Chapitre III. Les réformes de Roger Goetze à la direction du Budget, les relations avec le Parlement et le décret de 1956
p. 237-254
Texte intégral
Alors que vous dire de la direction du Budget elle-même ? Je vous ai expliqué son personnel. Quelles modifications y ai-je apportées ? [...]
J’ai créé le premier bureau. Le premier bureau devait concerner les recettes comme le deuxième, les dépenses. C’était lui qui faisait l’évaluation des recettes et c’était indispensable car, à ce moment-là, il n’y avait pas de direction de la prévision. C’était un agent très fin, Monsieur Rossard1. Un jour, j’ai eu un drame pour remplacer Monsieur Chadzinski qui avait fait son temps à la tête du 2e bureau2. Entre Rossard et Martinet, deux éléments de premier plan, c’était difficile de choisir. Alors j’ai créé le le premier bureau avec Rossard pour les recettes et Martinet a eu le deuxième3. Il devait être ultérieurement le deuxième de mes successeurs, vous le savez. Et Rossard, nommé ambassadeur à Brazzaville, a fait une belle carrière dans la diplomatie. Mais ce bureau n’était pas seulement le bureau des recettes. C’était celui des études4. Quand on s’est occupé, plus tard, de la RCB, c’était après moi - il s’agit de la rationalisation des choix budgétaires -, c’est ce bureau qui s’en est occupé. Il avait la particularité de n’être pas exclusivement composé comme les autres d’administrateurs civils du Ministère, car on ne voulait pas de l’Inspection des Finances dans cette direction autrement que comme directeur. Mais maintenant, c’est un peu différent5. Je voulais qu’il y ait des éléments extérieurs à la direction proprement dite qui, dans ce premier bureau, feraient des études, des suggestions de réformes, étudieraient des changements. Il avait la particularité donc d’être composé, en dehors de Rossard, de deux personnes allogènes c’est-à-dire qu’il y avait un inspecteur des Finances ou un membre de la Cour des Comptes et un ingénieur des Ponts ou des Mines ayant voulu concilier les deux grands corps financiers et techniques, ça ne vous étonnera pas6. J’ai eu successivement des ingénieurs des Ponts assez connus. Le premier, Monsieur Viala a été pendant très longtemps président de l’Association technique des importations charbonnières. Puis j’ai eu Fontaine, à Paribas ensuite, et Laure qui a terminé comme préfet, directeur régional de l’Équipement d’Ile-de-France, avant de pantoufler. C’était un gros morceau. Il y a eu, du côté financier, Monsieur Delmas qui est maintenant inspecteur général à la retraite7. Il y a eu surtout Monsieur Pallez. Pourquoi surtout Monsieur Pallez ? Parce que c’est mon successeur comme président du Groupe central des villes nouvelles. Cela veut aussi dire que nous nous connaissons depuis très longtemps8. Donc c’était une cellule qui s’efforçait de concilier la technique et la finance et dont les membres ont été particulièrement choisis. Cela a continué puis la direction du Trésor s’est mise à faire la même chose pour son propre compte. Mais en même temps, elle est allée beaucoup plus loin et elle a créé de toutes pièces un « service des études financières »9. Il s’agissait vraiment d’études financières très générales et étendues, fort différentes de mes préoccupations budgétaires ou des préoccupations de trésorerie10. Je faisais assister mon ingénieur des Ponts ou des Mines aux discussions des budgets d’équipement avec l’idée que, peut-être, il pourrait apporter quelques idées qui ne soient pas exclusivement budgétaires, mais aussi d’ordre technique mais toujours dans le cadre du budget11. Tandis que Bloch-Lainé qui est un homme vraiment d’avant-garde, de progrès, comme il l’a montré ensuite à la Caisse des Dépôts, avec le concours de Gruson,12 a créé un service distinct d’Études financières qui est devenu ultérieurement la direction de la Prévision, en même temps que se renforçait de son côté l’INSEE13 avec Closon puis Gruson. J’ai eu quelques directeurs civils avec qui je m’entendais parfaitement.
C’est une époque où il y a une sorte d’effervescence très grande dans l’appareil statistique.
Exactement mais j’en ai peu profité.
Ce premier bureau avait pour tâche de fournir des projets, des études ?
De faire des études de son propre chef mais plutôt celles qu’on lui commandait d’après les sujets d’actualité. Elles pouvaient porter aussi bien sur l’équilibre de la Sécurité sociale que sur la création de l’usine marémotrice de la Rance ou de la construction du France14. En fait, j’ai regretté de n’avoir pas un triptyque, un inspecteur des Finances dégagé du métier du budget à proprement parler, un représentant des grands corps techniques, un ingénieur des Tabacs, des Postes, des Ponts ou des Mines et j’aurais voulu aussi avoir un grand spécialiste dans le social mais je n’ai pas trouvé. Il n’y avait pas de grands corps dans le social, sauf peut-être dans l’Inspection du Travail. Je sais qu’on porte son métier aux nues mais je n’ai jamais su quel était vraiment son rôle15.
Comment les fonctions de ce premier bureau étaient-elles assumées précédemment ?
Elles ne l’étaient qu’en cas de besoin.
Et pour les recettes ? C’est la direction du Budget qui évalue les recettes ? La direction générale des Impôts ne le fait-elle pas de son côté ?
Si, bien sûr. Et puis maintenant la direction du Budget, je crois, ne le fait plus, puisqu’il y a la direction de la Prévision et le service de la Législation fiscale16. De mon temps, il y avait parfois des divergences entre les évaluations de la DGI et celles du premier bureau, c’est-à-dire de Rossard. Je m’efforçais alors de les concilier et très souvent c’est Rossard qui avait raison17. Il faut en effet évaluer les recettes dans l’idée qu’on se fait de la conjoncture et pas de ce qu’est la fiscalité à proprement parler. La direction générale des Impôts continuait avec toutes les Régies encore très centrées sur leurs propres évaluations et leurs propres rôles. Il n’y avait pas de service de Législation fiscale, mais seulement deux inspecteurs éminents à la direction générale des Impôts qui étaient en somme les prévisionnistes de la direction générale des Impôts. C’étaient eux qui faisaient les évaluations. Ils n’étaient pas très nombreux18 [...].
Y a-t-il eu des évolutions, introduites dans les années cinquante, dans le statut du personnel de la Fonction publique ? Par exemple, la création de nouvelles catégories de personnels, des rémunérations qui seraient venues rompre l’homogénéité de la grille de la Fonction publique ?
Non. Je croyais que vous alliez évoquer la seule réforme dont j’ai été très fier et qu’on a acceptée pour mon départ en faveur des hauts fonctionnaires. On a créé de nouvelles échelles lettres qui avaient le mérite d’élargir l’éventail à partir de l’indice 650 et notamment d’augmenter le dernier indice 800, sommet auparavant de la hiérarchie administrative. On m’a dit nettement que ce serait mon cadeau de départ de la Fonction publique. On a donc créé les échelles lettres A à G, donc sept échelons dont le premier correspondait à peu près à l’ancien indice 800 et qui allait au-delà parce que j’avais fait remarquer que dans tous les pays, et également dans le privé, la rémunération théorique du vice-président du Conseil d’État qui est au sommet de la hiérarchie, et donc à l’indice G maintenant, pouvait être tout de même supérieur à 10 000 francs de l’époque par mois19.
Était-ce lié au mouvement de départ vers le secteur privé relativement important ?
Ces départs ont existé de tout temps20. Les inspecteurs des Finances étaient bien connus pour cela, pour « pantoufler » au bout de cinq ans de carrière. On ne pouvait pas le faire plus tôt21.
Vous avez introduit d’autres réformes ?
Alors j’ai fait une réforme, il y a longtemps et elle vit toujours. Ce fut la séparation d’entre le budget ordinaire et le budget extraordinaire22 et la grande division du budget des dépenses, en « titres ». La numérotation actuelle des chapitres est restée celle que j’avais faite en 1951 ou 1952, enfin dans les débuts. En effet c’était alors un vrai fouillis que la nomenclature budgétaire, on ne s’y reconnaissait pas23. J’ai donc proposé de diviser le budget en titres. Le titre I, c’était la dette. Le titre II, c’étaient les pouvoirs publics, c’est-à-dire le Président de la République et les deux Assemblées et le Conseil économique. Pourquoi ? Parce que c’étaient des dotations sur lesquelles nous n’avions rien à dire. La direction du Budget inscrivait, sans les discuter, les chiffres qu’on lui donnait. Ensuite le titre III, c’étaient les dépenses de fonctionnement proprement dites. Le titre IV, c’étaient les interventions publiques, c’est-à-dire des subventions de fonctionnement peut-être mais exécutées non par l’État mais par des tiers. C’étaient les dépenses sociales par exemple. On passait au budget extraordinaire avec le titre V qui concernait les investissements faits directement par l’État. Le titre VI rassemblait les investissements subventionnés par l’État et exécutés par d’autres. Puis il y a eu un titre VII qui était la réparation des dommages de guerre et qui a disparu. Et un titre VIII qui était théoriquement les comptes spéciaux du Trésor. Alors cette répartition entraînait une numérotation à quatre chiffres dont le premier était celui du titre et le deuxième donnait la nature de la dépense. C’est-à-dire par exemple dans les dépenses de fonctionnement, le 31 c’était le personnel, le 32 ça devait être des dépenses de matériel, 33 les dépenses diverses. Plus les deux derniers chiffres, c’étaient les numéros de chapitre, dans chaque Ministère séparément24.
C’est vous le père de cette nomenclature.
C’est moi qui l’ai faite oui mais [...]
De beaucoup le plus important c’est le décret de 1956 qui était un décret-loi25. [...] A ce sujet, il faut parler des relations avec le Parlement. N’oublions pas que c’était alors la IVe République et qu’elle nous a valu des moments très difficiles. Vous savez qu’à ce moment-là, le Parlement d’abord ne se composait pratiquement que de l’Assemblée nationale puisque le Conseil de la République donnait un avis que l’Assemblée nationale acceptait ou rejetait ou prenait en considération en partie. Il n’y avait que deux lectures. Il n’y avait qu’une lecture au Conseil de la République et c’était un avis. Alors disons que le Conseil de la République n’a pas joué très bien le rôle qu’il aurait dû jouer de chambre de réflexion pour l’Assemblée nationale. Sachant que de toute façon il ne donnait qu’un avis, il a été souvent aussi démagogique, sinon plus, que l’Assemblée nationale. Alors on ne pouvait guère en attendre un concours26. Et quant à l’Assemblée nationale, il ne faut pas oublier que, sous la IVe République, les Assemblées fixaient elles-mêmes leur règlement sans contrôle et même sans concours gouvernemental. C’était donc l’Assemblée nationale qui fixait la durée de ses sessions et elles pouvaient durer toute l’année. Les séances se déroulaient très souvent de nuit. Comme en plus n’existait pas l’article 17 de l’actuelle Constitution qui réserve l’initiative des dépenses au Gouvernement, il n’y avait comme garde-fou qu’un certain article 48 du règlement de l’Assemblée nationale, 40 du règlement du Sénat à cette époque. C’est cet article 48 qui a été le début de ce que l’on a appelé la loi des maxima27. Lors du vote du budget, on ne pouvait pas engager de dépenses supplémentaires sans procurer une recette ou une économie correspondante. C’était la façon dont on avait suppléé à ce qui devait être ultérieurement l’article 17 de la Constitution, donc un règlement de l’Assemblée. Mais ceci ne s’appliquait que pendant le vote du budget et, hors du vote du budget, c’est ce qui est le plus invraisemblable, les députés avaient librement l’initiative des dépenses28. De sorte que la direction du Budget devait être alertée en permanence de ce qui se passait à l’Assemblée. J’avais « un agent administratif », Hiernard, qui a d’ailleurs été nommé ensuite percepteur et détaché à la Présidence de la République29. C’était un garçon bien, qui était en permanence à l’Assemblée, et dont le rôle était de collecter et de lire les amendements qui étaient déposés et de me prévenir. Quant à moi, j’avais toujours ma voiture devant la porte de mon domicile quand je m’y trouvais. Quand il me téléphonait à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, si je n’étais pas dans mon bureau ou à l’Assemblée, on m’appelait chez moi. Et Hiernard me disait : « Monsieur le directeur, voilà, il vient d’être déposé un amendement dont je crois que le Ministre intéressé, le gouvernement n’avait pas le droit d’amendement, doit en être l’auteur par derrière mais je vais vous le lire. » Bon, alors, j’écoutais et puis je disais : « Bon, bien, ça va, ce n’est pas grave ». Ou bien : « Non ce n’est pas possible et dites bien au Ministre qui est au banc, qui n’était généralement pas le Ministre auteur et bénéficiaire de l’amendement, dites-lui bien que j’arrive tout de suite mais que, si je n’y suis pas à temps, qu’il oppose l’article 48 ». Ils n’aiment pas ça, les Ministres, faire opposer l’article 48 à un collègue. Alors quand j’arrivais, il me fallait trouver le président ou le rapporteur général de la commission des Finances puisque l’un ou l’autre de ces deux importants personnages devaient constater l’applicabilité de l’article 48 à l’amendement en question. Il s’agissait de Paul Reynaud d’une part comme président30 et, comme rapporteur général, j’ai connu Leenhardt. Leenhardt socialiste et Barenge, MRP31. Alors voilà, le Ministre qui était au banc disait à regret : « le gouvernement demande l’application de l’article 48 ». M. Paul Reynaud se levait et disait : « L’article 48 est applicable ». A ce moment-là, le Président de l’Assemblée ne pouvait dire qu’une chose « l’amendement est disjoint ». « Hou hou » faisait-on sur les bancs. Oui, mais, ça s’est tellement reproduit souvent et à n’importe quelle heure du jour et de la nuit que je dois dire, qu’au bout de sept ans et demi au Budget, j’étais quand même assez fatigué. Ce n’est plus un record. Mon record à été battu par Monsieur Renaud de La Genière qui est resté huit ans et quatre mois. Mais jusque-là, aucun directeur du Budget n’était resté plus de cinq ans32.
Et lui a vécu la plupart de ses mandats sous la Cinquième République.
Ce qui était tout à fait différent et à ma grande surprise, il n’allait même pas à l’Assemblée pour les discussions du budget. Autres temps, autres moeurs, tant mieux pour le travail parlementaire33.
Sous la Quatrième, ce qui est usant, c’est la présence exigée.
Exigée, permanente, personnelle parce que j’avais évidemment, là aussi, une influence personnelle. On me connaissait et tout le monde me connaissait. Quand on me voyait arriver : « Ah le voilà ! ». Bon alors on peut s’en aller. Parce qu’ils savaient qu’effectivement, mais très gentiment, je m’opposais efficacement à toutes les majorations de charge. Enfin je n’ai jamais eu à me plaindre d’aucun député. Non, ça a été très correct de toute façon.
Vous avez fait allusion au comportement des parlementaires de la Quatrième République et vous avez dit aussi, dans les entretiens sur l’Algérie, que ça avait été une grande désillusion de voir l’attitude des parlementaires français face aux intérêts du pays.
Face aux intérêts de l’État, je n’ai pas dit de la Nation.
J’aimerais que vous développiez un petit peu à quelle occasion vous avez constaté cela.
Ne généralisons pas. Mais un maire et généralement les conseillers municipaux et plus encore les conseillers généraux se soucient des intérêts patrimoniaux du département ou de la commune, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’en profitent pas, qu’ils ne fassent pas aussi, de temps en temps, danser l’anse du panier. Les collectivités qu’ils administraient alors et qu’ils gouvernent maintenant, ils les défendent avant tout. Les présidents des conseils généraux, qui sont très largement restés, ou devenus, des patrons, sont exigeants pour l’intérêt de leur département. Mais par contre, j’ai très rarement vu les intérêts propres de l’État défendus à l’Assemblée nationale34. Au Sénat, ils le sont un peu plus mais, quand c’était le Conseil de la République, tous les abus étaient possibles étant donné que l’Assemblée avait le dernier mot dans une seconde lecture où elle devait accepter, ou rejeter, l’avis du Conseil. Elle rejetait, donc le Conseil de la République s’en fichait et disait n’importe quoi ou à peu près. Le Sénat, par contre, se souciait de ces intérêts sous la Troisième République et c’était évident. Mais sous la Quatrième, sous la Cinquième, je crois que c’est la même chose, on voit assez rarement députés et sénateurs adopter les intérêts de l’État qu’essaye de défendre le gouvernement devant la masse des intérêts particuliers qu’ils représentent par ailleurs. L’État, c’est pour eux un anonyme, on ne sait pas qui c’est. Ce n’est pas une personne qui vote. Et vous voudriez que les députés et les sénateurs administrent l’État comme ils administreraient leur propre société ? A mon retour à Paris, j’avais été très étonné de cela parce qu’aux Délégations financières algériennes puis à l’Assemblée algérienne, les « Délégués », c’était leur dénomination officielle, géraient le budget de l’Algérie comme ils l’auraient fait pour leur département. Ils défendaient sérieusement les intérêts de l’Algérie35. Tandis que là, quand je suis arrivé à Paris, j’ai eu l’impression que c’était la foire d’empoigne un peu généralisée, et que l’Etat n’avait aucun défenseur.
Est-ce que vous ne pensez pas qu’il y avait dans ce manque de sérieux, dans la prise en compte des intérêts de l’État, un problème d’incompétence, par exemple économique ?
Ils ne se trompaient pas pour la « défense des intérêts particuliers ou des leurs propres ». Il est certain que le Parlement délibère d’affaires beaucoup plus complexes que celles du maire d’une commune, voire d’un président de conseil général, c’est évident. Qu’une politique supérieure les conduise à prendre des positions dispendieuses à l’égard de l’État, cela se comprend très bien quand c’est une politique, disons, d’ordre national, mais ce qu’on ne faisait pas suffisamment, et ce que maintenant les textes ont obligé le plus souvent à faire, c’était d’en assurer le financement. J’ai vécu cette Quatrième République où l’on savait financer par l’accroissement du déficit budgétaire essentiellement. C’est tout. On ne s’en occupait pas36. Sauf l’article 48 du règlement qui obligeait à réfléchir, mais quand on pouvait l’opposer. Et comme on ne pouvait pas l’opposer au cours de la discussion budgétaire, c’était bien difficile.
Est-ce qu’il n’y avait pas aussi un très grand décalage entre les préoccupations des responsables de l’Administration qui étaient plus compétents, par exemple en économie ou en finance, et les parlementaires ?
Oui, mais enfin les administrateurs étaient là pour donner des conseils, pour se faire entendre mais ne se faisaient entendre que du Gouvernement. C’est bien évident. J’ai failli, une fois, être obligé de prendre la parole devant l’Assemblée parce qu’il n’y avait pas de Ministre, il n’y avait rien. Alors on a appelé le commissaire du gouvernement. Heureusement un Ministre, incompétent par ailleurs en la matière, étant arrivé au banc, j’ai dit « Pardon Monsieur le Ministre, voulez-vous bien répondre ceci ». Parce que les commissaires du gouvernement, à la différence de mon cas en Algérie, n’étaient que de grands muets37. Mais en Algérie, il n’y avait pas de Ministre en droit. C’étaient les commissaires du gouvernement qui étaient les Ministres en fait.
Du fait des institutions, vous avez travaillé beaucoup avec la commission des Finances de l’Assemblée ?
Avec la commission des Finances de l’Assemblée oui, mais pas directement. Je ne sais pas ce que mes successeurs ont fait ou ont pu faire car toutes ces relations se sont beaucoup politisées, bien plus que ce n’était encore le cas de mon temps. J’allais voir de temps en temps le rapporteur général de la commission des Finances et j’avais la possibilité de le faire, mais pas sans en avoir avisé le Ministre. Enfin, du moins, moi je ne le faisais pas parce que ce n’était pas conforme à la déontologie de la fonction. Mais il y avait beaucoup de difficultés sous la Quatrième République parce que le Gouvernement et l’administration n’avaient que cet article 48 du règlement pour se défendre et ce n’était pas souvent suffisant parce que les Ministres parfois se laissaient convaincre et c’est comme ça qu’on est arrivé à des « impasses » intolérables. Comme ces budgets qu’on a dû boucler avec les 700 milliards d’impasses acceptées par les Américains pour le budget de 195838. Il fallait à tout prix s’efforcer d’éviter la continuation de ces difficultés.
Et c’est ainsi que j’ai été directement mêlé à une construction juridique assez inhabituelle. Les deux assemblées ont voté en 1955 un texte curieux que le Conseil constitutionnel, s’il avait existé, aurait probablement annulé, qui disposait qu’un décret pris sur le rapport du Ministre de l’Économie et des Finances, après l’accord des commissions des Finances des deux Assemblées, aurait force de loi pour régler le mode de présentation et de vote du budget39. Et c’est ainsi qu’un décret du 11 juin 1956 à été pris, dont on retrouve la trace presque intégrale dans l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique sur les lois de Finances. Ce décret de 1956 a été une anomalie juridique puisque c’est moi et moi seul qui l’ai défendu devant les commissions des Finances des deux Assemblées et qui ai fait la « navette » entre elles. Puisque c’était les commissions des Finances et non pas les Assemblées qui étaient compétentes, le Ministre des Finances et du Budget ne s’est pas dérangé bien que ce soit lui qui le signe, mais ce n’était pas une loi, c’était un décret-loi. La procédure a duré trois à quatre semaines. Premier texte avec premier vote de la commission des Finances de l’Assemblée puis Sénat, modifications, retour devant la commission des Finances de l’Assemblée et cela pendant deux ou trois retours car il n’y avait pas urgence, et finalement j’ai obtenu l’accord formel des deux commissions des Finances sur ce décret qui devait comporter à peu près l’essentiel de ce qu’on retrouvera plus tard dans l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique sur les lois de finances que je me suis trouvé avoir également à défendre, puisque j’étais au cabinet du Général de Gaulle à ce moment-là.
Il y a continuité entre les deux.
Il y a eu en effet beaucoup de continuité entre les deux. Mais, entre-temps, il y a eu changement de Constitution, ce qui modifiait fortement le texte bien évidemment40. Et puis, quelques progrès d’ailleurs, que mon successeur au Budget, Gilbert Devaux avait fait apporter au texte primitif41. C’est de cette façon qu’on s’est défendu pour chercher à ne pas être débordé par ce qui pouvait être de la démagogie ou de l’inexpérience. [...]
C’était si vous voulez toute la procédure à la fois de préparation, de vote et d’exécution du budget. C’était donc évidemment un travail important. Mais en dehors de ça, qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai rationalisé certaines présentations. Dans le décret de 1956 et dans l’ordonnance sur les lois de finances, on a fait des distinctions entre les crédits évaluatifs prévisionnels ou indicatifs, tous les autres étant limitatifs42. Vous retrouverez tout cela dans la loi organique mais cela figurait déjà dans le décret de 1956.
Surtout, la grosse question a concerné la procédure de vote du budget. C’est le décret de 1956 qui a institué ce que la loi de 1959 a sacralisé. Si les deux Assemblées ne se sont pas prononcées au bout de soixante-dix jours après le dépôt du budget, qui doit être déposé le premier jour de la session d’octobre, celui-ci peut être promulgué par ordonnance.
Puis, il y avait surtout la différence à l’intérieur des chapitres entre les mesures acquises « votées » et les mesures nouvelles. Le résultat n’en a pas été très heureux et pourtant c’était bien nécessaire parce qu’on passait un temps fou à revenir sur la totalité des chapitres. Les « services votés » sont maintenant votés en bloc et pour les « mesures nouvelles » les budgets sont votés par titre, par Ministère, et non plus par chapitre. Mais le chapitre reste cependant une unité incontournable. On ne peut pas faire de transfert de chapitre à chapitre. On ne peut faire de transferts qu’à l’intérieur des chapitres entre divers articles mais pas de chapitre à chapitre. On vote par titre mais en appelant les chapitres et finalement il y a un vote sur les chapitres, ce qui quand même gagne du temps, évite les explications de vote, les questions préalables, etc., enfin toutes les procédures réglementaires de retard. D’ailleurs, la Cinquième République a trouvé bien mieux pour éviter les votes avec l’application de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution43, ce qui règle les problèmes. Dans tous les cas, cela a fait disparaître les douzièmes provisoires qui ont cessé d’exister dès le budget de 1957, le dernier que j’ai connu44. Ce qui m’a valu quelque joie et fierté le jour où j’ai entendu Monsieur Paul Reynaud, président de la commission des Finances, dire : « Mes chers collègues, le directeur du Budget va nous quitter. Nous regretterons son départ. La meilleure façon de lui prouver l’estime que lui doit l’Assemblée c’est de voter le budget conformément au décret de 1956 et en temps utile ». Et c’est la première fois, en effet, que le budget, de mon temps, a été voté avant le 31 décembre et dans les conditions justement de ce décret. Cela a été, tout de même, une réforme fondamentale de procédure.
Le budget de 1957, qui est le dernier que j’aie présenté, a été fait selon ces formes, voté selon ces formes-là. Et la direction m’a fait la gentillesse, puisqu’on prévoyait ce qui existe maintenant, que la loi de règlement de l’avant-dernier exercice serait présentée en même temps que le vote du prochain budget, de présenter, mais en blanc il est vrai, la loi de règlement du budget de 195545.
Ce projet, vous l’aviez depuis longtemps dans vos cartons et vous n’arriviez pas à le faire passer ?
J’y avais réfléchi depuis longtemps, mais ce n’est pas moi qui ai déclenché la procédure, cette histoire de décret-loi pris après avis conforme des commissions des Finances des deux Assemblées, ce qui n’était pas constitutionnel.
Du point de vue parlementaire, la Cinquième République a aussi introduit le fait qu’il y ait des sessions très déterminées, ce qui a dû améliorer la vie du directeur du Budget ?
Le Parlement ne peut siéger désormais qu’entre octobre et décembre d’une part et avril et juillet d’autre part, à moins que le Président de la République ne décide une des sessions extraordinaires, à objet strictement défini dans la convocation. Tandis que là, c’était l’Assemblée elle-même qui décidait de ses sessions46. C’était donc difficile.
Notes de bas de page
1 Jean Rossard déjà chargé des recettes au B2 conserva ses attributions lorsque Goetze créa le nouveau bureau B1. Il a accordé au CHEFF des entretiens riches et nourris sur sa carrière, notamment au Budget. Il a en outre répondu par écrit à la question de l'influence de la direction du Budget et des budgétaires dans les prises de décisions, influence qu'il juge certaine mais difficile à mesurer donnant quelques exemples pour ce qui le concerne au cours de ses responsabilités successives à B2 puis à la sous-direction des Affaires sociales. Cf. sa communication à la Journée d'études du 10 janvier 1997, La Direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, op. cit. De 1951 à 1959, Rossard alternera ou cumulera une carrière au Budget et des responsabilités en cabinet notamment, ceux de Courant et Gaillard ; après sa carrière diplomatique en Afrique, il dirigera plusieurs TPG de 1966 à 1986 culminant avec le poste de TPG de l'Ile-de-France.
2 Chadzinski, entré au Budget comme rédacteur en 1936, est nommé en 1953 par Goetze sous-directeur de la première sous-direction. En 1956 il commence une carrière de contrôleur des dépenses engagées tout en étant nommé délégué du directeur pour les questions institutionnelles. Entre-temps, lui aussi, avait été en cabinet, directeur adjoint de celui de la Défense nationale notamment.
3 Martinet a marqué les témoins non seulement par ses compétences professionnelles mais aussi par son exceptionnel courage physique devant la maladie. Cf. le portrait qu'en fait Schwall, in « Au fil d'une vie », Études et Documents VIII, art. cit., p. 521 : « Martinet, major, était d'une intelligence fulgurante. Ses yeux semblaient s'allumer lorsqu'il entamait une démonstration. Il rédigeait des notes parfaites au fil de la plume. Il impressionna Roger Goetze pour son abattage au travail. Il fut maître de conférences à l'ENA. Giscard d'Estaing, qu'il impressionna également, le promut directeur du Budget, alors que ce poste était occupé en principe par un inspecteur des Finances. Il sera nommé ensuite président de la société d'Assurances " La Séquanaise " (fusionnée au sein de l'UAP) ». Cf. également, l'entretien de J. d'Arbonneau avec le CHEFF : « Martinet qui, lui, n'était pas inspecteur général des Finances, qui était issu du rang, qui malheureusement a été assez vite ensuite atteint d'une sclérose en plaques, ... comme directeur du Budget c'était quelqu'un d'extraordinaire et qui avait fait surtout quelque chose d'extraordinaire dans la mesure où il avait reçu tous les administrateurs civils, c'est-à-dire pas seulement les sous-directeurs mais également les chefs de bureau, en leur disant : " Comment voyez-vous votre avenir ? Que voulez-vous ? " C'est la première fois que j'ai vu un fonctionnaire au Ministère des Finances se préoccuper de ce que pouvait être les desiderata des collaborateurs ». Martinet entré au Budget en avril 1942 a fait toute sa carrière administrative (plus le cabinet du Ministère de la Défense nationale en 1952-1953) à la première sous-direction. Directeur de juin 1960 à avril 1966, il part ensuite présider la compagnie d'assurances « La Séquanaise » puis vice-présider l'UAP en 1968.
4 Roger Goetze évoque dans un même souvenir deux créations successives. En 1950, il crée le premier bureau de la première sous-direction appelé le bureau d'études animé en effet par Delmas inspecteur des Finances, Gallois administrateur civil, Rossard, et Viala ingénieur des Ponts. Ce premier bureau couvre alors les investissements (Delmas et Viala), les études budgétaires (Delmas, Gallois et Rossard) et l'évaluation des recettes (Rossard et Gallois). Puis en 1953, lorsque Chadzinski devient sous-directeur de la première sous-direction, et Martinet chef du bureau B2, le premier bureau dit bureau d'études budgétaires est alors confié à Rossard et séparé de la première sous-direction pour relever directement du directeur. De leur côté, Delmas et Fontaine ingénieur des Ponts sont chargés des investissements directement auprès du directeur et associés aux travaux de ce bureau... Enfin en 1955 lorsque Martinet est choisi pour succéder à Chadzinski à la tête de la première sous-direction, Rossard est nommé à la tête de la quatrième sous-direction des Affaires sociales. Promotion mais changement de sous-direction. En 1956 le premier bureau B1 dirigé par Mascard réintègre la première sous-direction et s'occupe des investissements avec notamment Fontaine ingénieur des Ponts tandis que sous l'autorité directe du directeur deux autres bureaux sont créés : El chargé des études budgétaires dirigé par Mounier, et E2 chargé d'organisation et rendement dirigé par l'inspecteur des Finances, Pallez. Tout ceci montre que les modifications fréquentes d'organigrammes sont autant dues à des missions nouvelles qu'à une gestion fine des carrières.
5 Cf. ci-dessus. En 1989 il y a en effet 3 inspecteurs des Finances dont le directeur Bouton, le chef du bureau de synthèse, héritier de B2, Mariani, et Véronique Hespel, sous-directeur.
6 Jacques Delmas apporte son témoignage sur le choix d'un ingénieur des Ponts : « Il est apparu au cours de conversations que j'ai eues avec Goetze, que ce serait une bonne chose d'innover par rapport aux habitudes du personnel de la direction du Budget, en confiant les questions d'investissements à un tandem formé d'un inspecteur des Finances et d'un ingénieur. Comme en matière budgétaire le corps des Mines compte peu, maniant très peu d'argent, c'est du côté des Ponts et Chaussées qu'il fallait chercher un ingénieur bien rôdé aux problèmes budgétaires. Quatre noms d'ingénieurs des Ponts et Chaussées ont été proposés par le Ministère des Travaux Publics, et finalement l'un d'eux a été retenu, c'est Albert Viala, qui par un hasard tout à fait extraordinaire était pour moi un condisciple (nous avions fait toutes nos classes secondaires ensemble, ce que je signalai, bien entendu, à Goetze avant sa décision) ». Transcription de l'entretien corrigée par le témoin, au CHEFF, p. 19.
7 Delmas reçu à l'Inspection en 1945 quittera le Budget pour la Sarre comme conseiller financier en 1955. Il sera ensuite en 1960 directeur des Affaires économiques à l'État-major de la défense nationale et réintégrera l'Inspection en 1963.
8 Gabriel Pallez (ENA, IF 1949) a fait une carrière atypique commencée en 1956 au Budget où il assure aussi le secrétariat général du Comité central d'enquête sur le coût et le rendement des services publics en 1957. Directeur adjoint de l'Office des changes en 1958, directeur au Ministère de l'Intérieur en 1959-1960 avec Chatenet, il devient de 1960 à 1969 directeur général adjoint puis directeur général des collectivités locales puis pendant 16 ans, Directeur général de l'Assistance publique à Paris de 1969 à 1985. président du CCF de 1985 à 1987, il assure la présidence depuis 1988 du Comité central des villes nouvelles où il a succédé à Goetze en fonction depuis 1970.
9 Sur le SEEF de 1948 à 1961 on se reportera à l'ouvrage de F. Fourquet, Les comptes de la Puissance, op. cit., à la thèse en cours de Aude Terray, et aux entretiens de Gruson avec le CHEFF. Aude Terray montre comment Claude Gruson et son équipe ont su relever un double défi : innovation intellectuelle et mise en place d'une nouvelle structure administrative au sein du Ministère des Finances, avec le soutien du directeur du Trésor, Bloch-Lainé. Les deux hommes ont au départ pour but l'amélioration de l'information économique et des comptes économiques prévisionnels destinés à éclairer la prise de décision, ce qui aboutira ensuite à la comptabilité nationale. Prenant la suite d'un comité de statistique, présidé par le directeur du Trésor, est créé le 13 octobre 1947, le bureau de la Statistique et des études financières (BSEF). Ce dernier est rattaché à la direction du Trésor en mai 1948, dirigé par Gruson en septembre de la même année, puis érigé en service de la direction du Trésor, le SEEF, en 1952. Il deviendra direction de la Prévision en 1961. La mission que Claude Gruson s'est assigné dès 1949 est non seulement de centraliser les statistiques économiques et financières mais aussi d'établir une comptabilité nationale destiné à préparer un budget économique national, cadre du budget de l'État. Cette mission aboutit à détacher la comptabilité nationale de la commission du Bilan du Plan pour le rattacher au sein du Ministère des finances à un comité d'experts. Ce comité doit transmettre comptes et rapports aux administrations concernées, rassemblées dans une commission de la comptabilité nationale et au Parlement. Le premier « rapport sur les comptes économiques de la nation » est présenté le 23 janvier 1951 : il contient les comptes de l'année 1950 et un budget économique c'est-à-dire un compte prévisionnel pour 1951. Le comité des experts supprimé en 1952 voit ses missions reprises par la commission des Comptes et des Budgets économiques de la Nation ouverte aux parlementaires et présidée par Mendès France. Le SEEF en assure le secrétariat général. Ses rapports (le premier en 1953) « soulignent le poids et les conséquences des interventions économiques et financières dont le budget n'est désormais qu'une composante parmi d'autres », cf. Aude Terray, Le SEEF de 1948 à 1961, CHEFF, op. cit., p. 73.
10 Sur les relations entre la direction du Budget et le SEEF qui rédigera à partir de 1957 le rapport économique prévu par le décret-loi de 1956 sur la présentation du Budget, cf. plus loin le point de vue de Goetze. Gruson, à qui la question n'a hélas pas été posée, rappelle seulement en passant que « quelques susceptibilités se sont alors manifestées dans les bureaux de la direction du Budget » et prononce quelques observations acerbes, parfois, sur la direction du Budget dans son entretien avec F. Fourquet. Les budgétaires, eux, sont plus diserts, ainsi Magniez évoquant son rôle de sous-directeur au Budget à partir de 1959 parle des relations entre les fonctionnaires des deux directions avant et après 1959. Il dit avoir, lorsqu'il était sous-directeur en 1959, mis fin à une méconnaissance réciproque en réunissant dans son bureau les fonctionnaires des deux administrations. « Ils se sont aperçus que la direction du Budget avait des éléments très intéressants, et bien entendu ceux du Budget ont fait la même constatation de l'autre côté. Ça fait partie parfois des stupidités d'un Ministère, vous savez, c'est comme ça, c'est comme ça. Je ne sais pas comment c'est aujourd'hui... Nous avions des relations qui n'étaient pas satisfaisantes, il a fallu du temps, même avec Goetze, pour y arriver. Même du temps de Goetze, on ne l'avait pas fait, curieusement. Je crois que si on avait attiré son attention là-dessus on y serait arrivé », cf. René Magniez, Entretiens avec le CHEFF, et sa communication à la Journée d'études du 10 janvier 1997, op. cit.
11 Dans ses entretiens avec le CHEFF, Jacques Delmas confirme la « mini-révolution » que représentait l'arrivée d'ingénieurs au Budget.
12 Pour comprendre l'œuvre, l'itinéraire, les engagements de citoyen et de protestant de Claude Gruson, cf. Cl. Gruson, Programmer l'espérance, Paris, Stock, 1976, 325 p. Gruson est le seul inspecteur des Finances, reçu 7e sur 246 à l'X à être issu du corps des ingénieurs des Mines. Il doit changer d'orientation à la suite d'une tuberculose et réussit le concours de l'Inspection en 1936. Chargé de mission en 1939 au cabinet de Reynaud, puis à celui du Ministre de la Production industrielle, Belin puis Bichelonne de 1940 à mars 1941, il réintègre, pour raison de santé, les cadres de l'Inspection, assiste de 1946 à 1948 le chef du Service de l'Inspection, conseille quelques mois Bourgès-Maunoury en 1948 avant de diriger dès 1949 ce qui deviendra le SEEF en 1951. Il dirigera ensuite l'INSEE de 1961 à 1967, et termine sa carrière comme conseiller puis membre du directoire à la Compagnie bancaire.
13 L'INSEE, créé le 27 avril 1946, fusionne le Service national de la statistique (issu depuis décembre 1941 de la Statistique générale de la France) et l'Institut de la conjoncture créé par Alfred Sauvy en 1938. Cf., sur l'INSEE, la thèse dactylographiée de Béatrice Touchelay, L'INSEE des origines à 1961, évolution et relation avec la réalité économique, politique et sociale, Paris XII, 1993, ainsi que sa communication à la Journée d'études du 10 janvier 1997 sur La Direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, Actes à paraître, CHEFF, 1997. Sur F.-L. Closon, directeur de l'INSEE de 1946 à 1961 et Cl. Gruson, cf. leurs entretiens avec le CHEFF.
14 On retrouve dans les archives du SAEF trace de ces études faites par les ingénieurs du bureau des études qui circulaient au sein de la direction dans des notes au Ministre signées Goetze. Pour reprendre le cas du France, cité ici, il s'agjt du 9e bureau de la sous-direction des contrôles. On peut lire une note adressée au Secrétaire d'État à la Marine marchande dans laquelle Goetze exprime clairement son hostilité à la demande de mise en chantier d'un grand paquebot destiné à assurer la liaison Le Havre-New York. Non seulement c'est un projet coûteux, qui ne peut être que financé entièrement par l'État, mais en outre Goetze ajoute ce raisonnement de prospective économique : « Il ne semble pas que l'importance de l'intérêt national en jeu soit suffisant pour justifier un effort aussi important du Trésor. Par ailleurs il y a lieu de souligner tout particulièrement le fait que le développement des transports aériens tendra de plus en plus à placer les transports maritimes de passagers dans une situation de second plan et que dans ces conditions la mise en chantier d'un paquebot destiné à entrer en service en 1960 et dont la « vie » s'étendra jusqu'en 1980-1985 parait être en face des progrès constants de l'aviation, une opération anti-économique ». Fonds administration générale B 13132, dossier 3290, cf. note du 25 mai 1954, 5 pages.
15 Sur l'Inspection du Travail, cf. la thèse d'histoire de Vincent Viette, Les voltigeurs de la République, L'inspection du Travail jusqu'en 1914, Paris, CNRS, 1994, 2 vol. , 630 p. et la thèse de droit de Frédérique Guichaud, Paris, Cujas, 1984. Pour n'être pas un grand corps, l'Inspection du Travail, créée en 1898, composée essentiellement d'anciens instituteurs, n'en avait pas moins une mission précise : contrôler l'application des lois sociales dans les entreprises. Pourquoi n'a-t-il pas fait appel aux hauts fonctionnaires du Ministère du Travail ?
16 Le Service de Coordination des administrations financières prend en 1945 une nouvelle appellation sous le nom de Service de la Coordination financière jusqu'en 1947 puis bureau de Législation fiscale puis Service de Législation fiscale en 1948 lors de la création de la DGI. En 1977 le Service de Législation fiscale est détaché de la DGI et retrouvera l'indépendance qui était la sienne avant 1945.
17 Cf. ci-dessus. Rappelons seulement que la DGI, créée le 16 avril 1948, regroupe les anciennes Régies, direction des Contributions directes, Indirectes, Enregistrement, ainsi que le Service de coordination financière. Chaque Régie reste autonome sous la direction d'un directeur général et de son adjoint puis chef de service délégué (jusqu'à la fusion effective en 1970). Un conseil d'administration centrale se superpose aux anciens conseils d'administration. Ce conseil rassemble le directeur général, le directeur général adjoint, le chef du bureau de la Législation fiscale et deux représentants de chaque Régie.
18 Attendons le colloque sur la commémoration de la naissance de la DGI en 1998 pour en savoir plus sur ces prévisionnistes éminents.
19 Roger Goetze évoque ici l'éventail des traitements nets tels qu'ils découlaient du décret du 10 juillet 1948 sur le reclassement de la Fonction publique. Le traitement retenu pour l'indice 100 était en 1948 de 114 500 F correspondant au salaire minimum versé dans la métallurgie. La réalisation de ce reclassement se poursuivit jusqu'en 1950 mais dès 1951 des majorations des traitements les plus modestes furent opérés sous forme d'indemnités. Une loi de 1955 prescrit au Gouvernement un plan de remise en ordre des rémunérations pour intégrer dans le calcul de la retraite ces indemnités et rétablir la hiérarchie des traitements. Ce plan pris par décret en 1955, modifié en 1956 et 1957 a permis de créer les échelles lettres qu'évoque Roger Goetze. Celles-ci concernent les fonctionnaires qui percevaient un traitement supérieur à l'indice 650. Sans doute Goetze a-t-il plaidé pour cette réforme mais les témoins en accordent la paternité à Félix Gaillard en 1957. Serge Salon dans l'Histoire de la Fonction publique, op. cit., p. 383, rappelle que le pouvoir d'achat des fonctionnaires moyens ou supérieurs était tombé en 1951 à 60 % de leur niveau de 1938 et donne l'exemple du revenu d'un directeur de Ministère qui équivalait à la moitié du revenu moyen d'un médecin avant la guerre et ne représentait plus que le quart en 1951. Les 600 hauts fonctionnaires percevaient au plus 120 000 F par mois en avril 1951, soit l'équivalent d'un chef de bureau d'EDF et 15 % voire 25 % de ce qu'ils pouvaient espérer dans le privé. La loi de 1955 imposait aussi au Gouvernement de déposer un projet de foi portant harmonisation des statuts et rémunérations entre la Fonction publique et le secteur nationalisé. Ce projet déposé en octobre 1956 n'a pas été débattu. Début 1958 le Gouvernement Gaillard créa une commission « de l'harmonisation » qui confirma que les rémunérations de la Fonction publique, indemnités comprises, étaient presque toujours inférieures à celles du secteur nationalisé. Cf. le témoignage de Schwall, en faveur de cette harmonisation qui fut menée après le départ de Goetze : « Je me heurtai à Paul Delouvrier lorsque je voulus supprimer, pour Havas et la Banque du Commerce Extérieur, l'intéressement du président aux bénéfices, car je trouvais que le pourcentage, même faible, conduisait à leur accorder des rémunérations exorbitantes. Paul Delouvrier estima qu'un contrat moral avait été passé lorsque Havas était en déficit et qu'il ne pouvait être remis en cause. Ces deux postes restèrent donc les mieux payés et les plus recherchés de tout le secteur nationalisé ». Cf. Schwall, « Au fil d'une vie », Études et Documents VIII, art. cit., p. 545-546.
20 Les résultats de notre recherche sur les carrières des inspecteurs des Finances avant 1939 confirment le propos de Goetze : les départs pour le privé ont toujours existé. Rappelons que les démissionnaires de l'Inspection représentent 26 % des effectifs de moins de 65 ans en 1925, 29 % en 1930, 30 % en 1935 mais 21 % en 1939 (tandis que les « sortis » dans l'économie quelle que soit la nature du capital représente pour les mêmes années 30 % en 1925, 37 % en 1930, 37 % en 1935 et 39 % en 1939). Le débit de ce flux n'est donc pas régulier : accéléré dans les années vingt, ralenti dans les années trente et quarante il reprend dans les années cinquante au point de voir resurgir les articles de presse alarmistes sur l'exode des hauts fonctionnaires et notamment des inspecteurs des Finances, dont le style et le ton rappellent ceux des années vingt et... des années quatre-vingt ! Même si les comparaisons dans le temps sont délicates à manier car certains chercheurs s'attachent au statut (25 % de démissionnaires chez P. Lalumière au début des années cinquante), d'autres à la nature de l'activité (33 % dans les entreprises en 1968 chez E. Chadeau), on constate que les pantouflages dans le privé depuis le début du xxe siècle ne descendent jamais en-dessous de 25 %, cf. P. Lalumière, L'inspection des Finances, Paris PUF, 1959, 224 p., p. 73 et E. Chadeau, « Les inspecteurs des Finances et les entreprises », Le patronat de la seconde industrialisation. Cahiers du Mouvement social n° 4, Les Éditions ouvrières, 1979, 249 p. Quelle que soit l'époque, les départs dans le privé puisent toujours une partie de leurs explications dans le décalage des rémunérations, celui-ci ayant toujours existé mais bien d'autres facteurs sont à l'oeuvre et notamment l'offre des entreprises.
21 Les témoins (et les chercheurs) utilisent le même mot « pantouflage » pour évoquer le départ des hauts fonctionnaires vers le privé ou vers l'entreprise (qu'elle soit privée, mixte ou publique). Le Service de l'Inspection a depuis longtemps tenté de retarder les départs de l'administration : soit par un engagement décennal en usage depuis 1913 mais dont le signataire pouvait être relevé par le Ministre ; soit en gênant les passages trop précoces vers les voies royales de l'administration. Le Service a pu espérer pouvoir s'appuyer sur la loi du 14 septembre 1941 portant sur le « Statut général des fonctionnaires civils de l'État et des établissements publics de l'État » qui prévoit des sanctions et notamment des indemnités pécuniaires assez lourdes au cas où le fonctionnaire ne resterait pas huit ans au service de l'État. Mais faute de publication de règlements d'application publique, cette loi ne fut en fait pas appliquée avant son abrogation par l'ordonnance du 9 août 1944. De nos jours un inspecteur-adjoint sorti de l'ENA doit effectuer 18 mois de service effectif, réussir l'examen d'aptitude qui lui permet de passer inspecteur 3e classe puis effectuer encore deux ans et six mois de service effectif avant de pouvoir être détaché, servir dans un cabinet ou mis en disponibilité soit quatre ans au total avant de pouvoir « partir » sans rompre les liens avec la Fonction publique. Quelques entorses à ces délais ont toujours été possibles par la mise à la disposition dans des cabinets ou directions mais impossible pour des entreprises. Enfin, la pension n'est versée aux démissionnaires que si la démission intervient après 15 ans de services civils ou militaires.
22 Notons que cette distinction entre ordinaire et extraordinaire ne correspond pas à celle employée durant les quatre années qui suivirent la première guerre mondiale ni à la présentation à laquelle on eut recours en 1947, 1948 et 1949 pour le budget de la reconstruction et d'équipement adopté par une loi spéciale, supplément au budget ordinaire.
23 Les reproches essentiels que suscitait le budget français du point de vue du fonctionnement étaient de ne pas être clair, d'être trop spécialisé, de ne pas dégager le rendement ni même le coût d'un service de l'État éparpillé dans un nombre considérable de chapitres enfin de ne pas être fonctionnel, c'est-à-dire de ne pas accorder les crédits en fonction des missions déterminées mais en fonction des moyens donnés aux administrations.
Depuis 1871, le budget était voté par chapitre et aucun virement n'était autorisé d'un chapitre à l'autre. Considérée au début de la IIIe République comme un progrès pour la représentation nationale qui pouvait ainsi intervenir avec plus de minutie et comme un progrès technique imposant aux administrations des prévisions plus précises, l'ancienne nomenclature (la dernière datait de 1938) avait été aménagée au fil des dépenses nouvelles de manière empirique par la création incessante de nouveaux chapitres, ce qui aboutissait à un excès du nombre de chapitres, donc de spécialités. Cet excès ralentissait le travail parlementaire, gênait son contrôle, paralysait la gestion des administrations enfermées dans des dotations trop étroites, compliquait la comptabilité et le contrôle des comptables qui s'exerce sur les chapitres. En outre elle contribuait à l'accroissement des masses budgétaires en raison de la pratique des administrations de se réserver une marge de sécurité et d'épuiser leur crédit en fin d'exercice. Dès 1952, 40 % des chapitres sont supprimés. Sur le nombre de chapitres, avant la réforme, les chiffres varient : 2 115 en 1951 (réduits à 1 268 en 1952) selon les chiffres fournis par R. Vaysset dans son Cours de droit administratif à l'ENAC, en 1953-1954, p. 23, tandis que F.-L. Closon parle de 3 352 chapitres subdivisés en 12 000 articles en 1950 dans son Cours sur l'Économie administrative, le 16 avril 1951, p. 18. Dans une conférence prononcée le 3 mars 1950 (à partir des notes fournies par Delmas), dans le cadre des Conférences des ambassadeurs, Edgar Faure compare les 3 500 chapitres du budget français aux 1 000 du budget américain pour un montant de dépenses huit fois supérieur. Cf. Agence économique et financière, lundi 6 mars 1950. Très indirectement cette réforme de la nomenclature freine considérablement le travail des chercheurs sur l'évolution des dépenses publiques avant et après cette date !
24 Sur la genèse et le contenu de la réforme de la nomenclature du budget des dépenses, adoptée dans le budget de 1952, cf. l'article de celui qui en fut l'artisan sous la direction de Roger Goetze, J. Rossard, « La réforme de la présentation des dépenses », Institut de droit comparé de l'Université de Paris, Études de finances publiques, La réforme budgétaire, tome II, Éditions de l'Épargne, 1954, p. 39-52, et son entretien avec le CHEFF. Rossard fut chargé de mission en 1950-1951, puis chef en 1953-1954 du bureau des études de la direction du Budget. Cette réforme s'est appliquée en deux temps : 1952, simplification et rationalisation des chapitres et des articles dont le nombre diminue de 40 % ; 1953, présentation sous forme de tableau à double entrée, qu'évoque Goetze. L'objectif était d'obtenir une présentation regroupée et claire qui fasse apparaître le coût des services et distingue dans ce coût celui des transferts, c'est-à-dire des versements effectués par l'État sans contrepartie de biens ou de services pour l'État. La nomenclature 1953 se caractérise par une classification à la fois verticale et horizontale sous forme de tableau. La présentation verticale concerne la division des dépenses par nature et se fait en titres : 4 pour le fonctionnement des services civils ce que Goetze appelle le budget ordinaire et 4 pour les dépenses d'investissements subventionnés et d'équipement des services civils qu'il appelle budget extraordinaire. Chaque titre est lui-même divisé en parties regroupant elles aussi des dépenses de même nature. La présentation horizontale permet le calcul du coût de chaque Ministère et en leur sein de chaque grand service.
25 Décret-loi dont on retrouve l'essentiel dans l'ordonnance 59-02 portant loi organique sur toutes les lois de finances. Sur cette réforme fondamentale de préparation, de vote et d'exécution du budget, cf. les rapports de Lucile Tallineau et Robert Hertzog à la journée d'études sur La Direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, Bercy, 10 janvier 1997, à paraître en 1997 au CHEFF. Le décret-loi avait pour objectif essentiel de présenter le budget à la lumière de la situation économique et financière de la Nation et de permettre une discussion plus rapide de la loi de finances en limitant les débats aux questions fondamentales. Les principales innovations introduites alors sont : un rapport économique et financier ; le vote global par titre et par Ministère et non plus par chapitre (la répartition des crédits entre chapitres (distinguant désormais les services votés et les mesures nouvelle) se faisant par décret pris par le Gouvernement puis soumis à l'accord des commissions des Finances) ; la disparition du système des douzièmes provisoires par l'obligation faite au gouvernement de déposer le projet de loi de Finances avant le 1er novembre et au Parlement de voter la loi de finances avant le 31 décembre faute de quoi le Gouvernement peut prendre des décrets portant répartition des crédits applicables aux seuls services votés ; l'interdiction faite tout au long de l'année et non plus seulement lors du débat budgétaire de voter des mesures entraînant augmentation de dépenses ou pertes de recettes sans vote préalable de crédits correspondants. Cf. Texte du décret-loi de 1956, annexe V.
26 Rappelons que le Conseil est élu pour six ans ; la moitié de ses membres (320), depuis la réforme de 1948 est réélue tous les trois ans au suffrage universel indirect par les collectivités départementales et communales. Il ne peut débattre que des projets ou propositions déjà soumis au vote de l'Assemblée donc il ne dispose pas de l'initiative des dépenses qui est réservée à l'Assemblée (art. 17). Un sénateur ne peut proposer ni une augmentation de dépense ni une diminution de recette dans une proposition séparée. Mais il peut faire des propositions pour recouvrir des revenus supplémentaires. Enfin, il a le droit de critiquer l'administration ce qu'il fait au sein de ses commissions auxquelles il a aussi, comme l'Assemblée, le droit d'accorder des pouvoirs d'enquête et lors de la discussion des projets de loi financiers, d'autant plus aisément que c'est l'Assemblée qui a le dernier mot. Cf. D.W.S. Lidderdale, Le parlement français, Cahiers de la Fondation nationale des Sciences politiques n° 54, Paris, Colin (lre édition, 1951), mise à jour en 1954, 293 p.
27 L'article 16 de la loi du 31 décembre 1948 dû à l'initiative de R. Guyon, président, et Ch. Barangé, rapporteur général de la commission des Finances, a établi la règle des Maxima, reconduite d'année en année et devenue permanente par l'article 10 du décret organique du 10 juin 1956. Cette règle établissait qu'au cours de l'exercice 1949 (et pas seulement au cours du débat budgétaire) aucune mesure législative ou réglementaire, susceptible d'entraîner au-delà des maxima prévus une dépense nouvelle ou d'accroître une dépense existante, ne pourra intervenir sans faire l'objet d'une ouverture de crédits préalable et sans qu'aient été dégagés en contrepartie soit des recettes nouvelles soit des économies d'un montant correspondant. Cette procédure recherchait le vote plus rapide d'un budget touffu et établissait un verrou de sûreté pour toutes les propositions de dépenses qui viendraient se rajouter aux maxima autorisés.
28 Goetze confond les numéros d'article des deux Constitutions et du règlement du Conseil de la République mais l'essentiel est bien rappelé. Ce sont les articles 40 de la constitution et 42 de l'ordonnance organique qui ont limité le pouvoir d'initiative en matière de dépenses du Parlement. L'article 17 de la Constitution de 1946 a accordé aux députés le droit d'initiative des dépenses mais précisait que « aucune proposition tendant à augmenter les dépenses prévues ou à créer des dépenses nouvelles ne pourra être présentée lors de la discussion du budget, des crédits prévisionnels et supplémentaires ». Cette limitation, dans le temps, de l'initiative parlementaire les laissait libres le reste du temps ; ce sont donc les règlements des Assemblées, l'article 48 du Règlement de l'Assemblée nationale et l'article 49 du Règlement du Conseil qui pouvaient limiter leur initiative des dépenses, en permettant au Gouvernement et aux commissions (par elles-mêmes ou en leur nom par leur président, le rapporteur général ou le rapporteur compétent) d'obtenir sans débat, sur leur simple demande, la disjonction en séance publique de tout amendement entraînant la réduction ou la suppression d'une recette ou paraissant susceptible d'entraîner une dépense nouvelle ou une augmentation de dépenses. Encore fallait-il, comme le rappelle Goetze, que la commission ou le Gouvernement fussent vigilants. Résultat, c'était Goetze ou les fonctionnaires du Budget présents comme commissaires du Gouvernement qui devaient demander aux représentants autorisés de la commission, ou aux membres du Gouvernement présents, d'opposer l'article 48.
29 Cet agent ne doit pas être confondu avec les fonctionnaires détachés de la direction du Budget auprès des commissions des Finances des Assemblées. Sur les relations avec le Parlement, cf. N. Carré de Malberg, « Les budgétaires, les commissions des Finances, et le Parlement à travers les archives orales » à la Journée d'études du 10 janvier 1997, sur La Direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, op. cit., Actes à paraître au CHEFF en 1997.
30 Paul Reynaud, alors député Républicain indépendant du Nord, a présidé la commission des Finances de 1952 à 1957 (exception faite de la parenthèse Mendès France en 1954), succédant à Guyon député SFIO de Gironde.
31 Leenhardt, député SFIO des Bouches du Rhône, a présidé la commission des Affaires économiques de l'Assemblée jusqu'en 1951 (avant Ramonet député RI de l'Indre) puis devient, en 1956, rapporteur général de la commission des Finances. Barangé, député MRP du Maine-et- Loire, est resté rapporteur de la commission des Finances de l'Assemblée jusqu'en 1955. Au Conseil de la République la stabilité est encore plus grande à la commission des Finances présidée sur toute la « période Goetze » par Roubert sénateur groupe socialiste des Alpes-Maritimes où se succèdent deux rapporteurs généraux Berthouin, sénateur GD et RGR de l'Isère jusqu'en 1954, puis Pellenc, sénateur GD du Vaucluse.
32 Avant Goetze (7 ans et deux mois) seul le premier directeur avait « tenu » plus de cinq ans, Denoix (21 novembre 1919-23 janvier 1925). Les autres sont successivement : Suzanne (24 janvier 1925-20 août 1925), Fournier (21 août 1925-28 février 1929), Villard (1er mars 1929-25 juillet 1932), Haguenin (26 juillet 1932-30 mars 1935), Bouthillier (1er avril 1935-16 novembre 1936), Jardel (17 novembre 1936-6 septembre 1941), Gourdin (6 septembre 1941-30 octobre 1943), Dagnicourt (1er novembre 1943-25 août 1944), Gregh (27 août 1944-12 juillet 1949), Goetze (13 juillet 1949-30 décembre 1956). Après Goetze, ce sont Devaux (1er janvier 1957-30 juin 1960), Martinet (1er Juillet 1960-18 avril 1966), La Genière (18 avril 1966-15 juin 1974), Deroche (16 juin 1974-27 janvier 1979), Vidal (28 janvier 1979-1er novembre 1981), Choussat (2 novembre 1981-30 décembre 1985), Prada (31 décembre 1985-3 février 1988), Bouton (4 février 1988- 4 février 1991), Mme Bouillot (5 février 1991-juin 1995), Blanchard-Dignac (1995-...). Après Goetze, seuls La Genière et Martinet tiendront plus de cinq ans mais, en effet, dans des conditions de travail moins astreignantes. Dans ses Souvenirs, (exemplaire dactylographié, Archives de l'IGF) le premier directeur, Denoix, dont le départ, volontaire, était après la victoire du Cartel, aussi réclamé par les syndicats, évoque également la lourdeur et la fatigue physique provoquées par la fonction.
33 Cette affirmation est étonnante. Sans doute faut-il y voir l'illustration du déclin du Parlement. Pour assister le Ministre ou s'imposer aux parlementaires il n'est plus nécessaire que le directeur vienne personnellement. La présence du directeur lors des débats parlementaires ne laissant pas de trace écrite, il est difficile en l'absence du témoignage de La Genière, décédé, de vérifier.
34 Ce jugement sévère, mais fréquent, sur le comportement des parlementaires lors des débats financiers, mériterait d'être accompagné de précision sur ce qu'il entend par « intérêt de l'État » et de vérification par la lecture des débats. Raoux éclaire l'historien sur la raison d'être de beaucoup d'amendements : « [Ces mesures] sont présentées parce qu'un lobby demandait à un parlementaire d'exposer la demande mais au fond le parlementaire, tout ce qu'il tient c'est que son discours qui a d'ailleurs très souvent été prépare justement par l'extérieur, figure au JO et au débat parlementaire et qu'il puisse le montrer à ceux qui l'ont inspiré ; donc on pouvait savoir le degré d'attachement du parlementaire. On pouvait au contraire nous dire ça c'est une mesure à laquelle le parlementaire tient beaucoup pour des raisons personnelles, parce qu'il a des électeurs influents qui sont particulièrement intéressés par cette mesure ». Transcription des entretiens d'E. Raoux avec le CHEFF en 1996, p. 41. Raoux ajoute que les amendements transmis par les parlementaires à la demande de certains notables ou lobbies étaient l'occasion pour les fonctionnaires du Budget, commissaires du Gouvernement de pratiquer « le jeu du portrait » selon l'expression de Goetze, c'est-à-dire de rechercher qui était derrière l'amendement.
35 Goetze a déjà fait cette remarque mais que vaut sa comparaison lorsqu'on sait ques les deux Assemblées sont élues selon un mode de scrutin bien différent ? La surreprésentation des européens et des notables qui sont aussi les plus gros contribuables dans les Délégations ou à l'Assemblée algérienne expliquerait-elle leur plus grand souci de « l'intérêt de l'Algérie » ? Celui-ci est-il aussi celui de la population de l'Algérie ? Ces propos auraient mérité d'être développés.
36 Le « on » renvoie aux parlementaires. Robert Delorme et Christine André étudiant les dépenses publiques sur un siècle font remarquer que le retour à l'équilibre n'a eu lieu qu'à trois reprises depuis la première guerre en 1926-1929, en 1965 puis 1969-1974. Sur le plan du déficit budgétaire qui s'accroît jusqu'en 1956-1957, la IVe République n'apparaît donc pas, sur la longue durée, comme une période exceptionnelle mais au contraire comme celle de la reconstruction de l'après-1914-1918, la crise des années trente, la crise depuis 1974. Cf. Robert Delorme, Christine André, L'État et l'Économie, Un essai d'explication de l'évolution des dépenses publiques en France 1870-1980, Paris, Seuil, 1983, 758 p., p. 46.
37 Raison pour laquelle l'historien ne trouve par d'archives sur les interventions des fonctionnaires commissaires du Gouvernement ni dans les archives de l'Assemblée ni dans le fonds Budget du SAEF. Cf. N. Carré de Malberg, « Les budgétaires, les commissions des Finances, et le Parlement à travers les archives orales », La Direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, op. cit.
38 La France dépend en effet de l'aide américaine, du FMI, et de l'UEP, pour équilibrer sa balance des comptes qui a « viré au rouge » : 1,4 milliard en 1957. Ainsi, en janvier 1958, Monnet part aux USA et obtient une aide de 600 millions. Dès le mois de mai ces crédits étrangers sont épuisés. « La France est soumise aux volontés de ses alliés monétaires, son affaiblissement financier remet en cause son autonomie de décision » cf. H. Bonin, Histoire économique de la IVe République, op. cit., p. 264.
39 Sur le contenu du décret cf. ci-dessus et Annexe V. D'après l'article 16 de la Constitution de la IVe République, le mode de présentation du budget devait être réglé par une loi organique. Le travail de préparation fut confié à la sous-commission des lois organiques de la commission des Finances de l'Assemblée. Celle-ci confia la direction des travaux relatifs à l'élaboration d'un avant-projet à Robert Jacomet, contrôleur général de l'Armée, directeur de la section de Finances Publiques de l'Institut de droit comparé. Jacomet avec l'accord de la sous-commission et du Gouvernement constitua une commission d'études de la réforme budgétaire dont les travaux furent inaugurés le 17 novembre 1948. Cette commission obtint le concours de juristes français et étrangers et de hauts fonctionnaires (77 membres au total). Elle se réunit 48 fois sans compter des réunions de comités dont le comité de rédaction présidé par Le Hénaff. Elle produisit 40 rapports, deux rapports généraux et un avant-projet de loi organique remis en totalité au gouvernement en 1952. Cf. Jacomet (et alii), La réforme Budgétaire, Travaux de la Commission Jacomet, Études de Finances Publiques, Paris, Les Éditions de l'Épargne, 1954, 3 t. Il faut noter la présence dans cette commission de 10 représentants de la direction du Budget dont Delmas, Rossard et Viala déjà cités, les budgétaires détachés auprès des commissions des Finances, Bertrand et Aimé, et des contrôleurs des dépenses engagées mais ni Gregh, ni Goetze n'y sont présents. Malgré ce travail aucun texte n'avait été présenté à l'Assemblé en 1954. Faute de majorité ? Ou de crainte de voir les parlementaires refuser ce qui conduisait à limiter leurs prérogatives ? C'est probablement la conjonction de la difficulté de dégager une majorité d'une part et de la nécessité urgente de modifier la présentation et le vote du budget qui conduisit à cette procédure tout à fait exceptionnelle que décrit Goetze. Le décret rédigé par Goetze est partiellement issu de ce travail collectif, auquel la direction du Budget a d'autant plus participé que c'est elle qui sera chargée de rédiger le rapport économique (avec le SEEF), le rapport financier, les documents concernant les services votés, le projet de loi de finances et les annexes. Cf. La communication de R. Hertzog à la Journée d'études du 10 janvier 1997, La Direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, op. cit.
40 L'ordonnance sur les lois de finances de 1959 ne modifie guère le décret de 1956 mais la Constitution de 1958 rompt avec la tradition des quatre Républiques précédentes, issue de la conception de 1791 selon laquelle : « Le Parlement porte en lui la représentation de la volonté générale ». Désormais en effet, l'exécutif représente un pouvoir de même rang que le législatif dont les pouvoirs sont limités par des dispositions qui sont inscrites dans la Constitution et surtout auxquelles les Assemblées ne peuvent plus, contrairement aux régimes précédents, se soustraire en raison du contrôle de la conformité des lois confié au Conseil constitutionnel. Parmi les limites aux droits du Parlement imposées par la Constitution de 1958, citons la perte par le Parlement de la maîtrise de son ordre du jour, la perte du monopole de contrôle du gouvernement qui procède désormais du président de la République même s'il reste responsable devant le Parlement et enfin la perte de l'initiative des dépenses.
41 L'exposé des motifs ne figure pas dans l'ordonnance de 1959 mais pour le reste les deux textes présentent en fait peu de différences. Cf. La comparaison faite par René Magniez dans sa communication écrite à la Journée d'études sur La Direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, op. cit. Il s'interroge en effet sur la nécessité de l'ordonnance de 1959 et conclut : « Au terme de cet examen, force est de constater qu'il n'est guère possible de donner les raisons qui ont pu conduire l'auteur de l'ordonnance de 1959 à modifier telle ou telle disposition du décret de 1956 », p. 7.
42 Cf. annexe V.
43 Sur l'article 49-3 de la Constitution de 1958, cf. ci-dessus, IIIe partie, P. Avril et J. Giquel rappellent que, dès 1960, Michel Debré, Premier ministre, engagea la responsabilité de son gouvernement sur le vote de la loi de finances de 1960 dans la rédaction du texte gouvernemental modifié par les amendements de l'Assemblée nationale en utilisant le 49-3. Au préalable, il avait demandé la réserve des crédits du Ministère des Anciens Combattants qui furent reportés à la fin du projet. Il évita, ainsi, de discuter du budget de ce Ministère, sensible en raison de la suppression de la retraite. Cf. P. Avril et J. Giquel, Droit parlementaire, Paris, Montchrestien, 1988, 261 p., p. 208-209.
44 Le projet de loi financier qui pourvoit à des douzièmes provisoires consiste généralement en un certain nombre d'articles autorisant l'octroi de crédits en bloc aux ministères, ceux-ci devant publier des décrets de répartition par chapitre. Ces crédits représentaient un douzième du montant des crédits votés l'année précédente. Lors du vote, les députés pouvaient toujours critiquer les administrations. Cet expédient, mensuel voire trimestriel, permettait d'attendre le vote du budget mais empêchait toute mesure nouvelle et, particulièrement en période d'inflation, freinait considérablement l'action des pouvoirs publics et paralysait les administrations. Comme l'explique F.-L. Closon en 1951 : « Le douzième provisoire signifie que, dans une administration où la gestion est déjà difficile par le fait de l'annualité du budget, on passe de l'horizon de l'année à celui du mois, que les programmes, aussi modestes soient-ils, deviennent irréalisables. » Au cours des budgets de 1945 à 1950 inclus, l'administration a connu en moyenne six à huit douzièmes provisoires par an. Cf. F.-L. Closon, L'Économie administrative, Critique et défense de l'administration, 16 avril 1951, exemplaire dactylographié, A.-P. Closon. Depuis l'arrivée de Goetze, le débat budgétaire s'est prolongé jusqu'au 8 août 1950 pour le budget 1950, jusqu'au 24 mai 1951 pour l'année 1951. En outre, le travail de préparation du budget qui s'éternise empêche la direction de faire son travail de prévision pour le budget à venir : « Ainsi, disait Goetze en commentant le retard du vote, sur un plan extrêmement général, la véritable difficulté et probablement le plus grand fondement des critiques qu'on peut faire à l'action du Budget, c'est de manquer de temps, c'est de manquer de champs et de perspective », cf. R. Goetze, Conférence à l'IHEDN, prononcée le 8 avril 1952, texte enregistré sur dictafil, p. 16, AP Goetze, carton Budget, dossier I, CHEFF.
45 La loi de règlement (appelé jadis loi des comptes) constitue comme le budget ou les lois rectificatives une loi de Finances. Cette loi qui constate les résultats financiers de chaque année, en confrontant les prévisions de la loi de finance avec les actes d'exécution, a donc un caractère rétrospectif. Le projet de loi de règlement est basé sur un compte général présenté par le Ministre des Finances (rédigé jusqu'en 1961 par la direction du Budget puis par la direction de la Comptabilité publique). L'Assemblée se prononce à la lumière du jugement de la Cour des Comptes sur les comptes de chaque Ministère. Ces comptes sont remis au préalable au Ministre des Finances qui les transmet à la Cour des Comptes qui les examine à fond. Copie est ensuite donnée au Parlement. Depuis la guerre, les lois de règlements étaient votées très tardivement empêchant, en fait, le Parlement d'exercer avec efficacité son contrôle politique, que cette loi lui donnait l'occasion d'effectuer, en donnant ou non, en quelque sorte quitus à l'exécutif des dépenses effectuées. Bien qu'aucune menace ne pèse en cas de dépassement du délai, imposé désormais par le décret de 1956 fixé à un an après la fin de l'année d'exécution, cette loi est votée généralement en temps utile. On peut s'étonner de l'indifférence des députés et des média lors du vote de la loi de règlement qui ne suscite ni débat approfondi ni présence massive, selon les témoins.
46 Jusqu'à la modification constitutionnelle de 1995 qui établit une session unique qui dure toute l'année, exception faite des vacances parlementaires.
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