Chapitre premier. Nomination à la direction du Budget, les structures et les effectifs1
p. 213-228
Texte intégral
1Je tenais beaucoup, avant de quitter l’Algérie, à assister à la première session de l’Assemblée algérienne. Cette première session s’est déroulée, normalement, en automne 1948. Donc, vers la fin de l’année 1948, se posait nettement le problème de mon retour en métropole puisque j’avais passé en Algérie plus de six ans. Normalement, le poste de directeur des Finances de l’Algérie est un poste de directeur général, assimilé comme tel au point de vue des traitements et d’autres avantages des fonctionnaires1. Il était normal que ma carrière se poursuive ailleurs qu’en Algérie2. Donc, depuis quelque temps déjà, depuis le milieu de 1948, on avait fait remarquer au Ministère des Finances que mon retour devenait urgent et qu’il fallait donc me trouver un poste3. Ce n’était pas facile. Les postes étaient pourvus et bien pourvus. Et on a surtout pensé à donner un successeur à mon ami Monsieur Gregh, qui depuis le débarquement avait remplacé le directeur du Budget, qui avait été, vous le savez sans doute, tué à la fenêtre de son bureau de directeur par une balle perdue, que ce soit des FFI ou des Allemands, on n’en a jamais rien su, peu importe d’ailleurs4. Quand Mendès est arrivé en 1944, il avait à pourvoir les diverses directions, mais celle-là en particulier. Gregh avait été nommé5. Il était là depuis cinq ans et on pensait que, peut-être, il pourrait aller ailleurs. Ce n’était pas facile de lui trouver un poste qui fût convenable pour lui. Donc si vous voulez, il fallait que Gregh trouve un poste et finalement on n’en a pas trouvé. Le pauvre Gregh a été nommé au Crédit Lyonnais où il a été vraiment maltraité, ce qui n’était pas chic du tout. Ils ont créé un sixième poste de directeur général adjoint et on lui a donné les émoluments correspondants. Il n’a jamais rien eu à faire là-bas dans cette banque privée, dirigée par des inspecteurs des Finances, en particulier par Moreau-Néret qui, lui, pourtant était très bien. Ils n’aimaient pas qu’on leur « colle » quelqu’un, n’ayant pas pris conscience qu’en 1945, ils étaient nationalisés6. Le président était Monsieur Moreau-Néret, un homme très connu, extrêmement cultivé et de très grande influence mais qui a laissé son camarade plus jeune moisir à ce poste-là7 et Gregh n’en a pas été satisfait. [...] Il ne s’y est pas plu et il a fait des missions internationales8. Mais enfin, au moment où il [Gregh] est parti du Budget, il n’en savait rien. Donc, dès le début de l’année 1949, tout le monde a su que j’allais partir de la direction générale des Finances de l’Algérie et, sans doute pour rappeler « l’Arlésienne », tous les mois j’ai dû donner une réception d’adieux ou à peu près parce que, tous les mois, c’était le mois suivant. Et ça a duré jusqu’au mois de juillet finalement.
Et votre successeur est arrivé ?
Alors mon successeur, il fallait le trouver également pour la direction des Finances d’Algérie. Alors moi, j’avais naturellement mon candidat, c’était Delouvrier. Le choix eût été évidemment remarquable. Delouvrier a connu l’Algérie à un poste plus élevé puisqu’il fut délégué général du gouvernement, c’est-à-dire le dernier en fait, gouverneur général de l’Algérie sans en avoir le nom puisque ça n’était plus à la mode9. Donc, j’avais d’abord pensé à Delouvrier que je connaissais, j’avais de fortes raisons. Puis Delouvrier ayant préféré, à sa création, la direction générale des Impôts, j’ai pensé à Tixier qui était un garçon également de très grande valeur mais qui n’avait qu’une envie très modérée, je le savais, de venir à Alger10. Aussi, quand il est venu à Alger pour la première fois j’avais recommandé à mes amis de faire un peu mousser le poste d’Algérie. Enfin, il est venu pour la première fois en Algérie, je crois au mois de juin et il y a fait très chaud, ce qui ne l’a pas encouragé. Bref, Monsieur Tixier a tout de même pris la suite et il est resté pas mal d’années d’ailleurs puisqu’il n’a eu qu’un successeur, Yves Le Portz, à la fin de 196011. Donc je suis parti au mois de juillet 1949 pour prendre mon poste à Paris.
À Paris, j’ai trouvé un accueil fort aimable des uns et des autres. Et j’étais particulièrement heureux que le poste avec lequel la direction du Budget a le plus de rapport, qui était le Trésor, soit tenu par François Bloch-Lainé, donc je ne me sentais pas isolé dans la maison12. Du côté des Impôts, le directeur général des Impôts était alors Allix que je retrouverai ensuite au Crédit Foncier13.
Avec Paul Delouvrier, directeur général adjoint ?
Oui. Paul Delouvrier avait été nommé par René Mayer, directeur général adjoint des Impôts, pour qu’il n’aille pas en Algérie. Donc il y avait Allix aux Impôts que je connaissais peu mais avec qui j’avais de très bonnes relations.
La structure de la direction du Budget est restée la même pendant longtemps14. Il y avait quatre sous-directions : la première qui s’occupait du budget à proprement parler, la deuxième qui s’occupait des questions de personnel. Vous savez qu’en effet tous les traitements et indemnités doivent être contresignés par le Ministre chargé du Budget et en fait c’est la direction du Budget qui préparait la décision avec un avis naturellement négatif sur toutes les demandes d’augmentation qu’on pouvait lui présenter. La troisième c’était la sous-direction des contrôles extérieurs et la quatrième sous-direction c’était les affaires sociales. Chacune de ces sous-directions se divisait en trois bureaux.
Dans la première sous-direction, la caractéristique était qu’il n’y avait pas de premier bureau mais un bureau B2 qui était le bureau célèbre car c’était lui qui élaborait la totalité du budget de l’État et c’était le gratin de la direction du Budget. Il était connu partout15. C’étaient les gens de B2 qui faisaient tous les budgets. Je dis cela parce qu’un de mes successeurs, je ne sais plus lequel, a changé tout cela et maintenant il n’y a plus de « bureau du budget ». Les budgets sont faits par les bureaux qui assurent les relations avec les ministères correspondants. C’est probablement plus efficace ainsi16. Il y a eu surtout des créations d’emplois qui ont permis d’assurer le succès de cette réforme. La direction du Budget comprend en effet maintenant un chef de service et six sous-directeurs au lieu de quatre sous-directeurs seulement. Le troisième bureau était le bureau des contrôles administratifs, c’est-à-dire le bureau auquel étaient rattachés les contrôleurs des dépenses engagées, qu’on appelle maintenant les contrôleurs financiers17.
La deuxième sous-direction contrôlait également trois bureaux. Elle était compétente à l’égard des personnels civils et militaires quant à leur statut, leurs traitements et leurs indemnités.
La troisième comprenait trois bureaux, les 7e, 8e et 9e. Le 9e bureau concernait les contrôles outre-mer ; c’est-à-dire que j’y ai retrouvé l’Afrique du Nord mais également l’Afrique noire, la Polynésie et tout le reste, en bref toutes les colonies non classées comme Territoires d’outre-mer ; le huitième, les Territoires d’outre-mer et le septième c’était les établissements industriels et l’agriculture.
La quatrième sous-direction correspondait aux affaires sociales. Elle a toujours une influence importante, car elle traite des problèmes et du fameux budget de la sécurité sociale. [...]
Vous m’avez parlé au sein de la direction du Budget d’un bureau qui s’occupait de la gestion du personnel ? Ce bureau s’occupait des traitements de la fonction publique. Les primes étaient gérées par ce même bureau ?
Il y avait trois bureaux en réalité. C’était une sous-direction qu’on appelait les « PCM », les personnels civils et militaires. Deux bureaux qui s’occupaient l’un des traitements, l’autre des indemnités et primes des personnels civils et le troisième qui s’occupait des personnels militaires, à la fois en traitement, en calcul des retraites, etc. En somme, la sous-direction traitait de tous les éléments financiers et avantages annexes des personnels de l’État ou des collectivités locales18. Il n’y avait pas à ce moment de statut du personnel des collectivités locales. Il n’y avait que la fonction publique d’État à ce moment-là19. Les communes faisaient ce qu’elles voulaient ou ce qu’elles pouvaient. Sous la réserve que tout élément financier ou déroulement statutaire de carrière était soumis au contrôle et à la signature du Ministre chargé du Budget c’était, à la direction du Budget, cette sous-direction qui s’en occupait. Et non seulement pour les personnels en activité, mais même pour les retraites, pour les cumuls. Tout passait par ces trois bureaux-là.
En ce qui concerne les primes qui font toujours sourire car on pense qu’au Ministère des Finances elles sont plus importantes que dans les autres Ministères, est-ce aussi la direction du Budget qui en avait la responsabilité ?
Bien sûr. Mais enfin ça donnait lieu peut-être, disons, à quelques sourires. C’est-à-dire que la direction générale des Impôts d’une part, la direction du Personnel de l’autre, me faisaient assez facilement de petites entourloupettes que je savais ou que je ne connaissais pas ou encore que je voulais ignorer. Mais généralement, je ne les connaissais qu’imparfaitement et j’ai fait quelques réserves, parfois sanglantes, à mon collègue du Personnel. On les a finalement réglementées20.
Elles sont placées sous votre contrôle, si l’on peut dire ?
Oui, enfin oui et non. Non, parce que c’était en réalité le résultat d’un calcul complexe. C’était tant pour cent de la masse des salaires, c’est comme ça que je m’en étais tiré. Mais la masse des salaires, je n’en avais pas le contrôle, c’est ce qui résultait des ordonnancements21. Il y avait des catégories de personnels particulièrement avantagées et c’était à ce moment-là les Finances, mais elles ont été sérieusement limitées22. Il y avait également, et très largement, tous les services techniques. Les services des Ponts et des Mines avaient Dieu sait quelles indemnités provenant des vérifications et du contrôle des automobiles pour les Mines, du contrôle des travaux locaux et des marchés pour les Ponts et Chaussées. Il y avait de très larges primes de ce côté-là. Plus larges même que celles des Finances et j’en connaissais l’existence23. Il y avait des arrêtés qui en fixaient le taux mais on ne pouvait pas se rendre compte de la masse que cela pouvait représenter. On ne le sait qu’a posteriori par les versements à ces fonds communs. Cela m’a permis plusieurs fois de rouspéter et de dire que c’était excessif, qu’il fallait faire autre chose, mais je ne sais pas ce que c’est devenu. Cela m’étonnerait bien que ce ne soit pas maintenu mais tout a été réglementé, de part et d’autre dans les divers ministères. De mon temps, il y avait manifestement des abus.
Est-ce que le fait qu’il y ait des primes qui ne sont pas les mêmes d’un Ministère à l’autre ne vient pas rompre le statut unique ?
Bien sûr. Maintenant on se dit que c’est ce statut unique qui est quelque chose de mauvais.
La question est de savoir comment à l’époque on a justifié justement cet aménagement du statut par primes différenciées.
On n’a pas cherché à se justifier, d’abord parce qu’en réalité c’était pour la plupart de vieilles traditions, notamment pour les ingénieurs. Le contrôle des appareils à gaz, le contrôle des travaux, ont toujours donné lieu à des indemnités qui étaient encaissées sous forme de fonds communs et partagées ensuite entre le personnel, ça a toujours existé. Pour les Finances, il y a eu des frais d’établissement des rôles par exemple. C’était une cagnotte qu’on partageait. Enfin je sais qu’il y avait les articles 5 et 6 de je ne sais plus quel texte, qui régissait ces indemnités pour les Finances. Indemnités qui étaient prélevées sur les frais d’émission des rôles qui, d’ailleurs, servaient aussi à payer du matériel et pas simplement des indemnités24. Et quand vous voyiez l’état des bureaux et des installations des perceptions, l’état matériel, c’était le plus souvent lamentable25. Lamentable de faire vivre des fonctionnaires, qui devraient avoir une certaine autorité, dans les conditions dans lesquelles vivaient, matériellement parlant, la plupart d’entre eux. Des tables bancales, les chaises boîteuses, etc. enfin c’est grotesque. L’État a toujours été pauvre paraît-il !
Il y avait un effectif très raisonnable, bien entendu26, et il y avait surtout dans cette direction un état d’esprit remarquable de disponibilité totale à l’égard du service public qui vraiment prenait la vie de tous les agents. J’ai trouvé là, en y arrivant, à ma surprise je dois dire, des gens qui faisaient vraiment passer leur métier avant tout. C’est-à-dire que, d’abord, il n’était pas question, notamment pour ceux du deuxième bureau, d’avoir le samedi, la question ne se posait même pas. Celle qui se posait, c’était celle du dimanche matin. Mais alors là, le deuxième bureau, celui qui était chargé de faire le budget, non seulement pendant la période de discussion budgétaire, mais même pendant la période de préparation budgétaire, périodes qui se succédaient à peu près sans discontinuité, le dimanche était souvent laborieux. La période du vote du budget à peine achevée, on recommençait. On prenait quinze jours et puis on attaquait tout de suite le budget suivant27. On travaillait tous les samedis matin, à coup sûr, et les samedis après-midi très fréquemment ainsi que les dimanches matins. D’ailleurs à ce moment-là, je ne sais pas si les administrations ne travaillaient pas le samedi matin28.
Travail de nuit aussi j’imagine ?
Bien sûr. [...]
Je voulais savoir si vous aviez un cabinet ?
Oui, si on veut. Ça ne s’appelait pas un cabinet à ce moment-là. Mais enfin, ça ne fait rien. J’avais un secrétaire extrêmement dévoué, Roger Chrétien, qui m’était vraiment dévoué corps et âme. Il essayait de me protéger de tous les gens qui pouvaient tenter de m’importuner et il connaissait tout ce que je voulais faire. C’était un garçon extrêmement sympathique, garçon d’origine et de grade modestes qui a été finalement nommé percepteur et qui, quand je suis parti du Budget, m’a suivi à la SN REPAL où il est resté comme un véritable chef de cabinet. Il y a travaillé jusqu’à son heure dernière, malheureusement il est mort très jeune. Donc, j’avais à mes côtés deux éléments de collaboration personnelle. Le secrétaire, qui était chef de cabinet, en quelque sorte, et une secrétaire, une dactylo qui prenait à une vitesse formidable, qui était très intelligente aussi, et extrêmement dévouée. Vraiment un personnel de très haute qualité sans lesquels je crois qu’en effet, le directeur du Budget se serait mal défendu. Je les y ai trouvés. Ce n’est pas moi qui les y avait amenés. Alors j’avais évidemment tous les concours de ce côté-là mais il me fallait d’autres personnels de la direction bien entendu. Les sous-directeurs bien sûr. Je crois que je n’ai jamais été un mauvais patron et que, dans le fond, tous ces personnels étaient très soudés entre eux et très soudés vis-à-vis de leur directeur. Je ne sais pas si c’est encore le cas maintenant mais en tous les cas, de mon temps, je les ai tous connus vraiment très unanimes. Je pouvais leur demander n’importe quoi, ils le faisaient29.
Entre vous-même et vos sous-directeurs, vous n’aviez pas d’autres personnes attachées directement à ce qu’on appellerait aujourd’hui votre cabinet ?
Non, mais pour avoir l’esprit suffisamment libre, pour réfléchir aux grandes questions, j’ai fait deux créations. J’ai fait créer un cinquième poste de sous-directeur sous la forme d’un chef de service. Ce chef de service était mon adjoint direct, directeur adjoint du budget. Il était au-dessus des quatre sous-directeurs. J’avais choisi Martial-Simon qui est devenu et est resté mon ami le plus cher. Martial-Simon, de trois à quatre ans mon aîné, qui a été d’abord sous-directeur chargé du budget puis le premier chef de service de la direction du Budget30. Il a poursuivi une très belle carrière comme directeur des Assurances puis directeur de la Comptabilité publique où il a laissé une œuvre, en particulier le décret du 26 décembre 1962 qui pour la Comptabilité publique est le pendant du décret de 1956 pour le Budget31 [...] et il est la seule personne qui soit restée vraiment de mes amis de toute ma jeunesse. Nous déjeunons au moins une fois par mois tous les deux en vieux bonhommes que nous sommes devenus. [...]32
Est-ce que comme à la direction générale des Impôts vous aviez une sorte de quota d’inspecteurs des Finances ?
Pour moi c’était zéro.
C’est encore plus maigre qu’à la DGI ?
Tout de même j’en ai obtenu un, parce qu’il était en parallèle avec un ingénieur des Ponts33. Il m’est arrivé à ce sujet d’ailleurs une petite difficulté tout à fait dans mes derniers temps, à la fin de l’année 1955, j’ai eu de Monsieur Blot, directeur général des Impôts mais directeur de cabinet de M. Edgar Faure, un appel me disant : « Goetze, Edgar en partant se préoccupe du sort des membres de son cabinet et voilà que Valéry Giscard d’Estaing veut aller à la direction du Budget. Alors très bien, c’est une décision du Ministre. Je sais quelles difficultés cela va vous créer, mais c’est comme ça ». Ainsi VGE a été pendant quinze jours inscrit dans des rôles de la direction du Budget34. Il a à peine eu le temps de me rendre visite parce que c’était le moment des élections et que son grand-père, ayant abandonné son siège de député, l’a confié à Valéry. Il a été d’ailleurs brillamment élu. Ainsi commençait cette carrière dont je n’ai pas besoin de rappeler l’éclat.
À cette époque vous ne l’aviez pas rencontré ?
Si, je le rencontrais puisqu’il était au cabinet d’Edgar Faure.
À la direction du Budget, il n’a pas mis les pieds ?
À peine et justement avec Martial-Simon, on se demandait ce qu’on allait bien lui donner à faire étant donné son esprit si brillant.
Est-ce qu’il n’y avait pas l’équivalent de ce qui existe par exemple à la direction générale des Impôts, des chargés de mission ?
En principe oui, mais en fait ça n’existait pas. C’était mes deux membres du bureau des études. Le Budget était très enrégimenté et peut-être pas très évolutif quant aux personnels dont le dévouement était irremplaçable35.
En ce qui concerne les administrateurs civils, aviez-vous un quota chaque année ?
Oui, mais enfin ça, c’était le directeur du Personnel, suivant les besoins, qui les affectait dans la limite des affectations proposées au Ministère des Finances. Naturellement, le meilleur était généralement à cette époque affecté au Budget, ce qui m’a valu des drames parce qu’ils n’étaient pas tous contents. Ils préféraient souvent être affectés au Trésor. Il y en a un qui me l’a dit carrément. Il est venu me voir pour que je donne mon accord à un changement d’affectation. J’ai dit « Mon cher ami, moi je ne veux pas le savoir. Vous êtes affecté à la direction du Budget par les soins du Personnel ». Et il me répond : « Au moins que je sois dans un bureau qui vaille la peine, le deuxième bureau » (celui du Budget). Ça a eu pour résultat que je l’ai affecté au neuvième bureau, celui qui avait le moins de choses à faire parce que je n’aime pas qu’on me parle sur ce ton-là36.
Parce qu’en fait, je pensais qu’à la sortie de l’ENA, les personnes choisissaient ?
Oui ils choisissaient leur corps de sortie selon le nombre de places offertes, évidemment et selon leur section. Dans la section administrative, les premiers choisissent le Conseil d’État, la Cour des Comptes ou l’Inspection des Finances, c’est évident. Ensuite, ils sont administrateurs civils et, comme administrateurs civils, ils marquent, je crois, des préférences pour certains Ministères. Alors il y a ceux qui marquent comme préférence les Finances, il peut y avoir ceux qui aiment l’Intérieur aussi. C’est tout à fait normal, tout à fait possible. Aux Finances, c’est le plus fort contingent généralement, relativement à nos effectifs d’administrateurs civils. Puis à l’Économie et aux Finances, le plus souvent, on préfère la direction du Trésor37.
Donc Trésor en tête ?
Trésor en tête, Budget aussi bien sûr. Oui, parce qu’il y a tout de même eu de belles sorties et ça vaut la peine38. Ou la Comptabilité publique. Si vous voulez être de la Comptabilité publique, elle est très administrative forcément. Tandis qu’au Trésor, les pantouflages sont très nombreux et la direction a énormément de chargés de mission en dehors de son personnel technique courant. Et ce sont ces chargés de mission qui généralement raflent les postes, après avoir été nommés sous-directeurs, ils ont les plus belles sorties. Et il faut reconnaître qu’ils ont un métier peut-être plus vivant que celui du Budget tel que je l’ai connu et tel qu’il reste par ce que je continue à voir. Les agents du Budget sont toujours pris par la nécessité d’éviter de creuser le déficit. C’est une hantise qui est rarement constructive39.
Par exemple, on pourrait penser que le fait que ce soit une direction très liée au milieu politique, au milieu parlementaire notamment, en fasse une direction assez dynamique ?
Je crois qu’on n’a pas à se plaindre de son dynamisme mais son dynamisme se manifeste tout de même très essentiellement par des restrictions. [...]
Est-ce qu’il existait une sorte de profil de carrière type à la direction du Budget ? Est-ce qu’il y a des étapes obligées et est-ce qu’on peut savoir si on est « directorable » dans quinze ans par exemple ?
C’est vraiment très individuel heureusement, enfin du moins je le suppose. De mon temps, le collaborateur dont je vous ai déjà parlé, Monsieur Martial-Simon, qui me déchargeait de toutes ces questions d’administration de la maison, le faisait avec habileté et une grande rigueur. Dès deux ou trois ans passés au Budget, il savait qu’un tel pourrait progresser rapidement et d’autres beaucoup moins. Il préparait les dossiers qui m’ont permis de donner à chacun la sortie la plus intéressante et la plus honorable. Je ne suis pas certain que cela ait continué avec une telle rigueur. Maintenant, on sort tellement vite de la direction pour aller je ne sais pas où. Il y a tellement d’organismes extérieurs et même de Ministères dans lesquels vont les gens du Budget, très normalement pour gérer des services financiers. Mais il y en avait certainement beaucoup moins de mon temps que maintenant. Pendant le temps où j’ai présidé le Groupe central des Villes nouvelles, j’étais finalement dans l’incapacité de savoir quel était le sous-directeur compétent parce que celui du Trésor et celui du Budget qui s’occupaient des villes nouvelles, changeaient chaque année ou à peu près. Soit qu’ils aient une autre attribution dans leur direction soit que surtout ils aillent ailleurs40.
Notes de bas de page
1 Nous ne disposons sur les traitements des différents emplois occupés par les inspecteurs dans l’Empire que d’informations fragmentaires. Nous savons qu’en 1949 un directeur perçoit par an 1 145 000 F (à titre de comparaison, son homologue, à la SNCF ou à l’EDF perçoit 1 820 000 F, et le traitement le plus bas de la fonction publique, l’indice 100 est alors de 114 500 F), cf. Paul Carcelle, Georges Mas, « Le Traitement et la situation des fonctionnaires », Au Service de l’État, Bulletin d’information de la fédération des cadres fonctionnaires, CGC, n° 12, mai-juin 1949, p. 1-6. Mais comme au traitement de base s’ajoutaient les suppléments « coloniaux » ou des « indemnités spéciales » qui doublaient le traitement et les frais de service qui en représentaient environ la moitié, en rentrant en métropole à la direction du Budget, Goetze perdait donc quelques avantages financiers.
Sur la place de directeur des Services financiers de l’Algérie dans la carrière d’un inspecteur avant 1945, nous ne disposons que du témoignage d’un de ses prédécesseurs, Aris, IF 1921 : « Poste très lourd mais passionnant... Ce n’était pas une belle carrière mais c’était un métier intéressant. Cela tentait très peu de gens parce qu’ils ne voulaient pas quitter Paris... ce n’était pas très recherché. » Entretien enregistré avec l’auteur en 1982. Il n’en allait pas de même de son homologue au Maroc comme on en témoigne J. Georges-Picot : « Mes contacts marocains, comme les deux visites que j’avais faites au Maroc, me donnent vers 1933 l’idée de briguer la succession de Branly qui annonce son intention de quitter la direction des Finances. C’était un poste envié, non seulement en raison de l’agréable résidence de Rabat, mais aussi parce que ses titulaires antérieurs, Piétri d’abord et Branly ensuite, avaient réussi à lui conférer un certain poids dans la politique économique du Maroc en face de Résidents qui changeaient plus souvent et qui s’intéressaient davantage au côté politique de leur mission », J. Georges-Picot, Souvenirs d’une longue carrière 1925-1975, Introduction et notes de H. Bonin et N. Carré de Malberg, Paris, CHEFF, 1993, 427 p., p. 106.
2 Qu’il soit normal de changer d’emploi certes, mais concernant la durée de fonction de directeur des Services financiers en Algérie ou les débouchés, il n’y a pas de règle. Dans l’ensemble ceux qui ont précédé Goetze y sont restés au moins six ans, sauf Leclerc, deux ans, de 1918 à fin 1920 : Escallier, six ans, de janvier 1921 à septembre 1927, Aris, sept ans, de 1929 à 1936, Gonon, six ans, de 1936 à novembre 1942, Tixier après Goetze restera de juillet 1949 à août 1958.
3 En quittant cette fonction, certains ont occupé ensuite des postes de directeurs mais d’autres des emplois d’attaché ou conseiller financier : Leclerc devient directeur du Contrôle des Régies de 1920 à 1922 puis chef de cabinet du Ministre. C’est son passage en cabinet qui lui permet d’entrer à la Banque de France comme sous-gouverneur puis gouverneur du Crédit foncier de 1928 à 1936 ; Escallier devient directeur des Contributions indirectes de 1927 à 1930, du MGF de 1930 à 1934 puis directeur général de la Banque de l’Algérie de 1934 à 1946 (1943 en réalité puisqu’en août 1943 il est emmené comme otage avec d’autres hauts fonctionnaires en Autriche) avant de présider le Crédit Lyonnais de 1946 à 1949 puis l’EDF de 1949 à 1953 ; Aris occupe en 1936 le poste d’attaché financier en Allemagne, revient en Algérie comme secrétaire général du Gouvernement de l’Algérie, l’amiral Abrial étant gouverneur. Il doit en repartir à la demande de Weygand en juillet 1941 puis il est envoyé en Argentine comme conseiller financier jusqu’à sa démission en novembre 1942 ; Gonon on l’a vu est promu sur place puis en 1946 part pour l’Indochine comme conseiller financier, avant de présider la Banque de Madagascar de 1949 à son assassinat en 1972 ; Tixier, lui, reviendra en Europe en 1958 pour vice-présider la BEI jusqu’en 1962 puis la Banque industrielle de l’Algérie jusqu’en 1967 et enfin la Banque Worms. Cf. N. Carré de Malberg, « La place de l’Empire dans les carrières des inspecteurs des Finances », Actes du Colloque, Les finances et l’Outre-mer, un siècle de relations monétaires et financières, 13-14 novembre 1996, Bercy, CHEFF, 1997, à paraître.
4 Dagnicourt, né en 1902, rédacteur à l’administration centrale, a fait toute sa carrière à la direction du Budget. Il est nommé directeur adjoint le 17 juillet 1940 et en septembre 1941 chargé de la direction des services du Budget à Paris lorsque le directeur du Budget, Jardel, devient secrétaire général du Maréchal et Gourdin, directeur de l’Imprimerie nationale chargé des fonctions de directeur. Le 1er novembre 1943, Dagnicourt devient directeur.
5 Cf. plus haut sur les raisons de la nomination de Fernand-Didier Gregh au Budget.
6 Le Crédit Lyonnais nationalisé en 1945 avait conservé ses dirigeants qu’il puisait parfois à l’IGF Ainsi Margerie (IF 1911), secrétaire général depuis 1930 devient directeur général adjoint en 1946 ou Ramey de Sugny (IF 1920) directeur des services de la Comptabilité de 1928 à 1950 (sans compter les administrateurs). Cf. M. Mougenet, Le livre du centenaire du Crédit Lyonnais et surtout Jean Rivoire, Le Crédit Lyonnais, Histoire d’une banque, préface de J.Y. Haberer, Paris, Le Cherche-Midi Éditeur, 1989, 239 p. Goetze semble admettre que la nationalisation des banques entraîne une gestion directe du personnel dirigeant par l’État, sans que les besoins ou les réserves en personnel de haut niveau de l’entreprise soient nécessairement pris en compte.
7 En effet Olivier Moreau-Néret est un des grands inspecteurs de l’entre-deux-guerres. Reçu à l’Inspection en 1919 (tandis que son frère allait au Conseil d’État) il commence sa carrière au service d’Alsace-Lorraine puis devient dès 1923 sous-directeur puis directeur adjoint du MGF en 1925. En 1926 le baron Brincard le fait entrer au Crédit Lyonnais comme secrétaire général, puis co-directeur en 1941, directeur général en 1949 puis président en 1955. Dès mai 1940, il est chargé par Bouthillier de diriger les services de l’Économie nationale, puis le 16 juillet 1940 nommé secrétaire général pour les Affaires économiques, poste dont il démissionne en juin 1941 à la suite de ses désaccords avec Barnaud, délégué général pour les relations économiques franco-allemandes. En 1955 il succède à Escallier (cf. plus haut) comme président, mais la réalité du pouvoir au Crédit Lyonnais était déjà bien dans ses mains.
8 Après le Crédit Lyonnais où il ne reste en effet que jusqu’en 1953, Gregh poursuivra sa carrière à la BIRD comme directeur de la division des opérations d’Asie et du Moyen-Orient jusqu’en 1955 puis à l’OTAN comme secrétaire général adjoint en 1955, secrétaire général en 1959, pour l’Économie et les Finances jusqu’en 1969 et enfin comme Ministre d’État à Monaco jusqu’en 1976 : une carrière, publique, internationale, intéressante, mais sans responsabilité majeure. Les témoignages recueillis auprès des membres de la direction du Budget au CHEFF soulignent ses compétences et son « brio » mais également son absence de fermeté dans les arbitrages budgétaires par comparaison avec son successeur.
9 En passant, on voit la part de la cooptation dans la nomination des hauts fonctionnaires aux emplois de direction. Paul Delouvrier, reçu au concours de l’Inspection en mai 1941, avait pris une part active à la résistance intérieure notamment lors de la Libération de la France. Dès octobre 1944, il est chargé de mission auprès du Ministre des Finances, Lepercq, puis Pleven en novembre 1944 avant de devenir son directeur de cabinet en septembre 1945. C’est entre octobre 1944 et mai 1945 que les deux hommes s’étaient connus et avaient pu s’apprécier, notamment au cabinet de Pleven où Goetze était resté pendant un mois après le départ de Mendès France pour diriger la « branche Économie nationale ». Après avoir accompagné Monnet au Plan en 1946, Delouvrier dirige en 1947-1948 le cabinet de René Mayer (député de Constantine depuis 1946) Ministre des Finances du Gouvernement Schuman, Tixier étant son directeur adjoint. En 1949 il devient sous la direction d’Allix directeur adjoint de la toute jeune direction générale des Impôts (avril 1948). Sur Paul Delouvrier on pourra consulter ses entretiens avec le CHEFF et ceux avec Roselyne Chenu, Paul Delouvrier ou la passion d’agir, op. cit. Bien que très jeune encore, Delouvrier s’imposait déjà par son intelligence, ses compétences et surtout par ses capacités d’action, de négociation, de conviction.
10 Sur Tixier, cf. ci-dessus, IIIe partie.
11 Yves Le Portz, reçu au concours de l’Inspection en 1943, déporté en 1945, directeur régional de l’Économie et des Finances du gouvernement militaire à Tubingen de 1945 à 1948, participe au cabinet de Queuille puis de Petsche de 1948 à 1951. Il est également à partir de juillet 1951 chef du service du contrôle et des enquêtes économiques au Ministère des Affaires économiques. Il suit ensuite comme directeur de cabinet le Ministre Duchet aux PTT en 1952-1953 puis à la Reconstruction en 1955. Après la direction des Finances de l’Algérie, il vice-présidera comme son prédécesseur, Tixier, la BEI. Cf. Entretiens avec Le Portz au CHEFF.
12 Bloch-Lainé confirme les mérites d’une relation professionnelle qui peut s’appuyer sur des relations personnelles comme ce fut le cas entre Goetze et lui : « Notre accord que facilitait l’amitié se faisait généralement en privé et à l’amiable malgré des intérêts professionnellement contraires, du fait de nos responsabilités respectives, quant à l’appréciation du plus ou moins “ incompressible ” (en fonctionnement ou en investissement), côté charges et du plus ou moins “ difficile ” (quant à l’impôt ou à l’emprunt), côté ressources. » Cf. J. Bouvier, F. Bloch-Lainé, La France restaurée, op. cit., p. 172.
13 Allix reçu à l’Inspection en 1928, après un passage au MGF de 1930 à 1935 auprès d’Escallier puis de Baumgartner, était passé à la direction de la CP (sous l’autorité de Jacques Brunet) comme sous-directeur en 1935, directeur adjoint en 1937, chef des services extérieurs (de la CP) en 1940, directeur de 1943 à 1949. Il fut directeur général des Impôts de 1949 à 1955, sous-gouverneur du Crédit Foncier de 1955 à 1960. Sur l’histoire de la direction de la CP, cf. les Actes du Colloque tenu à Bercy les 25-26 novembre 1993, notamment Ph. Masquelier, La Direction de la Comptabilité publique, 1870-1940, « De l’administration des choses au gouvernement des hommes », p. 41 à 79, op. cit.
14 L’organisation de la direction en 4 sous-directions date de 1945 et n’a pas changé jusqu’à la réorganisation de 1967 et la mise en place de 6 sous-directions. Mais le nombre de bureaux lui s’est accru par palier comme l’indiquent les annuaires : 5 bureaux en 1920, 4 en 1934 ; 9 de 1940 à 1945 ; 12 bureaux de 1945 à 1955 ; 16 en 1956, et 17 de 1960 à 1967. Avec la réorganisation de 1967 on compte 22 bureaux. AP Goetze, CHEFF, carton 2, dossier 1.
15 Le bureau B2 avait un chef de bureau et une quinzaine d’administrateurs civils (ENA ou anciens rédacteurs). Sur la pratique quotidienne de ce bureau on pourra lire, notamment, les souvenirs de Paul Schwall, Au fil d’une vie, éclats de mémoire, Naguère rue de Rivoli, 1944-1957, texte présenté par N. Carré de Malberg, Études et Documents VIII, CHEFF 1996, p. 510-595, et également les entretiens transcrits avec le CHEFF notamment ceux de Cortesse, Cristofini, Fromaget, Magniez, Malafosse, Rossard, Fourgous, membres du bureau B2 dans les années « Goetze » ainsi que ceux de Mathey, chef de service, et de Vidal, directeur, pour la période ultérieure.
16 La première sous-direction était le « sanctuaire » de la direction, la sous-direction des « grands équilibres » selon Magniez, vivier des chefs de service et des directeurs. Roger Goetze évoque ici la profonde réorganisation du travail de préparation du budget faite en 1975 par le nouveau directeur Deroche. Elle ne modifie pas le nombre de sous-directions (6 depuis 1967) mais les responsabilités des bureaux dont le nombre passe de 22 à 26. En effet, ils sont désormais spécialisés par domaine d’activité et chaque bureau est en contact avec un ou des Ministères déterminés. Dans l’ancienne structure, les responsabilités, transversales, du bureau B2, qui centralisait la préparation du Budget, présentaient quelques inconvénients : emploi d’un trop grand nombre d’administrateurs civils, double emploi avec certains autres bureaux, subordination des autres bureaux travaillant pour B2 « à la commande » qui entraînait une « subordination psychologiquement mal ressentie » (selon le témoignage de Vidal qui fut chef de service de 1971 à 1973 et directeur de 1979 à 1981 et a pu ainsi bien comparer les deux organigrammes). Cf. Entretiens avec le CHEFF.
17 Depuis la loi de 1922 les contrôleurs des dépenses engagées sont recrutés parmi les fonctionnaires des Finances et relèvent de la direction du Budget. Ils sont chargés de contrôler la conformité des engagements des dépenses avec les crédits votés. Les dépenses dépourvues de leur visa ne doivent pas être ordonnancées sauf arbitrage du Ministre des Finances. Par ailleurs, ils rédigent un rapport annuel destiné au Ministre des Finances et aux commissions des Finances. Ils fournissent au directeur du Budget les informations nécessaires à l’appréciation des budgets des « dépensiers ». Sur la réalité de ce contrôle, son évolution, ses ambitions et ses limites, cf. la thèse de droit en cours de Sébastien Kott, « Les contrôleurs des dépenses engagées de 1922 à 1975 », CHEFF, et sa communication à la Journée d’études du 10 janvier 1997 La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur ou témoin, Paris, CHEFF, 1997, à paraître.
18 Sur le fonctionnement et la latitude d’action de cette sous-direction, dite PCM, le CHEFF dispose de deux témoignages précieux de deux fonctionnaires qui ont passé l’un vingt-trois ans de 1948 à 1971, Raoux, l’autre neuf ans de 1967 à 1976, Lescure, cf. la communication d’Edmond Raoux à la Journée d’études du 10 janvier 1997, op. cit.
19 La fonction communale comportait, en 1950, 253 000 agents. Le statut général des fonctionnaires du 19 octobre 1946 excluait, en effet, provisoirement le personnel des collectivités locales. Ce fut une loi de 1952 qui, après de longs débats, entre l’Assemblée et le Conseil leur accorda des garanties notamment en matière disciplinaire mais le recrutement et les traitements (faibles) restaient du ressort des maires. Les fonctionnaires communaux ne pouvaient, compte tenu du cloisonnement entre les communes, espérer bénéficier d’un plan de carrière puisqu’ils n’avaient pas la qualité de fonctionnaires. Il faut attendre la loi du 13 juillet 1983 pour que les fonctionnaires territoriaux bénéficient du statut général qui contient à la fois des droits et obligations communs avec les fonctionnaires de l’État (titre I du nouveau statut) et des modalités communes aux fonctionnaires territoriaux (titre III), cf. Serge Salon (et alii), Histoire de la fonction publique, tome III, Nouvelle Librairie de France, 1993, 577 p., Quatrième partie, 1945 à nos jours, p. 387-390 et p. 467-469.
20 La répartition par direction de certaines primes et indemnités aux Finances est du ressort de la direction du Personnel et, au sein de la direction du Budget, du directeur.
21 Rappelons que les actes constitutifs de la dépense publique sont, sauf exception, successivement : l’engagement, la liquidation, l’ordonnancement, le paiement. Il y a engagement de dépenses dès lors qu’un acte d’un Ministre (ou d’un fonctionnaire habilité par délégation de signature) entraîne l’utilisation d’un crédit. La liquidation consiste à définir son montant exact. L’ordonnancement consiste dans l’émission et le visa d’un ordre au comptable de payer une dépense engagée et liquidée. Le paiement, en raison du principe de la séparation des fonctions de l’ordonnateur et du comptable, est le fait d’un comptable public qui est amené, une nouvelle fois, à contrôler la régularité comptable des opérations faites par les ordonnateurs.
22 S’agissant des primes versées à tous les fonctionnaires, rappelons qu’il existe une indemnité de cherté de vie (depuis le décret du 9 novembre 1948 complété par le décret du 12 août 1950), une indemnité de résidence, variable selon le lieu et dégressive, et les indemnités pour charge de famille. Celles-ci créées par le décret du 18 octobre 1919 furent annulées avec le décret-loi sur la famille du 29 juillet 1939. La loi du 25 septembre 1942 créant le supplément familial de traitement la rétablit, rompant ainsi l’assimilation avec l’ensemble des travailleurs. Parmi les rémunérations facultatives et variables que l’on rencontre dans tous les Ministères citons les heures supplémentaires, les indemnités techniques de fonction comme les frais de mission, les primes de rendement prévues par l’article 35 du statut de 1945. Celles-ci sont, d’après Gilbert Mathieu auteur d’un article du Monde du 7 octobre 1953 intitulé « L’inquiétant exode des Serviteurs de l’État », « faibles et mal réparties ». On trouve aussi les indemnités pour travaux extraordinaires (décret du 10 août 1927). C’est à ce titre que les chefs et sous-chefs de bureaux du Budget notamment mais aussi les agents des commissions des Finances et du bureau des travaux législatifs perçoivent des indemnités spécifiques soumises à un maximum qui représente plus du double du maximum des autres chefs de bureaux, « la double forfaitaire ». Selon les témoignages, s’ajoutaient à ces indemnités budgétaires des primes secrètes, d’origine parlementaire, propres aux administrateurs du bureau du Budget pour la surcharge de travail due aux débats. Pour être complet, il faudrait aussi évaluer les avantages indirects comme les jetons de présence aux conseils d’administration et autres avantages en nature qui ne sont pas aisés à cerner. Notons que les entretiens restent très souvent imprécis quant au montant des primes et indemnités, et à leur nature : imposables ou non, mais ne comptant jamais dans le calcul des retraites. Il semblerait, mais une étude sérieuse reste à faire, que les primes et indemnités représentent au moins 50 % du traitement. Cf. Jacques d’Arbonneau : « Je ne voudrais pas dire que nous étions désincarnés, qu’on ne pensait pas quand même à la rémunération parce qu’elle n’était pas... je n’ai pas de souvenirs de rémunérations époustouflantes. On était très attachés aux primes de rendement, bien sûr, où la direction du Budget, là je le reconnais, avait nettement plus que les autres directions de l’administration et a fortiori des autres Ministères, c’était la compensation. C’était le bureau B2 qui en avait le plus et puis après ça c’étaient les autres sous-directions ». Entretiens avec le CHEFF.
23 Roger Grégoire explique bien que la course aux indemnités résultait de l’impossibilité de reclassement régulier des traitements, de la difficulté de révision des indices qui provoquait inévitablement une contagion coûteuse notamment sur les pensions. Les différentes catégories de personnel ont donc cherché à échapper au sort commun par des voies latérales, cf. Roger Grégoire, La fonction publique, Paris, A. Colin, 1954, 353 p., p. 280. Ni la direction du Budget ni la direction de la Fonction publique ne purent ni ne voulurent s’y opposer véritablement en raison des avantages substantiels obtenus par certaines administrations. Par exemple, les agents des Ponts pouvaient percevoir des honoraires. Mais il semble bien, qu’exception faite des ingénieurs des Ponts, les fonctionnaires des Finances sont les mieux rémunérés. Roger Grégoire fait remarquer sans développer : « Par ailleurs le département des Finances n’avait pas hésité à doter ses personnels d’avantages qu’enviaient les autres Ministères. » La comparaison entre fonctionnaires des différents Ministères, que chacun cherchait à éviter, est rendu difficile faute de sources écrites et d’imprécisions orales. J.-L. Bodiguel note que ni la mission Racine en 1963 ni la commission Bloch-Lainé en 1968 n’ont pu recueillir de réponses exhaustives sur les indemnités des énarques interdisant toute étude des disparités. Cf. J.-L. Bodiguel, Les anciens élèves de l’ENA, Presses de la FNSP, 1978, 271 p., p. 96. Edmond Raoux, fonctionnaire au PCM, justifie l’existence des indemnités. « Ces problèmes indemnitaires avaient également une très grande importance et là également on critique énormément les régimes indemnitaires de la Fonction publique en disant que c’est épouvantable, que c’est touffu, qu’on y comprend rien, qu’on ne sait pas ce qui se passe... et je dirai que j’ai toujours trouvé ces critiques, et même aujourd’hui lorsque j’en entends parler, je les ai toujours trouvées beaucoup trop abusives, surtout à l’époque où les contagions indiciaires étaient très fortes, je leur ai dit. « Les régimes indemnitaires, le secteur des indemnités est probablement le seul secteur où l’on peut faire des choses intelligentes dans la fonction publique, en matière de rémunérations, où l’on peut et où l’on a fait parfois des choses intelligentes ». Entretien avec le CHEFF, septembre 1996.
24 Il s’agit de l’article 5 de la loi du 17 août 1948. Comme le raconte Lauré dans son entretien au CHEFF : « Il y avait un article 5 de la loi du 17 août 1948 qui donnait au Ministre des Finances la possibilité par simple décret ou arrêté de pomper dans la caisse de l’État pour donner des primes à ses fonctionnaires... article qui, sous prétexte de frais de perception d’impôts, permettait de divertir sur les recettes fiscales un petit pourcentage qui serait attribué à un fonds... Ce fonds était établi au Ministère des Finances... Les diverses directions ont manifesté leur droit de propriété sur ces fonds. C’est la DGI qui en a eu la plus grosse part puisqu’elle était à l’origine du phénomène... mais il y en a eu un peu pour tout le monde quand même... Il est vrai que les autres parties du Ministère avaient, de manière inégale d’ailleurs, leurs petites ressources particulières qui leur permettaient de toucher davantage. Le Trésor et le Budget avaient des ressources dont j’ignore exactement l’origine mais qui leur permettaient de culminer encore plus haut que les agents de la DGI, lesquels, eux, étaient très bien servi par cet article 5 ». Cf. Entretien transcrit par Frédéric Tristram, La Direction des Contributions directes, 1917-1948, 1995, CHEFF, vol. II, p. 57 et p. 73. Difficile de mesurer la répartition de ces cagnottes qui ne figurent pas dans les archives.
25 Le concours autobiographique organisé par le CHEFF en 1994-1995 auprès des retraités du Trésor public a permis de recueillir de précieux témoignages sur ces conditions de travail, matérielles, dans les perceptions et les trésoreries. On en trouvera la synthèse dans l’ouvrage en préparation de Catherine Jumeau, Recueil de morceaux choisis... op. cit., à paraître au CHEFF. Un concours identique est en préparation au CHEFF pour les agents retraités de la DGI.
26 Un tableau des effectifs de la direction du Budget en 1950 (Archives privées Goetze, carton Budget dossier 1, CHEFF) indique d’une part les effectifs théoriques de l’encadrement, 104 personnes (67 administrateurs civils ou assimilés et 37 secrétaires d’administration ou assimilés) ; d’autre part les effectifs réels de l’encadrement, 93 personnes (soit 64 administrateurs civils ou assimilés et 29 secrétaires d’administration ou assimilés). Dans une note du 22 juin 1949 Bloch-Lainé souligne la pénurie des effectifs à la direction du Budget comme à la direction du Trésor. SAEF B 33 455. À titre de comparaison dans le temps on compte dans l’annuaire en 1922, 36 cadres, rédacteurs compris, à la direction du Budget ; une note de la direction du personnel et du matériel indique un effectif de 86 cadres supérieurs pour l’année 1945 à la direction du Budget (pour 26 au Trésor et 29 aux Finex à la même date), cf. SAEF B 48374. En 1993 l’effectif de la direction comporte 240 agents dont 152 de cadre A, soit une augmentation continue au fil des ans, un effectif nettement supérieur aux autres directions d’état-major du Ministère mais toujours dénoncé comme insuffisant.
27 Le calendrier de la préparation du Budget suivait un rythme accéléré sans compter les années où la loi de finances était votée très en retard après le 31 décembre de l’année et devait s’accompagner de vote de douzièmes provisoires. Ce calendrier comportait des phases successives. Entre janvier et mars le directeur du Budget envoie à son Ministre une note de perspectives accompagnée d’annexes sur les points les plus importants (note construite à partir des perspectives de chaque bureau). Le Ministre des Finances, par l’intermédiaire de la direction du Budget, établit les prévisions de recettes, montants des impôts et le cas échéant l’importance de l’emprunt et les prévisions de dépenses. Il envoie en juin des instructions (future lettre plafond) pour la préparation du Budget à chaque département ministériel. Ceux-ci doivent fournir à la direction du Budget qui centralise avant le 15 juillet ou le 15 août selon la nature des crédits, fonctionnement ou équipement, les demandes de crédit. Cette centralisation n’est pas seulement matérielle. Comme le Ministre des Finances a la responsabilité de l’équilibre cette centralisation lui confère un pouvoir de discussion. Celle-ci a lieu dans une première phase au niveau des services de la direction du Budget au cours de conférences budgétaires qui se réunissent à la direction du Budget à partir d’août. Ces conférences ne donnent pas lieu à procès-verbal (hélas pour les historiens) et prennent pour base le budget précédent amendé de coefficient pour tenir compte de la hausse des prix. La direction dispose d’informations fournies par le contrôleur des dépenses engagées qui lui a fait parvenir son avis circonstancié sur le projet de budget du département qu’il contrôle. Elle peut solliciter des justifications s’il y a une augmentation par rapport à l’année précédente. Si l’accord ne se réalise pas, le litige remonte d’abord au directeur du Budget puis au Ministre des Finances en présence du Ministre dépensier, du directeur du Budget et éventuellement du chef ou sous-chef de bureau concerné. Si l’accord ne se fait toujours pas l’arbitrage est donné par le Président du Conseil ou le Conseil des ministres. Les dépenses et les recettes étant alors arrêtées, le directeur du Budget rédige l’exposé des motifs qui les replace dans le cadre de la politique du gouvernement. Le travail de la première sous-direction ne s’arrête pas là : c’est elle aussi qui se charge de faire imprimer le projet de loi de finances accompagné de documents annexes, les « bleus » et les « verts ». Les « bleus » détaillent les crédits par chapitre, article et paragraphe en faisant ressortir les modifications par rapport à l’exercice précédent et en distinguant les mesures acquises des mesures nouvelles plus détaillées. Ces « bleus » sont accompagnés (et précédés chronologiquement) par les « verts » dont l’existence date de l’après-guerre. Ces documents à couverture verte donnent l’analyse du budget voté l’année précédente avec les modifications de l’exercice en cours, avec un « vert » par loi de développement et comportant des informations précieuses et détaillée non seulement des chapitres mais des articles et même des paragraphes ainsi que des informations sur les effectifs et l’organisation de chaque Ministère. Ces « verts » facilitent la tâche de comparaison avec l’exercice suivant et prennent en considération les modifications éventuelles de nomenclature. Le projet de budget est donc éclairé par les « verts » et les « bleus ». Lors du débat à l’Assemblée nationale, les administrateurs de B2 assistent le Ministre comme commissaires du gouvernement, chacun pour le budget dont il s’occupe.
28 Roger Grégoire rappelle, en 1954, qu’aucun texte de portée générale ne fixait pour les fonctionnaires la durée de service hebdomadaire. Seul un règlement d’administration publique du 16 novembre 1944 fixait pour les administrations centrales le service à 45 heures hebdomadaires. « En pratique les fonctionnaires sont astreints à 40 ou 45 heures hebdomadaires réparties généralement sur cinq jours et demi », comme la majorité des salariés. Cf. Roger Grégoire, La fonction publique, op. cit., p. 283. Ceci explique les indemnités pour travaux supplémentaires des membres du bureau B2 qui travaillaient généralement le samedi après-midi, parfois le dimanche et la nuit lors des débats budgétaires et ne parvenaient guère à prendre les congés réglementaires. En vertu de l’article 86 de la loi du 19 octobre 1946, les fonctionnaires avaient conservé leur droit traditionnel à 30 jours consécutifs de congé, avantage considérable avant 1946 vis-à-vis du secteur privé, mais relatif depuis puisque celui-ci accorde généralement aux cadres 21 jours. Sur les conditions de travail au B2 particulièrement, les mots « volume », « rapidité », « calendrier impératif », « tension nerveuse », « stress » reviennent souvent, accompagnés d’allusions discrètes aux conséquences psychologiques subies (dépression, divorce). Schwall ne fait pas mystère de sa dépression pendant six mois. Cf. Paul Schwall, « Au fil d’une vie... », Études et Documents VIII, art. cit., p. 519-520. Jacques d’Arbonneau : « Au bureau B2 on m’avait prévenu, on m’avait dit : vous n’aurez jamais toutes vos vacances [...]. À Noël parce qu’on préparait le budget et puis pendant les trois mois d’été pareil. Donc jamais les gens de B2 n’ont pu partir en vacances en juillet-août-septembre et jamais ils n’ont pu avoir Noël et le jour de l’An. J’appelle ça un peu, entrer en religion, et ça ne se trouve pas sous le pied d’un cheval des gens qui sont disposés à accepter, j’allais dire ce sacrifice, mais qui en contrepartie en retirent, enfin j’allais dire, une satisfaction ». Entretiens transcrits avec le CHEFF.
29 Il faudrait distinguer : d’une part les relations des sous-directeurs avec le directeur qui paraissent avoir été en effet excellentes voire exceptionnelles par rapport à celles entretenues avec son successeur immédiat, Devaux (IF 1932) et son prédécesseur d’après les témoins, unanimes dans leur éloge de Roger Goetze ; d’autre part les relations des sous-directeurs entre eux qui semblent plus complexes : étroites et solidaires dans le travail, plus distantes dans la sociabilité de la direction. Il existe dans chaque sous-direction, consciente de sa place dans la hiérarchie et de son particularisme, un esprit de « famille », un esprit de « corps ». Ainsi les « bédeusiens » se reconnaissent un sentiment de supériorité et constatent l’esprit de corps des autres sous-directions notamment de celle qui s’occupait des traitements, les « PCM ». Les « bédeusiens » aspiraient à faire carrière dans leur sous-direction et accueillaient rarement des transfuges issus des autres sous-directions.
30 Entré comme rédacteur à la direction du Budget en 1935, Martial-Simon mènera sous la IVe République parallèlement une carrière au Budget et en cabinet : en 1949-1951 comme conseiller technique de Pleven Ministre de la Défense, Président du Conseil, en 1951-1953 comme directeur de cabinet de Pierre Courant Ministre du Budget puis de la Reconstruction, puis en 1955 de Gilbert-Jules, Secrétaire d’État aux Affaires économiques et comme conseiller technique de Mitterrand, Ministre de l’Intérieur. Il restera chef de service de 1953 à 1955. Après la CP, il présidera de 1966 à 1975 la Caisse nationale de l’Énergie.
31 Le décret de réforme de la CP du 29 décembre 1962 met en œuvre une codification simplifiée, adaptée aux besoins des administrations et de la comptabilité nationale, redéfinissant le rôle des comptables, leurs opérations et leurs interlocuteurs modernisant, ce qui avait été formalisé un siècle plus tôt par le décret de 1862. Cf. Les Actes du Colloque sur La comptabilité publique, Continuité et modernité, op. cit, notamment V. Pernot-Burkel, « L’élaboration du décret de 1962 », p. 101-122. Celle-ci confirme le rôle essentiel (mais pas unique car la réflexion avait été amorcée par son prédécesseur Devaux) de Martial-Simon et d’une petite équipe de hauts fonctionnaires de la CP dans la demande et l’élaboration de cette réforme.
32 Par modestie, Martial-Simon n’a pas souhaité laisser son témoignage qui eut été pourtant bien précieux pour l’historien. Mais par amitié pour Goetze, il a bien voulu l’assister pour la correction factuelle de ses entretiens sur la période du Budget. Il est naturellement souvent évoqué par les témoins de cette époque. Cf. le portrait qu’en fait Schwall : « L’époque des très riches heures de la direction du Budget, ce fut aussi celle de Martial-Simon, directeur adjoint puis chef de service, parfait second de Goetze. Issu de B2, il exerça un fort ascendant sur ses collègues, puis collaborateurs. Plume remarquable, sa personnalité impressionnait par son extrême concentration et une sensibilité à vif. Lorsqu’il prit possession du bureau qui gardait l’aura de Masselin, il nous sembla qu’il ressentit l’événement comme l’accomplissement d’une prédestination. Dès son affectation à B2, la place lui revenait d’évidence. Il conduisit les discussions budgétaires tout en finesse ; l’habileté sur le fond étant secondée par une grande élégance d’expression. », cf. Paul Schwall, « Au fil d’une vie... », Études et Documents VIII, art. cit., p. 537.
33 Dans l’entre-deux-guerres, poursuivant la tradition de la CP dont elle était issue, la direction du Budget avait puisé à l’Inspection des chargés de mission (dans les premiers temps ils étaient deux ou trois) et en partie ses sous-directeurs. Jusqu’en 1936 le directeur (sauf Suzanne en 1925) et un sous-directeur au moins étaient inspecteurs. C’est moins semble-t-il l’IGF qui freine l’entrée des inspecteurs à la Direction que les rédacteurs de la direction du Budget craignant, à juste titre, la concurrence des inspecteurs pour l’accès aux postes supérieurs. Depuis 1936, la tradition n’autorisait qu’un Inspecteur au plus haut niveau : directeur ou chef de service. En outre les inspecteurs ne sont pas admis au bureau B2 (pas plus que les femmes d’ailleurs). Sous l’Occupation le seul inspecteur des Finances au Budget fut Tabard de Grièges (IF 1935), chargé de mission de 1941 à septembre 1943, puis sous-directeur au Budget jusqu’en octobre 1946. Dans un entretien avec l’auteur en décembre 1980, il expliquait : « Je ne me suis jamais occupé du budget général. Pourquoi ? Parce que la direction du Budget à l’époque était la seule où il n’y avait pas d’inspecteur des Finances. Elle prenait le plus grand soin à les éliminer le mieux possible... On m’a confiné dans des domaines qui n’étaient pas le budget général... J’ai été amené à me pencher sur le problème des retraites, sur le code de la famille et la politique démographique... J’ai eu à m’occuper de toutes les interventions industrielles et scientifique de l’État ».
34 Le testament ministériel est une pratique très ancienne. Au début du siècle les abus avait abouti au vote, lors de la loi de finances du 13 juillet 1911, de dispositions limitant le nombre de membres de cabinets et interdisant les promotions dans l’administration postérieures à la chute du cabinet.
35 Les chargés de mission pouvant être payés par leur corps d’origine (plus indemnités), leur recrutement permet une souplesse précieuse dans la gestion du personnel, encore faut-il leur offrir ensuite un débouché interne ou externe ce qui là encore peut contrarier les possibilités d’avancement des autres budgétaires. En dépit de l’augmentation des effectifs de la direction tous les témoignages concordent pour constater hier comme aujourd’hui la charge de travail pesant sur un effectif très, trop limité, personnel d’exécution compris. Cette gestion du personnel dite « de flux tendu » pour reprendre l’expression de Bouton, directeur du Budget de 1988 à 1992, a sans doute plusieurs raisons : donner l’exemple de l’économie et impressionner les quémandeurs, mobiliser les équipes, simplifier les problèmes de carrière.
36 Il s’agit du bureau du contrôle des Offices et Établissements autonomes et administratifs.
37 J.-L. Bodiguel, comme J.-F. Kessler dans leurs études sur l’ENA, notent seulement que le Ministère des Finances a toujours été le premier employeur des énarques (J.-F. Kessler, L’ENA, la Société, l’État, Paris, Berger-Levrault, 1985, 584 p., p. 444) et qu’il est le premier choisi après les trois grands corps et la diplomatie à égalité avec la Préfectorale dans les années cinquante mais devant depuis. Cf. J.-L. Bodiguel, Les anciens élèves de l’ENA, Presses de la FNSP, 1978, 288 p., p. 66. Il n’y a pas à l’heure actuelle d’étude sur la répartition des énarques aux Finances en fonction de leur rang de sortie de l’ENA. Quelques budgétaires interviewés déclarent que certains avaient raté l’Inspection de peu. Schwall écrit : « Après furent affectés à B2 les meilleurs produits de l’ENA. Le premier reçu (Mascard) avait dû être départagé pour l’Inspection par une épreuve orale improvisée après une égalité de moyenne à la décimale près. Quant à Magniez, il n’avait manqué, l’Inspection des Finances que d’un quart de point. » Cf. Paul Schwall, « Au fil d’une vie... », Études et Documents VIII, art. cit., p. 532.
38 On ne peut pas mieux dire que le choix d’une carrière dans l’administration dépend aussi des offres qu’on se verra proposer en la quittant ! La préférence pour le Trésor est indissociable des débouchés dans les Banques et Assurances.
39 Jugement sévère sur les capacités d’initiative des budgétaires qui contraste d’ailleurs avec ce qu’il dit par ailleurs des mesures qu’il a préconisées. Leur rôle étant de faire des choix entre les demandes et les refus, l’étude de ces choix, seule, pourrait attester, ou non, de leur capacité à anticiper l’avenir. Il peut arriver aussi que le directeur voire le Ministre sollicite leur imagination. Ce que firent Goetze et son Ministre Edgar Faure en 1954 selon Schwall : « Roger Goetze constatait que, dans son secteur, le monopole de l’imagination revenait aux Ministères dépensiers. [...] Il enviait secrètement son collègue, directeur du Trésor, qui pouvait être plus créatif en inventant, par exemple, le Fonds de Modernisation ou de nouvelles ressources de financement non fiscales. En bref, sa direction portait une image défensive et certains, déçus pour leurs projets repoussés, n’hésitaient pas à la qualifier de négative. Roger Goetze décida donc de prendre des initiatives, celles-ci étant rendues possibles par le succès du plan de dix-huit mois. Il nous demanda de faire, nous aussi, travailler notre imagination pour proposer des mesures de réorganisation ou de modernisation, éventuellement coûteuses dans l’immédiat, mais génératrices d’économies durables à terme. La direction du Budget proposant des augmentations de crédit, voilà qui allait en surprendre plus d’un ! », cf. Paul Schwall, « Au fil d’une vie... », Études et Documents VIII, art. cit., p. 541.
40 Aucune étude ne permet à l’heure actuelle de mesurer l’évolution des carrières des budgétaires (durée de service, mobilité interne, accélération) ni même de comparer avec les autres directions encore qu’on puisse penser qu’il y a eu en effet une accélération des carrières depuis les années soixante-dix. Guy Vidal au cours de son entretien fait état d’une étude en 1971-1972 qui constatait que les budgétaires restaient en moyenne 11 ans et demi avant leur sortie définitive et il ajoute : « Maintenant (en 1993) ce serait sensiblement plus bas » ; souhaitons que la direction du Budget prenne le temps de ce regard narcissique et rétrospectif : elle y trouverait sans doute des explications à sa rotation excessive d’aujourd’hui, peut-être des remèdes, et les historiens, des matériaux pour l’étude des changements dans le comportement du personnel des administrations centrales. Si Goetze interviewé en 1989 pouvait effectivement constater la facilité des pantouflages en entreprises publiques ou privées dans les années quatre-vingt, il ne tiendrait probablement pas les mêmes propos en 1996 car la direction du Budget, comme les autres voit ses débouches diminuer hors de l’administration. Les entreprises publiques sont devenues moins nombreuses et moins gourmandes de généralistes venus de l’administration.
Notes de fin
1 La quatrième partie sur la direction du Budget recouvre les entretiens nos 7, 8 et 9.
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