Chapitre premier. L’aventure pétrolière de la SN REPAL (novembre 1946 - juin 19661)
p. 301-326
Texte intégral
Parlons donc de la SN REPAL. Quelles sont les circonstances de sa création ? Est-ce lié au BRP ?1 Comment est-ce que cela se développe ? Comment êtes-vous nommé et comment se déroulent ces premières années ?
C’est très simple, en tant que directeur général des Finances de l’Algérie, je me suis opposé à sa création.
Pourquoi ?
Parce que tout directeur du Budget ou tout Ministre des Finances devant tout projet générateur de dépenses nouvelles commence par dire non jusqu’à ce que de guerre lasse, il dise oui. C’était d’autant plus surprenant que j’avais fait passer le BRP avec Mendès France. Pourtant, c’était très simple : il y avait en Algérie un service des Mines, devenu plus tard le bureau des recherches minières d’Algérie, qui comportait une section pétrole. À l’image du BRP, établissement public, je souhaitais qu’il y ait un BRP algérien autonome mais je ne voulais pas d’une société d’économie mixte dont j’avais dit tout de suite : « Tout cela, c’est pour éviter de payer les salaires de la fonction publique et pour donner des indemnités que personne n’aurait comme membre d’un bureau de recherches de pétrole ». Alors je me suis opposé pendant quatre ou cinq mois puis, finalement, vous savez, quand les choses sont, après tout, justifiées et comme il fallait avant tout faire ces recherches, je n’ai pas fait d’opposition réelle à la création de la société.
C’est une opposition qui prend quelle forme ?
Dans les discussions entre directeurs du Gouvernement général et devant le gouverneur général, je disais non, c’est cela la discussion budgétaire, cela consiste à dire non jusqu’au jour où on dit oui le plus souvent partiellement.
L’initiative de la création avant que vous ne donniez votre feu vert venait d’où exactement ?
Elle venait de celui qui en sera le directeur général, c’est-à-dire de Colot. Il était venu à Paris me voir à l’Économie nationale pour défendre la création du BRP, c’était un de mes amis, en Algérie, que je connaissais très bien.
Celui-là même auquel vous aviez donné un accord favorable pour le BRP ?
Parce que c’était le BRP. J’ai été opposé au principe d’une société d’économie mixte, quand l’économie mixte est composée de deux choses : une collectivité publique à 50 % et un établissement public à 50 %. Il n’y avait pas de raison à mon avis, de créer une société d’économie mixte puisque les deux actionnaires étaient à 100 % l’État. Bref, cela a duré trois mois environ et quand j’ai donné mon accord, Colot a mis ses gants blancs, moralement, et est venu me demander de prendre la présidence de la société. Je lui avais dit : « Vous vous fichez de moi ! » Mais le gouverneur m’a fait appeler et m’a fait remarquer qu’il était prévu que pour cette société, qui était 50 % Algérie, 50 % BRP chacune des deux parties aurait cinq administrateurs, plus un président, qu’il y aurait donc onze membres et que le président devait être un fonctionnaire du Gouvernement général2. Chacun m’a fait valoir, et c’était exact que, malgré mon jeune âge, j’étais le plus ancien dans le grade le plus élevé et que, dans ces conditions, cette présidence me revenait de droit. D’autant plus que si cela n’avait pas été moi, c’eut été l’ingénieur général des Mines et que, avoir un directeur général qui soit ingénieur en chef, un président qui soit ingénieur général cela ne collait pas, d’autant plus que l’accord le plus absolu ne régnait pas entre l’ingénieur général et l’ingénieur en chef. J’ai accepté finalement, en me disant qu’après tout, cela me permettrait de surveiller les dépenses de plus près et voilà. La REPAL qui s’appelait la SN REPAL, c’est-à-dire la Société nationale de Recherches et d’Exploitation des Pétroles en Algérie, a été créée le 10 novembre 19463 et j’en ai été le premier et le seul président français jusqu’au 29 juin 1966, c’est-à-dire quatre ans après l’indépendance de l’Algérie.
Comment est composé ce conseil d’administration ?
Il y avait cinq représentants du BRP, cinq, plus un représentant du Gouvernement général.
Qui résidaient en Algérie ?
Les « Français » venaient de Paris et le Conseil se tenait à Alger. Colot et les directeurs généraux adjoints, Tenaille et Leca ont essayé de m’apprendre un peu comment trouver du pétrole. Je ne vous dirai pas les trois conditions techniques pour avoir du pétrole parce que cela ne vous intéresserait pas, la troisième étant qu’il fallait pour trouver de l’huile qu’il y en ait là où on en cherchait !
Est-ce que la prospection avait déjà commencé d’une manière officielle ?
Il y avait une section pétrole au bureau de recherches minières à la direction de l’Industrie. Il y avait une petite prospection, il y avait d’ailleurs eu un petit gisement de pétrole à Tilouanet en Oranie, qui a été utilisé pendant la guerre contre l’Axe. C’était très faible, environ 10 000 tonnes par an, ce qui n’était rien du tout, 200 barils par jour4. Alors, on a organisé des équipes de forage et pendant dix ans on a fait des recherches qui, finalement, n’ont pas été fructueuses. Pendant près de dix ans, on a eu des indices mais cela ne donnait rien d’exploitable. La REPAL s’est développée. Elle a pratiqué beaucoup de recherches dans l’Algérie du Nord puis on a pensé qu’il fallait explorer le Sahara et c’est là qu’est arrivé un garçon dont je vous ai déjà parlé, Jacques Bénézit. Je vous en ai parlé, comme d’un ami d’enfance que j’avais fait venir en sa qualité d’ingénieur des Mines comme directeur adjoint du cabinet de l’Économie nationale puis qui était passé à la Compagnie française des Pétroles. Il y avait pantouflé et la CFP l’avait envoyé faire un long stage dans le pétrole aux États-Unis. Il en était revenu tout excité par le Sahara, il m’avait rapporté des quantités de graphiques et d’autres éléments qui montraient qu’il fallait explorer le Sahara.
On a monté une affaire dont, là aussi, je ne peux pas vous dire la date exacte. Cela devrait se situer aux alentours de 1950 : la CFP a constitué une filiale – CFP Algérie, la CFPA – et nous nous sommes partagé la partie Nord du Sahara, qui devait faire 260 000 km2, en douze permis avec, pour chacun, six permis à 51 %, l’autre à 49 %, et pour les six autres l’inverse. On a donc monté une recherche en commun, constituée de morceaux partagés à 51-49. Les premiers forages au Sahara ont eu lieu au début des années 1950, là aussi, la date exacte, je ne m’en souviens pas5. Le forage de Berriane doit dater de 1951, c’est le premier forage vraiment saharien. Jusque là, on avait fait des quantités de forages dans la vallée du Chelif, c’est-à-dire entre Mostaganem et la ville qu’on appelait Orléansville qui s’appelle El-Asnam maintenant. On avait donc fait nombre de forages dans cette région, qui n’avaient pas révélé de sources. D’ailleurs, on n’en a pas retrouvé depuis, sauf en ce moment où, je crois, on en retrouve vers la frontière tunisienne. Là aussi, dans la zone de Tebessa, on avait fait des forages, on avait même fait des forages à l’entrée du Sahara pendant toute cette période de 1946 à 1951-1952.
Ce sont ces forages qui avaient été peu fructueux ?
Qui ont été infructueux. À partir de 1951-1952, on a instauré, donc, une entente avec la CFPA pour aller au Sahara. Cela a été simplement fait par association entre les deux. Dans le même temps, à peu près à la même époque, peut-être un peu plus tardivement, la Régie autonome des Pétroles, la RAP, s’est associée avec la SHELL pour former la CREPS selon un système analogue au nôtre, de permis alternés avec non pas 51 %-49 % mais 65-35 % ou 35-65 % entre les divers permis. Ils étaient au sud et leurs premières recherches ont mis à jour du gaz du côté d’In Salah, mais qui était inexploitable. C’était du gaz et non pas de l’huile et à ce moment là on ne savait pas très bien comment se servir du gaz industriellement. Ce n’était pas du gaz « de ville » mais du gaz naturel destiné à faire de la pétrochimie d’une façon générale et du nafta. En outre, In Salah était trop loin pour aller à la côte, il y avait plus de 1 500 km, cela ne valait pas la peine. Finalement, toute la partie ouest de l’Algérie a été abandonnée par les recherches au cours de ces cinq années là, pour se concentrer sur la partie est qui devait se révéler productive. Du point de vue général, notre contrat de permis de recherches prévoyait d’abord, pour la REPAL et la CFP, que nous ferions un total de six forages de recherche dits « d’intérêt général » qui devaient piquer l’ensemble de nos permis en quelque sorte et qu’ensuite, on ferait librement des forages qu’on jugerait utiles selon les résultats obtenus. Dans l’intervalle, vers 1954 ou 1955, on a fait un forage à Tilrhemt qui est près de Berriane, relativement au nord du Sahara. En effet, la géophysique avait montré qu’il y avait là une dorsale qui pourrait, normalement, être un bon réservoir. À Tilrhemt, il y a eu des indices de gaz, ce qui posait de gros problèmes pour le forage suivant qui était le sixième et dernier forage d’intérêt général.
La CFP, qui se voulait être une société privée, bien que l’État ait 40 % de son capital, voulait « filer le top » comme on dit, c’est-à-dire la ligne de crête de la structure. Effectivement, lorsqu’on l’a fait ultérieurement on a trouvé le gisement de gaz à Hassi R’mel. Mais la REPAL s’y est opposée sur le moment en disant : « Nous avons d’abord à faire six forages d’intérêt général, il reste le sixième, il faut le faire ». Pour nous, le localiser, ce n’était pas très commode. Du côté de Touggourt, on tombait dans une fosse mais cela remontait de l’autre côté, alors on a tenu à savoir s’il y avait quelque chose « de l’autre côté » de Touggourt. C’est ainsi qu’un jour, on a piqué sur la carte un coin dont le nom était prédestiné si l’on peut dire, puisque cela voulait dire « le puits de la chance », putens felix en latin et Hassi Messaoud en arabe, « le puits du bonheur ». La grande surprise, c’est qu’en juin 1956 on a eu un indice de pétrole considérable, je me le rappelle encore. Colot m’a téléphoné au Budget à Paris pour me dire : « Ça y est, cette fois-ci, on a trouvé quelque chose d’énorme ». Dans l’intervalle, la CREPS, la société qui avait 65 % à la RAP et 35 % à la SHELL, avait trouvé du pétrole à Edjeleh, en mars 1956. En juin, nous avons donc trouvé du pétrole à Messaoud. Cette année 1956 a été très fertile puisque c’est en octobre 1956 qu’on a fait alors le puits d’Hassi R’mel qui a découvert un des plus grands gisements de gaz du monde avec ses 2 000 milliards de m3 de réserve. C’était quelque chose de très important6.
C’était la CFPA qui s’en est chargée ?
Il se trouve que dans les deux cas, c’était sur un permis à 51 % REPAL. Je crois qu’Hassi R’mel est en entier sur un permis REPAL/CFPA. Hassi Messaoud, c’est très amusant, « le puits de la chance » était presque sur la ligne de partage entre la CFPA/REPAL dans le nord et la REPAL/CFPA dans le sud, d’où la création de certaines duplications qu’on nous a reprochées par la suite, mais on ne pouvait faire autrement, car on ne s’entendait pas toujours très bien. Les ingénieurs n’avaient pas les mêmes idées dans tous les cas. Les deux sociétés qui existaient, la CFPA et la REPAL ont chacune mené, avec bien entendu de nombreuses conférences, etc., leurs recherches mais chacune selon ses idées et les directives de leurs directions générales pour l’une, des Ministres de l’Industrie et des Finances – c’est-à-dire du BRP – pour l’autre.
Et pour son propre compte ?
Non, parce que la production était partagée de la même façon, 51-49 % et 49-51 %. Ce qui fait que pour le gisement sud de Hassi Messaoud, c’est-à-dire celui où la REPAL était ce qu’on appelle opérateur, qui était un peu plus grand ou un peu plus productif que le nord, on avait un tout petit peu plus de 50 % de la production.
Que vous en dire... Il y a eu des évaluations de production, on espérait arriver à 14 millions de tonnes par an pour le gisement d’Hassi Messaoud, je vous dis tout de suite qu’il a dépassé les quelque 25, et l’oléoduc avait été calibré en conséquence. Mais au début, la CFP, pour des raisons de pure politique pétrolière, ne voulait pas qu’on développe le champ pour plus de 9 millions de tonnes7. Messaoud s’est révélé être un gisement vraiment très productif. Je reverrai toujours l’émotion du président-directeur général de la CFP, M. Victor de Metz, lorsque démarra non seulement le puits de MD1 qui était celui de la découverte à la REPAL, mais aussi le second forage MD2 de la REPAL, cependant que le forage de la CFPA OM1 commençait de son côté aussi. On a vu ces trois puits très distants les uns des autres, tous les trois productifs, évidemment. C’était quand même la grande aventure qui pouvait commencer. De cette aventure, que vous en dire ? Il y a eu une mise en développement extraordinairement rapide puisque dès 1958, avec un petit pipe, on a pu faire les premières exportations.
À destination ?
À destination de qui on voulait, mais la destination de ce pétrole a été la France essentiellement, probablement vendu ou racheté. Le Général de Gaulle est venu visiter Hassi Messaoud en 1958, pendant que j’étais encore à son cabinet, et puis Michel Debré qui, en 1959, a ouvert la vanne du gros pipe-line de vingt pouces qui avait un débit de 14 millions de tonnes/an. Ces inaugurations ont donné lieu à des anecdotes comiques mais je ne vous en ferai pas part car cela n’a pas d’intérêt. Voilà pour le développement de la REPAL.
Arrive, dès 1954, la guerre. Au début, cela a été un des gros soucis pour tout le monde, y compris d’ailleurs pour le FLN, c’est amusant, de protéger les puits, notamment ceux d’Edjeleh et ceux d’Hassi Messaoud qui sont très proches de la frontière lybienne ou tunisienne. Cela nous a vraiment causé de très gros soucis. À partir de ce moment-là, je me suis mis à faire le tour des champs en hélicoptère pour surveiller l’ensemble. En 1962 et même dès la fin de 1961, comme la situation devenait politiquement délicate et dangereuse, la REPAL a loué un petit avion, un aéro-commander qui est resté loué par la REPAL pendant tout le temps de 1962 à 1966 ou 1968 même, et qui permettait ainsi d’avoir des liaisons plus faciles sur l’immensité des 200 000 km2 de nos permis, des liaisons avec Alger ou des liaisons sanitaires, etc. Je vous dis cela parce que lorsque la période est devenue critique du point de vue politique,8 c’est-à-dire au début 1962, je n’étais plus que sous-gouverneur du Crédit foncier puisque j’avais quitté le cabinet du Général en 1959, je suis venu de Paris en Algérie, tous les quinze jours régulièrement, du vendredi au lundi avec l’accord de mon gouverneur, M Boissard. Je prenais l’avion régulier de ligne, je passais le vendredi après-midi et le vendredi soir à Alger, j’allais déjeuner le samedi à Hassi R’mel et coucher à Messaoud où je passais toute la journée du dimanche – disons entre parenthèses que j’étais envoûté par Hassi Messaoud – je revenais le dimanche soir à Alger et je reprenais un avion postal de nuit pour Paris.
Vous affirmiez une présence ?
Oui, car la REPAL risquait de se désagréger. Elle comptait en effet de nombreux sympathisants. Notamment ils s’étaient amusés à créer une association sportive qui s’appelait l’Olympique athlétique saharienne avec des initiales OAS sur le maillot. C’était bien trouvé !
Au sein de la REPAL, parmi les gens qui travaillaient sur les champs ?
Les quatre cinquièmes, même plus, étaient français d’origine européenne. Il y avait relativement peu de français musulmans, on les appelait ainsi, et ils ne dépassaient guère le grade d’agents techniques au maximum. Il n’y avait pas d’ingénieurs, à peine des contremaîtres.
Il n’y avait pas d’ingénieurs ?
Non, pas d’ingénieurs algériens, pas d’ingénieurs français musulmans. Non, les ingénieurs étaient cependant très nombreux sur le champ mais ils étaient tous européens. L’OAS avait pris une certaine emprise sur eux. Tout le monde s’est inquiété de ce phénomène mais je leur ai toujours dit que j’étais persuadé qu’en aucun cas les cadres français ne détruiraient l’instrument de leur travail. C’était cela qu’on craignait. C’était pour cela qu’on exécutait une surveillance par hélicoptère car on craignait qu’on dépose un explosif dans un puits, ce qui n’était pas difficile.
Et ce danger que vous craigniez venait de l’intérieur du personnel de la REPAL ou de l’extérieur ?
Il venait de l’extérieur. Il y avait des Répaliens qui étaient OAS en fait, mais ils respectaient l’instrument de travail. J’en ai toujours eu l’assurance, de la part de mon directeur général, qui était très sympathisant de l’Algérie française évidemment9.
Il était sympathisant Algérie française et adhérait à l’action de l’OAS ?
Oui, mais l’OAS n’a, existé réellement qu’à partir du mois de mars 196210. À partir des accords d’Évian, cela a pris une forme exacerbée mais seulement à partir de ce moment-là, c’est tout et cela n’a duré que peu de temps. Ils étaient Algérie française, c’était une nécessité pour eux, justement, de maintenir les champs de production. Il n’y a pas eu de tentatives d’attentats sur Messaoud. Tout a bien marché ou à peu près. Évidemment, lorsque sont venus les accords d’Évian, les gens se sont divisés, ils étaient contre ou ils étaient pour11. Cela a été une période très difficile puisque c’est à ce moment-là qu’a particulièrement sévi l’OAS. À l’Indépendance, la quasi-totalité des ingénieurs et personnels français est rentrée en France ; Colot, en particulier, est parti pour la France dès ce moment-là. J’ai donc pris le directeur général adjoint Leca comme second. Et le jour de l’Indépendance, plutôt le jour du vote pour l’Indépendance, le 1er juillet 1962, il y avait fort peu de personnes dans les locaux de la REPAL. Je n’y étais pas non plus, car mes voyages qui se déroulaient de quinzaine en quinzaine se trouvaient être réglés pour que je vienne le 24 juin et le 8 juillet. Je ne me trouvais donc pas à Alger le 1er juillet mais j’y étais ces deux jours-là comme c’était prévu.
Dès le mois de mars, se posait la question de la reconnaissance du Gouvernement de Monsieur Farès qui était à Rocher Noir. Rocher Noir en algérien se dit Boumerdess, ce n’est pas beau mais c’est ainsi. On y a construit une petite cité provisoire pour le Gouvernement provisoire, bien sûr. Dès le lendemain du 19 mars, quand je suis venu à Alger, j’ai dit à Colot que je me rendrais à Rocher Noir. Il m’a dit :
– « Président, mais vous n’y songez pas, vous serez attaqué sur la route, vous avez été condamné à mort par l’OAS, mais ne craignez rien, on vous aidera, mais n’allez pas là bas ».
– « Tant pis, j’irai là bas ».
– « Mais non, vous allez exposer un chauffeur à tout cela, c’est dangereux ».
– « Et bien, je conduirai tout seul ». Je suis donc allé à Rocher Noir et comme vous voyez j’en suis revenu et j’y ai retrouvé Farès, mon ami.
Vous ne vous étiez pas vus depuis longtemps ?
Il y avait quelque temps qu’on ne s’était plus rencontré parce que Farès avait été mis de côté. Je crois qu’il était en Suisse à ce moment-là. Il est donc revenu diriger ce Gouvernement qui avait comme Commissaire à l’Énergie le futur Docteur Abdesslam, je dis « futur » car il n’a pas pu achever ses études de médecine. Il est resté très longtemps Ministre de l’Énergie et de l’Industrie. J’ai donc fait connaissance du Docteur Abdesslam. Un de ses adjoints qui s’appelait Mahroug qui, lui, était plutôt financier, a été plus tard Ministre des Finances d’Algérie. Les techniciens du pétrole étaient Ghozali, en 1990 Ministre des Finances d’Algérie, puis, en 1990-1991, Ministre des Affaires étrangères et même Premier Ministre, et Nabi, Ministre de l’Énergie et de l’Industrie en 1988, jusqu’à la retraite d’octobre dernier.
Comment avez-vous été accueilli à ce moment-là quand vous êtes arrivé à Rocher Noir ?
À Rocher Noir ? Par Farès ! Comment voulez-vous que je sois accueilli ? Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Il y avait encore le drapeau tricolore à ce moment-là, ce n’est que le 2 juillet 1962 qu’on l’a remplacé par le drapeau vert et blanc. J’ai été très bien accueilli par Farès. Abdesslam ne me connaissait pas, Mahroug non plus, Ghozali non plus, ils m’ont connu par la suite. Leur grosse inquiétude était justement que l’OAS ne fasse sauter Hassi Messaoud. Je leur ai donné beaucoup d’assurance qu’ils n’en feraient rien. En effet, ils n’ont rien fait. Il y avait d’ailleurs une importante garnison à Hassi Messaoud.
Vous pensez que vous avez joué un rôle dans cette protection, dans cette sauvegarde qui a été accordée à ces puits de pétrole ?
J’ai joué un rôle purement moral, je venais tous les quinze jours, j’avais un nom fort connu en Algérie. J’étais condamné à mort par l’OAS, et toléré et même estimé par le FLN à ce moment-là. Il se trouve qu’à partir de juillet, cela a été le contraire, le FLN m’a condamné à mort, mais c’était la quatrième armée, celle d’Alger, ce n’était pas tout le FLN. Cela ne m’a pas fait plus d’effet que la condamnation à mort par l’OAS. On m’a simplement dit de ne pas sortir du Saint-Georges le soir, tout seul, dans Alger.
Quelles mesures de sécurité aviez-vous prises ?
Aucune. Que voulez-vous que je fasse ?
Avoir des gardes du corps par exemple ? Ce qui devait être chose répandue à l’époque ?
Peut-être, je crois qu’on agissait très individuellement selon ses propres idées et son propre courage, c’est tout. Ces gardes du corps m’auraient servi à quoi ? A attirer peut-être ? J’ai pris ma voiture, la citroën noire de service pour aller chez moi et j’en suis revenu, tout seul.
La condamnation à mort par l’OAS à partir de 1962, c’est en raison de votre rôle auprès du Général de Gaulle ?
Oui, peut-être, mon rôle auprès du Général de Gaulle. Je pense que c’était surtout en raison des souvenirs de ma présence en Algérie qui, évidemment avait cessé depuis 1949 comme directeur général des Finances, mais qui avait été maintenue comme président de la REPAL jusqu’à ce moment-là. J’étais plus connu à Alger comme président de la REPAL.
Politiquement, qu’est-ce qu’ils vous reprochaient ? L’OAS, c’est un combat pour l’Algérie française, donc c’est parce que vous êtes désigné comme un membre du camp adverse ?
Oui, justement. La preuve, c’est que mon directeur général est rentré en Métropole et moi, je suis resté président de la REPAL.
Et les menaces du FLN ?
Elles n’ont jamais été justifiées, cela venait de la quatrième armée du FLN, celle d’Alger qui était en lutte, c’est comme les Chinois, contre une autre armée, tout aussi peu armée qu’elle12. Je n’ai jamais eu de traces visibles, ni des uns, ni des autres, je n’ai jamais entendu dans mon voisinage un coup de feu ou quoi que ce soit.
Dans les deux cas, comment avez-vous été averti de cette menace ?
Nous sommes dans un pays méridional où tout se sait.
Là encore, la rumeur ?
Bien sûr, et même, tout s’invente !
Nous avons parlé de votre sécurité. Vous m’avez parlé aussi des mesures de sécurité prises autour des champs de production, cela recouvre quoi : des rondes ? des surveillances ? une présence armée ?
Il y avait une présence armée, un détachement militaire, je ne sais pas de combien de personnes, qui siégeait avec soin à cheval sur la limite des deux permis pour montrer qu’ils étaient tout autant CFP que REPAL, surtout respecter cela.
Un détachement militaire ?
Effectivement.
Pas de gardes privés ?
Non, les ingénieurs faisaient des rondes, tous les gens faisaient des rondes sur les puits bien entendu et il y avait une surveillance éventuellement, par hélicoptère, à laquelle j’ai participé plusieurs fois sans avoir jamais rien vu.
En ce qui concerne les locaux, l’implantation géographique de la REPAL, il y a des champs d’exploitation et il y a un siège à Alger ?
Un grand siège à Alger, une grande bâtisse qui est actuellement je ne sais quel organisme, un Ministère de l’Énergie qui est là-bas, dans le haut d’Alger, le quartier qu’on appelle Hydra. La REPAL avait 900 personnes au moins. Ils étaient bien 300 à 400 à Alger et même tout le personnel des champs. N’oublions pas qu’il y en avait deux, Hassi R’mel et Messaoud-Sud, Messaoud-Nord étant à la CFPA.
Il y a donc une présence d’ingénieurs des Mines relativement importante ?
D’ingénieurs au corps des Mines et d’ingénieurs civils des Mines ou des Ponts, les deux.
Vous-même, vous n’êtes pas ingénieur.
Eh non ! C’était le grand malheur, j’étais inspecteur des Finances, c’est ce qui a fait se développer ma carrière pétrolière avec quelques heurts13.
Des heurts avec les ingénieurs des Mines précisément ?
Oui, mais il faut revenir en arrière. En 1962, c’est la fin de la souveraineté française en Algérie, mais les choses restent en l’état dans l’immédiat. Entre temps, il a bien fallu, de 1956 jusqu’en 1962, date de l’indépendance de l’Algérie, organiser notre production. Il fallait la vendre : il fallait d’abord la transporter d’où la construction des oléoducs, la vendre, d’où la création d’un service commercial à la REPAL.
J’ai eu une chance unique dans ma vie, c’est qu’on ait découvert Hassi Messaoud en juillet 1956, et que j’ai quitté le Budget, le 31 décembre 1956, l’affaire n’était plus une affaire technique que Colot pouvait gérer seul parfaitement. Il fallait tout à la fois financer la mise en production puis commercialiser ce pétrole. C’est à partir de ce moment-là que j’ai directement pris l’affaire en mains, ce que je n’aurais pu faire si j’étais encore directeur du Budget. J’ai eu d’ailleurs toutes les facilités désirables. Que ne faisait-on pas à cette époque pour le pétrole ? On a monté un financement de 30 milliards de l’époque. Puis il a fallu passer des contrats de vente, en assurer le financement d’une façon générale.
Là j’ai eu des conflits avec la CFP. Nous étions, précisons à 50,1 et 49,9, propriétaires de la production. Il y a eu un gros conflit avec Victor de Metz qui m’offrait de reprendre toute la production d’Hassi Messaoud à un prix qu’il fixait, au prix de revient majoré d’une faible marge et je n’aurais plus à me soucier de la vente effective. Cela a été un conflit très grave car sa proposition aboutissait surtout à ceci, à priver la REPAL de tout bénéfice réel. Je lui ai donc dit qu’il m’était impossible d’accepter. Alors, il m’a fait venir trois samedis après-midi, à son bureau, pour me faire des « recommandations » car effectivement, lui était un vieux pétrolier, tandis que moi j’étais un jeune financier qui n’avait jamais vendu de pétrole. Mais je n’ai pas voulu aliéner l’indépendance de la REPAL. Je n’ai pas voulu accepter et je lui ai dit qu’il commettait la plus grosse erreur de sa vie, quoique grand président, car la REPAL, et les autres sociétés, se développeraient et qu’elles se développeraient alors au détriment de la CFP. En effet, la CFP était assurée par la loi de 1923 qui réservait à la Compagnie française de Raffinage, la CFR, un quota de 25 % dans la distribution de tous les carburants en France qui permettait aux sociétés françaises d’atteindre la moitié du marché, les sociétés étrangères ayant l’autre moitié14. Effectivement, la REPAL ne pouvait se développer que sur la part de la CFP, beaucoup plus que sur la part des étrangers, donc c’était une erreur fondamentale de la part de Victor de Metz. Je me souviens qu’un jour à Messaoud, j’en avais les larmes aux yeux en en parlant avec Bénézit et en lui disant que son président avait commis une erreur, que nous allions être des ennemis commerciaux alors que, s’il avait eu la simple idée de dire « cela coûte cher, et c’est vrai, de commercialiser ce pétrole, vous allez prendre et financer 10 % du capital de Total, je veux dire de la CFP, et puis nous vous rachèterons la bonne production à des prix normaux », s’il avait eu cette simple idée, cette seconde société française ne se serait jamais développée et les grandes controverses qu’il y a eu dès 1958, « faut-il avoir une société ou plusieurs sociétés françaises de pétrole ? » n’auraient jamais eu lieu.
Toute cette période antérieure à 1962, c’est celle où j’ai joué un rôle dominant dans la REPAL. Colot, lui, était resté très ingénieur-géologue, il a quitté la REPAL en 1962 et a été remplacé comme directeur général par Prada. Jean Prada, alors chargé de mission à la Direction des Carburants, qui a été président d’Elf France puis à l’Entreprise minière et chimique, en tant que président du directoire est maintenant président de chambre à la Cour des Comptes. Nous avons eu à monter toute une série de systèmes, des contrats à passer avec les autres sociétés qui opéraient notamment au Sahara. Le Gouvernement avait imposé, à chaque société, de reprendre une part de l’huile produite au Sahara, proportionnelle à ses quotas de distribution en France. Ce pétrole dit « du devoir national » était vendu à un prix qui n’était pas le prix commercial du marché, mais qui était ce qu’on appelait « le prix posté ». Ce prix était à ce moment-là non pas 16, 18, 24 à 35 $ le baril, prix que vous connaissez actuellement, mais 2,08 $ et nous étions même obligés de nous faire une ristourne pour descendre jusqu’à 1,80 qui était alors en gros la valeur commerciale, sans cela il n’aurait pas été possible de raffiner, etc. Tous les autres producteurs qui vendaient en France et se trouvaient au Sahara, se sont vu dans l’obligation de racheter à 2,08 $ une quote-part égale à leur quota de distribution15. Le premier contrat qui a été passé, l’a été avec la BP, entre BP et REPAL. Cela a été négocié par mon chef des services commerciaux et j’ai dû discuter âprement des derniers termes de l’accord futur, c’est-à-dire les 2 cents par baril qui nous séparaient16. Cela s’est terminé par, évidemment, comme dans toute bonne discussion, par 1 cent. J’ai donc discuté, avec Monsieur Huré, le premier de ces contrats, ensuite tous les autres ont été sur le même modèle, mais c’est moi qui ai fait le premier !
Ensuite, on a racheté Caltex, petite société américaine, qui était pour moité Standard of California et Texaco et qui avait une raffinerie, de mauvaise aloi d’ailleurs, à Ambès. Elle distribuait dans les 4 millions de tonnes à peu près. Finalement, on a racheté Caltex dans des conditions qui ont été onéreuses, après coup, ce qui a permis notre première vente directe. On a construit ensuite la raffinerie d’Alger17. Celle-ci avait une capacité de 1 million 1/2 de tonnes dans lequel la REPAL voulait avoir une part mais de Metz ne voulait pas. Il est d’ailleurs venu me voir, cette fois à mon bureau à Matignon puisque j’étais au cabinet du Général de Gaulle, et je l’ai reçu très froidement en lui disant que la REPAL aurait une part, de toute façon, parce qu’il n’y avait pas de raisons qu’elle n’en ait pas, au besoin par ordre gouvernemental.
Lui, s’y opposait pour quelles raisons ?
Pour les mêmes raisons : il fallait que nous restions uniquement producteurs et n’intervenions pas dans le négoce.
Qu’a-t-on encore fait ? Beaucoup de choses, nous avons acheté quelques pétroliers. Il y a eu la Compagnie nationale de navigation qui a été créée. On a fait énormément de choses, dès avant 1962. Puis alors, en 1962, il y a eu les grosses discussions dans lesquelles on a créé ce qu’on a appelé l’UGP, l’Union générale des Pétroles, qui était notre « holding de vente ». Dans l’UGP, les intérêts des producteurs que nous étions, les intérêts des vendeurs que nous étions, n’étaient pas les mêmes pour les uns et pour les autres parce que les pourcentages de la production n’étaient pas les mêmes. La REPAL a pu jouer un rôle d’arbitre à ce moment-là, parce qu’elle avait droit au tiers des ventes puisque l’UGP était une société faite par trois parts égales entre le BRP, la RAP18 et la REPAL. [....] Et si je me bagarrais à ce moment-là, c’était pour le prix auquel justement l’UGP achetait le pétrole à ses adhérents producteurs, c’est-à-dire le BRP, par le compte de la SNPA, la RAP et la SN REPAL, chacune pour 1/3. Je vous ai déjà dit que la REPAL pouvait jouer le rôle d’arbitre parce qu’elle avait un tiers du capital de l’UGP et presque un tiers de la production et finalement, ce qu’elle perdait sur le prix acheteur, elle le gagnait sur le prix vendeur. Donc je pouvais être le plus impartial et c’est peut-être un peu ce qui m’a brouillé avec les vrais pétroliers, non inspecteurs des Finances, Delavesne, représentant du BRP, et Moch représentant de la RAP, qui se disputaient sur les prix de vente. C’était divertissant et cela m’a appris beaucoup de choses.
Et puis, autre chose : Colot étant parti et Prada n’étant pas plus ingénieur des Mines que moi puisqu’il était membre de la Cour des Comptes, finalement c’est à Paris, dans les beaux bureaux que la REPAL avait loué au 51 avenue Raymond Poincaré, que s’établissaient les plans de production du gisement d’Hassi Messaoud, avec Bénézit, président de la CFPA. Bien entendu, nous n’étions jamais d’accord d’emblée sur les quantités à tirer d’Hassi Messaoud mais nous arrivions quand même à un compromis pour finir. Finalement, même pour l’implantation des puits, j’étais arrivé à connaître suffisamment de choses pour que la direction de la production vienne me soumettre ses projets et prendre des décisions. Cette partie de ma vie pétrolière a été passionnante. [...]
Il faut reconnaître que lorsque j’étais au cabinet du Général, ma vie n’était pas simple. Je convoquais mes collaborateurs de la REPAL le matin, à 8 h 30, ils n’aimaient pas beaucoup cela, je restais au 51, avenue Raymond Poincaré jusqu’à 9 h 30-10 h. À 10 h, j’allais à Matignon, j’y retournais en début d’après-midi, je faisais ce qu’il y avait à faire suivant les jours et j’apparaissais au Crédit foncier, généralement vers 19 h 30. Tout cela était possible, alors que j’étais sous-gouverneur du Crédit foncier, grâce à la gentillesse de Boissard qui me laissait toute liberté. Je me souviens je sortais du Crédit foncier alors que toutes les lumières étaient éteintes et j’étais obligé de me munir de ma lampe de poche ! À cette époque, j’étais encore jeune et passionné ! Il y aurait beaucoup de choses à dire, mais tout cela devient personnel. Ce n’est pas d’un intérêt général. Disons simplement ceci, c’est que j’ai su gérer cette société de pétrole, du moins je le crois, à la satisfaction des intérêts français, jusqu’en 1966.
Que s’est-il passé à ce moment-là ? Que dire des négociations qui se sont menées entre la direction des Carburants, le Ministère des Affaires étrangères avec Wormser d’une part et les Algériens qui avaient déjà trois ans d’indépendance et qui tenaient à récupérer la moitié de la REPAL ? À ce moment-là, ils n’en demandaient que la moité. Les négociations ont abouti à un accord que j’ai beaucoup blâmé. J’ai d’ailleurs écrit une lettre au Général sur ce sujet parce que, en fait, on dissolvait la REPAL. On la mettait à 50-50 et chacune des deux parties reprenait la moitié de la production, de sorte que la REPAL elle-même était pratiquement appelée à disparaître. C’était une idée que Guillaumat, alors directeur des Carburants, avait déjà eu dès 1956 lors de la découverte d’Hassi Messaoud. [...]
Je ne vous ai pas dit comment je m’étais sorti des vues de Guillaumat en 1956 ? Excusez-moi, il faut que je revienne en arrière. J’avais reçu au Budget à la fin de l’année 1956, une note dans laquelle le directeur des Carburants, au nom de son Ministre, m’avisait que la REPAL produirait son propre pétrole mais qu’elle devrait remettre sa production à ses actionnaires, alors moitié Algérie moitié BRP. Je n’étais pas d’accord du tout, je ne produirai pas comme cela pour que les autres vendent, étant donné que je m’étais donné beaucoup de mal pour monter le développement de la vente. Bref, on insistait sur un danger financier : en effet, en 1956, on sentait déjà poindre certaines éventualités d’indépendance de l’Algérie, ce n’était pas possible de laisser l’Algérie dans cet état d’égalité. C’est là où j’ai eu l’idée de céder 20 % du capital de la REPAL prélevé sur la part de l’Algérie, plus exactement prélevé sur la part de l’un et de l’autre, de prélever 20 % en faveur des REP ; c’est ainsi que FINA-REP, COFIREP et REP-FRANCE sont devenus actionnaires de la REPAL à raison de 20 %. J’avais à ce moment-là un conseil tripartite dont j’étais le président que personne ne contestait ! [...] La survie de la REPAL en 1958, je l’avais due à la compréhension de Monsieur Raymond Barre, directeur de cabinet de Jean-Marcel Jeanneney, qui a arbitré entre le maintien de la REPAL et le partage de la REPAL entre la RAP et le BRP que voulaient les autres pétroliers nationaux. Vraiment, je n’ai jamais trouvé de bonnes raisons à ce partage. [...]
Si je reviens sur le conflit qui avait pu vous opposer à la CFP, en fait, il y a eu plusieurs conflits. Il y avait deux écoles : rester seulement producteurs et vous-même qui défendiez plutôt l’idée d’être producteur, raffineur et vendeur ?
Pas tout à fait. La SN REPAL était l’homologue de la CFPA. C’est avec elle qu’elle avait traité. C’est avec elle qu’elle partageait la production. La CFPA n’avait aucun rôle commercial, elle cédait son brut à un prix X à la CFP et c’est au besoin la CFP qui ensuite l’utilisait et le vendait et la CFP était obligée de payer à la REPAL, sa part au prix posté et non pas au prix du marché mais cela est à part. Monsieur de Metz aurait volontiers limité la REPAL au rôle de la CFPA et je n’ai pas voulu car je savais bien que je serais entièrement dépendant à ce moment-là des bénéfices ou pertes de la CFP. Si les grosses sociétés de pétrole font beaucoup de bénéfices c’est parce que le prix de revient de l’huile à cette époque laissait une très grosse marge qui, ensuite, était en partie absorbée par les frais de raffinage et de distribution. Le brut tout compris, y compris les impôts revenait à 1 dollar 10 à Messaoud et au Moyen-Orient le brut revenait à 10 cents par baril à ce moment-là. Quand on vendait 1 dollar 80, cela laissait une belle marge bénéficiaire.
En matière d’arbitrage ultime et définitif, quand il y avait un conflit entre la CFP et vous-même, la REPAL, par exemple, qui décidait ?
Pas d’arbitrage. Il fallait bien qu’on s’entende, d’ailleurs nous étions deux sociétés privées, théoriquement.
Théoriquement ?
J’ai dit théoriquement parce qu’effectivement mes actionnaires étaient à 80 % des établissements publics. J’étais par avance, comme le souhaitait Monsieur Mitterrand, une société d’économie mixte mais je me trouvais traité sur le plan civil ou commercial tout à fait normalement. On n’évoquait pas de droit administratif. On n’a jamais eu à se rendre dans un tribunal, sinon ç’aurait été devant le tribunal de commerce, je ne sais pas ce que nous aurions fait mais cela se serait certainement passé au tribunal de commerce, s’il y avait eu un litige sur les prix mais les prix étaient fixés d’un commun accord. [...]
Et sur le débat : une ou plusieurs sociétés de pétrole ?
On était bien obligé d’en avoir plusieurs, s’il n’y en avait qu’une, la REPAL disparaissait.
Vous auriez été absorbé ?
Oui, bien sûr. Cela a été une discussion générale du Gouvernement, du temps du Général avec Monsieur Jeanneney, Ministre du Général, donc c’est postérieur à 195819. C’est quand on a créé l’UGP justement, l’Union générale des Pétroles, où ils voulaient ne laisser que 10 % à la REPAL, j’ai obtenu de Jeanneney que finalement la REPAL garde son tiers et que les autres n’en aient que les deux tiers. C’était une discussion politique française.[...] Grâce à Raymond Barre en 1958, grâce à Monsieur Jeanneney aussi, la REPAL a pu survivre jusqu’en 1962 et après 1962 également, dans les mêmes conditions qu’avant, avec les résultats que je vous ai dit. Je vous ai dit également l’importance du travail effectué car c’est quand même le début de ce qui sera l’ERAP et de ce qui sera Elf-Aquitaine, deux entreprises très importantes. En 1965, ma lettre au Général disait en substance ceci : « Vous voulez créer sous la forme d’une ASCOOP, une Association Coopérative de Production, une société qui partage sa production par moitié avec l’Algérie, chacun gérant sa part et ce faisant vous détruisez la REPAL. En tous les cas, depuis 1962, je peux me vanter d’avoir réussi au sein de la REPAL à mener une collaboration avec les ingénieurs algériens, qui permettait à cette société de vivre, pourquoi n’en tenez-vous pas compte ? Vous ne voulez pas le faire. Pourquoi ne faites-vous pas l’ASCOOP avec les autres, qui n’ont pas d’Algériens chez eux, c’est-à-dire la CREPS20, etc. ? Pourquoi détruire la REPAL ? L’instrument dans lequel la coopération franco-algérienne s’est développée le plus harmonieusement et d’une manière étonnante ? C’est ce que tout le monde a toujours reconnu après ». Prada et moi, en effet, avions fait beaucoup de choses, y compris violer les lois algériennes. En particulier, ils avaient fixé à 2 000 francs par mois la rémunération maximale des cadres, à ces 2 000 nous ajoutions quelques primes. Finalement, une nouvelle négociation s’est déroulée, qui a eu pour objet de créer entre la France et l’Algérie une ASCOOP moitié-moitié, ce qui n’a pas manqué de donner des histoires invraisemblables entre l’Algérie et le BRP. L’Algérie d’ailleurs se montrant d’une extrême mauvaise foi dans tout ceci, tandis que la CFPA au contraire, se débrouillait très bien21. Il faut dire que, par ailleurs, c’était Guillaumat, le patron de cette affaire et que Guillaumat avait été Ministre des Armées en 1958, il ne faut pas l’oublier. Les relations entre Alger et lui n’étaient pas les plus cordiales. Je trouve que c’est dommage qu’il y ait eu cette mésentente entre les pétroliers français et les Algériens parce que cela a coûté cher à la France. À mon avis, on aurait pu s’en tirer mieux que cela, par exemple concernant la REPAL. Il aurait pu y avoir rétrocession à l’Algérie ou rachat par l’Algérie de sa part. [...]
Cette belle construction d’un conseil tripartite a disparu en 1965, l’Algérie a racheté ses parts au BRP par je ne sais quels moyens. Il y a eu une transaction qui a fait que l’Algérie est remonté à 50 % et le BRP aussi et qui disait expressément « que le président de la REPAL serait algérien et que pendant les cinq premières années, le directeur général serait français ». C’est ce qui m’a amené en milieu de 1966, lors de l’arrêté des comptes, en juin 1966 précisément, à rappeler au conseil que je ne remplissais plus les critères pour être président de la REPAL et que dans ces conditions, je remettais mon mandat à sa disposition.
Blancard et Guillaumat m’ont alors proposé d’être président de la SOFRE-PAL, qui recevait les 50 % français de la SN REPAL, et vice-président de la nouvelle REPAL algérienne. Cette vice-présidence était pour moi inacceptable et la présidence de la SOFREPAL encore plus, puisque cette société serait en quelque sorte fictive et un simple compte dans les écritures de l’ERAP, sans aucune personnalité. Je leur ai donc dit que cela ne m’intéressait pas. Un siège à l’ERAP, je l’acceptais volontiers parce que je considérais que cela me revenait de droit, en ma qualité de cofondateur de l’UGP, et que cela m’intéressait. Mais je ne voulais pas avoir de faux commandement ! C’est ainsi que je suis resté administrateur de l’ERAP jusqu’en 1978, année où mon mandat est venu à expiration.
Monsieur Giscard d’Estaing, toujours très désireux d’assurer le rajeunissement des cadres, s’étant avisé que j’avais atteint 65 ans, alors que pour les administrateurs la limite était fixée à 70 ans, s’est opposé au renouvellement de mon mandat à l’ERAP22. J’ai donc quitté l’ERAP, mon siège est resté, personne ne s’en est aperçu, vacant pendant près d’un an parce qu’il s’est trouvé que Giraud, qui était alors Ministre de l’Industrie, s’était mis dans la tête qu’effectivement cela me revenait de droit d’être toujours administrateur d’ERAP ! On ne m’a donc pas donné de successeur à l’ERAP pendant quelque temps et puis un beau jour, on l’a fait ! C’est ainsi que j’ai quitté finalement le monde du pétrole, pas par la grande porte.
Par contre, je l’ai quitté par la grande porte en ce qui concerne l’Algérie, car je dois tout de même vous dire, bien que ce soit peu modeste de ma part, qu’au moins l’Algérie a su, elle, me remercier de ce que j’avais fait. Ils m’ont donné une très belle réception d’adieu où Monsieur Abdesslam, oh surprise ! a commencé par faire l’éloge du directeur général des Finances que j’avais été en Algérie. Je suis bien le seul fonctionnaire du Gouvernement général à avoir reçu de la République démocratique et populaire d’Algérie des remerciements. Il a ajouté que pour la REPAL, on ne m’oublierait jamais, que je serai président d’honneur et toujours vivant dans leur esprit. Mais je ne suis pas ayatollah alors mon souvenir n’a pas vécu longtemps ! Néanmoins, je dois dire que pendant cinq ans, ils m’ont invité avec ma femme, toutes les années au conseil de mai qui se tenait, conformément aux usages que j’avais lancés et Dieu sait si on ne voulait pas déroger aux usages que j’avais lancés, qui se tenait à Hassi Messaoud et qui était accompagné d’un voyage au Sahara. Pendant cinq ans, de 1966 à 1971, ce fut acquis.
En 1971, tout le monde s’est brouillé à cause de la nationalisation de tous les pétroles à 53 %. Puis les algériens m’ont réinvité en 1972, qui a été le dernier Conseil de la REPAL. Par ailleurs ils avaient débaptisé la CFPA en l’appelant l’ALREP, c’est-à-dire le mot REPAL à l’envers. L’ALREP et la REPAL ont tenu leur Conseil le même jour, l’un le matin, l’autre l’après-midi, un déjeuner en commun a été pris à Tinrhir, mais cela a été la fin de la REPAL qui a disparu, absorbée par la SONATRACH. Quant à l’ALREP, je ne sais pas ce qu’elle est devenue... Rien du tout, c’est la fin de la France au Sahara, en 1972. Je ne suis pas retourné à Alger de 1972 à cette année où j’y suis retourné pour y transférer les cendres de mon épouse, conformément à ses dernières volontés.
Je crois que je vous ai dit beaucoup trop de choses sur certains points, pas assez sur d’autres, parce que cela a représenté quand même beaucoup de travail. Quand il faut monter ces contrats, monter le financement, quoique celui-ci m’a été facile, parce que je l’ai fait à l’envers. Je sais maintenant comment on fait du crédit à moyen terme et tout ce avec quoi les banques peuvent enquiquiner ceux qui veulent des crédits à moyen terme. Pour moi, cela a été plus simple, je suis allé voir le gouverneur de la Banque de l’Algérie, je lui ai dit : « J’ai besoin de 30 milliards »23. Il m’a répondu : « Ah, si la Banque de France veut bien les réescompter, c’est d’accord ». Je suis allé voir Baumgartner, je lui ai dit à nouveau : « J’ai besoin de 30 milliards ». – « Si la Banque de l’Algérie les escompte, moi je les réescompterai ! » Après quoi il a fallu que je cherche des banques pour avoir la première signature, la difficulté n’a pas été de les trouver, ça été de répartir ce gâteau, à ce moment-là24. Elles en voulaient du gâteau, jusqu’au jour où tout à commencé à mal tourner. Il y a une banque à qui je ne pardonne pas, je ne dirai pas laquelle, d’avoir refusé d’escompter mes papiers, je lui ai dit :
– « La question ne se pose pas, vous trouvez qu’il y a un risque particulier parce que la REPAL est une société algérienne mais vous êtes engagé et je vous paye la commission d’engagement depuis des années »
– « Mais on vous la remboursera »
– « Je refuse parce que, outre la commission d’engagement, vous avez gagné quelques profits, donc vous continuerez à m’escompter mon papier »
– « Il faudrait quand même la caution d’une société française ! »
Qu’à cela ne tienne. La REPAL était une société au capital de 450 millions de nouveaux francs, j’ai créé la CIFAP, et cela figure dans le bottin mondain et dans les autres annuaires. Reyre, alors le président de Parisbas, m’a vendu à prix coûtant une société coquille vide pour 10.000 francs25 et la CIFAP devenue « Compagnie industrielle de financement des activités pétrolières », a cautionné la REPAL au capital de 450 millions et grâce à cela les banques m’ont accordé les crédits !26
Finalement, vous avez eu tout ce que vous vouliez ?
J’ai obtenu tout ce que je voulais. Mais enfin, c’est une plaisanterie, faire cautionner, parce que c’est une signature française, la REPAL par la CIFAP, quelle plaisanterie mais bon, les banquiers ont leurs tabous, respectons-les.
Le financement n’a été fait qu’à partir des banques ?
Non, à partir du capital. Les 450 millions ne sont pas venus uniquement des banques. Comment est-ce que je faisais pour faire augmenter mon capital ? Je sais qu’il y a eu plusieurs augmentations de capital et que c’était Maître Renucci qui les enregistrait à Alger. Je lui avais dit que je lui paierais ses commissions à condition qu’il ne me donne pas lecture de l’acte d’augmentation de capital, parce qu’il y en avait pour une heure à lire tout cela. Moyennant cela, il a touché sa commission et moi j’ai eu mon capital.
Quelles étaient les parts ?
Moitié-moitié pour le BRP et l’Algérie. Quand il y a eu les REP, dès ce moment-là, elles ont payé 20 %27. Elles avaient assez d’argent pour cela. C’était la ruée vers l’or. Les émissions de la FINAREP et de COFIREP, que je n’ai pas eu mais j’ai eu REP FRANCE, étaient closes avant d’être ouvertes, il y a eu une folie à ce moment-là. Cet argent, ils l’ont placé dans la REPAL en partie, et dans les autres sociétés pétrolières ou coloniales et puis l’Algérie et l’État ont fait le reste. Il n’y avait pas de bénéfices que je sache. Je ne me souviens pas qu’on ait jamais distribué de dividendes, non, parce qu’il y avait beaucoup à payer. Les 30 milliards d’investissement ont été financés, je le rappelle par un crédit moyen terme qui a été remboursé à échéance sans la moindre difficulté. Cela n’avait pas été gratuit, en tous les cas. L’Algérie, le BRP d’une part et les REP d’autre part ont assuré le financement de la REPAL en capital, se payant par l’accroissement de la « valeur » de la Société.
Comment considériez-vous le financement du pétrole en tant que directeur du Budget ?
Alors ça ! En tant que directeur du Budget, j’ai toujours considéré que le pétrole d’une part, l’énergie atomique d’autre part étaient des choses trop délicates pour laisser les Ministres décider seuls de leur avenir et que dans ces conditions, comme le directeur du Budget discutait avant le Ministre, il fallait que je m’entende chronologiquement avec l’administrateur du CEA d’une part et avec Monsieur Paul Moch, le directeur du BRP d’autre part, sur les crédits dont ils avaient absolument besoin. Comme Moch était très raisonnable, j’avais presque honte de ne lui donner que ce qu’il demandait, il a toujours été modéré. Pour le CEA également, sauf une fois. [...]28
En tant que directeur du Budget, vous donniez des crédits au BRP globalement ?
Oui.
Ensuite le BRP faisait la répartition ?
Cela le regardait, le Budget n’avait pas à s’en occuper, peut-être la curiosité de savoir, mais enfin, cela ne le regardait pas normalement. On donnait une dotation au BRP assez importante.
La répartition se faisait comment au sein du BRP ?
J’étais es qualité au BRP mais toujours représenté par un sous-directeur qui me rendait compte simplement.
Vous m’aviez dit que vous aviez gardé ce secteur sous votre tutelle budgétaire personnelle de manière à garantir le financement régulier. Quel était votre projet ?
Je n’avais pas de projet, sauf pour la SN REPAL que je présidais. C’était aux agents du BRP d’une part, du CEA d’autre part, d’avoir des projets. Cela ne me regardait pas. Quant aux pétroliers, comme je vous ai dit, Paul Moch était lui-même très économe, donc je me suis toujours bien entendu avec lui. J’avais rarement à réduire les demandes qu’il faisait. Et puis comme d’autre part par l’intermédiaire de la REPAL, je savais un peu ce que coûtait la recherche, j’étais donc assez bien placé pour pouvoir donner là un sentiment valable sur la question. Je dis bien la recherche parce qu’il ne faut pas oublier que les grandes découvertes sahariennes datent de 1956, ma dernière année au Budget. Je n’ai donc pas eu à m’occuper du financement du développement et de l’exploitation29.
En ce qui concerne le financement de la recherche pétrolière, le fonds de soutien des hydrocarbures, qu’en pensez-vous ?
Je ne pense pas qu’il ait été très alimenté à ce moment-là mais il a toujours été nourri par une petite surtaxe. Ne me faites pas parler de la provision pour la reconstitution des gisements.
Si, je voulais vous en parler justement.
Je préfère n’en pas parler parce que j’ai oublié le détail de son calcul. Vous m’avez dit que Blot vous avait dit que c’était le seul point où on l’avait vraiment violé.
C’était l’exemple qu’il me donnait de l’influence des pétroliers, car lui, il y voyait une manifestation de ce lobby pétrolier qui avait essayé d’obtenir des exonérations fiscales.
Justement ces exonérations fiscales étaient à mon avis très normales dans un pays qui comme la France n’avait pas de ressources pétrolières sur son propre sol ou sur des territoires sous son influence politique. Il fallait de toute nécessité, et d’urgence, financer la recherche pétrolière et c’est toujours la même chose : on peut la financer par des crédits budgétaires généraux mais à ce moment-là ça passe à la moulinette d’ensemble et quand on demande une réduction, un abattement général de x % des dépenses, comme c’est très fréquemment le cas, ça tombe comme un couperet. Alors il n’était pas anormal qu’il y ait cette provision pour reconstitution de gisement qui est un abattement sur l’impôt qui frappe les bénéfices des gisements découverts qui appartiennent aux sociétés françaises. Il faut consacrer beaucoup d’argent pour trouver une tonne d’huile que j’appellerais « consolidée ». C’est-à-dire une tonne qu’on puisse reproduire pendant plusieurs années.
Vous aviez l’idée qu’il fallait protéger ce secteur pétrolier français et le favoriser, y compris par des mesures fiscales particulières.
Oui, d’autant plus que c’était une disposition assez mondialement pratiquée. La provision pour reconstitution de gisement est, je crois, une chose qui existe dans beaucoup de législations extérieures30. Je n’en mettrais pas ma main au feu mais enfin ça paraissait être une chose relativement normale même quant à son taux qui était, je crois, de 27,5 % c’est-à-dire très élevé.
Toujours à propos du pétrole, pouvez-vous parler des divergences entre Guillaumat et vous-même ?
Ce sont des divergences qui concernent exclusivement l’avenir de la SN REPAL.
Est-ce qu’il n’y avait pas aussi des divergences plus larges, sur justement le secteur pétrolier dans son ensemble ? Comment conceviez-vous l’un et l’autre, à la limite, de travailler ensemble ? Est-ce que c’était simplement une divergence sur le sort de la SN REPAL ?
La vraie divergence a porté évidemment sur ce dernier point. Sur l’ensemble du secteur pétrolier, je ne pense pas qu’il y ait eu de grandes divergences, en ce sens que je n’ai jamais mis en doute l’intérêt et l’opportunité du secteur public. Mais s’il y avait, à la suite de découvertes, un gâteau à partager, je voulais que la REPAL en ait sa part et peut-être que Guillaumat ne jugeait pas de la même façon. Enfin il aurait préféré qu’elle ne soit pas à moitié algérienne. Mais il y a bien des gens qui auraient préféré que le Sahara fût dans le Bassin parisien. Il n’y avait pas que des pétroliers. Bien sûr, ç’aurait été plus commode. Mais le Bassin d’Aquitaine et même le Bassin parisien ou la vallée rhodanienne n’ont finalement jamais rien donné d’important en dehors du gisement de gaz de Lacq en France même. En Algérie du Nord, cela n’a rien donné non plus et au Maroc assez peu. Il fallait bien descendre à ce niveau saharien mais l’idée qu’on pouvait garder le Sahara français après l’indépendance des divers États qui le bordent, et surtout de l’Algérie, était une idée parfaitement fausse, une illusion, politique peut-être, mais totalement non géographique
Vous m’avez parlé des compagnies étrangères, quelle était leur présence en Algérie ?
Il n’y en pas eu beaucoup : au départ, il y a eu la SHELL qui a donc, outre sa participation de 35 % dans la CREPS, fait une société la CPA, la Compagnie des Pétroles d’Algérie, qui était intégrée directement à 65/35 et 35/65.
Et ensuite ?
Il n’y a eu que la SHELL au début, parce que les Américains toujours à la tête du progrès, avaient eu la bonne idée d’envoyer, vers 1950-1952, deux géologues, plus que respectables, pour voir quelles étaient les capacités pétrolières du Sahara et ces deux ingénieurs-inspecteurs ont conclu qu’il n’y avait pas et qu’il ne devrait pas y avoir de pétrole au Sahara français. Ils n’étaient pas intéressés. Cela ne nous a pas découragés et peut-être l’auront-ils ultérieurement regretté. D’ailleurs, ils se sont précipités sur la Lybie à ce moment-là31. Par la suite, plus tard, les choses étaient en quelque sorte jouées. D’abord parce que nos permis, quand on y ajoutait ceux de la CREPS et de la CPA couvraient la quasi-totalité du Sahara utile et puis les choses étaient déjà réparties. Pour venir, ils savaient qu’ils fallaient payer une sorte de droit d’entrée et, en tout cas à ce moment-là, qu’ils s’engagent à reprendre les quantités d’huiles. Vous savez, ce fameux droit régalien qu’on avait imposé aux sociétés, à la REPAL en particulier puisque c’était elle qui avait la plus grosse production, de revendre selon les quotas de distribution en France. Il ne restait pas grand-chose. Seulement les permis ne sont pas éternels, ils étaient accordés pour cinq ans ou quelque chose comme cela, renouvelables, et là, en principe, vous savez que l’on doit en restituer la moitié. Autant que je me souvienne, la réglementation des Mines est celle-là, c’est-à-dire qu’au bout de cinq ans, vous devez restituer la moitié. Pour cela, les gens les mettaient en portefeuille et ne faisaient rien du tout.
Vous m’avez parlé de la fréquence de vos voyages pendant l’année 1962 où vous alliez en Algérie très régulièrement, semble-t-il, quelle était cette fréquence quand vous étiez directeur du Budget ? Moins souvent ?
Oui, j’étais un président potiche avant 1956 dont le rôle essentiel consistait à faire le menu du déjeuner lors de la séance du conseil et à approuver le budget de la REPAL, parce qu’ensuite je le soumettais au Budget, donc je préférais l’avoir approuvé avant. Et puis je suivais ce qui se passait, on m’avait appris comment trouver de l’huile, etc. Mais l’Algérie et le BRP étaient représentés par deux ingénieurs, Bouakouir pour l’Algérie, qui était un très bon ingénieur des Mines et ensuite toute la représentation de la DICA et du BRP. Ils étaient sérieux et discutaient à perte de vue sur les forages qu’on implanterait. On a implanté sur la colline de l’Akboub dix forages, les deux derniers ont fait l’objet de discussions à perte de vue pendant plus de six heures.
C’est la phase très technique et très scientifique de la recherche ?
Exactement. Que voulez-vous que je dise. Je n’y connaissais rien.
Du point de vue du personnel d’exploitation, il y avait des ingénieurs dans l’encadrement ?
Des agents de maîtrise nombreux. Mais les agents de maîtrise étaient essentiellement français.
Venus de la métropole ?
Oui, ou des européens sur place.
Comment cela s’est-il passé après 1962 ? Est-ce qu’il y a eu une relève du personnel ? Est-ce que des cadres français ont décidé d’abandonner ?
Oui, la plupart sont rentrés. Il y a eu de grands départs, mais dans leur cœur – et même dans leur vie – ils sont toujours restés « repaliens ». Ils ont été intégrés dans l’ERAP puis dans la SNEA. Ils sont certes à la SNEA mais ce dimanche 25 juin, conformément à tous les usages, toutes les années, j’assisterai au méchoui que donnent les « repaliens » – ils en donnent un à Pau, ils en donnent un autre à Paris – les « repaliens » sont restés très liés et forment un noyau dur et cohérent à l’intérieur des pétroliers de la SNEA
Cela tient à quoi, une culture d’entreprise, au Sahara ?
C’est lié au Sahara, c’est lié à leurs malheurs parce que quand même, en 1962, quand ils sont repartis, ils ont eu des déceptions, notamment pour leur retraite. Ils n’ont pas les retraites normales, c’est une histoire qui dure depuis 25 ans ! Ils ont chapardé cinq millions à la REPAL, je ne sais pas trop comment, c’est déposé à la Caisse des Dépôts et Consignations et cela fait l’objet d’un procès qui dure depuis la fin de la REPAL. Quand on a été « repalien » on le reste. Et je vais encore vous dire une anecdote pour vous dire combien la REPAL, en tant que telle, subsiste dans les esprits. Maintenant Hassi Messaoud appartient à la SONATRACH, j’y suis allé déjeuner le jour où j’ai accompagné les cendres de ma femme à Ouargla. À Hassi Messaoud, le Ministre algérien du Pétrole était là et donc tout le personnel était rassemblé. Le personnel s’est aperçu que j’étais présent et avant mon départ on est venu me demander si je voulais bien recevoir les « repaliens ». Ils étaient douze, tous algériens bien sûr, dont le plus ancien était entré à la REPAL en 1965, c’est-à-dire un an avant que j’en parte, mais ils étaient restés « repaliens » et j’étais toujours « leur président ». Ils étaient tous algériens, donc cela prouve qu’effectivement, comme je l’avais écrit au Général, nous avions su, Prada et moi, créer quelque chose qui réalisait vraiment une fraternité franco-algérienne. Je regrette de ne pas avoir été entendu.
Qu’elle se soit interrompue si vite ?
Oui, elle se serait peut-être interrompue autrement, plus tard.
Lorsque ce personnel français est reparti, comment avez-vous recruté ? Y avait-il une relève de cadres qui s’est faite rapidement ?
Oui, et puis il y a eu des Algériens, on a vu apparaître Ghosali, etc. qui avaient fait leurs études, certains à l’IFP, d’autres, le plus grand nombre, au Polytechnicon de Lausanne, un autre en Tchécoslovaquie, le troisième je ne sais plus où. On a reçu quelques ingénieurs algériens. Un beau jour, cela se passait en 1970 à Hassi Messaoud, Aït Lahoussine était alors président de la REPAL, et la table s’étant largement vidée en fin de dîner, on s’est trouvé tous les deux seuls face à face, parce que c’était l’usage, au banquet final, le président et le « président d’honneur » au milieu de la grande table. Ait Lahoussine m’a dit : « Monsieur Goetze, il faut que je vous dise, l’Algérie ne s’est pas toujours bien conduite, elle ne vous dira jamais assez tout ce qu’elle vous doit, parce que – cela ne m’a pas fait un plaisir fou – la SONATRACH n’aurait certainement pas pu se débrouiller si vous n’aviez pas formé les ingénieurs que vous avez formés ». C’était très gentil, mais la SONATRACH avait expulsé la REPAL. D’ailleurs, le Ministre des Finances, alors Monsieur Mahroug, m’avait dit sensiblement la même chose à Alger.
Oui, mais elle gardait le personnel ?
Bien sûr, elle n’avait que celui-là alors. Ce qui prouve que Prada et moi avions fait un très gros effort de formation d’ingénieurs algériens et celui que j’ai surtout beaucoup estimé c’est un agent de maîtrise, M. Hamouten, qui le 8 juillet 1962, a demandé à me voir et m’a dit : « Monsieur le Président, je me présente, je suis un ouvrier, agent de maîtrise et je suis le délégué du syndicat UGTA, l’Union générale des Travailleurs algériens. Je me mets à votre disposition. Je l’en ai remercié car ce syndicat, jusque-là, était clandestin, bien entendu, tout ce qu’il y a de plus clandestin et rebelle. M. Hamouten a fait une école d’ingénieur, il est ingénieur et il a gardé, je crois, un bon souvenir de la REPAL.
Vous avez donc poussé ce dirigeant syndicaliste au sein de la REPAL ? Par formation continue ?
Non je l’ai envoyé à l’IFP. Il a fait de tout. Je ne peux pas dire que tout ait toujours bien marché entre 1962 et 1966. Je venais toujours fêter le réveillon à Messaoud le 31 décembre. J’ai eu deux années très difficiles, il y avait une espèce de révolte latente du personnel, avec Ben Bella comme Président, j’ai eu des manifestations déplaisantes, cela a passé.
Des grèves ?
Non, pas de grèves, des manifestations, justement le 31 décembre, des cortèges qui conspuaient, etc. Tout ne s’est pas toujours très bien déroulé parce que le personnel algérien s’était mis à submerger le personnel français et les ouvriers.
Et les Français à ce moment-là, dans un tel contexte, comment se comportaient-ils ?
Généralement bien, ils étaient bien moins nombreux, même comme ingénieurs. Surtout, il y a eu le remplacement des agents de maîtrise français, c’est-à-dire l’éternelle question des petits blancs qui étaient contre l’Indépendance de l’Algérie et pour cause. On les retrouve au méchoui annuel ici ou à Pau. A Pau, il y a l’ex-SNPA, la SNEA, le gisement de Mourenx, au centre pétrolier.
En ce qui concerne la vie des ingénieurs qui sont, par exemple, restés entre 1962 et 1966, ils habitaient sur place ? Ils venaient de la métropole ?
Ces gens étaient déjà là, il en est venu peut-être quelques nouveaux mais pas beaucoup, très peu. À la différence de la SNPA32 qui a réussi à faire une certaine noria pendant cinq ans au moins jusqu’en 1966.
Dernière chose que j’aurais voulu voir avec vous, c ‘est l’existence d’un lobby pétrolier dont on parle beaucoup sous la IVe République ?
Oui, forcément, ils ont quand même une puissance économique, ce qui est évident mais ils n’ont pas très bonne réputation. Et je ne suis pas certain qu’ils y aient beaucoup gagné, mais ils savaient se défendre. Il y avait la CFP et puis 50 % qui étaient des sociétés étrangères. Ces gens-là ne se maniaient pas très facilement. Mais à ce moment, au temps où j’ai pu encore être dans l’ERAP même, on ne faisait pas partie de l’UGSIP, l’Union Générale des Sociétés d’Industrie Pétrolière. Le secrétaire général était d’ailleurs un inspecteur des Finances qui avait pantoufle à la BP et qui s’appelait Bizard. Bizard qui a été longtemps à BP, en disponibilité, puis à la Chambre syndicale de l’industrie pétrolière dont ensuite le président a été Demargne, un ancien directeur général de la SNPA33.
Pour terminer, vous m’avez dit que finalement, la France avait perdu financièrement quand l’Algérie a récupéré des sociétés de pétrole. La France a mal négocié les dossiers ? C’est cela que vous voulez dire ?
Non, je ne peux pas dire cela. Je dis que le dossier de 1965 a comporté des erreurs. Je considère comme une erreur fondamentale pour la France d’avoir sacrifié la REPAL à une idée parallèle, qui n’a jamais marché, bien que dirigée par des personnes qui étaient très compétentes, Vaillaud ou d’autres mais qui connaissaient mal les Algériens. Ils se sont heurtés comme il n’est pas possible, donc la France y a perdu, parce que l’Algérie a imposé d’ailleurs, de très mauvaise foi, à l’ASCOOP, des servitudes, des amendes, des choses qu’elle n’a jamais imposées à la CFP A parce qu’elle avait peur de la CFP. L’Algérie avait peur de la CFP, elle n’avait pas peur du Gouvernement français car elle considérait que le Gouvernement français lui restait débiteur – de la guerre d’Indépendance qu’il avait perdue ! Les négociations tombaient toujours dans le politique et on disait toujours : « Vous avez suffisamment fait suer le burnous, vous pouvez payer ». Je me souviendrai toujours de l’amende de 10 millions de francs nouveaux qui a été imposé à la REPAL pour une déclaration d’impôt, la dernière d’ailleurs que j’avais eue à signer ; c’était celle de 1965-1966. Elle avait été timbrée du 1er avril à la Poste au lieu d’avoir été timbrée antérieurement, c’était un lundi qui venait après trois jours de fête, or on m’avait fait signer la déclaration à Paris le jeudi, il n’y a rien eu à faire, ils ont établi une amende de dix millions, on n’a pas payé mais on en a donné six quand même ! C’était de l’abus de droit !
Oui, mais on l’a payé ?
Oui, on ne pouvait pas faire autrement. La REPAL était administrée avec un président algérien à ce moment-là et il n’y avait même plus le directeur général français.
Vous avez été mêlé à ces règlements difficiles financiers ?
Bien sûr, parce qu’on m’a téléphoné directement à Paris en me disant : « Mais enfin, qu’est-ce que c’est que cette histoire-là ? » Je suis venu à Alger pour leur dire que c’était un abus honteux de formalisme. C’est tout ce que je pouvais leur dire ! Je n’avais plus d’influence pratique.
Notes de bas de page
1 Sur la création du BRP, cf. ci-dessus, IIIe partie.
2 Le gouverneur général de l’Algérie est alors Yves Chataigneau.
3 En réalité, la SN REPAL a été créée le 16 novembre 1946.
4 Les premiers forages de pétrole en Afrique du Nord sont antérieurs à la Seconde Guerre mondiale, aussi bien en Algérie qu’au Maroc, mais ils avaient été réalisés dans le Tell. L’Algérie bénéficiait d’ailleurs d’une petite production : 48 tonnes de pétrole brut en 1945, 164 tonnes en 1946.
5 C’est à partir de 1945 que les grandes compagnies pétrolières s’intéressèrent au Sahara. En mai 1950, la Compagnie française des Pétroles (CFP) déposait, parallèlement à la SN REPAL, une demande de permis exclusif de recherche de pétrole au Sahara. En janvier 1953, la CFP créa une filiale algérienne, la CFP-A à laquelle elle transféra l’ensemble de ses permis. Les premiers forages commencent en novembre 1952, mais c’est seulement en juin 1956 que les techniciens de la SN REPAL découvrent le gisement d’Hassi-Messaoud. Cette découverte suivait de quelques mois celle du gisement d’Edjeleh, à la frontière tunisienne, le 23 janvier 1956, faite par la Compagnie de Recherches et d’Exploitation des Pétroles au Sahara (CREPS) au sein de laquelle sont associés la RAP (54 %), la Shell Royal Dutsch (35 %), le BRP (4,5 %), SN REPAL (4,87 %) et la Société financière des Pétroles (1,63 %). La production d’Hassi-Messaoud démarra le 1er mars 1957.
6 Remarquons qu’indirectement, les découvertes de pétrole ont contribué au succès de l’emprunt de Ramadier. En effet Philippe Huet, directeur de cabinet de Ramadier, dans son témoignage au CHEFF rappelle les conditions de l’émission : « C’était la grande époque des découvertes de pétrole, et... les actions des sociétés de Recherche de pétrole, REP, ces actions... on commençait à trouver des tas de pétrole en Afrique du Nord, dans le Sahara, gaz, pétrole, tout ça avec en particulier Roger Goetze qui s’occupait de cela à l’époque, ça a été une des grandes – l’or noir, n’est-ce pas – ça a été une des grandes agitations, une des grandes nouveautés de cette période, et alors cela animait la Bourse qui était en montée régulière. D’où alors l’idée, en regardant les indices ...d’un emprunt indexé sur la Bourse, ce que nous avons fait finalement. Après avoir discuté avec le Trésor, c’était Schweitzer, ... ses services étaient contre, lui..., on a fait moitié-moitié, c’est-à-dire que l’on a dit moitié sur le cours des obligations, et moitié sur le cours des actions. Et, je dois dire que dans l’atmosphère de l’époque, cet emprunt, et c’était important politiquement, n’est-ce pas, a été un succès tel qu’au bout de trois jours on a été obligé d’arrêter. Parce que, non seulement on pompait toutes les parts disponibles, mais les gens convertissaient tous leurs autres avoirs en titres de l’emprunt. Alors les banques venaient nous supplier en disant : « Nous n’aurons plus rien, nous allons être à sec, c’est épouvantable ». Alors le truc s’emballait, deux cents, trois cents, trois cent vingt-cinq milliards, alors on a déclaré l’emprunt clos avant même qu’il y ait une semaine, n’est-ce pas, cela a été extraordinaire. » Transcription de l’entretien de Philippe Huet avec le CHEFF, p. 218.
7 Il est probable que la CFP ne souhaitait pas pousser la production algérienne, faute de trouver sur place un marché suffisant et de devoir écouler sur le marché métropolitain une quantité à ses yeux trop importante de pétrole algérien, revenant plus cher que ses autres sources d’approvisionnement.
8 Entre mars et juillet 1962, l’Algérie dirigée par un exécutif provisoire est livrée à l’anarchie : l’OAS, qui pratique la politique de la terre brûlée, multiplie les destructions tandis que les Européens entament leur exode vers la métropole, vidant l’Algérie de ses cadres et techniciens.
9 Il s’agit d’A. Colot.
10 En gestation depuis plusieurs mois, l’OAS est créée en février 1961. L’OAS s’est manifestée bien avant 1962, notamment par l’assassinat du maire d’Évian, le 31 mars 1961. Indiscutablement le personnel de la REPAL, comme celui de la CFP-A d’ailleurs, était très attaché à garder l’Algérie française comme en témoigne ce télégramme adressé au premier Ministre, le 28 janvier 1960 : « les pétroliers et exploitants de la SN REPAL et de la CFP-A affirment leur solidarité avec ceux qui luttent pour maintenir l’Algérie et le Sahara province française et participent à la grève générale ». Cf M.-B. Desjuzeur, La CFP-A, 1950-1971, mémoire de maîtrise, Paris I, sous la direction de J. Marseille, 1991-1992, ex. dactylographié, p. 54.
11 Contrairement à ce qu’on pourrait supposer, les Accords d’Évian ne constituent pas une rupture complète des conditions de recherche et d’exploitation du pétrole et du gaz au Sahara, l’Algérie confirmant, dans la Déclaration de principe sur la coopération pour la mise en valeur des richesses du sous-sol saharien, annexée à la déclaration générale, « l’intégralité des droits attachés aux titres miniers et de transport accordés par la République française en application du Code pétrolier saharien » de 1958.
12 Deux groupes principaux s’affrontent : d’une part, le GPRA, avec Boudiaf et Ait Ahmed, entraîne derrière lui les willayas II et III, la zone autonome d’Alger et la Fédération de France du FLN ; d’autre part, le groupe formé autour de Ben Bella qui s’appuie sur la willaya VI et l’armée de l’extérieur, commandée par Boumediene. Cf. M. Harbi, Le FLN, mirage et réalité, Jeune Afrique, 1980.
13 Cf. plus haut ce qu’il dit de la rivalité des grands corps en matière de débouchés.
14 La CFR (Cie française de Raffinage) filiale de la CFP (mais l’État est actionnaire à hauteur de 10 % du capital), disposait de deux raffineries l’une à Gonfreville (Manche), l’autre à La Mède, sur la côte méditerranéenne, d’une capacité d’environ 7 millions de tonnes pas an.
15 Le pétrole algérien est onéreux à la production, un dollar dix le baril, alors que le pétrole du Moyen-Orient ne coûte que 10 cents. En outre, les champs sont éloignés de la côte, générant des frais d’évacuation considérables. Les pétroliers, qui réalisent leur profit à la production, n’étaient donc pas très enthousiastes pour commercialiser le brut d’Hassi-Messaoud. Il fallut une contrainte de l’État, comme l’atteste P. Delouvrier, pour les y obliger, l’Algérie ayant alors besoin du pétrole pour financer son développement et pour permettre la naissance d’une industrie chimique locale. Pour faciliter la commercialisation du pétrole algérien, l’État imposa aux compagnies qui raffinaient ou commercialisaient des produits pétroliers en France un « devoir national » : elles étaient contraintes d’acheter un pourcentage de la production algérienne de pétrole égal à leur part du marché métropolitain.
16 P. Desprairies confirme l’âpreté des marchandages avec les raffineurs pour leur faire accepter l’achat de pétrole algérien, mais avec des rabais de 10 à 15 % sur les prix affichés. (Cf. Pierre Guillaumat, la passion des grands projets industriels, Colloque, éd. Rive droite, 1995, 230 p., p. 81).
17 Créée en décembre 1960, la Raffinerie d’Alger (capital social de 40 millions F) rassemblait, aux côtés de la SN REPAL, les sept compagnies pétrolières qui, directement ou par l’entremise d’une filiale, distribuaient des produits pétroliers en Algérie ou participaient à la recherche et à la production de pétrole en Algérie. La CFP en possédait 20 %, SHELL Algérie 18 %, ESSO Méditerranéenne 17,6 %, Compagnie française de raffinage 12 %, Pétrole BP 10,4 %, BERYL 6 %, MOBIL France 6 %, SN REPAL 10 %.
18 Rappelons que la Régie autonome des Pétroles, créée en 1939, est un organisme d’État destiné à impulser la recherche pétrolière sur le territoire métropolitain et dans les colonies.
19 J.-M. Jeanneney fut Ministre de l’Industrie de janvier 1959 à 1962.
20 Rappelons que la Compagnie de Recherches et d’Exploitation du Pétrole au Sahara (35 % Shell et 65 % RAP) a découvert le gisement d’Edjeleh, à la frontière tunisienne, en janvier 1956.
21 Si les Accords d’Évian amènent, dans le domaine pétrolier, un simple transfert de souveraineté de la France à l’Algérie, la stabilité apparente qui en résulte doit être appréciée aussi à l’aune des déclarations des responsables algériens, notamment le programme de Tripoli (juin 1962), qui évoquent, sans plus de précision, la nationalisation du pétrole algérien. Dès lors, la politique de la CFP-A est empreinte de prudence, comme en témoigne l’évolution de son bilan qui fait apparaître un repli des immobilisations (74 % du total du bilan en 1960, 47 % en 1965) tandis que la part du disponible s’élève (4 % en 1960, 35 % en 1965). Parallèlement, les amortissements sont poussés au maximum.
22 Valéry Giscard d’Estaing a profondément renouvelé les titulaires des entreprises publiques et les responsables des administrations. Les victimes sont nombreuses à avoir conservé une certaine rancœur de ce « spoil System » revendiqué par l’intéressé lui-même lors d’une conversation privée avec Bloch-Lainé. « Nous allons forcément vers un présidentialisme accru et il faut en tirer les conséquence. Les équipes dirigeantes sont amenées avec l’élu du peuple au pouvoir exécutif », F. Bloch-Lainé, Profession fonctionnaire, op. cit., p. 231. Pour un résumé et une bibliographie sur la « politisation » des hauts fonctionnaires, cf. N. Carré de Malberg, « Les hauts fonctionnaires et la Politique », Dictionnaire historique de la vie politique française au xxe siècle, ss la dir. de J.-F. Sirinelli, Paris, PUF, 1995, 1088 p.
23 Le gouverneur de la Banque de l’Algérie à l’époque où Baumgartner est gouverneur de la Banque de France de 1949 à 1960 est Watteau. Sur Watteau, cf. ci-dessus, IVe partie.
24 Remarque très intéressante qui mériterait d’être développée ou infirmer par des spécialistes d’histoire bancaire.
25 Jean Reyre, entré à la Banque de Paris et des Pays-Bas en 1924, en est directeur général depuis 1948 et président-directeur général de 1967 à 1969. On entend par « coquille vide » une société dont les activités ont été fortement réduites voire arrêtées mais qui subsistent juridiquement. Une histoire du destin de ces sociétés serait instructive et expliquerait pourquoi les banques notamment les conservent dans leur portefeuille.
26 Encore un point de vue critique sur le comportement étroitement juridique et myope des banques !
27 La FINAREP a été créée le 31 mai 1954, la COFIREP le 17 janvier 1955, la SAFREP le 24 février 1956, l’EURAFREP, le 9 septembre 1957.
28 Cf. plus haut quatrième partie. Goetze a déjà raconté cette négociation arbitrée par Edgar Faure aux dépens de Guillaumat.
29 Autant la participation des directeurs du Trésor et du Budget dans les conseils d’administration des entreprises publiques ou nationalisées est fréquente, autant la présidence par le directeur du budget d’une société d’économie mixte comme la SN REPAL est tout à fait exceptionnelle. Cette double casquette est due en partie aux activités non commerciales de la SN REPAL dans les années où Goetze est encore directeur du Budget.
30 Le principe de la provision pour reconstitution de gisement est également prévu dans la législation américaine.
31 Par lettre en date du 15 septembre 1951, la Royal Dutsch Shell a fait savoir au Gouvernement général de l’Algérie qu’elle serait susceptible de s’intéresser à des recherches de pétrole dans le Sud algérien.
32 C’est au château de Maslacq, propriété de la SNPA, que la CFPA envoie, à partir de 1961, des stagiaires.
33 François Bizard (IF 1942) entre à la BP en 1967 comme membre du comité de direction puis directeur général de 1969 à 1977. Auparavant il avait été attaché financier en 1947 et administrateur suppléant au FMI en 1950, membre du cabinet d’Edgar Faure en 1952, d’Abelin en 1952, puis directeur à l’OECE. Il entre ensuite à la Banque d’État du Maroc comme directeur adjoint en 1954 puis directeur général de 1957 à 1964. Il revient dans l’administration pour diriger la DREE en 1964-1965, puis retrouve le cabinet, au Ministère de l’Industrie cette fois, ce qui explique sans doute son passage dans l’Industrie. Il a été longuement interviewé par le CHEFF en 1990 et a déposé de nombreux documents.
Notes de fin
1 Ce chapitre regroupe toutes les remarques faites par Goetze sur son activité à la SN REPAL émises au cours de différents entretiens auprès de F1. Descamps ou de Ph. Müller-Feuga, c'est-à-dire les entretiens nos 6, 9 et 10. Les notes sur l'industrie pétrolière sont de Daniel Lefeuvre qui n'a pas eu le temps d'utiliser les archives privées que Goetze a déposées au CHEFF sur la SN REPAL.
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