Précédent Suivant

Introduction

p. XIII-XVI


Texte intégral

1En 1997, le Comité pour l’histoire économique et financière de la France a publié le premier volume des entretiens réalisés auprès de Roger Goetze (6 décembre 1912-3 août 2004)1. Une décennie après, c’est le second volume de ces entretiens qui paraît, suivant en cela la volonté de l’interviewé. Ce volume porte sur la deuxième partie de la carrière de Roger Goetze. Il couvre les fonctions exercées par ce dernier comme sous-gouverneur puis gouverneur du Crédit foncier de France (1957-1977), ainsi que celles exercées comme président du Groupe central des villes nouvelles (1970-1988). Avant de présenter le rôle de Roger Goetze dans le financement de la construction, de logements dans le cadre du Crédit foncier, et de villes dans celui du Groupe central, il convient de préciser au préalable les conditions d’élaboration de ce document.

2Ces entretiens s’inscrivent dans l’une des missions essentielles du Comité pour l’histoire économique et financière, la collecte sur le mode biographique du témoignage des anciens responsables du ministère des Finances, mission mise à l’honneur lors de la célébration de son vingtième anniversaire2. Les entretiens de Roger Goetze, réalisés en ce qui concerne ce second volume en juillet 1989 dans les locaux de la Compagnie bancaire à Paris par l’archiviste-orale Agathe Georges-Picot, font ainsi figure d’œuvre pionnière3. Ils répondent à la méthode de l’entretien semi-directif, apte à éveiller la mémoire du témoin tout en conservant la spontanéité du propos, les questions n’étant pas connues par avance. Destinés à alimenter une « banque de données » sur l’histoire économique et financière de la France, leur publication n’était a priori pas envisagée4. Aussi la lecture du présent document pose-t-elle légitimement la question du lien entre la version orale, enregistrée, et la version écrite. Celle-ci résulte de la transcription littérale des entretiens, le style parlé est conservé, et de la recomposition du texte en chapitres thématiques, nécessaire au cadre éditorial retenu5.

3Dans la continuité chronologique du premier volume, les entretiens présentés ici évoquent l’activité de banquier de la construction ou de « financier bâtisseur » de Roger Goetze. Bâtisseur de logements en premier lieu. Présidant le Crédit foncier de France durant vingt et un ans, il est à ce titre un acteur majeur de la politique ambitieuse de construction de logements inaugurée par le Plan Courant en 19536. Créés en Algérie alors que Roger Goetze y est directeur général des Finances, les prêts spéciaux à la construction, garantis par l’État et distribués par le Crédit foncier en France à partir des années 1950, concourent à la résorption d’une crise du logement particulièrement aiguë au sortir de la guerre. Ainsi, dans cette première partie de l’ouvrage, Roger Goetze s’attache à présenter la création de ce « tiers secteur » de financement, ni tout à fait public (distinct des HLM), ni tout à fait privé (apport d’une aide publique), qui fait la fortune de l’établissement qu’il dirige, mais également d’un grand nombre de Français qui, grâce à ces prêts, accèdent souvent pour la première fois à la propriété. L’essor puis la mutation de ce principal secteur de financement du logement dans les années 1950 et 1960, mutation due au changement de politique économique générale, sont également développés par l’interviewé. Établissement bancaire semi-public, le Crédit foncier est en effet étroitement dépendant des objectifs de son autorité de tutelle, le ministère des Finances, et plus particulièrement au sein de celui-ci, de la direction du Trésor. Le désengagement progressif de l’État dans le financement du logement implique ainsi une évolution de l’activité du Crédit foncier davantage orientée vers le secteur concurrentiel. Cette évolution n’est pas sans incidence sur l’organisation interne de l’établissement. Le gouverneur Goetze joue dans ce domaine un rôle de premier plan. Œuvre bien connue d’un ancien directeur du Budget, il réforme les carrières du personnel et les conditions de recrutement, créant « une très belle grille ». Puis, il inaugure la politique de décentralisation du Crédit foncier, orientation stratégique à ses yeux, propre à accompagner une conversion qu’il juge nécessaire, celle d’une « administration douillette en une véritable banque de la construction, active et dynamique ».

4Bâtisseur de logements, Roger Goetze a été également un bâtisseur de villes. Ce changement d’échelle s’opère « naturellement » et les deux activités se recoupent. En effet, construire des logements mais où ? Avant tout là où la demande est forte, c’est-à-dire en ville, en particulier en région parisienne. Longtemps rurale, la France s’urbanise rapidement après 1945. Dans l’urgence, la politique de construction de logements tient lieu de politique urbaine. Mais les déséquilibres régionaux, dénoncés dans l’ouvrage du géographe Jean-François Gravier, Paris et le désert français7, ainsi que le mitage de l’espace par les grands ensembles, font que l’aménagement du territoire et l’organisation de la croissance urbaine, notamment parisienne, figurent parmi les priorités du Ve Plan (1965-1970). Très au fait des questions de logements, Roger Goetze accepte de prendre la présidence du Groupe central de planification urbaine chargé d’examiner les possibilités de développement et d’aménagement des « métropoles d’équilibre ». C’est pour ce haut fonctionnaire des Finances la découverte d’un nouveau domaine encore méconnu à l’époque considérée, l’urbanisme. Cette aventure initiée en 1965 se prolonge pendant plus de vingt ans. En effet, alors que Paul Delouvrier, « père fondateur » des villes nouvelles françaises, quitte la préfecture de la région parisienne et le District (1969), Roger Goetze prend la présidence du Groupe central des villes nouvelles chargé de coordonner le financement du projet. Ainsi, comme se plaît à l’évoquer l’interviewé « il [Paul Delouvrier] a inventé les villes nouvelles et je les ai financées ». Les relations de Roger Goetze, ancien directeur du Budget, ont constitué un atout indéniable dans la collaboration instaurée avec la direction du Budget, alors principal interlocuteur du Groupe central. La compétence et le « côté gentleman farmer » ont séduit les élus concernés. Pour l’interviewé, la présidence du Groupe central, une équipe resserrée animée d’un esprit de « mission », constitue une aventure humaine qu’il se plaît à rapprocher de celle vécue en Algérie lors de la présidence de la SNREPAL, moments qu’il juge « les plus passionnants » de sa carrière.

5Si l’émotion est perceptible dans ces entretiens, les développements techniques n’en sont pas absents. Fidèle à son esprit de précision, Roger Goetze s’attache également à présenter de façon détaillée les procédures de financement du logement et des villes nouvelles. Complexes voire abscons pour le public non averti, ces développements techniques ont nécessité la mise en place d’un appareil critique relativement fourni. Ce dernier s’appuie sur la consultation d’archives écrites et orales ainsi que sur une bibliographie renouvelée par des travaux de recherche récents8. Puisse-t-il fournir un éclairage utile à la compréhension d’un témoignage dont les deux thèmes principaux, le logement et la ville, conservent une actualité brûlante.

Notes de bas de page

1 Cf. Entretiens avec Roger Goetze I, Haut fonctionnaire des Finances, Rivoli -Alger - Rivoli, 1937-1958, Texte établi, présenté et annoté par Nathalie Carré de Malberg, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1997. Ce premier volume porte sur sa carrière dans l’administration des Finances et à la présidence de l’entreprise publique, la SNREPAL.

2 Le Comité a été créé en 1987 (Journal officiel du 6 août 1987) par le ministre des Finances de l’époque, Édouard Balladur. La constitution d’archives orales figure comme l’une de ses premières missions, cf. Florence Descamps, L’historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2001, p. 191-195. À l’occasion de son vingtième anniversaire, le Comité a édité Les voix des Finances. De hauts fonctionnaires racontent la vie économique de la France, 1945-1969 qui est un florilège extrait des 3 000 heures d’archives orales rassemblées depuis vingt ans.

3 Le témoignage présenté ici découle des trois entretiens accordés par R. Goetze à A. Georges-Picot, les 21,26 et 27 juillet 1989. R. Goetze ayant donné son autorisation pour leur audition, ils sont consultables au Comité.

4 Cf. les remarques méthodologiques formulées par N. Carré de Malberg lors de la publication du premier volume Entretiens avec Roger Goetze I, p. V-VI.

5 La transcription littérale de l’ensemble des entretiens de R. Goetze était destinée à l’origine à ses seuls descendants. En 1995, R. Goetze a accepté que ces entretiens soient publiés. Il a relu la transcription de ces derniers et a corrigé un certain nombre d’erreurs. Le document présenté infra est une recomposition de la transcription effectuée après suppression ou déplacement de certains passages indiqués par le signe [...].

6 Le plan Courant, du nom du député maire du Havre, Pierre Courant (1897-1965), ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme (8 janvier-27 juin 1953), dont l’objectif est la réalisation de 240 000 logements par an, augmente l’aide publique à la construction par la création des Logécos (logements économiques et familiaux) et développe les financements complémentaires (institution des comptes d’épargne-construction et projet de généraliser la participation des employeurs à l’effort de construction).

7 Jean-François Gravier, Paris et le désert français, Éd. du Portulan, 1947.

8 L’ensemble des références est indiqué dans les notes infra.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.