiment d’endettement. L’histoire des formes nouvelles du crédit à la consommation – comme celle du financement du logement – donne ainsi l’image d’un changement social lent ou sinueux dans la France des années 1950, à mi-chemin de la société de pénurie et de la société d’abondance, confrontée à un ensemble de valeurs à la fois collectives et autoritaires19. Dans les années 1960, en revanche, les animateurs et cadres des sociétés de crédit à la consommation anciennes ou nouvelles (CREG, Radiofiduciaire, Sofinco, Cetelem, firmes de crédit automobile) construisent d’autres figures du consommateur, et la technique du scoring dont elles mettent au point le prototype, au moment même où dans le monde de l’assurance on invente la segmentation du risque automobile, implique une stratification sociale nouvelle et des représentations dont les deux psychologues du livre de Georges Perec Les Choses (1965) donnent une version romancée. Le livre de Sabine Effosse s’arrête au seuil des transformations ultérieures induites par la bancarisation de masse des salariés puis par les ruptures des « années 1968 ».
28S’agissant de l’État, le livre de Sabine Effosse offre une nouvelle illustration de son poids (ici dans la fixation de normes de consommation) et surtout de son extrême hétérogénéité. La « conversion » de l’État (Michel Margairaz) à la croissance et à la modernisation n’est pas totale. Les réticences des autorités monétaires vis-à-vis du crédit à la consommation, pensé même comme « illégitime », à la fois du point de vue monétaire, financier, économique et moral, dans la période de reconstruction (1947-1952), ne sont pas sans rappeler les présupposés de la direction générale des Impôts en faveur de l’autofinancement des entreprises20. Le ministère de la Justice exerce lui aussi, à l’occasion, le pouvoir de dire non. Le livre nous amène ainsi à la politique – non plus celle des autorités monétaires, mais cette fois celle des acteurs politiques stricto sensu : quelles sont les dimensions politiques de la ligne suivie en matière de crédit à la consommation dans la période ? On est évidemment frappé par l’action de réhabilitation politique, morale et institutionnelle du crédit à la consommation menée par Robert Buron, ministre des Affaires économiques en 1953, et qui va être poursuivie pendant quatre années. On y perçoit naturellement la marge de jeu du ministère de l’Économie par rapport au ministère des Finances. On y voit le rôle propre de Robert Buron, un homme politique qui connaissait les détours du ministère depuis 1949 et dont les capacités innovantes avaient été mises en valeur pour la première fois par les travaux de l’historien allemand Matthias Kipping sur l’histoire de la concurrence en France21. On peut aussi supposer que, le MRP étant l’héritier du Sillon, mouvement très sensible aux questions de consommation22, la place du crédit et de la consommation est vue plus favorablement dans la doctrine de son parti, comme dans celle des associations familiales. On sent, enfin, que la conjoncture s’y prête. C’est le temps de la fin de la Reconstruction, de l’amorce du rattrapage en matière de logement avec le plan Courant de la même année 1953 et d’un certain ralentissement de la croissance. La reconnaissance du crédit à la consommation dans la réglementation du Conseil national du crédit du 28 juillet 1954 apparaît ainsi dans le livre de Sabine Effosse comme le fruit d’un compromis dynamique. Elle résulte à la fois du souci de moraliser le marché, d’en normaliser les modalités, de réduire les taux d’intérêt tout en assurant des débouchés nouveaux aux constructeurs auxquels le crédit est destiné en priorité, à savoir principalement les producteurs automobiles et les fabricants d’appareils électroménagers. Á la fin des années 1950, le nombre d’établissements financiers enregistrés est multiplié par trois. La question de la position des autres forces politiques, de la IVe à la Ve République, reste posée. On glane quelques renseignements dans le livre qui mentionne l’existence de détracteurs et de sceptiques dont un député de droite (RPF). Y aurait-il aussi des refus à gauche, qui iraient avec la critique du marché ? Quid des communistes ? Et les syndicats ouvriers ? Voient-ils plus loin que la crainte de « l’usage du crédit de consommation comme d’un crédit de trésorerie » ? On aimerait en savoir plus. Suivre cette piste de recherche pourrait contribuer à réintroduire le jeu des idéologies dans la vision institutionnelle des évolutions économiques et financières de la période.
29S’agissant de l’économie, le livre pose une question générale : l’efficacité de cette politique restrictive de crédit. Si elle a pu contribuer à freiner l’inflation, n’a-t-elle pas aussi contribué à freiner la croissance ?
30Au-delà de cette interrogation globale, le livre incite à faire la différence entre les moyennes statistiques sur la part du crédit à la consommation à l’échelle de la France entière et son rôle dans certaines branches comme le meuble, l’électroménager ou l’automobile. Sans le crédit à la consommation (et on le voit encore lors du plan de stabilisation du gouvernement français en 1963 qui traite de façon différente l’électroménager et l’automobile), ces secteurs ou souffriraient gravement ou seraient voués au déclin.
31En effet, le livre apporte des éléments importants sur les acteurs ou les secteurs directement concernés par le crédit à la consommation.
32Il faut, bien entendu, souligner les éléments empiriques sur lesquels le livre est particulièrement neuf : l’essor des Unions économiques, les vraies comme les fausses, qui montre la demande croissante de financement des ménages après-guerre, le rôle pionnier joué par le patronat de l’ameublement (en particulier Henri Aubry) dans la mutation du crédit qui se traduit dans le développement de la Sofinco, nettement moins connue que le Cetelem - bien que très tôt repéré par une thèse d’État de géographie qui a souligné son efficacité par rapport à « la crise de l’industrie du meuble en 1952-1954 » et la demande d’« équipement de l’habitat23 » -, enfin, le rôle d’initiateurs des nouvelles structures joué par les syndicats patronaux, dans l’ameublement comme dans la construction électrique.
33Le cas de l’automobile est intéressant pour plusieurs raisons. D’abord, le bond en avant de la vente à crédit y est fort : de 20 % des voitures neuves au début des années 1930 à 45 % en 1965. Ensuite, la principale nouvelle institution spécialisée (la Cofica, née en 1945) est issue de banques classiques, contrairement à ses homologues ultérieurs, la Sofinco et le Cetelem, et n’acquiert pas autant d’importance qu’eux. Une mutation analogue est néanmoins à l’œuvre dans les filiales de crédit à la consommation des grandes entreprises automobiles, actives depuis l’entre-deux-guerres. Elle passe notamment par l’élaboration de nouvelles formules de crédit : Renault invente le crédit-épargne en 1954, formule reprise et améliorée par Citroën en 1959, et étendue en 1963, année où Renault lance la libre épargne24. L’enquête de Sabine Effosse pourrait être prolongée en explorant des archives récemment devenues disponibles : pour Renault celles de la DIAC à Marne-la-Vallée, pour Peugeot les toutes nouvelles Archives Peugeot à Hérimoncourt. Les filiales de crédit des firmes automobiles apportent une contribution majeure aux profits de ces constructeurs, et sa comptabilisation dans les bilans est toujours un moment délicat. Mais, en fonction de la conjoncture, ces filiales peuvent avoir besoin de se refinancer auprès des banques. Il convient aussi de faire leur place aux filiales étrangères qu’elles créent pour soutenir l’exportation, lesquelles conduisent à la fin de la période chez Renault à une expansion financière internationale. Enfin, le Cetelem en 1959 décide d’entrer sur le marché du crédit automobile (comme sur celui du meuble), car le montant moyen des dossiers financés est supérieur à celui de l’électroménager et de la télévision pour lesquels il a vu le jour, et le marché du crédit automobile est particulièrement peuplé et concurrentiel.
34Le livre montre que les vendeurs de crédit sont les premiers clients des établissements spécialisés, ce qui explique les efforts réalisés par ceux-ci pour les sélectionner et les former.
35« Devant la concurrence » des établissements spécialisés, les banques, qui ont un peu manqué le coche du crédit à la consommation, en se bornant à être actionnaires de la Cofica, puis de la Compagnie bancaire (fondée en 1959 par Jacques de Fouchier), « après avoir respecté un certain délai », se sont à leur tour lancées dans cette activité25. Cette arrivée – encore modeste – des banques de dépôt sur le marché des « crédits personnels » et les débuts de la construction européenne suscitent une intensification de la concurrence. Celle-ci a comme effet d’inciter les autorités financières comme les établissements de crédit spécialisés à moderniser, à accroître et à rationaliser leur activité, en particulier par du « crédit en poche », sorte d’ancêtre du crédit revolving.
36Deux autres secteurs bénéficient de l’expansion du crédit à la consommation. Il s’agit d’abord de la publicité. Agences françaises et, peu à peu, agences étrangères se voient attribuer des budgets pour des campagnes dans les différents médias et dans l’affichage en faveur des services désormais offerts par les sociétés spécialisées de crédit, filiales de firmes industrielles et banques. Cette publicité n’évite pas toujours les excès, et les pressions des consommateurs et de l’État en améliorent la qualité d’information. L’autre secteur dont la croissance est liée à l’essor du crédit à la consommation est celui de l’assurance, et ce au moins depuis l’entre-deux-guerres. En France, l’assurance d’un prêt à la consommation n’est pas obligatoire, mais l’établissement prêteur peut conseiller ou proposer une offre d’assurance à l’emprunteur. L’ensemble des services associés aux formes modernes de crédit à la consommation, qui mériterait des recherches ultérieures, doit ainsi être inclus dans l’histoire de l’impact de ce crédit sur l’économie.
37Reste la question des comparaisons internationales entre la France et les autres pays industrialisés.
38Avec l’Europe, elles amènent ici aussi à relativiser les idées courantes sur le « retard français ». En 1965, le total du crédit aux particuliers atteint 1,6 % du PIB en France et 1,7 % en Allemagne – une différence insignifiante, même si la composition de ce crédit était différente, avec une part plus importante accordée au logement en France ; et l’endettement par habitant atteignait 154 francs en France et 163 en Allemagne. Le niveau de vie des deux pays, mesuré en termes de PIB par habitant, était également très proche, si l’on en croit les chiffres d’Angus Maddison. La principale différence était l’existence de la Schufa26. Centrale de renseignements de crédit, créée en 1927 par deux frères, la Schufa (abréviation de Schutzgemeinschaft für allgemeine Kreditversicherung) accumule les informations financières sur des millions de citoyens allemands, et les utilise afin de garantir leur solvabilité. Ce fichier positif attribue à chacun un « score » de solvabilité. L’attestation de la Schufa est devenue indispensable pour obtenir ou conserver un crédit, et elle est exigée par tous les propriétaires-bailleurs, mais également les banques, les sociétés spécialisées de crédit, et aujourd’hui par les opérateurs téléphoniques, etc. L’Allemagne, comme la Belgique et la Grande-Bretagne, a pluralité de prêteurs, des offres diversifiées et de la concurrence entre établissements, la France a un nombre d’établissements plus restreint et une concurrence plus faible, comme nous l’avons vu : il y a ainsi deux voies en Europe vers le crédit à la consommation moderne.
39L’autre partie de la question concerne la comparaison avec les États-Unis. Elle porte à la fois sur la période considérée et sur la longue durée jusqu’à aujourd’hui. Sur la période considérée, tous les travaux récents d’historiens et de sociologues montrent le dynamisme et la réactivité exceptionnelles des consommateurs et des organismes de crédit américains, et le bond en avant qu’à partir d’un niveau déjà plus élevé qu’en Europe occidentale, la consommation à crédit y a alors accompli. Sur la longue durée, l’historien américain Sheldon Garon a récemment proposé d’y discerner une caractéristique de fond de la société américaine27. Cet historien ne se borne pas à gloser sur le fait que depuis dix ans on parle désormais aux États-Unis d’une financiarisation de la vie quotidienne28. Comme d’autres chercheurs, il en détaille les composantes. Le crédit à la consommation y figure à côté du crédit au logement pour les catégories populaires et moyennes, des services anciens comme l’épargne et l’assurance côtoient la multiplication des cartes de crédit, les placements financiers deviennent un passe-temps national pour les catégories supérieures et moyennes. Ainsi les calculs et jugements financiers prennent-ils des formes et une ampleur nouvelles dans la vie des différents groupes de citoyens, à mesure que sont choisies de nouvelles priorités politiques qui préfèrent le contrôle de l’inflation à la promotion de la croissance. L’identification des citoyens ordinaires avec l’une ou l’autre version de la finance amène à une extension des risques pris qui étaient auparavant ceux des professionnels. Des marchés séparés comme ceux de l’immobilier et de l’assurance, de la banque de détail et de la banque d’affaires ont été intégrés jusqu’aux remises en cause récentes. Mais Sheldon Garon va plus loin. Selon lui, les Américains épargnent trop peu, dépensent trop, empruntent excessivement. Les nations d’Asie orientale et d’Europe occidentale ont, au contraire, encouragé leurs citoyens à épargner en les orientant vers des institutions spécialisées et en les y incitant par des campagnes en faveur de l’épargne. Les gouvernements américains, eux, ont promu la consommation de masse et encouragé le recours au crédit. Contrairement aux analyses d’une partie des économistes, qui affirment que c’est dans les États-providence que l’on épargne le moins, cet historien argumente que les Européens épargnent beaucoup en dépit d’une politique de protection sociale généreuse et de populations vieillissantes. Les Américains épargnent peu, en dépit de filets protecteurs plus faibles et d’une population plus jeune. Les encouragements européens et asiatiques à la prévoyance ne sont pas seulement un héritage du passé, ils sont aussi un mouvement moderne face à l’accroissement de la consommation (dans les années 1950-1970, le Japon a même exporté ses méthodes d’épargne perfectionnées en Corée du Sud, à Singapour et au-delà). En Asie et en Europe, des messages pour épargner et dépenser avec modération sont diffusés partout, dans l’enseignement, la presse et la littérature. Aux États-Unis, les entreprises et les gouvernements ont normalisé des pratiques consistant à vivre au-dessus des moyens de chacun. On peut apporter plusieurs explications à l’appui de cette grande divergence29 : la taille des États-Unis, l’abondance des ressources, l’absence d’une expérience durable des pénuries, l’optimisme récurrent ou tendanciel qui anime une grande partie d’une société fondée sur l’immigration. Si sur certains points on peut nuancer cette thèse : depuis les années 1980 le Danemark, la Finlande et la Suède épargnent moins que les Américains et les Britanniques, Sheldon Garon a lancé une discussion majeure. C’est donc à participer à ce grand débat, dans la perspective d’une histoire transnationale, qu’à mon avis le livre de Sabine Effosse nous invite. Par ses comparaisons internationales, sa prise en compte des recherches dans d’autres sciences sociales, sa vision large du sujet, ses résultats sur la période de forte croissance dans l’Europe d’après-guerre, sur l’histoire du crédit et sur celle de la consommation, sur l’évolution de la prise de risque au sein de l’État comme des entreprises, il permettra à ses lecteurs et lectrices de penser autrement les rapports entre Europe et États-Unis et ce dont la financiarisation est devenue un élément essentiel : les arbitrages entre présent et avenir.
Notes de bas de page
1 Bien que, selon l’usage, cette préface n’engage que son auteur, il m’est apparu utile d’y incorporer les réflexions des autres membres du jury réuni le 26 novembre 2011 à l’université de Paris-Ouest-Nanterre-La-Défense en vue d’une habilitation à diriger des recherches en histoire : Laurence Fontaine, Youssef Cassis, Olivier Feiertag, Michel Lescure et Michel Margairaz.
2 J. Le Goff, Un long Moyen Âge, Paris, Hachette, 2011.
3 L. Fontaine, « En lisant les HDR », Entreprises et Histoire, n° 66, avril 2012, p. 241-246.
4 A. Albert, « Le crédit à la consommation des classes populaires à la Belle Époque », Annales HSS, octobre-décembre 2012, p. 1049-1082.
5 J. Coffin, “Credit, Consumption, and Images of Women’s Desires : Selling the Sewing Machine in Late Nineteenth-Century France”, French Historical Studies, Spring 1974, p. 749-783 ; A. Gordon, Fabricating Consumers : The Sewing Machine in Modern Japan, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2012, notamment p. 45-50 ; J. Levine, Credit where it is due : A social history of credit in America, PhD thesis in American studies, New York University, 2008, notamment p. 95-97.
6 P. Fridenson, “French Automobile Marketing, 1890-1979”, in A. Okochi and K. Shimokawa (eds.), Development of Mass Marketing. The Automobile and Retailing Industries, Tokyo, University of Tokyo Press, 1981, p. 130 et 134-135.
7 G. Hatry, Louis Renault patron absolu, Paris, Éditions Lafourcade, 1982, p. 208, à compléter par E. Fuchs, Louis Renault, Boulogne-Billancourt, Société Anonyme des Usines Renault, 1935.
8 S. H. Clarke, Trust and Power : Consumers, the Modern Corporation, and the Making of the United States Automobile Market, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 121 et 123.
9 M. Lévy-Leboyer, P. Fridenson, V. Rostas, Une entreprise dans le siècle. Histoire du groupe Thomson, Jouy-en-Josas, Campus Thomson, 1995, p. 34.
10 I. Gaillard, La télévision. Histoire d’un objet de consommation 1945-1985, Paris, Éditions du CTHS-INA Éditions, 2012, p. 85.
11 S. Effosse, L’invention du logement aidé en France. L’immobilier au temps des Trente Glorieuses, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2003.
12 Auditeur à la Cour des comptes, Henry Davezac a créé le Syndicat général de la construction électrique en 1928. Son rôle dépasse le secteur : il a été un des animateurs de la revue Les nouveaux cahiers, puis, après-guerre, un des deux principaux artisans de la fondation du CNPF.
13 A. Hirschman, Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995.
14 P. Fridenson et I. Tournier, La 4 CV au Salon de l’auto 1946, Paris, La Documentation française, 1987 ; E. Fesneau, Le poste à transistors à la conquête de la France. La radio nomade (1954-1970), Paris, INA Éditions, 2011.
15 « Le crédit à la consommation aux États-Unis », Études et Conjoncture, n° 4, 1954, p. 359-385.
16 E. R. A. Seligman, Étude économique de la vente à tempérament. Étude du crédit à la consommation, avec référence spéciale à l’automobile, par Edwin R. A. Seligman. édition française par les soins de G. Lecarpentier, 2 vol. , Paris, Marcel Rivière, 1930. C’est à tort que p. 359 l’auteur de l’INSEE date l’édition originale de 1926 au lieu de 1927.
17 S. H. Clarke, Trust and Power…, op. cit., p. 129-138.
18 C. Conrad, « Observer les consommateurs. Études de marché et histoire de la consommation en Allemagne, des années 1930 aux années 1960 », Le Mouvement Social, janvier-mars 2004, p. 17-39.
19 W. B. Newsome, French Urban Planning 1940-1968 : The Construction and Deconstruction of an. Authoritarian System, New York, Peter Lang, 2009.
20 F. Tristram, Une fiscalité pour la croissance. La direction générale des Impôts et la politique fiscale en France de 1948 à la fin des années 1960, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005.
21 M. Kipping, « Concurrence et compétitivité. Les origines de la législation anti-trust française après 1945 », Études et Documents, VI, 1994, p. 429-455.
22 M.-E. Chessel, Consommateurs engagés. La Ligue sociale d’acheteurs, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, p. 125-147.
23 P. Garenc, L’industrie du meuble en France, Paris, PUF, 1958, p. 545-547.
24 P. Fridenson, “French automobile marketing”, art. cité, p. 145-146 ; C. Malaval, 70 ans DIAC. Pas mal pour un début !, Boulogne-Billancourt, DIAC, 1994 ; J.-L. Loubet, Citroën, Peugeot, Renault et les autres. Histoires de stratégies d’entreprises, Boulogne-Billancourt, ETAI, 1999, p. 223-226.
25 J. Tissier, « La Banque commerciale à Paris, 1930-1970 », in B. Desjardins et alii (dir.), Le Crédit lyonnais 1863-1986. Études historiques, Genève, Droz, 2003, p. 267.
26 B. O. Weitz, Die Schutzgemeinschaft für allgemeine Kreditsicherung (SCHUFA). Eine Fallstudie für den Wirtschaftsunterricht, Universität Halle-Wittenberg, Institut für Betriebswirtschaftslehre, 2002.
27 S. Garon, Beyond Our Means : Why America Spends While the World Saves, Princeton, Princeton University Press, 2011.
28 R. Martin, Financialization of Daily Life, Philadelphie, Temple University Press, 2002.
29 « Le crédit à la consommation aux États-Unis », art. cité, p. 359, et commentaires de mon collègue Hartmut Berghoff (German Historical Institute in Washington).
Auteur
École des hautes études en sciences sociales
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