Conclusion
p. 367-368
Texte intégral
Pour conclure, je voudrais revenir brièvement, si vous voulez bien, sur la Quatrième République comparée à la Cinquième du point de vue du Ministère des Finances. Mais auparavant, j’aimerais revenir sur un point important sur le plan politique et qui a changé beaucoup de choses, c’est l’élection du Président de la République au suffrage universel. Vous-même, qu’est-ce que vous en pensiez, en étiez-vous partisan ?
Oui, personnellement j’en étais partisan. La démocratie c’est une chose mais il faut quand même qu’elle soit dirigée, qu’elle soit commandée. Il y a, soit le régime présidentiel, soit le régime d’assemblée. En fait nous avons vécu le régime d’assemblée et je ne pense pas que cela ait été un succès. On n’est pas dans, un régime présidentiel réel parce que le régime présidentiel réel c’est celui des États-Unis. C’est-à-dire l’indépendance totale des deux pouvoirs, législatif et exécutif. La Constitution telle qu’elle existe actuellement a montré qu’elle avait des ambiguïtés et que les adversaires les plus acharnés de ladite Constitution, une fois qu’ils étaient au pouvoir, s’y trouvaient très bien et ne songeaient qu’à la garder sans la transformer vraiment en régime présidentiel. Après tout, il faut quand même encore un certain temps pour voir si c’est vraiment une forme de régime normal ou difficile à gérer. Ils semble bien que la cohabitation soit quelque chose d’assez délicat, qu’effectivement la Cinquième République suppose d’une manière générale qu’une cohabitation à l’américaine soit très difficile à vivre ici, et que la majorité et le Président soient du même avis. Cela facilite bien les choses.
On a dit qu’il existait sous la Quatrième République un pouvoir administratif fort par rapport à un pouvoir ministériel faible. Sous la Cinquième République, c’est plus complexe ?
C’est plus complexe. Le pouvoir administratif reste important parce que l’Administration c’est une masse et qui existe. Mais le pouvoir politique l’emporte quand même plus facilement.
Précisément, quels rapports entretenaient les Ministres que vous avez connus au début de la Cinquième République avec le pouvoir présidentiel ?
Je crois qu’il faut dire que, dans tous les cas, il y avait quand même pas mal de contacts pris entre le Ministre des Finances et le Général, en dehors du Premier Ministre. Cela doit durer encore à l’heure actuelle sous la forme des déjeuners et des petits-déjeuners où sont conviés les Ministres, etc. Ce n’est pas officiel mais ça continue.
Est-ce qu’on change réellement de République et de système ministériel et administratif après le départ de Pinay ? Avec Baumgartner est-ce une page qui se tourne au Ministère des Finances ?
Ma foi, pas tellement, puisque c’est Giscard qui prend la suite et qu’il y restera pendant douze ans1. [...]
Après cet épisode très important au cabinet du Général de Gaulle vous restez un soutien de la République gaullienne de 1958 à 1968. Pendant cette période, avez-vous conservé des liens avec Pierre Mendès France ?
Je le voyais généralement chaque année ou à l’occasion du 1er janvier. Autrement on continue à échanger des vœux. Il s’est trouvé que je suis allé à Megève un certain nombre d’années l’été et deux hivers et je l’y ai rencontré deux fois là-bas. Enfin ce n’était plus institutionnel comme cela pouvait l’être quand j’étais au Budget puisque je n’étais plus rien de tout cela. J’étais sous-gouverneur puis gouverneur du Crédit Foncier. C’était un secteur différent.
Ils ont été les deux grands personnages de votre carrière !
Exactement. Oui, les deux grands personnages avec lesquels il m’a été donné de vivre quelques instants. L’un, le dominant dans la durée et avec succès. L’autre, l’ayant dominé mais très brièvement et puis étant reparu mais sur un autre sujet, sur le sujet de l’Indochine qui n’était pas son rôle d’économiste financier. Il n’a pas joué de rôle économique ou financier en 1954-1955. Il a pu faire des choses mais pas pendant son temps de Président du Conseil ; il avait laissé cela à Edgar Faure. Je ne sais pas s’ils étaient tout à fait d’accord, je suis même persuadé du contraire. Il était bien obligé de laisser à Edgar Faure toute la liberté que celui-ci voulait.
Dans la suite de ses entretiens, Roger Goetze évoque longuement ses activités de banquier jusqu’en 1977 et de président du Groupe central des Villes nouvelles jusqu’en 1989, à la suite de quoi ses entretiens se terminent ainsi :
« J’ai été gâté par la chance et j’ai fait, à mon avis, une très belle carrière dont la fin me laisse un très grand vide, mais aussi meublée de très beaux souvenirs ».
Notes de bas de page
1 V. Giscard d’Estaing sera Ministre des Finances de janvier 1962 à janvier 1966 puis de juin 1969 à mai 1974 : soit neuf ans plus trois ans passés au Ministère des Finances comme Secrétaire d’État soit douze ans en effet.
Notes de fin
1 Précisons que cette conclusion est énoncée à la fin de la totalité des entretiens dont le dernier gros tiers sera publié par le CHEFF ultérieurement.
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Entretiens avec Roger Goetze, haut fonctionnaire des Finances
Ce livre est cité par
- Fulla, Mathieu. (2016) Les socialistes français et l'économie (1944-1981). DOI: 10.3917/scpo.fulla.2016.01.0447
- Baruch, Marc Olivier. (2005) Histoire des gauches en France. DOI: 10.3917/dec.becke.2005.02.0543
Entretiens avec Roger Goetze, haut fonctionnaire des Finances
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